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Date: 20231207

Dossier: 561‑02‑47951

 

Référence: 2023 CRTESPF 115

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

Fédération de la police nationale

plaignante

 

et

 

Conseil du Trésor

(Gendarmerie royale du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada)

Affaire concernant une plainte déposée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Marie‑Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Andrew Montague‑Reinholdt et Brent Marks, avocats

Pour le défendeur : Chris Hutchison, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario)

du 14 au 16 novembre 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 25 juillet 2023, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a publié une annonce sur son site Web public annonçant un nouveau programme de recrutement.

[2] Le 31 juillet 2023, la Fédération de la police nationale (FPN ou la « plaignante ») a déposé une plainte pour pratiques déloyales de travail à l’encontre du Conseil du Trésor et la GRC, dénonçant la mise en œuvre du nouveau programme de recrutement, appelé Programme de perfectionnement des recrues de la Police fédérale (PPRPF), comme étant une violation de l’article 107 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Cet article énonce que les conditions en vigueur au moment de la signification de l’avis de négociation demeurent inchangées jusqu’à la conclusion d’une nouvelle convention collective (communément appelée « gel prévu par la loi »).

[3] La FPN est l’agent négociateur qui représente les membres réguliers et les réservistes de la GRC de grade inférieur à celui d’inspecteur. L’employeur légal et signataire de la convention collective est le Conseil du Trésor, mais les responsabilités en matière de ressources humaines et de gestion financière sont déléguées au commissaire de la GRC. Dans la présente décision, les deux entités sont considérées comme l’employeur ou le « défendeur ».

[4] Un avis de négociation d’une deuxième convention collective a été signifié le 9 décembre 2022. Aucune nouvelle convention collective n’a encore été conclue.

[5] Au début de l’audience, le défendeur a admis qu’une modification avait été apportée aux conditions d’emploi des membres de l’unité de négociation, au sens de l’article 107 de la Loi. Toutefois, il a soutenu qu’une telle modification était justifiée et qu’elle était conforme aux exceptions prévues par la loi.

[6] La plaignante a également allégué une violation de l’article 106 de la Loi, c’est‑à‑dire une négociation de mauvaise foi de la part du défendeur.

[7] Pour les motifs qui suivent, la plainte est accueillie en partie. Je conclus qu’il y a eu violation de l’article 107, et il est ordonné au défendeur de cesser de mettre en œuvre le PPRPF jusqu’à ce qu’une nouvelle convention collective entre en vigueur. Je conclus qu’il n’y a pas eu violation de l’article 106.

II. Résumé de la preuve

[8] Les éléments de preuve présentés dans la présente décision sont fondés sur la preuve documentaire et les témoignages présentés au cours de l’audience. À l’exception des échanges verbaux lors d’une réunion tenue le 21 juillet 2023, les éléments de preuve n’ont pas été en grande partie contredits.

[9] La plaignante a cité deux témoins : Dennis Miller, vice‑président de la FPN et négociateur principal dans le cadre des négociations collectives, et Steve Madden, administrateur du Conseil d’administration de la FPN. Ils possèdent tous deux une expérience considérable en tant que membres réguliers de la GRC dans les domaines des services de police contractuelle et des services de police de protection.

[10] Le défendeur a également cité deux témoins : Sean McGillis, directeur exécutif, Gestion stratégique de la police fédérale, et Richard Arulpooranam, stratège principal des relations de travail, qui dirige les négociations collectives pour le défendeur.

[11] La GRC est le corps policier national du Canada. Elle offre des services sous plusieurs aspects : services de police contractuelle, services de police nationale, services de police autochtone et services de police fédérale. Les services de police contractuelle sont les services de police communautaire offerts dans toutes les provinces et tous les territoires, à l’exception du Québec et de l’Ontario. Les services de police nationale comprennent des services de soutien spécialisés comme le Centre d’information de la police canadienne (CIPC).

[12] Les services de police fédérale sont conçus pour répondre aux préoccupations nationales en matière d’application de la loi, comme le crime organisé, la cybercriminalité et les crimes financiers à grande échelle. Ils comprennent également des services de police de protection, c’est‑à‑dire la protection des hauts fonctionnaires et des dignitaires étrangers. Enfin, les services de police fédérale comportent un volet international, notamment la liaison et la coopération avec Interpol et les Nations Unies. Les agents de la GRC représentent le Canada dans quelque 73 pays.

[13] Selon les témoins des deux parties, la GRC a depuis longtemps un problème de recrutement et de maintien en poste. Il n’y a pas suffisamment de candidats pour doter tous les postes vacants. La GRC dispose également d’une structure qui permet aux divisions (chaque division, à l’exception de la division nationale, correspond à un secteur, provincial ou territorial) de décider de la libération des membres réguliers. Selon les chiffres de la FPN, qui n’ont pas été contestés, quelque 400 membres réguliers travaillant actuellement dans les services de police contractuelle ont demandé à travailler dans les services de police fédérale. Toutefois, les divisions ne les libéreront pas pour éviter de diminuer leurs effectifs. Les conséquences de la non‑libération, des difficultés de recrutement et l’attrition sont telles que les services de police fédérale ont vu une diminution de quelque 600 membres réguliers au cours des 10 dernières années.

[14] Un rapport récent du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (Rapport spécial sur le mandat de la Police fédérale de la Gendarmerie royale du Canada, présenté le 14 août 2023) a décrit les graves conséquences de ces postes vacants pour le Canada, tant pour la protection du public et des parlementaires que pour les ressources d’enquête nécessaires pour contrer les menaces croissantes pour la sécurité.

