Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief demandant 8,5 heures compensatoires et 4,25 heures de congé familial pour la durée de son quart de travail – le grief a été rejeté au premier palier de la procédure de règlement des griefs – le fonctionnaire s’estimant lésé a transmis le grief au deuxième et au dernier paliers, mais l’employeur n’a répondu à aucun des paliers dans les délais prévus dans la convention collective – le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé le grief à la Commission pour arbitrage – l’employeur s’est opposé à la compétence de la Commission d’entendre le grief au motif que le renvoi à l’arbitrage n’avait pas été fait dans les délais prescrits – la convention collective ne contenait aucune disposition concernant le délai dans lequel un grief peut être renvoyé à l’arbitrage lorsque l’employeur n’a donné aucune réponse au dernier palier – toutefois, la convention collective prévoyait que, lorsqu’un employé présentait un grief jusqu’au dernier palier inclusivement et que son grief ne donnait pas lieu à un règlement satisfaisant, il pouvait le renvoyer à l’arbitrage conformément aux dispositions de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) et du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79) – en vertu de ces dispositions, le fonctionnaire s’estimant lésé disposait de 40 jours après la date à laquelle l’employeur était tenu de fournir sa réponse pour renvoyer le grief à l’arbitrage – le grief a été renvoyé à l’arbitrage après l’expiration du délai, car il a été renvoyé six mois en retard – par conséquent, le grief était hors délai – le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que l’employeur n’avait pas soulevé son objection concernant le respect des délais dans les délais prescrits – la Commission a conclu que l’objection de l’employeur avait été soulevée le dernier jour où elle aurait pu l’être – par conséquent, l’objection a été soulevée dans les délais prescrits – le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que la Commission pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai de renvoi du grief à l’arbitrage devant elle – le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que la raison du retard était que le conseiller de l’agent négociateur chargé de renvoyer les griefs à la Commission pour arbitrage avait cessé de travailler et était en congé en raison de problèmes personnels et de santé – la Commission a conclu que la raison justifiant le retard n’était pas claire, logique ou convaincante – le délai pour renvoyer le grief à la Commission était de quatre à six mois avant que le conseiller n’ait quitté son poste – la question de savoir si le conseiller était inapte à exercer les fonctions de son poste pendant cette période n’était pas claire – cela n’expliquait pas non plus pourquoi d’autres griefs avaient été renvoyés à la Commission, mais pas celui du fonctionnaire s’estimant lésé – après le départ en congé du conseiller, deux autres mois entiers se sont écoulés avant que le grief, qui était déjà hors délai pour être renvoyé à la Commission, ne soit enfin renvoyé à la Commission – aucune explication justifiant ce retard n’a été donnée – le retard n’était pas négligeable, car il s’agissait d’un retard de plus de six mois – rien n’indiquait que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait preuve de diligence raisonnable – le grief semblait avoir peu de chances de succès et il était difficile pour la Commission d’évaluer si l’injustice subie par le fonctionnaire s’estimant lésé était plus grande que le préjudice causé à l’employeur alors que le litige portait sur un nombre minime d’heures de congé.
Objection accueillie.
Demande de prorogation du délai rejetée.
Grief rejeté.
Contenu de la décision
Date: 20231110
Référence: 2023 CRTESPF 104
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral et
Loi sur les relations de travail dans
le secteur public fédéral
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Devant une formation de la
Commission des relations de
travail et de l’emploi dans le
secteur public fédéral
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Entre
Bradley Bernatchez
fonctionnaire s’estimant lésé
et
CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)
employeur
Répertorié
Bernatchez c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)
Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage
Devant : John G. Jaworski, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : François Ouellette, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN
Pour l’employeur : Daniel Trépanier et Erin Saso, Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 23 juin et les 7 et 26 juillet 2022.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION
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(TRADUCTION DE LA CRTESPF)
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I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage
[1] À l’époque pertinente, Bradley Bernatchez, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), était employé par le Conseil du Trésor (l’« employeur ») à titre d’agent correctionnel au Service correctionnel du Canada (SCC), de groupe et de niveau CX-01, et travaillait à l’Établissement de Millhaven à Kingston, en Ontario, dans la région de l’Ontario du SCC.
