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Date: 20231031

Dossiers: 566‑33‑39662, 39663, 39664 et

560‑33‑39561

 

Référence: 2023 CRTESPF 97

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

FILIPPO RONCA

fonctionnaire s’estimant lésé et plaignant

 

et

 

Agence Parcs Canada

 

employeur et défenderesse

Répertorié

Ronca c. Agence Parcs Canada

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage et une plainte visée à l’article 133 du Code canadien du travail

Devant : James R. Knopp, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé et le plaignant : Leslie Robertson, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur et défenderesse : Calvin Hancock, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

du 14 au 18 novembre 2022 et du 8 au 12 mai et les 19 et 20 juin 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Prélude : les griefs, la plainte en vertu du Code canadien du travail et l’importance historique du HMS Erebus et du HMS Terror

[1] Filippo Ronca, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), est un archéologue subaquatique dont l’emploi auprès de Parcs Canada a pris fin à la suite d’un désaccord prolongé avec la direction au sujet de l’affectation des ressources aux projets liés aux épaves qui faisaient partie de l’expédition Franklin pour localiser le passage du Nord‑Ouest. Ces épaves ont été désignées lieux historiques nationaux et sont situées dans l’Arctique.

[2] Le fonctionnaire, en tant qu’agent de sécurité en plongée pour l’équipe d’archéologie subaquatique, a contesté la décision de son superviseur de l’affecter à des projets autres que les sites de plongée de l’Arctique. Il a exprimé son désaccord à maintes reprises et il a finalement été considéré comme avoir fait preuve de harcèlement en milieu de travail, ce qui a entraîné sa suspension et son licenciement.

[3] En plus des griefs relatifs à sa suspension et à son licenciement, le fonctionnaire a également déposé une plainte en matière de santé et de sécurité au travail en vertu du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L‑2; le « CCT »), alléguant que son licenciement constituait des représailles pour avoir soulevé des questions en matière de santé et de sécurité.

[4] Le site Web de l’Agence Parcs Canada, dont une partie a été déposée en preuve à l’audience, contient des liens vers le contexte historique de la découverte des épaves du HMS Erebus et du HMS Terror. Ces épaves sont maintenant des lieux historiques nationaux gérés conjointement par les Inuits et l’Agence Parcs Canada (l’« employeur » ou « Parcs Canada »). Ces lieux historiques jouent un rôle important dans les griefs et la plainte.

[5] Jusqu’à l’ouverture du canal de Panama en 1914, les navires européens à destination des marchés de l’Est devaient naviguer tout autour de la pointe sud de l’Amérique du Sud. Le cap Horn était une traversée dangereuse qui a entraîné la mort de nombreuses personnes et la destruction de nombreux navires. Un passage du Nord‑Ouest dans les eaux de l’Arctique canadien était le Saint‑Graal de l’exploration commerciale et scientifique et, tout au long des années 1800, de nombreuses tentatives ont été effectuées pour découvrir une route vers l’Est. Sir John Franklin fut l’un de ces explorateurs infructueux, dont l’expédition quasi désastreuse dans l’Arctique de 1819 à 1822 lui a valu le surnom de [traduction] « l’homme qui mangea ses bottes ».

[6] Néanmoins, sir John Franklin a été nommé commandant d’une autre expédition dans l’Arctique et, au printemps 1845, il est parti d’Angleterre sur les navires Terror et Erebus à la recherche d’un passage du Nord‑Ouest. Les deux navires, voyageant en même temps, avaient déjà connu un succès considérable dans l’océan Antarctique et, après un radoub complet, ils ont été chargés de travailler dans l’Arctique. Le radoub comprenait le renforcement des coques pour résister aux pressions des plaques de glace qui les gèleraient solidement en place dans l’océan pendant les mois d’hiver. Un système de chauffage innovant a été installé, transférant la chaleur par des conduits de fer carré de la chaudière du navire vers les locaux de l’équipage.

[7] Les deux navires ont fait leur camp d’hiver en 1845‑1846 dans la glace près de l’île Beechey, qui fait maintenant partie du Nunavut. L’été suivant, ils se sont dirigés vers le sud jusqu’à ce qu’ils soient de nouveau pris dans la glace, cette fois‑ci au nord‑ouest de l’île King William, qui fait également partie du Nunavut aujourd’hui. Une note trouvée à Victory Point sur cette île indique qu’ils ont été [traduction] « encerclés » par la glace le 12 septembre 1846. Toutefois, au cours de cette année‑là, l’hiver a refusé de relâcher son emprise et les navires sont restés pris dans la glace pendant tout l’été 1847.

[8] Au printemps 1848, sir John Franklin a ordonné aux équipages d’abandonner leurs navires. Souffrant de la faim et du scorbut, ils ont traversé la glace et la toundra, à la recherche de sécurité. Chacun des 129 membres d’équipage a péri dans ce qui a été appelé le plus grand désastre d’exploration polaire de tous les temps.

[9] L’Erebus abandonné a fini par dériver et couler dans un endroit au nord‑est de l’île O’Reilly, à seulement 11 mètres sous la surface. Le Terror a également coulé, s’installant plus au nord dans des eaux beaucoup plus profondes.

[10] Après la disparition des navires, la Marine royale de la Grande‑Bretagne a lancé plus de 30 recherches (en grande partie infructueuses) pour les trouver et trouver leurs équipages. Les Inuits ont fourni une aide précieuse aux expéditions de recherche en partageant les renseignements qu’ils avaient recueillis au cours de leurs histoires orales, ce qui a permis de récupérer les corps de certains membres d’équipage, quelques artefacts et un cairn de notes. Pourtant, de nombreuses questions sont demeurées sans réponse.

[11] En 1992, bien avant la localisation des épaves, l’Erebus et le Terror ont été désignés des lieux historiques nationaux. En 1997, le Canada a signé un protocole d’entente avec la Grande‑Bretagne qui énonçait que si les épaves étaient trouvées, la responsabilité de ces épaves – et de leur récupération et de leur contenu –incomberait au Canada.

[12] En 2008, Parcs Canada, par l’intermédiaire de son équipe d’archéologie subaquatique (EAS), a intensifié ses efforts de recherche. Les histoires orales inuites, combinées à de nouveaux renseignements provenant de sources inuites, ainsi qu’à la technologie moderne, ont progressivement réduit les paramètres de recherche. En 2010, l’EAS a découvert l’épave du HMS Investigator, que la Grande‑Bretagne avait dépêchée en 1848 à la recherche de l’expédition perdue de Franklin. Le 2 septembre 2014, Ryan Harris, un membre de l’EAS, a regardé attentivement un écran sonar alors qu’un navire intact sur le fond de l’océan est entré en vue progressivement. Près de 170 ans après avoir pris la mer, l’Erebus avait finalement été retrouvé.

[13] Les efforts de l’EAS dans l’Arctique étaient répartis entre la collecte d’information sur l’Erebus et la poursuite de la recherche de son navire jumeau, le Terror. Le 11 septembre 2016, l’équipage d’un navire de recherche privé a découvert un navire à trois-mâts au fond de l’océan que l’EAS a confirmé rapidement être le Terror.

[14] Depuis lors, grâce à l’aide continue des communautés inuites près des eaux où les épaves se sont retrouvées, Parcs Canada a effectué plusieurs centaines de plongées sur l’Investigator, l’Erebus et le Terror. Ces lieux arctiques constituent l’une des découvertes archéologiques les plus importantes de l’histoire maritime. Ils revêtent également une importance fondamentale pour les présents griefs.

II. Aperçu des griefs

[15] L’EAS est une très petite équipe hautement spécialisée d’archéologues qui sont aussi parmi les meilleurs plongeurs du monde. L’équipe ne compte, à un moment donné, que de 8 à 12 membres. Avant les découvertes de l’Erebus et du Terror, Parcs Canada a mené plusieurs projets d’archéologie subaquatique, mais trois en particulier avaient une importance nationale et internationale considérable, à savoir le projet Îles‑Gulf sur la côte ouest de la Colombie‑Britannique, le projet Voie‑Navigable‑Trent‑Severn (VNTS) en Ontario et le projet Red Bay au Labrador. Chaque membre de l’EAS a été affecté à un ou plusieurs projets d’archéologie subaquatique et chacun de ces trois lieux importants avait son chef d’équipe. Le fonctionnaire, Filippo Ronca, avait une expérience considérable à la fois sur les projets Red Bay et VNTS et était le chef de ces projets.

[16] Le fonctionnaire, comme tous ses collègues de l’EAS, est un archéologue et plongeur hautement qualifié et instruit. Au moment des événements qui ont donné lieu à ses griefs et à sa plainte, il occupait le poste d’agent de sécurité en plongée (ASP), qui consistait à superviser les questions de sécurité pour les plongées effectuées aux différents lieux de projet de l’EAS. À titre d’ASP, il estimait que sa présence sur les lieux de plongée de l’Arctique était nécessaire.

[17] Le gestionnaire de l’EAS, Marc‑André Bernier, était chargé de répartir les ressources entre les différents projets de l’EAS. Il a décidé de retirer le fonctionnaire du projet de l’Arctique parce que sa présence était nécessaire dans le cadre du projet VNTS.

[18] Le fonctionnaire n’a pas bien accueilli cette nouvelle. Il considérait que l’absence de l’ASP des lieux de plongée de l’Arctique constituait un grave problème de sécurité. M. Bernier n’était pas du même avis, étant donné la capacité d’autres membres de l’EAS d’assumer la responsabilité des questions de sécurité sur un lieu de plongée donné.

[19] Le fonctionnaire a contesté la décision de dotation de M. Bernier, notamment aux dates suivantes :

· lors d’un appel téléphonique le mardi 11 juillet 2017, au cours duquel M. Bernier a décrit le ton de la voix du fonctionnaire comme étant [traduction] « de plus en plus en colère »;

· lors d’une réunion tenue le 31 juillet 2017, au cours de laquelle le fonctionnaire a réitéré son opinion selon laquelle, à titre d’ASP, il devait être physiquement présent sur les lieux de plongée de l’Arctique. Il a croisé les bras et a dit ce qui suit à M. Bernier : [traduction] « Si vous ne changez pas d’avis, je transmettrai la question au prochain échelon », soit le bureau du directeur de l’Archéologie et de l’histoire, Jarred Picher (le « directeur »). M. Bernier a considéré cela comme une menace;

· lors d’une réunion tenue avec le directeur au début d’août 2017;

· lors d’un appel téléphonique le 15 août 2017 au sujet de la sécurité des lieux de plongée de l’Arctique, au cours duquel le fonctionnaire a exprimé son insatisfaction de ne pas avoir été inclus dans le dialogue plus tôt;

· lors d’une réunion tenue le 22 août 2017, au cours de laquelle le fonctionnaire s’est assis à la même table que M. Bernier. Le fonctionnaire a soulevé une question au sujet de la neutralité du Comité de la santé et de la sécurité au travail (CSST) du bureau national de Parcs Canada. Le fonctionnaire s’est tourné vers M. Bernier, l’a regardé dans les yeux, a mis ses mains sur le bureau devant lui et a dit : [traduction] « Que pensez‑vous de cela? ».

 

[20] Le lendemain, soit le 23 août 2017, M. Bernier a déposé une plainte de harcèlement auprès du directeur, qui a amorcé une enquête indépendante.

