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Date: 20230928

Dossier: 566-02-40331

 

Référence: 2023 CRTESPF 90

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Gerald Woodill

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(ministère de la Défense nationale)

 

employeur

Répertorié

Woodill c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Cheryl Owens-Carr et Kim Veller, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Adam C. Feldman, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

les 6 et 7 juin 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1] Gerald Wood, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a déposé deux griefs contre le ministère de la Défense nationale (MDN ou l’« employeur ») parce qu’il considérait qu’il avait été traité injustement à l’égard des mesures de réinstallation qui s’appliquaient à lui lorsqu’il a été affecté à l’étranger. Les deux griefs ont été renvoyés à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en même temps et versés dans le même dossier. La présente décision porte sur les deux griefs.

[2] Le fonctionnaire fait partie d’une unité de négociation représentée par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »). L’agent négociateur et le Conseil du Trésor, qui est l’employeur légal (qui a délégué ses pouvoirs au MDN), sont parties à une convention collective visant les employés de recherche (la « convention collective »).

[3] Les Directives sur le service extérieur (DSE) sont des instruments négociés qui sont élaborés conjointement par le Conseil national mixte (CNM), une organisation qui comprend le Conseil du Trésor et les agents négociateurs fédéraux du secteur public fédéral. Par entente entre les parties signataires, elles sont intégrées à la convention collective.

[4] Le fonctionnaire a contesté l’application de certaines dispositions des DSE à sa situation. L’employeur a rejeté les griefs et, comme c’est la pratique pour les griefs concernant les directives du CNM, les griefs ont été renvoyés au Comité des Directives sur le service extérieur, puis au Comité exécutif du CNM, qui en sont arrivés à une impasse dans l’interprétation des DSE en cause. Le dossier a alors été soumis à la Commission pour arbitrage.

[5] Deux questions sont à trancher : le fonctionnaire a-t-il droit à une indemnité pour la perte de valeur immobilière qu’il a subie lorsqu’il a vendu sa résidence principale après avoir été affecté à l’étranger, et l’employeur aurait-il dû prolonger la période qui lui permettait de bénéficier d’une exemption du paiement des frais de logement?

[6] Je n’ai aucun doute que le conflit lié à ces questions a causé beaucoup de détresse au fonctionnaire et qu’il a considérablement diminué la grande satisfaction qu’il tirait de son emploi. Malheureusement, je ne peux pas conclure que l’employeur a enfreint la convention collective en refusant les avantages qu’il demandait, et pour les motifs qui suivent, les griefs sont rejetés.

II. Résumé de la preuve

[7] Les faits ne sont pas contestés. Les parties ont fourni un énoncé conjoint des faits. Le fonctionnaire a témoigné, et l’employeur a cité à comparaître deux témoins : Martin Gangur, gestionnaire, Directives sur les voyages et sur la réinstallation du CNM, et Robert Ford, conseiller du service extérieur du MDN. Le présent résumé est tiré de toutes ces sources.

[8] Le fonctionnaire a été scientifique principal de la défense au MDN pendant environ 20 ans. Il aimait son travail et le trouvait stimulant et excitant.

[9] Le fonctionnaire a travaillé avec le Centre d’analyse et de recherche opérationnelle de Recherche et développement pour la défense Canada. Ce groupe est composé de scientifiques de la défense qui travaillent en équipe avec les Forces armées canadiennes à sept endroits, six au Canada et un aux États-Unis, à Colorado Springs. L’une des conditions d’emploi d’un scientifique principal de la défense est d’être prêt à passer d’une équipe à l’autre, aux différents endroits, afin d’apporter des connaissances scientifiques à tous les services de l’armée et de participer à des activités d’apprentissage et de mentorat.

[10] En 2013, le fonctionnaire travaillait à Kingston, en Ontario, et ce, depuis 2010. Son épouse et lui avaient acheté une maison à Gananoque, en Ontario, une petite ville agréable située à l’extérieur de Kingston. Il devrait bientôt changer d’équipe et l’employeur lui a demandé de dresser une liste de ses choix par ordre de préférence. Il a demandé trois endroits différents, le préféré étant Halifax, en Nouvelle-Écosse.

