Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’intimé a déposé une requête visant à rejeter les deux plaintes au motif que le plaignant ne se trouvait pas dans la zone de sélection et que son statut prioritaire ne s’appliquait pas – l’intimé avait mené un processus de nomination interne annoncé et avait fait deux nominations (une pour une période indéterminée et une intérimaire) – la zone de sélection avait été établie comme étant des personnes « occupant un poste » dans un garage de poste de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) – l’intimé a soutenu que le plaignant ne travaillait pas dans un tel poste au moment pertinent, bien qu’il était un employé de la GRC bénéficiant d’un statut prioritaire – la Commission a conclu que le plaignant n’avait pas le droit de porter plainte puisqu’il n’était pas dans la zone de sélection – il ne remplissait pas les fonctions d’un poste dans un garage de poste de la GRC – l’intimé a invoqué l’article 43 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP) – il n’était pas nécessaire de prendre en considération les candidats ayant un statut de priorité pour la nomination d’une durée indéterminée – les nominations intérimaires sont exclues des dispositions pertinentes de la LEFP concernant les droits de priorité en vertu de l’article 12 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (DORS/2005-334) – le plaignant ne pouvait pas exercer ses droits de priorité pour la nomination intérimaire.

Objection accueillie.
Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Date: 20240109

Dossiers: 771‑02‑40003 et 41020

 

Référence: 2024 CRTESPF 3

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans

la fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

JASON LYSAK

plaignant

 

et

 

COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Lysak c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada

Affaire concernant des plaintes d’abus de pouvoir aux termes des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Satinder Bains, représentant, Syndicat des employé‑e‑s de la Sécurité et de la Justice (SESJ‑AFPC)

Pour l’intimé : Jena Montgomery, avocate

Pour la Commission de la fonction publique : Alain Jutras, analyste principal

Affaire entendue par vidéoconférence

tenue le 7 décembre 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] La présente décision concerne une requête déposée par l’intimé, le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) visant à rejeter ces deux plaintes au motif que le plaignant, Jason Lysak, n’avait pas qualité pour les présenter. Sa requête était fondée sur son allégation selon laquelle le plaignant ne se trouvait pas dans la zone de sélection établie pour les nominations visées et n’avait donc pas qualité pour présenter une plainte, compte tenu des dispositions de l’art. 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; « LEFP »), et que le statut prioritaire du plaignant en vue d’une nouvelle nomination ne lui conférait pas un droit de recours pour ce processus de nomination.

[2] La plainte dans le dossier de la Commission 771‑02‑40003 (« première plainte ») a été présentée le 31 mars 2019 et porte sur une nomination pour une période indéterminée effectuée le 26 mars 2019 (la « nomination pour une période indéterminée »). La plainte dans le dossier de la Commission 771‑02‑41020 (« deuxième plainte ») a été présentée le 30 septembre 2019 et porte sur une nomination intérimaire effectuée le 26 septembre 2019 (la « nomination intérimaire »). Les deux nominations ont été effectuées à partir d’un processus de nomination annoncé (numéro 18‑RCM‑IA‑WPG‑D‑78254; le « processus de nomination ») pour le poste de technicien en chef, classifié au groupe et au niveau GL‑VHE‑10, situé au garage de poste de la GRC à Winnipeg, au Manitoba (le « garage de poste de Winnipeg »), parfois appelé dans les documents le [traduction] « garage de poste de la Division D ».

[3] Le garage de poste de Winnipeg est un garage d’équipement et d’entretien des véhicules de la GRC. Le groupe GL‑VHE est composé de mécaniciens de véhicules.

[4] Le processus de nomination a établi une zone de sélection qui se lisait comme suit : [traduction] « Les personnes employées par la Gendarmerie royale du Canada qui occupent un poste à l’unité de garage de poste à Winnipeg, au Manitoba. »

[5] Compte tenu de la requête de l’intimé, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») doit trancher la question de savoir si le plaignant a qualité pour présenter ces plaintes et, plus particulièrement, s’il occupait un poste au garage de poste de Winnipeg.

[6] Selon le dossier dont est saisie la Commission, le plaignant avait occupé un poste de technicien principal au groupe et au niveau GL‑VHE‑10 au garage de poste de Winnipeg, mais il avait commencé un congé pour s’occuper de la famille immédiate à compter du 4 juillet 2016. Le 29 août 2017, la GRC l’a informé que son poste avait été doté de façon permanente parce que son congé avait dépassé un an et qu’on lui accordait le statut prioritaire pour une nouvelle nomination conformément à l’al. 41(1)a) de la LEFP, à compter du 5 septembre 2017.

[7] Lorsque les plaintes ont été présentées en 2019, le plaignant ne travaillait pas au garage de poste de Winnipeg ou ailleurs dans la fonction publique fédérale et il avait toujours le statut prioritaire pour une nouvelle nomination.

[8] L’intimé a soutenu que même si les personnes bénéficiant de ce type de statut prioritaire demeurent employées à certaines fins, comme les avantages sociaux et le droit de demander un congé, elles [traduction] « n’occupent pas un poste ». Le processus de nomination exigeait que les candidats occupent un poste au garage de poste de Winnipeg. Le plaignant n’occupait pas un tel poste et, par conséquent, ne se trouvait pas dans la zone de sélection. Il a soutenu que, pour présenter une plainte en vertu de l’art. 77 de la LEFP, un fonctionnaire doit se trouver dans la zone de sélection.

[9] L’intimé a également invoqué l’art. 43 de la LEFP, qui permet à l’administrateur général de ne pas examiner la candidature d’une personne jouissant d’un droit de priorité (PDP) si la nomination de cette personne aura pour effet d’accorder à une autre personne un droit à une priorité.

