Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a présenté 17 plaintes en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13), alléguant un abus de pouvoir dans un processus de nomination interne annoncé qui a été utilisé pour doter plusieurs postes classifiés au groupe et au niveau FB-05 – le plaignant a allégué que les personnes nommées ne satisfaisaient pas à la qualification d’expérience essentielle d’une expérience récente et importante en matière d’interprétation ou d’application des lois – l’annonce de possibilité d’emploi indiquait que cela serait [traduction] « […] habituellement associé à la complexité, à l’ampleur et à l’étendue des fonctions exercées régulièrement au groupe et au niveau FB-03, FB-04 et FB 05 » – le plaignant a soutenu que les personnes nommées, qui étaient toutes au groupe et au niveau FB-02, ne satisfaisaient pas à la qualification d’expérience, car elles ne comptaient pas trois ans continus de service au groupe et au niveau FB-03 lorsqu’elles ont été nommées – l’intimé a fait valoir que l’utilisation du mot [traduction] « habituellement » avait permis une souplesse et un pouvoir discrétionnaire de la direction dans le cadre du processus d’examen – la Commission a conclu que l’intimé n’avait pas abusé de son pouvoir – l’annonce n’excluait personne ni ne limitait la portée de l’expérience requise aux seuls groupes et niveaux FB-03, FB 04 ou FB-05 ou, en fait, à tout groupe FB – il était raisonnable pour l’intimé de tenir compte de l’expérience acquise au groupe et au niveau FB-02, ce qui relevait entièrement de son pouvoir discrétionnaire – pour chaque personne nommée, l’intimé avait examiné attentivement la qualification en question et avait vérifié leur expérience en examinant leurs réponses écrites, en vérifiant de nouveau leur curriculum vitæ, au besoin, et en signalant certaines candidatures aux fins d’un deuxième examen, afin de s’assurer que leur expérience était suffisante.

Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Date: 20231018

Dossiers: 771-02-40973, 41010, 41011, 41095, 41205,

41762, 41764, 41851, 42147, 42401, 42755,

42756, 42757, 43012, 43035, 43168 et 43183

 

Référence: 2023 CRTESPF 94

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la fonction

publique

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

ENTRE

 

PRESTON WARFORD

plaignant

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Agence des services frontaliers du canada)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Warford c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des plaintes d’abus de pouvoir aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

 

Devant : James R. Knopp, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour l’intimé : Andréanne Laurin et Lauren Benoit, avocates

Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 14 et 28 avril et les 2 et 9 juin 2023
.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction et contexte des plaintes relatives à la dotation

[1] Preston Warford (le « plaignant ») travaille pour l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC ou l’« intimé »). En avril 2018, l’ASFC a mené un processus de nomination interne annoncé portant le numéro 2018-IA-OPS-FB_05-192 (le « processus annoncé ») afin de doter plusieurs postes au groupe et au niveau FB-05. Le processus annoncé a pris fin le 19 avril 2018.

[2] Le plaignant a présenté sa candidature, mais a été éliminé du processus après avoir obtenu une note insuffisante pour deux compétences évaluées au moyen d’un examen en ligne normalisé.

[3] Entre le 20 septembre 2019 et le 4 juillet 2021, le plaignant a présenté 17 plaintes aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la « LEFP ») relativement à ce processus de nomination. Ces plaintes ont été regroupées dans un seul dossier principal, à savoir le dossier de la Commission 771‑02-40973 aux fins du processus de plainte et de l’audience. Ils ont été ainsi regroupés parce qu’ils se rapportent tous au même processus de nomination et que les mêmes arguments y sont avancés.

[4] Le plaignant allègue que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite puisque les personnes nommées ne satisfont pas aux qualifications essentielles en matière d’expérience.

[5] Le contenu de l’annonce de l’offre d’emploi (l’« annonce ») relative à ce processus de nomination comprenait la phrase suivante : [traduction] « Pour être prise en considération, votre candidature doit expliquer clairement comment vous satisfaites aux conditions suivantes (qualifications essentielles). » L’annonce mentionnait deux qualifications essentielles relatives à la formation et à l’expérience.