[21] Le 23 août 2017, le fonctionnaire a amorcé une enquête sur les problèmes de sécurité au travail en vertu du CCT. Il estimait qu’en ne se conformant pas à la Directive sur la sécurité en plongée (la « Directive sur les plongées »), l’EAS exerçait ses activités dans un milieu de travail dangereux. Le personnel de la Santé et de la sécurité au travail a lancé des enquêtes. M. Bernier et M. Picher ont tous deux témoigné au sujet de leurs préoccupations concernant les répercussions des enquêtes sur l’EAS et surtout de leur crainte que les enquêtes ne compromettent les projets de l’EAS.

[22] En septembre 2017, M. Bernier s’est plaint au directeur que la gestion du fonctionnaire lui causait beaucoup d’anxiété. En octobre 2017, M. Picher a muté M. Bernier du bureau de Parcs Canada situé sur le chemin Walkley à Ottawa, en Ontario, à son bureau national situé à Gatineau, au Québec.

[23] Une équipe d’enquête indépendante a conclu que les allégations de harcèlement étaient fondées et a communiqué son rapport préliminaire au début de 2018.

[24] En avril 2018, le fonctionnaire a fait part à l’EAS d’un extrait concernant la sécurité en plongée, dont l’une des parties contenait des renseignements provenant de M. George Harpur, un spécialiste en barométrie associé à l’EAS, ce que M. Bernier a considéré comme une atteinte à son droit à la vie privée. L’employeur a allégué qu’il s’agissait d’une tentative du fonctionnaire de miner le pouvoir de gestion de M. Bernier.

[25] Le fonctionnaire a été suspendu sans solde le 18 mai 2018 en fonction du rapport d’enquête sur le harcèlement. Il a déposé un grief contre sa suspension le 6 juin 2018, qui a été attribué le numéro de dossier de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») 566‑33‑39662.

[26] Le fonctionnaire a été licencié le 28 septembre 2018. Il a déposé un grief contre son licenciement le 15 octobre 2018, qui porte le numéro de dossier de la Commission 566‑33‑39663 (le « grief de licenciement »).

[27] Le dossier de la Commission 566‑33‑39664 est un grief concernant la clause « Élimination de la discrimination » de la convention collective conclue entre l’employeur et l’Alliance de la Fonction publique du Canada, qui a expiré le 4 août 2018. Ce grief a été déposé avec le grief de licenciement. Au cours de l’audience, le fonctionnaire a indiqué qu’il ne poursuivait plus cet aspect du dossier. En fait, aucun élément de preuve n’a été présenté à l’égard de la question en litige dans ce grief, et la Commission ordonne la clôture du dossier connexe de la Commission.

[28] Le fonctionnaire a déposé une plainte en vertu de l’article 133 du CCT (la « plainte en vertu du CCT ») le 13 décembre 2018 (dossier de la Commission 560‑33‑39561) dans laquelle il allègue que son licenciement constituait une forme de représailles pour avoir lancé les enquêtes en vertu du CCT.

[29] Chacune des interactions distinctes entre le fonctionnaire et M. Bernier comportait une divergence d’opinion sur un sujet lié au travail, à savoir les questions de sécurité relatives à l’affectation des ressources. Je conclus qu’aucune des interactions en soi ne peut être qualifiée de harcèlement. Toutefois, lorsque toutes les interactions sont considérées ensemble, le comportement du fonctionnaire équivalait à une forme légère d’insubordination qui frôlait le harcèlement, et une réponse disciplinaire était donc justifiée.

[30] Le fonctionnaire ne pouvait tout simplement pas accepter un refus comme réponse et ne laissait pas tomber les questions. Son comportement a dépassé le point d’une divergence d’opinions normale liée au travail. La réponse disciplinaire appropriée, compte tenu de tous les facteurs atténuants et aggravants, aurait été une réprimande écrite, qui est bien en deçà d’une longue période de suspension sans solde et beaucoup plus en deçà du congédiement. Le fonctionnaire doit être réintégré à son ancien poste dans l’EAS. Les réparations habituelles s’appliquent, prenant la forme du remboursement des salaires perdus (y compris les heures supplémentaires), moins les déductions habituelles, plus le rétablissement de ses prestations de retraite. Ces montants sont compensés par la mesure dans laquelle le fonctionnaire a atténué ses pertes au moyen d’autres emplois. Des dommages majorés ne sont pas justifiés.

[31] Les enquêtes en vertu du CCT lancées par le fonctionnaire ont créé un climat d’animosité et d’incertitude dans le milieu de travail et, selon M. Picher et M. Bernier, elles ont menacé le travail effectué relativement aux projets de l’EAS. Le respect par le fonctionnaire des règles liées aux questions de sécurité tire son origine de la partie II du CCT. Il a été licencié en partie en raison du stress et de la tension que les enquêtes en vertu du CCT ont causés en milieu de travail. Son licenciement constituait, au moins en partie, une forme de représailles pour avoir lancé les enquêtes en vertu du CCT. Sa plainte à cet effet, dans le dossier de la Commission 560‑33‑39561, est accueillie.

[32] L’audience a été tenue à l’aide de la plateforme de vidéoconférence Zoom du 14 au 18 novembre 2022 et du 8 au 12 mai et les 19 et 20 juin 2023. Les témoins et les participants se sont connectés d’Ottawa, en Ontario, de Gatineau, au Québec, et de Masseube, en France.

III. La preuve documentaire et les témoignages

[33] Le fonctionnaire a commencé sa carrière à titre bénévole auprès de Parcs Canada, où il a travaillé sur des projets en 1995 et en 1996.

[34] Le fonctionnaire est un plongeur en scaphandre autonome professionnel. Il a reçu son certificat Divemaster et d’instructeur par l’intermédiaire de la National Association of Underwater Instructors (NAUI) alors qu'il était inscrit à des études de cycles supérieurs en archéologie subaquatique et études maritimes à la East Carolina University, à Greenville, en Caroline du Nord, aux États‑Unis d’Amérique (É.‑U.). Au cours de son programme d’études de cycles supérieurs, il était l’adjoint de plongée de l’université.

[35] Après avoir obtenu son diplôme, le fonctionnaire a été embauché en tant qu’archéologue subaquatique pour l’État du Wisconsin, aux É.‑U., en 1999 et en 2000. De 2000 à 2002, il a accompli des travaux contractuels et à durée déterminée pour Parcs Canada en archéologie subaquatique et, en 2002, il a accepté l’offre d’un poste d’archéologue subaquatique classifié au groupe et au niveau HR‑02.

[36] Lorsqu’il a été embauché dans l’EAS, le fonctionnaire est devenu l’agent de plongée adjoint et a appuyé l’ASP en poste à ce moment-là. Il a participé à des réunions sur la sécurité à Parcs Canada et avec des intervenants externes, dont la Canadian Hyperbaric Society et l’Association canadienne de normalisation (pour des sujets liés à la plongée). Il faisait partie du Comité national de plongée (qui était un comité mixte de sécurité et de normes auquel participaient Environnement Canada et Parcs Canada).

[37] Tout au long de l’audience, les témoins et les documents qu’ils ont produits ont fait référence de manière interchangeable aux expressions [traduction] « agent de plongée » et [traduction] « agent de sécurité en plongée ». Par souci de clarté et de facilité de référence, la présente décision désignera ce poste comme celui de l’agent de sécurité en plongée, ou ASP.

[38] En 2015, Parcs Canada, en partenariat avec la Marine royale canadienne, a effectué des plongées sous glace près des sites d’épaves. Il s’agissait d’une opération militaire, et le fonctionnaire a donc suivi une formation sur les procédures de plongée militaire, qu’il a aidé à enseigner aux plongeurs de Parcs Canada.

[39] Le fonctionnaire a suivi une formation sur l’utilisation du gaz nitrox et a suivi des cours de mélange de gaz nitrox. Le mélange de gaz désigne généralement les mélanges d’air contenant des proportions accrues d’oxygène et des proportions réduites d’azote. Le nitrox est couramment utilisé dans la plongée en scaphandre autonome et, dans une moindre mesure, dans la plongée alimentée en surface.

[40] Le fonctionnaire a suivi des formations sur de nombreuses autres techniques de plongée de pointe, dont la pénétration des épaves, la plongée sous glace, la plongée alimentée en surface, l’utilisation d’appareil à circuit fermé et la plongée profonde (c’est‑à‑dire à plus de 130 pieds).

[41] Même si le fonctionnaire a été embauché au groupe et au niveau HR‑02, il a été promu au groupe et au niveau HR‑03 en 2008 lorsqu’il a été officiellement nommé pour assumer le poste d’ASP de Peter Waddell, qui était sur le point de prendre sa retraite de Parcs Canada. M. Waddell, qui n’a pas témoigné à l’audience, est demeuré membre avec le fonctionnaire du Comité national de plongée.

[42] M. Bernier a témoigné qu’il appréciait les compétences du fonctionnaire en tant que spécialiste de la sécurité en plongée et a parlé de ses propres efforts, au moyen de griefs de classification des postes, pour améliorer l’ensemble des responsabilités du fonctionnaire à titre d’ASP. M. Bernier a témoigné que le processus de règlement des griefs de classification des postes prenait beaucoup de temps à achever. Lorsque les modifications sont entrées en vigueur en 2011, le fonctionnaire a reçu une indemnité rétroactive à 2008.

[43] En général, selon M. Bernier, l’ASP organise et dirige le renouvellement annuel de la certification en plongée de l’EAS, approuve l’équipement utilisé par l’EAS et est chargé des questions de santé et de sécurité liées à la plongée et aux activités relatives à la plongée. Le fonctionnaire, en tant qu’ASP, était membre du Comité national de plongée, dont le mandat comprend l’examen de questions de sécurité en plongée, y compris les incidents de plongée dangereux.

[44] La description de travail du fonctionnaire décrit le profil de travail et les activités principales du poste d’ASP comme suit (pièce J‑1, onglet 3, page 220) :

[Traduction]

PROFIL DE TRAVAIL

En tant qu’expert national reconnu, il offre une expertise en matière de sécurité en plongée et de plongée scientifique, une expertise en gestion de projets de recherche archéologique subaquatique complexes concernant toutes les périodes chronologiques de l’histoire canadienne et comportant des analyses complexes et des évaluations détaillées, et une expertise dans le domaine de l’archéologie subaquatique à la haute direction de l’Agence, à la gestion des centres de services, à la gestion divisionnaire, aux unités de gestion et, selon les besoins, à d’autres ordres de gouvernement et à des organisations non gouvernementales (ONG).

ACTIVITÉS PRINCIPALES

Activité principale 1

En tant que membre de l’équipe nationale de plongée archéologique, concevoir, diriger, gérer, coordonner et mener de grands projets de recherche archéologique subaquatique (c.‑à‑d. plusieurs lieux, projets pluriannuels ou difficiles sur le plan logistique et technique); recruter et superviser le personnel professionnel et technique pour répondre aux besoins des bureaux et aux exigences sur le terrain; gérer les contrats et les budgets des projets dans le cadre des pouvoirs délégués; appliquer des normes, méthodes et techniques professionnelles en matière de plongée archéologique subaquatique tout au long de la mise en œuvre du projet et approuver l’achat et l’utilisation de tout équipement de plongée.

Activité principale 2

Extraire, creuser, sonder, analyser, évaluer et synthétiser de grandes quantités de données probantes, qui englobent divers sujets provenant de lieux archéologiques subaquatiques et/ou de recherches en laboratoire et dans les archives.

Activité principale 3

En tant qu’expert en la matière, formuler et fournir des recommandations concernant la détermination, l’évaluation, la protection et la présentation des ressources archéologiques subaquatiques, en veillant à ce qu’elles soient conformes à la Politique de gestion des ressources culturelles, et évaluer les projets et les activités qui touchent directement les ressources archéologiques subaquatiques.

