Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté son renvoi en cours de stage et a demandé une réparation intégrale – au dernier palier du processus de règlement des griefs, il a appris que l’employeur avait annulé sa cote de fiabilité – l’employeur a accueilli en partie le grief et a annulé le renvoi en cours de stage, mais n’a pas rétabli la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé – à l’arbitrage, l’employeur s’est opposé en soutenant que le grief était sans objet et que l’annulation de la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas été soulevée dans son grief – la Commission a conclu qu’il existait un argument défendable selon lequel la décision de l’employeur au dernier palier relative au grief ne constituait pas une réparation intégrale pour le fonctionnaire s’estimant lésé – la Commission a également conclu que, puisque l’annulation de la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé était directement liée au renvoi en cours de stage, il existait un argument défendable selon lequel le grief porte sur cette perte de manière accessoire – de plus, la Commission a conclu qu’il existait un argument défendable selon lequel le fonctionnaire s’estimant lésé avait soulevé la question de l’annulation de sa cote de fiabilité avant que l’employeur ne rende sa décision au dernier palier sur le grief – la Commission a ordonné que le grief soit entendu sur le fond.

Objections rejetées.
Audience ordonnée.

Contenu de la décision

Date: 20231023

Dossier: 566-34-46649

 

Référence: 2023 CRTESPF 95

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

CAMILLIO Senior

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

Agence du revenu du Canada

 

employeur

Répertorié

Senior c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Nathan Hoo, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Daniel Côté-Finch, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 23 juin et les 5 et 31 juillet 2023.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Camillio Senior, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a déposé un grief contre son renvoi en cours de stage. Le grief a été accueilli en partie au dernier palier de la procédure de règlement des griefs individuels. Néanmoins, il a été renvoyé à l’arbitrage le 3 février 2023.

[2] L’Agence du revenu du Canada, l’ancien employeur du fonctionnaire (l’« employeur »), s’est opposée au renvoi à l’arbitrage pour deux motifs. L’employeur fait valoir que le grief est sans objet, puisque le renvoi en cours de stage a été annulé et que le fonctionnaire a été rémunéré pour le reste de sa période de nomination. L’employeur soutient en outre que le fonctionnaire présente maintenant de nouveaux aspects à son grief, ce qui contredit le principe énoncé dans l’arrêt Burchill c. Canada (Procureur général), [1981] 1 C.F. 109 (CA), 1980 CanLII 4207 (CAF), selon lequel un grief ne peut être modifié à l’arbitrage.

[3] Après avoir examiné les arguments des parties, j’estime qu’il faut d’autres éléments de preuve pour déterminer si le fonctionnaire a bénéficié d’une réparation complète et si d’autres réparations sont justifiées. Il reste encore des questions en litige entre les parties et, par conséquent, le grief n’est pas sans objet. En ce qui concerne le principe énoncé dans l’arrêt Burchill, des éléments de preuve sont également nécessaires pour trancher cette question. Pour les motifs qui suivent, les objections de l’employeur sont rejetées.

II. Contexte

[4] Le fonctionnaire a d’abord été embauché par l’employeur le 13 janvier 2021, à titre d’agent des services aux contribuables nommé pour une période déterminée, avec la période de stage habituelle de 12 mois, puisqu’il a été embauché à l’extérieur de la fonction publique. Le 28 janvier 2022, il a reçu une nouvelle lettre d’offre pour le poste d’agent des recouvrements à la Division du recouvrement des recettes; il s’agissait d’une nomination pour une période déterminée se terminant le 14 novembre 2022. Le 4 mars 2022, il a été informé que la période de stage de 12 mois avait été prolongée jusqu’au 30 juin 2022, puisqu’il avait été nommé à la Division du recouvrement des recettes.

[5] Le 19 mai 2022, l’employeur a mis fin à l’emploi du fonctionnaire, le qualifiant d’un renvoi en cours de stage, invoquant l’inaptitude. En guise de préavis, il a reçu un salaire pour la période de préavis de deux semaines.