[2] À l’époque pertinente, les conditions d’emploi du fonctionnaire étaient régies en partie par une convention collective signée le 5 janvier 2021 et expirant le 31 mai 2022 entre le Conseil du Trésor et le Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (le « syndicat ») pour tous les employés du groupe Services correctionnels (la « convention collective »).
II. Résumé de la preuve
[3] Le 28 mai 2021, le fonctionnaire a déposé un grief qui se lit comme suit :
[Traduction]
[…]
DÉTAILS DU GRIEF […]
A demandé 8,5 heures de remplacement et 4,25 heures de congé familial pour la durée du quart de travail du 24 mai 2021.
MESURE CORRECTIVE SOLLICITÉE […]
J’aimerais utiliser 8,5 heures de remplacement et 4,25 heures de congé familial pour la durée du quart de travail.
Et tous les autres droits que je possède en vertu de la convention collective. Ainsi que tous les dommages réels, moraux ou punitifs, à appliquer avec effet rétroactif et intérêts légaux sans préjudice des autres droits acquis.
[…]
[4] Le 3 juin 2021, le grief a été rejeté au premier palier de la procédure de règlement des griefs. La réponse rejetant le grief ce jour-là se lisait comme suit :
[Traduction]
La présente fait suite à votre grief déposé le 28/05/2021 dans lequel vous contestez la décision de la direction de déduire des heures de remplacement de plus de 8,5 heures le 24/05/2021 ou aux alentours de cette date. Vous demandez, à titre de mesure corrective, que l’employeur cesse de déduire plus de 8,5 heures de remplacement (vous aimeriez utiliser 8,5 heures de remplacement et 4,25 heures de congé familial pour la durée du quart de travail du 24 mai 2021); que l’on vous crédite de nouveau les heures de remplacement supplémentaires (4,25 heures) déduites au-delà de 8,5 heures; tous les autres droits que je possède en vertu de la convention collective. Ainsi que tous dommages réels, moraux ou punitifs, à appliquer avec effet rétroactif et intérêts légaux, sans préjudice des autres droits acquis.
Conformément à la convention collective en vigueur – Article 34 : horaire de travail modifié –
2. Congé et heures de remplacement : généralités – Lorsque des heures de congé ou de remplacement sont accordées, elles le sont sur une base horaire et les heures débitées pour chaque jour de congé ou de remplacement sont les mêmes que les heures que l’employé aurait normalement dû travailler ce jour-là.
Heures de remplacement pour les jours fériés payés : e. Peu importe le jour férié désigné payé, les employé-e-s doivent épuiser leurs crédits d’heures de remplacement avant d’utiliser le congé payé pour obligations familiales ou le congé de maladie;
Étant donné que le syndicat a accepté cette disposition dans le cadre de votre convention collective actuelle, votre grief et votre mesure corrective sont rejetés.
[Les passages en évidence le sont dans l’original]
[5] Le 4 juin 2021, le fonctionnaire a transmis le grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs.
[6] Le 9 août 2021, le fonctionnaire a transmis le grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs.
[7] L’employeur n’a pas répondu au grief au deuxième ou au troisième palier dans les délais fixés par la convention collective. Le 17 mai 2022, le fonctionnaire a renvoyé le grief à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») pour arbitrage.
[8] Par courriel, le mardi 24 mai 2022 à 13 h 18, le greffe de la Commission a écrit aux parties pour accuser réception du renvoi du grief à l’arbitrage de griefs le 17 mai 2022.
[9] Le jeudi 23 juin 2022, l’employeur a écrit à la Commission pour contester la compétence de la Commission à entendre le grief au motif que le renvoi à l’arbitrage n’a pas été fait dans les délais prescrits. L’objection de l’employeur est exposée plus loin dans la présente décision, dans le résumé de l’argumentation, de même que la réponse du fonctionnaire et la réfutation de l’employeur.
