Décisions de la CRTESPF

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Date: 20231220

Dossier: 566-02-43225

 

Référence: 2023 CRTESPF 120

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Daniel poirier

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord)

 

défendeur

Répertorié

Poirier c. Administrateur général (ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Patricia H. Harewood, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Pierre Brabant, avocat

Pour le défendeur : Karl Chemsi, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence,
le 18 décembre 2023


MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant la Commission

[1] Cette décision vise une demande de récusation par Daniel Poirier, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), soumise par écrit le 14 décembre 2023. Les parties ont eu l’occasion de présenter leurs arguments visant cette demande lors d’une conférence préparatoire à l’audience tenue le 18 décembre 2023.

[2] L’audience du grief sur le fond est prévue du 15 au 19 janvier 2024.

[3] Le fonctionnaire a soutenu qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité de ma part puisque l’un des témoins du défendeur, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (l’« employeur »), maintenant le ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, qui a signé la lettre de congédiement du fonctionnaire lorsqu’elle occupait un poste dans le ministère visé par le grief, est maintenant la directrice exécutive du Secrétariat de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « CRTESPF » ou la « Commission »).

[4] L’employeur a soumis que la demande est non fondée et frivole. Il n’y a aucun lien entre la personne qui a signé la lettre de congédiement et la CRTESPF, qui est un tribunal administratif indépendant. Il s’agit effectivement d’une demande en récusation de toute la Commission parce que le témoin potentiel est la directrice exécutive du Secrétariat de la CRTESPF, ce qui est illogique compte tenu de l’indépendance de la Commission.

[5] Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de récusation. Quoique l’un des témoins potentiels de l’employeur travaille présentement pour le Secrétariat de la CRTESPF comme directrice exécutive, la Commission est un tribunal administratif indépendant qui ne relève pas du Secrétariat de la CRTESPF. L’impartialité de tous les commissaires est une condition préalable de nomination. Cela dit, en tant que décideur, je n’ai jamais discuté de ce dossier ou d’autres dossiers avec la directrice exécutive du Secrétariat de la CRTESPF.

[6] Le fonctionnaire n’a pas réussi à démontrer que j’ai un lien avec la directrice exécutive, personnel ou autre, qui démontre une crainte raisonnable de partialité. D’autant plus qu’en dépit du résultat sur le fond, je n’ai rien à gagner par le fait que l’un des témoins de l’employeur est la directrice exécutive du Secrétariat de la CRTESPF.

[7] De toute évidence, le fonctionnaire ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer une crainte raisonnable de partialité d’ « […] une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » (voir Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 S.C.R. 369).

II. Résumé de l’argumentation

[8] Un résumé des arguments des parties se trouve dans les paragraphes suivants.

[9] La lettre du fonctionnaire du 14 décembre 2023 visant la demande de récusation se lit en partie comme suit :

[…]

Demande de récusation

Toute partie à un litige a le droit d’être entendue par un juge impartial ou exempt de crainte raisonnable de partialité.

Tel que mentionné dans le Guide de conduite à l’intention des Commissaires de la CRTESPF, la question n’est pas de savoir si, dans les faits, le juge a fait preuve de partialité consciente ou inconsciente, mais si une personne raisonnable et bien renseignée craindrait de sa partialité.

En l’espèce, la lettre de congédiement de Daniel Poirier a été signée par Jennifer Hamilton qui était, à cette époque, directrice principale, prestation des services aux clients en ressources humaines.

Il appert que Jennifer Hamilton occupe maintenant l’emploi de directrice exécutive du Secrétariat de la CRTESPF et que l’adresse de son bureau est la même que celle de la Commission. Les services liés au mandat et aux membres, les services juridiques, les services de médiation et de règlement des conflits et les services de greffe relèvent d’elle. Véronique Thouin-Jung, agente du greffe, nous écrit d’ailleurs au nom de la formation de la Commission.

En tout respect, nous soulevons une crainte raisonnable de votre

partialité dans cette affaire en raison d’une apparence de conflit d’intérêt due aux fonctions de Jennifer Hamilton.

Considérant ce qui précède, nous vous demandons de vous récuser.

En vous remerciant de l’attention que vous portez à la présente, veuillez recevoir, madame Harewood, nos salutations les plus distinguées.

