Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20231215

Dossier: 566-02-41571

XR: 566-02-9894 et 11394

 

Référence: 2023 CRTESPF 118

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

ENTRE

 

Trina Kennedy

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration)

 

défendeur

Répertorié

Kennedy c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Elle-même

Pour le défendeur : Christine Langill, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 12 mars et les 7 et 31 août 2020

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

A. Vue d’ensemble de la décision

[1] La question en litige dans la présente instance est de déterminer si la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a compétence pour régler un différend sur la question de savoir si une partie a contrevenu aux modalités d’une entente de règlement d’un grief après qu’une fonctionnaire s’estimant lésée a retiré son grief et n’est plus une fonctionnaire.

[2] La Commission peut faire appliquer une entente de règlement même après le retrait d’un grief par un fonctionnaire s’estimant lésé. Comme je l’expliquerai en détail, la compétence de la Commission de faire appliquer une entente de règlement même après le retrait du grief par un fonctionnaire s’estimant lésé est conforme au libellé, au contexte et à l’objet de la loi. De plus, une partie qui allègue la violation d’une entente de règlement n’a pas besoin de déposer un nouveau grief et de le renvoyer à la Commission. Au lieu de cela, la partie alléguant une violation devrait demander à la Commission de réactiver le dossier fermé dans le seul but de faire appliquer l’entente de règlement. Ce processus règle toute préoccupation quant au fait qu’un fonctionnaire s’estimant lésé n’est plus un fonctionnaire.

B. L’identité du décideur

[3] Comme cette affaire remonte à 2014, je dois expliquer le fondement législatif en vertu duquel la Commission est saisie de cette question.

[4] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84), ce qui a donné lieu à la création de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, laquelle a remplacé l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique ainsi que l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi n2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). Conformément à l’article 396 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d’un grief avant le 1er novembre 2014 continue d’exercer les pouvoirs prévus à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2), dans sa version antérieure à cette date.

[5] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi ») et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »).

[6] J’utiliserai le terme « Commission » tout au long des présents motifs, peu importe le nom technique qu’elle portait à un moment donné.

II. Contexte du cas

A. Différend initial entre les parties

[7] La fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») travaillait pour ce qui s’appelait à ce moment-là Passeport Canada (qui fait maintenant partie du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, le défendeur dans le présent cas) entre 2008 et 2015. Le 14 février 2014, le défendeur a suspendu la fonctionnaire sans salaire en attendant le résultat d’une enquête. Le 27 mars 2015, le défendeur a licencié la fonctionnaire pour un motif valable à compter du jour ouvrable suivant (le 17 février 2014). Le licenciement était rétroactif au 17 février 2014 (le premier jour de la suspension).

[8] La fonctionnaire a déposé des griefs contre ces deux décisions. La fonctionnaire a renvoyé le premier grief à l’arbitrage le 9 juillet 2014 et le deuxième grief à l’arbitrage le 24 juillet 2015. La Commission a donné à ces deux griefs les numéros de dossier 566-02-9894 et 566-02-11394 respectivement.

B. Règlement du différend initial

[9] Le 22 octobre 2015, les parties ont conclu une entente de règlement pour régler ces deux griefs. Les parties n’ont pas déposé une copie de l’entente de règlement complète, et je ne leur ai pas demandé non plus de le faire. Elles ont cependant fourni le sixième paragraphe de l’entente de règlement, qui se lit comme suit :

 

[Traduction]

L’employeur confirme qu’il n’y a aucune trace de la cote de fiabilité à l’échelle du gouvernement à l’égard de la fonctionnaire s’estimant lésée. L’employeur confirme en outre qu’il n’amorcera pas la communication de renseignements relatifs à la cote de fiabilité de la fonctionnaire s’estimant lésée à une autre partie, sauf s’il y est tenu par la loi. Si un autre ministère du gouvernement fédéral communique avec lui au sujet du statut et de l’habilitation de sécurité de la fonctionnaire s’estimant lésée, l’employeur confirmera seulement que la fonctionnaire s’estimant lésée n’a plus son statut et son habilitation de sécurité, sauf s’il y est tenu en vertu de la loi.

 

[10] L’entente permettait également à la fonctionnaire de démissionner de son emploi à compter du 17 février 2015, ce qu’elle a fait.

[11] La fonctionnaire a retiré ses deux griefs dans le cadre de cette entente le 24 novembre 2015. La Commission a reconnu que les griefs avaient été retirés et a fermé ses dossiers le 26 novembre 2015.

C. Violation présumée du règlement

[12] La fonctionnaire allègue que le défendeur a enfreint les modalités de l’entente de règlement entre novembre 2016 et août 2017. La fonctionnaire allègue que deux fonctionnaires du défendeur ont transmis des renseignements sur sa cote de fiabilité et son habilitation de sécurité en novembre 2016. La fonctionnaire allègue qu’elle a perdu son emploi dans un autre ministère du gouvernement fédéral en conséquence. La fonctionnaire allègue qu’une infraction similaire a été commise de nouveau en août 2017, ce qui lui a coûté son emploi dans un autre ministère.

[13] Le défendeur nie avoir enfreint l’entente de règlement.

D. Tentatives déployées par la fonctionnaire pour faire appliquer le règlement

[14] La fonctionnaire s’est adressée à son agent négociateur afin de lui poser des questions sur l’application de l’entente de règlement. Le 6 janvier 2017, son agent négociateur a répondu en affirmant que la Commission n’avait pas compétence pour faire appliquer l’entente de règlement parce que la fonctionnaire avait retiré les griefs et n’était plus une fonctionnaire.

[15] La fonctionnaire a tenté de faire appliquer les modalités de l’entente de règlement en déposant une déclaration devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario le 13 juillet 2018. La fonctionnaire a également déposé une déclaration similaire devant la Cour fédérale le 12 juin 2019. La Cour supérieure de l’Ontario a sursis à l’action de la fonctionnaire le 15 mars 2019 en attendant le dépôt d’une demande auprès de la Commission afin de faire appliquer le règlement. Le 17 juillet 2019, la Cour fédérale a sursis à l’action de la fonctionnaire selon les mêmes conditions.

E. Historique de la procédure avec la Commission

[16] La fonctionnaire a déposé un nouveau grief le 25 avril 2019. Le nouveau grief a allégué que le défendeur avait contrevenu à l’entente de règlement dont il a été question plus tôt dans la présente décision. Le 20 janvier 2020, le défendeur a nié avoir enfreint l’entente de règlement et a rejeté le grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Le défendeur a également rejeté le grief parce qu’il était hors délai, puisqu’il avait été déposé plus de 25 jours après la date de la violation présumée de l’entente de règlement.

[17] La fonctionnaire a renvoyé le nouveau grief à la Commission le 11 février 2020 (dossier de la Commission 566-02-41571). La Commission a immédiatement décidé de trancher la question de sa compétence sur la base d’arguments écrits. Le défendeur a déposé ses arguments le 13 mars 2020. Les arguments de la fonctionnaire ont ensuite été retardés en raison de l’urgence en santé publique en 2020, mais, en fin de compte, la fonctionnaire a déposé ses arguments le 7 août 2020. Le défendeur a déposé sa réplique le 31 août 2020.

F. Mes excuses

[18] Le différend entre les parties est resté à la Commission pendant plus de trois ans en attente d’une décision. La Commission n’a pris aucune mesure pour trancher cette question préliminaire jusqu’à ce que le défendeur le lui demande le 7 juillet 2023. Je n’ai aucune excuse pour expliquer ce retard, et je m’excuse sans réserve auprès des parties du retard dans la décision sur cette question préliminaire.

III. Les positions et questions des parties

[19] Il s’agit d’un cas inhabituel parce que les deux parties affirment que la Commission n’a pas compétence pour entendre cette affaire, mais pour des raisons très différentes.

[20] La fonctionnaire affirme que la Commission n’a pas compétence pour entendre ce cas parce qu’elle a retiré les griefs et qu’elle est une ancienne fonctionnaire. Toutefois, la fonctionnaire affirme également qu’elle n’a [traduction] « […] aucune objection à ce que la CRTEFP [sic] conclue qu’elle a compétence pour statuer sur son grief » et qu’elle ne prend [traduction] « […] aucune position quant à savoir si la Commission a compétence ou non […] » pour trancher cette affaire.

