Décisions de la CRTESPF

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Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont contesté que leur employeur ne leur paie pas le taux d’indemnité de facteur pénologique que leur convention collective stipule à l’égard des « établissements multi niveaux » – l’employeur s’est opposé à ce que les griefs soient renvoyés à l’arbitrage, car ils ne portaient pas sur l’interprétation ou l’application de la convention collective – la Commission a conclu que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (L.C. 1992, ch. 20) donnait au Service correctionnel du Canada (le « Service ») le droit de décider de la cote de sécurité de tout pénitencier – de plus, la Commission a conclu que les pénitenciers où travaillent les fonctionnaires s’estimant lésés n’étaient pas des « établissements multi niveaux » au sens de la convention collective – enfin, la Commission a conclu qu’elle n’avait pas la compétence pour se prononcer sur la cote de sécurité que le Service attribue à un pénitencier.


Objection accueillie.
Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date: 20231106

Dossiers: 566-02-10973 et 10974

 

Référence: 2023 CRTESPF 102

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

ALAIN CHARTRAND ET Marie-Renée Milhomme

fonctionnaires s’estimant lésés

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Chartrand c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Guy Giguère, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés : Christine Dutka, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Noémie Fillion, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
les 16 et 22 juillet, le 20 août et les 9 et 10 septembre 2021.


MOTIFS DE DÉCISION

Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1] En avril 2014, Alain Chartrand et Marie-Renée Milhomme, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), travaillent respectivement dans deux établissements nouvellement regroupés, soit l’établissement Archambault et le Centre fédéral de formation (« Centre de Formation »). Ces établissements nouvellement regroupés sont constitués d’unités de niveaux de sécurité différents et les fonctionnaires y travaillent dans des unités à sécurité minimale.

[2] Les 24 et 29 avril 2014, les fonctionnaires déposent respectivement un grief au motif que le Service correctionnel du Canada (l’« employeur » ou SCC) refuse de leur payer le bon niveau d’indemnité de facteur pénologique (IFP) à la suite du regroupement des établissements carcéraux où ils travaillent.

[3] Le 1er avril 2015, ces griefs sont renvoyés à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») (voir le premier paragraphe de l’Annexe). Le 19 juin 2017, le nom de l’ancienne Commission est modifié et devient la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») (voir le deuxième paragraphe de l’Annexe).

[4] Le 28 juin 2021, les parties sont avisées de la décision de la formation de la Commission alors assignée au dossier de procéder par soumissions écrites. Conséquemment, l’audience alors prévue du 14 au 16 juillet 2021 est annulée. Le 16 juillet 2021, les parties déposent conjointement un énoncé des faits et un recueil de documents. Leurs soumissions respectives sont par la suite déposées selon un échéancier allant du 22 juillet au 10 septembre 2021.

[5] Les fonctionnaires soutiennent que les établissements nouvellement regroupés doivent être considérés comme des établissements multi niveaux aux termes de la clause 58.03 de la convention collective conclue par le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour l’unité de négociation du groupe Services des programmes et de l’administration (date d’échéance du 20 juin 2011; la « convention collective »). Cette clause indique que dans les établissements dotés de plus d’un niveau sécuritaire (c.-à-d. les établissements multi niveaux), l’IFP doit être déterminée en fonction du plus haut niveau de sécurité de l’établissement.

[6] L’employeur présente une objection préliminaire à la compétence de la Commission d’entendre ces griefs. Il soumet que les établissements nouvellement regroupés ne sont pas des établissements multi niveaux. Selon l’employeur, le caractère véritable des griefs ne porte pas sur l’interprétation ou l’application de la convention collective, mais sur la classification de sécurité attribuée aux nouveaux établissements regroupés – Archambault et Centre de Formation.

[7] Pour déterminer le bien-fondé de l’objection soulevée par l’employeur, je dois répondre à la question suivante : Est-ce que les griefs portent sur la classification sécuritaire d’établissements nouvellement regroupés ou sur l’interprétation de la convention collective? Dans le premier cas, l’objection préliminaire est accueillie, car les griefs ne portent pas sur l’interprétation ou l’application de la convention collective (voir l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »)). Dans le second cas, l’objection préliminaire est rejetée.

[8] Pour les raisons qui suivent, l’objection préliminaire est accueillie. Je conclus que les griefs portent en fait sur la classification sécuritaire d’établissements nouvellement regroupés, ce qui ne peut être renvoyé à l’arbitrage de grief, et les dossiers doivent être fermés.

[9] Par ailleurs, même si j’avais déterminé que les griefs portaient en fait sur l’interprétation ou l’application de la convention collective, ils auraient été rejetés. L’employeur n’a pas contrevenu d’une quelconque façon à la convention collective. Les établissements regroupés sont une nouvelle catégorie d’établissement distincts des établissements multi niveaux. Contrairement aux établissement multi niveaux, la distinction et la séparation entre les différents niveaux de sécurité sont maintenus dans un établissement regroupé. Conséquemment, les fonctionnaires ont droit de recevoir l’IFP en fonction de l’unité de l’établissement où ils travaillent.

Contexte

[10] En 2012, dans le cadre du Plan d’action économique de 2012 du gouvernement fédéral, le regroupement des établissements carcéraux est élaboré pour réduire les coûts et accroître l’efficacité du SCC. Au départ, il est prévu que les fonctionnaires affectés effectuent leurs fonctions dans tous les sites d’un établissement nouvellement regroupé ainsi que dans des unités de niveaux de sécurité différents. Les fonctionnaires affectés sont informés, à l’automne 2013 et en janvier 2014, que l’IFP serait attribuée au plus haut niveau de sécurité d’un établissement nouvellement regroupé comme s’il s’agissait d’un établissement à niveaux de sécurité multiples.

