Décisions de la CRTESPF

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Résumé :

Le 24 juillet 2019, la Fédération de la police nationale (FPN) a été accréditée en tant qu’agent négociateur de l’unité de négociation des membres réguliers et des réservistes de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) – alors que la demande d’accréditation de la FPN était toujours en instance devant la Commission, l’employeur a proposé que la Commission déclare 1 139 postes à titre de postes de direction ou de confiance, conformément aux alinéas 59(1)a), c), e) et g) de la Loi (les « dispositions d’exclusion ») – l’employeur a révisé le nombre de postes à 478 – la FPN s’est opposée au nombre révisé de postes et a soulevé une question constitutionnelle – elle a allégué que les dispositions d’exclusion violaient l’alinéa 2d) de la Charte et qu’elles ne sont pas justifiées en vertu de l’article 1 de la Charte – les parties ont demandé que la Commission tranche d’abord la question constitutionnelle avant de rendre toute décision en vertu de laquelle les postes proposés étaient des postes de direction ou de confiance – la Commission a accepté cette approche – la question à trancher était de savoir si la liberté d’association des employés occupant ces postes exclus avait été violée et, dans l’affirmative, si cette violation était justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte – dans son analyse, la Commission a donné un bref aperçu de l’historique des dispositions d’exclusion dans le secteur public fédéral et dans d’autres juridictions canadiennes – elle a aussi donné son interprétation des dispositions d’exclusion dans l’ère de la Charte – la Commission a conclu que les dispositions d’exclusion limitent la liberté d’association garantie en vertu de la Charte pour les employés occupant des postes exclus, ce qui n’est pas conforme aux valeurs sous jacentes à la Charte – la Commission s’est ensuite penchée sur la question de savoir si les dispositions d’exclusion sont justifiées en vertu de l’article 1 de la Charte et a conclu que la limitation à la liberté d’association créée par les dispositions d’exclusion est justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte – à ce titre, la Commission a déclaré que les dispositions d’exclusion étaient conformes à la Charte.
Déclaration faite.

Contenu de la décision

Date: 20231123

Dossier: 543‑02‑42416

 

Référence: 2023 CRTESPF 110

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

Conseil du Trésor

demandeur

 

et

 

Fédération de la police nationale

 

défenderesse

Répertorié

Conseil du Trésor c. Fédération de la police nationale

Affaire concernant une demande de déclaration qu’un poste est un poste de direction ou de confiance, prévue au paragraphe 59(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Ian R. Mackenzie, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le demandeur : Richard Fader et Marie‑France Boyer, avocats

Pour la défenderesse : Christopher Rootham et Adrienne Fanjoy, avocats

Affaire entendue à Ottawa (Ontario)

du 4 au 7 octobre et le 16 décembre 2021,

et par arguments écrits

déposés le 23 septembre, le 26 novembre et le 7 décembre 2021 et

les 18 et 24 mars et le 1er avril 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Demande devant la Commission

[1] La Fédération de la police nationale (FPN ou l’« agent négociateur ») a été accréditée à titre d’agent négociateur de l’unité de négociation des membres réguliers et des réservistes de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) le 24 juillet 2019. L’unité de négociation est composée de fonctionnaires occupant 20 221 postes inférieurs au grade d’inspecteur. Alors que la demande d’accréditation de la FPN était toujours en instance devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), le Conseil du Trésor du Canada (l’« employeur ») a proposé en mai 2017 que la Commission déclare 1 139 postes comme des « postes de direction ou de confiance », conformément aux alinéas 59(1)a), c), e) et g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). En 2021, l’employeur a révisé le nombre de postes devant être déclarés des postes de direction ou de confiance à 478; par conséquent, ces 478 postes proposés par l’employeur demeurent en litige entre les parties. La FPN s’oppose aux autres propositions et a soulevé une question constitutionnelle.

[2] Les fonctionnaires que la Commission a désignés comme occupant des postes « de direction ou de confiance » ne sont pas des fonctionnaires en vertu de la Loi. Par conséquent, les personnes occupant un poste « de direction ou de confiance » ne sont pas des fonctionnaires de l’unité de négociation. Ces postes sont communément appelés par les parties « postes exclus ». En conséquence, les parties qualifient ces dispositions de la Loi de « dispositions d’exclusion ».

[3] La FPN a allégué que les dispositions d’exclusion violent l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, adoptée comme annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.); la « Charte »).

[4] L’agent négociateur a présenté un « avis de question constitutionnelle » le 14 février 2020 qui a été signifié à tous les procureurs généraux du Canada. Aucun argument n’a été reçu de la part des procureurs généraux, autre que l’employeur. Dans un exposé détaillé, l’agent négociateur a par la suite précisé qu’il contestait les alinéas 59a), c), e) et g) de la Loi.

[5] Les parties ont demandé à la Commission de trancher d’abord la question constitutionnelle avant de rendre une décision quant à savoir quels des postes proposés sont des postes de direction ou de confiance. J’ai souscris à cette approche. Même si j’ai entendu certains témoignages au sujet des fonctions de certaines personnes occupant les postes proposés par l’employeur, je n’ai rendu aucune décision quant à savoir s’ils seront déclarés des postes de direction ou de confiance. Cette décision ne peut être prise qu’avec un dossier de preuve et des arguments complets. À ce stade de l’instance, il est impossible de déterminer si tous les 478 autres postes proposés par l’employeur à des fins d’exclusion seront déclarés par la Commission comme des postes de direction ou de confiance.

[6] En vertu de la Loi, les postes et non les fonctionnaires sont exclus de l’unité de négociation. C’est lorsqu’un employé occupe un poste de direction ou de confiance qu’il ne peut pas faire partie de l’unité de négociation et qu’il ne peut plus être représenté par un agent négociateur. Par conséquent, dans la présente décision, les renvois aux « fonctionnaires exclus » doivent être interprétés comme renvoyant aux fonctionnaires titulaires de postes que la Commission a déclaré être des postes de direction ou de confiance. Les titulaires des postes proposés aux fins d’une telle déclaration ne sont donc pas encore exclus de l’unité de négociation.

[7] Les parties ont préparé des arguments écrits détaillés et ont présenté des arguments oraux. Après la conclusion de l’audience, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision (Association des cadres de la Société des casinos du Québec c. Société des casinos du Québec, 2022 QCCA 180; appel en instance devant la Cour suprême du Canada « Société des casinos du Québec ») relativement à un appel d’une décision invoquée par l’agent négociateur dans ses arguments. J’ai demandé aux parties de présenter des arguments écrits sur Société des casinos du Québec et j’ai traité de ces arguments dans la section des motifs de la présente décision.

[8] Le 3 février 2023, Christopher Rootham, l’un des avocats de la FPN, a été nommé commissaire à temps plein à compter du 3 avril 2023. Lui et la présente formation de la Commission n’ont eu aucune discussion au sujet de la présente demande au‑delà des réunions de gestion des cas et de sa défense à l’audience à titre d’avocat, toutes les deux faites en présence des représentants du demandeur et qui ont toutes eu lieu avant sa nomination à la Commission.

II. Cadre législatif et constitutionnel

[9] La Loi énonce les exigences suivantes en matière d’exclusion d’une unité de négociation (les textes en caractères gras sont les parties de l’article qui, selon la FPN, sont contraires à la Charte) :

[]

59 (1) Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie ou la section 1 de la partie 2.1, l’employeur peut présenter une demande à la Commission pour qu’elle déclare, par ordonnance, que l’un ou l’autre des postes visés par la demande d’accréditation est un poste de direction ou de confiance pour le motif qu’il correspond à l’un des postes suivants :

59 (1) After being notified of an application for certification made in accordance with this Part or Division 1 of Part 2.1, the employer may apply to the Board for an order declaring that any position of an employee in the proposed bargaining unit is a managerial or confidential position on the grounds that

a) poste de confiance occupé auprès du gouverneur général, d’un ministre fédéral, d’un juge de la Cour suprême du Canada, de la Cour d’appel fédérale, de la Cour fédérale ou de la Cour canadienne de l’impôt, ou d’un administrateur général;

(a) the position is confidential to the Governor General, a Minister of the Crown, a judge of the Supreme Court of Canada, the Federal Court of Appeal, the Federal Court or the Tax Court of Canada, or a deputy head;

b) poste classé par l’employeur dans le groupe de la direction, quelle qu’en soit la dénomination;

(b) the position is classified by the employer as being in the executive group, by whatever name called;

c) poste dont le titulaire dispense des avis sur les relations de travail, la dotation en personnel ou la classification;

(c) the occupant of the position provides advice on labour relations, staffing or classification;

d) poste dont le titulaire a des attributions l’amenant à participer, dans une proportion notable, à l’élaboration d’orientations ou de programmes du gouvernement du Canada;

(d) the occupant of the position has substantial duties and responsibilities in the formulation and determination of any policy or program of the Government of Canada;

e) poste dont le titulaire exerce, dans une proportion notable, des attributions de gestion à l’égard de fonctionnaires ou des attributions l’amenant à s’occuper officiellement, pour le compte de l’employeur, de griefs présentés selon la procédure établie en application de la partie 2 ou de la section 2 de la partie 2.1;

e) the occupant of the position has substantial management duties, responsibilities and authority over employees or has duties and responsibilities dealing formally on behalf of the employer with grievances presented in accordance with the grievance process provided for under Part 2 or Division 2 of Part 2.1;

f) poste dont le titulaire participe directement aux négociations collectives pour le compte de l’employeur;

(f) the occupant of the position is directly involved in the process of collective bargaining on behalf of the employer;

g) poste dont le titulaire, bien que ses attributions ne soient pas mentionnées au présent paragraphe, ne doit pas faire partie d’une unité de négociation pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de ses fonctions auprès de l’employeur;

(g) the occupant of the position has duties and responsibilities not otherwise described in this subsection and should not be included in a bargaining unit for reasons of conflict of interest or by reason of the person’s duties and responsibilities to the employer; or

h) poste de confiance occupé, en matière de relations de travail, auprès des titulaires des postes visés aux alinéas b), c), d) et f).

(h) the occupant of the position has, in relation to labour relations matters, duties and responsibilities confidential to the occupant of a position described in paragraph (b), (c), (d) or (f).

[…]

[Je mets en évidence]

 

[10] L’article 186 de la Loi énonce les restrictions suivantes concernant les fonctionnaires exclus en vertu de l’article 59 :

186 (1) Il est interdit à l’employeur ainsi qu’au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, à l’officier, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, ou à la personne qui occupe un poste détenu par un tel officier, qu’ils agissent ou non pour le compte de l’employeur :

186 (1) No employer, and, whether or not they are acting on the employer’s behalf, no person who occupies a managerial or confidential position and no person who is an officer as defined in subsection 2(1) of the Royal Canadian Mounted Police Act or who occupies a position held by such an officer, shall

a) de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle‑ci;

(a) participate in or interfere with the formation or administration of an employee organization or the representation of employees by an employee organization; or

b) de faire des distinctions illicites à l’égard de toute organisation syndicale.

(b) discriminate against an employee organization.

 

[11] La FPN n’a pas contesté la constitutionnalité du paragraphe 186(1) de la Loi; toutefois, elle a soutenu que les dispositions d’exclusion font en sorte que l’application du paragraphe 186 est « trop large ».

[12] La Loi comprend également cette disposition d’interprétation, applicable à l’interprétation par la Commission des dispositions relatives aux officiers et aux réservistes de la GRC :

[]

238.05 Lorsqu’elle met en œuvre la présente loi et exerce les attributions que celle‑ci lui confère ou qu’implique la réalisation de ses objets […] la Commission doit, en ce qui touche les questions concernant les membres de la GRC et les réservistes, tenir compte, d’une part, du rôle unique de la Gendarmerie royale du Canada en tant qu’organisation policière à l’égard de la protection de la sécurité publique et de la sécurité nationale et, d’autre part, du besoin de celle‑ci de procéder à des mutations de ses membres et de ses réservistes lorsqu’elle l’estime indiqué.

238.05 In administering this Act and in exercising the powers and performing the duties and functions that are conferred or imposed on it by this Act … the Board must, in matters concerning RCMP members and reservists, take into account the unique role of the Royal Canadian Mounted Police as a police organization in protecting public safety and national security and its need to deploy its members and reservists as it sees fit.

[…]

 

[13] L’agent négociateur a invoqué l’alinéa 2d) de la Charte, qui énonce la liberté d’association. L’article 1 prévoit que la liberté d’association est limitée comme suit :

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

 

III. Résumé de la preuve

[14] Six témoins ont témoigné pour la FPN, et deux témoins ont témoigné pour l’employeur. Certains des témoins occupent des postes qui ont été proposés pour être déclarés postes de direction ou de confiance. J’ai tenu compte de leur témoignage uniquement aux fins de la question constitutionnelle et non de la décision ultime sur la question de savoir si les postes qu’ils occupent doivent être déclarés postes de direction ou de confiance.

A. Les origines des dispositions d’exclusion prévues à la Loi

[15] Dans l’élaboration du régime de négociation collective pour la fonction publique fédérale, le Report of the Preparatory Committee on Collective Bargaining in the Public Service de juillet 1965 (le « rapport Heeney ») traitait des exclusions comme suit (à la page 32) :

[Traduction]

Le Comité a toutefois rapidement conclu que le principe de base du « conflit d’intérêts », reconnu dans toutes les provinces et tous les territoires, devait s’appliquer dans la fonction publique. De l’avis du Comité, il est important pour toutes les personnes concernées que les personnes occupant des postes caractérisés par une part importante de responsabilité dans la gestion des fonctionnaires, ou par des travaux pouvant être considérés comme confidentiels à la direction, soient exclues des unités de négociation. Hormis d’autres considérations, il apparaît évident que, dans une relation de négociation, particulièrement dans l’administration des ententes et le traitement des griefs, les représentants des fonctionnaires doivent pouvoir traiter à tous les niveaux de l’organisation concernée avec des personnes prêtes à agir de façon responsable au nom de l’employeur.

 

B. Structure organisationnelle de la GRC

[16] Kent Lowe est un agent des relations de travail auprès de la FPN. Il a commencé à travailler à la GRC en 1997 et a pris sa retraite en février 2021 au grade d’inspecteur. Au moment de sa retraite, il occupait un poste de surintendant intérimaire. Il a témoigné au sujet de la structure générale de la GRC et des différents grades et de leurs rôles au sein de la GRC.

[17] La GRC compte 16 divisions. Chaque province et chaque territoire possède sa propre division. Il y a aussi des divisions pour la région de la capitale nationale, la Direction générale de la GRC et la formation. Chaque division est divisée en districts, qui sont des unités géographiques.

[18] La GRC fournit des services de police à huit provinces et territoires en vertu de contrats. Selon M. Lowe, ce rôle représente la grande majorité du travail de la GRC. L’autre rôle important de la GRC est celui des services de police fédéraux, concerne les services de police liés aux problèmes nationaux et transnationaux.

[19] La GRC compte des officiers brevetés (OB) et des sous‑officiers (s.‑off.). Les OB commencent au grade d’inspecteur et comprennent les grades de surintendant, de surintendant principal, de commissaire adjoint, sous‑commissaire et commissaire. Selon un graphique de population fourni par l’employeur, au 1er avril 2019, il y avait 600 OB à la GRC. Ils ne sont pas inclus dans l’unité de négociation. Ils ont organisé et formé un groupe appelé le Comité consultatif des officiers (CCO) pour promouvoir leurs intérêts collectifs concernant leurs conditions d’emploi. Ce groupe a rencontré l’État‑major supérieur de la GRC ainsi que l’employeur au sujet de leurs conditions d’emploi.

[20] Les s.‑off. comprennent les grades suivants : gendarme spécial (112), gendarme (11 913), caporal (3 599), sergent (2 049) et sergent d’état‑major (838). L’employeur n’a présenté aucune proposition visant à faire déclarer ces postes de direction ou de confiance dans les grades de gendarme spécial ou de gendarme.

[21] M. Lowe a témoigné que la distinction entre un sergent et un sergent d’état‑major est fondée sur les responsabilités globales du poste, y compris le nombre de membres du personnel qui sont supervisés, les pouvoirs financiers, les compétences spécialisées, la prise de décisions et le niveau de risque. M. Lowe a affirmé qu’un sergent supervise entre 5 et 12 gendarmes. Il a également témoigné qu’il y a très peu d’unités supervisées par des caporaux.

[22] M. Lowe a également témoigné que la GRC est une organisation paramilitaire. Il a expliqué que cela signifie que les officiers sont tenus de suivre les ordres si les ordres sont donnés par une personne de la même ligne hiérarchique. La seule exception, a‑t‑il déclaré, est dans une situation de type commandement et contrôle, dans laquelle l’officier supérieur désigné donne des ordres. M. Lowe a déclaré que la désobéissance à un ordre aurait notamment pour conséquence de donner des « directives » ou pourrait entraîner des mesures disciplinaires en vertu du Code de déontologie de la GRC.

[23] Il est proposé que les postes de conseiller en déontologie soient déclarés de direction ou de confiance par l’employeur. Le Manuel d’administration de la GRC énonce les responsabilités d’un conseiller en déontologie, y compris la formulation de recommandations et de directives en matière de règlement des problèmes et d’options, ainsi que des conseils liés aux mesures de déontologie visant à assurer la cohérence avec l’autorité disciplinaire.

[24] M. Lowe a témoigné que le poste de conseiller en déontologie est l’expert en la matière qui fournit une expertise à l’autorité disciplinaire. En contre‑interrogatoire, M. Lowe a convenu qu’il est juste de dire que la relation entre l’autorité disciplinaire et le conseiller en déontologie est une « relation ouverte ».

[25] Une condition d’emploi d’un membre de la GRC comprend l’obligation d’être prêt à être affecté n’importe où au Canada. M. Lowe a témoigné qu’il y a des postes de durée limitée de deux à trois ans et des affectations régulières de trois à cinq ans. Vers la fin d’une affectation, le membre participe à une discussion avec un conseiller en renouvellement et en perfectionnement professionnel (CRPP) portant sur sa prochaine affectation, en fonction de sa situation et de ses préférences personnelles. Il a témoigné qu’il est possible qu’un membre se voie ordonner de muter à un poste sans son consentement, mais que c’est rare. En contre‑interrogatoire, il a témoigné qu’il n’a jamais vu de mutation forcée et qu’il s’agit davantage d’une négociation entre un officier et le sergent d’état‑major responsable.

[26] M. Lowe a témoigné que les OB prennent les décisions concernant les promotions des officiers ainsi que la dotation des postes.

C. Le processus de déclaration et les droits des fonctionnaires exclus

[27] Les postes sont déclarés postes de direction ou de confiance, et non les fonctionnaires. En vertu de la Loi, la définition de « fonctionnaire » (sauf à la partie 2, qui porte sur les griefs) s’entend d’une « personne employée dans la fonction publique, à l’exclusion de toute personne […] i) occupant un poste de direction ou de confiance » (par. 2(1)).

[28] Tous les postes proposés par l’employeur à être déclarés de direction ou de confiance doivent être présentés à la Commission aux fins d’ordonnance. Si l’agent négociateur ne dépose aucune objection, la Commission doit rendre une ordonnance déclarant les postes comme des postes de direction ou de confiance (art. 75 de la Loi). Si l’agent négociateur s’oppose à la proposition, la Commission rendra une décision après avoir entendu les arguments des parties. Jusqu’à ce que la Commission rende une décision, le titulaire du poste proposé demeure dans l’unité de négociation et assujetti aux conditions d’emploi qui s’appliquent à tous les membres de l’unité de négociation. Au cours de la période entre le dépôt de la proposition d’exclusion et la décision de la Commission, un montant équivalent aux cotisations pour l’agent négociateur est retenu au moyen d’une retenue sur la paye. Selon le résultat de la proposition, ce montant est retourné au titulaire du poste déclaré de direction ou de confiance ou versé à l’agent négociateur.