[21] Le défendeur affirme que la Commission a compétence pour entendre un cas concernant un grief sur une violation alléguée d’un règlement même si un fonctionnaire s’estimant lésé retire son grief et n’est plus un fonctionnaire.

[22] Toutefois, le défendeur affirme que la Commission n’a pas compétence parce que le grief visant à faire appliquer l’entente de règlement est hors délai, car il devait être déposé dans les 25 jours suivant le non-respect allégué de l’entente de règlement. En réponse, la fonctionnaire a demandé une prorogation du délai pour déposer ce grief. Le défendeur s’est opposé à cette demande.

[23] Les deux parties s’entendent sur le fait qu’elles sont liées par l’entente de règlement. Cela signifie que deux questions principales sont soulevées :

1) La Commission a-t-elle compétence pour faire appliquer une entente de règlement après qu’un fonctionnaire s’estimant lésé a retiré le grief qui a été réglé?

2) La Commission a-t-elle compétence pour faire appliquer une entente de règlement lorsque la partie qui cherche à faire appliquer l’entente n’est plus une fonctionnaire?

 

[24] Comme la Commission l’a déjà dit, elle « […] tire son origine de la loi et n’est pas un tribunal jouissant d’une compétence inhérente. Les parties ne peuvent pas lui conférer compétence lorsqu’elle n’en a aucune » (voir Green c. Administrateur général (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2017 CRTEFP 17, au par. 340). Par conséquent, je ne peux pas simplement accepter que le défendeur affirme que la Commission a compétence pour régler les différends relatifs aux règlements et que la fonctionnaire n’a pas d’objection à la compétence de la Commission. Si une partie, ou la Commission elle-même, soulève une question de compétence, la Commission doit trancher la question.

[25] Une autre conséquence du fait que la Commission tire son origine de la loi est que sa compétence doit découler de la loi. Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑dessous, il y a un certain nombre de raisons de principe pour lesquelles la Commission a compétence pour régler les différends relatifs aux règlements lorsque le grief sous-jacent a été retiré. Ces raisons de principe ne donnent pas à la Commission une telle compétence. Même si ces raisons de principe sont fondées sur le préambule de la Loi, les déclarations de politique (comme celles énoncées dans le préambule de la Loi) ne sont pas des dispositions de compétence et ne peuvent étendre les pouvoirs de la Commission au-delà des sphères de compétence conférées par le Parlement dans les dispositions législatives de compétence : voir Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010-167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010-168, 2012 CSC 68, au par. 85 (« Renvoi relatif à la radiodiffusion ») et West Fraser Mills Ltd. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, au par. 85 (juge Côté dissident).

[26] Les arguments des deux parties dans ce cas révèlent également une certaine confusion quant à la procédure appropriée pour résoudre une violation d’entente de règlement. Mes motifs sont plus longs qu’il le serait nécessaire par ailleurs afin de dissiper toute confusion concernant la compétence de la Commission à l’égard des ententes de règlement et le processus à suivre dans le cadre de cette application.

IV. La Commission a compétence pour entendre un différend au sujet d’un règlement même après le retrait du grief

A. Ce que l’arbitre de grief avait à dire dans Amos au sujet du retrait d’un grief

[27] La décision principale sur le traitement des ententes de règlement demeure Amos c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 74, finalement confirmée dans 2011 CAF 38. Avant Amos, de nombreuses décisions prises en vertu de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-35; l’« ancienne Loi ») indiquaient qu’un arbitre de grief n’avait pas compétence pour entendre un différend au sujet de la mise en œuvre d’une entente de règlement. En vertu de l’ancienne Loi, les arbitres de grief avaient compétence pour décider s’il y avait une entente de règlement et si l’entente était invalide pour des raisons telles que la contrainte (voir Bedok c. Conseil du Trésor (ministère du Développement des ressources humaines), 2004 CRTFP 163) ou le caractère inique (voir Nash c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 98 (« Nash no 1 »)). Une fois que l’arbitre de grief a conclu qu’il y avait une entente valide, l’entente rendait la Commission « totalement inhabile à se saisir de l’affaire » (voir Lindor c. Canada (Conseil du Trésor), 2003 CRTFP 10, au par. 16), et un arbitre de grief n’avait pas le pouvoir de faire appliquer les modalités de cette entente (voir Nash no 1, au par. 80).

[28] L’arbitre de grief dans Amos devait déterminer si cet ancien courant jurisprudentiel s’appliquait à la nouvelle Loi qui est entrée en vigueur le 1er avril 2005. L’arbitre de grief a déterminé que ces décisions antérieures ne s’appliquaient pas à la nouvelle Loi. En résumé, l’arbitre de grief a conclu qu’un arbitre de grief avait compétence en vertu de la Loi (dans sa version à ce moment-là) pour déterminer trois choses : 1) si une entente de règlement est définitive et exécutoire, 2) si une partie s’y est conformée et, dans la négative, 3) la réparation appropriée en cas de non-conformité. La Cour d’appel fédérale a finalement confirmé cette décision.

[29] Mais comme le fait remarquer à juste titre la fonctionnaire, dans Amos, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a jamais retiré son grief. L’arbitre de grief s’est appuyé sur ce fait pour distinguer ce cas d’un cas antérieur refusant la compétence, en déclarant :

[…]

[53] Dans la présente affaire, le dossier indique que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas retiré son grief après avoir conclu l’entente de règlement. Je crois que cette distinction est importante. Qu’il suffise d’affirmer que je n’ai pas à me déclarer inhabile pour entendre le grief parce que « […] l’arbitre de grief n’en est tout simplement plus saisi […] » dans le même sens que dans Maiangowi. Je constate également que Maiangowi a été tranchée conformément aux dispositions de l’ancienne Loi, et non de la nouvelle Loi.

[…]

 

[30] La Cour d’appel fédérale a également fait remarquer que le grief n’avait pas été retiré et a déclaré :

[…]

[15] Je m’empresse d’ajouter que, lors de l’instruction du présent appel, l’appelant a bien précisé que sa seconde question n’avait pas une portée aussi large que ce que son libellé pouvait laisser croire. L’appelant affirme plus particulièrement que c’est à raison que l’arbitre de grief a conclu qu’il était compétent pour sanctionner le non-respect de l’entente de règlement étant donné que l’appelant n’avait jamais retiré son grief. Bien que le juge de première instance se soit dit d’avis que le retrait du grief n’avait eu aucune incidence sur la compétence de l’arbitre de grief, l’appelant invite la Cour à limiter son analyse aux faits particuliers de l’espèce. J’accepte son invitation et ce, pour les raisons suivantes.

[16] En premier lieu, le contexte factuel d’une affaire donnée joue un rôle déterminant lorsqu’il s’agit de définir la compétence de l’autorité chargée de rendre la décision. En second lieu, dans son analyse, l’arbitre de grief a tenu compte des faits, ce qui lui a permis de distinguer entre les faits de la présente espèce et ceux de l’affaire Maiangowi c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 6 (Maiangowi), étant donné que, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Maiangowi, l’arbitre de grief n’avait pas à se « déclarer inhabile pour entendre le grief parce qu[’il] “[…] n’en est tout simplement plus saisi […]” » (motifs de l’arbitre de grief, au paragraphe 53).

[17] En troisième lieu, le fait que le grief n’a pas été retiré ne saurait être considéré comme un fait exceptionnel ou comme une rare omission qui ne se reproduira plus jamais. Devant l’arbitre de grief, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC) soutenait que la plupart des ententes de règlement auxquelles elle était partie prévoient que les griefs à l’égard desquels la Commission exerce sa compétence principale ne sont pas considérés comme ayant été retirés tant que l’entente de règlement n’a pas été entièrement mise à exécution (annexe des motifs de l’arbitre de grief, à la page 41, paragraphe 37).

[…]

[22] Il pourrait à l’avenir se présenter des situations qui justifieraient une analyse différente. Pour le moment, je m’en tiens à la situation de l’appelant, qui n’a jamais retiré son grief. Ainsi, dès lors que les conclusions de l’arbitre de grief pourraient être interprétées comme faisant intervenir les deux scénarios possibles — à savoir 1) soit que le grief a été retiré, 2) soit qu’il n’a pas été retiré —, mon analyse de ses motifs et ma décision de confirmer en définitive sa décision ne vaut que pour l’appelant.