[10] La Commission de la fonction publique (la « CFP ») était d’accord avec l’intimé pour dire que le plaignant n’avait pas un droit de recours à l’égard de ni la nomination pour une période indéterminée ni la nomination intérimaire. Ses arguments, reproduits plus en détail dans les motifs qui suivent, portaient sur la capacité des fonctionnaires ayant un statut prioritaire de présenter une plainte en vertu de la LEFP, surtout dans un contexte où le ministère concerné a invoqué l’art. 43.

[11] Le plaignant a fait valoir que lorsque les plaintes ont été présentées, il était toujours un fonctionnaire de la GRC. Avant d’avoir le statut prioritaire, son poste d’attache était au garage de poste de Winnipeg. Au cours de la même période où il a présenté ces plaintes, la GRC l’a informé qu’il faisait l’objet d’une enquête administrative concernant des allégations de vol au garage de poste de Winnipeg. Le plaignant a fait valoir que l’intimé avait cherché à l’empêcher délibérément de postuler ces postes, ce qui signifiait qu’il n’avait pas pu retourner au service actif. Il a soutenu que la Commission devrait avoir compétence pour enquêter sur les raisons pour lesquelles l’intimé a choisi le processus de nomination et la zone de sélection et d’exclure sa candidature.

[12] Pour les motifs qui suivent, la requête de l’intimé est accueillie et les plaintes sont rejetées.

II. Questions procédurales

[13] Afin d’aider à fournir un cadre pour les motifs de ma décision, je commencerai par examiner plusieurs questions procédurales qui ont été soulevées avant l’audience.

A. Requête en rejet de la première plainte

[14] Comme je l’ai indiqué, la première plainte a été présentée le 31 mars 2019. Dans la plainte, le plaignant a affirmé que la mesure de dotation en question [traduction] « […] contourne encore une fois [son] statut prioritaire ». Il a dit que la GRC avait exclu délibérément sa candidature. Il s’est plaint que la GRC n’avait pas respecté la Directive sur l’administration des priorités (qui régit l’administration du système d’administration des priorités) lorsqu’elle a exclu sa candidature et n’a pas facilité son retour au service actif.

[15] Le 12 juin 2019, l’intimé a présenté une requête en rejet de la plainte. À l’appui de sa requête, l’intimé a indiqué que le processus de nomination avait pour objet de doter le poste de technicien en chef sans embaucher de personnel équivalent à temps plein supplémentaire. Par conséquent, il avait demandé et reçu l’autorisation en vertu de l’art. 43 de la LEFP. Cela lui a permis de faire une nomination au poste sans tenir compte des candidats qui avaient été recommandés par le système d’administration des priorités. Le plaignant s’était recommandé lui‑même au processus de nomination dans le cadre de ce système. Il a indiqué que la CFP lui avait accordé l’autorisation en matière de priorité à compter du 9 janvier 2019. Étant donné que le plaignant ne se trouvait pas dans la zone de sélection et étant donné que l’art. 43 avait été invoqué, l’intimé a exclu sa candidature; il a dit que le plaignant en avait été informé le 23 janvier 2019.

[16] Le 18 juin 2019, la CFP a confirmé que, lorsque la nomination pour une période indéterminée avait été faite, le plaignant avait le statut d’une PDP en tant que « fonctionnaire qui revient d’un congé », conformément à l’al. 41(1)a) de la LEFP, qui avait commencé le 5 septembre 2017 et qui devait (à ce moment‑là) prendre fin le 12 novembre 2021.

[17] Le plaignant a répondu à la requête le 3 juillet 2019. Selon sa thèse, il était toujours considéré comme un employé du garage de poste de Winnipeg et que, par conséquent, il se trouvait dans la zone de sélection. Il a cité Agnew c. Sous‑ministre des Pêches et des Océans, 2018 CRTESPF 2, à l’appui de cette thèse. Il a soutenu que, depuis plus de deux ans, la GRC ne s’était pas acquittée de ses responsabilités envers lui en tant que PDP.

[18] Le 15 juillet 2019, la Commission a demandé que l’intimé et la CFP présentent d’autres arguments concernant le statut du plaignant. L’intimé, la CFP et le plaignant ont présenté d’autres arguments.

[19] Le 10 octobre 2019, une autre formation de la Commission a conclu qu’elle ne disposait toujours pas de suffisamment de renseignements pour prendre une décision. Elle a rejeté la requête de l’intimé en rejet de la plainte, sous toute réserve qu’elle soit soulevée de nouveau une fois que la plainte est au calendrier pour une audience.

B. Deuxième plainte et la demande de regrouper les plaintes

[20] Comme je l’ai indiqué, la deuxième plainte a été présentée le 30 septembre 2019. Le plaignant a allégué que son statut prioritaire avait été de nouveau contourné.

[21] Le 4 décembre 2019, l’intimé a demandé que la deuxième plainte soit regroupée avec la première plainte.

[22] Dans une lettre de décision datée du 8 janvier 2020, j’ai accueilli la demande de regroupement au motif que les allégations formulées dans les deux plaintes étaient presque identiques, que les nominations pour une période indéterminée et les nominations intérimaires étaient aussi des postes semblables aux mêmes groupe et niveau et que les nominations découlaient du même processus de nomination.

C. Procédures préalables à l’audience

[23] Les plaintes devaient être instruites ensemble les 7 et 8 décembre 2022 et les parties en ont été informées le 10 juin 2022.

[24] Une conférence de gestion des cas (CGC) préalable à l’audience a été tenue le 18 octobre 2022. Le plaignant et son représentant y ont tous deux participé, de même que les représentants de l’intimé et de la CFP. La Commission a examiné avec les parties les allégations du plaignant et les réponses de l’administrateur général et de la CFP à celles‑ci. Le plaignant a indiqué qu’il prévoyait citer trois témoins; l’intimé a dit qu’il prévoyait en citer un. La CFP a indiqué qu’elle ne participerait pas à l’audience, mais qu’elle ne fournirait que des arguments écrits.

