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Date: 20230919

Dossier: 568‑02‑47519

XR: 566‑02‑45952

 

Référence: 2023 CRTESPF 85

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Matthew Guenther

demandeur

 

et

 

Conseil du Trésor

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Guenther c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Marie‑Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le demandeur : Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (UCCO‑SACC‑CSN)

Pour le défendeur : Brigitte Labelle, analyste

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 30 novembre et le 22 décembre 2022, et le 7 février 2023.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Demande devant la Commission

[1] Le 26 octobre 2022, Matthew Guenther (le « demandeur ») a renvoyé un grief à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Un tel renvoi, qui porte sur l’application ou l’interprétation d’une convention collective, exige l’appui et la représentation d’un agent négociateur. L’Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (l’« agent négociateur ») représente l’unité de négociation à laquelle appartient le demandeur. L’agent négociateur et le Conseil du Trésor (le « défendeur ») sont des parties à une convention collective qui est venue à échéance le 31 mai 2022 (la « convention collective »).

[2] Le demandeur travaille en tant qu’agent correctionnel auprès du Service correctionnel du Canada. Même si le défendeur est l’employeur légal, aux fins de la présente décision, le Service correctionnel du Canada est également considéré comme l’employeur et le défendeur, car le défendeur lui a délégué ses pouvoirs en matière de gestion des ressources humaines.

[3] Le défendeur s’est opposé au renvoi à l’arbitrage pour deux motifs : le retard et la compétence.

[4] Le défendeur fait valoir que le grief aurait dû être renvoyé à la Commission plus tôt. En réponse, le demandeur demande une prorogation du délai pour le renvoyer en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005‑79; le « Règlement »).

[5] Selon la deuxième objection du défendeur, la Commission n’a pas compétence pour entendre le présent grief, puisqu’il ne relève d’aucune disposition de l’article 209 de la Loi. Selon le défendeur, le demandeur contestait le refus d’un congé, qui est accordé en vertu d’une politique, et non de la convention collective.

[6] Le défendeur a demandé que ses objections soient tranchées avant qu’une audience soit tenue sur le bien‑fondé.

[7] La Commission estime que la demande de prorogation du délai est tranchée à bon droit en tant que décision préliminaire. La deuxième objection du défendeur porte sur le bien‑fondé du grief, à savoir si le demandeur avait droit à un congé payé pour un examen médical de routine. Si la prorogation du délai est accordée, la Commission se penchera par la suite sur le bien‑fondé du grief. La présente décision porte uniquement sur la demande de prorogation du délai.

II. Contexte

[8] Le 17 mars 2022, le demandeur a déposé un grief qui était libellé comme suit : [traduction] « Mon rendez‑vous annuel de quatre heures avec mon médecin le 8 mars 2022 a été refusé, même si j’ai droit à ce congé. J’ai dû plutôt prendre un congé de maladie. »

[9] Le grief a été rejeté. Il a été présenté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 25 avril 2022. Le défendeur n’a jamais fourni de réponse au dernier palier. Tel que je l’ai indiqué ci‑dessus, le grief a été renvoyé à la Commission le 26 octobre 2022.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

[10] Selon le défendeur, afin d’être déposé dans les délais, le grief aurait dû être renvoyé à la Commission au plus tard le 19 juillet 2022.

[11] L’article 90 du Règlement prévoit la date limite pour renvoyer un grief à la Commission pour arbitrage. Si une réponse au dernier palier est reçue, le fonctionnaire s’estimant lésé dispose d’un délai de 40 jours pour renvoyer le grief. Si aucune réponse au dernier palier n’est reçue, le grief peut être renvoyé au plus tard 40 jours suivant l’expiration du délai en fonction duquel la décision finale était requise.

[12] Dans le présent cas, la réponse au dernier palier devait être rendue le 7 juin 2022 et n’a pas été reçue. Par conséquent, le grief devait être renvoyé à l’arbitrage au plus tard le 19 juillet 2022.