[…]

B. La raison pour laquelle le grief n’a pas été retiré était importante lorsque Amos a été tranchée en 2008

[31] Cela amène évidemment à se demander pourquoi un grief qui n’était pas retiré était important pour l’arbitre de grief dans Amos. Même si cet arbitre de grief n’a jamais expliqué en détail pourquoi le retrait d’un grief était important pour lui, il a fait la déclaration immédiatement après avoir cité Maiangowi c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 6 (tranchée en vertu de l’ancienne Loi) qui a rejeté une tentative d’application d’une entente de règlement parce que le grief avait été retiré. Cependant, même Maiangowi n’explique pas en détail la raison pour laquelle le retrait d’un grief était important. À mon avis, après examen d’autres cas cités dans Maiangowi (qui à son tour a été cité dans Amos), il ressort deux raisons pour lesquelles le retrait d’un grief était important en 2008.

1. La règle de 2008 sur ce qui se passe quand un grief est retiré

[32] Premièrement, l’arbitre de grief dans Amos s’inquiétait du principe qui existait à l’époque selon lequel le retrait d’un grief entraînait toujours le dessaisissement de l’arbitre de grief, ce qui signifie qu’il n’avait plus compétence pour entendre le grief.

[33] Ce principe découle de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Lebreux, [1994] A.C.F. no 1711 (C.A.) (QL). Le fonctionnaire s’estimant lésé dans Lebreux a retiré ses griefs après avoir conclu un règlement et la Commission a fermé son dossier. Environ trois semaines plus tard, le fonctionnaire a tenté d’établir de nouvelles dates pour l’arbitrage de son grief parce que [traduction] « il n’y avait pas d’entente satisfaisante » entre les parties — essentiellement, le fonctionnaire s’estimant lésé regrettait les modalités du règlement. L’arbitre de grief a invoqué le pouvoir prévu à l’article 27 de l’ancienne Loi pour réviser et modifier une ordonnance et a rouvert le dossier du fonctionnaire s’estimant lésé. La Cour d’appel fédérale a annulé la décision en déclarant :

[…]

12 À partir du moment où le défendeur a retiré ses griefs, la Commission et l’arbitre de grief désigné sont devenus functus officio, puisqu’ils n’étaient plus saisis de l’affaire. La Commission n’était tenue ni de s’interroger sur le bien-fondé ou sur la faisabilité d’un tel retrait, ni de consentir à l’accepter ou le rejeter. Le retrait mettait immédiatement fin au processus de règlement du grief à l’égard duquel il a été déposé. Par conséquent, aucune ordonnance ou décision ne pouvait être et n’a été rendue au sens de la Loi qui puisse faire l’objet d’une annulation ou d’une révision sous l’article 27.

[…]

 

[34] En cherchant à déterminer si le grief avait été retiré, l’arbitre de grief dans Amos a pu éluder la question de savoir si l’audition d’un différend sur la mise en œuvre d’une entente de règlement après le retrait du grief contrevient à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Lebreux.

2. La nécessité de trouver la compétence à l’article 209 de la Loi

[35] Deuxièmement, en 2008, un arbitre de grief tirait sa compétence uniquement de l’article 209 de la Loi. Comme l’a dit un arbitre de grief dans une décision subséquente dans laquelle il appliquait Amos, « […] les arbitres de grief […] tirent leur compétence uniquement de la LRTFP. Ils n’ont pas de compétence inhérente. En ce qui concerne les griefs individuels, la LRTFP limite la compétence des arbitres de grief aux affaires visées par le paragraphe 209(1) » (voir Wray c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2012 CRTFP 64, au par. 22).

[36] Le paragraphe 209(1) de la Loi énumère les types de griefs qui peuvent être renvoyés à l’arbitrage. Les ententes de règlement ne sont pas énumérées au paragraphe 209(1). Par conséquent, l’arbitre de grief dans Amos devait conclure qu’il avait le pouvoir implicite de faire appliquer une entente de règlement. L’arbitre de grief a conclu qu’un tel pouvoir était sous-entendu dans le paragraphe 209(1) de la Loi, étant donné que le pouvoir était conforme aux autres dispositions de la Loi et à l’objet de celle-ci; voir les paragraphes 77 et 106 de la décision. La Cour d’appel fédérale a tiré la même conclusion; voir les paragraphes 56, 57 et 62.

[37] Ce pouvoir implicite aurait pu s’avérer plus insaisissable pour un grief qui avait été retiré, particulièrement à la lumière de Lebreux.

C. Pourquoi un grief retiré n’est plus important

[38] La fonctionnaire fait valoir que le fait de ne pas retirer un grief est une condition nécessaire à la compétence de la Commission pour entendre un cas de non-conformité à une entente de règlement. Comme je l’ai indiqué, la Commission tire son origine de la loi et sa compétence doit être établie dans la loi. L’interprétation légale concerne la trinité que forment le texte, le contexte et l’objet de la disposition (voir Bernard c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2019 CAF 236, au par. 7). Les modifications apportées au texte et au contexte de la Loi après Amos signifient que, même si le grief qui n’a pas été retiré était important au moment où Amos a été tranchée, il n’est pas important maintenant. En outre, l’objet de la Loi soutient une interprétation de la Loi qui permet à la Commission de rouvrir un dossier qui a été retiré dans le seul but de régler un différend au sujet de la mise en œuvre d’une entente de règlement.

[39] Avant d’y aller d’explications plus détaillées, je tiens à préciser que le principe de dessaisissement continue de s’appliquer aux procédures de la Commission. Je ne dis pas que les changements que je vais décrire ont éliminé ce principe. Mes motifs devraient être lus dans le contexte limité de la question dans le présent cas, c’est-à-dire si le retrait d’un grief prive la Commission de sa compétence pour régler un différend sur la mise en œuvre d’une entente qui règle ce grief. Cette décision ne constitue pas une invitation pour les parties à rouvrir un cas qui a été retiré à toute autre fin.

1. Contexte législatif : la Loi a changé

[40] Comme je l’ai dit, au moment où Amos a été tranchée, la compétence d’un arbitre de grief se limitait au paragraphe 209(1) de la Loi.

[41] Le 1er novembre 2014, l’article 374 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 est entré en vigueur. Cette disposition a ajouté le paragraphe 223(2.1) à la Loi. Avant le 1er novembre 2014, les griefs étaient entendus par un arbitre de grief choisi par les parties ou désigné par le président de la Commission parmi les membres de la Commission; voir le paragraphe 223(2) de la Loi dans sa version antérieure au 1er novembre 2014. Le paragraphe 223(2.1) précise maintenant que « […] la Commission est saisie du grief » [je mets en évidence] renvoyé à l’arbitrage, à moins que les parties n’aient choisi un arbitre de grief ou demandé un conseil d’arbitrage.

[42] Au risque de simplifier à l’excès ce changement par une métaphore, avant le 1er novembre 2014, un grief déposé en vertu de la Loi était entendu par un commissaire agissant en tant qu’arbitre de grief. Après le 1er novembre 2014, un grief déposé en vertu de la Loi est entendu par un commissaire agissant en tant que commissaire.

[43] Cela signifie également qu’avant le 1er novembre 2014, un commissaire siégeant à titre d’arbitre de grief n’avait que le pouvoir que la Loi accordait à un arbitre de grief. La Loi établissait une liste des pouvoirs qui pouvaient être exercés par un arbitre de grief et le commissaire agissant en tant qu’arbitre de grief ne pouvait exercer que ces pouvoirs. Après le 1er novembre 2014, un commissaire qui tranche un grief exerce les pouvoirs de la Commission.

[44] C’est important dans le présent cas parce que cela signifie qu’un commissaire qui entend un grief a le pouvoir énoncé à l’article 12 de la Loi, qui se lit comme suit :

Attributions de la Commission

Administration of Act

12 La Commission met en œuvre la présente loi et exerce les attributions que celle-ci lui confère ou qu’implique la réalisation de ses objets, notamment en rendant des ordonnances qui en exigent l’observation, celle des règlements pris sous son régime ou des décisions qu’elle rend sur les questions dont elle est saisie.

12 The Board administers this Act and it may exercise the powers and perform the duties and functions that are conferred or imposed on it by this Act, or as are incidental to the attainment of the objects of this Act, including the making of orders requiring compliance with this Act, with regulations made under it or with decisions made in respect of a matter coming before the Board.