[15] En 2017, l’État‑major supérieur de la GRC a reçu un rapport d’une entreprise de consultations sur les façons de remédier aux pénuries de personnel des services de police fédérale. Le rapport proposait plusieurs solutions, mais soulignait la nécessité d’un modèle distinct de recrutement et de formation pour les services de police fédérale. Il proposait une période de formation plus courte de quelques semaines plutôt que les six mois habituels de ce que l’on appelle l’instruction « générale » au Dépôt de Regina de la GRC, qui est le centre de formation qui a été utilisé par toutes les recrues de la GRC depuis les années 1880. L’État‑major supérieur n’a pas adopté les solutions proposées, mais la haute direction des services de police fédérale a continué de réfléchir à la façon d’améliorer le recrutement et la formation pour doter les nombreux postes vacants.

[16] Depuis 2017, selon M. McGillis, les menaces à la sécurité ont augmenté, notamment en raison de la radicalisation sur les médias sociaux, qui se traduit par une rhétorique plus violente. Il a déclaré que le PPRPF a été élaboré à titre de projet pilote visant à moderniser le recrutement et la formation de nouveaux membres de la GRC, particulièrement pour les services de police fédérale. Selon lui, le recrutement et la formation actuels visent à former des généralistes, c’est‑à‑dire des membres qui seront en mesure de relever les différents défis des services de police communautaires. Le PPRPF a pour objet de recruter et de former des membres qui se spécialiseront dès le début dans les services de police fédérale.

[17] À l’heure actuelle, les personnes qui souhaitent se joindre à la GRC à titre de membres réguliers suivent d’abord un programme de formation de 26 semaines (six mois) à titre de cadets au Dépôt de Regina. Pendant cette période, ils apprennent les éléments de base des services de police. Pendant leur séjour, les cadets ne touchent aucun salaire. Ils touchent plutôt une indemnité hebdomadaire de 525 $ que la GRC peut recouvrer si le cadet échoue ou démissionne.

[18] Après la formation de six mois, à condition qu’ils la réussissent, ils deviennent gendarmes avec le statut d’agent de la paix, reçoivent leur uniforme rouge de cérémonie, deviennent membres de l’unité de négociation, et commencent à toucher un salaire au premier échelon de l’échelle salariale des gendarmes. Ils sont ensuite affectés à une division et exécutent des travaux contractuels dans le cadre de services de police communautaire. Pendant les six premiers mois, ils sont étroitement surveillés dans le cadre du Programme de formation pratique; ils sont supervisés par des agents chevronnés qui reçoivent une indemnité de formation supplémentaire en plus de leur salaire normal.

[19] La période de stage est de deux ans après les six premiers mois de formation. Après cette période, à condition qu’ils aient satisfait à toutes les exigences, ils deviennent des gendarmes à part entière et sont rémunérés à l’échelon 5 de la grille salariale.

[20] Le PPRPF proposé est très différent. Les recrues commencent par suivre un programme en ligne d’une semaine. D’après ce que j’ai compris, cette première semaine n’est pas rémunérée. S’ils réussissent les examens en ligne, les recrues suivent ensuite une formation de 12 semaines qui comprend les sciences policières appliquées, les tactiques policières de défense, la conduite automobile, les armes à feu, le conditionnement physique et l’exercice, et le comportement. Après cela, ils sont considérés comme des membres réguliers de la GRC, obtiennent le statut d’agent de la paix et reçoivent leur uniforme rouge de cérémonie. Ils commencent à toucher le salaire de gendarme à l’échelon 1 et font partie de l’unité de négociation à compter du premier jour des 12 semaines de formation.

[21] Après les 12 semaines de formation, une nouvelle période intensive de deux semaines est prévue pour la formation sur les carabines et le « Déploiement rapide pour action immédiate ». Une fois les 14 semaines terminées, les recrues sont déployées aux services de police fédérale, où elles feront également l’objet d’un encadrement sur le terrain pendant six mois et seront soumises à une période de stage de deux ans. Il n’était pas clair si la période de stage commençait par la période de formation de 12 semaines ou après. M. McGillis était incertain, et il était le seul témoin qui a témoigné à ce sujet.

[22] Un dernier détail subsiste. Étant donné que les recrues du PPRPF touchent un salaire normal et font partie de l’unité de négociation dès le début de leur formation, leur service commence à s’accumuler à partir du premier jour de formation, y compris la période ouvrant droit à pension, l’indemnité de service et les crédits de vacances. Cette situation est différente de celle d’un cadet qui doit suivre une formation de six mois, avec une indemnité hebdomadaire récupérable, avant de toucher un salaire normal et d’accumuler du service ouvrant droit à pension, l’indemnité de service et des crédits de vacances.

[23] M. McGillis, qui est responsable de la mise en œuvre du PPRPF, a témoigné que les discussions avec la FPN ont débuté en avril 2021 par une réunion avec des représentants de la FPN et Mike Duheme, qui était alors le sous‑commissaire de la GRC (services de police fédérale). Le PPRPF n’a pas fait l’objet d’une discussion particulière, car il n’avait pas encore été élaboré. Les discussions ont porté sur la nécessité de répondre aux pressions exercées sur les services de police de protection, compte tenu du manque de ressources.

[24] M. McGillis a formulé des commentaires sur un exposé PowerPoint présenté à la haute direction de la GRC intitulé [traduction] « Agents de protection rapprochée : offre et demande », qui est daté du 25 novembre 2022.

[25] Selon l’exposé, il y a environ 235 postes vacants dans la section de la protection rapprochée (qui assure la protection personnelle des ministres et des hauts fonctionnaires du gouvernement fédéral). Il est difficile de doter ces postes vacants au sein de la GRC, car tous ses secteurs manquent actuellement de personnel. Par conséquent, la seule solution est de mettre sur pied un programme d’entrée directe, c’est‑à‑dire un programme de formation qui ne comprend pas la formation traditionnelle des cadets, mais qui recrute et forme directement pour le secteur des services de police fédérale.

[26] L’échéancier proposé dans l’exposé prévoit que le programme d’entrée directe (qui est devenu le PPRPF), qui doit recruter de l’extérieur de la GRC, commencera à l’automne 2023. Rien n’indique que la FPN a été informée du programme d’entrée directe à ce moment‑là.