[13] Le défendeur a présenté des arguments visant à étayer son objection selon laquelle le grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage, car il n’est pas fondé sur la convention collective, mais plutôt sur l’interprétation d’une directive du Conseil du Trésor sur les congés payés pour les rendez‑vous médicaux. Comme je l’ai affirmé, il s’agit là de l’essentiel du grief et il ne sera pas abordé dans la présente décision.

B. Pour le demandeur

[14] Le demandeur ne nie pas l’affirmation du défendeur selon laquelle le renvoi à l’arbitrage était en retard d’environ trois mois. Toutefois, l’agent négociateur fournit une explication du retard et affirme que le demandeur ne devrait pas être pénalisé pour son omission.

[15] Les documents nécessaires pour renvoyer le grief à l’arbitrage ont été remplis avant le 12 avril 2022. La personne chargée a simplement omis de faire le renvoi.

[16] Le 12 août 2022, un représentant du défendeur (un coordonnateur des griefs au sein de ses Opérations des relations de travail) a envoyé un message à l’agent négociateur au sujet de deux griefs, dont celui du demandeur, invitant l’agent négociateur à fournir des renseignements ou des éléments de preuve supplémentaires avant que le défendeur ne prenne ses décisions finales sur les griefs.

[17] Ce message a permis à la personne chargée du renvoi de se rendre compte de son omission. Selon l’agent négociateur, en raison du congé annuel et du travail par quarts de cette personne, le grief n’a pu être préparé que pour le 26 octobre 2022.

[18] Le demandeur répond également à l’objection relative à la compétence et affirme que le grief est effectivement visé par la convention collective. Une fois de plus, cela ne sera pas abordé dans la présente décision.

[19] Étant donné le retard du renvoi, le demandeur a demandé une prorogation du délai pour le renvoi.

[20] Selon le principal argument du demandeur, il ne devrait pas être pénalisé pour le manque de diligence de la part de l’agent négociateur. Il cite la décision Barbe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 42, dans laquelle la Commission a accordé une prorogation du délai dans des circonstances semblables : l’erreur était attribuable à l’agent négociateur, le retard n’était pas excessif, le grief avait été déposé à temps et le grief avait besoin de l’appui de l’agent négociateur, de sorte que les demandeurs dans cette affaire ne pouvaient pas le renvoyer eux‑mêmes.

[21] Le demandeur soutient que, par souci d’équité, une prorogation du délai devrait également lui être accordée.

[22] Le défendeur n’a pas répondu aux arguments du demandeur à l’appui d’une prorogation du délai. Il a simplement déclaré qu’il maintenait ses objections relatives à la compétence.

IV. Analyse

[23] L’analyse habituelle pour déterminer si une prorogation du délai devrait être accordée dans la procédure de règlement des griefs consiste à appliquer les critères établis dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, qui devraient guider la Commission dans sa décision. Je vais examiner chacun de ces critères à tour de rôle.

A. Des raisons claires, logiques et convaincantes

[24] L’agent négociateur n’a pas traité le grief en raison d’un oubli. Le demandeur n’aurait pas été en mesure d’agir seul, puisque le grief a été renvoyé en tant que question d’interprétation d’une convention collective. Comme il est affirmé dans la décision Barbe, parfois, l’inaction de l’agent négociateur constitue une explication suffisante pour justifier un retard (bien qu’il ne soit pas souhaitable). Le délai entre le moment où la personne chargée du renvoi s’est rendu compte de l’oubli et le moment où elle a effectivement fait le renvoi à la Commission est moins convaincant. Toutefois, les circonstances de chaque cas doivent être prises en considération pour déterminer ce qui est dans l’intérêt de l’équité et la raison du retard doit également être évaluée par rapport aux autres critères énoncés dans Schenkman.