[29] Mélanie Bilodeau est surintendante à la GRC. Elle est actuellement directrice au Collège canadien de police. Avant d’occuper ce poste, elle était directrice des relations de travail des membres. Au départ, l’employeur a proposé que 1 139 postes soient déclarés de direction ou de confiance. Par la suite, il a fourni une liste révisée de 478 postes. La surintendante Bilodeau a témoigné que le nombre de postes a été réduit après avoir reçu des conseils supplémentaires des conseillers du Conseil du Trésor. Elle a témoigné qu’il ne s’agissait pas d’un changement d’avis, mais simplement d’une meilleure compréhension par la GRC des critères pour les postes à déclarer de direction ou de confiance.

[30] Patrick Verner est directeur principal au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et est chargé de la rémunération et de la négociation collective pour la GRC et d’autres organisations. Il a témoigné que les conditions d’emploi des fonctionnaires occupant des postes exclus sont généralement celles négociées dans la convention collective pertinente. Il a témoigné que très peu de conditions d’emploi négociées ne sont pas étendues aux personnes occupant des postes exclus. Il a fait référence à la Directive sur les conditions d’emploi (en vigueur le 1er avril 2014), à la Directive sur les conditions d’emploi de certains groupes et niveaux exclus et non représentés (en vigueur le 1er avril 2020; la « directive sur les groupes exclus »), et à la Politique sur les conditions d’emploi (en vigueur le 1er avril 2009; la « politique ») du Conseil du Trésor.

[31] La directive sur les groupes exclus contient des annexes qui énoncent les conditions d’emploi particulières de plusieurs groupes. Le groupe RM ne figure pas dans une annexe, même si l’employeur a affirmé que les fonctionnaires occupant des postes exclus seraient traités de la même façon. La directive sur les groupes exclus prévoit que les conditions d’emploi sont énoncées dans les conventions collectives pertinentes et d’autres lois, et elles sont complétées par d’autres instruments de politique connexes. Les « conventions collectives pertinentes » désignent la convention collective de l’unité de négociation dans laquelle le poste de la personne est classifié ou serait classifié si son poste était déclaré ou non de direction ou de confiance.

[32] Toutes les annexes prévoient que les fonctionnaires exclus n’ont pas droit à une rémunération pour les heures supplémentaires, un rappel au travail, une disponibilité, un temps de déplacement, ni à une indemnité de rentrée au travail, à des primes de poste ou à « […] toute autre forme de rémunération qui dépend d’un nombre particulier d’heures travaillées par la personne durant une semaine de travail régulière ». Les fonctionnaires qui effectuent un nombre excessif d’heures supplémentaires ou qui sont tenus de travailler ou de voyager un jour de repos ou un jour férié peuvent se voir accorder un congé de direction par le gestionnaire responsable s’il le juge approprié.

[33] L’employeur a fourni un imprimé du 22 septembre 2021 d’une page Web interne contenant des questions et des réponses sur la GRC et les relations de travail. La GRC a fourni les renseignements suivants sur ce que signifie occuper un poste de direction ou de confiance :

[Traduction]

[…]

En tant que titulaire d’un poste exclu, toutes les dispositions de la convention collective pertinente, une fois négociées, concernant les heures de travail, les conditions de travail, les congés, les taux de rémunération, entre autres, continuent de s’appliquer. Toutefois, puisque votre poste ne fait pas partie d’une unité de négociation, vous :

· n’êtes pas assujettis aux retenues mensuelles de cotisations syndicales;

· ne pouvez pas participer aux votes de grève et aux votes de ratification;

· ne pouvez pas participer à une grève;

· ne pouvez pas vous porter candidat et/ou occuper un poste de direction auprès de l’unité de négociation;

· pouvez présenter un grief, mais vous n’avez pas droit à la représentation par l’agent négociation pendant la procédure de règlement des griefs.

[…]

 

[34] M. Verner a témoigné que certains groupes non représentés rencontrent régulièrement l’employeur. Il a fait référence à l’association pour les fonctionnaires de la catégorie de direction (EX), l’Association professionnelle des cadres supérieurs de la fonction publique du Canada (APEX). Il a témoigné que cette association défend ses membres et fait pression pour ceux‑ci et qu’elle rencontre régulièrement le Conseil du Trésor. Selon son témoignage, le mécanisme de consultation avec APEX a pour effet d’élaborer conjointement de nouvelles politiques qui s’appliquent aux fonctionnaires du groupe EX. Il a également fait référence au CCO pour les personnes qui occupent les postes de grade d’inspecteur ou supérieur à la GRC. Il a témoigné que le Conseil du Trésor rencontre régulièrement ce groupe et discute des conditions d’emploi, y compris la rémunération. Il a témoigné que l’employeur demeure ouvert à la rencontre avec d’autres fonctionnaires exclus.

[35] En contre‑interrogatoire, M. Verner a déclaré que les réunions avec le CCO sont ponctuelles et que le CCO n’est pas financé, à sa connaissance.

[36] La surintendante Bilodeau a témoigné que le temps moyen qu’un fonctionnaire consacrerait à un poste de direction ou de confiance est de 3,07 ans. Elle a témoigné que les personnes occupant des postes de conseillers exercent surtout des fonctions qui, dans la fonction publique, seraient exercées par les membres du groupe Gestion du personnel (PE), qui sont tous non‑représentés. Elle a témoigné que la GRC a tenté de limiter au minimum le nombre d’exclusions, en mettant l’accent sur le niveau de responsabilité le plus élevé. Elle a témoigné qu’il est important que ce travail soit fait par des membres de la GRC et non par des civils parce que les membres ont les antécédents opérationnels nécessaires pour fournir les meilleurs conseils à la direction.

D. Le rôle des représentants de la FPN et la résolution des conflits d’intérêts

[37] L’article 14 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (L.R.C. (1985), ch. R‑10) exige que chaque officier prête serment professionnel et du secret, comme suit :

Serment professionnel

Oath of Office

Je, , jure de bien et fidèlement m’acquitter des devoirs qui m’incombent en ma qualité de membre de la Gendarmerie royale du Canada et d’exécuter, sans craindre ni favoriser qui que ce soit, tous les ordres légitimes reçus à ce titre. Ainsi Dieu me soit en aide.

I, , solemnly swear that I will faithfully, diligently and impartially execute and perform the duties required of me as a member of the Royal Canadian Mounted Police, and will well and truly obey and perform all lawful orders and instructions that I receive as such, without fear, favour or affection of or toward any person. So help me God.

Serment du secret

Oath of Secrecy

Je, , jure de ne révéler ni communiquer à quiconque n’y a pas légitimement droit ce qui est parvenu à ma connaissance ou les renseignements que j’ai obtenus en raison de mon emploi dans la Gendarmerie royale du Canada. Ainsi Dieu me soit en aide.

I, , solemnly swear that I will not disclose or make known to any person not legally entitled thereto any knowledge or information obtained by me in the course of my employment with the Royal Canadian Mounted Police. So help me God.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[38] La surintendante Bilodeau a témoigné que tous les fonctionnaires de la fonction publique sont assujettis à une obligation de loyauté.

[39] Quatre des témoins de l’agent négociateur étaient des représentants de la région locale (RRL) et des membres de la GRC. Un témoin a affirmé que le rôle d’un RRL est le même que celui d’un délégué syndical. Un RRL est souvent le premier point de contact pour les membres de l’unité de négociation pour les questions ou préoccupations qui pourraient ou non donner lieu à des griefs ou à des plaintes.

[40] Le sergent d’état‑major Chris Voller est commandant de détachement par intérim à Quadra Island, en Colombie‑Britannique. Il est également un RRL. Il a témoigné qu’il n’avait pas été informé que le poste de chef de détachement devait être déclaré un poste de direction ou de confiance, même s’il était au courant de la proposition. Il a témoigné qu’il n’avait eu aucune discussion avec la direction au sujet de la proposition présentée au sujet de son poste. Il a déclaré qu’il n’y avait pas eu de changement dans ses fonctions de chef de détachement en raison de son rôle de RRL. Il a témoigné qu’en cas de conflit d’intérêts entre ses fonctions de chef de détachement et son rôle de RRL, il abandonnerait son rôle de RRL et un autre RRL serait affecté pour gérer la situation.

[41] En contre‑interrogatoire, le sergent d’état‑major Voller a convenu que son rôle en tant que RRL consiste à appuyer les autres membres de l’unité de négociation qui ont des questions liées à leurs conditions d’emploi. Il a témoigné que dans une enquête sur la conduite, son rôle consiste à conseiller l’agent et à assister à des réunions liées à l’enquête sur la conduite. Il a témoigné qu’il aidait parfois les membres, pour les guider dans la présentation de leur « meilleure preuve ».

[42] La surintendante Bilodeau a témoigné que le sergent d’état‑major Voller n’aurait pas reçu d’avis de la proposition de faire déclarer son poste de direction ou de confiance parce qu’il occupe un poste par intérim, et seuls ceux dont le poste d’attache était proposé aux fins d’une telle déclaration en ont été informés. Elle a témoigné qu’il s’agit d’une lacune dans le système de la GRC pour informer les titulaires qui est en voie de correction.

[43] Le sergent d’état‑major Trevor Ellis est un enquêteur principal du Groupe de la responsabilité professionnelle de la GRC. Son rôle consiste à diriger et à mener des enquêtes sur les allégations d’inconduite ou de criminalité découlant de plaintes du public concernant des membres et des employés de la GRC jusqu’au grade de sergent d’état‑major, inclusivement. Il est également un RRL en Saskatchewan.

[44] Le sergent d’état‑major Ellis a témoigné qu’il ne fournit aucune aide aux membres de l’unité de négociation qui communiquent avec lui au sujet des examens de conduite, des plaintes de harcèlement ou des plaintes du public. Il a témoigné qu’à son avis, cela irait à l’encontre de son rôle d’enquêteur principal. Il a également témoigné qu’il avait signé un engagement préparé par la FPN qui limite sa capacité de représenter les membres, comme suit :

[Traduction]

[…]

ET ATTENDU que la représentation fournie par la Fédération nationale de la police comprend, sans s’y limiter, l’aide aux membres accusés de violations du Code de déontologie et qui sont impliqués dans des plaintes publiques en vertu de la partie VI de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada;

LE SERGENT D’ÉTAT‑MAJOR CONVIENT DE CE QUI SUIT :

1. Je ne fournirai pas de conseils, de soutien ou de représentation à une personne au sein de l’unité de négociation représentée par la Fédération nationale de police (FPN) en ce qui concerne les sujets suivants :

a. le Code de déontologie de la GRC;

b. toute enquête en vertu de la loi;

c. toute enquête en matière d’enquête ou de plainte de harcèlement;

d. toute plainte publique.

2. Je me récuserai de toute discussion avec les membres des conseils régionaux ou nationaux au sujet des stratégies de la FPN pour représenter les membres dans les sujets énoncés au paragraphe 1 du présent engagement.

3. Je n’accéderai pas aux documents ou aux autres renseignements fournis par les membres à la FPN concernant les sujets énoncés au paragraphe 1 du présent engagement. Si j’obtiens par inadvertance des renseignements ou des documents d’un membre de la FPN concernant les sujets énoncés au paragraphe 1 du présent engagement, je ferai immédiatement part au président de la FPN de cette divulgation et je coopérerai avec les mesures nécessaires pour que les membres de la FPN ne subissent aucun préjudice en raison de cette divulgation par inadvertance.

4. Le présent engagement ne porte pas atteinte à mes fonctions et à mes obligations envers les FPN en ma qualité de représentant local ni ne les limite.

[…]

 

[45] Le sergent d’état‑major Ellis a témoigné que rien n’a changé dans ses fonctions et ses responsabilités après que son poste ait été proposé être déclaré de direction ou de confiance.

[46] J’ai également entendu le témoignage de deux titulaires de postes proposés comme étant des postes de direction ou de confiance, qui sont des gendarmes et qui occupent des postes de CRPP, à savoir Patrick Flannery et Shelly Jacobsen. Ils sont également deux RRL pour la FPN. Le rôle de CRPP englobe les responsabilités suivantes :

[Traduction]

[…]

1. fournir des conseils en matière de planification de carrière aux fonctionnaires,

2. identifier et perfectionner les fonctionnaires afin de répondre aux besoins actuels et futurs en matière de ressources humaines;

3. promouvoir et conseiller les fonctionnaires à devenir des apprenants continus;

4. mettre en œuvre et coordonner les processus de transfert et de promotion régionaux;

5. mettre en œuvre et coordonner le Programme de gestion des ressources humaines dans le cadre du modèle fondé sur les compétences;

6. collaborer avec des spécialistes et des gestionnaires de l’apprentissage pour répondre aux besoins en compétences afin de répondre aux besoins des différents programmes et services.

[…]

 

[47] Le gendarme Flannery est un CRPP depuis 2018. Il a témoigné que le rôle d’un CRPP consiste à examiner les compétences d’un poste et à sélectionner les membres de la GRC disponibles pour ces compétences. Il présenterait ensuite une courte liste et la fournirait à l’inspecteur aux fins de décision. S’il y a une promotion dans la dotation du poste, une demande serait acheminée à l’unité de promotion aux fins de détermination. Il a témoigné qu’il pouvait faire une recommandation à l’égard de la personne à nommer, mais qu’il ne prendrait aucune décision concernant la dotation d’un poste. En contre‑interrogatoire, il a convenu que, dans certains cas, il aurait une discussion « complète et franche » avec un membre au sujet d’une mutation latérale. Il a témoigné qu’un agent pouvait déposer un grief pour contester une mutation latérale ou une exclusion d’une mutation éventuelle.

[48] Le gendarme Flannery a témoigné qu’il savait que son poste était proposé à des fins d’exclusion, et qu’il en avait discuté avec son superviseur. Il a témoigné qu’il n’avait pas été informé des conséquences d’occuper un poste exclu. Il a témoigné que son rôle d’agent de la GRC l’emporte sur son rôle de RRL. Il a déclaré que s’il reçoit une demande d’un membre de la GRC au sujet de la dotation dans son rôle de RRL, il fournit des renseignements sur la politique de dotation, mais il ne prodigue pas de conseils au sujet de sa situation particulière.

[49] La gendarme Jacobsen a commencé en tant que CRPP en 2020. Elle a également témoigné qu’elle n’avait aucun rôle décisionnel en matière de dotation et que son rôle consiste à s’assurer que le processus est équitable et que les règles ont été respectées. Elle a témoigné qu’elle avait appris de ses collègues que son poste était proposé pour être déclaré de direction ou de confiance seulement après son entrée en fonction. Elle a témoigné que lorsqu’elle a dit à son gestionnaire qu’elle était une RRL, il lui a demandé de ne pas aider les membres de la GRC en ce qui concerne la dotation dans le cadre de ce rôle. Elle a affirmé qu’elle réglait tout conflit possible en orientant immédiatement les membres vers un autre représentant pour obtenir de l’aide en matière de dotation. Elle a témoigné que la direction n’avait exprimé aucune préoccupation au sujet de cette approche. Elle a également témoigné qu’il n’y avait eu aucun changement dans ses fonctions en raison de son rôle de RRL.

[50] La gendarme Jacobsen a témoigné qu’elle n’aurait pas occupé le poste de conseillère si elle avait su qu’il pourrait être exclu. En contre‑interrogatoire, on lui a proposé qu’il serait facile d’obtenir un autre poste à la GRC. Elle a convenu que cela est théoriquement possible, mais elle a des limitations et des restrictions en raison de son besoin de travailler de jour.

[51] La surintendante Bilodeau a témoigné que la GRC serait ouverte à des discussions avec les agents occupant des postes déclarés de direction ou de confiance au sujet des mutations à des postes non de direction ou de confiance, en fonction de chaque cas. Elle a témoigné que le fait d’occuper un poste exclu n’est pas une exigence en matière d’avancement professionnel.

[52] La surintendante Bilodeau a témoigné que la GRC gérait le conflit d’intérêts des personnes qui occupaient les postes exclus proposés jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise concernant ces postes. Elle a témoigné que cette méthode n’est pas viable à long terme.

E. Autres organisations policières au Canada

[53] Tom Stamatakis est le président de l’Association canadienne des policiers (ACP) et il occupe ce rôle depuis 2011. Il a travaillé pendant 31 ans comme policier à Vancouver, en Colombie‑Britannique. L’APC est une organisation nationale d’associations policières (agents négociateurs pour les policiers) et un groupe de défense de leurs intérêts.

[54] M. Stamatakis a témoigné au sujet de l’organisation générale des services de police partout au pays. Il a déclaré qu’il connaissait bien la GRC, mais qu’il n’avait pas une connaissance intime de son organisation.

[55] Il a témoigné qu’il n’était au courant d’aucune organisation policière au Canada, autre que la GRC, qui a exclu les s.‑off. de la négociation collective. Il n’était au courant d’aucune organisation policière qui exclurait des personnes de grade inférieur au grade d’inspecteur. Il a déclaré que les inspecteurs sont exclus des associations policières, mais qu’ils font souvent partie d’une unité de négociation distincte.

[56] M. Stamatakis a témoigné que la structure hiérarchique de la GRC est semblable à celle d’autres organisations policières, mais qu’il y a des différences. Certaines organisations policières ne comptent aucun poste de caporal ou de sergent d’état‑major. D’autres provinces ou territoires ont tous les mêmes grades, et certains peuvent avoir des grades supplémentaires. Les fonctions d’un inspecteur sont généralement les mêmes dans toutes les provinces et tous les territoires. Il a témoigné qu’un inspecteur est le premier niveau de cadre supérieur et qu’un inspecteur aurait un certain nombre de personnes relevant de son contrôle ou de son commandement.

[57] M. Stamatakis a témoigné que les organisations policières gèrent les conflits d’intérêts de leurs membres en prêtant un serment professionnel et en s’engageant à protéger le public et à ne pas divulguer de renseignements confidentiels. De plus, des lois ont été adoptées qui traitent des codes de déontologie et de la divulgation de renseignements. Il a également témoigné qu’à titre de représentant syndical, s’il devait aider un autre agent, il devrait signer une entente stipulant qu’il ne doit pas divulguer de renseignements. Il a témoigné que ces ententes de non‑divulgation sont généralement des ententes individuelles et ne sont pas négociées collectivement.

[58] M. Stamatakis a témoigné qu’en général, l’enquête sur les questions disciplinaires est menée par des membres de l’unité de négociation. Il a affirmé que les conflits ou les déséquilibres des forces sont gérés en s’assurant que toute personne menant une enquête n’a pas de relation personnelle avec la personne faisant l’objet de l’enquête, qui est traitée par des politiques internes.

[59] Il a témoigné qu’aucun employeur de services de police n’a jamais tenté d’exclure les s.‑off. d’une unité de négociation. Il a également témoigné que les représentants syndicaux élus sont souvent des policiers à temps plein. Il a déclaré qu’il enquêtait régulièrement sur d’autres agents lorsqu’il était un représentant syndical élu. En contre‑interrogatoire, il a convenu qu’un représentant syndical ne serait pas affecté à un rôle qui comprend l’enquête sur un agent concernant les normes professionnelles.

