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Date: 20231107

Dossier: 566‑34‑38871

 

Référence: 2023 CRTESPF 103

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Rebecca Lawrence

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

employeur

Répertorié

Lawrence c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Joanne B. Archibald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Simon Cott

Pour l’employeur : Patrick Turcot

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 24 et 26 juillet et le 11 août 2023.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Objection préliminaire

[1] Le 21 avril 2015, Rebecca Lawrence, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), une agente des appels au groupe et au niveau AU‑01 auprès de l’Agence du revenu du Canada (ARC ou l’« employeur »), a déposé un grief alléguant qu’elle avait été victime de discrimination fondée sur la santé et pour des motifs liés à sa situation de famille, en violation de la clause 42.01 de la convention collective conclue entre l’ARC et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada qui a expiré le 21 décembre 2014 (la « convention collective »).

[2] Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 26 juillet 2018. Un avis a été transmis à la Commission canadienne des droits de la personne.

[3] À titre préliminaire, l’employeur a soulevé une objection au motif que le grief était hors délai puisqu’il avait été déposé plus de 25 jours après que la fonctionnaire avait eu connaissance des événements qui y ont donné lieu. Par ailleurs, l’employeur a déclaré que l’affaire ne peut pas faire l’objet d’un grief et que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») n’a pas compétence pour l’instruire.

[4] Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que le grief est hors délai. Par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour l’instruire et il ne peut pas être renvoyé à l’arbitrage.

II. Contexte

[5] La fonctionnaire a participé au processus de nomination 2013‑1241‑PAC‑2001‑2010 en vue d’une promotion au groupe et au niveau AU‑03. Après une évaluation partielle, les candidats ont eu la possibilité d’occuper par intérim un poste au groupe et au niveau AU‑03 à compter du 1er avril 2014. Pendant cette période, leur rendement a été évalué afin de déterminer leur qualification et leur admissibilité à la nomination.

[6] Le 12 février 2015, l’employeur a annoncé 11 nominations pour une période indéterminée à des postes au groupe et au niveau AU‑03 à partir du bassin de candidats. Il a informé les autres candidats, y compris la fonctionnaire, qu’ils demeureraient admissibles à des postes vacants futurs pour la durée du bassin, qui devait expirer le 31 mars 2015. L’avis précisait les détails et les délais du processus de recours en matière de dotation de l’ARC.

[7] La fonctionnaire a répondu à l’avis en demandant une rétroaction individuelle, ce qui constituait une étape du processus de recours en matière de dotation de l’ARC. Elle a retiré la demande le 20 février 2015, indiquant qu’elle avait cru comprendre qu’il n’y avait pas eu suffisamment de temps pour observer son rendement au poste au groupe et au niveau AU‑03. Selon les arguments de l’employeur, elle a été absente pendant 23 semaines au cours de la période d’évaluation d’un an.

[8] La fonctionnaire n’a pas obtenu une nomination pour une période indéterminée avant le 31 mars 2015, et elle est retournée à son poste d’attache.

[9] La fonctionnaire a déposé le présent grief le 21 avril 2015. Il déclarait ce qui suit :

[Traduction]

Moi et d’autres candidats du bassin de sélection 2013‑1241‑PAC‑2001‑2010, qui ne possédaient pas d’expérience en enquête, avons commencé des affectations intérimaires le 1er avril 2014. Le 12 février 2015, tous les autres candidats ont obtenu des nominations permanentes (sauf une autre en congé de maternité). Il a été mis fin à mon affectation sans prolongation le 31 mars 2015. J’ai été informée que je n’avais pas été nommée parce que j’avais pris des congés et que je n’avais pas travaillé un nombre suffisant d’heures dans le poste pour que mon employeur puisse observer mon rendement. Mon employeur n’a pas tenu compte du fait que j’avais pris des congés pour des raisons de santé et des raisons liées à ma situation de famille. J’estime que l’employeur a fait preuve de discrimination à mon égard fondée sur l’incapacité et la situation de famille, en violation de la clause 42.01, lorsqu’il ne m’a pas nommé ou lorsqu’il n’a pas prolongé mon affectation.

 

[10] À tous les niveaux, l’employeur a rejeté le grief au motif qu’il n’avait pas été déposé dans les délais prévus à la clause 34.11 de la convention collective, qui se lisait comme suit :

34.11 Au premier (1er) palier de la procédure, l’employé‑e peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 34.06 au plus tard le vingt‑cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il ou elle est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

34.11 An employee may present a grievance to the first (1st) level of the procedure in the manner prescribed in clause 34.06, not later than the twenty‑fifth (25th) day after the date on which he is notified orally or in writing or on which he first becomes aware of the action or circumstances giving rise to the grievance.

 

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[11] L’employeur fait valoir que la Commission n’est pas valablement saisie de la question puisque le grief a été déposé 67 jours après le 12 février 2015, date à laquelle les nominations ont été annoncées et où la fonctionnaire a su qu’elle n’avait pas été sélectionnée aux fins d’une nomination. Cela était bien après le délai prévu à la clause 34.11 de la convention collective. L’employeur a maintenu cette position tout au long de la procédure de règlement des griefs.

[12] Les délais sont censés être respectés et ne devraient être prorogés que dans des circonstances exceptionnelles, en fonction des faits de chaque cas. (Voir Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 96, au par. 77.)

[13] Aucune raison convaincante n’a été présentée à la Commission pour accorder un délai supplémentaire à la fonctionnaire dans le présent cas.