[27] L’élaboration du programme n’a pas été effectuée dans ces délais.

[28] Le 9 décembre 2022, la FPN a signifié un avis de négociation au défendeur. À compter de ce moment‑là, l’article 107 de la Loi s’appliquait; il énonce ce qui suit :

107 Une fois l’avis de négocier collectivement donné, sauf entente à l’effet contraire entre les parties aux négociations et sous réserve de l’article 132, les parties, y compris les fonctionnaires de l’unité de négociation, sont tenues de respecter chaque condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné, et ce, jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou : […]

107 Unless the parties otherwise agree, and subject to section 132, after the notice to bargain collectively is given, each term and condition of employment applicable to the employees in the bargaining unit to which the notice relates that may be included in a collective agreement, and that is in force on the day the notice is given, is continued in force and must be observed by the employer, the bargaining agent for the bargaining unit and the employees in the bargaining unit until a collective agreement is entered into in respect of that term or condition or ….

 

[29] Un groupe de travail a été mis sur pied en janvier 2023 pour élaborer pleinement le programme d’entrée directe proposé. La première ébauche a été élaborée en février 2023. D’autres révisions ont eu lieu en mars et avril 2023. Une « Charte » a été élaborée en avril 2023; son objet était de demander [traduction] « […] l’approbation du promoteur et des responsables du projet pour élaborer et mettre en œuvre le Programme de perfectionnement des recrues de la Police fédérale (PPRPF). Une autorisation est nécessaire pour entreprendre les activités du projet […] ».

[30] Sur papier, la nécessité de faire participer la FPN et de tenir compte des préoccupations en matière de santé et de sécurité au travail est indiquée. En pratique, selon les témoignages entendus, il n’y a eu aucune communication avec la FPN au cours de l’élaboration du programme; le Comité de santé et sécurité au travail n’a pas non plus été consulté avant septembre 2023.

[31] La Charte indique également les risques, notamment le suivant (coté « élevé » pour la probabilité et « moyen » pour l’incidence) : [traduction] « Étant donné le nombre de MR [membres réguliers] existants qui sont intéressés et admissibles à la mutation latérale aux services de protection, il y a une possibilité de mécontentement et de griefs déposés auprès des commandants ou de la FPN ». Le risque suivant a obtenu une cote « élevée » pour la probabilité et l’incidence : [traduction] « Acceptation de l’orientation proposée par les employés de l’ensemble de l’organisation ». Le résultat de ce risque est le suivant : [traduction] « Incidence négative sur le moral des employés dans l’ensemble de l’organisation ».

[32] Au cours d’une réunion publique pour les employés de la Division nationale tenue le 20 mars 2023, le commissaire Duheme a déclaré que le programme complet d’un programme d’entrée directe était en cours d’élaboration. Il n’est pas clair quels détails ont été fournis au sujet du PPRPF. La réunion publique a principalement porté sur la restructuration de la Division nationale et les questions qui ont été posées portaient toutes sur ce sujet.

[33] Le PPRPF a été présenté à la haute direction le 27 juin 2023. La présentation décrivait en détail le fonctionnement du programme. Vers la fin, on présente cette question comme l’une des questions posées au sujet du programme (et on ignore qui l’a posée) : [traduction] « La FPN a‑elle été consultée? » Toutefois, la participation de la FPN ne figure pas dans la section suivante, intitulée [traduction] « Prochaines étapes ».

[34] L’État‑major supérieur, après avoir discuté du PPRPF lors de sa réunion du 17 juillet 2023, a recommandé de consulter la FPN.

[35] M. Madden et M. Miller ont témoigné que la FPN avait entendu parler du PPRPF pour la première fois en janvier 2023. Dans un courriel daté du 5 janvier 2023, M. Madden s’informe au sujet d’un nouveau programme d’entrée directe dont il a entendu parler, et il reçoit la réponse suivante le 13 janvier 2023 de Lori Wilkinson, directrice de la gestion de l’effectif à la GRC :

[Traduction]

Bonjour Steve,

Le programme dit d’entrée directe est l’une des nombreuses idées pour avoir des MR dans les services de police fédérale afin de répondre à nos exigences opérationnelles. Nous en sommes au tout début d’un remue‑méninges. Il n’y a donc rien à partager.

Salutations,

Lori

 

[36] Rien d’autre n’a été communiqué à la FPN jusqu’à ce que l’un de ses employés des communications apprenne de son homologue de la GRC qu’une affiche serait affichée le 4 juillet 2023 annonçant le nouveau programme de recrutement (PPRPF).

[37] Un document adressé au directeur général, Services nationaux de rémunération, et à la dirigeante principale des Ressources humaines, intitulé [traduction] « Rétroaction groupée des RH sur le Programme de perfectionnement des recrues de la Police fédérale (anciennement le Programme de formation d’entrée directe) » et daté du 19 juin 2023, a annoncé le lancement du programme le 4 juillet 2023. Il indiquait de nombreux risques liés au programme, certains liés au fait que les recrues deviendraient immédiatement des membres réguliers, et d’autres liés au fait que le programme de formation n’était pas fondé sur des données probantes. Le document mentionne expressément que la FPN (et les autres agents négociateurs) devraient être consultés pour évaluer leur appui au nouveau programme.

[38] Le PPRPF devait être annoncé au public aux fins de recrutement le 4 juillet 2023. L’annonce a été reportée afin que le programme puisse faire l’objet de discussions avec la FPN. Le 30 juin 2023, le sous‑commissaire intérimaire, Mark Flynn, a communiqué avec M. Madden pour discuter du PPRPF. Selon M. Madden, ils ont discuté pendant environ 45 minutes et ont convenu de se réunir plus tard en juillet.