[60] Harold Coffin est un agent des relations de travail au sein de la FPN et il occupe ce rôle depuis 2021. Il était auparavant policier de la Police provinciale de l’Ontario (PPO). Il a également siégé pendant trois ans au conseil d’administration de l’Association de la PPO, soit l’agent négociateur des policiers de la PPO. Il a témoigné au sujet de la structure de la PPO, qui comporte les grades suivants : gendarme, sergent, sergent‑major, sergent d’état‑major, inspecteur, surintendant, surintendant principal, sous‑commissaire et commissaire. Il a témoigné que les personnes occupant des postes d’inspecteur et des postes supérieurs sont exclues de la négociation collective et qu’aucun s.‑off. n’est exclu de l’unité de négociation.

[61] M. Coffin a témoigné que les agents chargés des questions disciplinaires [traduction] « savaient ce qu’ils étaient autorisés à dire et ce qu’ils ne devaient pas dire ». Il a également témoigné que les agents menant des enquêtes n’étaient pas autorisés à représenter un membre de l’unité de négociation.

[62] La surintendante Bilodeau a témoigné que la méthode de classement hiérarchique de la GRC est différente de celle des autres services de police. Elle a déclaré qu’il existe des similitudes entre les différents services de police du pays, mais que l’éventail complet des grades de la GRC est unique. Elle a également fait remarquer que d’autres services de police n’ont peut‑être pas les mêmes responsabilités que la GRC. Elle a témoigné que la GRC a examiné d’autres services de police avant de proposer des exclusions, notamment la Sûreté du Québec (police provinciale du Québec), la Police provinciale de l’Ontario et les services de police d’Ottawa et de Toronto, en Ontario. Elle a témoigné que d’autres services de police ont peut‑être été examinés. Elle a témoigné que la GRC a appris que ces services de police n’ont pas d’exclusions, mais que bon nombre d’entre eux ont quelque chose de semblable à une unité des relations de travail qui a été exclue de l’unité de négociation.

IV. Argumentation

[63] Les parties ont présenté des arguments écrits et oraux. Je les ai résumés dans la section qui suit.

A. Pour la FPN

[64] La FPN a soutenu que les dispositions d’exclusion violent l’alinéa 2d) de la Charte de deux façons : elles interdisent aux employés occupant des postes exclus de se joindre à une organisation syndicale et elles empêchent ces employés d’exercer le droit de participer à des négociations collectives.

[65] La FPN a invoqué l’approche de la liberté d’association dans Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, lorsqu’elle a présenté l’argument suivant :

[Traduction]

[…]

a) Les activités pour lesquelles les demandeurs demandent une protection relèvent-elles de la portée de la liberté d’expression?

b) Dans l’affirmative, la loi contestée porte‑t‑elle atteinte à ces libertés protégées par son objet ou son effet?

c) L’État est‑il responsable de l’ingérence?

[…]

 

[66] La FPN m’a également renvoyé à la jurisprudence antérieure de la Cour suprême du Canada sur la liberté d’association (voir Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 RCS 313; AFPC c. Canada, [1987] 1 RCS 424; SDGMR c. Saskatchewan, [1987] 1 RCS 460; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Territoires du Nord‑Ouest (Commissaire), [1990] 2 RCS 367). Elle m’a également renvoyé à la décision de la Cour dans Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27 (« BC Health Services »).

[67] La FPN m’a renvoyé à la trilogie de Meredith c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 2; Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1 (« APMO »). Elle a soutenu que la décision rendue dans APMO est la décision la plus importante pour les questions dans le présent cas.

[68] Dans APMO, la majorité de la Cour suprême du Canada a conclu que la structure des relations de travail qui existait alors à la GRC violait l’alinéa 2d) de la Charte, invalidant ainsi l’interdiction de négociation collective pour les membres de la GRC. La Cour a ensuite résumé les trois catégories d’activités protégées par l’al. 2 d), comme suit :

[…]

[…] (1) le droit de s’unir à d’autres et de constituer des associations; (2) le droit de s’unir à d’autres pour exercer d’autres droits constitutionnels; et (3) le droit de s’unir à d’autres pour faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force d’autres groupes ou entités.

[…]

 

[69] La FPN a fait remarquer que la Cour suprême du Canada a également précisé que le seuil de violation de l’alinéa 2d) est une « entrave substantielle » dans le processus de négociation collective. La Cour a également précisé que le but de ce droit est d’atténuer le déséquilibre des forces entre les employés et les employeurs.

[70] La FPN a souligné que l’employeur avait laissé entendre que la décision APMO avait déclaré que le modèle fondé sur la loi Wagner, nommé après la loi américaine intitulée National Labor Relations Act of 1935 (ch. 372, 49 Stat. 449 (1935)), était constitutionnel. La FPN a soutenu que la Cour suprême du Canada n’avait pas laissé entendre que le fait de fonder une loi du travail sur le modèle fondé sur la loi Wagner rendait automatiquement cette loi constitutionnelle. Elle a fait valoir que chaque variation du modèle fondé sur la loi Wagner doit être évaluée selon ses propres modalités.

[71] La FPN a soutenu que, dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 24 (« CT c. AFPC 2021 »), la Commission a décidé que les dispositions d’exclusion contreviennent à l’alinéa 2d) de la Charte. Dans cette décision, la Commission a appliqué l’approche énoncée par la Cour suprême du Canada dans Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, pour les décisions administratives ou discrétionnaires portant atteinte aux droits garantis par la Charte. La FPN a soutenu qu’en appliquant cette approche, la Commission a reconnu que les dispositions d’exclusion violaient l’alinéa 2d) de la Charte énonce que chaque cas doit être tranché en fonction de ses propres faits, « […] de façon à empiéter de la manière la moins intrusive sur les droits découlant de la Charte de chaque employé du groupe désigné » (au paragraphe 82). La FPN a affirmé que même si la Commission n’avait pas pris en compte l’article premier de la Charte, la décision devrait trancher entièrement la question constitutionnelle dans le présent cas. (Après l’audition de la présente question, la Cour d’appel fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire (2022 CAF 204), mais elle n’a pas abordé le fait que la Commission s’était fondée sur la Charte).

[72] La FPN m’a renvoyé à la décision rendue dans Hutton v. Ontario (Attorney General) (1987), 62 O.R. (2e) 676, dans laquelle la Cour supérieure de justice de l’Ontario a invalidé une loi qui interdisait aux policiers de la Police provinciale de l’Ontario titulaires de grades supérieurs à ceux de sergent d’état‑major de participer à la négociation collective au motif que l’interdiction était contraire à la Charte et qu’elle n’était pas justifiée au regard de son article premier.

[73] La FPN m’a également renvoyé à deux décisions du Tribunal administratif du travail du Québec (le « Tribunal ») concernant les exclusions de gestion en vertu du régime québécois des relations de travail (voir Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro‑Québec (APCPNHQ) c. Hydro‑Québec, 2016 QCTAT 6871, et Association des cadres de la Société des casinos du Québec c. Société des casinos du Québec inc., 2016 QCTAT 6870). La Cour d’appel du Québec a par la suite rendu la décision dans Société des casinos du Québec.

[74] La FPN a fait remarquer que la Cour d’appel du Québec a conclu que le modèle fondé sur la loi Wagner n’exige pas que les gestionnaires soient exclus. La FPN a soutenu que la Cour a également affirmé que l’alinéa 2d) de la Charte devrait être interprété en tenant compte des instruments relatifs aux droits de la personne internationaux, y compris les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT). Elle a fait remarquer que la Cour a également reconnu que les associations volontaires, semblables à l’association des OB, ne suffisent pas à satisfaire aux exigences de la liberté d’association. La FPN a affirmé que la Cour a également conclu que l’incapacité des gestionnaires d’avoir accès à des tribunaux du travail indépendants pour exercer de façon significative leur droit de négocier collectivement de bonne foi viole également leur liberté d’association.

[75] La FPN a également fait remarquer que la Cour avait affirmé que la violation de la liberté d’association n’était pas justifiée par l’article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (C‑12; la « Charte québécoise »), qui comporte la même analyse que l’art. 1 de la Charte. Elle a fait observer que la Cour avait conclu que les exclusions de postes de direction ne portent pas le moins possible atteinte à la liberté d’association parce que d’autres lois sur les relations de travail n’excluent pas les gestionnaires, démontrant ainsi qu’il existe d’autres moyens de régler les conflits d’intérêts. La FPN a soutenu que la Commission devrait également conclure que l’existence de ces autres lois sur les relations de travail est suffisante pour établir que les dispositions d’exclusion de la Loi ne constituent pas une atteinte minimale.

[76] La FPN m’a également renvoyé à Board of Education of School District No. 5 (Southeast Kootenay) v. Southeast Kootenay Principals’ and Vice‑Principals’ Association, 2021 BCLRB 82 (« Southeast Kootenay »), dans laquelle la British Columbia Labour Relations Board (BCLRB) a traité une contestation constitutionnelle par un groupe de directeurs d’école et directeurs d’école adjoints d’une disposition législative qui les excluaient de la négociation collective. La FPN a fait remarquer que, puisque la BCLRB a décidé de ne pas trancher la question constitutionnelle, cette décision est d’une aide limitée. La FPN a fait valoir qu’il convient de noter que le régime législatif de la Colombie‑Britannique ne contient aucune définition ou catégorie d’employés-cadres, contrairement à ce qui est prévu par la Loi.

[77] La FPN a fait remarquer que la Loi interdit aux employés-cadres exclus de se joindre à la FPN (ou à toute autre organisation syndicale). La FPN a fait valoir que selon l’effet combiné de la définition de « fonctionnaire », des dispositions d’exclusion et de l’alinéa 186(1)a) de la Loi, les fonctionnaires qui occupent des postes de direction ou de confiance ne peuvent pas « participer » à une organisation syndicale, y compris devenir membres de la FPN. La FPN a soutenu qu’il s’agit, d’après les termes utilisés dans APMO, d’un cas de [traduction] « négation complète » de la liberté d’association.

[78] La FPN a soutenu que, dans APMO, la Cour a décidé que l’exclusion totale d’une catégorie de travailleurs d’un régime de négociation collective constitue une entrave substantielle au droit constitutionnel de ces travailleurs de participer à des négociations collectives. La FPN a fait remarquer que M. Verner était d’accord pour dire que l’objet d’une réunion avec les fonctionnaires exclus serait d’entendre les préoccupations des intervenants et ne constituerait pas une négociation collective.

[79] La FPN a soutenu que les dispositions d’exclusion avaient été adoptées en vue de priver ces fonctionnaires exclus de leur droit à la négociation collective. Comme il est expliqué dans le rapport Heeney, il s’agissait également d’un choix délibéré parmi les modèles concurrents moins restrictifs possibles.

[80] La FPN a fait valoir que les dispositions d’exclusion entravent substantiellement au droit des membres touchés de la GRC d’exercer leur droit de négocier collectivement, tant par leur objet que par leur effet.

[81] La FPN a soutenu que les dispositions d’exclusion ne sont pas justifiées au regard de l’article 1 de la Charte. Elle a fait remarquer que l’employeur avait déclaré que l’objet des exclusions est de maintenir la séparation entre la direction et les fonctionnaires dans le cadre d’un modèle contradictoire de négociation collective. La FPN a soutenu que ni cette séparation ni un modèle contradictoire de négociation collective ne constituent un objectif urgent et réel justifiant une violation de la Charte. La FPN a fait valoir que les dispositions d’exclusion n’ont pas de lien rationnel avec cet objet, car elles excluent les fonctionnaires pour des raisons qui ne sont pas liées au modèle contradictoire de la négociation collective, contrairement à d’autres dispositions de la Loi qui ne sont pas en litige dans la présente demande.

[82] La FPN a soutenu que les dispositions d’exclusion ne constituent pas non plus une atteinte minimale. Elle a déclaré qu’aucun élément de preuve n’indique que le gouvernement fédéral a envisagé des moyens moins intrusifs au moment de la rédaction des dispositions d’exclusion; il n’y a eu aucune exclusion depuis plus de deux ans depuis l’accréditation de la FPN. Aucun élément de preuve présenté n’indique un préjudice à l’employeur et les dispositions d’exclusion ne sont pas compatibles avec le traitement des policiers partout au Canada et dans d’autres pays, où les policiers de grade inférieur au grade d’inspecteur ne sont jamais exclus.

[83] La FPN a également soutenu que l’employeur n’a présenté aucun élément de preuve concernant les avantages des dispositions d’exclusion, encore moins des éléments de preuve qui l’emporteraient sur le préjudice causé par la privation de la liberté d’association et du droit de négocier collectivement de certains membres de la GRC.

[84] La FPN a soutenu qu’il n’y a aucun lien rationnel entre l’objectif urgent et réel et les dispositions d’exclusion (à l’exception d’un élément de l’alinéa 59(1)c) – la prestation de conseils en matière de relations de travail). Elle a souligné que l’alinéa 59(1)a) n’a rien à voir avec la négociation collective, car la négociation collective relève toujours de la compétence exclusive du Conseil du Trésor : aucun des fonctionnaires énumérés à l’alinéa 59(1)a) n’a de rôle à jouer dans la négociation collective. La FPN a allégué que les administrateurs généraux ne jouent aucun rôle dans la négociation collective, à moins qu’il n’y ait une négociation à deux niveaux, ce qui ne s’est jamais produit – leur rôle se limite à la consultation. La FPN a soutenu que le seul lien rationnel prévu à l’alinéa 59(1)c) est celui des relations de travail, car la dotation et la classification ne sont pas liées à la négociation collective. Elle a également soutenu que les alinéas 59(1)e) et g) n’ont rien à voir avec la négociation collective.

[85] La FPN a fait valoir que l’employeur s’est appuyé sur l’objectif urgent et réel des dispositions d’exclusion pour assurer un système contradictoire de négociation collective et qu’il ne s’est pas appuyé sur la notion plus large de « conflit d’intérêts ». La FPN a soutenu que si l’employeur l’avait fait, la décision dans Société des casinos du Québec orienterait la décision de la Commission. La FPN a souligné que, dans ce cas, il avait été décidé que tous les employés ont une obligation de loyauté envers leur employeur, peu importe leur niveau de responsabilité au sein de l’organisation; par conséquent, la restriction concernant la négociation collective n’avait pas de lien rationnel avec un conflit d’intérêts.

[86] La FPN a soutenu que les dispositions d’exclusion ne portent pas le moins possible atteinte à la liberté d’association, comme le souligne le fait que les personnes dont l’exclusion est proposée font partie de l’unité de négociation depuis des années, sans qu’il y ait d’élément de preuve indiquant que cela a porté atteinte aux intérêts de l’employeur. La FPN a souligné que les parties ont réussi à négocier une convention collective malgré le fait que les titulaires des postes dont l’exclusion est proposée font toujours partie de l’unité de négociation. La FPN a déclaré que cela s’explique en partie par l’approche de bon sens adoptée pour gérer les conflits d’intérêts et en partie par la nature hiérarchique des services de police.

[87] La FPN a soutenu que les exclusions visant les membres de la GRC sont plus étendues qu’ailleurs dans le secteur public fédéral et que rien ne l’explique. De plus, elle a fait remarquer que l’exclusion des s.‑off. est incompatible avec l’approche adoptée dans toutes les autres provinces et tous les territoires au Canada, ainsi que dans d’autres pays et en vertu du droit international, et ne constitue pas une atteinte minimale.

[88] La FPN a soutenu que, pour déterminer le degré de retenue dont le législateur doit faire preuve dans une analyse fondée sur l’article premier de la Charte, les tribunaux ont traditionnellement tenu compte de quatre facteurs (voir Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 RCS 877) : la nature du préjudice, la vulnérabilité du groupe protégé, toute crainte de préjudice et les mesures d’amélioration envisagées, et la nature de l’activité touchée. La FPN a soutenu que ces facteurs ne permettent pas d’établir la nécessité d’adopter une approche de retenue dans le présent cas. Elle a soutenu que l’objectif urgent et réel vise à favoriser les intérêts du gouvernement en tant qu’employeur. La FPN a affirmé qu’il existe un déséquilibre manifeste des forces en faveur des employeurs qui est amplifié lorsque cet employeur est également le gouvernement.

[89] La FPN a également fait remarquer que l’employeur n’a présenté aucun élément de preuve selon lequel des mesures d’amélioration des dispositions d’exclusion ont été envisagées, contrairement à d’autres affaires portant sur la liberté d’association, dans lesquelles il y avait de nombreux éléments de preuve selon lesquels le gouvernement avait envisagé des solutions de rechange et avait même consulté les parties concernées au sujet des solutions de rechange.

[90] La FPN a fait valoir que l’activité qui fait l’objet d’une restriction (l’appartenance à une association et, en fin de compte, la négociation collective) est une activité extraordinairement avantageuse et que la restriction de ce droit devrait être un dernier recours.

[91] La FPN a fait remarquer que l’employeur n’a présenté aucun élément de preuve concernant un préjudice découlant de la situation actuelle des personnes dont l’exclusion est proposée et qui font toujours partie de l’unité de négociation. Compte tenu de ce qui précède, la FPN a fait valoir qu’il est clair que les exclusions ne sont pas nécessaires dans ce milieu de travail.

[92] La FPN a soutenu que, dans APMO, la Cour a décidé qu’il n’existait aucune différence substantielle entre la GRC et les autres forces policières au Canada. Elle a fait valoir que, même s’il ne s’agissait pas d’un précédent exécutoire à cet égard, l’employeur n’a fourni aucun élément de preuve pour établir une différence substantielle qui est pertinente à la question dont la Commission est saisie.

[93] La FPN a souligné que les dispositions d’exclusion ne font pas partie intégrante du modèle fondé sur la loi Wagner. La loi Wagner initiale de 1935 autorisait tous les employés à se syndiquer; ce n’est qu’après l’adoption par la législature fédérale américaine de la Labor Management Relations Act (ch. 120, 61 Stat. 136 (1947)) en 1947 (communément appelée la « Taft‑Hartley Act ») que les « superviseurs » ont été exclus de la négociation collective.

[94] La FPN a également fait valoir que les dispositions d’exclusion ne constituent pas une fonction standard dans d’autres provinces et territoires canadiens et qu’elles excluent en fait un plus grand nombre d’employés que ce ne serait le cas dans d’autres provinces ou territoires.

[95] La FPN a noté que l’OIT avait estimé que cela n’était pas nécessairement incompatible avec sa « convention no 87 » (qui garantit la liberté d’association) de nier aux employés-cadres ou superviseurs le droit d’appartenir au même syndicat que les autres travailleurs, à deux conditions : ces travailleurs doivent avoir le droit de constituer leurs propres associations pour la défense de leurs intérêts et les catégories de personnel ne doivent pas être définies d’une manière si large que les organisations des autres travailleurs s’en trouveraient affaiblies (OIT, Liberté syndicale – Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, 6 éd., au par. 369; voir aussi les par. 370 et 371).

[96] La FPN a également fait remarquer que l’OIT avait conclu que la négociation collective doit être autorisée pour tous les fonctionnaires et que seuls ceux « exerçant de hautes responsabilités de direction ou de définition des politiques » peuvent être empêchés de se joindre aux syndicats professionnels avec d’autres travailleurs (même s’ils doivent avoir le droit de constituer leurs propres syndicats professionnels). La FPN a soutenu que le non‑respect des dispositions d’exclusions avec la convention de l’OIT permet d’établir que les dispositions contreviennent à l’alinéa 2d) de la Charte et que cette violation ne constitue pas une atteinte minimale.