A. La convention collective
[10] L’article 20 de la convention collective est intitulé « Procédure de règlement des griefs ». Les parties pertinentes à cette objection se lisent comme suit :
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[Les passages en évidence le sont dans l’original]
[11] La clause 21.02 de la convention collective traite du travail par quarts.
III. Résumé de l’argumentation
A. Pour l’employeur
[12] L’employeur soutient que la Commission n’a pas compétence pour entendre l’affaire puisque le grief lui a été renvoyé pour arbitrage en dehors des délais fixés par la clause 20.14 de la convention collective et le paragraphe 90(2) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »).
[13] Le fonctionnaire a déposé son grief le 28 mai 2021 et l’a présenté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 9 août 2021. L’employeur avait jusqu’au 22 septembre 2021 pour répondre au dernier palier.
[14] Le paragraphe 90(2) du Règlement se lit comme suit :
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[15] Puisqu’aucune réponse n’a été émise au dernier palier, le fonctionnaire et le syndicat avaient jusqu’au 1er novembre 2021 pour renvoyer le grief à l’arbitrage. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 17 mai 2022, soit avec plus de six mois de retard.
[16] L’employeur soutient que le grief est hors délai.
B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé
[17] Le fonctionnaire soutient que l’employeur n’a pas soulevé son objection relative au respect des délais dans les délais établis. La Commission a déjà eu l’occasion de se prononcer sur cette question, notamment dans Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2006 CRTFP 56; Sidhu c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 76; McWilliams c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 58; Pannu c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 4. Le fonctionnaire soutient que les décisions invoquées sont toutes unanimes et qu’elles établissent que l’employeur ne peut soulever une objection concernant le respect des délais que si le grief a été rejeté pour ce motif à la première étape possible et à toutes les étapes subséquentes de la procédure de règlement des griefs.
[18] Le fonctionnaire soutient également qu’en vertu de l’article 95 du Règlement, l’employeur est tenu de soulever son objection relative au respect des délais dans les 30 jours suivant la réception du renvoi à l’arbitrage. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 17 mai 2022, et l’employeur n’a pas soulevé son objection dans les délais prévus à l’article 95.
[19] Le fonctionnaire soutient que la Commission peut exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 61 du Règlement et proroger le délai de renvoi du grief à l’arbitrage de griefs. À cet égard, le fonctionnaire me renvoie à Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1.
[20] Le fonctionnaire soutient que le conseiller syndical chargé de renvoyer à l’arbitrage les griefs auprès de la Commission a cessé de travailler et s’est absenté du travail en raison de problèmes de santé mentale et de problèmes personnels à compter du 18 mars 2022. Le fonctionnaire soutient également que les problèmes de santé et les problèmes personnels du conseiller remontent à plusieurs mois avant qu’il ne s’absente du travail en mars 2022.
[21] Le fonctionnaire affirme que les difficultés de santé du conseiller syndical ont malheureusement fait en sorte que certains dossiers n’ont pas été traités dans les délais prescrits et que cette situation échappait au contrôle du syndicat, de sorte qu’il ne devrait pas perdre son droit à un recours.
[22] Le fonctionnaire soutient que, si la Commission ne rejette pas l’objection de l’employeur, elle devrait se retenir de se prononcer à ce sujet et la traiter en même temps que le grief sur le fond, afin de lui permettre, ainsi qu’au syndicat, de fournir une preuve plus complète sur la question.
C. La réponse de l’employeur
[23] En réponse à l’argument du syndicat selon lequel l’employeur n’a pas soulevé son objection relative au respect des délais dans les délais fixés, l’employeur soutient qu’il a respecté les délais prévus au paragraphe 95(1) du Règlement, qui énonce qu’une partie dispose de 30 jours pour soulever une objection fondée sur le respect des délais après avoir reçu une copie de l’avis de renvoi à l’arbitrage de griefs. L’employeur a reçu l’avis de renvoi à l’arbitrage de la Commission le 24 mai 2022 et a formulé son objection le 23 juin 2022, soit le 30e jour, soit dans le délai imparti.