[6] Le fonctionnaire a déposé un grief contre le renvoi en cours de stage. Le grief était libellé comme suit :

[Traduction]

Je dépose un grief contre le fait que l’employeur m’a renvoyé en cours de stage, à compter du 19 mai 2022, en contravention des articles 5.4 et 5.4.1 des Procédures de dotation de l’Agence du revenu du Canada (Programme de dotation).

 

[7] Le fonctionnaire a demandé les réparations suivantes :

[Traduction]

[…]

1. Que l’employeur me réintègre à mon poste d’agent des recouvrements à la Division du recouvrement et de la vérification au Bureau des services fiscaux du Nord de l’Ontario, dès maintenant.

2. Que je sois indemnisé, avec intérêt, de toutes les rémunérations et prestations perdues à la suite de mon renvoi en cours de stage par l’employeur.

3. Que l’on me fournisse une autre réparation jugée raisonnable et appropriée afin que je bénéficie d’une réparation complète.

[…]

 

[8] Le 26 janvier 2023, l’employeur a rendu sa décision au dernier palier relative au grief. La décision était la suivante :

[Traduction]

[…]

Je crois savoir que, le 19 mai 2022, vous avez été informé de la décision de l’employeur de vous renvoyer en cours de stage, conformément à la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (ARC). Cette décision fait suite à la prolongation de votre période de stage le 4 mars 2022. Conformément aux Procédures de dotation de l’ARC, je conclus que toute prolongation d’une période stage doit avoir lieu le plus tôt possible par rapport à la date de fin de la période de stage. Étant donné que votre période de stage devait se terminer le 24 janvier 2022, j’ai déterminé que la prolongation n’avait pas eu lieu le plus tôt possible, ce qui rendait votre renvoi en cours de stage, daté du 19 mai 2022, nul.

Compte tenu de ce qui précède, votre grief est accueilli en partie. À titre de mesures correctives, vous serez réintégré sur le plan administratif à votre ancien poste d’agent des recouvrements à la Division du recouvrement et de la vérification au Bureau des services fiscaux du Nord de l’Ontario entre le 19 mai 2022 et le 14 novembre 2022; soit la date de fin de votre contrat pour une période déterminée. Cette période sera codée comme un congé payé pour d’autres motifs et vous toucherez le salaire et les prestations habituels auxquels vous auriez eu droit. Ces mesures correctives sont jugées appropriées pour vous accorder une réparation complète et, par conséquent, aucune autre mesure corrective ne sera proposée, y compris votre demande d’intérêts.

[…]

 

[9] J’ai demandé aux parties de présenter leurs arguments quant au caractère théorique, en commençant par le fonctionnaire.

III. Résumé de l’argumentation

[10] L’une des questions au centre du présent différend est la perte de la cote de fiabilité du fonctionnaire. Je fais remarquer que le fonctionnaire utilise le terme « révocation », tandis que l’employeur utilise le terme « annulation ». Dans la présente décision, je ne me prononce pas sur la question de savoir si la cote de fiabilité a été annulée ou révoquée, étant donné que d’autres éléments de preuve seraient nécessaires pour trancher ce point.

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[11] Le fonctionnaire fait valoir que deux questions restent à trancher : s’il a bénéficié d’une réparation complète et si une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») peut rétablir sa cote de fiabilité.

[12] Le fonctionnaire ne conteste pas que son poste d’agent des recouvrements était un poste de durée déterminée qui s’est terminé le 14 novembre 2022.

[13] Après avoir reçu la lettre de renvoi en cours de stage, il a cherché un autre emploi et on lui a offert une autre nomination, auprès du même employeur, pour une période du 16 novembre 2022 au 8 septembre 2023. Le 9 novembre 2022, il a été informé que l’employeur avait annulé sa cote de fiabilité et qu’il devrait suivre de nouveau le processus de cote de fiabilité pour l’obtenir. L’offre du 16 novembre 2022 a été annulée, mais on lui a dit qu’une fois la cote de fiabilité obtenue, une nouvelle date serait fixée pour son retour.

[14] Le fonctionnaire fait valoir que, dans sa décision au dernier palier relative au grief, l’employeur n’a pas abordé la révocation incidente de la cote de fiabilité du fonctionnaire ou ses préoccupations en matière de réembauche.