[11] En août 2013, le fonctionnaire a vu un processus annoncé visant à doter un poste de scientifique principal de la défense à Washington, D.C., aux États-Unis. Selon lui, c’était la position de rêve qu’il n’avait jamais osé espérer. Il avait compris que des personnes étaient choisies pour ce poste tant convoité et il a été étonné de voir qu’il était annoncé comme ouvert aux candidats intéressés. Il a posé sa candidature et complété le processus d’examen et d’entrevue. À sa grande joie, il a appris, en janvier 2014, que sa candidature avait été retenue.

[12] Le fonctionnaire a expliqué que, tant qu’il n’avait pas reçu d’ordres définitifs de l’employeur, le poste n’était pas garanti. La directive de l’employeur était donc de ne pas engager les fonds nécessaires au déménagement éventuel avant l’arrivée de la confirmation officielle.

[13] Le fonctionnaire a reçu ses ordres le 11 avril 2014. Il a immédiatement entrepris de vendre sa maison de Gananoque, en Ontario. Il a déclaré que, une fois que la mutation vers une affectation à l’étranger a été mise en branle, beaucoup de paperasserie était nécessaire, ce que M. Ford a confirmé. En plus de toutes les dispositions à prendre pour la vente de la maison, il était très occupé avec toutes les exigences à remplir avant son départ pour Washington.

[14] Le fonctionnaire a déménagé à Washington en juin 2014. Avant son déménagement, l’employeur avait payé un voyage d’exploration à cet endroit pour trouver un logement convenable pour son affectation de trois ans.

[15] Pendant son séjour à Washington, le fonctionnaire s’est retrouvé à payer deux logements puisqu’il vivait à Washington, mais que sa maison à Gananoque demeurait invendue. En raison d’une clause de son contrat hypothécaire, il ne pouvait pas louer la maison. Il assumait donc toutes les dépenses afférentes, tels les taxes, l’entretien, les assurances. Cette situation de double logement est au cœur des deux questions soulevées dans les griefs. Je résumerai chaque question en commençant par les DSE applicables.

[16] Il est important de préciser que les DSE commencent par une introduction qui soulignent les principes directeurs pour les interpréter. L’un s’intitule « L’équivalence », et le libellé pertinent est le suivant : « L’équivalence – dans la mesure du possible et du pratique, les fonctionnaires en service à l’étranger ne devraient être ni plus ni moins favorisés que s’ils travaillaient au Canada. »

A. Perte de valeur immobilière

[17] La DSE 16 s’intitule « Aide pour la résidence principale » et détaille les coûts que l’employeur est prêt à assumer pour aider les employés affectés à l’étranger. Les articles pertinents se lisent comme suit :

[…]

La politique de l’employeur a pour but d’accroître la mobilité du fonctionnaire en facilitant l’acquisition, la gestion et la vente de sa résidence principale dans la ville de son bureau principal.

Il est donc disposé à lui offrir son aide pour composer avec les frais applicables à sa résidence principale suivants, tels que décrits dans cette directive :

a) dépenses/frais associés à un logement permanent résultant d’une réinstallation;

b) exemption du paiement du frais de logement si le fonctionnaire paye deux logements pendant une affectation à l’étranger;

c) frais associés à la vente et/ou à l’achat d’une résidence principale.

[…]

 

[18] La DSE 16 couvre plusieurs situations qui ne sont pas toutes applicables au fonctionnaire.

[19] L’une des situations que la DSE ne couvre pas, mais qui est abordée dans la Directive sur la réinstallation du CNM pour les déménagements au Canada, est l’indemnité pour pertes immobilières, qui est définie comme suit dans cette directive :

[…]

8.2 Indemnité pour pertes immobilières (IPI)

8.2.1 Les fonctionnaires qui vendent leur résidence à perte peuvent être remboursés la différence entre le prix d’achat initial et le prix de vente conformément à ce qui suit :

Composante de base principale

a) 80 % de la perte, jusqu’à un maximum de 15 000 $;

Composante de base sur mesure

b) l’excédent du montant de l’avantage prévu par la composante de base principale.