Activité principale 4

À titre d’expert national, représenter l’Agence au sein du Comité interministériel de plongée en faisant preuve d’un leadership qui favorise les progrès en matière de sécurité en plongée et de plongée scientifique et en assurant l’élaboration continue de la Directive interministérielle sur la sécurité en plongée; fournir des conseils d’expert en archéologie subaquatique à l’appui de l’élaboration et/ou de la modification de stratégies, de documents de planification, de politiques, de règlements, de lignes directrices et de manuels techniques pour la gestion des ressources archéologiques subaquatiques.

Activité principale 5

Assurer un leadership scientifique et contribuer aux progrès du savoir par l’établissement de nouvelles approches, méthodes et techniques et par la communication, la présentation et la publication des résultats de travaux de nature plus complexe. Examiner, recommander et évaluer le travail et les rapports d’autrui au moyen d’un processus d’examen par les pairs aux niveaux national et international.

Activité principale 6

Établir, maintenir, améliorer et entretenir des liens de communication avec la communauté de plongée à l’échelle nationale et internationale en s’associant avec des organismes de plongée scientifique et en étant représenté au sein de celles-ci; avec des organismes et des groupes de plongée commerciale et sportive et des groupes de préservation du patrimoine afin de suivre le rythme des tendances et des activités; avec des archéologues, des collègues et des clients afin d’échanger des renseignements et de discuter de la découverte, de la détermination, de l’enregistrement, de la récupération et/ou de la préservation de sites archéologiques, d‘artefacts et de matériels culturels. Ces échanges peuvent avoir lieu aux niveaux local, régional, national ou international.

Activité principale 7

Élaborer, recommander et diriger un programme exhaustif de plongée et de sécurité en plongée afin d’assurer la plongée légale, sécuritaire et efficace et le respect de divers règlements et directives sur la plongée (c.‑à‑d. la Directive interministérielle sur la sécurité en plongée, la partie XVIII du Code canadien du travail). En tant que superviseur de projet de plongée, assumer la responsabilité sur les lieux de l’observation de toutes les exigences de sécurité de plongée.

Activité principale 8

Assurer la santé et la sécurité du personnel et du public sur les lieux, sur terre, en bateau et sous l’eau, grâce à l’application de la diligence raisonnable requise dans l’exploitation des bateaux et des divers équipements spécialisés de plongée, d’arpentage et de navigation (par ex., systèmes de communication subaquatique, compresseurs d’air, équipements de télédétection, etc.) et à l’application de normes de sécurité et de pratiques de travail sécuritaires.

Activité principale 9

Planifier, organiser et diriger le renouvellement annuel de la certification des membres de l’équipe de plongée et l’enseignement ou la formation sur l’utilisation de tout l’équipement de plongée (y compris l’oxygène, l’air enrichi (nitrox), les systèmes de plongée en scaphandre autonome en circuit ouvert et les systèmes d’appareil de respiration à circuit fermé). Élaborer, adapter, organiser et offrir une formation sur les techniques d’archéologie subaquatique et la gestion des ressources archéologiques subaquatiques aux clients internes et externes.

Activité principale 10

Évaluer, élaborer et diriger l’analyse des risques et la mise en œuvre de tous les plans de sauvetage en plongée et des normes de sécurité applicables à la plongée et à d’autres situations mettant la vie en danger.

Activité principale 11

Représenter les disciplines de la sécurité en plongée, de la plongée scientifique et de l’archéologie subaquatique au sein de Parcs Canada et dans le contexte plus large du rôle de l’Agence en tant qu’autorité fédérale auprès d’autres ministères et organismes fédéraux et d’autres organismes et institutions de plongée scientifique.

 

[45] Le fonctionnaire a témoigné avoir été présent à plus de 90 % des projets de plongée de l’EAS (avant 2017) dans le cadre de ses fonctions d’ASP. Les autres témoins n’ont pas contesté ce pourcentage, mais il ressortait également de leurs témoignages (y compris celui du fonctionnaire) que le fonctionnaire, en tant qu’ASP, n’était pas présent à chaque plongée de l’EAS. Il n’a pas non plus été contesté que ces plongées de l’EAS sans l’ASP sur place ont été menées en toute sécurité.

[46] L’évaluation du rendement du fonctionnaire pour l’exercice 2009‑2010 contenait le commentaire suivant sous la rubrique [traduction] « Commentaires du superviseur » (pièce G‑1) :

[Traduction]

Au cours des dernières années, depuis que Filippo a assumé la responsabilité de superviseur de la plongée de l’EAS, il a travaillé à approfondir son rôle de leader dans ce poste. Les défis posés par l’exercice de cette responsabilité étaient importants, non seulement parce qu’ils sont sérieux et importants, compte tenu de la complexité et des risques de la plongée dans la diversité des conditions dans lesquelles l’EAS exerce ses activités, mais aussi à cause de la dynamique du nouveau leadership parmi les archéologues chevronnés après le départ à la retraite de la génération précédente d’archéologues subaquatique de l’EAS. En quelques années seulement après avoir accepté le poste de superviseur de la plongée, Filippo a été en mesure, de manière très remarquable, d’affirmer son leadership au sein de l’équipe. Il s’agit d’une réalisation remarquable parce qu’elle a été réalisée en obtenant le respect de ses collègues et non en imposant ou en forçant cette autorité. Filippo est devenu une force forte, mais composée, apportant compétence et confiance à l’équipe de plongée. Il s’agit d’un défi permanent pour tout agent de plongée, mais Filippo a prouvé qu’il a la fibre pour assumer ce rôle. Ce qui est également remarquable, c’est qu’il a également assumé une plus grande responsabilité à l’échelle nationale grâce à son rôle au sein du Comité ministériel de plongée (CMP). La situation concernant sa reclassification, une nécessité pour 2010‑2011, entraînera une reconnaissance de sa contribution à l’EAS et à la plongée au sein de l’Agence. En ce qui concerne l’aspect archéologique, Filippo se perfectionne aussi, en faisant preuve de jugement dans la gestion des ressources culturelles submergées, surtout dans des conditions difficiles et parfois défavorables se produisant dans le cadre du VNTS […] Il est maintenant important qu’il concentre ses efforts de perfectionnement sur la production de rapports archéologiques, non seulement pour établir ses qualifications professionnelles, mais également pour lui permettre de progresser en tant qu’archéologue professionnel.

 

[47] L’évaluation du rendement du fonctionnaire pour l’exercice 2010‑2011 (pièce G‑2) fait état de deux décès en plongée au cours de cette période. Le fonctionnaire et M. Bernier ont tous deux témoigné au sujet d’un incident impliquant un scientifique invité qui a plongé en tant qu’invité d’Environnement Canada sur un chantier fédéral. Le plongeur invité a utilisé un nouveau masque plein‑visage. L’une de ses caractéristiques était un interrupteur régissant la livraison de l’air à partir du réservoir principal (ou « primaire ») ou du réservoir de réserve (ou de « sauvetage »). Le plongeur est descendu avec son réservoir de réserve activé au lieu de son réservoir principal. Il a épuisé rapidement son approvisionnement en air et s’est étouffé.

[48] Le deuxième décès était celui d’un plongeur commercial qui est décédé dans seulement neuf pieds d’eau pendant qu’il faisait une plongée alimentée en surface dans des circonstances dangereuses dans le cadre du VNTS. Il inspectait un barrage construit de poutres carrées submergées. Des forces de pression différentielle ont coincé le plongeur contre les poutres. Après ce décès, Parcs Canada a temporairement suspendu toutes ses activités de plongée dans le cadre du VNTS.

[49] Le fonctionnaire a témoigné de l’incidence importante de ces décès sur l’EAS. À tous les niveaux, il y a eu une sensibilisation accrue à l’importance des mesures de sécurité, et il a témoigné au sujet de son impression qu’en tant qu’ASP, il était le point de contact en matière de sensibilité accrue. Il a témoigné avoir pris son rôle d’ASP très au sérieux, et M. Bernier a souscrit à cette déclaration. Tous les témoins de l’EAS ont témoigné de la ténacité du fonctionnaire à l’égard des questions de sécurité. Ils ont également convenu qu’elle avait entraîné des frictions au sein de l’EAS.

[50] Un tel incident s’est produit en 2013 alors que l’EAS se préparait à plonger dans le cadre d’un projet à proximité de Louisbourg, en Nouvelle‑Écosse. Thierry Boyer, un membre de l’EAS, avait prévu d’inviter sa conjointe, qui était une archéologue subaquatique reconnue et plongeuse qualifiée travaillant en France, en tant qu’invitée de l’EAS sur cette plongée particulière. À titre d’ASP, le fonctionnaire était chargé de s’assurer que les plongeurs invités étaient aptes à plonger, et l’approbation d’un plongeur invité pour plonger avec l’EAS comprenait une autorisation médicale. Il a répété son témoignage sur sa sensibilité accrue lorsque des plongeurs invités étaient concernés, à cause des décès antérieurs.

[51] M. Bernier et le fonctionnaire ont tous deux témoigné d’une consultation avec le médecin hyperbare de l’EAS, le Dr Harpur, au sujet des procédures médicales nécessaires qui devaient être effectuées. La plongeuse invitée n’a pas réussi toutes les procédures, de sorte que le fonctionnaire ne l’a pas autorisé à plonger. M. Bernier et le fonctionnaire ont témoigné que M. Boyer n’avait pas bien accueilli la décision du fonctionnaire. M. Boyer n’a pas témoigné à l’audience. M. Bernier et la fonctionnaire ont tous deux témoigné au sujet des frictions entre M. Boyer et le fonctionnaire à la suite de l’incident de Louisbourg.

[52] Le fonctionnaire a témoigné de ses tentatives de se conformer, dans la mesure du possible, aux dispositions de la Directive sur les plongées de 2002. M. Picher, de même que M. Bernier et le fonctionnaire, ont tous témoigné qu’il s’agissait du manuel faisant autorité pour la sécurité des plongées à Parcs Canada. Tous les témoins ont généralement convenu que certains de ses aspects étaient dépassés et qu’il fallait les réviser. Une version de 2012 a également été déposée en preuve (la « Directive sur les plongées de 2012 », mais la haute direction de Parcs Canada n’avait pas approuvé la version de 2012.

[53] M. Picher, M. Bernier et le fonctionnaire ont tous témoigné avoir accepté la primauté de la Directive sur les plongées de 2002 sur la Directive sur les plongées de 2012 modifiée. Certaines des modifications portaient sur les rôles et les responsabilités du gestionnaire de l’EAS par rapport à ceux de l’ASP (pendant toute la période visée par les présents griefs et la présente plainte, M. Bernier était le gestionnaire de l’EAS et le fonctionnaire était l’ASP).

[54] En ce qui a trait à la Directive sur les plongées de 2002 (pièce J‑1, onglet 1), son paragraphe 3.2.3 énonce en partie les aspects de la portée de l’autorité de l’ASP, comme suit : [traduction] « Cet agent a également le pouvoir de limiter ou d’interdire toute activité de plongée qui, à son avis, est dangereuse ou imprudente et il doit en informer immédiatement l’agent de plongée et/ou le surveillant de plongée de toute mesure de restriction. »

[55] Un autre exemple de ces différences est le paragraphe 3.2.3 (pièce J‑1, onglet 2, page 164) de la Directive sur les plongées de 2012, qui énonce que l’ASP est chargé d’identifier un superviseur de plongée pour chaque opération de plongée. La Directive sur les plongées de 2002 ne prévoit aucune définition de l’expression [traduction] « superviseur de plongée ». M. Bernier a témoigné de sa prérogative de gestion de désigner un membre expérimenté d’une équipe de plongée donnée comme responsable, entre autres, de la sécurité de l’opération de plongée en question.