[97] La FPN a fait valoir que l’un des effets préjudiciables des dispositions d’exclusion est l’incidence sur les membres de la GRC qui sont mutés à des postes exclus et de ces postes exclus. La FPN a affirmé que les éléments de preuve ont permis d’établir que les membres de la GRC sont mutés beaucoup plus souvent que les autres fonctionnaires du secteur public fédéral, ce qui a perturbé la carrière des s.‑off.

[98] La FPN a fait valoir que l’effet préjudiciable le plus important des dispositions d’exclusion est de priver les membres de la GRC des avantages de la négociation collective et de l’association avec un syndicat. La FPN a fait valoir que l’effet préjudiciable des dispositions d’exclusion ressort clairement du témoignage de Mme Jacobsen; si elle avait su qu’il lui serait interdit de se joindre à la FPN, elle n’aurait jamais accepté son emploi actuel. La FPN a fait valoir qu’elle préférerait nuire à ses perspectives de carrière plutôt que de se retrouver sans syndicat pour la protéger (comme elle l’a décrit) de [traduction] « toutes les choses négatives que la GRC a à offrir ».

[99] La FPN a demandé à la Commission de rendre une ordonnance rejetant la demande de l’employeur d’exclure des postes de l’unité de négociation en vertu des dispositions d’exclusion. La FPN a également déclaré que cette contestation constitutionnelle ne vise que les membres de l’unité de négociation du groupe RM visés par les dispositions d’exclusion. Elle a soutenu qu’une décision de la Commission concluant à l’invalidité des dispositions d’exclusion ne s’appliquerait qu’à ses membres et n’invaliderait pas les exclusions existantes; elle n’aurait pas non plus d’incidence sur l’application du paragraphe 59(1) de la Loi aux autres unités de négociation.

B. Pour l’employeur

[100] L’employeur a fait remarquer qu’à ce stade, la Commission ne se prononce pas sur le bien-fondé des propositions d’exclusion; chaque motif énoncé à l’article 59 de la Loi comporte un critère juridique bien établi qui doit être respecté pour qu’une exclusion soit accordée par la Commission. L’employeur n’était pas d’accord avec la FPN pour dire que les exclusions ne sont pas nécessaires parce que les sergents et les sergents d’état‑major n’ont pas le pouvoir de faire ce qui serait traditionnellement considéré comme faisant partie de l’équipe de gestion ou comme participant à des questions de ressources humaines. Toutefois, l’employeur a soutenu que si la FPN avait raison, les postes ne satisferaient pas aux critères législatifs d’exclusion tels qu’ils ont été tranchés par la Commission et continueraient de faire partie de l’unité de négociation.

[101] L’employeur a soutenu que, dans APMO, la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur la question ultime dans le présent cas. Il a fait valoir que la Cour est parvenue aux conclusions pertinentes suivantes :

· L’alinéa 2d) de la Charte n’exige pas un régime particulier de négociation collective, et sa conclusion « […] ne signifie pas que le législateur doit inclure la GRC dans le régime de la LRTFP actuelle » (au par. 137).

· La Loi est un modèle de négociation collective de la loi Wagner qui satisfait aux exigences de l’alinéa 2d) (aux par. 90, 94, 123 et 134).

· Le modèle de négociation collective fondé sur la loi Wagner impose certaines restrictions aux droits des individus afin de réaliser des objectifs communs, tels que la majorité et l’exclusivité, qui sont compatibles avec l’alinéa 2d) (au par. 98).

· Le modèle fondé sur la loi Wagner exige, et l’alinéa 2d) prévoit, une séparation entre la direction et les fonctionnaires (aux par. 5, 25, 72, 80, 82, 88, 89, 92, 99, 106, 111 à 113, 115 et 119).

· Le modèle fondé sur la loi Wagner « […] permet à un secteur d’employés suffisamment important de choisir de s’associer […] » sous la supervision d’une commission indépendante des relations de travail (au par. 94).

· Le processus d’exclusion prévu par la Loi est une partie légitime du système, et la Cour a ajouté ce qui suit (au par. 152) :


[…]
les préoccupations quant à l’indépendance des membres de la Gendarmerie pourraient facilement être examinées au moment de déterminer l’étendue de l’unité de négociation — sans qu’une exclusion totale ne soit nécessaire […]

 

[102] L’employeur a soutenu que, dans APMO, la Cour a confirmé que le modèle fondé sur la loi Wagner constituait la norme constitutionnelle en fonction de laquelle les autres régimes de relations de travail sont évalués. L’employeur a fait valoir que la Loi est fondée sur un modèle de relations de travail fondé sur la loi Wagner, qui a été adopté partout au Canada et aux États‑Unis, et qu’APMO constitutionnalise une caractéristique centrale du modèle fondé sur la loi Wagner, à savoir son recours à des exclusions de poste de direction et de confiance. La Cour s’est penchée sur la question ultime dont est saisie la Commission et a conclu que les dispositions d’exclusion sont compatibles avec l’alinéa 2d) de la Charte.

[103] L’employeur a réfuté la déclaration de la FPN selon laquelle la Commission a déjà conclu que l’article 59 de la Loi contrevient à l’alinéa 2d) de la Charte (voir CT c. AFPC 2021). Il a soutenu que la Commission avait simplement déclaré que chaque exclusion doit être déterminée en fonction de ses faits afin de porter le moins possible atteinte aux droits garantis par la Charte. Les commentaires subséquents de la Commission indiquent que les exclusions sont des questions courantes qu’elle examine et qu’il n’y a aucune mention de violations de la Charte.

[104] L’employeur a fait valoir que l’évolution du droit du travail au Canada a été en grande partie un mouvement vers la négociation collective fondée sur la loi Wagner. Il a soutenu qu’il s’agit d’un modèle contradictoire de négociation collective, qui repose sur la séparation de la direction et des fonctionnaires. L’employeur a soutenu que la protection garantie par l’alinéa 2d) de la Charte est façonnée par « le contexte de la négociation collective » et tient compte de certaines caractéristiques qui sont « […] inhérentes à la nature et à l’objet de la négociation collective » (voir APMO, aux par. 83 et 84).

[105] Parmi ces caractéristiques, il y a la séparation entre les travailleurs et la direction. L’employeur a fait valoir que le maintien d’un certain degré de cette séparation constitue une condition préalable à une négociation collective sérieuse et a indiqué que « […] l’indépendance à l’égard de l’employeur garantit que les activités de l’association reflètent les intérêts des employés, ce qui respecte la nature et l’objet du processus de négociation collective et en assure le bon fonctionnement » (voir APMO, au par. 89).

[106] L’employeur a fait valoir que, dans les lieux de travail typiques, il existe une distinction entre la direction et les travailleurs lorsqu’il s’agit de régler des questions relatives au milieu de travail. Il a soutenu que les associations de travailleurs sont indépendantes et imputables aux travailleurs et qu’elles s’engagent auprès de la direction, qui représente l’employeur. Il a également fait remarquer que la direction est exclue des associations de travailleurs pour éviter les conflits d’intérêts et en raison du fait que ses intérêts sont davantage harmonisés avec l’employeur plutôt qu’avec les travailleurs.

[107] L’employeur a fait valoir que la jurisprudence laisse entendre qu’il existe un certain niveau de hiérarchie en milieu de travail au‑delà duquel les fonctionnaires sont trop étroitement liés à l’employeur ou ont trop de pouvoir sur le lieu de travail pour avoir un intérêt téléologique à s’engager collectivement sur des questions liées au lieu de travail. L’employeur a fait valoir que si l’exclusion des postes de direction ou de confiance est considérée comme une nécessité qui ne pose pas de problème dans tout régime de négociation collective, ces exclusions sont alors tout à fait compatibles avec l’aspect téléologique de la liberté d’association en vertu de la Charte.

[108] L’employeur a fait valoir que dans Southeast Kootenay, la BCLRB a appliqué une analyse fondée sur les valeurs de la Charte aux exclusions d’une unité de négociation et a conclu que la division entre les syndicats et les employeurs est [traduction] « […] enracinée dans le modèle de relations de travail fondé sur la loi Wagner et est reconnue comme un principe constitutionnellement valide des relations de travail » (au par. 139). Il a fait remarquer que la Commission des relations de travail de l’Ontario a tiré une conclusion semblable dans Hydro Ottawa Ltd., [2019] O.L.R.D. No. 1648 (QL), au paragraphe 66, où elle a affirmé que [traduction] « [é]tant donné l’harmonie entre les objets de la Loi et la Charte […] », les valeurs de la Charte n’ont rien ajouté à l’analyse des propositions d’exclusion.

[109] L’employeur a déclaré que si les dispositions d’exclusion sont inconstitutionnelles, le modèle fondé sur la loi Wagner est en soi inconstitutionnel. L’employeur a fait valoir que le compromis pour adopter un modèle de relations de travail fondé sur la loi Wagner est que l’employeur doit avoir des fonctionnaires qui occupent des postes de direction et de confiance sur son côté du grand livre pour fonctionner. Il n’y a rien de fâcheux dans ce résultat, car il s’agit particulièrement de ce qui est décrit dans AMPO comme étant l’une des caractéristiques fondamentales du modèle fondé sur la loi Wagner et est indiqué dans l’article 59 de la Loi.

[110] L’employeur a convenu que le libellé de la Loi est différent de celui des dispositions législatives d’autres provinces et territoires, mais il a soutenu que les dispositions d’exclusion sont harmonisées avec les exclusions traditionnelles du modèle fondé sur la loi Wagner. Il a soutenu que le même raisonnement que celui invoqué par les différentes commissions des relations de travail pour conclure que le processus d’exclusion est conforme à la Charte devrait être appliqué à l’analyse de la Commission de l’article 59 de la Loi.

[111] L’employeur a soutenu qu’il ne faut pas faire abstraction de l’absurdité qui découlerait d’une conclusion selon laquelle les dispositions d’exclusion sont inconstitutionnelles. Il a donné l’exemple d’un membre représentant un autre membre de l’unité de négociation dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et traitant d’une décision prise par ce membre.

[112] L’employeur a également fait remarquer que la FPN appliquait une norme double, étant donné qu’elle a présenté un argument en faveur du maintien d’un autre aspect clé du modèle fondé sur la loi Wagner – la majorité et l’exclusivité. L’employeur a souligné que ces deux concepts limitent le droit d’une personne de choisir a) avec qui elle s’associe et b) qui la représente. Il a soutenu que dans Association des membres de la Police Montée du Québec c. Conseil du Trésor, 2019 CRTESPF 70, la Commission a conclu à juste titre qu’il ne s’agissait pas d’une entrave substantielle à la négociation – il s’agit d’une partie centrale du modèle fondé sur la loi Wagner. L’employeur a également souligné que la Cour suprême du Canada a reconnu qu’il doit y avoir une certaine limite aux droits des individus afin de permettre la réalisation des objectifs communs.

[113] L’employeur a soutenu que la position de la FPN sur les exclusions exigerait une augmentation du nombre d’inspecteurs pour effectuer le travail qui est actuellement effectué par les fonctionnaires visés par la proposition d’exclusion. L’employeur a fait valoir que cela nuirait à la structure des grades et à la relativité nécessaires pour maintenir un système de classification cohérent. Il a également soutenu que la nature unique de la GRC fait en sorte que ce travail, dans certains cas, est effectué par des sergents et des sergents d’état‑major, et que ces postes font l’objet d’une proposition d’exclusion.

[114] L’employeur a soutenu que, subsidiairement, le droit à la négociation collective n’exige pas l’accès à un régime de négociation collective précis. Par conséquent, les dispositions qui excluent les postes de direction ou de confiance d’un régime législatif particulier ne limitent pas nécessairement la liberté d’association.

[115] L’employeur a soutenu que la question de savoir si les dispositions d’exclusion causent « […] une entrave substantielle à leur capacité de véritablement mener des négociations collectives » (voir APMO, au par. 80) est en partie une question empirique. Il a soutenu que, dans ce contexte, les questions suivantes sont pertinentes :

[Traduction]

 

· L’un ou l’autre des fonctionnaires exclus a‑t‑il tenté de s’associer et de négocier avec l’employeur?

· Dans l’affirmative, l’employeur a‑t‑il démontré une volonté de s’engager?

· Existe‑t‑il un processus de rechange qui est plus qu’une hypothèse juridique?

· Comment les inclusions ou les exclusions toucheraient‑elles le pouvoir de négociation des associations possibles?

· L’équilibre actuel entre les forces, en raison des exclusions, penche‑t‑il trop en faveur de l’employeur?

 

[116] L’employeur a soutenu qu’il n’y a aucun fondement probant pour répondre à ces questions et qu’une simple hypothèse n’est pas suffisante. Il a fait valoir que les fonctionnaires occupant les postes proposés n’ont pas encore manifesté d’intérêt à s’organiser et n’ont pas communiqué avec l’employeur pour discuter des conditions de leur emploi.

[117] L’employeur a fait valoir que la FPN n’a pas expliqué en quoi l’exclusion d’environ 2,3 % de l’unité de négociation constitue une entrave substantielle à leur capacité de véritablement mener des négociations collectives. L’employeur a soutenu que la déception de certains fonctionnaires à l’égard de la proposition d’exclusion ne constitue pas une entrave substantielle à la négociation collective. L’employeur a également fait remarquer que la surintendante Bilodeau a témoigné que la GRC est disposée à discuter de la possibilité de muter des personnes occupant des postes exclus sur demande, sous réserve des exigences opérationnelles.

[118] L’employeur a soutenu que l’objectif de la négociation collective consiste à protéger l’autonomie collective des employés contre le pouvoir supérieur de l’administration et à maintenir un équilibre entre les parties (voir AMPO, au par. 82). L’employeur a fait valoir qu’une personne ne peut conserver aucune autonomie ni aucun équilibre si elle a [traduction] « un pied dans les deux camps ». L’employeur a soutenu qu’il faut essentiellement déterminer si les dispositions d’exclusion perturbent l’équilibre des rapports de force entre les employés et l’employeur que l’alinéa 2d) vise à établir, de telle sorte qu’elles interfèrent de façon substantielle avec un processus véritable de négociation collective (BC Health Services, au par. 90). Il a fait valoir qu’il n’y a aucun élément de preuve qui permet d’établir que l’exclusion de 2,32 % de l’unité de négociation perturberait cet équilibre et nuirait à un processus véritable de négociation collective.

[119] L’employeur a soutenu que Société des casinos du Québec ne lie pas la Commission. Il a également soutenu que la décision n’est pas convaincante. Il a souligné que la Cour avait relevé le défaut essentiel de la loi québécoise, à savoir que l’exclusion de la direction est brutale, simpliste et désuète et repose sur une conception traditionnelle des relations patronales‑syndicales. L’employeur a soutenu que l’exclusion québécoise devrait être comparée aux dispositions plus ciblées de la Loi.

[120] Subsidiairement, l’employeur a soutenu que si les dispositions d’exclusion contreviennent à l’alinéa 2d) de la Charte, elles sont justifiées au regard de son article premier.

[121] L’employeur a soutenu que l’objectif législatif des dispositions d’exclusion est urgent et réel. Il a soutenu que l’objectif consiste à maintenir un élément fondamental de la négociation collective fondée sur la loi Wagner, c’est‑à‑dire la séparation des travailleurs et de la direction au profit des deux parties. L’employeur a fait valoir que cela est conforme aux lois du travail partout au Canada.

[122] L’employeur m’a renvoyé à Canadian Union of Public employees, Local 23 v. Burnaby (District), [1974] 1 Can. L.R.B.R. 1 (BCLRB) (QL) (Burnaby (District)), aux paragraphes 126 à 130, dans laquelle la BCLRB a conclu que l’explication de l’exemption accordée à la direction n’est [traduction] « pas difficile à trouver », car la véritable négociation exige une relation sans lien de dépendance entre les deux parties, chacune étant organisée de manière à mieux servir ses intérêts.

[123] L’employeur a fait valoir que la BCLRB avait également souligné que l’intérêt de l’employeur réside dans la loyauté absolue de ses cadres supérieurs [traduction] « […] qui sont chargés de veiller à ce que le travail soit accompli et à ce que les modalités de la convention collective soient respectées ». Dans Southeast Kootenay, la BCLRB a déclaré que [traduction] « […] cet engagement ou cette loyauté absolus reposent implicitement sur la prémisse selon laquelle chacun doit avoir une confiance absolue que ses politiques et stratégies demeurent confidentielles, sont mises en œuvre intégralement et de bonne foi ».

[124] L’employeur a fait valoir que l’affirmation de la FPN selon laquelle, à l’exception des relations de travail, les exclusions prévues à l’alinéa 59(1)c) de la Loi n’ont rien à voir avec la négociation collective, a une portée beaucoup trop étroite. L’employeur a fait valoir que le conflit d’intérêts est le fil conducteur du paragraphe 59(1) et que, même si la FPN a raison de représenter ses membres à l’égard de toutes les questions touchant leurs conditions d’emploi, l’employeur a également le droit d’avoir des personnes de son côté pour s’assurer que ses politiques sont pleinement mises en œuvre de bonne foi, ce qui est un élément fondamental du modèle fondé sur la loi Wagner.

[125] L’employeur a soutenu que ce maintien d’un élément fondamental du modèle fondé sur la loi Wagner est un objectif urgent et réel suffisamment important pour justifier la restriction d’un droit garanti par la Charte.

[126] L’employeur a soutenu qu’il existe une proportionnalité entre l’objectif et les moyens utilisés pour le l’atteindre. Il a fait valoir que les dispositions d’exclusion ont un lien rationnel avec l’objectif et qu’il existe un lien de causalité entre ces dispositions et l’objectif urgent et réel cerné.

[127] L’employeur a fait valoir que les dispositions d’exclusion ne portent pas atteinte à l’alinéa 2d) de la Charte plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire de le faire pour atteindre l’objectif. Il a soutenu que l’application de longue date de l’article 59 par la Commission vise déjà uniquement les personnes qui sont réservées au côté patronal du grand livre; les dispositions sont soigneusement adaptées et ne portent pas atteinte à la liberté d’association plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire pour atteindre leur objectif.

[128] L’employeur a soutenu que les employés exclus peuvent s’organiser et lui faire part de leurs préoccupations au sujet de leurs conditions d’emploi; l’exclusion de l’unité de négociation ne limite pas toutes les activités associatives.

[129] L’employeur a fait valoir qu’il existe une proportionnalité entre les effets préjudiciables des dispositions d’exclusion et leurs effets bénéfiques. L’employeur a déclaré qu’il est révélateur que, depuis la publication de BC Health Services en 2007, aucun autre agent négociateur au pays n’ait présenté de demande pour que les dispositions législatives d’exclusion soient jugées inconstitutionnelles.

C. Plaidoiries en réponse de la FPN et de l’employeur

[130] La FPN a soutenu que l’interdiction d’être membre d’un syndicat prévue au paragraphe 186(1) de la Loi est une interdiction d’adhésion plus large que toute autre loi. L’article interdit l’adhésion à un syndicat pour les fonctionnaires exclus « […] qu’ils agissent ou non pour le compte de l’employeur ». La FPN soutient qu’en vertu de la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario (1995, L.O. ch.1, ann A.), les restrictions ne s’appliquent que s’ils agissent pour le compte de l’employeur. La FPN a fait valoir que l’adhésion à un syndicat est importante à l’extérieur de la représentation aux fins de la négociation collective, compte tenu de la vaste portée des questions liées à l’emploi qui ne relèvent pas de la négociation collective.

