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Date: 20240105

Dossier: 568‑02‑47783

XR: 566‑02‑47295 et 566‑02‑47296

 

Référence : 2024 CRTESPF 2

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Matthew Daigneault

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

Conseil du Trésor

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Daigneault c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Charlie Arsenault‑Jacques, avocate

Pour l’employeur : Jennifer Humphrey, Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits déposés le 31 mai, les 14 et 20 juin, le 21 août et les 3 et 12 octobre 2023.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] La présente décision porte sur deux questions préliminaires dans deux griefs connexes. En premier lieu, l’employeur s’oppose aux griefs au motif qu’ils ont été renvoyés tardivement au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Il s’agit de déterminer si les parties ont accepté de suspendre le délai pour renvoyer ces griefs au troisième palier. Je conclus que le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir l’existence d’une telle entente et que les griefs n’ont pas été renvoyés au troisième palier dans les délais impartis.

[2] En deuxième lieu, le fonctionnaire a demandé une prorogation rétroactive du délai pour renvoyer ces deux griefs au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. J’accorde cette prorogation du délai. La confusion des deux parties quant à savoir si ces griefs étaient toujours en suspens constitue une justification claire, logique et convaincante du retard à les renvoyer au troisième palier. De plus, l’employeur a admis avoir contrevenu à la convention collective dans l’un des deux griefs, ce qui constitue un facteur important qui milite en faveur de l’octroi d’une prorogation du délai afin que le fonctionnaire puisse faire valoir ses arguments sur le redressement approprié.

II. Question relative au délai – le renvoi au troisième palier était hors délai

A. Le délai prévu dans la convention collective et l’entente de suspension

[3] La convention collective entre l’agent négociateur du fonctionnaire (Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN ou « UCCO-SACC-CSN ») et l’employeur pour le groupe Services correctionnels (expirée le 31 mai 2022; la « convention collective ») prévoit que le délai pour renvoyer un grief au palier suivant de la procédure de règlement des griefs est de 10 jours à compter de la plus tardive des deux dates suivantes : 1) la décision relative au grief ou 2) 15 jours après que le grief a été présenté au palier inférieur. Chaque jour de ce délai est un jour ouvrable et non un jour civil. Les parties peuvent également convenir de proroger ce délai; voir l’alinéa 61a) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005‑79; le « Règlement »).

[4] UCCO‑SACC‑CSN et l’employeur ont négocié une entente à l’établissement Warkworth (où le fonctionnaire travaille) selon laquelle tous les griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs seront suspendus jusqu’à ce qu’ils puissent être entendus [traduction] « […] à la prochaine réunion du comité des griefs prévue ». Les parties font référence à ce point comme étant des griefs « en suspens », et elles appellent cette entente [traduction] l’« entente de suspension ». Enfin, l’entente de suspension énonce également que tout grief en suspens peut être retiré de la suspension sur avis écrit de l’une ou l’autre des parties.

[5] L’existence d’un comité des griefs est énoncée à l’article IV‑B de l’« Entente globale entre Service correctionnel du Canada (SCC) et Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO‑SACC‑CSN) ». Chaque établissement correctionnel a son propre comité des griefs composé d’un nombre égal de représentants syndicaux et patronaux. Le comité des griefs est censé se réunir tous les mois pour discuter des problèmes liés à l’application de la convention collective ainsi que de tout grief émanant de l’établissement.

B. Nature des griefs

[6] Le présent cas porte sur deux griefs connexes. Le fonctionnaire a reçu l’ordre de travailler 3,25 heures supplémentaires le 17 juin 2022 et de nouveau le 18 juin 2022. Le fonctionnaire a obéi aux ordres et a travaillé ces heures supplémentaires, mais il a ensuite présenté des griefs concernant les deux ordres. L’employeur affirme que le quart de travail supplémentaire sur une base non volontaire du 17 juin 2022 ne contrevenait pas à la convention collective. L’employeur admet que le fonctionnaire n’aurait pas dû recevoir l’ordre de travailler des heures supplémentaires sur une base involontaire le 18 juin 2022 (étant donné qu’un autre agent aurait dû avoir reçu l’ordre de travailler plutôt), mais il a rejeté le grief au motif que le fonctionnaire avait été payé pour ces heures supplémentaires et qu’il n’avait subi aucun préjudice pour avoir travaillé ce quart.

C. Traitement des griefs

[7] Le fonctionnaire a déposé un grief contre les deux ordres de travailler des heures supplémentaires sur une base involontaire presque immédiatement le 21 juin 2022. L’employeur a rejeté les deux griefs au premier palier de la procédure de règlement des griefs le 11 juillet 2022, et le fonctionnaire a renvoyé les griefs au deuxième palier le 21 juillet 2022, ce qui était dans le délai de 10 jours pour le faire.