[6] Sous la qualification essentielle intitulée [traduction] « Expérience » figurait ce qui suit :

[Traduction]

 

*** VERSION MODIFIÉE DE L’EXIGENCE EN MATIÈRE D’EXPÉRIENCE *** :

E1 : Expérience récente et appréciable* de l’interprétation** ou de la mise en application*** des lois appliquées par l’Agence des services frontaliers du Canada. Veuillez décrire votre expérience pour deux (2) lois. Parmi les lois figurent notamment celles-ci :

 

• Loi sur les douanes

• Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

• Code criminel

• Loi sur la protection des renseignements personnels

• Charte canadienne des droits et libertés

• Loi sur la preuve au Canada

• Loi réglementant certaines drogues et autres substances

• Tarif des douanes

• Loi sur les mesures spéciales d’importation

• Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments

• Loi sur la santé des animaux

• Loi sur la protection des végétaux

• Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes

 

*Récente et appréciable s’entend d’une période continue de trois (3) ans au cours des cinq (5) dernières années. Cette expérience est normalement associée à la complexité, à la profondeur et à l’étendue des fonctions exercées régulièrement aux postes de niveau FB-03, FB-04 et FB-05. L’expérience acquise en tant qu’instructeur dans le cadre de la formation aux services frontaliers dans un environnement d’apprentissage sera considérée comme équivalente aux années d’expérience acquises dans l’environnement opérationnel.

[…]

 

[7] Selon l’interprétation du plaignant, les termes [traduction] « récente » et [traduction] « appréciable » signifiaient que les seuls candidats qui auraient pu être pris en considération devaient avoir acquis, au moment de leur candidature, au moins trois années continues d’expérience dans un poste au groupe et au niveau FB-03, au cours des cinq dernières années. Le plaignant a reproché aux candidats ayant occupé des postes d’un niveau inférieur au niveau FB-03 (les fonctionnaires de niveau FB-02, pour être précis) d’avoir agi malhonnêtement en présentant leur candidature pour des postes pour lesquels ils savaient qu’ils n’avaient pas le droit de postuler. Il a également affirmé que l’examen par la direction de la candidature de ces candidats classés au niveau FB-02 constituait un acte de malhonnêteté ou de corruption et, partant, un abus de procédure.

[8] Selon l’intimé, l’emploi du mot [traduction] « normalement » permet une certaine flexibilité indispensable dans le processus d’examen. La jurisprudence regorge de précédents permettant à la direction d’exercer son pouvoir discrétionnaire lors de l’examen des qualifications essentielles.

[9] Le 21 mars 2023, une conférence préparatoire à l’audience s’est tenue en vue de l’audience à venir, au cours de laquelle j’ai déterminé que l’affaire pouvait être tranchée sur la base d’arguments écrits. Aux termes de l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience.

[10] Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’intimé n’a pas abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite. Les plaintes, regroupées dans le seul dossier sur lequel la présente décision porte, sont rejetées.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour la Commission de la fonction publique, le 14 avril 2023

[11] La Commission de la fonction publique (CFP) a renvoyé à sa politique de nomination, qui contient les exigences légales énoncées au paragraphe 30(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP). La politique de nomination de la CFP énonce les résultats attendus suivants, lesquels sont, selon la CFP, conformes à l’esprit de la LEFP :

un effectif non partisan et représentatif de toutes les régions du pays, bénéficiant de la diversité, de la dualité linguistique ainsi que des antécédents et des compétences variés des Canadiens;

des processus de nomination conçus de manière à ne pas créer de discrimination ou d’obstacles systémiques;

des processus de nomination menés de manière juste, transparente et de bonne foi;

les nominations de personnes hautement compétentes qui répondent aux besoins de l’organisation;

la correction, en temps opportun, des erreurs et des omissions.

 

[12] La CFP a soutenu qu’aux termes de l’article 16 de la LEFP, les administrateurs généraux et toute personne exerçant un pouvoir délégué sont tenus de se conformer à ses lignes directrices lorsqu’ils exercent leur pouvoir délégué.

[13] La CFP n’a pas pris position sur le bien-fondé des plaintes regroupées ni sur la question de savoir si sa politique de nomination a été respectée dans le cadre du processus annoncé.

B. Pour le plaignant, le 28 avril 2023

[14] Selon le plaignant, les seuls candidats autorisés à postuler dans le cadre du processus annoncé doivent avoir travaillé à l’ASFC et avoir occupé des postes de niveau FB-03 ou d’un niveau supérieur pendant trois années consécutives au cours des cinq dernières années (à compter de la date de leur candidature). Dans ses arguments écrits, il a interprété les paramètres de cette qualification essentielle de la manière suivante : [traduction] : « L’ASFC a établi des critères de mérite en matière d’expérience, et l’un de ces critères est de compter trois années de service continu à un poste de niveau FB-03 au minimum […] tous les candidats doivent compter trois années de service continu à un poste de niveau FB-03 au minimum pour pouvoir poser leur candidature […] »

[15] Dans le paragraphe suivant de ses arguments écrits, le plaignant a fourni une longue liste de candidats qui ne comptaient pas trois années continues d’expérience à des postes de groupe et de niveau FB-03 à la date de leur candidature. Il a fondé ses calculs sur les dates de leurs promotions individuelles au niveau FB-03.