[131] En réponse à l’argument de l’employeur selon lequel les fonctionnaires exclus peuvent négocier leurs conditions d’emploi, la FPN a soutenu que, dans de tels cas, l’employeur n’est pas tenu de négocier de bonne foi et qu’il n’y a aucun recours possible. La FPN a soutenu que cela s’apparente davantage à du lobbying qu’à de la négociation.

[132] La FPN a fait valoir que la caractérisation par l’employeur de l’objectif des dispositions d’exclusion a changé. Dans ses arguments, l’employeur a fait référence à l’objectif de la séparation entre la direction et les fonctionnaires. Toutefois, le rapport Heeney faisait référence à l’objet du « conflit d’intérêts ». Il a soutenu que l’objet d’une disposition en vertu du critère énoncé dans R. c. Oakes, [1986] 1 RCS 103, est fonction de l’intention de ceux qui ont rédigé la loi et non de variables changeantes (voir R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 RCS 295, au par. 91).

[133] La FPN a fait valoir que le modèle contradictoire des relations de travail n’est pas un objectif « urgent et réel ». Elle a fait remarquer que la décision APMO (au par. 97) a conclu qu’un modèle contradictoire de relations de travail n’est pas nécessaire en vertu de la Charte.

[134] La FPN a affirmé que le conflit d’intérêts ne constitue pas un objectif urgent et réel. Elle a fait remarquer que tous les fonctionnaires ont un conflit d’intérêts avec leur employeur. Subsidiairement, elle a soutenu que s’il s’agit d’un objectif urgent et réel, des efforts peuvent être déployés pour réduire au minimum l’atteinte au droit garanti par la Charte.

[135] La FPN a fait valoir que l’argument de l’employeur selon lequel les fonctionnaires exclus peuvent participer à d’autres formes de négociation soulève le même conflit d’intérêts que celui de la participation à l’unité de négociation. La FPN a également souligné que, puisque les conditions d’emploi des personnes occupant des postes exclus sont liées à celles des fonctionnaires représentés, il existe toujours un conflit d’intérêts, même après l’exclusion. Elle a soutenu que la seule façon de régler le problème est d’avoir des conditions d’emploi distinctes pour les personnes qui occupent des postes exclus.

[136] La FPN a soutenu que le pourcentage de l’unité de négociation dont l’exclusion est proposée n’est pas pertinent. Elle a fait remarquer que, à l’origine, l’employeur proposait 5,63 % de l’unité de négociation pour ensuite réviser sa proposition à 2,32 %, et qu’il pouvait changer d’idée à nouveau.

[137] L’employeur a fait valoir qu’il est naïf de croire que la négociation collective ne concerne pas l’administrateur général (voir l’al. 59(1)a)). L’employeur a soutenu que l’administrateur général serait probablement inclus dans les discussions sur la négociation collective et que l’objet des exclusions ne peut être défini de façon si étroite qu’il exige que l’administrateur général soit à la table de négociation; voir Southeast Kootenay, au paragraphe 126.

[138] L’employeur a fait valoir que, contrairement aux arguments de l’agent négociateur, si un poste est un poste de superviseur de bas niveau, il ne satisfait pas au critère des [traduction] « fonctions de gestion importantes ». L’employeur a déclaré que l’alinéa 59(1)e) exige des fonctions de gestion « importantes », ce qui est plus fort que certaines dispositions d’autres régimes. L’employeur a soutenu que l’alinéa 59(1)g) confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire d’éviter les conflits d’intérêts.

[139] L’employeur a fait valoir que s’il avait fait davantage pour limiter les conflits d’intérêts pendant la période où la Commission a examiné les propositions d’exclusion, il aurait été à l’origine d’une plainte de pratique déloyale de travail. Il a soutenu qu’il ne devrait pas subir un préjudice en raison du temps qu’il faut à la Commission pour examiner les propositions d’exclusion.

[140] La FPN a souligné que l’obligation de loyauté des officiers de la GRC est plus élevée que celle du reste du secteur public fédéral et m’a renvoyé à Read c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 283, aux paragraphe 114 à 116; Queen v. White, [1956] SCR 154; et McGillivray c. Canada (Procureur général), 2021 CF 443, au paragraphe 29.

V. Motifs

[141] Pour les motifs énoncés dans la présente section, je conclus que les dispositions d’exclusion (plus particulièrement les al. 59(1)a), c), e), et g)) ne sont pas conformes à l’alinéa 2d) de la Charte, mais qu’elles sont justifiées au regard de l’article premier de la Charte.

A. Introduction

[142] La FPN a présenté des éléments de preuve et des arguments sur la question de savoir s’il existait une relation confidentielle liée à la négociation collective ou aux relations de travail pour certains postes. Il s’agit d’une question plus pertinente pour déterminer si l’employeur s’est acquitté de son fardeau consistant à établir que les postes proposés étaient convenables à l’exclusion.

[143] La FPN m’a renvoyé à la composition des unités de négociation représentées par des associations policières aux États‑Unis. Je conclus que ces renseignements ne sont pas pertinents pour trancher la question constitutionnelle dans le contexte canadien. La syndicalisation policière aux États‑Unis est fondée sur des régimes législatifs différents et il serait inapproprié de tenir compte de ces éléments de preuve sans disposer d’éléments de preuve sur le contexte global de l’organisation des services policiers aux États‑Unis.

[144] L’employeur et la FPN ont tous deux fait référence au pourcentage de fonctionnaires de l’unité de négociation qui occupent des postes dont l’exclusion est proposée par l’employeur. Une proposition d’exclusion ne signifie pas que le poste sera exclu (si l’agent négociateur n’est pas d’accord) – la décision ultime revient à la Commission, et non à l’employeur. Tout ce que l’on peut dire avec certitude, c’est que le nombre de postes exclus ne sera pas supérieur au nombre proposé par l’employeur.

[145] La FPN soutient que les dispositions d’exclusion prévues aux alinéas 59(1)a), c), e) et g) de la Loi contreviennent à l’alinéa 2d) de la Charte et ne sont pas justifiées au regard de l’article premier de la Charte. J’ai énoncé ces dispositions dans la section précédente de la présente décision (dans « Cadre législatif et constitutionnel »). Par souci de commodité, les catégories de postes exclus comprises dans ces alinéas sont les suivantes :

[Traduction]

 

· poste de confiance occupé auprès d’un administrateur général (dans le présent cas, le commissaire de la GRC);

· donner des conseils en matière de relations de travail, de dotation et de classification;

· exercer, dans une proportion notable, des attributions de gestion à l’égard de fonctionnaires ou des attributions l’amenant à s’occuper officiellement, pour le compte de l’employeur, de griefs présentés selon la procédure établie en application de la partie 2 ou de la section 2 de la partie 2.1;

· exercer des attributions qui ne sont pas mentionnées au présent paragraphe, et ne doit pas faire partie d’une unité de négociation pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de ses fonctions auprès de l’employeur.

 

[146] La FPN n’a pas fait valoir que les dispositions d’exclusion de la Loi portaient atteinte à la liberté d’association des fonctionnaires non exclus. En d’autres termes, elle n’a pas soutenu que le nombre de postes exclus nuirait considérablement à la négociation collective significative de ceux qui font toujours partie de l’unité de négociation du groupe RM après les exclusions. Par conséquent, la question consiste à savoir s’il y a violation de la liberté d’association des fonctionnaires qui occupent des postes exclus et, dans l’affirmative, si cette violation est justifiée au regard de l’article premier de la Charte. La réparation demandée par la FPN ferait en sorte que les fonctionnaires qui occupent des postes exclus seraient inclus dans l’unité de négociation du groupe RM.

[147] Les dispositions d’exclusion dans le secteur public fédéral sont en vigueur dans plusieurs formulations depuis le début de la négociation collective dans le secteur public fédéral. Ces dispositions ont été appliquées et interprétées par la Commission et ses prédécesseurs. Par conséquent, lorsqu’il s’agit d’évaluer les dispositions d’exclusion, il est nécessaire d’examiner la façon dont elles ont été interprétées et appliquées par la Commission. De plus, afin de mieux comprendre l’objet et le contexte des exclusions en général, il est également utile d’examiner les décisions d’autres provinces et territoires.

[148] Je commencerai par un aperçu de l’histoire des dispositions d’exclusion dans le secteur public fédéral et dans d’autres provinces et territoires canadiens. J’examinerai ensuite les interprétations de la Commission des dispositions d’exclusion à l’époque de la Charte. Enfin, j’examinerai la question de savoir si les dispositions d’exclusion contreviennent à la liberté d’association et si elles sont justifiées au regard de l’article premier de la Charte.

B. L’histoire des dispositions d’exclusion

[149] Les parties m’ont renvoyé au rapport Heeney, qui a servi de fondement à la première loi régissant la négociation collective dans le secteur public fédéral. Le rapport s’appuyait sur le « conflit d’intérêts » comme principe à l’appui des exclusions à la négociation collective (voir la p. 32).

[150] Dans une décision antérieure, soit Burnaby (District), citée dans George W. Adams, Canadian Labour Law, 2 édition, au paragraphe 6.3), la BCLRB a expliqué le fondement des exclusions de la direction comme suit :

[Traduction]

L’explication de cette exemption accordée à la direction n’est pas difficile à trouver. Le but de la loi [le Code du travail] est de favoriser la négociation collective entre les employeurs et les syndicats. Pour qu’il y ait véritablement négociation, il faut que les deux parties n’aient aucun lien de dépendance, et chacune d’elles est organisée de manière à servir au mieux ses intérêts. Pour l’exploitation plus efficace de l’entreprise, l’employeur établit une hiérarchie dans laquelle certaines personnes au sommet ont le pouvoir de diriger les efforts de ceux qui sont plus près du bas de l’échelle. Afin d’obtenir un pouvoir compensateur à celui de l’employeur, les fonctionnaires s’organisent en syndicats dans lesquels le pouvoir de négociation de tous est partagé et exercé de la façon dont la majorité ordonne. Entre ces groupes concurrents, il y a ceux qui occupent des postes de direction – d’une part, un fonctionnaire qui dépend tout autant de l’entreprise pour son gagne‑pain, mais d’autre part qui exerce un pouvoir important sur la vie active des fonctionnaires qui relèvent de lui. L’Assemblée législative de la Colombie‑Britannique, suivant la voie de toutes les autres lois sur le travail en Amérique du Nord, a décidé que dans l’évaluation de ces deux forces concurrentes, la direction doit être attribuée au côté patronal.

La justification de cette décision est évidente en ce qui concerne l’employeur. Il souhaite avoir la loyauté absolue de ses cadres supérieurs qui sont chargés de veiller à ce que le travail soit accompli et à ce que les modalités de la convention collective soient respectées. Leurs décisions peuvent avoir des répercussions importantes sur la vie économique des employés, p. ex. des personnes qui peuvent faire l’objet de mesures disciplinaires « motivées » ou qui n’ont pas été promues en raison de leurs « capacités ». L’employeur ne veut pas que l’identification de la direction avec ses intérêts soit diluée par la participation aux activités du syndicat des fonctionnaires.

De manière plus subtile, mais tout aussi importante, l’exclusion de la direction des unités de négociation vise également à protéger les organisations syndicales. Un problème historique et toujours actuel qui se pose pour assurer une représentation efficace des fonctionnaires face au pouvoir de l’employeur est l’effort de certains employeurs déployé pour parrainer et dominer les syndicats faibles et dépendants. L’agent logique de cet effort est le personnel de gestion. Cela se produit notamment si les membres de la direction exercent leur pouvoir dans le lieu de travail pour s’ingérer dans le choix d’un représentant par leurs fonctionnaires. Cependant, le même résultat pourrait se produire de façon tout à fait innocente. Un grand nombre de membres de la direction sont promus à partir des rangs des fonctionnaires. Ceux qui ont les talents et l’ancienneté nécessaires pour cette promotion sont également les mêmes personnes qui vont probablement être promues aux échelons syndicaux. En l’absence de contrôles juridiques, le leadership d’un syndicat pourrait être tiré de la haute direction avec laquelle il est censé négocier. Si l’on veut préserver un lien de dépendance entre l’employeur et le syndicat au profit des fonctionnaires, la loi a prescrit qu’une personne doit quitter l’unité de négociation lorsqu’elle est promue à un poste où elle exerce des fonctions de direction sur celle‑ci.

 

[151] La Commission des relations de travail de l’Ontario a également souligné l’importance d’une relation sans lien de dépendance entre les fonctionnaires représentés par un agent négociateur et l’employeur agissant par l’intermédiaire de la direction, dans Canada Independent Automotive Union v. Chrysler Canada Ltd., [1976] O.L.R.B. Rep. août 396, au paragraphe 12, cité dans le Canadian Labour Law au paragraphe 6.3, comme suit :

[Traduction]

[…] [La Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario] tente de créer un équilibre de forces entre ces deux parties en isolant l’une de l’autre. Par conséquent, les fonctionnaires sont protégés contre l’ingérence de la direction et la domination par les interdictions de l’employeur d’intervenir dans les droits du syndicat et des fonctionnaires. De même, la direction est protégée en excluant de la négociation collective les personnes qui exercent des fonctions de direction, ou les personnes qui exercent des fonctions de confiance en matière de relations de travail. Par conséquent, les droits de négociation collective ne sont pas universels, mais doivent être restreints par la nécessité de préserver une force compensatoire du côté patronal.

 

[152] Dans Cowichan Home Support Society v. U.F.C.W., Local 1518, [1997] B.C.L.R.B.D. No. 28 (QL), (Cowichan Home Support Society), la BCLRB a déclaré que l’objectif général de l’exclusion des postes de direction est d’assurer la loyauté absolue des gestionnaires envers l’entreprise, [traduction] « […] conformément au modèle de négociation collective sans lien de dépendance qui protège la relation contradictoire (dans l’intérêt du travail et de la gestion) […] » (au par. 104). L’importance de la loyauté ou d’un [traduction] « engagement absolu » dans le contexte des relations du travail a été expliquée par la Commission comme suit (aux par. 105, 106 et 115) :

[Traduction]

105 […] Dans le contexte des relations de travail, la loyauté consiste à donner la priorité aux intérêts de l’entreprise. Du point de vue syndical, cela signifie accorder la priorité aux intérêts des membres. En excluant les gestionnaires de toute unité de négociation, leur loyauté ne sera pas divisée entre les fonctions de leur emploi (les intérêts de l’entreprise) et les intérêts des membres de l’unité de négociation […] Le concept d’engagement – un engagement absolu – est peut‑être un meilleur reflet des valeurs qui nous gouvernent aujourd’hui. Cela suppose une solide adhésion à la politique et à la philosophie en matière de gestion, mais aussi une relation de réciprocité continue.

106 Enfin, cet engagement ou cette loyauté absolus reposent implicitement sur la prémisse selon laquelle chaque partie doit avoir une confiance absolue que ses politiques et stratégies demeurent confidentielles, sont mises en œuvre intégralement et de bonne foi. L’accès d’une partie aux renseignements confidentiels sur les relations de travail de l’autre partie donnerait lieu à un avantage indu et, en fin de compte, déconsidérerait la relation de négociation collective. Cela est évident en ce qui concerne la négociation et l’administration d’une convention collective […]

[…]

115 Ces facteurs sous‑tendent la raison d’être de l’exclusion, soit le conflit d’intérêts. Conformément à ce qui a été indiqué à l’origine dans Burnaby […] le conflit d’intérêts qui est au cœur du système de négociation collective est « un conflit d’intérêts potentiel ». Il n’est pas nécessaire d’établir un conflit réel. Ce conflit d’intérêts découle directement d’un examen objectif des responsabilités et du pouvoir réels de la personne concernée. De plus, ce conflit d’intérêts potentiel n’est tout simplement pas un conflit d’intérêts interne qui peut découler de l’établissement d’une unité mixte – une unité composée de superviseurs et des fonctionnaires qu’ils supervisent. La notion de conflit d’intérêts à l’intérieur de la question d’exclusion des cadres est une référence à l’existence de loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation. Il y a deux points importants qui en découlent et qui ne sont pas réglés par le simple fait de placer un superviseur particulier dans une unité de négociation différente de celle qu’il supervise.

 

[153] Une Commission antérieure, soit l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’ancienne CRTFP), a adopté le [traduction] « critère à trois volets » pour déterminer la confidentialité dans les affaires relatives aux relations de travail (voir Canada (Conseil du Trésor) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 176‑02‑287 (19791009) [1979] C.R.T.F.P.C. no 9 (QL) (« Canada c. AFPC 1979 »), citée dans Régie de l’énergie du Canada c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2020 CRTESPF 120, au par. 104). L’ancienne CRTFP s’est appuyée sur cet énoncé du [traduction] « critère à trois volets » pour déterminer les postes de confiance énoncés dans Canadian Union of Bank Employees v. Bank of Nova Scotia, (1977) 21 di 439 (CLRB) at 453, [1977] 2 Can L.R.B.R. 126 :

[Traduction]

[…]

[…] Les questions confidentielles doivent avoir trait aux relations industrielles, et non à des secrets industriels de nature générale comme les formules de produits […] Elles n’incluent pas les questions connues du syndicat ou de ses membres comme les salaires, les évaluations d’employés discutées avec eux, ou qu’ils doivent signer ou parapher […] Elles ne comprennent pas les renseignements familiaux ou personnels qui peuvent être obtenus d’autres sources ou personnes. Le second aspect de ce critère est que la divulgation de ces renseignements pourrait entraîner des conséquences malheureuses pour l’employeur. En dernier lieu, l’accès à ce genre de renseignements doit entrer dans le cadre des fonctions habituelles. Il ne suffit pas que l’accès soit occasionnel ou accidentel ni qu’il se produise par suite d’une inattention de l’employeur […]

[…]

 

[154] L’ancienne CRTFP a continué comme suit au paragraphe 45 de Canada c. AFPC 1979 :

[Traduction]

45. […] La personne doit être « employée » dans une certaine « capacité »; nous nous occupons de fonctions qui sont une partie importante et régulière du travail d’une personne, pas seulement une question de participation occasionnelle et accidentelle. De plus, la personne doit être employée à titre « confidentiel », ce qui exige un jugement sur la gravité de la nécessité du secret pour les renseignements dont l’employé a connaissance.

[…]

[…] L’employeur a le fardeau d’organiser ses affaires de façon à ce que ses employés ne soient pas occasionnellement placés en conflit d’intérêts éventuels si ce résultat peut être facilement évité.

[…]

 

[155] L’ancienne CRTFP a conclu dans Canada c. AFPC 1979 que le simple fait d’être un superviseur ne suffit pas à justifier une exclusion de ce poste et a déclaré (aux par. 54 et 56) que le rôle d’un superviseur peut comprendre la transmission de griefs et la présentation de rapports ou de recommandations concernant ces griefs. Certaines de ces communications peuvent être confidentielles; toutefois, l’échange de ces renseignements confidentiels fait partie intégrante du rôle de tout superviseur. L’ancienne CRTFP a conclu que ce rôle n’est pas [traduction] « un rapport dont la nature diffère des rapports généraux habituels et qui comporte un certain degré de confiance ». L’ancienne CRTFP a également souligné qu’on s’attendait à ce qu’un employeur distribue la responsabilité d’enquêter sur les griefs au plus petit nombre de postes possible.

[156] En conclusion, avant l’adoption de la Charte, les commissions précédentes (et d’autres commissions canadiennes du travail) ont déterminé que les dispositions d’exclusion visaient à éviter les conflits d’intérêts et à maintenir l’engagement ou la loyauté absolus des gestionnaires. De plus, les dispositions d’exclusion ont été interprétées de façon étroite afin de limiter le nombre de fonctionnaires exclus de la négociation collective.