[56] Dans leurs témoignages respectifs, M. Picher, M. Bernier et le fonctionnaire ont tous reconnu la prérogative de M. Bernier à titre de gestionnaire d’affecter les ressources de l’EAS entre les différents projets de celle‑ci. Cette prérogative de gestion comprenait l’identification d’un superviseur de plongée responsable des questions de sécurité pour chaque opération de plongée.

[57] M. Bernier a témoigné qu’il s’assurait que chaque équipe d’un projet donné disposait du personnel approprié pour régler les questions de logistique et de sécurité.

[58] L’importance historique de la découverte de l’Erebus en 2014 et l’attention mondiale qu’elle a reçue ont imposé une pression sur l’EAS pour qu’elle accorde la priorité à son travail sur le site de l’épave, au moins à court terme. L’EAS a effectué environ 250 plongées sur l’Erebus entre 2014 et 2017.

[59] M. Harris, le membre de l’EAS qui dirige le projet Erebus, et Jonathan Moore, le membre de l’EAS que M. Bernier avait désigné comme agent de plongée suppléant pour appuyer le fonctionnaire, ont tous deux témoigné du niveau général de familiarité de l’EAS à l’égard d’Erebus. Des centaines de plongées avaient eu lieu, lesquelles toutes ont été réalisées en toute sécurité. L’épave n’est qu’à 11 mètres de profondeur, et par un jour clair avec une bonne visibilité, elle peut être vue de la surface. Ces facteurs contrastent avec les conditions de plongée beaucoup plus difficiles sur le site du Terror, qui se situe dans des eaux beaucoup plus profondes.

[60] L’EAS venait de terminer une série de plongées sur l’Erebus en septembre 2016 lorsque la nouvelle de la découverte par un partenaire privé d’une épave considérée comme le Terror a été annoncée. M. Bernier et le fonctionnaire, tous deux présents à l’époque sur le site d’Erebus, ont témoigné de l’urgence de se présenter au nouveau lieu le plus rapidement possible, afin de vérifier l’identité de l’épave nouvellement découverte. Sans citer de détails, M. Bernier a indiqué que la pression exercée pour assurer une présence immédiate de Parcs Canada au nouveau lieu provenait du bureau du premier ministre.

[61] M. Bernier et le fonctionnaire, de même que M. Harris, ont également témoigné d’un certain nombre de facteurs qui ont compliqué les choses, surtout les conditions météorologiques. Ils ont dû attendre cinq jours qu’une violente tempête passe. De plus, leur navire de la Garde côtière n’a pas pu s’approcher de l’épave, ce qui a nécessité une série de plongées à partir de petites embarcations gonflables appelées Zodiacs. Cela comportait des risques et des complications supplémentaires. L’eau du lieu de plongée Terror était extrêmement froide, à moins un degré Celsius, et la visibilité était très faible. L’épave était profonde, à plus de 100 pieds sous la surface. Pour compliquer davantage les choses, puisque l’EAS avait déjà achevé ses travaux sur l’Erebus, une partie de l’équipement de plongée de l’EAS avait été expédiée à Ottawa, ce qui signifiait que certains membres de l’EAS plongeraient à l’aide d’équipement emprunté.

[62] Lors de la troisième plongée de la journée sur le Terror, M. Bernier plongeait avec M. Boyer lorsque M. Bernier a connu un incident au cours duquel il a manqué d’air. Le fonctionnaire a témoigné au sujet de la pratique de [traduction] « plonger en tiers »; un tiers du réservoir pour descendre et exécuter le plan de plongée, qui dans ce cas consistait à photographier l’épave ou à confirmer son identité, un tiers du réservoir pour effectuer les arrêts de décompression nécessaires à l’ascension, et un tiers du réservoir pour le retour du plongeur dans le bateau. Selon le fonctionnaire, il s’agit là d’une pratique de plongée conservatrice reconnue.

[63] Même s’il a été qualifié d’incident de [traduction] « manque d’air » et de [traduction] « quasi‑accident » dans le Rapport d’enquête d’un incident comportant un risque (REIR), M. Bernier a témoigné qu’en fait, il n’avait pas complètement manqué d’air. Il disposait d’un réservoir d’air plus petit, destiné à être utilisé en cas d’urgence pour retourner à la surface. M. Bernier et le fonctionnaire ont tous deux témoigné au sujet des exercices et des procédures pratiques que chaque membre de l’EAS effectue rituellement pour se préparer expressément à ce type d’urgence.

[64] Selon le témoignage de M. Bernier, le protocole de plongée normal exige au moins un arrêt de décompression pendant l’ascension, mais dans les circonstances, M. Bernier a utilisé le réservoir auxiliaire pour une ascension directe à la surface. Cette pratique consistait à retirer son masque, ce qui, selon M. Bernier, lui a causé un mal de tête instantané dans l’eau très froide et a éliminé sa capacité de voir clairement. Cependant, étant donné qu’il avait pratiqué cette procédure d’urgence si souvent, il l’a exécutée en toute sécurité et correctement. Il a témoigné qu’il est revenu à la surface en toute sécurité, accompagné étroitement par M. Boyer. Dans le Zodiac, le fonctionnaire a immédiatement administré les procédures de premiers soins associées à une ascension d’urgence de cette nature, qui comprenait une observation étroite, continue et minutieuse, l’administration d’oxygène et le transport immédiat vers un établissement médical. Dans ce cas, l’établissement médical était à bord du navire de la Garde côtière, qui se trouvait encore à plus de 45 minutes de l’endroit où ils se trouvaient. Pour aggraver la situation, l’un des Zodiacs a mal fonctionné sur le chemin du retour. Selon le témoignage de M. Bernier, l’EAS avait réussi à identifier le Terror, mais dans des circonstances dangereuses.

[65] M. Bernier a témoigné au sujet des premiers soins fournis par le fonctionnaire et de la formation répétée que lui et chaque membre de l’EAS avaient suivie pour se préparer à une telle situation d’urgence. Il a dit que cela [traduction] « avait probablement sauvé [sa] vie ».

[66] Les découvertes de l’Erebus et du Terror ont suscité l’intérêt dans le bureau de Catherine McKenna, ministre de l’Environnement et du Changement climatique à l’époque. En 2017, la ministre, qui n’a pas témoigné, était une athlète accomplie et une plongeuse qualifiée, et elle a exprimé à Parcs Canada un intérêt à plonger avec l’EAS sur l’Erebus. Le fonctionnaire s’est montré très franc dans son opposition à l’expression d’intérêt par la ministre. Il a fait référence à son témoignage antérieur sur les difficultés avec les plongeurs invités, notamment le décès du scientifique invité qui plongeait en tant qu’invité d’Environnement Canada.

[67] M. Bernier, qui partageait les préoccupations du fonctionnaire en matière de sécurité, a dû évaluer soigneusement les options tout en continuant d’être assujetti à une pression exercée par le bureau de la ministre pour lui permettre de plonger sur le lieu de l’Arctique. M. Bernier a encouragé le fonctionnaire à trouver un moyen de permettre à la ministre de participer. M. Bernier et le fonctionnaire ont tous deux témoigné au sujet de l’exigence selon laquelle tout plongeur invité devait être autorisé par un médecin. M. Bernier a informé le cabinet de la ministre de cette exigence et un rendez‑vous a été fixé afin que la ministre se rende au bureau d’un spécialiste d’Ottawa pour un examen médical qui l’autoriserait à plonger. La ministre ne s’est pas présentée au rendez‑vous et le médecin a refusé de fixer un nouveau rendez‑vous, de sorte que l’EAS a dû prendre d’autres dispositions concernant l’autorisation médicale de la ministre.

[68] Toutefois, à ce moment‑là, le fonctionnaire, qui avait continué d’affirmer catégoriquement son opposition à la participation de la ministre, s’était récusé de la décision de lui permettre de plonger avec l’EAS. Le fonctionnaire a témoigné que sa position sur cette question avait créé des frictions avec M. Bernier, qui lui avait dit ce qui suit : [traduction] « Vous ne savez pas combien de problèmes vous m’avez causés, maintenant je dois conduire sept putains d’heures pour réparer les dégâts que vous avez causés. »

[69] Le fonctionnaire a également témoigné avoir été présenté à la ministre à un moment donné après le début de la controverse concernant la plongée avec l’EAS, et le fonctionnaire a déclaré que lorsque les deux ont été présentés, la ministre lui a dit : [traduction] « Oh, c’est vous. »

[70] M. Picher a également témoigné avoir reçu des déclarations d’intérêt de la part du cabinet de la ministre. Il a témoigné qu’il avait demandé à M. Bernier [traduction] « de ne pas tenir compte du fait qu’elle est la ministre et d’explorer les façons dont nous pouvons le faire en toute sécurité, et de déterminer si elle a ou non la capacité de plonger avec l’EAS ».

[71] Des dispositions ont ensuite été prises pour que la ministre soit examinée par le médecin spécialiste de l’EAS, le Dr Harpur, dont le bureau se situe à Owen Sound, à proximité du Parc marin national Fathom Five à Tobermory, en Ontario. Le plan consistait à obtenir l’autorisation médicale nécessaire et à effectuer une plongée de remise à niveau à cet endroit avec l’EAS pour confirmer les compétences de la ministre en matière de plongée.

[72] Malheureusement, la ministre ne s’est pas présentée au rendez‑vous avec le Dr Harpur et, en fin de compte, elle n’a pas plongé avec l’EAS à Tobermory. M. Bernier a témoigné que la ministre avait en fait plongé le 19 mai 2017, mais qu’elle avait plongé avec un affrètement privé et non avec l’EAS. La ministre a envoyé un message sur le service en ligne Twitter. Elle y a inclus une photo subaquatique et la légende suivante : [traduction] « La NOUVELLE @ParcsCanada #PCApp vous aidera à découvrir des endroits où vous n’auriez jamais pensé aller! Commencez à explorer dès maintenant : parcs.canada.ca/voyage‑travel/app » (pièce G‑3).

[73] M. Harris, le membre de l’EAS responsable des lieux de plongée dans l’Arctique, a également témoigné au sujet de la pression constante exercée par le cabinet de la ministre pour permettre à cette dernière de plonger avec l’EAS sur l’Erebus. Il a témoigné avoir pris des dispositions pour qu’elle se rende dans l’Arctique, le déploiement de l’équipe, l’hébergement, l’équipement, la sécurité et le soutien médical, ainsi que la participation des gardiens de Gjoa Haven (les Inuits dont la communauté se trouve à proximité des épaves et qui assurent une partie importante de la gestion des lieux historiques). M. Harris s’est dit frustré qu’après tout le temps et l’énergie qu’il a consacrés, la ministre ait choisi de ne pas se rendre sur le site d’Erebus.

[74] M. Bernier a témoigné que la saison de plongée 2017 a été marquée par plusieurs intérêts concurrents. Outre les pressions ministérielles, il a reçu des signaux d’autres intervenants au sujet des engagements existants de l’EAS à trois autres endroits de grands projets, à savoir le projet des Îles‑Gulf, dirigé par M. Moore, et les projets VNTS et Red Bay, tous deux dirigés par le fonctionnaire.

[75] M. Bernier a témoigné au sujet des engagements de Parcs Canada à l’égard des autres projets. Il ne pouvait pas les laisser languir. Il a témoigné de son devoir d’affecter soigneusement ses ressources, et il a décidé de retirer le fonctionnaire des lieux de plongée de l’Arctique afin qu’il puisse concentrer son attention sur le projet VNTS.