[16] Le plaignant a fait valoir que chacun de ces candidats avait fourni de faux renseignements parce que, lorsqu’ils ont posé leur candidature, ils savaient qu’ils ne comptaient pas trois années d’expérience continue à des postes au groupe et au niveau FB-03. Il a calculé la durée d’expérience qui manquait à chacun d’entre eux pour atteindre les trois années continues requises. Selon lui, il s’agit d’une indication de malhonnêteté.

[17] Le plaignant a invoqué les normes d’intégrité, d’honnêteté, d’équité et d’impartialité de l’ASFC ainsi que le Code de valeurs et d’éthique du secteur public du Conseil du Trésor. Il a également invoqué l’énoncé de la CFP sur le formulaire de candidature lui-même, selon lequel [traduction] « [t]out renseignement faux et/ou frauduleux peut entraîner […] le rejet de votre candidature […] ». Selon le plaignant, les candidatures des candidats de niveau FB-02 auraient dû être rejetées et la Commission devrait annuler leurs nominations.

[18] Le plaignant a invoqué l’article 30 de la LEFP, qui se lit en partie comme suit :

 

 

30 (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite […]

30 (1) Appointments by the Commission to or from within the public service shall be made on the basis of merit….

 

 

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

(2) An appointment is made on the basis of merit when

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles […] établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

 

b) la Commission prend en compte :

 

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

 

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,

 

(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

a) the Commission is satisfied that the person to be appointed meets the essential qualifications for the work to be performed, as established by the deputy head; and

 

 

b) the Commission has regard to

 

(i) any additional qualifications that the deputy head may consider to be an asset for the work to be performed, or for the organization, currently or in the future,

 

(ii) any current or future operational requirements of the organization that may be identified by the deputy head, and

 

(iii) any current or future needs of the organization that may be identified by the deputy head.

[…]

 

[19] Le plaignant a ensuite invoqué le paragraphe 77(1) de la LEFP, qui énonce ce qui suit :

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours […] peut […] présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

77 (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse… may… make a complaint to the Board that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection
30(2);

[…]

 

[20] Le plaignant a affirmé que les candidats de niveau FB-02 n’auraient jamais dû postuler. Ceux qui ont été retenus [traduction] « […] ont été au fond récompensés soit pour avoir menti, soit pour avoir été incompétents et n’avoir pas compris les notions élémentaires de mathématiques ». L’intimé, selon le plaignant, a abusé de son pouvoir en acceptant et en examinant ces candidatures.

[21] Le plaignant a invoqué Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, pour la définition de l’« abus de pouvoir ». Les cinq catégories d’abus sont énumérées comme suit dans Tibbs, au par. 70 :

[70] […] Les cinq catégories d’abus sont les suivantes :

1. Lorsqu’un délégué exerce son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime (incluant dans un but non autorisé, de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes).

2. Lorsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants (incluant lorsqu’il ne dispose d’aucun élément de preuve ou qu’il ne tient pas compte d’éléments pertinents).

3. Lorsque le résultat est inéquitable (incluant lorsque des mesures déraisonnables, discriminatoires ou rétroactives ont été prises).

4. Lorsque le délégué commet une erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

5. Lorsqu’un délégué refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d’examiner des cas individuels avec un esprit ouvert.

 

[22] Le plaignant a également invoqué Abi-Mansour c. Sous-ministre des Pêches et des Océans, 2021 CRTESPF 3, et Ross c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2017 CRTEFP 48, à l’appui de la proposition selon laquelle il n’est pas nécessaire qu’un abus de pouvoir soit intentionnel pour que la Commission puisse conclure qu’il s’est produit.

[23] Le plaignant affirme que l’intimé aurait dû indiquer explicitement que l’expérience du stagiaire FB-02 aurait pu être acceptable, et que cela aurait dû être précisé sous la rubrique [traduction] « Expérience ».

[24] Le plaignant a fait valoir qu’une interprétation large du mot [traduction] « normalement » dans l’annonce est source d’ambiguïté et d’iniquité. Dans le présent cas, l’utilisation du mot [traduction] « normalement » a permis aux personnes classées au niveau FB-02 de postuler, pensant qu’elles possédaient la qualification essentielle en matière d’expérience, alors qu’en réalité ce n’était pas le cas, selon lui.

[25] Une conséquence malheureuse, selon le plaignant, d’une offre trop large serait un afflux de candidatures de milliers de personnes non qualifiées, que l’intimé n’aurait pas les moyens d’administrer.