[39] Une réunion a été tenue le 21 juillet 2023. M. Flynn, M. McGillis, Michele Paradis, surintendante principale, Services de police de protection, et John Park, directeur des Relations de travail, ainsi que M. Madden, M. Miller, et Pete Merrifield, vice‑président de la FPN, ont assisté à la réunion.

[40] Selon la plaignante, la réunion du 21 juillet 2023 a été la première fois que le PPRPF a fait l’objet de discussions approfondies avec ses représentants.

[41] La FPN a fait part de ses nombreuses préoccupations au sujet du nouveau programme de recrutement par entrée directe proposé, comme suit :

· Elle n’a été ni consultée ni invitée à participer au groupe de travail du projet de six mois.

 

· Le programme constituait une violation de l’article 107 (la disposition sur le gel prévu par la loi) puisqu’il apportait des modifications claires aux conditions d’emploi des membres de l’unité de négociation de la GRC.

 

· Il défavorisait de 400 à 600 membres réguliers qui souhaitaient être mutés aux services de police fédérale.

 

· Il créait deux voies d’accès à l’emploi distinctes et inégales au sein de la GRC et aurait une incidence négative sur le processus de recrutement.

 

· Le PPRPF ne respecte pas les politiques et les normes de formation, ce qui pose des problèmes de sécurité pour les membres réguliers ayant suivi une formation complète.

 

· Les procédures de santé et de sécurité au travail n’ont pas été suivies pour l’approbation du programme de formation, et le Comité d’orientation national en matière de santé et de sécurité n’a effectué aucune évaluation des risques.

 

· Le programme a été lancé rapidement parce qu’une installation était disponible au premier trimestre de 2024; trop de raccourcis présentaient un risque élevé.

 

· La FPN s’est opposée à l’embauche de recrues non formées comme membres réguliers et a proposé de les classer plutôt comme gendarmes spéciaux.

 

· Les offres d’emploi devraient être conditionnelles à la réussite de la formation initiale (le cours de base de 12 semaines sur l’application de la loi et le cours de cinq semaines sur les services de police de protection); l’embauche de recrues non formées à titre d’employés permanents pourrait être problématique (y compris pour l’agent négociateur qui les représente dès le premier jour).

 

[42] Dans les notes de la réunion, d’où ces points sont tirés, M. Merrifield conclut comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] La FPN a clairement indiqué à l’employeur que nous ne pouvions pas appuyer un modèle d’embauche, de formation et de fonctionnement à l’égard duquel nous n’avions pas été consultés et que nous n’avions pas pu examiner en détail. Nous avons insisté auprès de l’employeur sur le fait qu’il n’avait pas respecté les étapes de base exigées par la loi [notamment l’évaluation de la santé et de la sécurité au travail] aux fins de l’approbation. La FPN a demandé tous les documents pertinents au groupe de travail aux fins d’examen. À ce jour [le 25 juillet 2023], aucun document n’a été fourni à la FPN.

[…]

 

[43] Les témoins ont différé sur la façon dont la réunion s’est terminée. Selon M. Madden, la FPN, ayant exprimé ses nombreuses préoccupations au sujet du programme, a demandé que le programme ne soit pas mis en œuvre. Lorsque M. Flynn a hésité à déclarer qu’on mettrait fin au programme, la FPN a indiqué qu’une plainte pour pratiques déloyales de travail allait être déposée.

[44] Selon M. McGillis, M. Flynn a offert de mettre fin au programme si la FPN le souhaitait. Apparemment, M. Madden ou M. Merrifield ont dit à peu près ceci : [traduction] « Allez-y; nous nous réservons le droit de déposer une plainte pour pratiques déloyales de travail ». M. Flynn a considéré qu’il s’agissait d’un acquiescement au programme.

[45] Je fais remarquer que M. Flynn n’a pas témoigné et qu’il s’agit donc d’une preuve par ouï‑dire. Je tire une conclusion défavorable de son absence. J’estime qu’à ce moment‑là, la GRC souhaitait mettre en œuvre le PPRPF, malgré les réserves de la FPN. Je crois également que la FPN voulait clairement qu’on arrête le programme.

[46] Je tire cette conclusion en raison des événements suivants.

[47] La réunion a eu lieu le vendredi 21 juillet 2023. Le lundi suivant, soit le 24 juillet, l’affiche de recrutement dans le cadre du PPRPF a été annoncé à l’interne et elle a été publiée sur le site Web public de la GRC le 25 juillet. Brian Sauvé, le président de la FPN, a réagi vivement le même jour dans un courriel au commissaire Duheme, qui se lisait en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

Même si nous avons eu une réunion de plus de quatre heures avec Flynn vendredi, le résultat de cette réunion a été assez clair : la FPN avait d’importantes préoccupations. Nous avons précisé clairement que la FPN n’appuie pas le programme tel qu’il est énoncé et nous ne considérons pas non plus qu’une séance d’information constitue un engagement ou une consultation valable pendant une période de gel prévu par la loi pendant la négociation.

[…]

 

[48] Le commissaire Duheme a répondu comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] Mark m’en a informé et il m’a dit qu’il s’agissait d’une bonne conversation franche. Il va sans dire qu’il y a eu des divergences d’opinions sur la voie à suivre, mais j’estime que cela est positif pour tous. Nous attendons un hors cycle pour demander des services de police de protection, qui connaîtra une croissance de 200 autres membres. Compte tenu des défis auxquels nous sommes actuellement confrontés en ce qui a trait à la libération de membres pour les divisions, il s’agit d’une bonne première étape.

[…]

 

[49] Le 31 juillet 2023, moins d’une semaine après l’affichage du 25 juillet, la FPN a déposé la présente plainte. Je n’ai aucun doute que la FPN a clairement indiqué à la GRC de ne pas mettre en œuvre le PPRPF pour le moment.