[8] Étant donné que les griefs étaient au deuxième palier, cela a déclenché l’entente de suspension, qui a mis les griefs en suspens jusqu’à la prochaine réunion prévue du comité des griefs.

[9] Une réunion a eu lieu le 23 août 2022. Les parties ne s’entendent pas quant à la nature de cette réunion. Leurs arguments sont également contradictoires quant à sa nature.

[10] L’employeur déclare dans ses premiers arguments que la réunion du 23 août 2022 était une réunion du comité des griefs. Cela signifierait que les griefs n’étaient plus en suspens. Cela a commencé le délai de 15 jours pour que l’employeur tranche le grief, qui s’est terminé le 14 septembre 2022. Une fois ce délai écoulé, le fonctionnaire disposait d’un délai de 10 jours pour renvoyer les griefs au troisième palier. Par conséquent, le délai pour renvoyer ces griefs au troisième palier a expiré le 28 septembre 2022.

[11] Toutefois, dans ses arguments qui répondent à la demande de prorogation du délai du fonctionnaire, l’employeur déclare que [traduction] « […] dans la pratique, un grief est entendu à l’audition d’un grief ou à un comité des griefs si l’une de ces situations est prévue ou requise ». L’employeur semble affirmer que l’entente de suspension est facultative et que les parties peuvent tenir une audience au deuxième palier au lieu de discuter du grief à la réunion du comité des griefs.

[12] Par contre, le fonctionnaire affirme que la réunion du 23 août 2022 n’était pas une réunion du comité des griefs, mais plutôt une réunion bilatérale entre le directeur et le président local du syndicat. Toutefois, le fonctionnaire affirme plus tard dans une série d’arguments que cette réunion était une audience de grief au deuxième palier avant de revenir dans ses arguments en réponse pour déclarer qu’il ne s’agissait que d’une réunion bilatérale.

[13] Le fonctionnaire affirme également que les deux parties considéraient que les griefs étaient toujours en suspens le 17 février 2023. En septembre et en octobre 2022, il n’y a eu aucune réunion du comité des griefs parce qu’il devait y avoir un changement de directeur à l’établissement Warkworth. Il y a eu une réunion patronale‑syndicale en novembre 2022 au cours de laquelle le président local du syndicat a posé des questions au sujet des griefs en suspens qui attendaient une réponse au deuxième niveau. Le directeur intérimaire a indiqué qu’il communiquerait avec les Relations de travail pour s’enquérir de leur état d’avancement.

[14] Le président local du syndicat n’a obtenu aucune nouvelle de l’état d’avancement des griefs. Le 13 février 2023, le président local d’UCCO‑SACC‑CSN a écrit à une conseillère en relations de travail du Service correctionnel du Canada (SCC) pour lui demander l’état d’avancement de ces deux griefs. La conseillère en relations de travail a répondu le 17 février 2023, affirmant que les deux griefs [traduction] « sont en suspens au deuxième palier ».

[15] Le fonctionnaire affirme que ce courriel démontre que les deux parties comprenaient que les griefs étaient toujours en suspens à ce moment‑là. Toutefois, l’employeur affirme que sa conseillère en relations de travail s’était trompée.

[16] Le fonctionnaire a renvoyé les griefs au troisième palier de la procédure de règlement des griefs le 1er mars 2023.

D. Le fonctionnaire n’a pas établi l’existence d’une entente visant à proroger le délai pour renvoyer les griefs au troisième palier

[17] Comme je l’ai mentionné plus tôt, les griefs ont été renvoyés au deuxième palier le 21 juillet 2022 et au troisième palier le 1ᵉʳ mars 2023. Le délai pour ce renvoi a expiré le 12 août 2022 (soit 15 jours ouvrables après la présentation des griefs à ce palier inférieur). Cela signifie que le renvoi au troisième palier a été fait bien au‑delà de la période pour le faire.

[18] La seule question que je dois trancher est celle de savoir s’il y a eu une entente pour proroger le délai pour renvoyer ces griefs au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Il incombe au fonctionnaire de démontrer qu’il y a eu une entente pour proroger ce délai; voir Desloges c. Canada (Procureur général), 2007 CF 60, au par. 28.

[19] Les parties conviennent qu’une telle entente a été conclue pour la période entre le 21 juillet et le 23 août 2022. L’employeur soutient que l’entente a expiré le 23 août 2022. Malheureusement, je ne comprends pas pourquoi l’employeur affirme que l’entente a pris fin le 23 août 2022; je ne suis pas certain si l’employeur affirme qu’il y a eu une réunion du comité des griefs (conformément à l’entente de suspension) ou qu’il y a eu une réunion au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. L’employeur semble dire les deux choses à des moments différents.