[26] Le plaignant a indiqué ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Cela signifie que l’employeur a fait preuve de négligence, de corruption, d’incompétence ou qu’il n’a pas fait preuve de la diligence requise lors de l’examen initial des candidatures. La décision Tibbs (TDFP) a déjà établi les cinq éléments de l’« abus de pouvoir » et, dans le présent cas, la conduite de l’employeur (l’intimé) tombe dans l’ensemble de ces catégories.

[…]

 

[27] Le plaignant a demandé à la Commission de juger ses plaintes fondées, de rendre une déclaration d’abus de pouvoir et de révoquer les nominations.

C. Pour l’intimé, le 2 juin 2023

[28] L’intimé a d’abord rappelé l’observation formulée dans Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 11, selon laquelle il incombe au plaignant de présenter des preuves et de faire valoir de façon convaincante que, selon la prépondérance des probabilités, il y a eu abus de pouvoir dans le cadre d’un processus de nomination. L’intimé a soutenu que le plaignant ne s’était pas acquitté de ce fardeau.

[29] L’intimé soutient qu’en [traduction] « […] évaluant les candidatures, le mot “normalement” figurant dans l’énoncé des critères de mérite a donné à l’intimé la possibilité de prendre en considération l’expérience acquise par les candidats de niveau FB-02 ».

[30] L’intimé a ajouté ceci : [traduction] « Le mot [traduction] “normalement” ne signifie pas [traduction] “doit”. Le mot “normalement” laisse une marge de manœuvre et permet à l’évaluateur de prendre en compte l’expérience acquise à des postes […] autres que des postes du groupe FB. »

[31] Aux paragraphes 18 à 22 de ses arguments, l’intimé a fait remarquer ce qui suit :

[Traduction]

18. L’interprétation proposée par le plaignant est contraire au libellé de l’annonce. Toute personne raisonnable examinant l’affiche comprendrait que le terme [traduction] « normalement » offre une certaine marge de manœuvre et qu’à ce titre, l’expérience acquise en dehors des classifications FB-03, FB-04 et FB-05 peut être prise en considération.

19. Un argument très similaire à celui du plaignant a été rejeté par l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal ») dans Morrissette c. le sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités [2012 TDFP 5]. Dans Morrissette, l’affiche exigeait une « expérience approfondie » dans la planification et la gestion de mécanismes de prestation de services. Une « expérience approfondie » s’entendait « d’une expérience normalement acquise par l’exercice de plusieurs activités connexes pendant une période de trois années » (je mets en évidence). Le plaignant a fait valoir que la personne nommée n’avait pas l’expérience requise car elle n’avait pas effectué les tâches requises pendant trois ans. L’intimé n’était pas d’accord, affirmant que si une telle expérience pouvait être acquise sur une période de trois ans, elle pouvait également l’être sur une période plus courte et grâce à l’expérience acquise dans plusieurs emplois différents. Le Tribunal s’est rallié à l’interprétation de l’intimé concernant la qualification essentielle qu’est l’expérience et a rejeté la plainte.

20. Dans le présent cas, il était raisonnable pour l’intimé de tenir compte de l’expérience acquise au niveau FB-02, car les employés de niveau FB-02 acquièrent une expérience précieuse de l’interprétation et de la mise en application de la législation dans le cadre de leurs fonctions. Une comparaison des descriptions de travail des niveaux FB-02 et FB-03 confirme que les tâches exécutées à chacun de ces niveaux sont en grande partie les mêmes, mais que les employés du niveau FB-02 les exécutent sous la direction d’employés plus expérimentés.

21. L’intimé avait toute latitude pour tenir compte de l’expérience du niveau FB-02 dans le cadre de ce processus de sélection. La jurisprudence confirme que les gestionnaires subdélégués disposent d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer et évaluer l’expérience des candidats. Dans les cas où l’intimé ne souhaite pas tenir compte d’une expérience donnée, il l’indique dans l’annonce du poste. Voir, par exemple, l’annonce fournie par le plaignant pour un autre processus de sélection (numéro de référence BSF21J-023823-000173). Cette annonce indique expressément que « l’expérience acquise en tant qu’étudiant ou en tant qu’agent stagiaire de l’ASFC dans le cadre d’un programme de développement ne sera pas prise en compte dans le cadre de ce processus de sélection ». Dans le présent cas, l’intimé n’a pas exclu l’expérience en tant qu’étudiant ou stagiaire et, à ce titre, il était opportun que les candidats fassent état de cette expérience dans leur candidature et que les évaluateurs en tiennent compte.

22. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’intimé a permis à des personnes de poser leur candidature, l’intimé n’avait pas le pouvoir d’empêcher une personne de poser sa candidature au processus de sélection, car le processus n’était pas limité au groupe FB. Toute personne pouvait poser sa candidature, quels que soient son groupe et son niveau, et il incombait à celle-ci de démontrer qu’elle possédait la qualification essentielle.