D. Demande de modifier les allégations

[25] À la suite de la CGC, soit le 26 octobre 2023, le représentant du plaignant a présenté une demande d’ajouter une allégation supplémentaire à celles présentées à l’origine, à savoir que l’intimé avait fait preuve de partialité dans la détermination de la zone de sélection et qu’il avait établi cette zone en vue d’exclure la candidature du plaignant. J’ai rejeté la demande le même jour, car elle ne contenait aucune explication de la raison pour laquelle cette allégation n’avait pas été incluse lorsque les allégations du plaignant avaient été déposées à l’origine auprès de la Commission, conformément aux exigences énoncées à l’al. 23(2)d) du Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique (DORS/2006‑6); le « Règlement »).

[26] Le 27 octobre 2022, le représentant du plaignant a présenté de nouveau la demande et a expliqué qu’elle était présentée à ce stade de la procédure [traduction] « […] en raison d’événements qui sont survenus depuis le dépôt de la présente plainte ».

[27] Dans une lettre de décision datée du 15 novembre 2022, j’ai rejeté la demande du plaignant d’ajouter l’allégation selon laquelle l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’établissement de la zone de sélection. Mes motifs de ma décision se lisaient comme suit :

[Traduction]

[…]

La Commission conclut que la demande de modification de ses allégations présentée par le plaignant ne satisfait pas aux exigences du par. 23(2) du Règlement. Notamment, aucune explication détaillée n’a été fournie quant à la raison pour laquelle l’allégation n’aurait pas pu être faite à un stade antérieur ou aux événements qui sont survenus depuis le dépôt de sa plainte. Aucune raison justifiant la raison pour laquelle le plaignant doit modifier ses allégations, y compris la raison pour laquelle il est dans l’intérêt de l’équité de le faire n’a pas non plus été fournie.

Quoi qu’il en soit, il n’appartient pas à la Commission d’évaluer si la zone de sélection est raisonnable (voir Umar‑Khitab c. Canada (Ressources humaines et Développement social), 2007 TDFP 5 aux paragraphes 15 et 21). Le mandat de la Commission, en vertu du par. 88(2) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, se limite à l’examen et au règlement des plaintes présentées en vertu du paragraphe 65(1), et des articles 74, 77 et 83 de la Loi. Comme la Commission l’a récemment confirmé dans Shafaie c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2022 CRTESPF 15 au par. 34, ces articles ne permettent pas de présenter une plainte concernant l’établissement d’une zone de sélection.

[…]

 

E. Demande de remise de l’audience

[28] Toujours le 15 novembre 2022, le représentant du plaignant a demandé de remettre l’audience prévue les 7 et 8 décembre 2022 au motif qu’il avait une autre audience devant la Commission aux mêmes dates. L’intimé ne s’est pas opposé à la demande.

[29] La Commission a demandé que le représentant lui fournisse des détails sur l’autre audience qui serait tenue ces jours‑là. En réponse, il a expliqué qu’il avait une conférence de règlement prévue les 7 et 8 décembre à Abbotsford, en Colombie‑Britannique, concernant une autre plainte relative à la dotation. Après un examen plus approfondi, la Commission a été en mesure de confirmer qu’il ne devait qu’assister à une séance de conférence de pré‑règlement d’environ une heure, à compter de 14 h, heure de l’Est, le 7 décembre 2022.

[30] Le 16 novembre 2022, j’ai rejeté la demande de remise de l’audience présentée par le plaignant.

[31] Les demandes de remise d’une audience sont présentées conformément à la Politique sur les remises d’audiences de la Commission. Le représentant du plaignant ne m’a fourni aucune raison claire, logique et convaincante pour laquelle l’audience devrait être remise.

[32] J’ai prévu qu’une pause d’une durée suffisante serait autorisée l’après‑midi du 7 décembre afin que le représentant du plaignant puisse participer à sa séance de conférence de pré‑règlement.

F. Demande de commencer l’audience en retard

[33] À 23 h 41 le 6 décembre 2022, le représentant du plaignant a demandé de retarder le début de l’audience jusqu’à 12 h, heure de Winnipeg, le 7 décembre 2022, en raison des retards de vols qu’il connaissait pour se rendre à Winnipeg.

[34] J’ai accepté de retarder le début de l’audience qui devait débuter à 9 h 30, heure de l’Est par vidéoconférence et de convoquer une CGC à 13 h, heure de l’Est.

[35] Au cours de la CGC, j’ai exprimé une préoccupation selon laquelle nous ne serions pas en mesure d’achever l’audience dans le délai imparti, étant donné que le représentant du plaignant devait encore assister à sa conférence de pré‑règlement à 14 h et qu’il nous resterait un peu plus d’une journée d’audience, ce qui pourrait ne pas permettre de citer tous les témoins et d’entendre les arguments.

[36] L’avocate de l’intimé a proposé qu’au lieu de remettre entièrement l’audience, la Commission entende les arguments relatifs à son objection relative à la compétence. Le représentant du plaignant a accepté. Les parties ont convenu qu’aucun témoignage ne serait nécessaire pour trancher l’objection.

[37] L’audience a commencé dans l’après‑midi du 7 décembre 2022, lorsque le représentant du plaignant est revenu de sa conférence de pré‑règlement.

[38] Les parties ont accepté de s’en remettre aux documents figurant dans le recueil de documents et ils ont été déposés en preuve sur consentement. Le plaignant a demandé qu’un document, soit l’onglet 33 dans son recueil de documents, soit déposé en preuve sur consentement et l’intimé a accepté.

[39] Le représentant du plaignant a ensuite indiqué que le plaignant souhaitait citer un témoin au sujet de l’historique des emplois annoncés dans le garage de poste de Winnipeg, ainsi que de la partialité et du favoritisme.

[40] L’avocate de l’intimé s’est opposée à la demande du plaignant de citer un témoin en soutenant que la Commission devait avoir compétence pour être saisie des plaintes. L’avocate a fait valoir qu’en l’absence de l’obligation d’entendre les éléments de preuve concernant la compétence de la Commission, nous devrions procéder à l’argumentation.