C. Interprétation des exclusions à l’époque de la Charte

[157] La Cour suprême du Canada a conclu que les décideurs administratifs doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire conféré par la loi d’une manière compatible avec les valeurs qui sous‑tendent l’octroi d’un pouvoir discrétionnaire, y compris les valeurs de la Charte (voir Doré, au par. 24). La Commission a tenu compte des valeurs de la Charte lors de l’examen des propositions d’exclusion, plus récemment dans CT c. AFPC 2021. La Commission a déclaré que chaque proposition d’exclusion doit être déterminée en fonction de ses faits, ce qui porte atteinte aux droits garantis par la Charte de chaque fonctionnaire du groupe désigné « de façon à empiéter de la manière la moins intrusive » (au par. 82). La Commission a déclaré que la question à poser était « […] comment protéger au mieux les valeurs en jeu consacrées par la Charte compte tenu des objectifs visés par la loi et mettre en balance la gravité de l’atteinte à la valeur protégée par la Charte et les objectifs que vise la loi […] » (au par. 85).

[158] Comme je l’ai indiqué précédemment, la Cour d’appel fédérale a accueilli une demande de contrôle judiciaire de CT c. AFPC 2021. Le procureur général avait allégué que la Commission avait incorrectement appliqué les valeurs de la Charte pour rejeter les précédents pertinents. La Cour a refusé d’examiner la question de l’application des valeurs de la Charte et a accueilli le contrôle judiciaire pour d’autres motifs (au par. 13).

[159] Je ne souscris pas à la position de l’agent négociateur selon laquelle cette décision de la Commission a conclu que les dispositions d’exclusion n’étaient pas constitutionnelles. La Commission n’a pas été saisie de cette question, et la décision ne porte que sur les valeurs de la Charte.

[160] Dans Hydro Ottawa Ltd., la Commission des relations de travail de l’Ontario a fait remarquer que la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario incarnait déjà la valeur de la Charte relative à la protection et à la facilitation de la négociation collective, et que l’approche cohérente de cette commission pour interpréter les dispositions d’exclusion était de le faire de façon étroite. Cette commission a ensuite déclaré que, compte tenu de l’harmonie entre les objets de la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario et la Charte, l’examen des « valeurs de la Charte » n’ajoutait rien à l’analyse, et a ajouté ce qui suit : [traduction] « Interpréter [la disposition d’exclusion de la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario] conformément à l’objet législatif de [la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario], c’est l’interpréter à la lumière du droit constitutionnel de s’organiser. »

[161] Je conviens que, dans le secteur public fédéral, l’objet de la Loi, tel qu’il est énoncé dans son préambule, est également compatible avec la valeur de la liberté d’association consacrée par la Charte. Le préambule énonce en partie que « […] la négociation collective assure l’expression de divers points de vue dans l’établissement des conditions d’emploi […] ». Il fait également référence à la « [résolution] de façon juste, crédible et efficace [d]es problèmes liés aux conditions d’emploi » et au « respect mutuel et de l’établissement de relations harmonieuses ».

[162] Dans APMO, la Cour suprême du Canada a reconnu indirectement que, dans l’ensemble, la Loi est conforme à la Charte. Même si je suis d’accord pour dire que la Cour n’a pas abordé les dispositions d’exclusion (dont elle n’était pas saisie), elle a déclaré ce qui suit aux paragraphes 97 à 99 :

[97] […] La désignation d’agents négociateurs et l’établissement d’un cadre de négociation collective ne porteraient donc pas atteinte à l’al. 2d) si la structure qui est créée reste à l’abri de l’ingérence de l’employeur, demeure sous le contrôle des employés et offre à ces derniers une liberté de choix suffisante quant aux objectifs qu’ils entendent poursuivre au sujet de leurs conditions de travail.

[98] […] Comme nous l’avons dit, il peut aussi être satisfait à l’al. 2d) en présence d’un modèle reposant sur la majorité et l’exclusivité (tel que le modèle fondé sur la loi Wagner) qui impose des restrictions aux droits des individus afin de réaliser des objectifs communs.

[99] En résumé, un processus véritable de négociation collective donne aux employés l’occasion de véritablement participer au choix de leurs objectifs collectifs et leur assure une indépendance suffisante par rapport à la direction pour qu’ils puissent contrôler les activités de l’association, eu égard au secteur d’activités et au milieu de travail en cause. Tout régime de relations de travail qui satisfait à ces conditions et qui permet donc la tenue d’une véritable négociation collective satisfait à l’al. 2d).

 

D. Liberté d’association et exclusions

[163] Les parties ont présenté des arguments détaillés sur la liberté d’association, y compris un examen de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur la liberté d’association dans le contexte des relations de travail. J’ai examiné et tenu compte de cette jurisprudence. Toutefois, dans la présente section, je m’appuierai principalement sur l’analyse la plus récente de la liberté d’association présentée dans APMO. Même si cette décision portait sur une restriction complète de la négociation collective de tous les membres en uniforme de la GRC, les principes généraux de la liberté d’association demeurent pertinents. De plus, la Cour a situé son analyse de la liberté d’association dans le cadre du régime des relations de travail dans le secteur public fédéral.

[164] Les parties ne s’entendaient pas sur l’incidence d’APMO. L’employeur a déclaré que la Cour avait souscrit au modèle fondé sur la loi Wagner en matière de relations de travail, y compris les exclusions. L’agent négociateur a déclaré que la Cour n’avait pas souscrit au modèle fondé sur la loi Wagner et que, de toute façon, ce modèle ne comprend pas d’exclusions. Je traiterai de ce désaccord après avoir exposé les décisions de la Cour sur la liberté d’association en général.

[165] La Cour a d’abord examiné les fondements de la liberté d’association dans les relations de travail, tels qu’ils sont énoncés dans Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20 (« Fraser »), au paragraphe 42, soit le droit des employés de s’associer, de présenter des observations collectives à l’employeur et de faire en sorte que ces observations soient prises en considération de bonne foi. Dans APMO, la Cour a ajouté que l’objet fondamental de l’alinéa 2d) est de protéger la personne contre « […] tout isolement imposé par l’État dans la poursuite de ses fins » (au par. 58). La liberté d’association habilite les personnes à réaliser collectivement ce qu’elles ne pourraient pas réaliser individuellement. La Cour a affirmé que de cette façon, la liberté d’association n’est pas simplement un lot de droits des individus, mais des « droits collectifs inhérents aux associations » (au par. 62). Au paragraphe 66, la Cour a conclu que l’alinéa 2d), considéré dans son objet, protège les catégories d’activités suivantes :

[…] (1) le droit de s’unir à d’autres et de constituer des associations; (2) le droit de s’unir à d’autres pour exercer d’autres droits constitutionnels; et (3) le droit de s’unir à d’autres pour faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force d’autres groupes ou entités.

 

[166] S’appuyant sur ses décisions antérieures dans Fraser et BC Health Services, la Cour a conclu que l’alinéa 2d) garantit le droit des employés de « […] véritablement s’associer en vue de réaliser des objectifs collectifs relatifs aux conditions de travail […] », y compris le droit à la négociation collective. La Cour a fait remarquer que ce droit garantit « […] un processus plutôt qu’un résultat ou qu’un modèle particulier de relations de travail » (au par. 67).

[167] La liberté d’association dans le contexte des relations de travail n’est pas absolue. La Cour suprême du Canada a reconnu que ce n’est qu’une entrave substantielle à la possibilité d’un processus véritable de négociation collective qui est incompatible avec la Charte (au par. 72).

[168] Dans APMO, la Cour a examiné une restriction imposée à la négociation collective pour tous les membres de la GRC. Dans le cas dont je suis saisi, la restriction s’applique aux titulaires de postes exclus et les empêche de participer aux activités de la FPN. Par conséquent, il faut déterminer si les dispositions concernant les postes exclus « […] perturbent l’équilibre de rapports de force entre les employés et l’employeur […] de telle sorte qu’elles interfèrent de façon substantielle avec un processus véritable de négociation collective […] » (au par. 72).

[169] Dans APMO, la Cour a conclu que le droit à un processus véritable de négociation collective ne sera pas satisfait par un régime législatif qui « […] prive les employés de protections adéquates dans leurs interactions avec l’employeur […] », ce qui entrave donc à leur capacité de véritablement mener des négociations collectives (au par. 80).

[170] La Cour a déclaré que l’objectif de la négociation collective consiste à « […] protéger l’autonomie collective des employés contre le pouvoir supérieur de l’administration et à maintenir un équilibre entre les parties » (au par. 82). L’équilibre est contenu dans le degré de choix et d’indépendance accordés aux employés dans le processus de relations de travail. La Cour a affirmé, comme suit, que le choix et l’indépendance ne sont pas absolus (au par. 83) :

[83] […] elles sont limitées par le contexte de la négociation collective. À notre avis, la liberté de choix requise par la Charte à des fins de négociation collective correspond à celle qui permet aux employés de participer véritablement au choix des objectifs collectifs que devra poursuivre leur association. Dans la même veine, l’indépendance exigée par la Charte à des fins de négociation collective se définit comme celle qui assure une correspondance entre les activités de l’association et les intérêts de ses membres.

 

[171] La Cour suprême du Canada a déterminé que les exigences en matière de choix et d’indépendance peuvent être respectées par « [d]ivers modèles de relations de travail » si le modèle permet de poursuivre une véritable négociation collective (au par. 92). La Cour a fait remarquer que l’objectif de la négociation collective n’est pas atteint si l’employeur domine ou influence le processus qui l’entoure. Cette indépendance d’association n’est pas absolue – l’indépendance requise par la Charte est « […] celle qui fait correspondre les activités de l’association aux intérêts de ses membres » (au par. 88).

[172] La Cour a conclu, comme suit, que le respect de la Charte d’un régime de relations de travail est fondé sur les degrés d’indépendance et de liberté de choix garantis par le régime « […] en portant une attention particulière au contexte global du régime » (au par. 90) :

[90] […] Les degrés de liberté de choix et d’indépendance accordés ne devraient pas être examinés isolément, mais plutôt globalement, toujours dans le but de déterminer si les employés sont en mesure de s’associer en vue de réaliser véritablement des objectifs collectifs relatifs au travail.

 

[173] Même si la Cour a souligné à nouveau que la liberté d’association n’exige pas un modèle particulier de relations du travail, elle a fait référence au modèle fondé sur la loi Wagner au paragraphe 98, comme suit : « […] il peut aussi être satisfait à l’al. 2d) en présence d’un modèle reposant sur la majorité et l’exclusivité (tel que le modèle fondé sur la loi Wagner) qui impose des restrictions aux droits des individus afin de réaliser des objectifs communs. »

[174] La FPN n’a pas affirmé que les exclusions entraveraient substantiellement sa capacité de participer à un processus véritable de négociations collectives ou de poursuivre des objectifs communs en milieu de travail pour les fonctionnaires de l’unité de négociation qui n’occupent pas des postes exclus. Étant donné le nombre relativement restreint d’exclusions proposées (et compte tenu du fait que ce ne sont pas toutes les propositions de l’employeur qui peuvent être acceptées par la Commission), il serait difficile de soutenir que les fonctionnaires exclus créeraient une « entrave substantielle » dans la négociation collective de l’unité de négociation des RM. L’argument de la FPN est plutôt que les titulaires de postes exclus seraient empêchés de négocier collectivement avec l’employeur. Essentiellement, la FPN a fait valoir que le fait d’exclure quiconque (sauf ceux qui font partie de la classification de la direction) de l’unité de négociation des RM et, par conséquent, du régime de négociation collective, est contraire à l’alinéa 2d) de la Charte.

[175] Dans APMO, la Cour suprême du Canada a protégé la liberté d’association dans les limites des régimes de négociation collective – autrement dit, il ne s’agit pas d’une liberté d’association absolue. Selon la Cour, l’objectif de la négociation collective consiste à protéger « l’autonomie collective des employés » contre le « pouvoir supérieur de l’administrateur » et à maintenir « un équilibre » entre les parties.

[176] Même si le modèle fondé sur la loi Wagner n’est pas le seul modèle de relations de travail qui peut satisfaire à la liberté d’association, la Cour suprême du Canada l’a reconnu comme un modèle commun au Canada. Bien entendu, elle n’a pas statué sur les exclusions de postes contenues dans tous les régimes de relations de travail parce qu’elle n’était pas saisie de cette question. La Cour a conclu que le modèle fondé sur la loi Wagner « […] permet à un secteur d’employés suffisamment important » de choisir de s’associer à un agent négociateur particulier. Toutefois, elle a mis l’accent sur les principes de la majorité et de l’exclusivité, qui ne sont pas concernés par la question constitutionnelle dont la Commission est saisie.

[177] Dans Southeast Kootenay, la BCLRB a conclu que l’exclusion des gestionnaires découlait des concepts fondamentaux de l’obligation de loyauté et de l’évitement de conflits d’intérêts potentiels. La BCLRB a affirmé que cette division entre les syndicats et les employeurs est enracinée dans le modèle de relations de travail fondé sur la loi Wagner et [traduction] « est reconnue comme un principe constitutionnellement valide des relations de travail » (au par. 139). L’employeur s’est appuyé sur Southeast Kootenay pour étayer sa position selon laquelle les exclusions ne contreviennent pas à la Charte. Toutefois, la BCLRB a expressément refusé de se pencher sur la question constitutionnelle soulevée par l’agent négociateur dans cette affaire.

[178] Je n’ai pas à déterminer si les dispositions d’exclusion font partie du modèle fondé sur la loi Wagner. Le fait que la Cour suprême du Canada ait souscrit au modèle fondé sur la loi Wagner n’est pas pertinent à la question constitutionnelle dont je suis saisi. Dans APMO, la Cour n’a pas abordé du tout les dispositions d’exclusion. Elle examinait la question de la liberté d’association du point de vue de la majorité des fonctionnaires, alors que la question constitutionnelle dont je suis saisi examine la question de l’autre extrémité du télescope : une minorité de fonctionnaires qui occupent des postes exclus. Toutefois, les principes énoncés dans APMO sont directement pertinents à mon évaluation de la question constitutionnelle.

[179] Il existe une jurisprudence limitée sur la liberté d’association et les exclusions de postes de direction ou de confiance qui aborde directement la question. Conformément à ce qui est mentionné dans Canadian Labour Law, au paragraphe 6.9, [traduction] « [i]l reste à voir l’effet qu’auront ces décisions [les arrêts de la Cour suprême du Canada sur le droit à la négociation collective] sur la validité des exclusions à la négociation collective de groupes comme […] les employés occupant des postes de direction et ceux qui occupent des postes de confiance ».

[180] Dans Hutton, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que l’interdiction totale de négociation collective par les OB était contraire à la Charte et qu’elle n’était pas justifiée au regard de son article premier. Elle a conclu que les restrictions limitées à la négociation collective pour les officiers subalternes ne constituaient pas une violation de la Charte. Cette décision ne lie pas la Commission, car elle porte sur un autre régime de relations de travail. Sa valeur probante limitée est également éclipsée par les décisions plus récentes de la Cour suprême du Canada en matière de liberté d’association.

[181] Le seul cas récent qui a examiné les exclusions dans le contexte des droits garantis par la Charte est Société des casinos du Québec de la Cour d’appel du Québec. Cette décision a été rendue en vertu de la Charte québécoise. Le libellé du Code du travail du Québec, c‑27, en litige dans cette affaire a été mentionné au paragraphe 9 de la décision comme suit :

[]

[…]

 

1. Dans le présent code, à moins que le contexte ne s’y oppose, les termes suivants signifient :

1. In this Code, unless the context requires otherwise, the following expressions mean:

[…]

[…]

l) « salarié » : une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération, cependant ce mot ne comprend pas :

l) “employee”: a person who works for an employer and for remuneration, but the word does not include:

1. une personne qui, au jugement du Tribunal, est employée à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés;

(1) a person who, in the opinion of the Tribunal, is employed as a manager, superintendent, foreman or representative of the employer in his relations with his
employees

[]

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[182] Dans Société des casinos du Québec, au paragraphe 18, la Cour d’appel a fait référence à la description faite par le Tribunal du groupe qui cherchait à être syndiqué, comme suit :

[Traduction anglaise non officielle de CanLII

du jugement de la Cour]

 

[…]

 

[18]…

 

[18]…

[315] … des cadres de premier niveau, dans une organisation qui comprend cinq paliers ou plus de gestion. Ils sont souvent issus euxmêmes du groupe qu’ils supervisent. Tout en étant « les yeux et les oreilles de l’employeur sur le plancher », ils ne bénéficient pas de la relation privilégiée que peuvent entretenir les cadres de niveaux supérieurs avec l’entreprise. Ils ne participent pas aux orientations de l’entreprise. Ils ne jouent pas non plus de rôle stratégique dans les relations du travail : ils ne négocient pas les conventions collectives; ils en assurent l’application dans le quotidien des activités. En résumé, les cadres de premier niveau sont véritablement entre « l’arbre et l’écorce ».

[315] … first‑level managers in an organization with five or more levels of management. They often come from the very group they supervise. While they are “the employer’s eyes and ears on the floor”, they do not have the special relationship with the company that higher‑level managers may have. They do not participate in setting the company’s orientations. Nor do they play a strategic role in labour relations: they do not negotiate collective agreements; they see to their application in day‑to‑day activities. In short, first‑level managers are truly “between a rock and a hard place”.

 

 

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[183] Le Tribunal a souligné au paragraphe 259 de 2016 QCTAT 6870 que le Code du travail du Québec visait les gestionnaires au sens large, sans être limité à ceux qui exercent des fonctions de direction, comme le prévoit le Code canadien du travail.

[184] Le Tribunal a ensuite rejeté la notion selon laquelle l’exclusion des gestionnaires de premier niveau est une composante nécessaire du modèle fondé sur la loi Wagner, soulignant que d’autres lois sur les relations de travail au Canada n’adoptent pas une exclusion aussi large et permettent la syndicalisation des gestionnaires de premier niveau (aux par. 406 à 408).

[185] Je conviens qu’une exclusion générale de tous les gestionnaires de premier niveau ne fait pas partie du modèle fondé sur la loi Wagner. Dans des cas comme celui dont je suis saisi, les dispositions d’exclusion et la jurisprudence de la Commission ne prévoient pas l’exclusion de tous les gestionnaires de premier niveau.

[186] J’estime que Société des casinos du Québec n’est pas directement pertinente pour décider s’il y a violation de la liberté d’association pour une exclusion plus restreinte des fonctionnaires de l’unité de négociation en vertu de la Loi. Toutefois, j’accepte son analyse d’APMO et de la portée de la liberté d’association en vertu de la Charte.

[187] Les fonctionnaires qui occuperont des postes exclus seront empêchés de participer au régime de négociation collective prévu par la Loi. Je suis d’accord avec l’employeur pour dire que ces fonctionnaires ne seront pas empêchés de s’associer. Toutefois, un tel niveau d’association n’est pas suffisant pour respecter la liberté d’association protégée par la Charte des fonctionnaires occupant des postes exclus. Le droit protégé par la Charte de ces fonctionnaires de s’associer pour faire face, dans des « conditions plus égales », au pouvoir et à la force de l’employeur (voir APMO, au par. 66) est limité par le manque d’accès à un régime de négociation collective efficace. Même si la liberté d’association ne garantit pas l’accès à un modèle particulier de relations du travail, elle garantit l’accès à un processus véritable de négociation collective.