[76] M. Bernier et le fonctionnaire ont tous deux témoigné au sujet de la vaste expérience du fonctionnaire en plongée dans le cadre du VNTS avec l’EAS.

[77] M. Bernier et M. Harris ont témoigné au sujet de l’expérience et des qualifications de M. Harris, que M. Bernier a jugées tout à fait appropriées pour permettre à M. Harris de diriger le projet de l’Arctique, ce que M. Harris faisait déjà depuis qu’il avait découvert l’épave en 2014, et pour organiser et mener des opérations de plongée en toute sécurité en l’absence de l’ASP. M. Bernier avait déjà nommé M. Harris à titre d’agent de plongée suppléant en raison de son expérience et de ses compétences, et il était convaincu de la capacité de M. Harris à diriger en toute sécurité l’équipe qui plonge dans les lieux arctiques.

[78] M. Bernier a témoigné qu’il savait que sa décision ne serait pas bien accueillie par le fonctionnaire. Il a planifié une réunion en personne le 5 juillet 2017 avec les archéologues subaquatiques principaux de l’EAS pour faire part de ses décisions de déploiement. Il souhaitait particulièrement que le fonctionnaire assiste à la réunion en vue de discuter de ses décisions en personne. Le fonctionnaire n’était pas au bureau cette semaine‑là, de sorte que la réunion en personne n’a pas eu lieu.

[79] Entre‑temps, le fonctionnaire a téléphoné à M. Moore et à M. Harris, qui lui ont tous deux parlé des plans de déploiement de M. Bernier. Ils ont tous deux témoigné au sujet de leur impression claire que le fonctionnaire semblait contrarié.

[80] Le fonctionnaire n’a pas parlé à M. Bernier avant que M. Bernier ne soit à la maison pour se préparer à partir pour l’Angleterre en tant que conférencier invité à un forum international sur l’expédition Franklin en général et les sites d’épaves de l’Erebus et du Terror en particulier. Leur conversation téléphonique du 11 juillet 2017 a duré environ 90 minutes. M. Bernier a témoigné que le fonctionnaire avait haussé le ton au téléphone lorsqu’il avait fait valoir ses arguments. M. Bernier a témoigné qu’il était agité au cours de leur conversation, mais lorsqu’il était à la barre des témoins, il n’a pas répondu à la question de savoir s’il avait lui-même haussé le ton. Les deux se trouvaient manifestement dans une impasse, et la conversation s’est terminée par un accord de se rencontrer plus tard, en personne, pour poursuivre la discussion.

[81] Le fonctionnaire a pris des notes manuscrites au cours de leur conversation et, peu après, il les a dactylographiées et en a remis une copie à M. Bernier avant la réunion du 31 juillet 2017 qu’ils avaient convenu de tenir. Les notes du fonctionnaire ont été présentées en tant que pièce (pièce G‑10). Sous le titre [traduction] « Première discussion entre MAB [M. Bernier] et FR [le fonctionnaire] sur le projet Arctique de 2017 (par téléphone) » figure son texte dactylographié, comme suit :

[Traduction]

[…]

MAB a confirmé que FR ne se rendrait pas dans l’Arctique et a présenté le personnel qui s’y rendrait et a partagé leurs rôles respectifs.

MAB a souligné que la priorité pour FR est le VNTS.

FR a présenté l’argument selon lequel l’AP [agent de sécurité en plongée] serait mieux utilisé dans l’Arctique.

· Cela relève du rôle historique et de la responsabilité de l’AP pour l’EAS.

· Ces fonctions ont été clairement énoncées dans ma description de travail et approuvées par la direction.

· FR a expliqué qu’il y a une culture croissante de complaisance au sein de l’équipe et en ce qui concerne celle‑ci, et une tendance croissante à ne pas tenir compte des instructions de l’AP.

· FR a indiqué que, à son avis, si FR n’est pas présent dans l’Arctique, son absence affaiblit la crédibilité et l’autorité du poste d’AP.

· Le VNTS ne nécessite pas un travail immédiat sur les lieux.

[…]

MAB a été chargé de diviser l’EAS en deux équipes, l’une pour l’Arctique et l’autre pour le VNTS. L’EAS doit faire plus de travail sur les lieux du VNTS, dans la mesure du possible.

MAB affecterait des ressources au VNTS et, à titre de dirigeant du VNTS, FR y resterait. L’équipe peut gérer les risques sans FR dans l’Arctique.

[…]

 

[82] Le fonctionnaire a témoigné qu’au cours de la longue conversation téléphonique du 11 juillet 2017, lui et M. Bernier ont tous deux haussé le ton de temps à autre.

[83] M. Bernier et le fonctionnaire se sont rencontrés en personne le 31 juillet 2017, au bureau de Parcs Canada situé sur le chemin Walkley, pour discuter de la présence de l’ASP aux lieux de plongée de l’Arctique. M. Bernier est demeuré ferme dans sa décision d’affecter le fonctionnaire au projet VNTS plutôt qu’aux lieux de l’Arctique. Voici des extraits des notes de réunion prises par le fonctionnaire, qu’il a dactylographiées peu après (pièce G‑10) :

[Traduction]

[…]

La conversation a commencé avec MAB qui a demandé si FR n’est pas sur place en tant qu’AP, est‑ce que j’arrêterai le projet?

FR a indiqué que nous n’en sommes pas encore là, et que nous sommes ici pour tenir une discussion.

[…]

MAB a fourni un résumé de son rôle de gestionnaire et a expliqué qu’il a pour tâche d’aider à réaliser les objectifs fixés par la ministre et les directeurs.

MAB relève de son patron, et le directeur lui avait dit d’affecter FR au dossier du VNTS parce que cela est nécessaire.

À titre d’AP, FR a expliqué que son rôle, ses devoirs et ses responsabilités consistent à assurer la sécurité des plongées.

MAB a dit que c’est son équipe et que FR doit trouver son rôle au sein de celle‑ci.

FR a dit qu’il y a une différence d’opinions quant à ce à quoi consiste son rôle, non pas en tant qu’employé, mais en tant qu’AP.

MAB a dit que j’interprète mal le rôle d’agent de plongée, FR a dit que je connais bien le rôle d’AP, étant donné que j’occupe ce poste depuis des années et que j’ai suivi une formation sous Pete Waddell, l’ancien AP. Historiquement, le rôle de l’AP était clairement compris par tout le monde, mais maintenant les décisions sur les plongées et la sécurité des plongées sont prises sans la participation de l’agent de plongée.

MAB a dit qu’il était confiant que l’équipe pourrait atténuer les risques dans l’Arctique, étant donné que le lieu est peu profond, que nous avons déjà effectué plus de 250 plongées sur place et que le personnel connaît bien les dangers. Il y aura sur place un superviseur de plongée et deux TMP [techniciens en médecine de plongée].

[…]

FR a déclaré que, par respect pour MAB, il n’est pas allé voir Jarred (directeur) pour en discuter. FR a attendu que MAB revienne au bureau pour voir s’il y avait eu un changement par rapport à sa position précédente. FR avait accordé à MAB une semaine suivant son retour pour rattraper son retard, avant de discuter de nouveau des préoccupations susmentionnées.

[…]

FR a dit que, à titre d’AP, sa seule préoccupation est la sécurité des plongeurs et qu’il n’est pas influencé par les pressions exercées sur la ministre ou le directeur.

FR a demandé à MAB quel est le nouveau rôle de l’AP, si la direction peut décider quand et où utiliser l’AP en ce qui concerne la sécurité et la planification, décider à quelles tâches de plongée l’AP doit assister, et prendre d’autres décisions qui ont toujours été prises par l’AP?

FR a souligné que son poste compte deux rôles, celui d’AP et celui d’archéologue et que, lorsqu’il y a une question de santé et de sécurité liée à la plongée, l’AP devrait et aura préséance sur les responsabilités archéologiques.

FR a exprimé le désir de faire preuve de leadership et d’essayer de régler cette impasse entre lui et le gestionnaire, MAB.

MAB a déclaré que sa décision était définitive et a réitéré qu’il faisait ce que son gestionnaire lui avait demandé. MAB a invité FR à discuter avec Jarred et, si FR peut le convaincre, MAB apportera une modification aux membres du personnel qui se rendront en Arctique.

FR a affirmé qu’il préférait régler ce problème à ce niveau de travail, mais qu’il était suffisamment convaincu en ce qui concerne l’impasse pour qu’il soit nécessaire d’étudier les possibilités en matière de SST.

[…]

 

[84] M. Bernier a dit au fonctionnaire que s’il n’était pas satisfait de la décision, il pouvait en discuter avec le directeur. Le fonctionnaire a dit qu’il le ferait. M. Bernier a témoigné qu’il a interprété la réponse du fonctionnaire comme une menace.

[85] Le fonctionnaire a témoigné qu’il était troublé par son différend avec M. Bernier et qu’il a communiqué avec Rebecca Dalton, Valeurs et éthique de Parcs Canada, au sujet d’autres moyens de résolution des conflits à explorer. Le 3 août 2017, il lui a envoyé le courriel suivant (pièce G‑14) :

[Traduction]

Bonjour Rebecca,

Je m’appelle Filippo Ronca et je fais partie de l’équipe d’archéologie subaquatique de Parcs Canada. Je me demandais si vous pouviez me fournir quelques ressources concernant la gestion informelle des conflits et la création d’un milieu de travail sain.

[…]

 

[86] Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait reçu des renseignements sur la gestion informelle des conflits et qu’il avait proposé une médiation à M. Bernier, qui avait refusé. Dans son témoignage, M. Bernier ne pouvait pas se souvenir de l’offre ou de son refus de la gestion informelle des conflits.

[87] M. Bernier a également témoigné au sujet d’une conversation téléphonique le 15 août 2017 avec le fonctionnaire et Travis Halliday, Application de la loi de Parcs Canada. L’appel avait pour but de discuter de la sécurité des lieux de plongée Erebus et Terror et de la possibilité d’un accès non autorisé à ces lieux. Le fonctionnaire a été contrarié parce que des discussions sur la sécurité des lieux avaient apparemment déjà eu lieu en son absence. M. Bernier a témoigné que sa justification d’organiser l’appel en premier lieu était [traduction] « de le tenir [le fonctionnaire] au courant ». M. Bernier a estimé que le fonctionnaire avait adopté un ton agressif au cours de la conversation, ce que le fonctionnaire a nié. Il a témoigné s’être senti frustré, et non pas agressif.

[88] Dans son témoignage, M. Halliday s’est souvenu de la conversation du 15 août, mais n’a pu se souvenir d’aucune indication de comportement agressif.

[89] Comme il a dit qu’il le ferait, le fonctionnaire a fait part à M. Picher de ses préoccupations au sujet de la décision de M. Bernier. M. Picher a témoigné qu’il était au courant des préoccupations parce qu’il avait déjà discuté avec M. Bernier. Lors d’une réunion au début d’août 2017, M. Picher et le fonctionnaire ont discuté de la décision de M. Bernier. M. Picher a témoigné qu’il appuyait la décision de M. Bernier et que, à son avis, la décision de M. Bernier était conforme aux priorités de gestion de Parcs Canada. M. Picher a également témoigné que, à son avis, la décision de M. Bernier ne compromettait pas la sécurité parce que le personnel de plongée affecté aux lieux arctiques était qualifié et chevronné.

[90] M. Picher a témoigné qu’il n’estimait pas que la décision de M. Bernier compromettait le rôle de l’ASP, ajoutant que le rôle de l’ASP, tel qu’il est défini dans la Directive sur les plongées de 2002, devait de toute façon être modifié.