[20] Les arguments du fonctionnaire ne sont pas clairs non plus pour moi. Comment y a‑t‑il eu une audition de grief au deuxième palier le 23 août 2022 si les griefs étaient toujours en suspens, ou s’agissait‑il simplement d’une réunion bilatérale? S’il y a eu entente pour proroger le délai au‑delà du 23 août 2022 (autrement dit, pour suspendre ces griefs), le fonctionnaire a certainement violé l’entente de suspension en renvoyant ses griefs au troisième palier le 1ᵉʳ mars 2023 sans donner un préavis à lemployeur? Si le fonctionnaire estime que les griefs étaient toujours en suspens selon les termes de l’entente de suspension, aucun élément de preuve n’indique qu’un avis écrit a été donné pour mettre fin à la suspension. Le renvoi des griefs au troisième palier de la procédure de règlement des griefs le 1er mars 2023 était incompatible avec l’entente en place pour suspendre ces griefs au‑delà du 23 août 2022.

[21] Le courriel du 17 février 2023 de la conseillère en relations de travail ne constitue pas une preuve d’une entente visant à mettre en suspens les griefs – il indique seulement qu’elle estimait que les griefs étaient toujours en suspens. Le fonctionnaire n’a présenté aucun élément de preuve d’un courriel, d’une lettre, d’un appel téléphonique, d’une conversation ou de toute autre communication constituant une entente visant à suspendre le délai pour renvoyer ces griefs au troisième palier après le 23 août 2022.

[22] Par conséquent, je conclus que le fonctionnaire ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve consistant à établir l’existence d’une entente visant à proroger le délai pour renvoyer ces griefs au troisième palier de la procédure de règlement des griefs au‑delà du 23 août 2022. Ce renvoi au troisième palier était hors délai.

III. Demande de prorogation du délai – la demande de prorogation est accueillie

[23] L’alinéa 61b) du Règlement confère à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission », qui dans la présente décision fait référence à la présente Commission et à tout prédécesseur) le pouvoir de proroger tout délai énoncé dans une convention collective ou dans le Règlement « par souci d’équité ». En règle générale, la Commission applique les facteurs dits Schenkman (de Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1) lorsqu’elle décide si l’équité justifie une prorogation du délai. Les cinq facteurs sont les suivants :

· le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

· la durée du retard;

· la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;

· l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;

· les chances de succès du grief (souvent exprimés par la question de savoir s’il existe un cas défendable en faveur du grief).

 

[24] Ces critères ne sont pas pondérés de façon égale, et ils ne sont pas tous importants dans tous les cas. Comme la Commission l’a déclaré dans Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, au par. 55, « [c]es critères ne sont pas fixes et l’objectif primordial est de déterminer ce qui est juste en fonction des faits de chaque cas […] De plus, les critères n’ont pas nécessairement le même poids et la même importance […] ». Dans Parker c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 57, la Commission a cité Bowden avec approbation au paragraphe 28, que je mentionne étant donné que l’employeur a invoqué Parker pour étayer cette proposition.

A. Les raisons du retard

[25] En ce qui concerne d’abord les raisons du retard, le fonctionnaire affirme que le retard découlait de la confusion ou du malentendu sur la nature de la réunion du 23 août 2022 et sur la question de savoir si les griefs étaient toujours en suspens. L’employeur laisse entendre qu’il était [traduction] « insoutenable » pour le fonctionnaire de suggérer que le représentant de l’agent négociateur croyait que les griefs étaient toujours en suspens pour les raisons suivantes (pour citer ses arguments) :

[Traduction]

[…]

i. Aucun élément de preuve n’indique que les parties ont convenu de garder les griefs en suspens à la suite de la consultation au deuxième palier tenue le 23 août 2022;

ii. En février 2023, notamment six mois après la tenue de la consultation, le [représentant] de l’agent négociateur a effectué un suivi auprès de l’employeur afin de s’enquérir de l’état d’avancement des griefs étant donné que des réponses au deuxième palier n’avaient pas encore été données;

iii. Si les griefs étaient toujours en suspens en attendant une réunion du comité des griefs comme le laisse entendre l’agent négociateur, ce dernier n’y aurait pas donné suite concernant les réponses au deuxième palier à donner, mais aurait plutôt fait un suivi afin de fixer la date de ladite réunion du comité des griefs. Ce fait à lui seul démontre que les griefs n’étaient pas en suspens en attendant une réunion du comité des griefs puisque l’agent négociateur attendait que l’employeur donne les réponses au deuxième palier, d’où le suivi de février 2023.