[24] En ce qui concerne les observations du syndicat sur la prorogation du délai, l’employeur fait valoir que Schenkman fixe les critères de base permettant de déterminer s’il convient d’exercer un pouvoir discrétionnaire et d’accorder une prorogation du délai. Ces critères sont les suivants :
• des raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard;
• la durée du retard;
• la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;
• l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;
• les chances de succès du grief.
[25] Le syndicat soutient que le renvoi hors délai du grief est dû à des circonstances indépendantes de sa volonté, à savoir la santé mentale et les problèmes personnels d’un conseiller syndical responsable du dossier. Il précise que ce conseiller était aux prises avec ces problèmes plusieurs mois avant le 18 mars 2022.
[26] L’employeur ne peut confirmer ou contester l’allégation relative à la situation personnelle du conseiller syndical; il soutient toutefois que le conseiller en question avait renvoyé d’autres dossiers à l’arbitrage avant et pendant la période en question. L’employeur indique ensuite six numéros de dossiers précis de la Commission et précise que les griefs qui s’y rapportent ont été renvoyés à l’arbitrage par le conseiller en question en septembre et en décembre 2021 ainsi qu’en mars 2022.
[27] Par ailleurs, l’employeur soutient que le personnel de soutien administratif du conseiller a également effectué des renvois à la Commission pour arbitrage en son nom et a indiqué deux numéros de dossier précis de la Commission, précisant que les griefs relatifs à ces questions ont été renvoyés à la Commission pour arbitrage par l’adjoint administratif du conseiller en janvier 2022.
[28] Pour ces motifs, l’employeur soutient que l’explication du syndicat n’établit pas une raison claire, logique et convaincante pour le retard. La preuve est claire que le conseiller syndical en question était en mesure d’effectuer la même tâche à d’autres occasions au cours de la période pertinente.
[29] Étant donné que le conseiller syndical en question ainsi que l’assistant administratif ont renvoyé d’autres griefs à l’arbitrage pendant la période pertinente, l’employeur conclut que le retard est dû à un oubli administratif. À cet égard, l’employeur me renvoie au paragraphe 27 de Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33, qui se lit comme suit :
[30] Quant à l’équilibre entre l’injustice subie par l’employé et le préjudice causé à l’employeur par l’octroi d’une prorogation, c’est au fonctionnaire qu’il incombe d’établir l’injustice, s’il y en a une. Le différend en question porte sur la gestion des congés et se limite à une période infiniment courte de 4,25 heures. Bien que le fonctionnaire et le syndicat puissent contester l’importance de la question, l’employeur soutient que si la question était de la plus haute importance pour le fonctionnaire, il aurait fait preuve de plus de diligence pour assurer un renvoi dans les délais, notamment en s’informant de l’état d’avancement du grief.
[31] En ce qui concerne les chances de succès du grief à l’arbitrage, l’employeur soutient que le grief a peu de chances de succès, compte tenu de son objet. Il affirme que l’objet du grief est la contestation par le fonctionnaire de la décision de déduire 12,25 heures de remplacement pour son quart de travail le jour de la fête de Victoria, plutôt que 8,5 heures de remplacement et 4,25 heures de congé pour obligations familiales. La convention collective est explicite et sans équivoque : « Peu importe le jour férié désigné payé, les employé-e-s doivent épuiser leurs crédits d’heures de remplacement avant d’utiliser le congé payé pour obligations familiales ou le congé de maladie […] ».
[32] L’employeur réitère sa demande de rejet du grief au motif qu’il est hors délai et demande en outre le rejet de la demande de prorogation du délai.
IV. Motifs
A. Le respect des délais dans le cadre du renvoi du grief à l’arbitrage
[33] La procédure de règlement des griefs dans la fonction publique fédérale est régie par la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), le Règlement et toute convention collective propre à un groupe qui peut être conclue entre un agent négociateur autorisé et l’employeur à l’égard des employés d’une unité de négociation donnée.