[91] M. Picher a témoigné au sujet de la nécessité de revoir le rôle de l’ASP parce que le fonctionnaire s’est comporté comme s’il avait le pouvoir, au nom de la sécurité des plongées, de décider qui pourrait plonger, et où et quand ils pourraient plonger. Selon le témoignage de M. Picher, il s’agit de questions d’affectation des ressources et la divergence d’opinions entre M. Bernier et le fonctionnaire a indiqué la nécessité de revoir certains aspects de la Directive sur les plongées.

[92] À la réunion, M. Picher a dit au fonctionnaire qu’il appuyait la décision de M. Bernier. Dans son témoignage, M. Picher a réitéré sa conviction selon laquelle il s’agissait de la bonne chose à faire à l’époque pour deux raisons : en premier lieu, l’importance du projet VNTS et la position évidente du fonctionnaire à l’égard de l’EAS comme étant la meilleure personne pour diriger ce projet, et, en deuxième lieu, la capacité de M. Bernier à évaluer correctement les risques associés aux lieux de plongée dans l’Arctique et à affecter du personnel qualifié et chevronné en conséquence.

[93] Le fonctionnaire a témoigné de son insatisfaction concernant la position de M. Picher parce que, même si M. Picher était le directeur de l’archéologie et de l’histoire, il n’était pas un plongeur, et leur discussion n’a pas apaisé la conviction croissante du fonctionnaire que les questions de santé et de sécurité étaient compromises.

[94] Le fonctionnaire a ensuite témoigné au sujet d’une conversation ultérieure avec Nicholas Proulx, de la Santé et de la sécurité au travail, à la mi‑août, au cours de laquelle il a demandé à M. Proulx son avis sur les questions de sécurité. Le fonctionnaire a témoigné avoir été contrarié par la réponse de M. Proulx, qui était la suivante : [traduction] « Je travaille pour la direction; j’ai déjà discuté de cela avec M. Bernier et M. Picher et ils n’ont aucune préoccupation, donc je n’ai aucune préoccupation. » M. Proulx n’a pas témoigné à l’audience.

[95] À la suite de cette conversation, le fonctionnaire a tenu une réunion avec le CSST le 22 août 2017. Thomas John « T.J. » Hammer, directeur des collections, de la conservation et de l’entreposage à Parcs Canada, était un membre du CSST. M. Hammer était le représentant de l’employeur. Michael Eisen, le directeur des sciences de la conservation, représentait les employés. Le fonctionnaire a témoigné que la réunion avait été tenue pour déterminer si le CSST devait être objectif lorsqu’il évaluait les préoccupations en matière de santé et de sécurité plutôt que d’adopter simplement l’avis de la direction.

[96] Le fonctionnaire est arrivé à la réunion alors que la plupart des participants étaient déjà assis. Il s’est assis en face de M. Bernier, à la même table. Le fonctionnaire a demandé à M. Hammer si le CSST devrait être neutre en ce qui concerne les questions de sécurité. M. Hammer a témoigné qu’il ne connaissait pas le contexte de la question et a demandé au fonctionnaire de la reformuler. Le fonctionnaire a ensuite posé la même question à M. Eisen, et celui-ci a répondu que le CSST devrait être impartial.

[97] Le fonctionnaire s’est alors tourné vers M. Bernier, s’est penché légèrement en avant sur la table, l’a regardé dans les yeux et a dit ceci : [traduction] « Et vous, qu’en pensez‑vous? » M. Hammer, M. Bernier et le fonctionnaire ont tous témoigné au sujet de cet événement. M. Bernier a affirmé que le fonctionnaire avait [traduction] « du feu dans les yeux » et a témoigné qu’il n’avait [traduction] « jamais vu une telle colère envers [lui] de quelque façon que ce soit, et que cela [lui] avait peur ».

[98] M. Bernier a estimé que le fonctionnaire avait été très agressif lorsqu’il a posé sa question, mais après qu’elle a été posée, le fonctionnaire a adopté une attitude amicale et détendue [traduction] « comme si on avait appuyé sur un interrupteur ». Le reste de la réunion s’est déroulé sans incident, et les témoins ont décrit le comportement du fonctionnaire comme ayant été amical.

[99] Le fonctionnaire a convenu qu’il avait été manifestement passionné à ce stade de la réunion du 22 août 2017, mais il a nié avoir été en colère. Il a convenu qu’il avait mis l’accent sur le mot « vous », soit la raison pour laquelle le mot figure en lettres majuscules dans le rapport d’enquête.

[100] Le seul autre participant à la réunion du 22 août 2017 à témoigner était M. Hammer, qui a décrit le fonctionnaire comme passionné lorsqu’il s’est tourné vers M. Bernier et a dit [traduction] « Et vous, qu’en pensez‑vous? » M. Hammer a dit que le fonctionnaire [traduction] « […] s’est peut‑être penché vers M. Bernier […] » lorsqu’il a posé cette question. M. Hammer a dit aux enquêteurs que [traduction] « […] il n’y avait rien de fâcheux dans le comportement ou le ton de la voix [du fonctionnaire] » et dans son témoignage, il a dit que c’est exactement de cette façon qu’il se souvient de la réunion.

[101] Le lendemain, M. Bernier a déposé une plainte officielle de harcèlement auprès de M. Picher (pièce J‑1, onglet 7, page 273).

[102] M. Picher a organisé une enquête indépendante. M. Bernier a témoigné au sujet de sa difficulté continue à gérer le fonctionnaire et du niveau de stress que cela lui causait. Lorsqu’il a été interrogé au sujet de l’enquête en vertu du CCT, M. Bernier a témoigné qu’il estimait que le fonctionnaire s’efforçait de mettre une fin au travail effectué sur l’Erebus et le Terror et qu’il s’agissait d’une tentative du fonctionnaire de démontrer que M. Bernier avait manqué à ses obligations en matière de gestion de la santé et de la sécurité. M. Bernier a également témoigné que le décès de son père à un moment donné au cours de ces interactions avec le fonctionnaire a aggravé le stress qu’il ressentait.

[103] En octobre 2017, M. Picher a déplacé temporairement M. Bernier du bureau de Parcs Canada situé sur le chemin Walkley au bureau situé à Gatineau. À l’automne 2017, le fonctionnaire a été affecté au projet Red Bay et, à partir de ce moment‑là, il n’a plus travaillé avec M. Bernier.

[104] Entre‑temps, M. Hammer et M. Eisen, en leur qualité de représentants du CSST du bureau situé sur le chemin Walkley, ont enquêté sur la plainte en vertu du CCT. Au cours de leur enquête, ils ont interrogé les membres de l’EAS.

[105] M. Bernier a témoigné qu’il avait été frustré par M. Hammer et M. Eisen, qui ne sont ni l’un ni l’autre plongeurs, et par la façon dont le fonctionnaire semblait leur fournir continuellement des renseignements supplémentaires pour appuyer certaines des questions de sécurité qu’il avait soulevées. Selon les mots de M. Bernier, l’enquête a [traduction] « fait boule de neige », s’est élargie à de nombreuses questions différentes et a nui aux activités de l’EAS. M. Bernier a témoigné que l’enquête en vertu du CCT avait nui au moral de l’EAS et qu’il craignait que cela ne compromette les activités.

[106] En contre‑interrogatoire, M. Picher a témoigné que la question concernant le CCT est passée d’une question particulière à ce qu’il a appelé un [traduction] « examen complet du programme ». Il a reçu le rapport d’enquête en vertu du CCT et a témoigné ne pas avoir souscris à certaines de ses conclusions, de sorte qu’il a ordonné une autre enquête de sécurité par Emploi et Développement social Canada, qui a produit un rapport qui lui a été fourni le 30 janvier 2019 (pièce J‑1, vol. II, onglet 33). Les parties ont convenu que la date du rapport, qui a été indiquée comme étant « le 30 janvier 2018 », devait être une erreur et que la date réelle était probablement le 30 janvier 2019. M. Picher a également témoigné qu’il craignait que l’enquête du CCT ne [traduction] « détruise le cœur de l’équipe » et qu’elle compromette les activités.

[107] Le 3 avril 2018, le fonctionnaire a écrit ce qui suit à M. Picher (pièce J‑1, onglet 9) :

[Traduction]

[…]

J’ai vu la « cohésion de l’équipe » et les interactions interpersonnelles se dégrader lentement depuis un certain nombre d’années et, en tant que membre de cette équipe, j’accepte une partie de la responsabilité de cette réalité.

[…]

Jarred, je n’ai aucun doute que Marc estime réellement que j’ai remis en question son droit de gérer et de planifier et que j’ai débattu, parfois de façon agressive, avec lui au sujet de ses décisions. Je reconnais pleinement que cela a compliqué son rôle de gestionnaire et ajouté du stress à son milieu de travail […]

[…]

 

[108] Quelques semaines plus tard, en réponse au rapport d’enquête sur le harcèlement provisoire, le fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Picher le 19 avril 2018 (pièce J‑1, vol. I, onglet 11), qui comprenait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je tiens à commencer par remercier tout le monde d’avoir participé à la réunion, surtout l’enquêteur, qui a résumé une grande quantité de documents. Le processus a été douloureux pour moi et ma famille, et je suis impatient de trouver une solution.

En tant qu’agent de plongée, j’ai pris le rôle au sérieux. Il s’agit d’une importante responsabilité. J’ai toujours suivi ma description de travail et la Directive sur les plongées de manière professionnelle et en faisant preuve d’intégrité. Le plus souvent, ce rôle est sous‑estimé et non reconnu, et son autorité est parfois mise à l’épreuve par le personnel […]

La nature du travail et le fait de s’assurer que l’équipe respecte la Directive sur les plongées et le Code canadien du travail m’ont malheureusement mis en conflit avec le personnel. Même si je comprends que la direction est axée sur les résultats, elle ne devrait pas le faire au détriment du bien‑être de son personnel. Parfois, la sécurité est un inconvénient nécessaire, mais une violation par le personnel du CCT et de la Directive sur les plongées constitue quand même une violation.

[…]

Au fil des ans, la complaisance dont a fait preuve l’équipe, sans le soutien de la direction à l’égard de mon rôle, a été frustrante et lourde. Aucune de mes décisions n’a mis le personnel en danger. Cependant, lorsque même le directeur ne suit pas les règles, il donne un mauvais exemple.

L’exercice de mes fonctions conformément à ma description de travail et à la directive m’a rendu impopulaire et parfois même vilipendé. Le plaignant avait connaissance depuis un certain temps des relations tendues qui en ont découlé avec certains collègues, mais il ne les a pas traitées de manière appropriée. J’ai déjà pris un congé lié au stress en raison des difficultés survenues en 2013‑2014.

[…]

Au cours des dernières années, les pressions exercées par le travail ont augmenté considérablement et nous sommes absents du bureau et loin de nos familles beaucoup plus souvent. Le plaignant communique par courriel et souvent le courriel n’est destiné qu’à quelques personnes précises. En tant que joueur d’équipe, j’ai éprouvé des difficultés avec ce changement et, conjugué au sentiment d’être méprisé à plusieurs reprises, et j’ai parfois eu du mal à gérer cette situation de manière professionnelle.

[…]

 

[109] Le 23 avril 2018, la fonctionnaire a envoyé le courriel suivant à l’EAS :

[Traduction]

Bonjour tout le monde,

Les commentaires suivants ont été fournis par le Comité ministériel de plongée concernant l’incident de plongée de 2016 visé par le REIR et son enquête subséquente.
Veuillez les examiner à votre gré :

En ce qui concerne l’incident de plongée de 2016 dans l’Arctique au cours duquel il y a eu un manque d’air et où les limites d’une plongée sans décompression ont été dépassées :

Un plongeur qui manque d’air est une situation d’urgence. Grâce à la formation, cet incident a été géré – pas parfaitement comme lors des pratiques, mais il a été géré et un accident a été évité.