[15] Le fonctionnaire allègue qu’il reste des questions en litige, à savoir si le renvoi en cours de stage a contribué à la perte de la cote de fiabilité et si le fonctionnaire a bénéficié d’une réparation complète.

[16] Le fonctionnaire soutient que la révocation de la cote de fiabilité a été effectuée dans le contexte du renvoi en cours de stage, qui a ensuite été annulé par l’employeur. Il est d’avis que la Commission devrait être en mesure d’examiner la question de savoir si la révocation était raisonnable et qu’elle a le pouvoir de le réintégrer si la révocation était injustifiée.

[17] De plus, le fonctionnaire estime qu’il n’a pas bénéficié d’une réparation complète. L’employeur a payé le salaire et les avantages sociaux jusqu’à la fin de son mandat, mais ce ne sont pas toutes les pertes imputables à l’employeur qui ont été couvertes. De l’avis du fonctionnaire, le renvoi en cours de stage n’a pas été entièrement corrigé, car il a entraîné la perte de la cote de fiabilité, ce qui l’a empêché d’obtenir une autre nomination auprès de l’employeur. Le fonctionnaire souligne que cette perte de possibilité devrait être indemnisée.

[18] Par conséquent, le fonctionnaire fait valoir que l’objection relative au caractère théorique devrait être rejetée et que le grief devrait être entendu sur le fond.

B. Pour l’employeur

[19] L’employeur demande le rejet du grief au motif du principe du caractère théorique et de l’arrêt Burchill.

[20] L’employeur reconnaît que le renvoi en cours de stage a été annulé pour des raisons techniques et que le fonctionnaire a été indemnisé jusqu’à la fin de sa nomination pour une période déterminée. Par conséquent, l’employeur considère que le fonctionnaire a bénéficié d’une réparation complète et que le grief est donc sans objet.

[21] L’employeur invoque la décision Mak c. Conseil national de recherches du Canada, 2012 CRTFP 63, pour soutenir qu’une fois que l’employeur accorde la mesure corrective demandée, il n’y a plus de question à trancher. Toutefois, l’employeur reconnaît que cette situation est nuancée quelque peu par la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, en ce sens qu’un décideur peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher une question malgré le règlement du différend entre les parties. Toutefois, selon l’employeur, dans le contexte des relations de travail, il n’y a guère de sens pour la Commission de se prononcer sur une question qui a été réglée par les parties.

[22] En ce qui concerne la cote de fiabilité, l’employeur soutient qu’elle n’a jamais été révoquée; elle a été annulée parce que la nomination du fonctionnaire a pris fin. L’employeur considère que le grief porte uniquement sur le renvoi en cours de stage. Il ne traitait pas du tout de la perte de la cote de fiabilité. À la suite de l’arrêt Burchill, l’employeur laisse entendre qu’une toute nouvelle question ne peut pas être soulevée à l’arbitrage; elle doit avoir été soulevée dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.

C. La réponse du fonctionnaire s’estimant lésé

[23] Le fonctionnaire conteste l’allégation selon laquelle la cote de fiabilité n’a pas été soulevée dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Dans sa réponse, il inclut deux documents qui, selon lui, démontrent que la question a effectivement été discutée au cours de la procédure de règlement des griefs.

IV. Analyse

[24] Selon la définition de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Borowski, le caractère théorique consiste à savoir s’il reste une question en litige à trancher et, dans la négative, si le décideur devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour statuer sur le fond du différend.

[25] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir s’il existe toujours une question en litige. Le fonctionnaire fait valoir que la Commission doit encore déterminer s’il a bénéficié d’une réparation complète et examiner la révocation de la cote de fiabilité liée au renvoi en cours de stage. L’employeur soutient que la question soulevée dans le grief, à savoir le renvoi en cours de stage, a été entièrement réglée par sa décision au dernier palier relative au grief.

[26] Les parties sont d’accord que le renvoi en cours de stage a été annulé et que le fonctionnaire a touché une indemnisation pour la fin anticipée de sa nomination pour une période déterminée.