B. La diligence raisonnable du demandeur

[25] Le demandeur a agi rapidement pour contester le refus du congé demandé. Il n’avait aucune raison de douter du fait que le grief avait été renvoyé.

C. La durée du retard

[26] Le retard n’est pas important, surtout puisqu’il était à l’étape du renvoi. En d’autres termes, il n’y a aucune surprise pour le défendeur, qui est déjà au courant du grief.

D. L’équilibre entre l’injustice causée au demandeur et le préjudice que subit le défendeur

[27] Comme dans la décision Barbe, ce critère milite en faveur du demandeur. Il n’aurait pas autrement la possibilité de contester le refus du congé. Le défendeur s’est déjà penché sur le grief; il n’a présenté aucun argument pour démontrer que le retard de trois mois pour renvoyer le grief lui causerait un préjudice.

E. Les chances de succès du grief

[28] Je n’ai connaissance d’aucune jurisprudence concernant l’octroi d’un congé pour des examens médicaux de routine. Il est impossible d’évaluer les chances de succès sans d’autres arguments des parties. Il ne s’agit pas d’un cas dans lequel le caractère futile d’un grief pèserait contre l’octroi d’une prorogation.

[29] Comme il est affirmé dans la décision Barbe, le point de départ est l’article 61 du Règlement qui permet à la Commission d’accorder une prorogation, qui se lit comme suit :

Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle‑ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

61 Despite anything in this Part, the time prescribed by this Part or provided for in a grievance procedure contained in a collective agreement for the doing of any act, the presentation of a grievance at any level of the grievance process, the referral of a grievance to adjudication or the providing or filing of any notice, reply or document may be extended, either before or after the expiry of that time,

a) soit par une entente entre les parties;

(a) by agreement between the parties; or

b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

(b) in the interest of fairness, on the application of a party, by the Board or an adjudicator, as the case may be.

[Je mets en évidence]

 

[30] Le principe directeur doit être l’équité.

[31] Comme dans la décision Barbe, je ne crois pas qu’il soit juste de priver le demandeur de sa possibilité de contester la décision du défendeur en raison d’une erreur commise par l’agent négociateur. Comme affirmé dans la décision Barbe, au par. 50 : « si le fonctionnaire n’est pas en faute, s’il a informé avec diligence son syndicat et contribué au dépôt de son grief, je ne vois pas comment en toute équité il devrait ensuite subir les conséquences des erreurs commises par l’agent négociateur. […] »

[32] Le retard dans le présent cas est beaucoup plus court que celui dans la décision Barbe, 3 mois par rapport à 20 mois. Comme dans la décision Barbe, la prorogation demandée porte sur le renvoi et non sur le dépôt du grief (et par conséquent, le défendeur est informé), et le demandeur devait s’en remettre à l’agent négociateur pour renvoyer le grief.

[33] En fin de compte, j’estime que le raisonnement dans la décision Barbe s’applique également au présent cas. L’équité exige que le grief du demandeur soit entendu.

[34] Avant de conclure, je dois dire que je suis un peu perplexe devant le fait que le défendeur soulève l’objection relative au respect des délais, compte tenu de son comportement. Selon les calculs du défendeur, la date limite pour donner la réponse au dernier palier était le 7 juin 2022. Pourtant, le 12 août 2022, il a invité l’agent négociateur à présenter des arguments supplémentaires sur le grief avant de rendre sa décision finale, ce qu’il n’a jamais fait. Même si le comportement du défendeur n’est pas considéré comme faisant partie de l’analyse fondée sur la décision Schenkman dans le présent cas, le comportement du défendeur ne peut pas passer inaperçu par la Commission.

[35] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[36] La prorogation du délai pour renvoyer le grief dans le dossier de la Commission 566‑02‑45952 à l’arbitrage est accueillie.

[37] Le grief sera mis au rôle de la Commission en temps opportun.

Le 19 septembre 2023.

Traduction de la CRTESPF

Marie‑Claire Perrault,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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