[41] J’ai décidé de poursuivre en entendant les arguments des parties concernant l’objection de l’intimé relative à la compétence. J’ai réitéré mon opinion selon laquelle, étant donné le retard du début de l’audience, nous ne pourrons achever une audience sur le bien‑fondé des plaintes dans le délai imparti, tout en entendant également des arguments sur la compétence.

[42] J’ai expliqué aux parties que si l’objection relative à la compétence était accueillie, la Commission n’examinerait pas les allégations formulées dans les plaintes ni ne rendrait de décision à leur sujet. J’ai également indiqué que si l’objection relative à la compétence était rejetée, les plaintes seraient remises au calendrier afin d’être entendues sur le fond.

[43] J’ai répété qu’aucune des parties ne m’avait informé de la nécessité de témoignage au sujet de l’objection relative à la compétence selon laquelle le plaignant n’a pas qualité pour présenter ces plaintes et qu’elles pouvaient, dans leurs arguments, invoquer les documents déposés en preuve sur consentement.

[44] Comme je l’ai déjà mentionné, la CFP n’a pas participé à l’audience, mais elle a présenté des arguments écrits sur les objections relatives à la compétence.

III. Résumé de l’argumentation

[45] Je commencerai par les arguments de la CFP car ils ont été présentés avant l’audience, et parce que l’intimé a formulé ses arguments par rapport à ceux de la CFP.

A. Pour la CFP

[46] Les arguments écrits de la CFP portaient sur la question du droit du plaignant de présenter une plainte en vertu de la LEFP, étant donné son statut de PDP, et les répercussions de l’invocation par l’intimé de l’art. 43.

[47] La CFP a soutenu que l’invocation de l’art. 43 de la LEFP est déléguée aux administrateurs généraux des ministères et des organismes. Il a pour but de conférer aux administrateurs généraux le pouvoir discrétionnaire de ne pas prendre en considération une PDP si cette prise en considération avait pour effet de conférer à une autre personne un droit de priorité.

[48] Selon la CFP, l’invocation de l’art. 43 ne supprime pas le droit de présenter une plainte à la Commission en vertu de l’art. 77 de la LEFP. Selon la CFP, même si l’invocation de l’art. 43 par la GRC signifiait que le plaignant n’avait pas le droit d’être nommé avant les autres candidats, l’invocation de l’art. 43 ne le privait pas en soi du droit de présenter une plainte en vertu de l’art. 77.

[49] La CFP a fait valoir que la seule situation où le droit de présenter une plainte en vertu de l’art. 77 est limité en raison du recours au système d’administration des priorités est prévue à l’art. 87 de la LEFP, qui énonce qu’aucune plainte ne peut être présentée si une nomination prioritaire a été effectuée.

[50] La CFP a soutenu que le droit de présenter une plainte à la Commission est défini au par. 77(2) comme étant limité à une personne qui « […] dans le cas d’un processus de nomination interne annoncé, est un candidat non reçu et est dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34 […] ». Elle a soutenu que la Commission doit déterminer si le plaignant se trouvait dans la zone de sélection définie en vertu de l’art. 34.

[51] Dans le présent cas, la zone de sélection était limitée aux personnes qui occupaient un poste au garage de poste de Winnipeg. La CFP a fait valoir que les personnes en congé et ayant un statut de placement prioritaire, comme le plaignant, n’occupent plus un poste au sein de leur organisme d’attache, même si elles peuvent toujours être considérées comme des fonctionnaires à certaines fins, comme les avantages sociaux. Étant donné que le plaignant ne pouvait pas exercer son statut prioritaire, compte tenu de l’invocation de l’art. 43, il devait satisfaire à l’exigence relative à la zone de sélection établie pour le poste. La CFP a soutenu que puisqu’il n’occupait pas un poste lorsqu’il a présenté sa candidature, il n’avait pas le droit de recours pour présenter une plainte à la Commission.

[52] Dans ses arguments, la CFP a pris soin de faire la distinction entre la nomination pour une période indéterminée visée par la première plainte et la nomination intérimaire visée par la deuxième plainte. Elle a affirmé que les nominations intérimaires sont exclues de certaines dispositions de la LEFP relatives au droit de priorité en application de l’article 12 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (DORS/2005‑334; le « Règlement sur l’EFP »). Cela signifie que les fonctionnaires comme le plaignant, qui avaient une priorité de congé, ne peuvent pas exercer leurs droits à des nominations intérimaires.

B. Pour l’intimé

[53] L’intimé a soutenu que les deux plaintes devraient être rejetées parce que le plaignant se trouvait en dehors de la zone de recours énoncée au par. 77(2) de la LEFP. L’intimé a réitéré que la Commission n’avait pas compétence pour examiner les allégations concernant la zone de sélection qu’il avait établie. La CFP a le pouvoir d’administrer les droits de priorité et la sélection des priorités.

[54] L’intimé était d’accord en grande partie avec les arguments de la CFP concernant les personnes qui peuvent présenter une plainte en vertu de l’art. 77 de la LEFP. Toutefois, il a dit que la CFP n’avait pas suffisamment expliqué en quoi l’invocation de l’art. 43 avait une incidence sur la zone de recours. Selon l’intimé, lorsqu’une exemption en vertu de l’art. 43 est accordée, les dispositions relatives à la nomination prioritaire ne s’appliquent pas. En raison de l’art. 43, l’administrateur général n’était pas tenu de prendre en considération les candidats du système de priorités, dont le plaignant, qui s’était recommandé lui‑même.