L’incident où les limites de plongée sans décompression ont été dépassées a été géré selon le format standard reconnu.

Trois points doivent être abordés en tant que suivi standard de tout incident d’urgence :

1) Qui a été directement impliqué dans cet incident?

2) Pourquoi cet incident est‑il survenu? Des erreurs ont‑elles été commises au cours de la procédure? Un exemple ici – la surveillance aérienne. Identifiez les erreurs commises, consignez‑les, faites‑en part, assumez‑en la responsabilité et soyez prêts à en tirer des leçons et à passer à autre chose.

3) Que peut‑on faire pour éviter que cet incident ne se reproduise? Déterminez cela, modifiez les procédures ou les directives au besoin et faites‑en part à tout le personnel de plongée. Cet incident doit être abordé et géré par toutes les parties touchées – la direction et le personnel de plongée.

La gestion finale de l’incident de 2016 a été achevée lors d’une réunion entre deux personnes, Marc-André Bernier (gestionnaire) et Michael Eisen (employé – représentant des employés en matière de SST).

Cela signifie en fait que le plongeur principal impliqué dans l’incident a rencontré l’enquêteur de la SST (qui ne connaît pas très bien les pratiques de plongée) pour mettre au point un rapport. Cela semble‑t‑il raisonnable?

Où est le rapport, et les réponses aux questions Qui, Pourquoi et Quoi sont‑elles consignées, et ont‑elles été communiquées au personnel de plongée?

AUCUNE réunion de cette nature ne devrait être tenue sans l’agent de plongée chargé de la sécurité des plongées et au moins une autre personne ayant des connaissances en matière de plongée afin de s’assurer que les faits ne sont pas faussés, que les compte rendus sont exacts et que les trois points décrits ci‑dessus sont abordés de manière suffisante.

Sur une note connexe, vous trouverez ci‑joint les recommandations du Dr Harpur à la suite d’un incident antérieur de malaises de décompression (MDC).

[La première pièce jointe fait l’objet d’une ordonnance de mise sous scellés]

Enfin, j’ai également joint les deux derniers procès‑verbaux des réunions du CMP aux fins d’examen.

[Procès‑verbal du CMP de la plongée de 2014]

[Procès‑verbal de la plongée de 2016‑2017]

Nous pourrions peut‑être tous nous rencontrer avant de partir pour nous rendre sur place pour discuter de ce qui précède et de toute autre préoccupation que vous pourriez avoir concernant le programme de plongée, la directive, entre autres.

Au plaisir de vous voir à la piscine.

[…]

 

[110] La première pièce jointe contenait un courriel de M. Bernier à M. Waddell, qui était membre du Comité national de plongée avec le fonctionnaire, au sujet des recommandations du Dr Harpur en matière de sécurité des plongées (pièce G‑15). Le courriel de M. Bernier a fait l’objet d’une demande d’ordonnance de mise sous scellés parce qu’il contenait potentiellement des conseils que le Dr Harpur avait fournis à M. Bernier.

[111] La Cour suprême du Canada a conclu qu’il incombe à la partie qui demande l’ordonnance de mise sous scellés de justifier la délivrance de cette ordonnance en se fondant sur une preuve suffisante. Ce qu’on appelle le critère « Dagenais/Mentuck » des décisions de la Cour suprême du Canada dans Dagenais c. Société Radio‑Canada., [1994] 3 RCS 835 et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76. Le critère compte les deux volets suivants :

1) L’ordonnance est‑elle nécessaire pour écarter un risque sérieux pour intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le cadre d’un litige, en l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter le risque?

2) Les effets bénéfiques de l’ordonnance, y compris les effets sur le droit des parties civiles à un procès équitable, l’emportent‑ils sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur le droit à la liberté d’expression, ce qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans des procédures judiciaires ouvertes et accessibles?

 

[112] La Cour suprême du Canada a eu l’occasion d’examiner ces principes plus récemment dans Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, au paragraphe 33, comme suit :

[33] La diffusion de renseignements personnels dans le cadre de débats judiciaires publics peut être plus qu’une source de désagrément et peut aussi entraîner une atteinte à la dignité d’une personne. Dans la mesure où elle sert à protéger les personnes contre une telle atteinte, la vie privée constitue un intérêt public important qui est pertinent selon Sierra Club. La dignité en ce sens est une préoccupation connexe à la vie privée en général, mais elle est plus restreinte que celle‑ci; elle transcende les intérêts individuels et, comme d’autres intérêts publics importants, c’est une question qui concerne la société en général. Un tribunal peut faire une exception au principe de la publicité des débats judiciaires, malgré la forte présomption en faveur de son application, si l’intérêt à protéger les aspects fondamentaux de la vie personnelle des individus qui se rapportent à leur dignité est sérieusement menacé par la diffusion de renseignements suffisamment sensibles. La question est de savoir non pas si les renseignements sont « personnels » pour la personne concernée, mais si, en raison de leur caractère très sensible, leur diffusion entraînerait une atteinte à sa dignité que la société dans son ensemble a intérêt à protéger.

 

[113] La pièce G‑15 comprend plusieurs pages, mais seule la première contient une communication du Dr Harpur à M. Bernier. J’ai retenu l’argument de l’employeur selon lequel cette première page contient des renseignements de nature personnelle ou médicale. On ne sait toujours pas si les renseignements et les recommandations en matière de plongée se rapportaient directement à M. Bernier ou s’ils étaient destinés à l’édification générale de l’EAS, mais comme le Dr Harpur n’a pas témoigné, j’ai choisi de faire preuve d’excès de prudence et d’interpréter les recommandations, uniquement aux fins de l’ordonnance de mise sous scellés, comme s’appliquant à M. Bernier.

[114] Conformément au libellé utilisé par la Cour suprême du Canada dans Sherman, au paragraphe 35, je conclus que les renseignements figurant à cette première page se définissent comme suit :

[…] suffisamment sensibles pour que l’on puisse dire qu’ils touchent au cœur même des renseignements biographiques de la personne et, dans un contexte plus large, qu’il existe un risque sérieux d’atteinte à la dignité de la personne concernée si une ordonnance exceptionnelle n’est pas rendue.

 

[115] Je n’ordonnerai pas la mise sous scellés de la totalité de la pièce, uniquement la première page. Cela réduit au minimum le compromis avec le principe de la transparence judiciaire. Je suis convaincu qu’une telle ordonnance, qui ne concerne qu’une seule page de texte, n’entrave pas l’équité procédurale et que l’intérêt public n’est pas compromis d’une manière importante.

[116] M. Bernier a témoigné au sujet de son mécontentement à l’égard de la diffusion par le fonctionnaire de ce qu’il considérait comme des renseignements médicaux personnels. M. Bernier a fait part de ses préoccupations à M. Picher, qui a également témoigné au sujet de sa préoccupation selon laquelle le fonctionnaire avait distribué les renseignements à l’EAS sans l’autorisation de M. Bernier. Les deux témoins ont exprimé leur opinion selon laquelle le fonctionnaire l’avait fait dans le but de saper le leadership de M. Bernier.

[117] Le 24 mai 2018, le fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Picher au sujet de l’enquête sur le harcèlement, en énonçant ce qui suit (pièce J‑1, vol. I, onglet 16) :

[Traduction]

Bonsoir Jarred,

Je tiens à profiter de l’occasion pour vous faire part de certains renseignements qui, je l’espère, seront pris en considération pour déterminer la mesure disciplinaire justifiée.

Dans ma lettre du 19 avril 2018 adressée à l’enquêteur, aux RH et à vous‑même, j’ai reconnu que je n’avais pas toujours agi de façon professionnelle et que j’ai laissé ma frustration prendre le dessus. Au cours de l’enquête elle‑même, j’ai aussi reconnu que mon ton de voix est parfois trop haut et j’en ai assumé la responsabilité.

Après avoir lu le rapport d’enquête, il est clair que je dois poursuivre mes efforts pour modérer mon ton et communiquer de manière plus diplomatique pour demeurer à Parcs Canada et continuer de faire partie de l’équipe. Je ne veux pas que mes collègues et la direction me perçoivent de la même façon que certains l’ont décrit dans leurs entrevues. Je peux apprendre, et j’apprendrai, à accepter les décisions de la direction auxquelles je ne souscris pas après avoir exprimé mon désaccord de manière professionnelle. Je communiquerai également mon désaccord avec les décisions de mes collègues de manière professionnelle et respectueuse. Ce sont des compétences qui peuvent être apprises, et je suis résolu à les apprendre et à les mettre en œuvre.

Au cours de la dernière année, j’estime que j’ai réalisé des progrès à tous ces égards. Malgré toute cette adversité, j’ai dirigé des projets sur le terrain, suivi des directives et travaillé en collaboration avec l’équipe et la direction dans le but d’appuyer plusieurs unités de gestion, partenaires et les objectifs de Parcs Canada.

Après avoir lu le rapport, je reconnais également que je dois présenter mes excuses à Marc‑André et à certains de mes collègues pour la façon dont je les ai traités dans le passé. Comme j’ai déjà présenté mes excuses à Jonathan Moore, gestionnaire intérimaire, cette mesure contribuera, je l’espère, à la guérison globale de l’unité et je suis résolu à travailler avec tous les membres de l’équipe à l’avenir.

Comme vous le savez, j’ai pris un congé de maladie en 2014 à cause d’une relation tendue avec un collègue qui a causé la détérioration de ma santé mentale. À ce moment‑là, j’ai commencé à recevoir un traitement pour mes problèmes de santé mentale, y compris pour le stress et l’anxiété graves, parmi d’autres problèmes que je préfère ne pas divulguer à ce moment‑ci. Je reconnais maintenant que je dois intensifier mes efforts pour gérer le stress et l’anxiété graves que j’éprouve au travail et qui m’ont amené à hausser le ton et à communiquer de façon non professionnelle.

[…]

Étant donné que j’éprouvais déjà des problèmes de santé mentale avant la présente plainte de harcèlement, ces problèmes ont été considérablement aggravés par le processus de plainte. La lecture de la plainte, des entrevues et du rapport de l’enquêteur a eu une incidence négative sur ma santé mentale au point que je me préoccupe de ma capacité de travailler à court terme. Pour cette raison, je consulterai davantage mon médecin.

J’espère qu’en décidant la mesure disciplinaire justifiée, vous tiendrez compte du fait que je n’ai jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire auparavant, pour harcèlement ou pour toute autre raison, en près de 17 ans de service. J’estime également avoir travaillé très fort pour Parcs Canada au cours de ces années, et j’apporte beaucoup de qualités positives au travail. J’espère que vous me donnerez l’occasion de continuer à apprendre et à utiliser les nouvelles compétences que j’ai commencé à perfectionner afin d’être un membre productif de l’organisation et de l’équipe d’archéologie subaquatique.

 

[118] M. Picher a remis le rapport d’enquête final sur le harcèlement au fonctionnaire le 17 mai 2018, et il porte cette date. Le rapport s’appuyait sur la définition suivante de « harcèlement » telle qu’elle figure dans une politique de Parcs Canada (pièce J‑1, vol. I, page 324) :

[Traduction]

Le harcèlement est défini comme tout comportement indésirable et offensant à l’égard d’une ou de plusieurs autres personnes , manifesté par une personne à l’intérieur ou à l’extérieur du lieu de travail qui savait, ou aurait dû raisonnablement savoir, que son comportement pouvait être offensant ou blessant. Le harcèlement comporte généralement des incidents répétés ou une tendance de comportement, mais il peut s’agir d’un incident isolé. Il comprend tout acte, propos ou conduite qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse un employé, ou tout acte de violence psychologique, d’intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le harcèlement peut être intentionnel ou non.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[119] Selon le rapport final, un certain nombre d’incidents, mais pas tous, constituaient du harcèlement.