[50] Une grande partie de l’audience a été consacrée au PPRPF et à l’opposition de la plaignante à sa mise en œuvre pendant le gel prévu par la loi. La plaignante a également allégué que le fait de ne pas présenter le PPRPF à la table de négociation constituait en soi une négociation de mauvaise foi. Selon la plaignante, l’absence du PPRPF a constitué un obstacle important à la conclusion d’une entente.

[51] La plaignante allègue une violation de l’article 106 de la Loi, qui se lit comme suit :

106 Une fois l’avis de négociation collective donné, l’agent négociateur et l’employeur doivent sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties :

106 After the notice to bargain collectively is given, the bargaining agent and the employer must, without delay, and in any case within 20 days after the notice is given unless the parties otherwise agree,

a) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

(a) meet and commence, or cause authorized representatives on their behalf to meet and commence, to bargain collectively in good faith; and

b) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

(b) make every reasonable effort to enter into a collective agreement.

 

[52] M. Arulpooranam a témoigné de l’état de la négociation collective et son témoignage n’a pas été contredit. Les parties se sont rencontrées, ont discuté et ont réglé un certain nombre de questions. M. Arulpooranam a qualifié leurs échanges de constructifs. Les principales questions qui subsistent sont de nature monétaire, et les parties ont accepté la médiation, qui doit avoir lieu le 5 décembre 2023.

[53] M. Arulpooranam n’a pas été au courant du PPRPF avant août 2023. Selon lui, le programme de recrutement ne pouvait pas faire partie des discussions entre la FPN et le Conseil du Trésor. Le Conseil du Trésor a toujours maintenu fermement qu’il ne discuterait pas de la dotation, du recrutement ou de la classification à la table de négociation.

[54] M. Miller a également parlé des échanges généralement positifs entre les parties dans le cadre des négociations. Le recrutement et le maintien en poste n’ont pas fait l’objet d’une discussion particulière à la table, mais ces préoccupations étaient implicitement présentes. L’amélioration des conditions monétaires favoriserait le recrutement et le maintien en poste. Des augmentations de salaire et des indemnités accrues pour l’encadrement sur le terrain ont été demandées.

[55] M. Arulpooranam et M. Miller ont tous deux parlé d’un certain nombre de protocoles d’entente que la GRC et la FPN ont conclus, ainsi que d’autres qui n’ont pas encore été signés. Ils ne font pas partie du processus de négociation collective, mais ils font partie des discussions en cours entre la GRC et la FPN sur des questions qui les concernent toutes les deux, mais qui ne peuvent pas faire partie de la convention collective.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

1. Violation de l’article 107

[56] Il est clair qu’en mettant en œuvre le PPRPF pendant le gel prévu par la loi, le défendeur a contrevenu à l’article 107 de la Loi.

[57] La principale préoccupation de la plaignante à l’égard du programme est l’incidence sur la sécurité – pour les membres et pour le public canadien. La formation des recrues est modifiée et raccourcie, sans que le défendeur ne s’acquitte de ses obligations légales d’évaluer l’incidence du PPRPF sur la santé et la sécurité au travail.

[58] Dans son interprétation de l’article 107, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission », y compris ses prédécesseurs) a appliqué trois principes : une interprétation téléologique, une analyse de la stricte responsabilité et l’idée que malgré le gel, l’employeur peut suivre le cours normal des affaires.

[59] L’analyse comporte deux étapes : il faut déterminer s’il y a eu modification, ce que le défendeur a déjà reconnu, et déterminer si la modification représente simplement le cours normal des affaires.

[60] Selon l’argument du défendeur, il a agi comme un employeur raisonnable en mettant en œuvre le PPRPF. Selon l’argument de la plaignante, il n’a pas agi comme un employeur raisonnable.

[61] Tant la plaignante que le défendeur ont fondé leurs arguments sur la jurisprudence. Je traiterai de la jurisprudence que je considère comme pertinente dans mon analyse.

[62] La plaignante soutient qu’il ne s’agit pas du cours normal des affaires, puisque le nouveau programme de recrutement par entrée directe constitue une modification radicale. De plus, il ne pouvait pas répondre aux attentes raisonnables des employés, puisqu’il a été élaboré après la signification de l’avis de négociation. Une modification de cette ampleur, sans consulter l’agent négociateur en tant que représentant des employés qui seront touchés directement par le changement, ne peut pas constituer l’acte d’un employeur raisonnable.

[63] Selon les témoignages entendus à l’audience, il est évident que la plaignante n’a participé à aucune des discussions sur le PPRPF. Pourtant, le programme propose des modifications non seulement au recrutement, mais aussi au travail des membres réguliers. Par exemple, à l’heure actuelle, l’encadrement sur le terrain fait partie de la formation des diplômés du Dépôt de Regina en matière de services de police générale. Il n’y a aucun encadrement sur le terrain pour les services de police fédérale, puisque les membres réguliers qui entrent dans les services de police fédérale ont déjà une expérience considérable sur le terrain. La façon dont l’encadrement sur le terrain sera effectué n’est pas claire. Il n’est pas non plus clair si les membres réguliers qui doivent surveiller les nouvelles recrues du PPRPF toucheront une rémunération pour cette tâche.

[64] La GRC a commencé à élaborer le PPRPF après que l’avis de négociation a été signifié. Aucune tentative n’a été faite pour tenir compte du gel prévu par la loi, puisque la plaignante n’a été consultée à aucun stade de l’élaboration du programme. Les risques ont été cernés; la nécessité de consulter la plaignante a été relevée, mais on n’y a jamais donné suite.

[65] En résumé, le défendeur apporte une modification importante pendant la période de gel sans consulter l’agent négociateur. La pénurie de personnel est une réalité, mais elle existe depuis longtemps. Rien ne justifie la modification pendant la période de gel prévue par la loi.