[188] Comme la Cour suprême du Canada l’a souligné dans APMO, l’objectif de la négociation collective consiste à protéger « l’autonomie collective des employés » contre le « pouvoir supérieur de l’administrateur » et à maintenir « un équilibre » entre les parties (au par. 82). Un modèle d’association simplement consultatif ne préserve pas l’autonomie collective des fonctionnaires occupant des postes exclus, et il ne maintient pas un équilibre entre les parties.

[189] Par conséquent, je conclus que les dispositions d’exclusion limitent la liberté d’association garantie par la Charte pour les fonctionnaires occupant des postes exclus et ne sont pas conformes aux valeurs qui soustendent la Charte. J’examine maintenant la question de savoir si les dispositions d’exclusion sont justifiées au regard de l’article premier de la Charte.

E. Article premier de la Charte

[190] La Cour suprême du Canada a déclaré que « [i]l peut être nécessaire de les restreindre lorsque leur exercice empêcherait d’atteindre des objectifs sociaux fondamentalement importants. » (voir Oakes, au par. 65, et Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68, au par. 137). L’article premier de la Charte permet au législateur d’adopter des lois qui restreignent les droits garantis par la Charte s’il est établi que les limites imposées sont des limites raisonnables dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Le critère applicable à la justification au regard de l’article premier a été établi dans Oakes et comporte les deux volets suivants :

1) l’objectif est‑il urgent et réel?

2) existe‑t‑il une proportionnalité entre l’objectif et les moyens utilisés pour le réaliser?

 

[191] Le deuxième volet du critère énoncé dans Oakes comporte les trois parties suivantes :

a) Existe‑t‑il un « lien rationnel » entre la mesure contestée et l’objectif réel et urgent?

b) La restriction porte‑t‑elle le moins possible atteinte au droit ou à la liberté pour atteindre l’objectif?

c) Existe‑t‑il une proportionnalité entre les effets « préjudiciables » (nocifs) de la loi et ses effets « bénéfiques » (avantages)?

 

[192] Dans le présent cas, il incombe à l’employeur de satisfaire à toutes les parties du critère énoncé dans Oakes, selon la prépondérance des probabilités.

F. Objectif urgent et réel

[193] Le seuil de ce qui constitue un objectif urgent et réel est élevé. L’objectif doit être « suffisamment important pour justifier la suppression d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution »; voir Oakes, au paragraphe 69. L’objectif ne doit pas être « peu importan[t] » ou « contrair[e] aux principes qui constituent l’essence même d’une société libre et démocratique »; voir Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68, au paragraphe 20. Dans Sauvé, la Cour suprême du Canada a également fait remarquer qu’à ce stade‑ci du critère énoncé dans Oakes (au par. 137) :

[…] il importe de distinguer entre l’objectif et le moyen choisi pour l’atteindre, la Cour devant s’assurer qu’il s’agit d’un objectif urgent et réel, conforme aux principes qui constituent l’essence même d’une société libre et démocratique et visant la réalisation d’objectifs collectifs d’une importance fondamentale.

 

[194] Il convient de faire preuve d’une certaine retenue à l’égard du législateur lorsqu’il s’agit de déterminer si une disposition portant atteinte à la loi vise un objectif urgent et réel (voir, par exemple, Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143).

[195] Lorsqu’il s’agit de déterminer si un objectif théorique est urgent et réel, des éléments de preuve ne sont pas nécessaires à cette étape de l’analyse. Il suffit à l’employeur d’affirmer qu’un objectif théorique est urgent et réel, ce qui peut être déterminé en fonction du bon sens; voir Harper c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 33, aux paragraphes 25 et 26. Toute incapacité à établir l’existence ou l’ampleur d’un objectif urgent et réel est généralement examinée à l’étape de la proportionnalité du critère énoncé dans Oakes.

[196] Un examen des dispositions législatives constitue la première étape pour déterminer l’objectif des exclusions et déterminer si cet objectif est urgent et réel. Les postes susceptibles d’être exclus de l’unité de négociation sont des postes de direction ou de confiance. Les postes de direction qui sont exclus sont décrits dans la Loi comme des postes comportant « dans une proportion notable, des attributions de gestion » ou comme traitant officiellement de griefs en vertu de la Loi. Les postes qui sont des postes de confiance comprennent les postes de confiance auprès de l’administrateur général; les postes qui fournissent des conseils en matière de relations de travail, de dotation ou de classification et les postes qui ne devraient pas être inclus en raison d’un conflit d’intérêts ou « […] pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de ses fonctions auprès de l’employeur […] ».

[197] La disposition législative pertinente (les dispositions d’exclusion) prévoit que certains postes de l’unité de négociation proposée doivent être désignés comme des postes de direction ou de confiance. Ces dispositions visent à empêcher que les fonctionnaires occupant des postes de direction ou de confiance soient inclus dans une unité de négociation composée de fonctionnaires représentés par un agent négociateur, dans le présent cas, la FPN. Le fondement de cet objectif est le conflit d’intérêts qui peut découler de [traduction] « […] l’existence de loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation » (voir Cowichan Home Support Society, au par. 115).

[198] L’objectif des exclusions relatives aux conflits d’intérêts doit être situé dans le contexte de l’objectif global de la négociation collective. Selon la Cour suprême du Canada dans APMO, l’objectif général consiste à protéger « l’autonomie collective des employés » contre le « pouvoir supérieur de l’administrateur » et à maintenir « un équilibre » entre les parties (au par. 82). Dans ce contexte, la prévention d’un conflit d’intérêts qui peut découler de [traduction] « […] l’existence de loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation » est, théoriquement, un objectif urgent et réel. La FPN a proposé que ces fonctionnaires exclus soient inclus dans l’unité de négociation des RM, mais l’inclusion de tous les fonctionnaires occupant des postes de direction ou de confiance dans cette unité de négociation pourrait mener à un déséquilibre entre les parties.

[199] La FPN a décrit l’objectif urgent et réel invoqué par l’employeur comme assurant un système contradictoire de négociation collective et comme ne protégeant pas contre un conflit d’intérêts qui peut découler de [traduction] « […] l’existence de loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation ». L’employeur n’était pas d’accord avec le fait qu’il avait limité sa qualification de l’objectif urgent et réel. Je conclus que, en fonction du rapport Heeney et de la jurisprudence antérieure des commissions des relations du travail sur l’objet des exclusions, l’objectif urgent et réel des dispositions d’exclusion consiste à prévenir un conflit d’intérêts au sens large de lutter contre les [traduction] « […] loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation » qui se rapportent aux conditions fondamentales de la relation de travail. L’accent est mis sur l’établissement des conditions fondamentales d’emploi et non sur la gestion quotidienne des fonctionnaires de l’unité de négociation.

[200] La FPN a soutenu que l’objectif d’assurer un système contradictoire de négociation collective ne pouvait pas être urgent et réel, puisque les postes proposés n’ont pas encore été exclus et que l’employeur n’a pris aucune mesure pour répondre aux préoccupations concernant les conflits d’intérêts. En d’autres termes, la FPN a laissé entendre que, puisque les parties ont réussi jusqu’ici sans les exclusions en place, le statu quo démontre que l’objectif n’est pas urgent et réel.

[201] Je tiens d’abord à souligner que la Loi empêche l’employeur de faire quoi que ce soit relativement aux postes dont l’exclusion est proposée jusqu’à ce que la Commission rende une ordonnance déclarant que les postes sont des postes de direction ou de confiance. Les cotisations syndicales continuent d’être déduites des fonctionnaires occupant les postes proposés, et elles leur seront soit remboursées (si l’exclusion proposée est accordée), soit remises à la FPN (si l’exclusion proposée est refusée). L’employeur « gère les risques » du statu quo, et la FPN a exigé que les personnes occupant des postes de RRL signent une déclaration. Je traiterai de la déclaration dans la prochaine section des présents motifs. À mon avis, le statu quo n’est pas viable puisqu’il ne fournit pas les garanties nécessaires pour prévenir les conflits d’intérêts qui peuvent découler de [traduction] « […] l’existence de loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation » qui se rapportent aux conditions fondamentales de la relation de travail.

[202] En conclusion, j’estime que la prévention d’un conflit d’intérêts qui peut découler de [traduction] « […] l’existence de loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation » qui se rapportent aux conditions fondamentales de la relation de travail est, théoriquement, un objectif urgent et réel.

G. Les moyens utilisés pour réaliser l’objectif sont‑ils proportionnés?

1. Les dispositions d’exclusion ont‑elles un lien rationnel avec l’objectif urgent et réel?

[203] La Cour suprême du Canada a souligné que pour répondre à cette question, il suffit de « […] démontrer qu’il est raisonnable de supposer que la restriction peut contribuer à la réalisation de l’objectif, et non qu’elle y contribuera effectivement »; voir Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37 (« Hutterian Brethren »), au paragraphe 48. La Cour a qualifié le critère de « pas particulièrement exigeant »; voir Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, au paragraphe 228; Canada (Procureur général) c. JTI‑Macdonald Corp., 2007 CSC 30, au paragraphe 40.

[204] La FPN a soutenu que certains alinéas des dispositions d’exclusion ne sont pas liés à l’assurance d’un système contradictoire de négociation collective et, par conséquent, ne sont pas rationnellement liés à un objectif urgent et réel. J’examinerai chacun des alinéas en litige.

[205] L’alinéa 59(1)a) exclut les postes qui sont des postes de confiance auprès de l’administrateur général (dans le présent cas, le commissaire de la GRC). Pour des exemples de l’interprétation du terme « confidentiel » par la Commission, voir Canada c. AFPC 1979 et Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2017 CRTEFP 11. La FPN a déclaré qu’un administrateur général n’a aucun rôle à jouer dans la négociation collective, puisque le Conseil du Trésor est l’employeur. L’article 110 de la Loi permet au commissaire de la GRC et à la FPN d’entreprendre des négociations collectives à deux niveaux, même si aucune négociation de ce genre n’a encore eu lieu. Je n’ai entendu aucun témoignage sur le rôle du commissaire de la GRC dans les négociations collectives en général. Toutefois, la FPN a admis que le commissaire était au moins consulté sur les questions de négociation collective. J’accepte également que le commissaire participerait aux affaires concernant les relations de travail en général. Par conséquent, je conclus que cet alinéa est rationnellement lié à l’objectif urgent et réel consistant à prévenir un conflit d’intérêts qui peut découler de [traduction] « […] l’existence de loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation » qui se rapportent aux conditions fondamentales de la relation de travail.

[206] La FPN a convenu que l’alinéa 59(1)c) a un lien rationnel avec l’objectif des dispositions d’exclusion, puisque le titulaire du poste en litige prodigue des conseils sur les relations de travail. Elle n’a pas convenu que la restriction relative aux postes qui fournissent des conseils en matière de dotation et de classification a un lien rationnel avec l’objectif.

[207] Si l’on limite l’objectif des dispositions d’exclusion uniquement à l’assurance d’un système contradictoire de négociation collective, la FPN a raison. Toutefois, l’objectif des dispositions d’exclusion est plus vaste que simplement assurer un système de négociation collective contradictoire – il comprend tous les aspects de la prévention d’un conflit d’intérêts qui peut découler de [traduction] « […] l’existence de loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation » qui se rapportent aux conditions fondamentales de la relation de travail. La dotation et la classification sont des aspects centraux de la relation de travail. La dotation de postes peut avoir une incidence sur la rémunération et les indemnités, un aspect central d’une relation de travail. De même, la classification des postes peut avoir une incidence directe sur la rémunération. Par conséquent, je conclus qu’il existe un lien rationnel entre l’alinéa 59(1)c) et l’objectif réel et urgent.

[208] La FPN a soutenu que les restrictions liées aux postes visés par l’alinéa 59(1)e) ne sont pas liées non plus à l’assurance d’un système contradictoire de négociation collective. Cet alinéa prévoit deux catégories de postes : les postes dont le titulaire exerce 1) « […] dans une proportion notable, des attributions de gestion à l’égard de fonctionnaires […] » ou 2) « […] des attributions l’amenant à s’occuper officiellement, pour le compte de l’employeur, de griefs présentés selon la procédure […] » énoncée à la partie 2.1 de la Loi.

[209] La phrase « […] dans une proportion notable, des attributions de gestion à l’égard de fonctionnaires […] » a été interprétée de façon étroite par la Commission. La simple supervision des fonctionnaires ne suffit pas pour justifier une exclusion de l’unité de négociation (voir, par exemple, Régie de l’énergie du Canada, aux par. 119 à 130).

[210] Dans Canada c. AFPC 1979 (aux par. 54 et 56), la CRTFP a déclaré, en ce qui concerne les fonctions de supervision, ce qui suit :

54. Un superviseur a pour fonction très importante de servir de lien dans la chaîne de communication entre la direction et les employés. On s’attend à ce qu’il transmette et interprète les lignes directrices et les décisions administratives de ses supérieurs. En plus de répondre aux besoins de la direction, il doit faire part à ses supérieurs des difficultés rattachées à la mise en œuvre des lignes directrices ainsi que des préoccupations et des plaintes formulées par son personnel. Pour ce faire, il se peut qu’il ait à recevoir et à transmettre des griefs, et aussi à rédiger des rapports et à faire des recommandations à ce sujet. Bien sûr, il se peut que certaines de ces communications soient réservées à une ou plusieurs personnes, mais l’échange de ces renseignements confidentiels fait partie intégrante du rôle de tout superviseur. Le rapport qui existe entre M. Sisson et M. MacKeen dans la procédure de règlement des griefs est le même que celui qui existe normalement et habituellement entre un superviseur et son supérieur. Il ne s’agit pas d’« un rapport dont la nature diffère des rapports généraux habituels et qui comporte un certain degré de confiance ».

[…]

56. […] Si l’employeur, au lieu de confier la responsabilité d’enquêter sur les griefs au plus petit nombre de personnes possible, répartit cette responsabilité de telle sorte qu’un nombre plus important d’employés se trouvent occasionnellement devant un conflit d’intérêts, il ne peut s’attendre à ce que la Commission approuve une telle mesure. Si la Commission désignait M. Sisson en vertu de l’alinéa f) de la définition parce qu’il lui arrive à l’occasion d’échanger avec son supérieur des renseignements confidentiels au sujet des griefs, elle créerait un précédent qui donnerait lieu à des propositions voulant que d’autres superviseurs à qui il arrive aussi d’échanger des renseignements confidentiels ayant trait aux griefs soient désignés à titre de personnes « préposées à la gestion ou à des fonctions confidentielles ». En agissant ainsi, nous négligerions de nous assurer que le plus grand nombre de personnes possible jouissent de la liberté et des droits rattachées à la négociation collective.

 

[211] Les attributions de gestion notables qui justifieraient une exclusion doivent avoir une incidence sur les [traduction] « conditions fondamentales d’emploi » (voir Humber River Regional Hospital v. ONA, 2014 CarswellOnt 16646, aux par. 151 et 152, citée dans Régie de l’énergie du Canada, au par. 106).

[212] Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), dossier de la CRTFP 174‑02‑250 (19770214), [1977] C.R.T.F.P.C. no 3 (QL) (« AFPC c. CT 1977 »), la CRTFP a souligné que la Commission avait établi des lignes directrices sur la notion d’« équipe de gestion », qui ont été appliquées de façon uniforme (au par. 17) :

[…] Il n’est pas nécessaire de les décrire ici, sauf pour souligner qu’elles sous‑entendent une possibilité réelle de conflit d’intérêts parce que les personnes en cause participent ou contribuent à l’élaboration des politiques, à la prise de décisions ou à la gestion, aux niveaux supérieurs du secteur de la fonction publique où ils travaillent […]

 

[213] Selon l’interprétation de la Commission, l’exclusion de la proportion notable des attributions de gestion est rationnellement liée à l’objectif urgent et réel consistant à prévenir un conflit d’intérêts qui peut découler de [traduction] « […] l’existence de loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation » qui se rapportent aux conditions fondamentales de la relation de travail. Il en est ainsi parce que l’interprétation de la Commission signifie que seules les personnes ayant une réelle probabilité de conflit d’intérêts se retrouvent dans cette catégorie de postes de direction ou de confiance.

[214] L’autre partie de l’alinéa 59(1)c) a trait au fait que les fonctionnaires « s’occupe[nt] officiellement, pour le compte de l’employeur, de griefs présentés selon la procédure […] » prévue à la partie 2.1 de la Loi. La partie 2.1 de la Loi permet à un membre de la GRC de présenter un grief individuel « seulement lorsqu’il s’estime lésé par l’interprétation ou l’application à son égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale » (art. 238.24). Ces griefs portent clairement sur l’interprétation des dispositions découlant de la négociation collective, ce qui place le fonctionnaire dans une situation de conflit d’intérêts potentiel. Par conséquent, cette disposition est également rationnellement liée à l’objectif urgent et réel consistant à prévenir un conflit d’intérêts qui peut découler des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation qui se rapportent aux conditions fondamentales de la relation de travail.

[215] La FPN a également soutenu que l’alinéa 59(1)g) n’est pas rationnellement lié à l’assurance d’un système contradictoire de négociation collective. Il s’agit d’une disposition passe‑partout pour les postes qui ne sont pas visés par les autres alinéas et qui devraient être exclus pour « […] des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de ses fonctions auprès de l’employeur […] ». Dans Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2012 CRTFP 46, la Commission a examiné l’objet de cet alinéa, comme suit (aux par. 69 à 72) :

69 L’alinéa 59(1)g) de la LRTFP est une disposition générique qui semble destinée à englober les situations pour lesquelles exclure un employé peut être justifié par un motif, parmi un large éventail, qui ne figure pas dans les descriptions plus précises des autres alinéas. Le terme « conflit d’intérêts » peut signifier soit que le conflit doit être constaté en examinant les fonctions et les obligations dont s’acquitte l’employé de façon générale (plutôt qu’en se référant à l’exercice précis de tout pouvoir de direction ou de décision ou d’une fonction reliée aux relations de travail) ou que la caractéristique particulière du poste qui donne lieu au conflit d’intérêts n’est pas visée par les autres alinéas parce qu’il est impossible de prévoir tous les cas où un conflit peut survenir au moment de rédiger une loi.

70 Le deuxième motif d’exclusion du poste d’un titulaire en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP – « […] ses fonctions auprès de l’employeur […] » – est encore moins limitatif. Cette description confère à la CRTFP un pouvoir discrétionnaire très large pour exclure un employé sur la base d’aspects de ses fonctions et de ses responsabilités et pour demander aux arbitres de grief de considérer avec soin, en vertu de cet alinéa, les relations globales entre le poste et les intérêts du demandeur. Dans ce contexte, il n’est peut‑être pas surprenant que la jurisprudence ne soit pas parvenue à articuler un ensemble de critères clairs pour l’application de cette disposition. Dans Gestrin et Sunga, l’ancienne Commission avait émis l’hypothèse que l’ancienne version de cette disposition devait exiger que l’on détermine si un employé faisait partie de l’équipe de gestion. Dans des cas ultérieurs, comme Andres et Webb, on avait conclu que le concept d’équipe de gestion ne pouvait rendre compte de tous les conflits d’intérêts pouvant justifier l’exclusion en vertu de cette disposition et que les arbitres de grief devraient examiner la question de manière plus générale. Bien que les décisions qui m’ont été soumises traitent souvent des concepts d’« équipe de gestion » et de « conflit d’intérêts », qui sont considérés comme étant étroitement reliés et comme faisant partie d’une approche globale pour évaluer un poste, elles apportent peu d’éclaircissements en matière de définition ou de critères pour effectuer une telle évaluation. À dire vrai, puisque cette disposition semble avoir été conçue pour servir de clause passe‑partout conférant à la CRTFP un champ d’application étendu pour considérer l’exclusion de postes peu communs et qui ne peuvent être prévus, on ne devrait pas attendre de la CRTFP qu’elle entrave son pouvoir discrétionnaire en tentant de fournir une définition plus restrictive de sa tâche.