[55] L’intimé a fait valoir que selon l’art. 77 de la LEFP, pour présenter une plainte concernant une nomination, la personne doit être un candidat non reçu dans la zone de sélection. Dans le présent cas, la zone de sélection consistait à ce que le candidat occupe un poste dans le garage de poste de Winnipeg. L’annonce du poste était claire. Le plaignant n’occupait pas un tel poste et, par conséquent, il ne pouvait pas présenter une plainte concernant la nomination découlant de ce processus. Par conséquent, il a soutenu que la Commission n’avait pas compétence pour entendre les plaintes du plaignant.

[56] L’intimé a fait valoir que la Commission et ses prédécesseurs avaient affirmé que les plaignants devaient se trouver dans la zone de sélection pour présenter une plainte. Dans Shafaie c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2022 CRTESPF 15, la Commission a examiné la question de savoir si un plaignant en dehors de la zone de sélection pouvait présenter une plainte selon laquelle l’administrateur général avait limité la zone de sélection afin d’empêcher un plaignant d’exercer un droit de recours et elle a conclu que la Commission n’avait pas compétence (voir les paragraphes 3, 7, 10 à 12, 22 à 24, 26, 28, 29, 34 et 35).

[57] Pour affirmer que la Commission ne peut pas examiner une plainte relative à une zone de sélection, l’intimé a également cité Umar‑Khitab c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada), 2007 TDFP 5, aux paragraphes 15, 16 et 21, et Gulia c. Administrateur en chef du Service administratif des tribunaux judiciaires, 2020 CRTESPF 39, aux paragraphes 19 et 20 (confirmée dans 2021 CAF 106; voir le par. 14).

[58] À la question concernant le sens ordinaire de ce que signifie occuper un poste, l’intimé a soutenu qu’un fonctionnaire doit occuper un poste. Il a fait remarquer que lorsqu’il a invoqué l’art. 43, il a fourni une justification de l’établissement de la zone de sélection parce que l’ancien poste de la personne qui serait embauchée serait supprimé, car le garage de poste de Winnipeg ne cherchait pas à augmenter ses niveaux de dotation actuels.

[59] L’intimé a fait valoir que le fait d’occuper un poste n’est pas la même chose qu’être un fonctionnaire. S’il s’agissait de la bonne interprétation, la zone de sélection n’aurait pas utilisé le terme « occuper »; elle aurait utilisé le terme « fonctionnaire ». Le terme « occupe » est au présent. Le fait que le plaignant puisse avoir déjà occupé un poste au garage de poste de Winnipeg n’avait aucune pertinence. Le processus de nomination exigeait qu’un fonctionnaire occupe un poste au moment de la présentation de la demande.

[60] À la question de savoir quel recours existe pour une PDP qui souhaite présenter une plainte si elle ne peut pas être prise en considération, l’intimé a répondu qu’il n’appartient pas à la Commission de trancher cette question. Même si le pouvoir d’invoquer l’art. 43 est délégué à l’administrateur général, en fin de compte, la division des droits de priorités de la CFP est l’autorité ultime. Selon l’intimé, c’est là que le plaignant pourrait demander un recours (voir Magee c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2011 TDFP 12, au par. 20, et Scott c. Administrateur général (ministère des Transports), 2022 CRTESPF 45, au par. 52). L’intimé a fait valoir qu’en fin de compte, une décision par la CFP concernant son administration du système de droit de priorité pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale. L’affaire ne peut être présentée à la Commission à moins que celle‑ci en soit dûment saisie.

[61] L’intimé n’était pas d’accord avec l’argument du plaignant de 2019, présenté en réponse à sa requête en rejet, selon lequel la décision de la Commission dans Agnew servait de fondement pour permettre à la Commission d’avoir compétence. Dans Agnew, l’art. 43 de la LEPF ne s’appliquait pas. La candidate avait été évaluée et on avait déterminé qu’elle se trouvait dans la zone de sélection et, par conséquent, elle était considérée comme une candidate non reçue ayant le droit de recours.

C. Pour le plaignant

[62] À l’audience, le représentant du plaignant a fait valoir les points suivants :

• En 2016, le plaignant a pris un congé pour s’occuper d’un membre de sa famille.

• Avant de prendre ce congé, il y avait un poste supplémentaire au garage de poste de Winnipeg.

• En 2017, quelques jours seulement avant son retour de congé, la GRC a doté son poste.

• Depuis lors, la GRC a limité ses affectations aux fonctionnaires du garage de poste de Winnipeg.

• L’interprétation du plaignant de ce que signifie occuper un poste au garage de poste de Winnipeg diffère énormément de celle de l’intimé. Il était un fonctionnaire et, par conséquent, il occupait un poste.

• La Directive sur l’administration des priorités énonce que si une personne en congé non payé doit être remplacée, la personne qui a le pouvoir délégué « […] doit s’efforcer de lui trouver un emploi approprié lors de son retour ».

• Les politiques de la CFP sur l’évaluation énoncent que les ministères devraient évaluer les candidats sans partialité et sans conflit d’intérêts, d’une matière transparente et équitable.

• Depuis la fin de son congé, le plaignant a été exclu des processus de nomination pour retourner au garage de poste de Winnipeg et ne peut même pas faire l’objet d’une évaluation.

• Le plaignant ne sait même pas qui a pris la décision d’approuver la zone de sélection sur les affiches utilisées pour le processus de nomination. La Commission devrait pouvoir examiner cette question.

• Le plaignant jouit d’un statut prioritaire depuis six ans et toutes les tentatives qu’il a faites pour retourner au service actif ont été infructueuses. Il mérite d’être réintégré dans son poste.

 

[63] J’ai demandé au représentant du plaignant s’il souhaitait présenter des commentaires sur le document figurant à l’onglet 33 du recueil des documents du plaignant, car il avait demandé qu’il soit déposé en preuve à titre de pièce sur consentement.