[34] Les parties ont convenu, à l’article 20 de la convention collective, de certaines modalités régissant la procédure de règlement des griefs. Comme le prévoit cette convention, la procédure comporte trois paliers. Si un fonctionnaire s’estimant lésé n’est pas satisfait de la réponse de l’employeur au dernier palier, il peut renvoyer le grief à l’arbitrage (s’il s’agit d’un grief qui relèverait autrement de la compétence de la Commission).
[35] Lorsqu’un grief a été déposé au premier palier, l’employeur doit y répondre dans un délai de 10 jours, le calcul de ce délai ne comprenant pas les samedis, dimanches et jours fériés (clause 20.16 de la convention collective). Si l’employeur n’a pas répondu au grief à un palier donné, sauf au dernier, dans les 15 jours suivant la date à laquelle le grief a été reçu à ce palier, le fonctionnaire s’estimant lésé peut le transmettre au palier suivant dans les 10 jours suivant cette date. La clause 20.17 prévoit que les parties peuvent, d’un commun accord, proroger les délais pour prendre les mesures prévues à l’article 20.
[36] L’article 63 du Règlement se trouve sous le titre « Griefs », le sous-titre « Dispositions générales » et la note marginale « Rejet pour non-respect d’un délai » :
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[Le passage en évidence l’est dans l’original]
[37] L’article 90 du Règlement définit la procédure de renvoi d’un grief à l’arbitrage de la Commission et se lit comme suit :
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[Les passages en évidence le sont dans l’original]
[38] L’article 10 du Règlement prévoit que si un délai prévu par le Règlement pour le dépôt d’un document expire un samedi ou un jour férié, le document peut être déposé le jour suivant qui n’est ni un samedi ni un jour férié.
[39] Le terme « jour férié » n’est pas défini dans le Règlement ni dans la Loi. Il est défini à l’article 35 de la Loi d’interprétation (L.R.C. (1985), ch. I-21) et s’entend notamment du dimanche.
[40] L’employeur ne laisse pas entendre que le grief initial a été déposé hors délai ou que le fonctionnaire n’a pas transmis le grief aux paliers de la procédure de règlement des griefs dans les délais prescrits. L’objection de l’employeur porte uniquement sur le fait que le fonctionnaire n’a pas renvoyé le grief à l’arbitrage dans les délais fixés par le Règlement.
[41] Le fonctionnaire a transmis le grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 9 août 2021. Selon les délais prévus à la clause 20.14 de la convention collective, l’employeur avait 30 jours pour répondre, compte non tenu des samedis, des dimanches et des jours fériés (comme le prévoit la clause 20.02). Le dernier jour de réponse de l’employeur aurait donc été le mardi 21 septembre 2021.
[42] La convention collective ne contient aucune disposition quant au délai dans lequel un grief peut être renvoyé à l’arbitrage lorsque l’employeur ne donne pas de réponse. Toutefois, la clause 20.23 de la convention collective prévoit que lorsqu’un employé a présenté un grief jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs inclusivement et que son grief n’a pas donné lieu à un règlement satisfaisant, il peut renvoyer le grief à l’arbitrage conformément aux dispositions de la Loi et du Règlement. Par défaut, en vertu du paragraphe 90(2) du Règlement, le fonctionnaire disposait de 40 jours après la date à laquelle l’employeur était tenu de fournir sa réponse. Le délai de 40 jours à compter du 21 septembre 2021 aurait expiré le 31 octobre 2021. Comme le 31 octobre 2021 était un dimanche, le délai court jusqu’au premier jour suivant qui n’est pas un jour férié; dans le présent cas, il s’agit du lundi 1er novembre 2021, en vertu de l’article 10 du Règlement, qui prévoit qu’un délai en vertu du Règlement est calculé en tenant compte de tous les jours civils, puisqu’il n’y a pas d’équivalent à la clause 20.02 de la convention collective, qui exclut les samedis, les dimanches et les jours fériés.