[11] Le 1er avril 2014, 22 établissements sont fusionnés et forment 11 établissements nouvellement regroupés. Toutefois, l’employeur change son approche sur le taux d’IFP applicable aux fonctionnaires d’un établissement nouvellement regroupé en maintenant les différents niveaux de sécurité. La Directive du commissaire 706 est mise à jour et explique qu’un établissement nouvellement regroupé est différent d’un établissement à niveaux de sécurité multiples. Elle définit ainsi les établissements regroupés :

[…]

Établissement regroupé : un groupe d’unités distinctes de niveaux de sécurité différents administrées par un seul directeur d’établissement. La différence entre un établissement regroupé et un établissement à niveaux de sécurité multiples tient au fait que la distinction et la séparation entre les différents niveaux de sécurité sont maintenues, ce qui se reflète normalement sur le plan de l’hébergement, des activités structurées et des déplacements des détenus.

[…]

 

[12] Il est aussi prévu, dans un établissement nouvellement regroupé, qu’un fonctionnaire peut recevoir une IFP de niveau de sécurité plus élevé s’il travaille 10 jours ou plus dans une unité de sécurité plus élevée, conformément à la convention collective.

Analyse

[13] Question en litige : Est-ce que les griefs portent sur la classification sécuritaire d’établissements nouvellement regroupés ou sur l’interprétation de la convention collective?

[14] L’employeur soumet que le caractère véritable des griefs présentés par les fonctionnaires ne porte pas sur l’interprétation ou l’application de la convention collective. Selon lui, les soumissions des fonctionnaires portent sur la classification sécuritaire des nouveaux établissements regroupés – Archambault et Centre de Formation, ce qui n’est pas de la compétence de la Commission, mais de celle du commissaire du SCC.

[15] Les fonctionnaires soutiennent que l’objection préliminaire doit être rejetée car leurs griefs portent sur l’interprétation de la convention collective. Selon eux, la clause 58.03 prévoit que l’IFP est déterminée en fonction de l’établissement où le fonctionnaire travaille et non de l’unité. Comme les nouveaux établissements regroupés – Archambault et Centre de Formation – regroupent plusieurs unités de niveaux de sécurité différents, les fonctionnaires soumettent que c’est la convention collective qui devrait être appliquée.

[16] C’est l’article 29.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (L.C. 1992, ch. 20) qui confère au commissaire le pouvoir d’attribuer à tout pénitencier, mais aussi à un secteur d’un pénitencier, une cote de sécurité minimale, moyenne ou maximale, des niveaux de sécurité multiples ou toute autre cote de sécurité réglementaire.

[17] Par ailleurs, la clause 58.03 de la convention collective se lit comme suit :

58.03 Le paiement de l’indemnité de facteur pénologique est déterminé selon le niveau sécuritaire de l’établissement tel que déterminé par le Service correctionnel du Canada. Dans le cas des établissements dotés de plus d’un (1) niveau sécuritaire (c.-à-d. les établissements multi niveaux), l’IFP doit être déterminée en fonction du plus haut niveau de sécurité de l’établissement.

58.03 The payment of the allowance for the Penological Factor is determined by designated security level of the penitentiary as determined by the Correctional Service of Canada. For those institutions with more than one (1) designated security level (i.e. multi-level institutions), the PFA shall be determined by the highest security level of the institution.

 

[18] La clause 58.03 de la convention collective fait mention des établissements dotés de plus d’un niveau sécuritaire. Cependant, cette mention est suivie de « c.-à-d. », l’abréviation de la locution « c’est-à-dire ». En anglais, la mention est suivie de i.e., l’abréviation du latin id est, qui signifie that is ou « c’est-à-dire » en français. Cette locution, « c’est-à-dire », est utilisée pour préciser et par le fait même pour limiter le sens du mot ou de l’expression précédente.

[19] Si les parties avaient voulu que la clause s’applique à tous les établissements dotés de plus d’un niveau sécuritaire, il n’était pas nécessaire d’ajouter « c.-à-d. les établissements multi niveaux ». Elles auraient pu aussi faire écrire « notamment les établissements multi niveaux » ou « incluant les établissements multi niveaux ».

[20] J’estime pour ces raisons que l’expression « établissements dotés de plus d’un (1) niveau sécuritaire » dans la convention collective signifie et se limite aux établissements multi niveaux.

[21] Je conclus qu’en utilisant la locution « c’est-à-dire » dans cette clause, la convention collective établit qu’uniquement dans les établissements multi niveaux, l’IFP doit être déterminée en fonction du plus haut niveau de sécurité. Pour les autres établissements, c’est le début de la clause 58.03 qui s’applique. L’IFP est établie par le niveau de sécurité de l’établissement tel que déterminé par le commissaire.

[22] Ces griefs individuels sont renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi. Il est bien établi dans ce cas que la compétence de la Commission se limite à l’interprétation et l’application des dispositions de la convention collective (voir Malhi c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2016 CRTEFP 2 et Spencer c. Administrateur général (ministère de l’Environnement), 2007 CRTFP 123).

[23] La Commission n’a donc pas compétence pour considérer la classification sécuritaire des établissements. Ainsi, elle ne peut se pencher sur la classification sécuritaire d’un établissement nouvellement regroupé (voir Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2017 CRTEFP 41).

[24] Pour ces raisons, je conclus que la Commission n’a pas compétence pour entendre ces griefs selon l’alinéa 209(1)a) de la Loi, parce qu’ils ne portent pas sur l’interprétation ou l’application de la convention collective.

[25] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


Ordonnance

[26] L’objection de l’employeur est accueillie.

[27] J’ordonne la fermeture des dossiers.

Le 6 novembre 2023.

Guy Giguère,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 


 

ANNEXE

1) Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014‑84). Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014‑84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

2) Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

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