 

[32] Pour étayer ses arguments, l’intimé a invoqué Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24, aux paragraphes 51 à 53, à l’appui de la proposition selon laquelle l’article 36 de la LEFP confère aux gestionnaires subdélégués un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer et évaluer l’expérience des candidats, y compris les outils d’évaluation qu’ils jugent adéquats pour déterminer si une personne possède les qualifications essentielles. Il a également invoqué Purchase c. le président de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique, 2011 TDFP 14, au par. 38, à l’appui de la proposition selon laquelle il incombe aux candidats de démontrer clairement dans leur demande qu’ils possèdent toutes les qualifications essentielles.

[33] Pour ce qui est d’établir s’il y a eu abus de pouvoir, l’intimé a invoqué Portree c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14, Bowman c. Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2008 TDFP 12, et Tibbs pour soutenir que l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de gestion est vaste. L’intimé a soutenu, aux paragraphes 25 à 27 de ses arguments, ce qui suit :

[Traduction]

25. […] [L]es dispositions de la LEFP relatives aux plaintes ne sont pas conçues pour servir de recours « miracle » pour les plaignants qui allèguent un abus de pouvoir lorsqu’ils ne sont pas satisfaits des résultats d’un processus de sélection. Un plaignant ou une plaignante ne doit pas considérer la Commission comme un forum de dernier recours pour faire appel de la décision de l’administrateur général concernant une nomination ou une proposition de nomination simplement parce qu’il ou elle n’a pas été sélectionné.

26. Il n’y a pas eu d’abus de pouvoir dans le présent cas. Tous les candidats ont été évalués de manière équitable et cohérente. Le comité de sélection a fait usage de son pouvoir discrétionnaire et a examiné la nature de l’expérience de chaque candidat, et pas seulement le groupe et le niveau du candidat.

27. Conformément à la jurisprudence de la Commission, qui exige des évaluateurs qu’ils gardent une ouverture d’esprit et s’abstiennent d’appliquer les critères d’expérience de manière mécanique, les évaluateurs ont examiné chaque candidature individuellement et ont consigné leurs conclusions sur une feuille de calcul individualisée de présélection des candidatures. Lorsqu’ils avaient des doutes sur une note, ils demandaient qu’un second examen soit conduit.

 

[34] En ce qui concerne la capacité d’un intimé à exercer un pouvoir discrétionnaire lorsqu’il choisit des méthodes d’évaluation et examine l’expérience des candidats, l’intimé a également invoqué les cas suivants :

Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684;

Oddie c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2007 TDFP 30;

Président de Services partagés Canada, 2017 CRTESPF 38;

Feeney c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2008 TDFP 17;

Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 11.

 

[35] Pour ces motifs, a soutenu l’intimé, le plaignant n’a pas fourni d’argument convaincant selon lequel, selon la prépondérance des probabilités, il y a eu abus de pouvoir, et il ne s’est donc pas acquitté du fardeau de la preuve. Les plaintes doivent être rejetées.

D. La contre-preuve du plaignant, le 9 juin 2023

[36] Le plaignant a fait valoir que le mot [traduction] « normalement » employé dans l’annonce ne peut être interprété de manière aussi large que le propose l’intimé, car il est assorti de la réserve suivante : [traduction] « L’expérience acquise en tant qu’instructeur dans le cadre de la formation aux services frontaliers dans un environnement d’apprentissage sera considérée comme équivalente aux années d’expérience acquises dans l’environnement opérationnel. »

[37] Le plaignant a fait valoir que le candidat est ainsi averti [traduction] « […] qu’il est nécessaire de compter trois années continues aux niveaux FB-03, FB-04 ou FB-05 ou d’être instructeur pour pouvoir postuler ».

[38] Le plaignant a de nouveau fait valoir que l’emploi du mot [traduction] « normalement » dans l’annonce créait le risque que soit reçu [traduction] « […] un trop grand nombre de [candidatures]. Nous sommes au moins d’accord sur le fait que l’employeur manque de temps et de ressources pour examiner un grand nombre de candidatures […] »

[39] Le plaignant a également réitéré son argument selon lequel l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dans la réception des candidatures de personnes de niveau FB‑02 a donné lieu à une procédure qui n’était ni équitable ni transparente et qui constituait un abus de pouvoir.

[40] Dans sa contre-preuve, le plaignant a réitéré son affirmation selon laquelle Tibbs soutient la proposition qu’un plaignant n’a pas besoin de prouver un abus de pouvoir intentionnel, mais seulement [traduction] « […] qu’il y a eu un abus de pouvoir lorsqu’il était attendu qu’un tel processus soit équitable, transparent et mené à terme de bonne foi ».