[64] Le document est une lettre adressée au plaignant intitulée [traduction] « Lettre informant un fonctionnaire d’une enquête administrative » et est datée du 14 août 2019. La lettre informait le plaignant que la GRC amorçait une enquête administrative sur les allégations de vol au garage de poste de Winnipeg, y compris les pneus, les étagères et autres articles. La lettre expliquait qu’il serait en mesure de présenter des éclaircissements ou des circonstances atténuantes au cours de l’enquête et que, si les allégations étaient jugées fondées, des mesures administratives ou disciplinaires pourraient être prises.

[65] Le représentant du plaignant a soutenu que la lettre confirme que le plaignant est demeuré un fonctionnaire du garage de poste de Winnipeg. C’est ainsi que lui et tous ceux qui ont lu la lettre l’interprètent, mais l’intimé l’interprète différemment.

[66] Le plaignant a fait partie du garage de poste de Winnipeg pendant 14 ans et mérite d’être réintégré dans le poste. Son représentant a indiqué qu’il souhaiterait avoir l’occasion de faire valoir ce point.

[67] Le représentant du plaignant n’a cité aucune jurisprudence. Il n’a pas répondu à la jurisprudence citée par l’intimé.

[68] Étant donné la brièveté des arguments du plaignant à l’audience, je vais également faire état de certains de ses arguments directs présentés pendant le processus d’acceptation des plaintes.

[69] Le 2 juillet 2019, en réponse à la requête de l’intimé en rejet de la première plainte, le plaignant a affirmé que les arguments de la CFP confirmaient qu’il était toujours considéré comme un fonctionnaire du garage de poste de Winnipeg. Il a dit qu’il s’agissait de son poste d’attache avant qu’il ne soit mis en congé non payé ayant le statut de droit à la priorité par le ministère.

[70] Il a soutenu que la Commission devrait avoir compétence pour enquêter sur la raison pour laquelle l’intimé avait choisi le processus de nomination et la zone de sélection lorsqu’il savait qu’il avait un statut prioritaire aux fins d’une nouvelle nomination, que la dotation du poste à l’origine visait à créer un poste vacant, que l’intimé avait modifié ses pratiques d’embauche uniquement après qu’il avait obtenu le statut prioritaire et que, selon la Directive sur l’administration des priorités, l’intimé doit s’efforcer de lui trouver un emploi. Il a soutenu que le garage de poste de Winnipeg est un lieu de travail très occupé et que les actes de l’intimé ont laissé un secteur de travail vacant, avec des outils disponibles pour être utilisés. Il a fait valoir que l’intimé a utilisé les heures supplémentaires et des entrepreneurs pour combler l’écart, alors qu’il aurait dû lui permettre de retourner au travail.

[71] Le 29 août 2019, il a présenté des arguments supplémentaires sur la requête de l’intimé en rejet de la première plainte. Il a affirmé que le gestionnaire du garage de poste de Winnipeg avait quitté son poste pour se réinstaller en Colombie‑Britannique et que la direction aurait pu créer un processus de dotation qui lui aurait permis d’occuper un poste. Il a également formulé des commentaires concernant la lettre du 14 août 2019 visant à l’informer d’une enquête administrative relativement au vol allégué au garage de poste de Winnipeg. Il a demandé comment il aurait pu faire l’objet d’une enquête administrative s’il n’occupait pas un poste.

IV. Motifs

[72] Étant donné la requête de l’intimé, la question dont je suis saisi consiste à savoir si le plaignant avait la qualité pour présenter ces plaintes, à savoir que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a fait la nomination pour une période indéterminée visée par la première plainte et la nomination intérimaire visée par la deuxième plainte.

[73] Pour répondre à cette question, il faut commencer par le libellé de l’art. 77 de la LEFP, qui énonce qui peut présenter une plainte à la Commission. Il se lit comme suit :

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle‑ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

77 (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Board’s regulations — make a complaint to the Board that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

(b) an abuse of authority by the Commission in choosing between an advertised and a non‑advertised internal appointment process; or

c) omission de la part de la Commission d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix, en contravention du paragraphe 37(1).

(c) the failure of the Commission to assess the complainant in the official language of his or her choice as required by subsection 37(1).

Zone de recours

Area of recourse

(2) Pour l’application du paragraphe (1), une personne est dans la zone de recours si :

(2) For the purposes of subsection (1), a person is in the area of recourse if the person is

a) dans le cas d’un processus de nomination interne annoncé, elle est un candidat non reçu et est dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34;

(a) an unsuccessful candidate in the area of selection determined under section 34, in the case of an advertised internal appointment process; and

b) dans le cas d’un processus de nomination interne non annoncé, elle est dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34.

(b) any person in the area of selection determined under section 34, in the case of a non‑advertised internal appointment process.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[74] Étant donné que le par. 77(1) s’appuie sur le par. 77(2), qui s’appuie à son tour sur l’art. 34 de la LEFP, il est important de tenir compte de cette disposition, qui se lit comme suit :

Zone de sélection

Area of selection

34 (1) En vue de l’admissibilité à tout processus de nomination sauf un processus de nomination fondé sur les qualités du titulaire, la Commission peut définir une zone de sélection en fixant des critères géographiques, organisationnels ou professionnels, ou en fixant comme critère l’appartenance à un groupe désigné au sens de l’article 3 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

34 (1) For purposes of eligibility in any appointment process, other than an incumbent‑based process, the Commission may determine an area of selection by establishing geographic, organizational or occupational criteria or by establishing, as a criterion, belonging to any of the designated groups within the meaning of section 3 of the Employment Equity Act.

Groupes désignés

Designated groups

(2) La Commission peut établir, pour les groupes désignés au sens de l’article 3 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, des critères géographiques, organisationnels ou professionnels différents de ceux qui sont applicables aux autres.

(2) The Commission may establish different geographic, organizational or occupational criteria for designated groups within the meaning of section 3 of the Employment Equity Act than for other persons.