[…]

 

[20] M. Ford a témoigné que dès que la maison a été mise en vente, il a dit au fonctionnaire que les DSE ne prévoyaient aucun remboursement pour une perte de valeur immobilière lors de la vente d’une résidence principale.

[21] Dès que l’affectation à Washington a été confirmée, le fonctionnaire a entrepris de vendre sa maison à Gananoque. Il a obtenu une évaluation le 28 mai 2014 qui indiquait une valeur marchande de 236 000 $.

[22] La maison a été mise en vente, mais elle n’a suscité aucune offre. Le fonctionnaire a réduit le prix et a reçu deux offres en 2014, mais les deux ont échoué parce que les acheteurs n’ont pas pu obtenir de financement.

[23] La maison a finalement été vendue en juin 2015, au prix de 201 500 $.

[24] Le fonctionnaire a demandé à l’employeur de l’indemniser pour la perte de valeur immobilière, mais ce dernier a refusé parce que rien dans les DSE ne couvrait cette perte.

[25] M. Gangur a expliqué que l’indemnisation pour une perte de valeur immobilière à la vente d’une résidence principale ne fait pas partie des DSE, contrairement à la Directive sur la réinstallation du CNM pour les déménagements au Canada.

[26] Lorsqu’il a été interrogé sur le principe d’équivalence des DSE, M. Gangur a répondu que les directives du CNM (au Canada) et les DSE doivent être considérées comme des entités distinctes. Les DSE contiennent d’autres dispositions pour veiller à ce que les personnes affectées à l’étranger ne se trouvent pas dans une situation plus ou moins favorable que les personnes qui demeurent au Canada.

B. Exemption du paiement des frais de logement

[27] L’hébergement dans un poste à l’étranger peut s’avérer coûteux. Conscient de ce fait, l’employeur paye une partie du loyer pour le logement. Le montant accordé pour le loyer est basé sur la classification de l’employé. Dans le cas du fonctionnaire s’estimant lésé, compte tenu de sa classification, il avait droit à un montant pouvant atteindre 3 900 $ US par mois.

[28] Les employés contribuent au loyer selon une formule fixe, basée sur leur salaire. Dans le cas du fonctionnaire, les frais de logement (la contribution de l’employé) ont été établis à 1 200 $ CA par mois.

[29] La DSE 16 prévoit une exemption du paiement des frais de logement lorsqu’un employé doit payer deux logements, c’est-à-dire que l’employé a commencé à vivre à son affectation à l’étranger, mais qu’il doit encore assumer des frais de propriété. Voici les dispositions pertinentes :

[…]

16.4 Résidence principale inoccupée durant l’affectation à l’étranger

16.4.1 Lorsque l’affectation du fonctionnaire à l’extérieur du Canada est confirmée ainsi que lorsque ce dernier est muté d’un poste à un autre poste à l’étranger, l’administrateur général peut exempter le fonctionnaire du paiement des frais de logement dans les cas où celui-ci est réputé payer deux logements, quand il doit payer des frais de logement au poste et :

a) paye des frais de propriété, mais ne touche aucun revenu de location parce que :

(i) en raison d’un court préavis d’affectation, il n’a pas eu le temps de louer ou de vendre sa résidence principale avant de quitter la ville de son bureau principal, et que sa résidence est inoccupée […]

[…]

16.4.2 L’exemption du paiement des frais de logement visée aux paragraphes 16.3.1 et 16.4.1 est limitée à la période pendant laquelle le fonctionnaire doit payer des frais de logement en double (deux logements). Elle ne doit pas normalement dépasser neuf mois en tout pendant chaque affectation à l’étranger, période de prolongation incluse.

16.4.3 Lorsque le fonctionnaire doit payer deux logements au début de son affectation à l’étranger ou de son affectation d’un poste à un autre poste à l’étranger parce que l’employeur lui a donné un court préavis, l’exemption du paiement des frais de logement ne s’applique normalement pas au-delà de la dernière journée du neuvième mois suivant celui de la réception de la confirmation de l’affectation à l’étranger ou de l’affectation d’un poste à un autre poste à l’étranger.