[…]

 

[26] Je suis d’accord avec le fonctionnaire pour dire qu’il existe des raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard dans le présent cas.

[27] D’une part, les arguments de l’employeur ne tiennent pas compte du suivi de l’agent négociateur en novembre 2022 au sujet du grief. L’agent négociateur a agi comme si les griefs étaient toujours en attente d’une audience au deuxième palier lorsqu’il a effectué un suivi en novembre 2022.

[28] J’ai été encore plus influencé par la confusion de la représentante des relations de travail de l’employeur quant à savoir si ces deux griefs étaient toujours en suspens. Si, comme le soutient l’employeur, la représentante des relations de travail s’est trompée sur l’état d’avancement de ces griefs, je suis prêt à accepter le fait qu’il était également raisonnable que le président local du syndicat soit confus en ce qui concerne l’état d’avancement de ces griefs. Les arguments de l’employeur révèlent également une certaine confusion dans son esprit concernant ce qui s’est passé le 23 août 2022 (c.‑à‑d. s’il s’agissait d’une réunion du comité des griefs ou d’une audition de grief au deuxième palier). Je suis prêt à accepter le fait que la confusion quant à savoir si les griefs étaient toujours en suspens était réelle et constitue une raison claire, logique et convaincante justifiant le retard.

B. La durée du retard

[29] La durée du retard dans le présent cas était d’environ cinq mois. L’employeur qualifie cette durée d’« importante ». Toutefois, dans Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59, au par. 14, la Commission a indiqué qu’un retard de quatre ou de cinq mois n’est ni dérisoire ni important. Dans Guittard c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2002 CRTFP 18, au par. 28, la Commission a conclu qu’un retard de quatre mois n’est « pas vraiment excessif ». Dans Savard c. Conseil du Trésor (Passeport Canada), 2014 CRTFP 8, au par. 67, la Commission a qualifié un retard de cinq mois comme « pas exceptionnel ». Dans Duncan c. Conseil national de recherches du Canada, 2016 CRTEFP 75, au par. 147, la Commission a indiqué que la durée des retards de quatre à cinq mois « n’est pas excessive ». Je souscris à la teneur de ces cas selon laquelle un retard de cinq mois n’est ni flagrant ni minime. Je n’ai donc accordé aucun poids à la durée du retard.

[30] De plus, dans Van de Ven c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2023 CRTESPF 60, au par. 75, la Commission a légèrement reformulé cette partie des facteurs de Schenkman en tenant également compte du palier de la procédure de règlement des griefs dans lequel le retard a eu lieu. La Commission a déclaré au paragraphe 80 de ce cas qu’un retard dans le dépôt initial d’un grief ou dans son renvoi à l’arbitrage est plus grave qu’un retard dans la transmission entre les paliers de la procédure de règlement des griefs, « […] étant donné que l’examen par l’employeur des questions soulevées dans les griefs avait déjà commencé et n’était pas encore terminé ».

[31] Je suis du même avis.

[32] Dans le présent cas, le retard a eu lieu dans la transmission entre le deuxième et le troisième paliers de la procédure de règlement des griefs, ce qui milite en faveur de l’octroi d’une prorogation du délai.

C. La diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé

[33] Dans le présent cas, le fonctionnaire et le président local du syndicat ont fait preuve de diligence raisonnable. Le fonctionnaire a effectué un suivi auprès de la direction et d’UCCO‑SACC‑CSN en juillet 2022 au sujet de l’état d’avancement de ces griefs et a demandé plus particulièrement où en étaient les griefs en ce qui concerne les délais. De plus, le président local du syndicat a effectué un suivi quant à l’état d’avancement de ces griefs en novembre 2022; lorsque le directeur par intérim n’a pas répondu, il a effectué un autre suivi en février 2023. L’employeur laisse entendre que, puisque les suivis effectués en juillet ont eu lieu pendant que les griefs étaient toujours au premier palier (c.‑à‑d. immédiatement avant que la décision ne soit rendue au premier palier), ils ne sont pas pertinents à cette question. Cet argument fait abstraction du suivi effectué en novembre. De plus, le suivi effectué en juillet indique que ni le fonctionnaire ni le président local du syndicat n’ont simplement déposé les griefs et les ont remisés; ils ont tous les deux effectué un suivi diligent concernant son état d’avancement afin de tenter de régler les griefs. Ce facteur milite en faveur de l’octroi d’une prorogation du délai.