[…]

 

[10] En répondant à la lettre du fonctionnaire oralement lors de la conférence préparatoire à l’audience le 18 décembre 2023, l’employeur a noté qu’il n’y avait aucun lien avec la personne qui a signé la lettre de congédiement, qui travaille maintenant dans un secrétariat qui est indépendant de la Commission et de la commissaire.

[11] L’employeur a soutenu que, si on pousse la logique du fonctionnaire à son extrême, il s’agit d’une demande de récusation de tout le tribunal, car la directrice exécutive travaille pour le Service canadien d’appui aux tribunaux administratifs (SCDATA). Selon l’avocat de l’employeur, seul ce fait poserait un conflit d’intérêts.

[12] L’employeur a soumis que la Commission ne peut pas se récuser au complet, surtout qu’elle est indépendante du Secrétariat de la CRTESPF. L’employeur a cité le critère qui s’applique, énoncé dans la décision Committee for Justice and Liberty, et reproduit récemment dans la décision Shura c. Président de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2020 CRTESPF 26, au par. 153.

[13] Lors de la conférence préparatoire à l’audience, le fonctionnaire a répondu qu’il comprenait la différence entre la partialité et l’apparence de partialité. Il a avoué qu’il est extrêmement difficile de démontrer la partialité.

[14] Le fonctionnaire a ajouté que du fait que la commissaire travaille avec la directrice exécutive, qui va témoigner à l’audience, il y a une crainte raisonnable de partialité.

[15] Le fonctionnaire s’inquiète qu’il y a une crainte de partialité et que la solution est plutôt de nommer un arbitre de l’extérieur qui sera choisi par les des deux parties.

III. Analyse

[16] La Commission s’est prononcée à maintes reprises sur des demandes de récusation. Celles-ci ont jusqu’à présent été traitées par le ou la commissaire qui entend l’affaire (voir Shura, au par. 152). Le critère qui s’applique afin de déterminer s’il existe une apparence raisonnable de partialité a été établi par la Cour suprême du Canada dans Committee for Justice and Liberty. Ce critère est énoncé à la page 394 de Committee for Justice and Liberty, qui se lit en partie comme suit :

La Cour d’appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander «à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. […]

 

[17] Cette analyse a été adoptée dans plusieurs décisions de la Commission (voir Nelson c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2012 CRTFP 65, au par. 9; Shura, aux paragraphes 153 et 154; Singaravelu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 178, au par. 25).

[18] Toute demande de récusation doit être traitée sérieusement, et le présent cas n’est pas une exception. Je ne la trouve pas frivole.

[19] Toutefois, la partie qui dépose une telle demande ne pourrait le faire sans une preuve suffisante ( voir Adams v. British Columbia (Workers’ Compensation Board) (1989), 42 B.C.L.R. (2d) 228 (C.A.), au par. 13). Bien que l’apparence d’impartialité des décideurs administratifs soit un principe pionnier de notre système quasi-judiciaire, il n’en demeure pas moins qu’une demande qui conteste cette impartialité présumée devrait être rigoureuse.

[20] En effet, le fonctionnaire exige que toute la Commission se récuse du dossier parce que, personnellement, il craint qu’il y ait une apparence de partialité compte tenu des fonctions de la directrice exécutive et son lien avec la Commission.

[21] Dans le présent cas, le fonctionnaire n’a pas réussi à établir une crainte raisonnable de partialité pour plusieurs raisons.

[22] Premièrement, bien que la directrice exécutive du Secrétariat de la CRTESPF dirige des services d’appui à la Commission, en tant que commissaire, je suis un décideur indépendant et impartial. Je fais partie d’un tribunal administratif qui est indépendant du Secrétariat de la CRTESPF, qui fait partie de l’administration publique fédérale.

[23] La composition de la Commission est définie dans sa loi habilitante, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (LCRTESPF). La Commission se compose d’un président, d’au plus deux vice-présidents, d’au plus 12 commissaires et des commissaires à temps partiel que le gouverneur en conseil estime nécessaires.

[24] Le paragraphe 6(4) de la LCRTESPF prévoit que tout commissaire est tenu d’agir avec impartialité. L’impartialité est ainsi une condition de nomination, et il va de soi que chaque commissaire doit agir en tout temps avec impartialité.