[…]

16.4.5 Normalement, aucune exception à la période maximale de neuf mois n’est autorisée. Toutefois, le comité interministériel compétent de coordination du service extérieur peut déterminer s’il y a lieu d’accorder une aide pour une autre période d’au plus trois mois lorsqu’il est impossible de louer la résidence principale et qu’elle demeure vacante :

a) pendant la période initiale de l’affectation à l’étranger ou de l’affectation d’un poste à un autre poste à l’étranger, dans des circonstances exceptionnelles indépendantes de la volonté du fonctionnaire, par exemple, en raison d’une catastrophe naturelle ou d’une autre calamité; et/ou

b) suite à l’acceptation par le fonctionnaire d’une demande par l’employeur de prolonger l’affectation à l’étranger.

16.4.6 L’article 16.4 ne vise pas à fournir une aide financière au fonctionnaire qui choisit de ne pas louer la résidence principale qu’il possède dans la ville de son bureau principal […]

[…]

 

[30] M. Gangur a témoigné à l’audience que l’expression « circonstances exceptionnelles » désigne des choses comme des catastrophes naturelles ou des événements complètement hors du contrôle de l’employé.

[31] En juin 2014, le fonctionnaire a informé M. Ford qu’il n’avait pas vendu sa maison à Gananoque et qu’il devait payer deux logements. Il a présenté une demande d’exemption du paiement des frais de logement. Le 20 juin 2014, le Programme du service extérieur du MDN a approuvé la demande du 1ᵉʳ juin 2014 au 28 février 2015, ou jusqu’à ce que sa maison soit vendue, selon la première éventualité. À laudience, M. Ford a expliqué que la dérogation de neuf mois était accordée de façon courante.

[32] En octobre 2014, le fonctionnaire a écrit à M. Ford pour lui demander une prolongation de l’exemption du paiement des frais de logement, car sa maison n’était toujours pas vendue. À l’audience, le fonctionnaire a expliqué que les offres avaient échoué en raison d’un manque de financement et qu’il avait peu d’espoir de vendre la maison pendant l’hiver. Gananoque est surtout une destination estivale, car c’est une porte d’entrée vers les Mille-Îles; la population diminue considérablement pendant les mois d’hiver.

[33] M. Ford a répondu au fonctionnaire et lui a expliqué que l’exemption du paiement des frais de logement ne pouvait être prolongée que dans des circonstances exceptionnelles, conformément à la disposition pertinente de la DSE. Le bureau de M. Ford n’avait pas le pouvoir d’accorder la prolongation. Le fonctionnaire devait plutôt présenter une demande (par l’entremise du bureau du Programme du service extérieur du MDN) au Comité interministériel de coordination du service extérieur, groupe de travail B (qui était chargé d’interpréter les DSE pour tous les ministères ayant des employés à l’étranger), pour approbation.

[34] Le 23 décembre 2014, Hélène Chouinard (gestionnaire du Programme du service extérieur du MDN) a indiqué au fonctionnaire que son bureau présenterait la demande au groupe de travail B. Le 20 janvier 2015, M. Ford a présenté le cas du fonctionnaire au groupe de travail B. La demande a été rejetée dans les termes suivants :

[Traduction]

[…]

[] Le groupe de travail B refuse la prolongation de l’exemption du paiement des frais de logement, car l’employé n’a pas démontré l’existence de circonstances exceptionnelles qui sont indépendantes de sa volonté, car il a fait le choix personnel de vendre la propriété et de ne pas la louer. De plus, la prolongation de l’exemption du paiement des frais de logement n’est pas approuvée avant que la propriété ne soit vacante.

 

[35] Le 17 février 2015, le fonctionnaire a répondu au groupe de travail B en affirmant qu’il ne pouvait pas modifier les modalités de son hypothèque (qui l’empêchait de louer la propriété), qu’il avait réduit le prix de sa maison en deçà de l’évaluation et qu’il avait reçu deux offres qui avaient toutes deux échoué pour manque de financement. L’incapacité des acheteurs d’obtenir du financement était hors de son contrôle.