[Je mets en évidence]

 

[45] Autrement dit, avant le 1er novembre 2014, l’article 12 de la Loi (qui était alors l’article 36) ne pouvait s’appliquer qu’au rôle très limité que la Commission a joué dans l’arbitrage, à savoir la nomination d’un arbitre de grief et l’adoption de règlements relatifs à l’arbitrage; voir Exeter c. Administrateur général (Statistique Canada), 2012 CRTFP 24 (confirmée dans 2014 CAF 251). Toutefois, depuis le 1er novembre 2014, un commissaire qui entend un grief peut exercer les pouvoirs prévus à l’article 12 de la Loi.

[46] Plutôt que d’interpréter l’article 209 de la Loi (comme l’arbitre de grief devait le faire dans Amos), je peux interpréter l’article 12 de la Loi.

[47] Pour en arriver à cette conclusion, j’ai examiné la décision rendue par la Commission dans Nash c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 121 (« Nash no 2 »). Le demandeur dans ce cas a présenté une demande en vertu de l’article 43 de la Loi en vue de la révision d’une décision d’arbitrage rendue par la Commission rejetant deux griefs qu’il avait déposés. La Commission a conclu que l’article 43 de la Loi ne s’applique pas aux décisions prises par la Commission pour trancher des griefs, comme il est indiqué au paragraphe 28 :

[28] Même si la distinction entre les « arbitres » et la « Commission » a perdu de son importance à la lumière des modifications apportées à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique en 2014, il reste que les pouvoirs conférés par la législation aux décideurs (qu’ils soient des arbitres ou la Commission) en ce qui concerne les procédures d’arbitrage en vertu de la partie 2 de la LRTSPF sont différents de ceux qui ont été accordés à la Commission en ce qui concerne les procédures en matières de relations de travail en vertu de la partie 1. Il est vrai que, dans certaines situations, des pouvoirs semblables existent à la fois en vertu de la partie 2 et de la partie 1. Par exemple, le pouvoir général de convoquer des témoins est conféré à la Commission relativement à toute procédure prévue à l’article 20 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) et a été étendu aux arbitres de grief en vertu du paragraphe 226(1) de la LRTSPF. Toutefois, dans d’autres situations, certains pouvoirs sont exclusifs à la partie 2 ou à la partie 1. Par exemple, l’alinéa 226(2)a) confère à tous les décideurs un pouvoir spécifique d’interpréter et d’appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6) en ce qui concerne les procédures d’arbitrage en vertu de la partie 2 que la Commission ne possède pas en ce qui concerne les procédures relatives aux relations de travail en vertu de la partie 1. De même, le paragraphe 43(1) confère à la Commission des pouvoirs précis en matière de réexamen des décisions concernant les procédures relatives aux relations de travail en vertu de la partie 1 que les décideurs ne possèdent pas en ce qui concerne les procédures d’arbitrage en vertu de la partie 2 et que la Commission elle-même ne possède pas en ce qui concerne les procédures qui ne sont pas visées par la partie 1 de la LRTSPF.

[Je mets en évidence]

 

[48] Comme on peut le voir d’après mon utilisation de l’article 12 de la Loi, je n’ai pas traité les parties 1 et 2 de la Loi comme des compartiments hermétiquement scellés. La Commission ne l’a pas non plus fait dans Nash no 2. Dans le passage mis en évidence ci-dessus, la Commission a clairement indiqué que seuls certains pouvoirs de la Commission sont réservés aux procédures entamées en vertu des parties 1 ou 2 de la Loi. D’autres pouvoirs se chevauchent entre les deux parties. De toute évidence, le pouvoir de la Commission prévu à l’alinéa 14c) de la Loi (figurant dans la partie 1) qui vise à arbitrer les griefs chevauche les pouvoirs de la Commission énoncés à la partie 2. Pour donner un autre exemple, le pouvoir de la Commission d’inspecter et de voir les installations de l’employeur à l’alinéa 16d) de la Loi se trouvait autrefois dans les deux alinéas 40(1)j) et 226(1)f) de la Loi avant les modifications de 2014 dont il a été question plus tôt; ces modifications ont centré le pouvoir d’inspection de la Commission prévu à l’alinéa 16d) de la Loi, qui doit évidemment s’appliquer à l’arbitrage des griefs ainsi qu’aux procédures de la partie 1.

[49] En outre, la Commission a conclu que le demandeur dans Nash no 2 ne satisfaisait à aucune des conditions préalables à la révision, même si l’article 43 de la Loi s’appliquait à son cas. Je laisse à un autre membre de la Commission le soin de décider si cela rend les paragraphes 27 à 30 de cette décision exécutoire dans un cas concernant l’article 43 de la Loi; cependant, il y a une autre indication selon laquelle Nash no 2 ne régit pas l’interprétation de l’article 12 de la Loi. Nash no 2 ne concernait que l’article 43 de la Loi, et j’ai limité l’issue dans ce cas à l’article 43.

[50] J’ai limité Nash no 2 à l’article 43 de la Loi, en partie parce qu’elle se fondait sur une série de décisions d’arbitrage et de la Cour d’appel fédérale antérieures, selon lesquelles les arbitres de grief n’ont pas le pouvoir de réviser leurs décisions. On ne trouve pas un tel courant jurisprudentiel pour l’article 12 de la Loi. Comme je l’ai dit plus tôt, l’interprétation de la loi porte à la fois sur le texte et le contexte. Le contexte pertinent a amené la Commission à conclure, dans Nash n2, que l’article 43 ne s’applique pas aux procédures visées à la partie 2. Il n’existe pas de contexte semblable pour l’article 12. En l’absence de ce contexte législatif important, j’ai adopté le sens clair pour déterminer si l’article 12 de la Loi s’applique à la Commission dans toutes les procédures ou seulement celles prévues à la partie 1. Quand l’article 12 dit « Commission », cela signifie « Commission », et non « Commission agissant en vertu de la partie 1 ».

[51] La décision Amos sous-entendait le pouvoir d’appliquer une entente de règlement à l’article 209 de la Loi parce qu’un tel pouvoir est accessoire à l’atteinte des objectifs de la Loi. Après le 1er novembre 2014, la compétence de la Commission d’appliquer un règlement comme accessoire à l’atteinte des objectifs de la Loi est indiquée expressément à l’article 12, plutôt que seulement implicitement dans l’article 209.

[52] Je comprends que le premier grief de la fonctionnaire (dossier de la Commission 566-02-9894) a été déposé avant la modification du 1er novembre 2014. Le premier grief portait sur une suspension sans solde pendant une enquête. Le deuxième grief, déposé après la modification de la Loi, portait sur un licenciement antidaté pour coïncider avec le début de la suspension non payée. Dans ces cas, le grief lié à la suspension devient sans objet et la période de suspension devient partie intégrante du licenciement; voir Apenteng c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2017 CRTEFP 58, au par. 99. C’est pour cette raison que c’est la Loi après le 1er novembre 2014 qui est pertinente dans ce cas. Cela explique également pourquoi j’ai rouvert seulement le deuxième dossier de grief (dossier de la Commission 566‑02‑11394) dans l’ordonnance à la fin de la présente décision.

2. Autre contexte – la jurisprudence
a. L’approche à l’égard de l’interprétation d’une disposition législative fourre-tout

[53] L’article 12 de la Loi est une clause générale qui « ne peut pas être interprétée isolément », mais qui doit être lue en contexte avec le reste de cet article et la Loi dans son ensemble; voir Renvoi sur la radiodiffusion, au par. 29. Cela signifie que la portée de l’article 12 de la Loi n’est pas infinie, mais elle est limitée d’une manière démontrée par le contexte de la loi.

[54] Ce contexte requis comprend le principe selon lequel les pouvoirs accordés par l’intermédiaire de la disposition fourre-tout générale d’une loi ne peuvent être interprétés de manière à conférer à un tribunal des pouvoirs plus vastes que ceux expressément prévus ailleurs. Par exemple, dans Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724, à la p. 741, la Cour suprême du Canada a conclu qu’une disposition fourre-tout semblable à l’article 12 ne pouvait pas accorder au Conseil canadien des relations de travail le pouvoir d’ordonner la production de documents avant l’audience parce qu’il existait une disposition expresse accordant le pouvoir d’ordonner la production pendant une audience.

[55] Toutefois, dans le présent cas, rien d’autre dans la Loi ne traite expressément de l’application des règlements. Si tel était le cas, la Commission ne pourrait pas invoquer l’article 12 de la Loi. Comme ce n’est pas le cas, je peux invoquer l’article 12, dans la mesure où cela est compatible avec le contexte et l’objet plus larges de cette disposition.