[41] Le plaignant a déclaré que l’intimé était tenu de respecter une norme plus élevée en tant qu’expert en la matière et que la marge de manœuvre accrue engendrée par l’emploi du mot [traduction] « normalement » était assimilable [traduction] « […] à de la confusion, de la ruse ou à un filet de sécurité utilisés comme moyens de défense habituels lorsqu’une conduite fautive est révélée au grand jour ».

[42] En résumé, le plaignant a contesté le pouvoir discrétionnaire apparent de l’intimé d’agir de la façon comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] changer de cap tous les jours. Les FB-02 sont-ils égaux aux FB‑03, est-il possible ou non de limiter les critères dans les annonces, d’utiliser des mots spécifiques pour exclure/inclure des candidats ouvertement ou secrètement. Leur pouvoir discrétionnaire est-il illimité et entièrement souple ou existe-t-il des limites, leur action s’inscrit-elle dans le cadre de la norme établie?

[…]

 

[43] Le plaignant a déclaré que l’interprétation par l’intimé de Morrissette c. le sous‑ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2012 TDFP 5, est erronée parce que ce cas portait sur un ensemble différent de critères et que la décision de l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique dans ce cas ne s’applique pas nécessairement à la présente situation.

III. Décision et motifs

[44] J’ai lu avec attention les arguments des parties, ainsi que les décisions qu’elles ont invoquées. Dans mes motifs, je ne ferai référence qu’aux décisions qui soutiennent mon raisonnement.

[45] Le Tribunal a indiqué, dans Tibbs, aux paragraphes 63 et 64, que l’intimé dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable lorsqu’il choisit la personne qu’il entend nommer :

[63] […] l’un des objectifs législatifs clé de la LEFP [est] que les gestionnaires détiennent un pouvoir discrétionnaire considérable en ce qui a trait aux questions de dotation. Pour s’assurer de la souplesse nécessaire, le législateur a choisi de s’éloigner du régime de dotation de l’ancienne LEFP qui était axé sur un système à base de règles. L’ancien système fondé sur le mérite relatif n’existe plus. La définition du mérite prévue au paragraphe 30(2) de la LEFP accorde aux gestionnaires un pouvoir discrétionnaire considérable pour choisir la personne qui non seulement répond aux qualifications essentielles mais qui est également la bonne personne pour faire le travail, car elle possède des atouts supplémentaires, ou elle répond à des besoins actuels ou futurs ou à des exigences opérationnelles.

[64] Cependant, cela ne signifie pas que la LEFP prévoit un pouvoir discrétionnaire absolu. Le préambule clarifie les valeurs et les règles d’éthique qui devraient caractériser l’exercice du pouvoir discrétionnaire […]

 

[46] Dans Jolin, le Tribunal a déclaré que l’administrateur général pouvait exercer un pouvoir discrétionnaire lorsqu’il fixe les qualifications nécessaires pour un poste donné et décide de la méthode d’évaluation adéquate :

[25] Donc, les attributions spécifiques à la CFP au titre du paragraphe 30(2) de la LEFP sont d’évaluer si la personne à nommer possède les qualifications essentielles, en prenant en compte des qualifications supplémentaires, exigences opérationnelles et besoins actuels ou futurs. Par ailleurs, les attributions particulières à l’administrateur général sont d’établir les qualifications essentielles et les qualifications supplémentaires ainsi que de préciser toute exigence opérationnelle et tout besoin actuel ou futur. En l’espèce, la CFP a délégué l’exercice de ses attributions à l’intimé au terme de l’article 15 de la LEFP. C’est donc l’intimé, en tant que délégué, qui a évalué la personne à nommer.

[…]

[26] L’article 36 de la LEFP précise par quels moyens l’administrateur général peut évaluer les qualifications essentielles et les qualifications supplémentaires établies par celui-ci en vertu du paragraphe 30(2) chez la personne à nommer. Ainsi, l’article 36 réfère directement à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i). L’article 36 se lit ainsi :

36. La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation — notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues — qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

[…]

[27] L’objet de cet article est d’attribuer un pouvoir discrétionnaire quant aux méthodes d’évaluation disponibles pour évaluer les candidats et de procéder à une nomination fondée sur le mérite en vertu de l’article 30(2) de la LEFP. L’administrateur général sera amené à choisir et utiliser différentes méthodes d’évaluation dont les examens ou entrevues […].