D. L’employeur ne subit aucun préjudice

[34] L’employeur fait simplement valoir que [traduction] « […] l’employeur devrait avoir droit à une certaine certitude en sachant que les conflits de travail seront réglés en temps opportun », en invoquant Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92, pour affirmer que les prorogations du délai devraient être exceptionnelles et non la règle. Par ailleurs, l’employeur n’a indiqué aucun préjudice qu’il subirait si j’accorde cette prorogation du délai, mais il indique que ce facteur ne devrait pas avoir beaucoup de poids.

[35] L’employeur n’a pas indiqué la façon dont il serait lésé dans sa capacité de répondre à ces griefs compte tenu du retard d’environ cinq mois pour le renvoyer au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. L’employeur n’a pas invoqué ce retard, n’a pas détruit les documents pertinents et n’a pas indiqué toute autre façon dont sa capacité de faire valoir ses arguments a été compromise. Je souscris aux arguments en réponse du fonctionnaire selon lesquels un retard ne porte pas automatiquement préjudice à l’employeur – l’employeur doit expliquer un préjudice précis qu’il subirait à la suite du retard. Ce facteur milite en faveur de l’octroi d’une prorogation du délai.

E. Les chances de succès du grief

[36] Normalement, peu de poids est accordé à ce facteur, à moins que le grief, à première vue, n’ait « aucune chance de succès »; voir Barbe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 42, au par. 16. Par conséquent, ce facteur est habituellement une fonction de contrôle pour s’assurer que les griefs ne soulevant aucune cause défendable sont rejetés à un stade précoce.

[37] L’employeur soutient que les chances de succès des griefs sont faibles. Toutefois, l’employeur a reconnu qu’il avait contrevenu à la convention collective dans l’un des deux griefs, mais il a quand même rejeté le grief. Tant que l’employeur continuera d’admettre sa violation de la convention collective, la seule question que la Commission doit trancher concerne la réparation appropriée. Étant donné que la victoire du fonctionnaire sous une forme ou une autre est presque certaine, j’ai accordé à ce facteur un poids important en faveur de l’octroi d’une prorogation du délai.

[38] Autrement dit, si une défaite presque certaine est un facteur fort, sinon déterminant, contre l’octroi d’une prorogation du délai, l’admission par l’employeur d’une victoire presque certaine devrait donc être un facteur fort, sinon déterminant, en faveur de l’octroi d’une prorogation du délai.

[39] Je fais également remarquer la proposition de la Commission dans Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 22, au par. 95, selon laquelle la question de la réparation appropriée dans les cas où un agent correctionnel reçoit un ordre irrégulier de travailler des heures supplémentaires doit être tranchée en fonction de chaque cas au moyen de griefs individuels. J’hésite à priver le fonctionnaire de la possibilité d’exercer un recours alors que l’employeur admet qu’il a contrevenu à la convention collective. Cela ne signifie pas qu’une réparation sera nécessairement accordée. Toutefois, lorsque la seule question concerne une réparation, cela milite en faveur de l’octroi d’une prorogation du délai afin de permettre au fonctionnaire d’exercer ce recours.

IV. Conclusion

[40] Après avoir examiné les cinq facteurs de Schenkman, j’accorde la prorogation du délai parce qu’aucun de ces facteurs ne milite contre l’octroi de la prorogation.

[41] À la lumière de ma décision d’accorder au fonctionnaire une prorogation du délai, l’objection au respect du délai pour ce renvoi à l’arbitrage est devenue sans objet et je la rejette uniquement pour cette raison.

V. Addenda

[42] Les arguments des parties dans le présent cas ont révélé certaines différences entre eux en ce qui concerne le sens et l’application de l’entente de suspension. L’entente de suspension est une initiative louable par les parties en vue de discuter franchement des questions et de le faire en temps opportun. J’encourage les parties à discuter de l’entente de suspension et de s’assurer qu’elles comprennent toutes les deux ses modalités, surtout les réunions qui constituent des réunions du comité des griefs, des réunions bilatérales officieuses ou des auditions de griefs. Cette compréhension commune permettra, espérons‑le, de s’assurer que d’autres griefs ne [traduction] « passent pas entre les mailles du filet » et que les parties puissent utiliser leurs ressources de manière plus productive que de rédiger des arguments sur le respect des délais et les prorogations du délai aux fins de présentation à la Commission.

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

VI. Ordonnance

[44] La demande de prorogation du délai est accueillie.

[45] L’objection relative au respect du délai pour le renvoi à l’arbitrage est rejetée.

[46] Les griefs seront renvoyés au greffe de la Commission pour être mis au calendrier selon la pratique normale.

Le 5 janvier 2024.

Traduction de la CRTESPF

Christopher Rootham,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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