[56] J’ai conclu que l’interprétation selon laquelle l’article 12 de la Loi donne à la Commission le pouvoir de faire appliquer les ententes de règlement est conforme à ce contexte élargi. La meilleure façon de le démontrer est d’examiner la jurisprudence pertinente sur ce point.

b. La décision Amos elle-même

[57] Je commence par la décision Amos elle-même. Après avoir reconnu qu’Amos portait sur un grief qui n’avait pas été retiré, l’arbitre de grief et la Cour d’appel fédérale ont ensuite ignoré toute distinction entre un grief qui avait été retiré et un grief qui ne l’avait pas été. Ce silence n’est pas déterminant, mais il est révélateur.

[58] Au lieu de cela, l’arbitre de grief a conclu que la compétence implicite de régler un différend au sujet du non-respect d’une entente de règlement était conforme à l’article 236 de la Loi (qui élimine la compétence des tribunaux) et à ce qu’étaient alors l’article 13 et le paragraphe 226(2) de la Loi (qui prévoyaient qu’un arbitre de grief pouvait arbitrer un différend entre les parties); voir les paragraphes 69 à 71 sur l’exclusion de la compétence des tribunaux et les paragraphes 64 à 67 sur la médiation. La Cour d’appel fédérale était d’accord avec l’arbitre de grief sur les deux points; voir les paragraphes 46 et 57 à 61 sur l’exclusion de la compétence des tribunaux et le paragraphe 66 sur la médiation.

[59] Les articles 13 et 15, et le paragraphe 226(2) de la version antérieure à 2014 de la Loi ont été remplacés par l’alinéa 14c) de la Loi et l’article 23 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, qui prévoient également que la Commission peut arbitrer les griefs. L’article 236 reste le même que lorsque la décision a été rendue dans Amos. Je souscris à l’opinion exprimée par l’arbitre de grief dans Amos et la Cour d’appel fédérale dans le même cas selon lequel ces dispositions sont importantes pour déterminer le pouvoir de la Commission d’appliquer une entente de règlement. J’irai même plus loin en affirmant que le fait d’interpréter l’article 12 de la Loi de manière à ce qu’il signifie que la Commission ne peut faire appliquer les ententes de règlement simplement parce que le grief a été retiré après la conclusion du règlement empêcherait la Commission d’avoir recours à la médiation et à la compétence exclusive à l’égard de la procédure de règlement des griefs prévue à l’article 236 de la Loi. Je reconnais que je n’ai aucune indication que cette entente de règlement a été conclue au moyen des services de médiation de la Commission, mais le principe selon lequel une médiation efficace exige la capacité de faire appliquer les ententes demeure.

c. Autres cas de la Commission

[60] Les arbitres de grief et la Commission ont appliqué Amos à plus de 40 reprises depuis que la Cour d’appel fédérale a confirmé l’issue déterminée par l’arbitre de grief. Les arbitres de grief et la Commission n’ont jamais déclaré qu’Amos ne s’appliquait pas aux griefs qui ont été retirés. Au lieu de cela, ils ont constaté à plusieurs reprises que « la décision rendue dans Amos a également confirmé le pouvoir de la Commission de décider si une partie s’est conformée aux modalités d’une entente de règlement »; voir Reid c. Administrateur général (Bibliothèque et Archives Canada), 2021 CRTESPF 104, au par. 111. Voir aussi Valderrama c. Administrateur général (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2020 CRTESPF 86, au par. 4; Ferlatte c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 118; Jadwani c. Conseil du Trésor (Agence fédérale de développement économique du Sud de l’Ontario), 2015 CRTEFP 22, au par. 164; Topping c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2014 CRTFP 74; Alibay c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2014 CRTFP 29, au par. 24; Chaudhary c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2013 CRTFP 160, au par. 30; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence Parcs Canada, 2012 CRTFP 98, au par. 21.

[61] Toutefois, le grief n’était pas retiré dans aucun des cas énumérés au dernier paragraphe.

[62] Le défendeur a cité deux cas dans lesquels un arbitre de grief et la Commission ont entendu des allégations de violation d’une entente et le grief initial a été retiré : Osman c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2018 CRTESPF 15 (confirmé dans 2019 CAF 72) et Palmer c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2010 CRTFP 11. Dans Osman, le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que le règlement avait été obtenu par une fausse déclaration et, dans Palmer, le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que le règlement avait été obtenu par fraude. La Commission a rejeté le premier argument et un arbitre de grief a rejeté le deuxième. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que ces deux cas démontrent que le retrait d’un grief ne prive pas complètement la Commission de sa compétence de trancher les questions soulevées au sujet de l’entente et qui aboutissent à ce retrait.

[63] La fonctionnaire fait valoir que la décision Osman soutient la thèse selon laquelle la Commission n’a compétence que dans des « circonstances exceptionnelles ». Ce n’est pas ce que dit Osman. Dans Osman, la Commission a déclaré qu’elle rouvrirait ou annulerait un règlement seulement dans des circonstances exceptionnelles. Il n’était pas nécessaire que des circonstances exceptionnelles surviennent afin que la Commission ait compétence pour statuer sur un différend concernant une entente de règlement; elles étaient nécessaires seulement pour annuler l’entente. Autrement dit, la Commission n’a pas laissé entendre que des circonstances exceptionnelles étaient nécessaires pour qu’elle ait compétence pour statuer sur ce cas, mais seulement pour accorder l’ordonnance demandée par le fonctionnaire s’estimant lésé pour rouvrir le règlement.

[64] Toutefois, dans ces deux cas, la Commission n’a pas précisé expressément s’il était pertinent que le grief ait été retiré. J’ai longuement examiné la question dans cette décision parce que la fonctionnaire a soulevé la question et pour clarifier ce point à l’avenir.

[65] La décision rendue dans Godbout c. Conseil du Trésor (Bureau du coordonnateur, Condition féminine), 2016 CRTEFP 5 est également instructive. Dans ce cas, les parties ont conclu un règlement, mais le fonctionnaire s’estimant lésé a refusé de signer le procès‑verbal final du règlement. L’arbitre de grief a conclu qu’il y avait une entente malgré l’absence de signatures et que les modalités de l’entente constituaient un règlement en espèces en échange du retrait du grief. Même si le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas retiré son grief, l’arbitre de grief n’a pas invoqué ce fait dans sa décision. Au lieu de cela, non seulement l’arbitre de grief a conclu qu’il y avait entente, mais il a aussi ordonné des modalités supplémentaires précises de cette entente (y compris le versement accéléré du paiement au fonctionnaire s’estimant lésé) et a ensuite fermé le dossier de la Commission parce que le retrait du grief était l’une des modalités de l’entente. Ce cas est typique d’un arbitre de grief ou de la Commission qui ne tient pas compte de la présence ou de l’absence d’un retrait lorsqu’il détermine sa compétence – qui, dans ce cas, s’étend jusqu’à imposer des modalités de règlement aux parties.

[66] C’est dans la décision Exeter que le décideur est passé le plus près d’exiger qu’un grief ne soit pas retiré. Dans ce cas, la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé à un arbitre de grief de se récuser d’une audience pour déterminer si une entente de règlement était valide et de nommer un autre arbitre de grief. L’arbitre de grief a refusé. La fonctionnaire s’estimant lésée a également demandé à la Commission de nommer un autre arbitre de grief. La Commission a refusé. À la Cour d’appel fédérale, la fonctionnaire s’estimant lésée a soutenu que la Commission avait mal saisi la demande en se concentrant sur le pouvoir de déterminer la validité de l’entente de règlement. La Cour d’appel a rejeté cet argument, estimant que la Commission s’était bien concentrée sur la question de la partialité. Toutefois, la Cour d’appel a déclaré en passant au paragraphe 33 que « […] il reste que dans l’arrêt Amos notre Cour a clairement établi que l’arbitre de grief a, du fait qu’il est saisi des griefs, le pouvoir de se prononcer sur le caractère exécutoire du protocole d’entente et le respect de ses modalités ».