[25] Deuxièmement, en étudiant la question en profondeur, je ne vois aucune crainte raisonnable de partialité ou apparence de conflit d’intérêts de ma part en raison des fonctions de la directrice exécutive du Secrétariat de la CRTESPF.

[26] En prétendant que je travaille avec la directrice exécutive du Secrétariat de la CRTESPF, il semble que le fonctionnaire ignore la structure indépendante de la Commission. La Commission ne relève pas de la direction du secrétariat et gère ses propres dossiers. L’article 25 de la LCRTESPF prévoit ce qui suit :

25 Le président assure la direction de la Commission et en contrôle les activités, notamment en ce qui a trait :

25 The Chairperson has supervision over and direction of the Board’s work, including

a) à l’assignation et à la réassignation aux formations des affaires dont la Commission est saisie;

(a) the assignment and reassignment of matters that the Board is seized of to panels;

b) à la composition des formations;

(b) the composition of panels; and

c) à la fixation des date, heure et lieu des audiences.

(c) the determination of the date, time and place of hearings.

 

[27] De surcroît, la Loi sur le Service canadien d’appui aux tribunaux administratifs (L.C. 2014, ch. 20, art. 376; LSCDATA) précise son mandat au paragraphe 10 qui est de fournir à chaque tribunal administratif énoncé dans la loi, y compris la Commission, les services d’appui et d’installation dont il a besoin. Lisez ensemble, les articles 12 et 13 de la LSCDATA prévoit que les pouvoirs de l’administrateur en chef et de ses délégués ne s’étendent pas aux pouvoirs conférés à un tribunal ou à l’un de ses membres.

[28] Afin de renforcer l’indépendance des tribunaux administratifs, l’article 14 de la LSCDATA prévoit ce qui suit : « Il est entendu que le président d’un tribunal administratif continue d’assurer la direction du tribunal et d’en contrôler les activités. »

[29] Ainsi, compte tenu de la structure clairement indépendante de la Commission qui contrôle sa propre direction et ses propres activités, la Commission et la commissaire en particulier, n’ont rien à gagner ni rien à perdre en dépit du résultat sur le fond. Il s’agit d’un dossier comme les autres et je donnerai à chaque partie tout au long du processus une occasion d’être entendue d’une manière juste, équitable et surtout impartiale.

[30] En ce qui concerne le présent cas, contrairement à la prétention du fonctionnaire, je ne travaille pas sur ce dossier ou d’autres avec la directrice exécutive du Secrétariat de la CRTESPF. Je n’ai aucune discussion ou aucun contact qui vise ce dossier avec la directrice exécutive. Il en est de même pour tous mes dossiers. Ainsi, en dépit d’une proximité physique (le fait que les bureaux se trouvent aux mêmes adresses) le fonctionnaire n’a pas fait la preuve d’un lien de proximité, ou un conflit d’intérêts qui satisfait au fardeau exigé par Adams.

[31] De plus, cette situation se distingue facilement du lien de proximité décrit dans la décision du Tribunal administratif du travail du Québec (le « Tribunal »), Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) c. Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux et Gouvernement du Québec, 2023 QCTAT 3534, que le plaignant a cité. Dans cette décision, le Tribunal a accueilli la demande de récusation car la défenderesse avait réussi à prouver qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité compte tenu de plusieurs facteurs, notamment 1) le lien de proximité réelle entre la juge administrative et son fils qui était associé du cabinet qui représentait le syndicat dans les plaintes pour entrave aux activités syndicales et négociation de mauvaise foi, 2) la taille du syndicat que son fils représentait fréquemment, et 3) le fait que la décision à rendre par la juge administrative sur le fond pouvait entraîner un gain ou une perte pour le cabinet de son fils. Je suis convaincue que nous sommes loin de cette situation dans le présent cas.

[32] En ce qui concerne la demande de récusation devant moi, une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique ne pourrait conclure à une crainte raisonnable de partialité de ma part.

[33] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(l’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[34] La demande est rejetée.

[35] L’audience procédera comme prévu.

Le 20 décembre 2023.

Patricia H. Harewood,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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