[27] Toutefois, la cote de fiabilité du fonctionnaire, qui est une condition d’emploi dans la fonction publique, a été annulée ou révoquée (tel qu’il a été indiqué, je ne me prononcerai pas dans la présente décision sur le terme qu’il faudrait utiliser) avant la fin de sa nomination pour une période déterminée. La nomination pour une période déterminée a pris fin le 14 novembre 2022, mais la cote de fiabilité avait déjà été annulée ou révoquée à cette date. Le fonctionnaire n’a jamais été informé qu’une décision avait été prise d’annuler ou de révoquer sa cote de fiabilité.

[28] En annulant ou en révoquant sa cote de fiabilité, l’employeur empêchait en fait une nouvelle nomination du fonctionnaire. Il s’agit d’une conséquence qui a entraîné d’autres répercussions financières au-delà de sa nomination pour une période déterminée.

[29] Aucun élément de preuve n’a été présenté concernant la révocation ou l’annulation de la cote de fiabilité. L’employeur fait valoir qu’il s’agit d’une question purement administrative liée à la fin de la nomination pour une période déterminée. L’employeur affirme ce qui suit dans ses arguments [traduction] : « La cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé n’a jamais été révoquée, comme il est allégué. Elle a été annulée de façon administrative en raison de la date de fin du contrat. »

[30] Compte tenu de la séquence des événements, il semble beaucoup plus probable que la cote de fiabilité a été annulée ou révoquée non pas en raison de la fin de la nomination pour une période déterminée, mais plutôt en raison du renvoi en cours de stage. La cote de fiabilité a été annulée ou révoquée avant que l’employeur ne rende sa décision au dernier palier relative au grief, annulant le renvoi en cours de stage. Par conséquent, il semble que la cote de fiabilité a pris fin non pas en raison de la fin de la nomination pour une période déterminée, mais plutôt en raison du renvoi en cours de stage.

[31] Étant donné que le renvoi en cours de stage était nul, il n’y avait aucune raison d’annuler ou de révoquer la cote de fiabilité. Il n’y avait aucune raison pour laquelle la cote de fiabilité n’aurait toujours pas été valide au moment où le fonctionnaire s’est vu offrir une autre nomination pour une période déterminée.

[32] Le fonctionnaire a certainement une cause défendable selon laquelle la décision de l’employeur au dernier palier relative au grief ne lui a pas accordé une réparation complète et ne l’a pas placé dans la position où il aurait été sans le renvoi en cours de stage. Si la nomination pour une période déterminée avait simplement pris fin, sans le renvoi erroné en cours de stage, le fonctionnaire aurait été en mesure de passer à la prochaine nomination pour une période déterminée sans interruption. L’obstacle à ce scénario est la perte de la cote de fiabilité. Étant donné qu’elle est directement liée au renvoi en cours de stage, on peut faire valoir que le grief vise également cette perte accessoire, même si elle n’était pas connue du fonctionnaire au moment où il a déposé son grief pour renvoi en cours de stage.

[33] On peut donc au moins soutenir que le cas n’est pas sans objet, étant donné qu’il reste une question en litige concernant la cote de fiabilité.

[34] On peut également faire valoir qu’il ne s’agit pas d’une affaire où le principe énoncé dans l’arrêt Burchill peut être appliqué. Le fonctionnaire n’a pas soulevé directement la révocation ou l’annulation de la cote de fiabilité dans son grief, car il n’était pas au courant que cela s’était produit. Toutefois, comme je l’ai indiqué ci‑dessus, on peut soutenir qu’elle faisait partie du renvoi en cours de stage. De plus, le fonctionnaire affirme que la question a été soulevée auprès de l’employeur, dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et avant la décision au dernier palier de l’employeur relative au grief en janvier 2023, une fois qu’il en a pris connaissance en novembre 2022.

[35] D’autres éléments de preuve sont nécessaires pour trancher le présent cas, et le fonctionnaire a établi qu’il a une cause défendable. Par conséquent, les objections de l’employeur sont rejetées et le cas sera mis au rôle afin que soit tenue une audience sur le fond.

[36] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[37] Les objections de l’employeur sont rejetées.

[38] Le grief sera mis au rôle afin que soit tenue une audience sur le fond.

Le 23 octobre 2023.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.