[67] Ce passage, si on le prenait hors contexte, pourrait indiquer que la Commission doit encore être saisie d’un grief (c.-à-d. qu’il n’a pas été retiré) pour avoir compétence sur les modalités du règlement. Cependant, le passage doit être lu dans son contexte, qui était un différend antérieur à 2014 sur lequel l’arbitre de grief (le précédent ou un nouveau nommé par la Commission) devrait déterminer la validité de l’entente de règlement — pas sur la question de savoir si l’arbitre de grief avait ce pouvoir.

[68] J’ai également jugé instructif d’examiner les cas de règlement de procédures autres que les griefs.

[69] La Commission a étendu Amos au-delà du règlement des griefs. La Commission a appliqué Amos aux plaintes relatives au devoir de représentation équitable (voir Priest c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 2, et Fillet c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2013 CRTFP 43) et aux plaintes relatives aux pratiques déloyales de travail (voir Tench c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 124).

[70] Dans ces cas, la Commission avait compétence pour faire appliquer un règlement parce qu’elle avait compétence sur le différend sous-jacent en vertu de la Loi. Autrement dit, Amos s’applique plus largement qu’aux griefs qui n’ont pas été retirés; elle s’applique aux autres procédures de la Commission en vertu de la Loi.

[71] En revanche, la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour ordonner le respect d’une entente de règlement conclue pour régler une instance qui avait été intentée en vertu d’une autre loi. La Commission a conclu qu’elle n’avait pas cette compétence parce que l’entente réglait un différend comme une plainte en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13), comme dans Abeysuriya c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2016 CRTEFP 15, ou la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6), comme dans Mache-Rameau c. Administrateur général (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2021 CRTESPF 15 (confirmé dans 2023 CAF 5). La Cour fédérale (et non la Commission) a également déterminé qu’elle avait compétence à l’égard de la tentative d’un fonctionnaire s’estimant lésé de faire appliquer un règlement conclu pour régler une plainte en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique dans Taticek c. Canada (Agence des services frontaliers), 2014 CF 281.

[72] Un arbitre de grief a également conclu qu’il n’avait pas compétence pour faire appliquer un règlement au nom d’un employé individuel lorsque le règlement avait été conclu entre un employeur et un agent négociateur pour régler une plainte de pratique déloyale de travail parce que l’employé individuel ne pouvait pas contester la pratique déloyale de travail; voir Cossette c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2013 CRTFP 32; et Wray. Dans ces cas, ils n’avaient pas compétence parce que la personne qui tentait de faire appliquer le règlement n’avait pas la qualité requise puisqu’elle n’était pas partie à la plainte initiale ou à l’entente de règlement.

[73] Autrement dit, la Commission a assumé la compétence afin de faire appliquer une entente de règlement lorsque deux conditions ont été satisfaites : 1) l’instance qui a été réglée a été entamée en vertu d’une disposition de la Loi accordant à la Commission la compétence d’entendre le différend; 2) la partie qui tentait de faire appliquer le règlement était également partie à l’instance initiale. Depuis Amos, ni la Commission ni un arbitre de grief n’ont jamais refusé d’exercer leur compétence simplement parce que l’instance qui avait été réglée avait été retirée après le règlement.

[74] Je tiens à insister sur la première de ces deux conditions, à savoir que l’instance qui a été réglée doit avoir été entamée en vertu de la Loi de manière à conférer à la Commission la compétence sur le différend sous-jacent. L’article 12 de la Loi confère seulement à la Commission des pouvoirs qui « […] implique[nt] la réalisation de ses objets […] » [je mets en évidence]. Elle ne donne pas à la Commission le pouvoir de faire appliquer les règlements conclus pour régler les différends entamés en vertu d’autres lois.

[75] En outre, lorsqu’il s’agit de trancher des griefs, l’article 209 de la Loi demeure « […] la seule disposition de la [Loi] qui attribue compétence […] » à la Commission pour trancher le grief : Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2015 CF 50, au par. 41. La Commission n’a pas compétence pour régler un différend au sujet de la mise en œuvre du règlement d’un grief déposé en vertu de l’article 208 de la Loi qui n’a jamais été renvoyée à la Commission pour arbitrage. Un tel pouvoir irait au-delà de la portée d’une clause fourre-tout parce qu’il est incompatible avec le contexte général de la Loi, à savoir que le législateur voulait que la Commission ne tranche que certains griefs.

3. L’objet de la Loi appuie l’application d’une entente de règlement lorsque le grief a été retiré

[76] Je commence cette section de la présente décision en répétant ce que j’ai dit plus tôt au sujet de l’utilisation de la politique ou de l’objet pour déterminer la compétence de la Commission. La Commission n’a pas compétence sur une question uniquement parce qu’il y a de bonnes raisons de principe pour le faire ou parce que la compétence est conforme aux objets de la Loi. J’utiliserai l’objet de la Loi comme aide à l’interprétation de l’article 12 de la Loi, et non comme la source autonome de compétence de la Commission.

[77] L’interprétation de l’article 12 de la Loi selon laquelle il permet à la Commission de faire appliquer un règlement même lorsque le grief réglé a été retiré est également conforme à l’objet de la Loi. Dans Amos, l’arbitre de grief (au paragraphe 63) et la Cour d’appel fédérale (au paragraphe 44) ont cité le préambule de la Loi et ont conclu que l’application des accords de règlement était « […] conforme avec la promotion de “[…] la collaboration [entre les parties] […]” tout en contribuant “[…] à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes […]” et en encourageant le “[…] respect mutuel et […] l’établissement de relations harmonieuses […]” ».

[78] Je suis d’accord.

[79] Je suis également d’accord avec un point similaire soulevé par le Conseil canadien des relations industrielles dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2006 CCRI 362, aux paragraphes 36 et 39 (cité par l’arbitre de grief dans Amos), selon lequel l’un des « principaux buts et objectifs » de la législation sur les relations de travail est de « […] promouvoir le règlement positif de différends » et que « [l]es pouvoirs généraux doivent être considérés de manière à lui permettre de réaliser ses objectifs législatifs et son engagement à l’égard du règlement positif des différends ».

[80] J’ai également examiné le principe du caractère définitif. Le caractère définitif est un principe important dans les relations de travail et dans les procédures quasi judiciaires en général : voir, par exemple, Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, au par. 62 et Benson c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CRTESPF 30, au par. 57.

[81] Dans ce cas, le caractère définitif peut aller dans les deux sens. L’exercice de la compétence à l’égard d’un grief qui a été retiré porte atteinte au principe du caractère définitif, car les parties ont le droit d’invoquer un tel retrait et de traiter les différends qui ont été retirés comme étant terminés. Normalement, donc, le principe du caractère définitif militerait contre la compétence de la Commission dans ce cas.

[82] Cependant, une méthode rapide et simple d’application des règlements est compatible avec l’intérêt du caractère définitif, car elle encourage les parties à respecter les modalités des règlements négociés. En outre, l’incertitude entourant la compétence de la Commission pour régler un différend au sujet de la mise en œuvre d’un règlement lorsque le grief a été retiré a pour conséquence que les parties refusent de retirer les cas après leur règlement. Il y a des centaines de cas réglés qui restent ouverts à la Commission parce que les fonctionnaires s’estimant lésés ne les retirent pas, y compris les cas qui ont été réglés il y a plus de 10 ans. Cet inventaire des cas réglés demeure, même si la Commission informe continuellement les agents négociateurs de ces anciens griefs et leur demande des explications écrites sur les raisons pour lesquelles ils restent ouverts, comme il est indiqué à la page 13 du Rapport annuel 2021-2022 de la Commission. Les parties entreposent toujours indéfiniment les cas anciens avec la Commission afin de s’assurer que celle-ci conserve sa compétence à l’égard de tout différend concernant la mise en œuvre de ces règlements. Cela porte atteinte au principe du caractère définitif, car il exige des parties qu’elles surveillent en permanence les cas « ouverts » plutôt que de clore les cas et de les rouvrir seulement lorsque cela est nécessaire pour faire respecter les modalités d’un règlement.

[83] La perte de compétence une fois qu’un grief est retiré entraînerait également deux résultats pratiques absurdes qui sont incompatibles avec l’objectif déclaré de la Loi de favoriser des relations patronales-syndicales harmonieuses.

[84] Premièrement, les règlements peuvent contenir des modalités mises en œuvre une fois, ainsi que des modalités mises en œuvre indéfiniment. Par exemple, un règlement commun d’un grief de licenciement est le versement d’une somme forfaitaire par l’employeur au fonctionnaire s’estimant lésé en échange du retrait du grief par ce dernier. Ce sont des modalités mises en œuvre une seule fois.