2. Violation de l’article 106

[66] La plaignante a fait valoir que le fait de ne pas présenter le PPRPF à la table de négociation a nui aux négociations dans leur ensemble. Les échanges ne pouvaient pas être équitables et francs si le défendeur cherchait à mettre en œuvre un programme qui aurait une incidence sur les conditions de travail des membres réguliers et choisissait de ne pas en parler à la table. Selon la plaignante, le fait d’omettre le PPRPF des négociations à la table a entravé le processus de conclusion d’une entente.

B. Pour le défendeur

1. Violation de l’article 107

[67] Dans son argumentation, le défendeur a beaucoup insisté sur la menace d’un désastre imminent pour la sécurité nationale si les modifications ne sont pas apportées rapidement au recrutement des services de police fédérale. Cette évaluation ne provient pas de la GRC, mais du Comité des parlementaires qui a examiné la question de la sécurité nationale et des services de police fédérale.

[68] Le défendeur admet que le PPRPF représente une modification au sens de l’article 107 de la Loi. Toutefois, il fait valoir que des modifications sont nécessaires de toute urgence puisque, à l’heure actuelle, aucun recrutement n’est fait pour les services de police fédérale. Le seul recrutement se fait par l’entremise de l’instruction générale au Dépôt de Regina; il n’y a pas d’entrée particulière dans les services de police fédérale, malgré le grand besoin de membres réguliers supplémentaires.

[69] La plaignante est contrariée de ne pas avoir participé à un débat sérieux, mais le fait est que le défendeur est le seul habilité à décider des modifications à apporter au recrutement et à la dotation en vertu de la Loi Gendarmerie royale du Canada (L.R.C. (1985), ch. R‑10; la « Loi sur la GRC »). Plus particulièrement, l’attention de la Commission est attirée sur les articles 7, 20.1 et 20.2. Les extraits suivants sont particulièrement pertinents :

[…]

20.1 Outre les pouvoirs qu’il est autorisé à exercer en vertu de l’article 11.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice de ses attributions en matière de gestion des ressources humaines prévues à l’alinéa 7(1)e) de cette loi :

20.1 In addition to its powers under section 11.1 of the Financial Administration Act, the Treasury Board may, in the exercise of its human resources management responsibilities under paragraph 7(1)(e) of that Act,

a) déterminer des catégories de membres […]

(a) determine categories of members; and ….

20.2 (1) Le commissaire peut :

20.2 (1) The Commissioner may

a) déterminer les besoins en matière d’apprentissage, de formation et de perfectionnement des membres et fixer les conditions de mise en œuvre de cet apprentissage, de cette formation et de ce perfectionnement; […]

(a) determine the learning, training and development requirements of members and fix the terms on which the learning, training and development may be carried out ….

[…]

 

[70] En bref, compte tenu des défis auxquels le Canada est confronté en matière de sécurité, un employeur raisonnable aurait agi comme l’a fait la GRC dans les circonstances.

2. Violation de l’article 106

[71] Selon le défendeur, il n’y a pas eu de manquement à son obligation de négocier de bonne foi. Les parties se sont rencontrées à maintes reprises depuis la signification de l’avis de négociation; de nombreuses questions ont été réglées. Certaines questions demeurent, mais le défendeur est disposé à participer à une médiation pour les régler.

[72] La plaignante reproche au défendeur de ne pas avoir présenté le PPRPF à la table de négociation et, en même temps, elle soutient que le programme n’est pas entièrement élaboré et prêt à être mis en œuvre. Les deux parties ont compris dès le départ que la classification, le recrutement et l’organisation structurelle ne feraient pas l’objet de discussions.

[73] Il est important de distinguer les articles 106 et 107 de la Loi. Une modification aux conditions d’emploi peut constituer une violation de l’article 107, mais elle n’est pas visée par l’article 106. Selon M. Arulpooranam et M. Miller, les parties participent à des discussions de négociation positives. Cela ne peut pas étayer une allégation de négociation de mauvaise foi.

[74] Le défendeur a conclu en affirmant que si un projet pilote ne peut pas être mis en œuvre pendant un gel prévu par la loi, le risque très réel est que les efforts de recrutement seront suspendus et que l’inertie prendra le relais.

IV. Motifs

[75] Je tiens à mentionner d’emblée que je ne doute pas que la GRC soit confrontée à une grave situation en matière de ressources humaines. La question dont je suis saisie est la question étroite du gel prévu par la loi. Cette décision aura une incidence sur la mise en œuvre à court terme du programme d’entrée directe. Je ne me prononce pas sur la nécessité d’un tel programme ni sur la pertinence de différents modèles de formation pour répondre aux besoins futurs de la GRC. Je vais simplement décider si le défendeur a contrevenu aux articles 106 et 107 de la Loi et quelle devrait être l’ordonnance qui en découle.

A. Violation de l’article 107

[76] Étant donné que la majeure partie de l’audience a été consacrée à la plainte de gel prévu par la loi, je commence par cette violation alléguée. L’analyse de la Commission dans de tels cas est bien résumée dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 110, comme suit :

[…]

[137] Dans les affaires visées par l’art. 107, la Commission procède souvent à ce qui est en réalité une analyse en deux étapes. En premier lieu, la Commission vérifie si un plaignant s’est acquitté du principal fardeau de présentation lui incombant, soit d’établir qu’un avis de négocier a été signifié, qu’un employeur a subséquemment modifié une condition d’emploi qui pouvait faire partie d’une convention collective et qui était en vigueur à la date de la signification d’un avis de négocier, et que le plaignant n’y consentait pas. À la deuxième étape, la Commission examine la défense présentée par l’employeur selon laquelle, bien qu’une condition d’emploi ait été modifiée au sens de l’art. 107, ses actes n’ont donné lieu à aucune violation dudit article, le plus souvent parce que l’employeur maintenait ses pratiques habituelles […]

[…]

 

[77] Le défendeur a reconnu que la mise en œuvre du PPRPF représente une modification au sens de l’article 107 de la Loi. J’estime que, même si la Loi sur la GRC confère au commissaire le pouvoir de décider de la formation des membres réguliers, il y a plusieurs aspects du PPRPF qui pourraient constituer des modalités de la convention collective. Puisque les nouvelles recrues deviennent membres de l’unité de négociation dès le départ, leurs conditions d’emploi peuvent être négociées, par exemple les heures de travail ou la question de savoir si le conditionnement physique se fera pendant des heures rémunérées ou non. Les modifications ont des répercussions sur les membres réguliers, comme la rémunération des membres réguliers qui assureront l’encadrement et la surveillance sur le terrain au cours des premiers mois du déploiement des nouvelles recrues dans les services de police fédérale. Je souligne également les obligations du défendeur en matière de santé et de sécurité au travail en vertu de l’article 19 de la convention collective applicable.