 

[75] Dans la présente affaire, la GRC a utilisé un processus de nomination interne annoncé pour effectuer la nomination pour une période indéterminée et la nomination intérimaire visées par les présentes plaintes. La zone de sélection a été décrite comme suit dans l’annonce : [traduction] « Les personnes employées par la Gendarmerie royale du Canada qui occupent un poste à l’unité de garage de poste à Winnipeg, au Manitoba [je mets en évidence]. » Selon l’art. 77, seul un candidat non reçu dans cette zone de sélection a le droit de présenter une plainte à la Commission.

[76] Selon l’intimé et la CFP, le plaignant n’occupait pas un poste au garage de poste de Winnipeg au moment du lancement du processus de nomination ou lorsque la nomination pour une période indéterminée et la nomination intérimaire ont été faites. Même s’il était toujours considéré comme un fonctionnaire, il n’occupait pas un poste. Par conséquent, il était en dehors de la zone de sélection établie par le pouvoir délégué, conformément à l’art. 34 de la LEFP. Étant donné qu’il se trouvait en dehors de la zone de sélection, il ne satisfaisait pas à l’exigence énoncée au par. 77(2) d’être « […] un candidat non reçu et est dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34 […] » et ne jouissait donc pas du droit de recours énoncé au par. 77(1).

[77] Le plaignant a fait valoir qu’il avait le droit de faire entendre sa plainte, étant donné qu’il demeurait un fonctionnaire du garage de poste de Winnipeg, comme le confirme la lettre du 14 août 2019 l’informant qu’il faisait l’objet d’une enquête administrative en vue d’une éventuelle mesure disciplinaire.

[78] J’ai examiné la lettre du 29 août 2017que la GRC a remise au plaignant, l’informant que son poste avait été doté et qu’il obtiendrait un statut prioritaire en vue d’une nouvelle nomination. Rien dans la lettre ne laisse entendre qu’il continuait d’occuper un poste au garage de poste de Winnipeg. En fait, la lettre l’informait que [traduction] « […] votre poste a maintenant été doté pour une période indéterminée […] ». La lettre lui indiquait qu’à la fin de sa période de congé, il se verrait accorder le statut prioritaire en vue d’une nouvelle nomination. La lettre énonce les droits d’une personne ayant un statut prioritaire en vue d’une nouvelle nomination, mais ne va pas plus loin. Dans l’ensemble, la lettre fait état du fait que le plaignant n’aurait pas de poste à réintégrer à la fin de son congé et qu’il devait chercher un nouveau poste en tant que PDP.

[79] J’ai examiné la lettre d’enquête administrative envoyée au plaignant et datée du 14 août 2019. Dans cette lettre, la GRC l’informait qu’elle enquêtait sur des allégations selon lesquelles il aurait été impliqué dans le vol de pneus, d’étagères et d’autres articles. La lettre décrit clairement que le plaignant est un fonctionnaire, mais elle ne constitue pas, à mon avis, la preuve qu’il occupait un poste au garage de poste du Winnipeg.

[80] Selon la définition en langage clair de ce que signifie occuper un poste prévue par le Merriam‑Webster Dictionary, il s’agit de [traduction] « […] occuper ou exécuter les fonctions (d’une charge ou d’un poste) ». Le plaignant n’occupait pas un poste au garage de poste de Winnipeg ou n’exerçait aucune fonction pour la GRC lorsqu’il a postulé le poste de technicien en chef. J’accepte qu’il a déjà occupé un poste à ce garage, mais après avoir obtenu le statut prioritaire en vue d’une nouvelle nomination, il n’occupait plus ce poste. L’expression « nouvelle nomination » renforce ma conclusion selon laquelle le plaignant n’occupait plus un poste.

[81] Je conclus que le plaignant n’occupait pas un poste au garage de poste de Winnipeg lorsqu’il a présenté sa candidature dans le cadre du processus de nomination et qu’il se trouvait donc en dehors de la zone de sélection. Par conséquent, il n’avait pas la qualité pour présenter ces plaintes à la Commission.

[82] J’ai également tenu compte des arguments de l’intimé et de la CFP concernant l’incidence de l’art. 43 sur le droit de recours du plaignant. Cet élément est important parce que le plaignant a présenté une candidature au processus de nomination en se recommandant lui‑même en vertu des dispositions du système d’administration des priorités.

[83] Le système d’administration des priorités est administré par la CFP pour satisfaire aux exigences des art. 39 à 46 de la LEFP. Ces articles accordent à certaines personnes un statut prioritaire en vue d’une nomination par rapport à d’autres. Parmi les PDP, on compte les anciens combattants, les fonctionnaires déclarés excédentaires (par exemple, en vertu des dispositions d’une convention collective portant sur le réaménagement des effectifs), des personnes comme le plaignant qui ont été remplacées pendant une période de congé et qui souhaitent revenir et les fonctionnaires qui ont été mis en disponibilité.

[84] L’article de la LEFP qui s’applique au plaignant est le par. 41(1), qui accorde le statut prioritaire en vue d’une nouvelle nomination aux fonctionnaires qui reviennent d’un congé.

[85] Les ministères doivent accorder aux PDP la priorité de nomination, à moins que l’art. 43 ne s’applique. Cet article se lit comme suit :

43 […] la Commission peut, lorsqu’elle est d’avis que la nomination d’une personne qui a droit à une priorité de nomination en vertu de l’une de ces dispositions aurait pour effet d’accorder à une autre personne le droit à une priorité de nomination, décider de ne pas appliquer cette disposition dans ce cas.

43 … if the Commission considers that the appointment of a person who has a right to be appointed in priority to other persons under any of those provisions will result in another person having a priority right, the Commission may decide not to apply that provision in that case.

 

[86] Essentiellement, l’art. 43 signifie qu’un ministère n’est pas tenu de nommer une personne dans le cadre du système d’administration des priorités si cette nomination avait pour effet de mettre en disponibilité une autre personne et de lui accorder un droit de priorité.