71 À de nombreuses occasions, les arbitres de grief ont conseillé la prudence lorsqu’il s’agit de déterminer si un poste devrait être exclu d’une unité de négociation. La perte de la protection de l’agent négociateur et des bénéfices découlant d’une convention collective peut avoir des répercussions importantes sur un employé. Ces avantages ne devraient pas être retirés inconsidérément.

72 D’un autre côté, dans certaines circonstances, inclure un employé dans une unité de négociation peut compromettre l’efficacité de cet employé dans l’exercice de fonctions essentielles pour le demandeur. Il ressort de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP que les raisons permettant de conclure à l’existence de ce risque peuvent comprendre des facteurs qui ne sont pas pris en compte d’ordinaire. S’il est conclu qu’il y a une incompatibilité fondamentale entre les fonctions d’un employé et son inclusion dans une unité de négociation, le poste de l’employé peut légitimement être exclu.

 

[216] La Commission a ensuite conclu que « [n]ormalement, le recours à cette disposition législative devrait être restreint, et elle ne devrait être jugée applicable que dans des situations inhabituelles » (au par. 76). Dans AFPC c. CT 1977, la Commission a fait remarquer (au par. 17) qu’un poste peut être visé par l’alinéa g) « pourvu qu’il soit prouvé qu’il peut y avoir conflit d’intérêts entre ses fonctions et responsabilités envers l’employeur, qui ne sont pas décrites aux alinéas c) à f) ».

[217] Cet alinéa n’est utilisé que dans de rares circonstances. Selon l’interprétation de la Commission, l’alinéa porte sur un conflit d’intérêts prouvé qui n’est pas visé par les autres alinéas pertinents du paragraphe 59(1). Compte tenu de l’accent mis sur un conflit d’intérêts prouvé et de son utilisation parcimonieuse, cet alinéa est rationnellement lié à l’objectif urgent et réel consistant à prévenir un conflit d’intérêts qui peut découler de [traduction] « […] l’existence de loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation » qui se rapportent aux conditions fondamentales de la relation de travail.

[218] Je conclus que les dispositions d’exclusion sont rationnellement liées à l’objectif urgent et réel consistant à prévenir un conflit d’intérêts qui peut découler de [traduction] « […] l’existence de loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation » qui se rapportent aux conditions fondamentales de la relation de travail.

2. Les dispositions d’exclusion portent-elles le moins possible atteinte à la liberté d’association?

[219] Selon cette partie du critère énoncé dans Oakes, l’employeur doit établir que la restriction porte le moins possible atteinte à la liberté d’association pour atteindre l’objectif législatif, comme suit (tiré de RJRMacDonald Inc. c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 199, au par. 160) :

160 […] La restriction doit être « minimale », c’est‑à‑dire que la loi doit être soigneusement adaptée de façon à ce que l’atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est nécessaire. Le processus d’adaptation est rarement parfait et les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur. Si la loi se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu’elle a une portée trop générale simplement parce qu’ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l’objectif et à la violation […]

 

[220] Dans Hutterian Brethren, la Cour suprême du Canada a clarifié la norme et a conclu que les solutions de rechange n’ont pas à satisfaire à l’objectif urgent et réel exactement au même degré que les moyens choisis par le gouvernement. Cette norme comprend plutôt des mesures qui protègent suffisamment l’objectif du gouvernement, compte tenu de toutes les circonstances. La Cour a reformulé le critère de l’atteinte minimale comme suit : « […] s’il existe un autre moyen attentatoire d’atteindre l’objectif de façon réelle et substantielle »; voir Hutterian Brethren, au paragraphe 55.

[221] Dans Oakes, la Cour a déclaré qu’une certaine retenue envers le législateur sera justifiée lors de l’évaluation de l’atteinte minimale et qu’il faudra « généralement » des éléments de preuve pour justifier une atteinte en vertu de l’article premier (au par. 68). Le bon sens et les inférences logiques peuvent compléter les éléments de preuve, mais comme la Cour l’a souligné, la déférence ne doit pas être substituée à la « démonstration raisonnée » requise par l’article premier; voir Sauvé, au paragraphe 18.

[222] Dans ce contexte, dans APMO, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit (au par. 152) : « À moins qu’on établisse que la GRC est substantiellement différente des forces policières provinciales, son exclusion totale d’un régime véritable de négociation collective ne peut clairement pas constituer une atteinte minimale. » Dans ce cas, elle a conclu qu’aucune telle différence substantielle n’avait été démontrée.

[223] Je ne considère pas que la conclusion de la Cour suprême du Canada selon laquelle il n’y a pas de différence substantielle entre la GRC et les forces policières provinciales en ce qui concerne l’exclusion de la négociation collective s’applique à l’exclusion de certaines catégories de membres de la GRC de la liberté d’association. La Cour a rendu sa conclusion dans le contexte d’une interdiction complète de la négociation collective. Ceci est confirmé comme suit dans ce même paragraphe de cette décision (voir APMO, au par. 152) :

[…] De plus, dans des régimes comme celui de la LRTFP actuelle, les préoccupations quant à l’indépendance des membres de la Gendarmerie pourraient facilement être examinées au moment de déterminer l’étendue de l’unité de négociation — sans qu’une exclusion totale ne soit nécessaire […]

 

[224] Les tribunaux examinent habituellement les éléments de preuve selon lesquels le gouvernement a exploré d’autres options que la mesure contestée et les éléments de preuve à l’appui de ses motifs pour rejeter ces solutions. Dans le présent cas, la demanderesse n’a pas examiné d’autres options que les exclusions, comme en témoigne le rapport Heeney. On peut peut‑être comprendre qu’elle ne l’ait pas fait, car les exclusions d’une unité de négociation en fonction de la prévention d’un conflit d’intérêts qui peut découler de [traduction] « […] l’existence de loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation » qui se rapportent aux conditions fondamentales de la relation de travail sont courantes dans les régimes de relations de travail partout au Canada et étaient en vigueur bien avant l’avènement de la Charte.

[225] La FPN a laissé entendre que les membres de la GRC ont une obligation de loyauté envers l’employeur plus élevé que les autres fonctionnaires du secteur public fédéral, en invoquant les décisions Read, Queen et McGillivray. Ces décisions n’ont pas été rendues dans le contexte d’une discussion sur les dispositions d’exclusion, et j’estime qu’elles sont d’une pertinence limitée.

[226] Dans Queen, la Cour suprême du Canada a conclu que les membres de la GRC sont assujettis à une norme de conduite plus élevée que celle du citoyen ordinaire (à la p. 158) et n’a pas comparé la norme à la norme attendue pour les autres fonctionnaires du secteur public fédéral. La Cour n’a pas traité dans cette affaire d’une obligation de loyauté découlant des fonctions que les membres de la GRC exercent pour leur employeur dans le contexte des conditions fondamentales de la relation de travail. Dans McGillivray, la Cour a fait remarquer que les membres de la GRC sont assujettis à une norme de conduite plus élevée (au par. 33), mais elle n’a pas identifié le groupe de comparaison – est‑elle plus élevée que celle du citoyen ordinaire ou est‑elle plus élevée que celle des autres fonctionnaires du secteur public fédéral? Encore une fois, la Cour n’a pas traité dans cette affaire d’une obligation de loyauté découlant des fonctions que les membres de la GRC exercent pour leur employeur dans le contexte des conditions fondamentales de la relation de travail.

[227] Dans Read, le commissaire adjoint de la GRC a conclu que les officiers de la GRC devraient être assujettis à une obligation de loyauté plus élevée que les autres fonctionnaires du secteur public fédéral. Toutefois, la Cour n’a pas accepté ce point de vue et a déclaré ce qui suit :

[…]

[116] Je ne suis pas disposé à dire, comme l’ont fait le commissaire adjoint et le comité d’arbitrage, que les membres de la GRC doivent être tenus à une norme plus élevée que les autres fonctionnaires. Cependant, je suis tout à fait d’accord avec le commissaire adjoint, et pour les motifs qu’il donne, que l’obligation de loyauté des agents de la GRC doit nécessairement répondre à une norme très élevée. La question de savoir si cette norme est plus élevée que celle qui est imposée aux autres fonctionnaires dépendra à mon avis des circonstances de l’affaire considérée, outre, pour reprendre les propos du juge en chef Dickson dans l’arrêt Fraser, précité, « le poste et la visibilité du fonctionnaire ».

[…]

 

[228] J’estime qu’il n’est pas clair, d’après la jurisprudence citée par la FPN, que l’obligation de loyauté découlant des fonctions que les membres de la GRC exercent pour leur employeur dans le contexte des conditions fondamentales de la relation de travail est plus élevée que celle d’un fonctionnaire du secteur public fédéral. Quoi qu’il en soit, les discussions sur l’« obligation de loyauté » dans les cas mentionnés ci‑dessus portent sur des normes de conduite concernant soit la divulgation publique d’actes répréhensibles, soit la désobéissance à un ordre – des questions bien différentes du conflit d’intérêts qui peut survenir dans le contexte des relations de travail. De plus, les dispositions d’exclusions visent plus que les situations individuelles de conflit d’intérêts – elles englobent la question plus générale de prévenir un conflit d’intérêts qui peut découler de [traduction] « […] l’existence de loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation » qui se rapportent aux conditions fondamentales de la relation de travail.

[229] La FPN a également proposé que les membres de la GRC occupant des postes dont l’exclusion est proposée aient signé une déclaration écrite qui offre une protection contre tout conflit d’intérêts. Cet engagement écrit a été préparé par la FPN, et je n’ai entendu aucun témoignage ni aucun argument sur la façon dont l’employeur pourrait le faire respecter. Même si les ententes conclues par les parties au cours de cette période intermédiaire, avant l’exclusion des postes, sont louables, il s’agit de mesures provisoires qui ne sont pas censées constituer une solution permanente au type de conflit d’intérêts que les dispositions d’exclusion visent à prévenir.

[230] La FPN a également proposé que le travail effectué par les membres de la GRC qui pourrait entraîner un conflit d’intérêts puisse être effectué par d’autres employés, à l’extérieur de l’unité de négociation des RM. Même si l’employeur a l’obligation d’organiser ses affaires de façon à ce que ses membres [traduction] « ne soient pas occasionnellement placés » en conflit d’intérêts éventuels si ce résultat peut être [traduction] « facilement évité » (voir Canada c. AFPC 1979), la proposition de la FPN va bien au‑delà de cette obligation. La proposition de la FPN ne vise pas les personnes [traduction] « occasionnellement placées » en situation de conflit d’intérêts, mais celles dont les fonctions les placent régulièrement en situation de conflit d’intérêts. Je n’ai entendu aucun argument sur la façon dont un tel changement serait conforme aux dispositions de la Loi ou à la jurisprudence de la Commission. Je souligne également qu’une telle mesure exigerait probablement que les membres occupant des postes déclarés de direction ou de confiance soient réaffectés et qu’il y ait une réduction globale des postes disponibles pour les membres. Cette réaffectation des membres découlerait de la réaffectation de leurs attributions et de leurs fonctions à d’autres fonctionnaires du secteur public fédéral à la GRC. De plus, le nombre de postes offerts aux membres serait réduit en raison de la réaffectation des attributions et des fonctions à d’autres fonctionnaires du secteur public fédéral.

[231] De plus, lorsqu’il s’agit d’évaluer si les dispositions d’exclusion portent le moins possible atteinte à la liberté d’association, il est important de tenir compte de la jurisprudence de la Commission que j’ai exposée plus haut dans la présente décision, qui a interprété de manière étroite les dispositions en vue de limiter le nombre de postes exclus et qui a appliqué, au cours des dernières années, les valeurs de la Charte pour déterminer si l’exclusion proposée est appropriée.

[232] La Cour d’appel du Québec a conclu dans Société des casinos du Québec que l’exclusion de tous les gestionnaires n’était pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte. J’ai déjà souligné que la disposition législative en litige dans cette affaire était beaucoup plus large que les dispositions de la Loi en litige dans le présent cas.

[233] La Cour d’appel du Québec a indiqué (au par. 182) que « […] l’exclusion sans nuance de tous les niveaux de cadres de la définition de salariés apparaît clairement être en porte‑à‑faux » avec la jurisprudence de la Cour suprême du Canada. Elle a également fait remarquer que les dispositions québécoises n’avaient pas suivi l’évolution de la législation dans d’autres provinces et territoires (elle a fait référence au Code canadien du travail et aux lois en Ontario et au Manitoba comportant des dispositions semblables à celles de la Loi).

[234] La Cour d’appel du Québec a retenu le raisonnement du Tribunal en ce qui concerne l’atteinte minimale à la liberté d’association (aux par. 180 et 181) :

[180]… la Cour est d’avis qu’il n’y a rien à redire au constat du TAT, selon lequel le bât blesse de façon déterminante à l’étape du critère de l’atteinte minimale, ce qui le justifiait de conclure que le PGQ a échoué à satisfaire le test de justification :

[423] L’exclusion des cadres du régime d’accréditation général est faite sans aucune distinction quant à leur rang dans l’entreprise, la nature de leurs fonctions, le fait qu’ils aient ou non accès à de l’information confidentielle, leur participation aux négociations avec les groupes syndiqués et ainsi de suite.

[424] Cette exclusion ne se limite pas non plus à interdire que les cadres fassent partie de la même unité que le reste des employés. C’est pourtant un modèle possible afin de prévenir les conflits d’intérêts, modèle choisi pour les policiers municipaux et récemment pour les enquêteurs de la CCQ dans le cadre de la lutte contre la corruption dans l’industrie de la construction.

[425] Plusieurs autres modèles, adoptés par le législateur en regard de groupes particuliers, tel qu’il ressort de la revue des régimes spécifiques faite précédemment, permettent une atteinte moins grande à la liberté d’association.

[426] Qui plus est, des exemples au Québec, au Canada et au niveau international démontrent la possibilité pour des cadres d’être syndiqués sans pour autant que cela ne nuise à leur rôle au sein de l’entreprise. [242]

[181] En fait, le PGQ n’a pas établi « que la mesure en cause restreint le droit aussi peu que cela est raisonnablement possible aux fins de la réalisation de l’objectif législatif »

 

[CanLII unofficial English translation of the judgment of the Court]

[180]… the Court sees no fault in the ALT’s finding that the determinative flaw is at the minimal impairment stage, which justified the ALT’s conclusion that the AGQ failed to satisfy the justificatory test:

[423] The exclusion of managerial personnel from the general certification scheme does not in any way distinguish on the basis of their rank within the company, the nature of their functions, whether or not they have access to confidential information, their involvement in negotiations with the unionized groups, and so on.

[424] Nor is the exclusion limited to prohibiting managerial personnel from being in the same unit as the rest of the employees, despite this being a possible model for preventing conflicts of interest—a model chosen for municipal police officers and, recently, for CCQ investigators in connection with the fight against corruption in the construction industry.

[425] Several other models, which have been adopted by the legislature with respect to particular groups, as shown above in the review of specific schemes, allow for less impairment of freedom of association.

[426] Moreover, examples in Quebec, Canada and internationally demonstrate that it is possible for managerial personnel to be unionized without this adversely affecting their role within the company. [242]

[181] In fact, the AGQ has not established “that the measure at issue impairs the right as little as reasonably possible in furthering the legislative objective”…

 

 

[235] Je conviens qu’une exclusion de tous les gestionnaires de l’unité de négociation ne serait pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte. La Loi distingue toutefois les fonctionnaires en fonction de la « nature de leurs fonctions », de leur accès à des renseignements confidentiels et de leur participation aux relations de travail. Pour ce motif, j’estime que la décision de la Cour d’appel n’est pas convaincante dans le cas dont je suis saisi.

[236] L’approche minimaliste de la Commission en matière d’exclusion n’a pas été aussi générale que l’application du Code du travail du Québec, par exemple, où tous les gestionnaires de première ligne ont été exclus de la négociation collective. La Loi et l’application de la Loi par la Commission ont mis l’accent sur les conflits d’intérêts et le risque de double loyauté, qui constituent des préoccupations bien réelles dans les relations de travail. De cette façon, les dispositions de la Loi portent le moins possible atteinte à la liberté d’association garantie par la Charte.

3. Les avantages des dispositions d’exclusion l’emportent‑ils sur ses effets préjudiciables?

[237] La dernière étape des critères énoncés dans Oakes exige que les « effets bénéfiques » (avantages) des dispositions contestées l’emportent sur ses effets « préjudiciables » (nocifs). Dans JTI‑Macdonald, la Cour suprême a déclaré ce qui suit au paragraphe 45 :

45 […] Cet examen est axé sur l’effet pratique de la loi. Quels effets bénéfiques la mesure aura‑t‑elle sur le plan du bien collectif recherché? Quelle est l’importance de la restriction du droit? La restriction est‑elle justifiée lorsque les avantages qu’elle procure sont mis en balance avec la mesure dans laquelle elle limite le droit en question?

 

[238] Le fait d’exclure d’une unité de négociation des postes de direction et de confiance procure des avantages importants à la négociation collective et aux relations de travail. J’ai déjà examiné la jurisprudence qui énonce les objectifs sous‑jacents de l’exclusion des fonctionnaires. Dans APMO, la Cour suprême du Canada a souligné l’importance de l’indépendance des membres de l’unité de négociation par rapport à la direction pour assurer un processus véritable de négociation collective (au par. 98).

[239] L’exclusion des fonctionnaires occupant des postes dont les fonctions comprennent des attributions confidentielles et des attributions liées à la gestion (au sens de la définition étroite de la Commission) est nécessaire pour que les fonctionnaires de l’unité de négociation puissent participer à un processus véritable de négociations collectives et pour que les relations de travail soient efficaces. Elles sont nécessaires pour prévenir un conflit d’intérêts qui peut découler de [traduction] « […] l’existence de loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à une unité de négociation » qui se rapportent aux conditions fondamentales de la relation de travail. Les avantages de la négociation collective et des relations de travail découlant de la limitation des droits associés des officiers de la GRC occupant des postes qui seront désignés comme étant de direction ou de confiance par la Commission l’emportent sur l’inconvénient de limiter ces droits pour les membres de la GRC qui occupent ces postes.

H. Conclusion

[240] Je conclus que la restriction à la liberté d’association créée par les dispositions d’exclusion de la Loi (al. 59(1)a), c), e), et g)) est justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Par conséquent, la question constitutionnelle soulevée par la FPN, à savoir si les dispositions d’exclusion contreviennent à la Charte, reçoit une réponse négative.

[241] L’employeur a fourni une liste des exclusions proposées, et les parties devraient discuter des propositions qui sont toujours en suspens. Après ces discussions, la Commission pourra trancher les objections restantes aux propositions de l’employeur.

[242] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[243] La Commission déclare que les dispositions d’exclusion contenues aux alinéas 59(1)a), c), e) et g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral sont conformes à la Charte canadienne des droits et libertés.

Le 23 novembre 2023.

Traduction de la CRTESPF

Ian R. Mackenzie,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 

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