[78] Je crois qu’il est important de souligner l’objet de l’article 107. Comme il est indiqué dans Public Service Alliance of Canada v. Forintek Canada Corp., [1986] OLRB Rep. Apr. 453, au paragraphe 38 :

[Traduction]

38. […] Le « gel prévu par la loi » […] a pour but de maintenir la tendance antérieure de la relation d’emploi dans son ensemble pendant que les parties négocient une convention collective. Cela garantit qu’elles auront une base fixe à partir de laquelle commencer les négociations et empêchera les modifications unilatérales du statu quo qui pourraient conférer à une partie un avantage injuste, soit du point de vue de la négociation, soit de la propagande […]

 

[79] Dans Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor, 2020 CRTESPF 44 (« FPN c. CT 2020 »), qui portait sur une plainte liée au gel prévu par la loi déposée à la suite d’une modification apportée à la politique sur les promotions de la GRC après que la FPN avait présenté une demande d’accréditation, la Commission a énoncé l’un des objectifs d’un gel prévu par la loi comme étant d’assurer la confiance des employés envers leur agent négociateur, comme suit :

[…]

[91] Ces modifications étaient d’une importance considérable pour les employés et ces derniers se seraient attendus à ce que la FPN, si elle était accréditée comme agent négociateur, puisse en discuter avec l’employeur avant leur entrée en vigueur. Apporter des modifications unilatérales, sans préavis aux employés, au lieu d’attendre d’en discuter avec la FPN (si elle est accréditée comme agent négociateur), a une incidence négative sur les droits de représentation de l’agent négociateur […]

[…]

 

[80] Les membres de l’unité de négociation doivent faire confiance à leur agent négociateur dans ses relations avec l’employeur au cours du processus de négociation. Il semble évident qu’une modification majeure, comme le PPRPF proposé par la GRC, perturberait l’équilibre entre l’employeur et l’agent négociateur et provoquerait une consternation considérable chez les membres réguliers, notamment en raison de son incidence sur leurs relations avec les nouveaux membres qui ne recevront tout simplement pas la formation requise pour être membre régulier de la GRC.

[81] Dans FPN c. CT 2020, le gel prévu par la loi découlait non pas d’un avis de négociation, mais d’une demande d’accréditation. La principale différence entre l’article 56 (le gel prévu par la loi après la présentation d’une demande d’accréditation) et l’article 107 (le gel prévu par la loi après la signification d’un avis de négociation) de la Loi est le fait que le premier exige le consentement de la Commission pour apporter la modification, tandis que le deuxième exige le consentement de l’agent négociateur. Autrement, l’analyse est la même – il s’agit de déterminer si une modification a eu lieu et si l’employeur a fourni une justification appropriée pour la modification.

[82] Les parties étaient les mêmes que dans le cas présent. L’employeur, malgré le gel, a apporté des modifications à sa politique sur les promotions. La Commission a conclu que les modifications ne constituaient pas le cours normal des affaires et n’étaient pas conformes aux attentes raisonnables des employés ou à ce qu’un employeur raisonnable aurait fait dans la même situation. Les modifications étaient nouvelles, elles étaient imprévues et elles n’étaient ni urgentes ni nécessaires pendant la période de gel.

[83] Dans le présent cas, le défendeur soutient que la modification était nécessaire et qu’il a agi comme un employeur raisonnable en mettant en œuvre la modification.

[84] Traditionnellement, deux critères ont été appliqués pour déterminer si l’employeur peut justifier les modifications apportées pendant le gel prévu par la loi, qu’il découle d’une demande d’accréditation ou, comme dans le cas présent, d’un avis de négociation.

[85] Le premier critère est celui du « cours normal des affaires », c’est‑à‑dire que malgré l’avis de négociation, l’employeur doit continuer à gérer son milieu de travail – rien ne demeure statique. Le maintien du statu quo peut signifier deux choses : la modification est conforme à la pratique antérieure, ou il illustre une saine gestion en ce qu’il est « […] conforme à ce qu’aurait fait un “employeur raisonnable” placé dans la même situation […] » (voir Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie WalMart du Canada, 2014 CSC 45, au par. 56).

[86] Le deuxième critère est le critère des « attentes raisonnables » des employés, c’est‑à‑dire qu’une modification des conditions d’emploi pendant la période de gel peut être apportée si elle est conforme aux attentes raisonnables des employés, définies comme suit dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2023 CRTESPF 38, au paragraphe 107 :

[107] […] Pour être conforme aux attentes raisonnables des employés, il doit y avoir eu une décision ferme d’apporter le changement qui a été communiquée aux employés avant le début de la période de gel, ou un changement doit faire partie d’une tendance établie de telle sorte que les employés s’y attendaient raisonnablement […]

 

[87] Le défendeur n’a pas insisté sur cet aspect dans sa défense. Rien n’indiquait que les employés s’attendaient ou pouvaient s’attendre à un tel bouleversement dans la façon dont les nouvelles recrues seraient formées ou les nouveaux membres réguliers intégrés. Lors de la réunion publique, au cours de laquelle le défendeur aurait évoqué le nouveau programme d’entrée directe, les employés n’ont posé de questions que sur la restructuration de la Division nationale, et M. Miller a confirmé qu’il s’agissait là de leur principale préoccupation. Le nouveau programme d’entrée directe a été si vaguement évoqué que personne n’a réagi. En fait, à ce moment‑là, il n’y avait toujours pas de programme concret auquel réagir.