[87] Dans ses arguments, la CFP a fait remarquer que le pouvoir d’invoquer l’art. 43 est délégué aux administrateurs généraux.

[88] Dans ce cas particulier, la personne disposant du pouvoir délégué à la GRC a invoqué l’art. 43 aux fins de la nomination pour une période indéterminée, conformément à la justification qui se lisait comme suit :

[Traduction]

Cette demande de dotation a pour but de doter un deuxième poste vacant de technicien en chef au garage de poste de Winnipeg. Une fois ce poste doté, l’ancien poste du candidat « doté par la bonne personne » sera supprimé, car la Division D du garage de poste ne cherche pas à augmenter les niveaux de dotation actuels; d’où découle l’exigence d’une demande de dotation interne annoncée.

 

[89] Je suis d’accord avec l’intimé et la CFP pour dire que l’invocation de l’art. 43 signifiait que la GRC n’était pas tenue de prendre en considération le plaignant en vue d’une nomination prioritaire aux fins du poste pour une durée indéterminée. Je conviens également que cette application de l’art. 43 ne vise que la nomination pour une période indéterminée (première plainte). La CFP a fait valoir que l’art. 12 du Règlement sur l’EFP prévoit que le système d’administration des priorités ne s’applique pas aux nominations intérimaires, comme celle qui a donné lieu à la présentation de la deuxième plainte.

[90] Je suis d’accord avec la CFP pour dire que l’invocation de l’art. 43 n’enlève pas en soi le droit des PDP de présenter une plainte en vertu de l’art. 77 de la LEFP. Comme la Commission l’a confirmé dans Agnew (voir les paragraphes 90 à 94), les PDP peuvent postuler des postes et si elles sont prises en considération et non nommées, elles peuvent jouir d’un droit de recours en vertu de la LEFP.

[91] Toutefois, dans la présente affaire, la recommandation du plaignant qu’il a fait lui‑même dans le cadre du système d’administration des priorités n’a pas été acceptée par l’intimé, étant donné son invocation de l’art. 43. Étant donné que la recommandation qu’il a faite lui‑même (pour le poste de durée indéterminée) n’a pas été acceptée, afin d’être évalué, il devait satisfaire à la zone de sélection établie aux fins du processus de nomination. Puisqu’il n’occupait pas un poste au garage de poste de Winnipeg, il n’a pas été évalué. Le plaignant se trouvait en dehors de la zone de sélection aux fins du processus de nomination et il ne jouissait pas du droit de recours prévu à l’art. 77 de la LEFP. Par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour rendre une décision relative à ces plaintes et elles sont rejetées.

[92] Je comprends que le plaignant s’estime lésé par un certain nombre des aspects de sa situation d’emploi après de la GRC. Il est clairement contrarié qu’elle ait décidé de doter son poste peu avant son retour d’un congé. Il est lésé par le fait qu’il s’est vu accorder un statut prioritaire en vue d’une nomination plutôt que d’être réembauché. Il est lésé par le fait qu’après plus de cinq ans dans le système des priorités, il n’avait toujours pas (à la date de l’audience) réussi à obtenir une nouvelle nomination à un poste pour lequel il se croit qualifié. Il a affirmé que la façon dont la GRC a doté les postes au cours des dernières années signifie qu’il ne peut pas présenter sa candidature et qu’il n’a pas été en mesure d’obtenir un recours. Il a comparu devant la Commission relativement à d’autres plaintes, où certaines de ces questions ont été soulevées (voir Lysak c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, 2019 CRTESPF 51, et Lysak c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, 2020 CRTESPF 110).

[93] Même si je reconnais que le plaignant est lésé par un certain nombre de questions, la Commission ne peut rendre des décisions et d’autres réparations que lorsqu’elle a la compétence pour le faire.

[94] Pour les motifs déjà énoncés dans la lettre de décision de la Commission du 15 novembre 2022 et repris plus haut dans la section sur les questions procédurales, la LEFP ne permet pas de présenter des plaintes selon lesquelles un administrateur général a abusé de son pouvoir lorsqu’il a établi la zone de sélection. Cela a été affirmé par la Commission et ses prédécesseurs à maintes reprises (voir Umar‑Khitab, aux paragraphes 15, 16 et 21, Shafaie et Gulia, aux paragraphes 19 et 20).

[95] De même, la Commission n’a pas compétence pour examiner une plainte selon laquelle l’organisme d’attache du plaignant (la GRC) ou la CFP a manqué à ses obligations en vertu du système d’administration des priorités. La compétence de la Commission est prescrite par l’art. 88 de la LEFP et elle concerne les plaintes présentées en vertu du par. 65(1) et des art. 74, 77 et 83.

[96] Enfin, pour les motifs énoncés, la Commission n’a pas compétence pour rendre une décision à l’égard d’un plaignant qui se trouve en dehors de la zone de sélection établie par l’intimé aux fins du processus de nomination en question.

[97] J’ai fait remarquer plusieurs problèmes qui sont survenus au sujet de la représentation fournie au plaignant par son représentant. En plus de ces problèmes, le représentant du plaignant n’a présenté que de brefs arguments pour étayer la thèse du plaignant selon laquelle la Commission devrait avoir compétence. Malheureusement, la plupart de ces arguments étaient hors de propos. Le représentant n’a cité aucune jurisprudence ni fourni d’argument en réponse à la jurisprudence citée par l’intimé.

[98] Compte tenu de ces problèmes, j’ai rendu compte plus en détail des arguments faits directement par le plaignant dans le cadre du processus de plainte. Aucun de ces arguments ne m’a amené à conclure que le plaignant occupait un poste au garage de poste de Winnipeg. Je conclus que les dispositions législatives et la jurisprudence sont claires et que la Commission n’a pas compétence pour rendre une décision relative à ses plaintes.

[99] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[100] L’objection de l’intimé à la compétence de la Commission est accueillie.

[101] Les plaintes sont rejetées.

Le 9 janvier 2024.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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