[85] En outre, les parties incluent souvent des modalités qui s’appliquent indéfiniment, comme des clauses de confidentialité, l’engagement du fonctionnaire s’estimant lésé de ne pas présenter de nouvelle demande d’emploi à un ministère donné, ou une clause de non-dénigrement par laquelle l’une ou les deux parties conviennent de ne pas critiquer publiquement l’autre. Si la Commission perdait sa compétence une fois qu’un grief a été retiré, cela signifierait que le même règlement serait appliqué dans différentes instances, selon la modalité du règlement en litige. Une obligation ponctuelle qui a eu lieu avant le retrait du grief serait réglée par la Commission, tandis qu’une obligation permanente violée après le retrait du grief serait réglée par une cour. Cela explique en partie la pratique que j’ai décrite précédemment, à savoir que certaines parties ne retirent jamais de griefs. Dans d’autres cas, comme celui-ci, le fonctionnaire s’estimant lésé a retiré le grief après que les obligations ponctuelles ont été satisfaites. Il n’est pas très logique que la Commission ait compétence pour régler les différends relatifs aux obligations ponctuelles, mais qu’elle n’ait pas compétence pour régler les différends relatifs aux obligations indéfinies contenues dans la même entente de règlement.

[86] Deuxièmement, fonder la compétence sur la question de savoir si un grief a été retiré permettrait également aux fonctionnaires s’estimant lésés de faire le tour des tribunes pour trancher les différends liés à la mise en œuvre d’ententes de règlement en retirant stratégiquement leurs griefs pour orienter la compétence relative aux différends vers les tribunaux. Cela serait particulièrement problématique si un fonctionnaire s’estimant lésé retirait son grief après une audience, mais immédiatement avant que la Commission ne se prononce sur la question de savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé a contrevenu aux modalités du règlement, obligeant l’employeur à devoir participer deux fois à une audience sur l’infraction : une fois devant la Commission, et une fois de plus au tribunal si le fonctionnaire s’estimant lésé a retiré le grief à la fin de l’audience de la Commission, mais avant que la Commission ne rende sa décision.

[87] Pour ces motifs, le maintien de la compétence de la Commission pour régler les différends relatifs aux règlements même après le retrait du grief est conforme à l’objet de la Loi, en particulier aux fins énoncées dans le préambule de la Loi, à savoir des relations patronales-syndicales efficaces et harmonieuses et le règlement « […] de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi ». Le fait de décliner la compétence simplement parce qu’un grief a été retiré après la conclusion du règlement entraînerait également des résultats arbitraires qui rendraient impossible de faire la distinction entre le retrait ou non d’un grief.

4. Contexte élargi : modification des conséquences du retrait d’un cas

[88] Enfin, les conséquences du retrait d’un grief ont quelque peu changé depuis que la décision a été rendue dans Amos, en 2008, car la règle exposée dans Lebreux est moins coulée dans le béton qu’elle ne l’était.

[89] Il y a une différence entre la suspension ou le retrait d’une procédure judiciaire d’une part et la détermination de l’issue de cette procédure par une cour ou un tribunal d’autre part. Par souci de clarté, les termes « abandonner » et « retirer » signifient la même chose; voir DM c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 908. Les deux termes ont également le même effet.

[90] Dans sa décision rendue en 2016 Philipos c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 79, au par. 13, la Cour d’appel fédérale a clarifié la différence entre l’abandon d’une instance et la détermination de l’issue de cette instance par un tribunal. La différence est que l’abandon d’une procédure ne déclenche pas l’interdiction de rouvrir un litige et qu’une partie peut « ressusciter et poursuivre une instance abandonnée »; la détermination d’une instance, par contre, déclenche l’interdiction de rouvrir un litige. Cela signifie qu’un tribunal peut annuler un abandon. Voir aussi DLC Holdings Corp. v. Payne, 2021 BCCA 31, au par. 45, pour cette règle.

[91] La Cour d’appel fédérale a été très claire quant au fait qu’un arrêt ne serait annulé que dans des « circonstances exceptionnelles » et « […] qu’on ne peut pratiquement jamais faire revivre une procédure ayant fait l’objet d’un désistement […] [je mets en évidence] » (voir Philipos, au par. 19). Cependant, c’est encore un changement par rapport à Lebreux : « pratiquement jamais » ne signifie pas la même chose que « jamais ».

[92] La Cour d’appel a ensuite expliqué ce qu’elle entendait par « pratiquement jamais » :

[…]

[20] Seul un événement d’une importance fondamentale qui touche à l’essence de la décision de mettre fin à la procédure peut justifier qu’une procédure ayant fait l’objet d’un désistement revive et qu’elle suive son cours, notamment l’obtention d’un désistement par la fraude ou en raison de l’incapacité mentale de la partie concernée au moment du désistement, ou la répudiation d’un règlement amiable qui nécessitait qu’une procédure fasse l’objet d’un désistement.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[93] Je m’arrête ici dans ma description de Philipos pour faire remarquer que le passage souligné qui vient d’être cité au sujet de la répudiation n’est pas l’approche qu’adopte la Commission. La doctrine de la répudiation n’est pas reconnue dans les règlements de griefs; voir Jadwani, au par. 179. Autrement dit, une partie ne peut pas répudier le règlement d’un grief, quelle que soit la gravité de la violation de l’entente. Cela signifie également que la partie qui n’enfreint pas l’entente ne peut pas annuler une entente de règlement parce que la partie qui contrevient l’a répudiée.

[94] Néanmoins, la décision de la Cour d’appel dans Philipos reconnaît que les ententes de règlement ont un rôle à jouer dans la question de savoir si une cour ou un tribunal peut faire revivre une procédure qui a été retirée. Ainsi, la décision rendue en 2016 par la Cour d’appel dans Philipos est un changement modeste par rapport à la décision rendue dans Lebreux en 1994.

5. Le pouvoir de la Commission de régler les différends relatifs aux règlements ne relève pas de son pouvoir d’examiner et de modifier une décision

[95] Le défendeur a soutenu que le pouvoir de la Commission de régler un différend au sujet de la mise en œuvre d’une entente de règlement lorsque le grief a été retiré découle du pouvoir de la Commission d’examiner, d’annuler ou de modifier ses ordonnances antérieures en vertu de l’article 43 de la Loi. La Cour d’appel fédérale a rejeté cet argument dans Lebreux. Comme nous l’avons déjà mentionné, la Cour d’appel a conclu que l’abandon d’un grief a fermé le dossier sans qu’une ordonnance soit nécessaire et qu’il n’y avait donc pas d’ordonnance de révision en vertu de ce qui est maintenant l’article 43 de la Loi.

[96] Je dois suivre ce résultat.

[97] En outre, ce résultat est conforme à l’approche exposée dans Philipos. Dans ce cas, la Cour d’appel fédérale a déclaré clairement qu’un pouvoir de révision et de modification ne s’applique que lorsqu’une décision a été rendue par le tribunal, et non lorsqu’une partie s’est désistée. Par conséquent, je n’ai aucune bonne raison de m’écarter de la règle énoncée dans Lebreux selon laquelle le pouvoir de révision et de modification de ses décisions ne s’étend pas à un cas qui a été retiré au lieu d’être tranché.

[98] Comme je l’ai déjà expliqué, la Commission tire sa compétence de l’article 12 de la Loi, qui n’était pas accessible à un arbitre de grief lorsque la décision a été rendue dans Lebreux. Je n’ai pas appliqué l’article 43 de la Loi dans le présent cas.

6. Conclusion sur la question de savoir si la Commission a compétence pour faire appliquer un règlement lorsque le grief a été retiré

[99] Pour ces motifs, je souscris à l’opinion du défendeur selon laquelle la Commission a compétence pour régler un différend concernant la mise en œuvre d’une entente de règlement, même si le grief réglé a été retiré.

V. La Commission a compétence pour régler les différends relatifs aux règlements par d’anciens fonctionnaires

[100] J’en viens maintenant à la deuxième question soulevée par la fonctionnaire, à savoir le fait qu’elle n’est plus une fonctionnaire. La Commission a déjà fait appliquer des ententes de règlement lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé n’était plus un fonctionnaire dans Reid, Valderrama, Godbout, Topping et Alibay. Comme je l’expliquerai, je suis d’accord avec les résultats de ces décisions selon lesquelles la Commission a compétence pour faire appliquer une entente de règlement lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé n’est plus employé.