[43] Le fonctionnaire a transmis son grief à la Commission le 17 mai 2022, soit plus de six mois après la date limite. Par conséquent, il est hors délai. Toutefois, il n’est hors délai que si l’employeur formule une objection quant au respect du délai du renvoi à l’arbitrage dans les 30 jours suivant la date à laquelle il a reçu l’avis de renvoi à l’arbitrage. C’est ce que prévoit l’alinéa 95(1)b), du Règlement, comme suit :
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[44] L’employeur a reçu un courriel du greffe de la Commission le 24 mai 2022 l’informant du renvoi à l’arbitrage du grief. Par conséquent, l’employeur devait soulever son objection dans les 30 jours suivant cette date. Il a transmis son objection à la Commission par courriel le 23 juin 2022, soit le 30e jour après le 24 mai 2022 et, par conséquent, le dernier jour où il aurait pu soulever son objection en vertu de l’alinéa 95(1)b) du Règlement.
[45] Étant donné que seul le renvoi à l’arbitrage du fonctionnaire n’a pas été effectué dans les délais, la seule objection possible que l’employeur aurait pu soulever au sujet du respect des délais concernait le renvoi, et c’est ce qu’il a fait; il n’a donc pas enfreint le Règlement. Par conséquent, je conclus que le grief est hors délai.
B. Demande de prorogation du délai
[46] Le fonctionnaire a fait valoir que la Commission peut exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 61 du Règlement et proroger le délai de renvoi du grief à la Commission pour arbitrage. À cet égard, il a invoqué Schenkman. Les critères de prorogation du délai en vertu de l’article 61 du Règlement ont été bien établis dans Schenkman, qui se lisent comme suit :
• des raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard;
• la durée du retard;
• la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;
• l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;
• les chances de succès du grief.
[47] Le fonctionnaire a fait valoir que la raison du retard était que le conseiller syndical responsable du renvoi des griefs à l’arbitrage auprès de la Commission avait cessé de travailler et s’était absenté du travail en raison de problèmes de santé mentale et de problèmes personnels à compter du 18 mars 2022. Il a ajouté que les problèmes de santé et les problèmes personnels du conseiller remontaient à plusieurs mois avant son départ du travail en mars 2022. Le fonctionnaire a également affirmé que la situation du conseiller syndical avait fait en sorte que certains dossiers n’avaient pas été traités dans les délais prescrits et que cette situation échappait au contrôle du syndicat.
[48] Dans sa réponse, l’employeur a soutenu que, dans les faits, le syndicat avait renvoyé plusieurs dossiers à l’arbitrage de la Commission avant et après la date à laquelle le présent grief aurait dû être renvoyé à l’arbitrage et au cours des mois précédant le départ du conseiller en question. J’ai eu l’occasion d’examiner ces dossiers de la Commission et de vérifier qu’effectivement, ils ont été renvoyés à l’arbitrage soit par le conseiller syndical en question, soit par le bureau de l’Ontario dont il était responsable.
[49] La raison de ce retard n’est ni claire, ni logique, ni convaincante. Même en admettant le fait que le conseiller syndical responsable du renvoi du grief à l’arbitrage souffrait de problèmes de santé et de problèmes personnels à un moment donné avant le renvoi à l’arbitrage, cet argument demeure très sommaire et n’est pas suffisamment détaillé pour satisfaire au critère de la clarté, de la logique et du caractère convaincant.
[50] Le fonctionnaire a déclaré que le conseiller syndical était parti en congé de maladie le 18 mars 2022 et qu’il avait été malade ou avait eu des problèmes personnels pendant plusieurs mois avant son départ. Or, le délai de renvoi du grief à la Commission, qui courait entre le 22 septembre et le 1er novembre 2021, était de quatre à six mois avant que le conseiller ne quitte son poste. Le conseiller syndical était-il inapte à exercer les fonctions de son poste en septembre et octobre 2021? Cela n’explique pas non plus pourquoi, au cours de cette même période, d’autres griefs ont été renvoyés à la Commission, alors que celui du fonctionnaire ne l’a pas été. Enfin, toujours en tenant compte du départ du conseiller syndical le 18 mars 2022, il s’est écoulé deux mois complets avant que le grief, déjà hors délai pour être renvoyé à la Commission, ne soit finalement renvoyé, le 17 mai 2022; aucune explication n’est fournie à ce sujet.