[88] Par conséquent, j’examinerai l’argument du défendeur selon lequel il a agi comme un employeur raisonnable. En toute déférence, je ne vois pas dans ses actes ceux d’un employeur raisonnable. Pour reprendre le libellé de Canada (Procureur général) c. Fédération de la police nationale, 2022 CAF 80, au paragraphe 94, « […] un employeur raisonnable, averti et soucieux de se conformer aux dispositions de gel […] » n’aurait pas agi comme l’a fait la GRC dans les circonstances.

[89] Je peux comprendre le sentiment d’urgence. La pénurie d’agents ressort clairement des éléments de preuve. Il n’y a tout simplement pas assez de gendarmes de la GRC pour répondre aux besoins des services de police contractuelle et fédérale. Je comprends également le pouvoir du commissaire de la GRC de déterminer les exigences de formation pour les membres réguliers.

[90] Toutefois, ce n’est pas le pouvoir qui est en litige, mais plutôt la modification des conditions d’emploi. Aucune explication n’a été fournie pour justifier des modifications aussi importantes pendant un gel prévu par la loi, y compris l’intégration des nouveaux membres réguliers dans l’unité de négociation dès leur premier jour de formation, sans même informer l’agent négociateur de ces modifications. Un gel prévu par la loi est imposé aux conditions d’emploi, à moins que l’agent négociateur ne consente à la modification. Un employeur raisonnable aurait à tout le moins essayé de consulter l’agent négociateur dès le départ.

[91] Au lieu de cela, la FPN a été tenue dans l’ignorance des détails du programme jusqu’au moment même où il devait être rendu public et où l’annonce du recrutement devait être faite.

[92] Le programme entraîne une modification fondamentale dans la façon dont les nouvelles recrues seraient intégrées à la GRC et dans la façon dont elles seraient formées. Il soulève des questions au sujet de l’inégalité dans le traitement de la formation des cadets au Dépôt de Regina par rapport aux nouvelles recrues qui entrent aux services de police fédérale. De graves préoccupations en matière de sécurité ont été soulevées concernant la qualification de personnes inexpérimentées en tant que membres réguliers, sans indications claires quant à la façon dont l’encadrement sur le terrain pour la police fédérale serait effectué.

[93] L’absence totale de communication, l’opacité du processus décisionnel et l’ignorance délibérée de la situation de gel prévu par la loi (malgré les rappels de sa section des Relations de travail) ne représentent pas ce que ferait un employeur raisonnable qui tente d’apporter des modifications tout en respectant ses obligations légales, à savoir, tenir compte du gel prévu par la loi et des préoccupations en matière de santé et de sécurité au travail.

[94] Je conclus que le défendeur a contrevenu à l’article 107 de la Loi et qu’il n’y a aucune justification qui puisse soutenir ses actes. Je lui ordonne de mettre fin au PPRPF jusqu’à la signature de la nouvelle convention collective.

[95] Pour ce qui est de la plainte de négociation de mauvaise foi, elle est rejetée.

[96] L’employeur a l’obligation de rencontrer l’agent négociateur, de négocier avec lui et de faire des tentatives raisonnables pour conclure une convention collective.

[97] La plaignante a cité l’arrêt Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369, qui peut clairement être distingué. Dans ce cas, la Cour suprême du Canada a conclu que l’employeur avait négocié de mauvaise foi en refusant de négocier, en présentant des demandes inacceptables et en refusant tout mécanisme pour résoudre l’impasse.

[98] Je n’ai entendu aucun témoignage selon lequel le défendeur a entravé le processus de négociation collective. Les parties se sont rencontrées et ont échangé leurs demandes, il y a eu des discussions continues et elles ont convenu d’une médiation pour tenter de régler les questions qui restaient à régler.

[99] Je ne vois pas très bien en quoi les mesures prises par la GRC pour mettre en œuvre le PPRPF ont eu une incidence sur le processus de négociation collective en tant que tel. Jusqu’à maintenant, selon M. Arulpooranam, le nouveau programme n’a fait l’objet d’aucune discussion. Il me semble prématuré de déclarer qu’il y a eu négociation de mauvaise foi alors qu’aucune négociation n’a eu lieu sur le sujet.

[100] La plaignante soutient que le fait même de ne pas présenter le programme à la table constitue en soi une négociation de mauvaise foi.

[101] Je ne vois pas d’obligation de la part du défendeur de présenter le PPRPF à la table de négociation. Le fait de chercher à le mettre en œuvre pendant la négociation collective constitue une violation du gel prévu par la loi, et cela est reconnu dans la présente décision. Cependant, la Commission n’a pas le pouvoir d’ordonner aux parties de négocier quoi que ce soit. Les parties choisissent ce qu’elles présenteront à la table. Encore une fois, l’obligation est de se rencontrer, de discuter et d’essayer de parvenir à une entente. Jusqu’à présent, les parties se sont comportées de cette façon. Je conclus qu’il n’y a eu aucune infraction à l’article 106 de la Loi.

[102] Évidemment, la sagesse voudrait que la GRC inclue l’agent négociateur dans des discussions pour assurer le succès et l’acceptation des nouvelles initiatives de recrutement.

[103] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[104] La plainte est accueillie en partie.

[105] La Commission déclare que le défendeur a contrevenu à l’article 107 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[106] Le Programme de perfectionnement des recrues de la Police fédérale est suspendu jusqu’à la signature de la nouvelle convention collective.

[107] La Commission déclare qu’il n’y a eu aucune violation de l’article 106 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

Le 7 décembre 2023.

Traduction de la CRTESPF

Marie‑Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations

de travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

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