A. Les différends au sujet de la mise en œuvre d’un règlement n’exigent pas le dépôt d’un nouveau grief

[101] La préoccupation de la fonctionnaire découle d’une erreur d’interprétation des deux parties, qui croient qu’un fonctionnaire s’estimant lésé doit déposer un nouveau grief au sujet d’une présumée violation d’une entente de règlement. Un fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas besoin de déposer un nouveau grief pour faire appliquer un règlement.

[102] La Cour d’appel fédérale a résumé la position correcte dans Amos comme suit, dans un passage qui vaut la peine d’être cité :

[…]

[47] L’arbitre de grief a expliqué que l’on pouvait envisager les deux scénarios suivants (motifs de l’arbitre de grief, au paragraphe 99) :

Option 1 : Le différend fait clairement l’objet d’un nouveau grief déposé en vertu de l’article 208 de la nouvelle Loi. Puisque l’objet d’un tel grief ne fait pas partie de la liste des sujets qui peuvent être renvoyés à l’arbitrage en vertu du paragraphe 209(1), la décision au dernier palier de la procédure applicable aux griefs est finale et exécutoire.

Option 2 : Le différend sur l’entente de règlement découle du grief initial. Un arbitre a compétence pour examiner le différend si le sujet du grief initial tombe dans le champ de compétence d’un arbitre de grief, tel que prévu par le paragraphe 209(1) de la nouvelle Loi.

[48] L’arbitre de grief a opté pour le second scénario […]

[…]

[66] Il m’est impossible d’accepter l’argument de l’intimé suivant lequel le dépôt d’un nouveau grief en vertu de l’article 208 de la Loi constitue une réparation efficace pour l’appelant […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

[103] Le résultat dans Amos est clair : lorsqu’un fonctionnaire s’estimant lésé allègue une violation d’une entente de règlement, il n’est pas nécessaire de déposer un nouveau grief.

[104] En plus des motifs exposés dans Amos, ce résultat est également nécessaire pour s’assurer qu’un employeur peut faire respecter une entente de règlement à la Commission. Un employeur peut avoir droit à une réparation si un fonctionnaire s’estimant lésé contrevient aux modalités d’une entente de règlement, comme les dommages (voir Community Living Atikokan v. Ontario Public Service Employees Union (2021), 333 L.A.C. (4e) 143 (Nairn)) ou le remboursement des fonds de règlement (voir Globe and Mail (The) (2013), 233 L.A.C. (4e) 265 (Davie), confirmé dans Wong v. The Globe and Mail Inc., 2014 ONSC 6372). Les employeurs n’ont pas le droit de déposer un grief, sauf pour les griefs de principe contre un agent négociateur en vertu de l’article 220 de la Loi. Si l’exécution d’une entente de règlement exigeait le dépôt d’un nouveau grief, un employeur ne pourrait jamais faire appliquer une entente de règlement à la Commission — il devrait aller devant les tribunaux. La décision rendue dans Amos selon laquelle il n’est pas nécessaire de déposer un nouveau grief permet d’éviter qu’une partie à une entente de règlement puisse la faire appliquer à la Commission, mais que l’autre partie doive se présenter devant un tribunal.

[105] Enfin, je suis d’accord avec une décision antérieure d’un arbitre de grief qui dit : « Dans toutes mes années de pratique dans le domaine du droit du travail, jamais ai-je entendu quelque partie suggérer que cela soit dans l’intérêt de relations de travail harmonieuses de favoriser le dépôt d’un plus grand nombre de griefs »; voir Thom c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2012 CRTFP 34, au par. 72. Je reconnais qu’un contrôle judiciaire contre cette décision a été rejeté au motif qu’il était théorique et que la Cour fédérale (Canada (Procureur général) c. Thom, 2013 CF 326, au par. 65) a déclaré expressément que « […] la décision qui nous occupe a une valeur extrêmement douteuse comme précédent pouvant éclairer le rôle des accords de règlement dans les différends ultérieurs. »; cependant, la Cour discutait d’autres aspects de ce cas. Le principe demeure : moins il y a de griefs, mieux c’est.

B. Contexte général : un ancien fonctionnaire peut parfois déposer un grief de toute façon

[106] Le fait de permettre à un ancien fonctionnaire de faire appliquer une entente de règlement à la Commission est également conforme au principe plus large selon lequel un ancien fonctionnaire a toujours accès à l’arbitrage des griefs lorsque le grief porte sur sa suspension ou son licenciement (voir le paragraphe 206(2) de la Loi) ou lorsque les faits importants sous-jacents à un grief ont transpiré pendant que la personne lésée était toujours employée (voir Canada (Procureur général) c. Santawirya, 2019 CAF 248 au par. 11).

[107] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le caractère essentiel de ce différend sur l’exécution de l’entente de règlement découle du licenciement de la fonctionnaire.

[108] Je reconnais que les violations présumées de l’entente de règlement ont eu lieu après que la fonctionnaire n’était plus une fonctionnaire. Toutefois, contrairement aux arguments présentés par la fonctionnaire, je ne suis pas convaincu que le moment où les violations alléguées de l’entente de règlement ont eu lieu ait une incidence sur le caractère essentiel du présent cas. Le caractère essentiel de ce cas est son licenciement, et non la nature précise des violations présumées de ce règlement. De plus, si la fonctionnaire a raison de dire qu’un ancien fonctionnaire ne pouvait pas faire appliquer un règlement auprès de la Commission, aucun règlement lié à un licenciement ne pourrait jamais être appliqué auprès de la Commission.

[109] La clé de la compétence de la Commission réside dans la nature du différend sous-jacent. Le fait que la fonctionnaire soit ou non demeurée une fonctionnaire n’est aucunement pertinent.

C. Question sur le respect des délais

[110] Cette conclusion porte également sur l’opposition du défendeur au respect des délais pour le grief alléguant une violation de l’entente de règlement. Le grief était inutile. La fonctionnaire aurait pu écrire à la Commission afin de réactiver les deux dossiers qui ont été retirés et de poursuivre ce différend au sujet de l’entente de règlement en utilisant ces dossiers existants. Le délai de 25 jours pour déposer un grief ne s’applique tout simplement pas à une demande de réactivation d’un dossier pour faire appliquer une entente de règlement. Étant donné que la loi ne prévoit aucun délai pour une telle demande, tout différend concernant le respect des délais dans les efforts déployés par un fonctionnaire s’estimant lésé pour faire respecter l’entente de règlement sera déterminé en fonction de la question de savoir si le retard du fonctionnaire s’estimant lésé dans la procédure constitue un abus de procédure, comme indiqué dans Law Society of Saskatchewan c. Abrametz, 2022 CSC 29.

VI. Résumé de la compétence de la Commission pour régler les différends relatifs aux modalités de règlements

[111] En conclusion, la Commission a compétence pour régler les différends relatifs aux modalités de règlement à condition que deux conditions soient satisfaites :

1) l’instance qui a été réglée a été ouverte en vertu d’une disposition de la Loi accordant à la Commission la compétence pour entendre le différend;

2) la partie qui tente de faire appliquer le règlement était une partie à la procédure initiale et au règlement.

 

[112] Cette approche s’applique, peu importe si la partie qui a engagé une procédure devant la Commission s’est désistée.

[113] Enfin, un fonctionnaire s’estimant lésé qui tente de faire appliquer une entente de règlement n’a pas besoin de déposer un nouveau grief alléguant une violation de l’entente de règlement. Au lieu de cela, un fonctionnaire s’estimant lésé peut simplement écrire à la Commission au moyen d’un dossier existant ou, si le fonctionnaire s’estimant lésé a déjà retiré son grief, demander à la Commission de faire revivre son ancien dossier de grief afin de régler un différend au sujet de l’entente de règlement.

[114] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[115] Je déclare que le différend concernant la violation présumée de l’entente de règlement entre la fonctionnaire et le défendeur relève de la compétence de la Commission.

[116] Le dossier de la Commission 566-02-41571 sera fermé.

[117] Le dossier de la Commission 566-02-11394 sera rouvert pour répondre à l’allégation selon laquelle le défendeur n’a pas respecté les modalités de l’entente de règlement.

Le 15 décembre 2023.

Traduction de la CRTESPF

 

Christopher Rootham,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.