[14] De plus, conformément au paragraphe 54(1) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (L.C. 1999, ch. 17; la « Loi sur l’ARC »), un recours en matière de dotation est possible au moyen d’une rétroaction individuelle, d’un examen de la décision et d’un examen par un tiers indépendant. Conformément au paragraphe 54(2) de la Loi sur l’ARC, la dotation ne peut pas être traitée en vertu des dispositions de la convention collective.

[15] De plus, le paragraphe 208(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la LRTFP) empêche un employé de présenter un grief individuel lorsqu’un recours est prévu ailleurs en vertu d’une loi fédérale, sauf la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6; la LCDP). Enfin, le paragraphe 34.07(2) de la convention collective énonce qu’un grief individuel ne peut pas être présenté lorsqu’une procédure administrative de recours est prévue par une loi fédérale autre que la LCDP.

[16] L’employeur a conclu son argumentation en affirmant que le grief était hors délai et qu’il n’y avait aucun motif justifiant d’accorder une prorogation du délai. Même si le grief avait été déposé dans les délais, la fonctionnaire n’a pas exercé le bon recours, qui était le processus de recours interne de l’employeur. La Commission devrait rejeter le grief pour absence de compétence.

B. Pour la fonctionnaire

[17] La fonctionnaire fait remarquer que, jusqu’à l’expiration du bassin le 31 mars 2015, elle ne savait pas avec certitude qu’elle ne serait pas nommée pour une période indéterminée à un poste au groupe et au niveau AU‑03. À l’appui, elle invoque l’avis du 12 février 2015, qui l’informait qu’elle demeurait admissible à la prise en considération jusqu’à l’expiration du bassin.

[18] Selon la fonctionnaire, tant qu’elle ne savait pas que d’autres personnes avaient été nommées et qu’elle n’était pas certaine qu’elle ne le serait pas, elle ne pouvait pas déposer un grief. Ces deux choses n’ont coïncidé que le 31 mars 2015, lorsque le bassin a expiré. Son grief du 21 avril 2015 a été déposé dans les 25 jours suivant cet événement, et il doit être considéré comme déposé dans les délais.

[19] La fonctionnaire soutient en outre que les processus d’examen de la décision et d’examen par un tiers indépendant sont si étroitement limités qu’ils ne permettraient pas de traiter l’ampleur de la question soulevée dans le grief. De plus, le délai pour qu’elle renvoie l’affaire à ces processus est expiré.

IV. Analyse

[20] Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la Commission n’a pas compétence pour instruire la présente affaire, car le grief n’a pas été déposé dans le délai imparti.

[21] Les arguments des parties m’ont convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la fonctionnaire savait qu’elle n’avait pas été sélectionnée pour une nomination dès le 12 février 2015, lorsqu’elle a reçu un avis écrit l’informant de cette réalité.

[22] Les parties ont fourni à la Commission une copie de l’avis du 12 février 2015. Il décrit en détail les étapes et les délais qu’une personne doit respecter dans le cadre du processus de recours interne en matière de dotation. La fonctionnaire a répondu à l’avis en utilisant le processus de recours en matière de dotation de l’employeur pour demander une rétroaction individuelle. Elle a retiré la demande le 20 février 2015, affirmant qu’elle savait que la décision était fondée sur le nombre insuffisant d’heures qu’elle avait accumulé au poste au groupe et au niveau AU‑03.

[23] Je conclus alors que, lorsque les nominations ont été annoncées le 12 février 2015, la fonctionnaire savait que l’employeur ne l’avait pas choisie aux fins d’une nomination. Le 20 février 2015, elle connaissait les raisons pour lesquelles elle n’avait pas été sélectionnée.

[24] Néanmoins, elle a choisi d’attendre et de voir si elle serait nommée à un poste au groupe et au niveau AU‑03 avant le 31 mars 2015. Elle l’a fait à ses risques et périls, de sorte que le 21 avril 2015, son grief dépassait considérablement les 25 jours prévus par la convention collective et ne pouvait être considéré comme hors délai.

[25] L’invocation par la fonctionnaire des termes de l’avis indiquant qu’elle demeurait admissible à une nomination jusqu’au 31 mars 2015 n’aide pas la fonctionnaire. Ces termes indiquaient seulement que l’employeur aurait pu avoir recours au bassin de candidats aux fins de nominations supplémentaires s’il l’avait souhaité. Les termes n’ont pas servi à proroger le délai pour déposer un grief concernant la décision du 12 février 2015.

[26] Même si la fonctionnaire a laissé entendre qu’elle avait eu des discussions continues avec l’employeur et qu’elle s’attendait toujours à ce qu’elle puisse être nommée à un poste au groupe et au niveau AU‑03, des discussions continues ne suspendent pas le délai pour déposer un grief (voir Tuplin c. Agence du revenu du Canada, 2021 CRTESPF 29).

[27] La Commission a toujours conclu que les délais impartis doivent être respectés. Ils ne seront prorogés que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque la prorogation serait dans l’intérêt de l’équité, conformément aux critères énumérés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1. Dans le présent cas, aucune demande de prorogation du délai n’a été présentée.

[28] En concluant que le grief était hors délai, je fais remarquer que l’employeur a soulevé son objection par écrit auprès de la Commission le 16 août 2018, après avoir reçu un avis indiquant que le grief avait été renvoyé à l’arbitrage. Un examen des réponses au grief permet de confirmer que l’employeur a rejeté uniformément le grief à chaque palier au motif qu’il était hors délai. Par conséquent, je conclus que l’employeur s’est acquitté des obligations énoncées à l’article 95 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005‑79).

[29] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[30] L’objection relative au respect du délai de dépôt du grief est accueillie.

[31] Le grief est rejeté.

Le 7 novembre 2023.

Traduction de la CRTESPF

Joanne B. Archibald,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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