[36] Le 24 mars 2015, M. Ford a de nouveau présenté le cas du fonctionnaire au groupe de travail B, avec les renseignements supplémentaires. La demande a de nouveau été rejetée, avec le commentaire suivant : [traduction] « La décision de l’employé d’opter pour une hypothèque qui l’empêche de trouver un locataire pour la maison était une décision personnelle qui est sous le contrôle de l’employé. »

[37] Le 29 juin 2015, le fonctionnaire a informé M. Ford qu’il avait vendu sa maison. Encore une fois, il a demandé la prolongation de l’exemption du paiement des frais de logement, cette fois du 25 mars 2015 au 17 juin 2015. M. Ford a de nouveau soumis le dossier au groupe de travail B le 25 août 2015. À l’audience, M. Ford a témoigné qu’il était exceptionnel de retourner trois fois au groupe de travail B avec la même question. La demande a de nouveau été rejetée, cette fois dans les termes suivants :

[Traduction]

[…]

[] Le groupe de travail B a examiné le cas et refuse la demande de prolongation de l’exemption du paiement des frais de logement pour une période supplémentaire de trois mois, car des circonstances exceptionnelles découlant de facteurs indépendants de la volonté de l’employé n’ont pas été démontrées, comme le précise l’alinéa 16.4.5 a) de la DSE. Les dispositions de l’article 16.4 de la DSE s’appliquent lorsqu’en raison du court préavis d’affectation donné par l’employeur, il n’y a pas eu suffisamment de temps pour louer ou vendre la résidence principale avant de quitter la ville d’affectation et que la résidence est vacante. Le fait que l’employé n’a pas pu louer la résidence était dû à des raisons dépendantes de sa volonté, en raison de la décision personnelle qui avait été prise au moment d’acquérir l’hypothèque.

 

[38] Le fonctionnaire a témoigné que lorsqu’il avait signé le contrat hypothécaire avec sa banque, il avait été mis au courant de la clause de non-location, mais qu’il n’y avait pas prêté attention. À l’époque, il ne s’agissait pas d’une considération. De plus, il n’était pas enthousiaste à l’idée d’être un locateur absent, selon son expression. Deux de ses collègues à Washington avaient loué leur résidence canadienne pendant leurs séjours à l’étranger. L’un n’avait eu aucun problème avec son locataire, mais l’autre n’avait encore reçu aucun loyer. Selon le fonctionnaire, ce n’était pas très encourageant.

[39] La Directive sur la réinstallation du CNM comprend également des dispositions pour couvrir une situation de double logement, d’une durée maximale de 180 jours.

[40] M. Ford a témoigné au sujet des diverses indemnités auxquelles le fonctionnaire avait eu droit en vertu des DSE. Les plus importantes sont décrites après le présent paragraphe. Elles ne se trouvent pas dans la Directive sur la réinstallation, qui s’applique aux déménagements à l’intérieur du Canada.

[41] Comme il a été mentionné précédemment, l’employeur offre une aide au logement en fonction du poste occupé par l’employé. Le fonctionnaire avait droit à une indemnité versée par le gouvernement fédéral pour la location d’un logement, jusqu’à concurrence de 3 900 $ US par mois. Il devait verser une contribution mensuelle de 1 200 $ CA (sauf si l’exemption du paiement des frais de logement s’appliquait).

[42] Le fonctionnaire avait également droit, en vertu de la DSE 56, à des indemnités de poste annuelles (une indemnité de poste de 9 454 $ plus une indemnité de subsistance de 2 694 $).

[43] Le fonctionnaire était considérablement stressé par ses difficultés financières et l’incompréhension de l’employeur. Il a déclaré que n’eût été des difficultés financières qu’il a rencontrées à Washington, il aurait continué à travailler pour le MDN à titre de scientifique principal de la défense. Après son retour au Canada, il a pris sa retraite plus tôt que prévu.