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[47] Le plaignant estime que les personnes nommées ne satisfont pas aux conditions requises en matière d’expérience essentielle puisqu’elles ne comptaient pas trois années de service continu au groupe et au niveau FB-03 au moment de leur candidature. Le libellé de l’annonce exclut-il certaines personnes? Il est utile de revoir le libellé de la qualification, qui est le suivant :

[Traduction]

[…]

*** VERSION MODIFIÉE DE L’EXIGENCE EN MATIÈRE D’EXPÉRIENCE *** :

E1 : Expérience récente et appréciable* de l’interprétation** ou de la mise en application*** des lois appliquées par l’Agence des services frontaliers du Canada. Veuillez décrire votre expérience pour deux (2) lois […]

*Récente et appréciable s’entend d’une période continue de trois (3) ans au cours des cinq (5) dernières années. Cette expérience est normalement associée à la complexité, à la profondeur et à l’étendue des fonctions exercées régulièrement aux postes de niveau FB-03, FB-04 et FB-05. L’expérience acquise en tant qu’instructeur dans le cadre de la formation aux services frontaliers dans un environnement d’apprentissage sera considérée comme équivalente aux années d’expérience acquises dans l’environnement opérationnel.

[…]

 

[48] J’estime que le libellé de l’annonce n’excluait aucune personne et que la dernière phrase ne restreignait pas non plus l’étendue de l’expérience requise. Si un candidat estimait avoir une expérience récente et appréciable de l’interprétation ou de la mise en application de la législation appliquée par l’intimé sans avoir occupé un poste au groupe et au niveau FB-03, FB-04 ou FB-05 (ou même de groupe FB tout simplement), il pouvait poser sa candidature. Il appartenait à l’intimé d’évaluer les qualifications des candidats. Si l’intimé avait voulu limiter le nombre de candidats, il aurait dû circonscrire plus étroitement la définition du terme [traduction] « expérience ».

[49] L’alinéa 30(2)a) de la LEFP prévoit qu’une nomination est fondée sur le mérite lorsque la CFP est convaincue que la personne à nommer possède les qualifications essentielles pour le travail à accomplir. L’article 36 donne à l’intimé la possibilité de choisir toute méthode d’évaluation qu’il juge adéquate pour faire ce choix.

[50] Dans le présent cas, il était raisonnable pour l’intimé de tenir compte de l’expérience acquise au niveau FB-02, car les employés de ce niveau acquièrent une expérience précieuse de l’interprétation et de la mise en application de la législation. Une comparaison des descriptions de travail des niveaux FB-02 et FB-03 confirme que les tâches exécutées à chacun de ces niveaux sont en grande partie les mêmes, mais que les employés du niveau FB-02 les exécutent sous la direction et la supervision d’un personnel plus expérimenté.

[51] Dans ces circonstances, la prise en compte de l’expérience acquise à un poste de niveau FB-02 relevait entièrement du pouvoir discrétionnaire de l’intimé. La jurisprudence confirme que les gestionnaires subdélégués disposent d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer et évaluer l’expérience des candidats. Dans les cas où l’intimé ne souhaite pas tenir compte de certaines expériences, il l’indique dans l’offre d’emploi. Voir, par exemple, l’offre d’emploi fournie par le plaignant pour un autre processus de sélection (numéro de référence BSF21J-023823-000173). Cette annonce mentionne expressément que [traduction] « [l]'expérience acquise en tant qu’étudiant ou en tant qu’agent stagiaire de l’ASFC dans le cadre d’un programme de perfectionnement ne sera pas prise en compte dans le cadre [du] processus ». Dans le présent cas, l’intimé n’a pas écarté l’expérience acquise en tant qu’étudiant ou stagiaire et, par conséquent, il était légitime que les candidats fassent état de cette expérience dans leur candidature et que les évaluateurs la prennent en considération.

[52] Le plaignant a affirmé à juste titre dans sa contre-preuve que [traduction] « [c]haque cas doit être évalué sur la base de ses propres mérites et du libellé spécifique des critères en question », ce qui constitue précisément ma démarche dans le présent cas.

[53] Le plaignant a affirmé que Morrissette ne s’appliquait pas aux circonstances du présent cas.

[54] Je considère que les faits dans Morrissette sont particulièrement similaires aux faits de la présente affaire. Au paragraphe 10 de Morrissette, le libellé de la qualification essentielle à l’étude est le suivant :

10 […]

Expérience approfondie* dans la planification et la gestion de mécanismes de prestation de services liés aux fonctions administratives, financières, ressources humaines, gestion des contrats et conception graphique pour la direction générale.

[…]

*Expérience approfondie est définie comme une expérience normalement acquise par l’exercice de plusieurs activités connexes pendant une période de trois années.