[51] Le retard n’est pas négligeable. Il ne s’agit pas d’un jour, de quelques jours, d’une semaine ou de quelques semaines. Il est de plus de six mois.
[52] Rien n’indique que le fonctionnaire a agi en faisant preuve de diligence raisonnable.
[53] Les deux derniers critères établis dans Schenkman consistent à équilibrer l’injustice subie par le fonctionnaire et le préjudice causé à l’employeur, ainsi qu’à évaluer les chances de succès du grief. Ces deux critères vont en quelque sorte de pair. Il est difficile d’évaluer l’injustice faite au fonctionnaire puisque la question est de savoir si l’employeur pouvait lui refuser l’utilisation des 4,25 heures de congé payé pour obligations familiales au moyen d’heures de remplacement, et qu’il existe une clause particulière dans la convention collective qui établit que c’est en fait ce que le syndicat et l’employeur ont convenu de faire.
[54] Les faits du présent cas semblent correspondre exactement à la situation prévue dans la clause 34e) de la convention collective. Le grief indique que le fonctionnaire voulait utiliser 8,5 heures de remplacement et 4,25 heures de congé pour obligations familiales pour son quart de travail du 24 mai 2021. L’article 34 traite de l’utilisation d’heures de congé en remplacement des jours fériés désignés payés. Il prévoit que les employés régis par la convention collective reçoivent un crédit de 93,5 heures pour tous les congés payés au début de l’exercice et que ces heures de remplacement doivent être utilisées le jour férié payé désigné. La clause 34e) précise que pour tout jour férié payé, les employés doivent épuiser leur crédit d’heures de remplacement avant d’utiliser un congé payé pour obligations familiales ou un congé de maladie.
[55] Le critère établi dans Schenkman n’exige pas que la Commission se prononce sur le grief au fond; il suffit que la Commission évalue, à la lumière des renseignements disponibles, s’ils sont disponibles, les chances de succès du grief. À ce stade, d’après les renseignements fournis, le grief semble avoir peu de chances de succès, étant donné que les allégations semblent être expressément envisagées dans la convention collective et que l’employeur semble avoir respecté la convention collective.
[56] En outre, il est difficile d’évaluer si l’injustice pour le fonctionnaire est plus grande que le préjudice pour l’employeur lorsqu’il s’agit d’heures aussi peu importantes de congé; les deux types de congés sont des congés payés et le fonctionnaire a reçu des congés payés pour toute la période demandée.
[57] Enfin, dans ses arguments, le fonctionnaire a proposé qu’au cas où la Commission ne rejette pas l’objection de l’employeur, celle-ci se retienne de se prononcer à ce sujet et l’examine en même temps que le grief sur le fond, afin de permettre au fonctionnaire et au syndicat de fournir une preuve plus complète.
[58] Le syndicat et l’employeur sont des parties aguerries en matière de comparution devant la Commission. Il leur incombe, lorsqu’ils soulèvent l’un ou l’autre une objection à la compétence, de faire valoir leurs meilleurs arguments en se fondant sur tous les faits dont ils ont connaissance. La Commission n’est pas tenue de reporter à une audience le traitement d’une question qui aurait dû être abordée par une partie dans ses arguments.
[59] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
V. Ordonnance
[60] L’objection est accueillie.
[61] La demande de prorogation du délai est rejetée.
[62] Le grief dans le dossier de la Commission 566-02-44758 est rejeté.
Le 10 novembre 2023.
Traduction de la CRTESPF
John G. Jaworski,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi dans le
secteur public fédéral