[44] Le fonctionnaire a estimé sa perte à environ 40 000 $. Selon la preuve de l’employeur, la somme des indemnités des DSE qu’il a reçues au cours de la période d’affectation de trois ans s’élevait à environ 40 000 $.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire

[45] Le fonctionnaire a soutenu qu’il a assumé un fardeau financier considérable pour servir son pays à Washington. En contrepartie, l’employeur l’a traité avec irrespect.

[46] À partir du moment où son affectation à Washington a été confirmée en avril 2014, jusqu’à sa mutation en juin 2014, le fonctionnaire n’a eu que deux courts mois pour s’occuper de tous les détails concernant son déménagement. M. Ford a témoigné du fait qu’il y a beaucoup de choses à organiser lors d’un déménagement à un poste à l’étranger.

[47] Le fonctionnaire a demandé une prolongation de trois mois de l’exemption du paiement des frais de logement en raison des difficultés qu’il avait rencontrées pour vendre sa maison, malgré tous ses efforts, y compris la réduction du prix de vente. L’employeur a refusé, affirmant qu’il ne s’agissait pas de « circonstances exceptionnelles »; pourtant, elles étaient, au sens de la DSE pertinente, indépendantes de la volonté du fonctionnaire. Un pouvoir discrétionnaire aurait dû être exercé pour prolonger l’exemption.

[48] Quant à la perte de valeur immobilière sur la vente de la maison, il y a lieu d’appliquer le principe directeur des DSE, à savoir l’équivalence. Comment se fait-il que la perte de valeur immobilière aurait été compensée si le fonctionnaire avait déménagé à Halifax, comme il l’avait d’abord voulu, mais pas lorsqu’il a déménagé à Washington?

[49] Le fait que le Comité des Directives sur le service extérieur et le Comité exécutif en soient arrivés à une impasse démontre que l’interprétation de la DSE n’est pas si claire; elle devrait être résolue en faveur du fonctionnaire.

B. Pour l’employeur

[50] Le principe de l’équivalence ne signifie pas que les DSE doivent correspondre à la Directive sur la réinstallation du CNM. Il faut plutôt, si l’on considère la situation d’un employé dans son ensemble, qu’il ne se trouve pas dans une situation plus défavorable lors d’une affectation à l’étranger que s’il était réinstallé au Canada. Les indemnités accordées aux employés travaillant à l’étranger visent justement à compenser et à assurer un train de vie comparable.

[51] Le fonctionnaire a choisi une certaine hypothèque qui l’empêchait de louer sa maison. C’était sous son contrôle. Il a choisi de vendre la maison, ce qui, encore une fois, était sous son contrôle. Les indemnités et les mesures de l’employeur, comme l’exemption du paiement des frais de logement, visent à faciliter la transition; l’employeur ne peut pas être responsable de chaque perte subie par un employé.

[52] L’employeur et les agents négociateurs ont établi des directives concernant la réinstallation au Canada et les affectations à l’étranger. Les directives sont différentes puisqu’elles visent des réalités différentes. La réinstallation au Canada est généralement un déménagement unique, tandis que les affectations à l’étranger peuvent être une réalité récurrente pour certains employés.

[53] L’adoption de directives différentes était le choix des parties et constituait une solution négociée qui fait maintenant partie de la convention collective.

[54] L’employeur a cité Kramer c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2010 CRTFP 116, comme décision pertinente en l’espèce.

[55] M. Kramer était un agent du service extérieur en poste à New York, aux États-Unis. Il a engagé des dépenses importantes pour le traitement d’orthodontie de son fils. Il avait déjà atteint le montant maximal de remboursement par l’entremise du Régime de soins dentaires de la fonction publique du Canada. Il n’a pas réclamé le remboursement complet du traitement d’orthodontie à New York, mais plutôt la différence entre ce qu’il aurait payé au Canada pour le même traitement et ce qu’il a payé à New York.

[56] L’employeur a rejeté la demande, et un arbitre de grief a rejeté le grief. M. Kramer avait engagé des coûts pour des dépenses qui n’auraient pas été remboursables en vertu du Régime de soins dentaires de la fonction publique et, par conséquent, la DSE ne couvrait pas les coûts supplémentaires. Le libellé de la DSE devait être interprété comme couvrant les dépenses au-delà de ce que le Régime de soins dentaires de la fonction publique rembourserait, ce qui impliquait qu’au moins une partie des dépenses pouvait être couverte par le Régime. L’exclusion du Régime faisait en sorte que les dépenses ne pouvaient pas être couvertes.