 

[55] Dans ses arguments, l’intimé a mis en italique le mot [traduction] « normalement » dans la dernière phrase parce qu’il s’agit précisément du mot dont il est question dans le présent cas.

[56] Dans Morrissette, le Tribunal a examiné essentiellement le même type d’arguments que ceux présentés par le plaignant et l’intimé dans le présent cas.

[57] En raison de son importance et des similitudes des faits qui y sont énoncés avec le présent cas, je vais examiner plus en profondeur Morrissette. Dans Morrissette, au paragraphe 11, le Tribunal a entendu l’argument suivant : « Étant donné que la date limite de présentation des candidatures était en mai 2009, la personne nommée aurait dû exercer de telles fonctions depuis environ mai 2006 pour satisfaire à l’exigence des trois années d’expérience approfondie. »

[58] Dans Morrissette, la plaignante a ainsi avancé un argument similaire à celui du plaignant dans le présent cas, qui s’est donné beaucoup de mal pour préciser les dates de promotion au niveau FB-03 de chaque personne nommée et expliquer pourquoi chacune d’entre elles n’avait pas atteint les trois années de service continu.

[59] Pour revenir à Morrissette, le Tribunal a examiné le point de vue de la gestionnaire, Mme Dagenais, qui avait amorcé le processus de dotation en question et qui avait rédigé l’énoncé des critères de mérite. Au paragraphe 19, le Tribunal a étayé son analyse comme suit :

19 […] son examen du dossier de candidature de la personne nommée et ses connaissances personnelles l’avaient convaincue que celle-ci possédait toutes les qualifications essentielles. Mme Dagenais comptait grandement sur les connaissances et l’expérience de la personne nommée pour que celle-ci se charge bien du travail à accomplir au bureau, en particulier en raison de son propre manque d’expérience au sein de la Direction générale du TMD. Bien qu’une telle expérience puisse normalement être acquise au cours d’une période de trois ans, Mme Dagenais a expliqué qu’il est possible de l’acquérir pendant une plus courte période et dans l’exercice de différentes fonctions. […]

 

[60] Dans Morrissette, le Tribunal a formulé son analyse de l’abus de pouvoir de la même façon que je le fais dans le présent cas, c’est-à-dire sur la base du paragraphe 30(2) de la LEFP, qui prévoit qu’une nomination est fondée sur le mérite lorsque l’administrateur général est convaincu que la personne nommée possède les qualifications essentielles pour le travail à accomplir.

[61] Dans le présent cas, l’annonce suggérait que la qualification essentielle de l’expérience récente et appréciable dans l’interprétation ou la mise en application de la législation appliquée par l’Agence des services frontaliers du Canada [traduction] « […] serait normalement associée à la complexité, à la profondeur et à l’étendue des fonctions exercées régulièrement aux niveaux FB-03, FB-04 et FB-05 ». Il n’a pas été suggéré que la qualification essentielle ne pouvait pas être satisfaite autrement.

[62] La démarche de l’intimé dans le présent cas montre qu’il a examiné attentivement la qualification essentielle en question. Pour vérifier la continuité des trois années d’expérience au cours des cinq dernières années, les évaluateurs ont examiné les réponses écrites de chaque candidat, en les comparant au besoin au curriculum vitae du candidat. Lorsqu’il était fait référence au Programme de formation de base des agents ou au Programme de perfectionnement des agents stagiaires, il était décidé que la candidature serait soumise à un nouvel examen pour s’assurer que l’expérience était suffisante.

[63] J’estime donc que l’intimé a examiné attentivement la qualification essentielle en question. Jolin et Tibbs autorisent amplement les gestionnaires à exercer leur pouvoir discrétionnaire dans le cadre d’un processus de dotation. Si l’intimé avait voulu limiter strictement le champ des candidats aux employés de niveau FB-03 et de niveaux supérieurs, il lui aurait suffi de l’indiquer explicitement dans l’annonce. Il a choisi de ne pas le faire.

[64] Le plaignant, de manière assez peu aimable, a qualifié les actes des candidats de niveau FB-02 de malhonnêtes. Je ne vois rien de malhonnête dans le fait de se porter candidat à une promotion et d’espérer que ses qualifications existantes lui permettront de l’obtenir.

[65] Par conséquent, j’estime que le plaignant n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a déterminé que les personnes nommées satisfaisaient à la qualification essentielle en matière d’expérience.

[66] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[67] Les 17 plaintes (771-02-40973, 41010, 41011, 41095, 41205, 41762, 41764, 41851, 42147, 42401, 42755, 42756, 42757, 43012, 43035, 43168 et 43183) sont rejetées.

 

Le 18 octobre 2023.

Traduction de la CRTESPF

James R. Knopp,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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