IV. Analyse

[57] Le fonctionnaire a soulevé deux questions distinctes, que je traiterai séparément.

A. Perte immobilière

[58] L’argument de l’équivalence du fonctionnaire, selon lequel il devrait avoir droit à une indemnité pour la perte immobilière à la vente de sa maison, comme il y aurait eu droit s’il était resté au Canada, est convaincant à première vue. Cependant, il ne suffit pas pour surmonter les obstacles qui empêchent d’accueillir ce grief.

[59] Premièrement, et surtout, la perte immobilière n’est tout simplement pas couverte par une DSE, contrairement au libellé clair de la Directive sur la réinstallation qui s’applique au pays. Les parties ont choisi de prévoir d’autres dispositions pour s’assurer que les employés affectés à l’étranger soient indemnisés pour la réalité de la réinstallation; l’indemnisation pour pertes immobilières n’en fait pas partie.

[60] Deuxièmement, l’équivalence ne permet pas à un arbitre de grief de modifier le libellé d’une convention collective, comme le prévoit l’article 229 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) : « La décision de l’arbitre de grief ou de la Commission ne peut avoir pour effet d’exiger la modification d’une convention collective ou d’une décision arbitrale. »

[61] Comme dans Kramer, une perte importante n’est pas nécessairement couverte par une DSE, même en vertu du principe de l’équivalence. Les conditions de la couverture doivent également se retrouver dans le libellé de la DSE.

B. Exemption du paiement des frais de logement

[62] L’exemption du paiement des frais de logement est accordée de façon systématique pour les neuf premiers mois lorsque les départs sont quelque peu précipités, comme c’était le cas pour le fonctionnaire. Il a reçu la confirmation, en avril 2014, que son affectation débuterait en juin 2014. Il aurait été irréaliste de s’attendre à ce qu’il ait pu éviter aussi rapidement de payer des frais pour deux logements, ce que semble reconnu par la relative facilité avec laquelle l’exemption est normalement accordée pour les neuf premiers mois, comme l’a confirmé M. Ford.

[63] Au-delà de ce terme, l’employeur accorde l’exemption de façon discrétionnaire. Il a rejeté la demande en invoquant l’absence de circonstances exceptionnelles. La décision semblait sévère aux yeux du fonctionnaire, mais elle ne peut pas être qualifiée de déraisonnable. Il ne pouvait pas louer sa maison en raison d’une clause hypothécaire, mais il a affirmé avoir choisi cette hypothèque pour ses avantages financiers. De toute façon, il n’aurait pas voulu louer sa maison, mais cela aurait été un choix personnel dont l’employeur ne peut pas être tenu responsable.

[64] Le groupe de travail B a procédé à une évaluation de la situation, évaluation que l’employeur a approuvée. L’expression « circonstances exceptionnelles » a été interprétée comme des circonstances vraiment hors du contrôle de l’employé. Du point de vue du fonctionnaire, il ne pouvait pas contrôler le moment où sa maison serait vendue. Du point de vue de l’employeur, il avait choisi une voie (vendre plutôt que louer). Il avait choisi une entente hypothécaire qui comportait une clause de non‑location.

[65] Le groupe de travail B et l’employeur ont fait une interprétation stricte, mais encore là, elle n’était pas déraisonnable. L’ajout d’un élément de compassion et de compréhension aurait facilité les choses, mais je ne peux pas imposer cette exigence.

[66] En conclusion, je tiens à répéter que je comprends à quel point le fonctionnaire a été déçu par ce qu’il a appelé l’indifférence de l’employeur à l’égard de sa situation. Malheureusement, cela ne suffit pas pour lui donner raison.

[67] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

V. Ordonnance

[68] Les griefs sont rejetés.

Le 28 septembre 2023.

(Traduction de la CRTESPF)

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public

fédéral

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