[120] À la barre des témoins, M. Picher a été invité à présenter des commentaires sur les excuses écrites, les explications et les reconnaissances du fonctionnaire. À chaque fois, M. Picher a rejeté les commentaires du fonctionnaire en disant qu’ils étaient dénués de sincérité et a considéré que l’inclusion d’explications concernant le rôle de l’ASP constituait une position purement défensive. M. Picher a considéré qu’il s’agissait d’une indication du refus du fonctionnaire d’assumer les conséquences de ses actes et d’un manque de remords.

[121] Le fonctionnaire n’était pas d’accord avec M. Picher au sujet des remords et a témoigné qu’il éprouvait de la sympathie pour M. Bernier, en déclarant ce qui suit : [traduction] « Je me soucie toujours de lui et je ressens de l’empathie envers lui. Je pouvais également constater qu’il n’est pas la même personne. » Le fonctionnaire a ajouté que, même s’il souhaitait présenter des excuses à M. Bernier en personne, il n’a pas pu le faire parce qu’on lui avait ordonné de ne pas l’approcher.

[122] Néanmoins, en s’appuyant sur le rapport d’enquête final, le 18 mai 2018, M. Picher a suspendu le fonctionnaire sans solde au moyen d’une lettre qui se lit, en partie, comme suit (pièce J‑1, vol. 1, onglet 15) :

[Traduction]

La présente fait suite à la lettre que vous avez reçue le 17 mai 2018 concernant le rapport d’enquête final sur le harcèlement.

Compte tenu de ces résultats, j’ai conclu que votre présence au lieu de travail présente des préoccupations sérieuses et légitimes pour l’Agence. Par conséquent, vous êtes par la présente suspendu sans solde en attendant mon examen complet de cette affaire. Nous vous demandons de ne pas vous présenter au lieu de travail ni de communiquer avec un employé de la Direction générale de l’archéologie et de l’histoire avant que nous vous ayons donné l’autorisation de le faire.

Je communiquerai bientôt avec vous pour fixer une date d’audience disciplinaire. Cette réunion aura pour but de déterminer quelles mesures disciplinaires et/ou administratives sont appropriées.

 

[123] L’audience disciplinaire a eu lieu le 28 septembre 2018, mais une audience prédisciplinaire a eu lieu le 27 août 2018, avant laquelle le fonctionnaire a présenté plusieurs documents aux fins d’examen par M. Picher. Ces documents comprenaient, entre autres, une série de ses notes d’allocution, qu’il a dit avoir lu à haute voix parce qu’il était très nerveux et ne voulait rien oublier. Les notes ont été déposées en preuve (pièce J‑1, vol. II, onglet 22). Il a témoigné au sujet de sa sincérité dans ses expressions de remords, et il a fait référence à certains passages de ses notes (aux p. 27 à 39), comme suit :

[Traduction]

Je tiens à commencer par vous remercier Nathalie Gauthier et Jarred de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole aujourd’hui.

Je suis reconnaissant des efforts déployés par Parcs Canada pour régler ce problème.

Je tiens surtout à profiter de l’occasion pour vous remercier de m’avoir accordé une prorogation médicale pour cette réunion.

Je tiens à profiter de cette occasion pour vous montrer que je veux revenir au travail, que je dois revenir au travail et que je suis prêt à faire tout ce qui est nécessaire pour y arriver.

[…]

L’enquête et la suspension qui a suivi m’ont donné le temps de réfléchir et de faire une introspection.

[…]

Je manifeste ouvertement mes sentiments et, même si je ne connais pas très bien les politiques, pendant mon absence du travail, j’ai approfondi mes compétences en diplomatie et mon ensemble de compétences en tant que communicateur efficace. J’apprends.

[…]

Je suis un ardent défenseur de la santé et de la sécurité, formé et qualifié par Parcs pendant de nombreuses années.

La direction m’a confié un rôle particulier et m’a choisi pour un poste très spécialisé et unique : celui d’agent de plongée pour l’équipe d’AS et d’archéologue.

Au fil des ans, j’ai essayé de m’acquitter au mieux de cette tâche, avec honneur et intégrité.

Je me suis efforcé de respecter les modalités de ma description de travail, ainsi que la Directive sur les plongées.

Mais plus important encore, j’ai été honoré de protéger l’équipe d’AS.

[…]

Comme je vous en ai fait part aujourd’hui et dans une correspondance antérieure, je reconnais que j’ai parfois discuté avec trop de passion des questions de santé et de sécurité et d’autres questions connexes.

Je suis désolé et j’assume la responsabilité de mes actes.

Même si ces arguments étaient motivés par mon sens des responsabilités pour la santé et la sécurité de l’équipe, je reconnais que je dois faire preuve de plus de diplomatie à l’avenir.

Je ferai part respectueusement de mes préoccupations et j’accepterai les décisions de la direction même si je n’y souscris pas.

En ce qui concerne l’enquête et le rapport (je tiens à faire quelques commentaires)

J’ai lu le rapport et je l’accepte. L’enquête a clairement démontré que j’ai discuté de la santé et de la sécurité avec trop de passion.

J’en suis vraiment désolé.

[…]

J’apprécierais que vous teniez compte de ce qui suit dans votre décision.

En 17 ans de service, j’ai un dossier disciplinaire vierge, mon dossier des RH et mes évaluations ne comportent aucun commentaire en matière de discipline.

Je n’ai eu aucun avertissement selon lequel ma conduite pouvait entraîner une mesure disciplinaire et encore moins un congédiement.

Les incidents de harcèlement sont survenus en raison de ma préoccupation pour la santé et la sécurité du personnel. Je soulevais ces préoccupations au sujet de ce que j’ai considéré comme des pratiques dangereuses de l’équipe.

La détermination et les conseils en matière de santé et de sécurité constituent l’une de mes responsabilités en tant [qu’ASP].

Je reconnais que mon comportement était inapproprié et j’ai présenté des excuses à cet égard.

Je peux vous faire part des raisons pour lesquelles mon ton est parfois élevé : cela découle de ma passion pour le travail et du fait que j’ai éprouvé des difficultés à contenir ma frustration en raison de problèmes de santé mentale.

La maladie mentale, le stress et l’anxiété sont ma nouvelle réalité et je dois donc prendre avec diligence des mesures pour régler ces problèmes.

Je continuerai à suivre les recommandations des médecins et à m’assurer de prendre mon médicament.

[…]

Grâce au counseling, j’ai cherché et continué à travailler à la mise en œuvre de stratégies pour améliorer ma santé mentale et apprendre à contenir cette frustration et à m’exprimer de manière diplomatique.

Mme Korngold Wexler, avocate, l’a reconnu dans son rapport final.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[124] Le fonctionnaire a reçu un courriel du conseiller principal en relations de travail de Parcs Canada le 14 septembre 2018, l’invitant à une réunion le 28 septembre 2018. À la réunion, M. Picher a remis au fonctionnaire la lettre suivante :

[Traduction]

M. Ronca,

La présente lettre servira à rendre ma décision à la suite de l’audience prédisciplinaire tenue le 27 août 2018. Au cours de cette réunion, nous avons discuté de la plainte de harcèlement déposée par votre gestionnaire le 23 août 2017, de l’enquête menée par [M.K‑W] et de vos actes pendant et après l’enquête. Vous étiez représenté par Denis McCarthy, du Syndicat des employées et employés nationaux, et j’étais accompagné de Nathalie Gauthier, conseillère principale en relations de travail.

Lors de notre rencontre, vous avez indiqué que vous étiez passionné par la sécurité, soit la raison pour laquelle vous réagissez parfois de manière excessive. Vous n’avez pas démontré que vous assumiez la responsabilité de vos actes, et vous ne semblez pas non plus comprendre la gravité de votre comportement inapproprié, ni l’incidence que cela a eue sur vos collègues et la réputation de l’Agence auprès d’autres intervenants.

J’ai examiné attentivement tous les renseignements dont je dispose et je ne peux que conclure que le lien de confiance qui est fondamental à la relation d’emploi a été irrémédiablement rompu. Cette confiance est essentielle pour exécuter en toute sécurité les fonctions de votre poste.

De plus, votre conduite délibérée a révélé un profond mépris pour le Code de valeurs et d’éthique de Parcs Canada, les principes selon lesquels les membres de l’équipe de Parcs Canada s’acquittent de leurs rôles et de leurs responsabilités et qui font partie des modalités de votre emploi à l’Agence. Ce comportement est inacceptable et ne saurait être cautionné ou toléré.

Afin de déterminer la mesure disciplinaire, j’ai tenu compte de vos années de service et de votre dossier disciplinaire vierge en tant que facteurs atténuants. J’ai également réfléchi aux facteurs aggravants comme la gravité de votre inconduite, y compris votre comportement mal intentionné envers vos collègues, votre manque de remords et votre incapacité manifeste d’assumer la responsabilité de vos actes.

Par conséquent, conformément aux pouvoirs qui me sont délégués en vertu de l’alinéa 13(1)a) de la Loi sur l’Agence Parcs Canada, je mets fin à votre emploi à compter du 22 mai 2018. Après avoir reçu la présente lettre, vous n’êtes plus tenu de vous présenter au travail.

[…]

 

[125] M. Picher a témoigné qu’il n’avait [traduction] « pas d’autres choix » que de licencier le fonctionnaire en raison du stress et de la tension qu’il avait créés au lieu de travail.

[126] M. Bernier, M. Moore et M. Harris ont tous témoigné au sujet d’un changement immédiat du milieu de travail après la suspension et le licenciement du fonctionnaire. La tension créée par les divergences d’opinions du fonctionnaire au sujet des protocoles de sécurité en plongée n’était plus présente et, une fois de plus, tous les plongeurs avaient un sentiment de collégialité et de confiance.

[127] M. Bernier, qui a depuis pris sa retraite, a exprimé de profondes inquiétudes dans son témoignage au sujet de la perspective du retour du fonctionnaire dans l’EAS. La nature du travail est telle que les vies dépendent de la confiance que chaque membre de l’équipe doit accorder aux autres membres de l’équipe. M. Bernier estime que le fonctionnaire, par ses actes, a créé un climat de méfiance parmi ses anciens coéquipiers.

[128] M. Picher, M. Moore et M. Harris sont toujours employés à Parcs Canada. M. Moore et M. Harris sont toujours membres de l’EAS, et tous deux ont témoigné au sujet des mêmes inquiétudes que M. Bernier quant à la perspective de la réintégration du fonctionnaire dans ses fonctions.

[129] Charles Dagneau est un plongeur membre de l’EAS qui a travaillé avec le fonctionnaire pendant de nombreuses années avant le licenciement du fonctionnaire. M. Dagneau a témoigné de ce qu’il a appelé un degré de toxicité au sein de l’EAS qui était présent avant le licenciement du fonctionnaire et qui est toujours présent. Selon M. Dagneau, il semble y avoir deux camps : ceux qui ont appuyé le fonctionnaire et ceux qui n’ont pas appuyé le fonctionnaire, et il reste un certain degré d’animosité entre eux.

[130] M. Dagneau a témoigné au sujet d’une dernière interaction avec le cabinet de la ministre à l’été 2018. Il a décrit une zone protégée à proximité de Prescott, en Ontario, que l’EAS utilise pour des exercices de renouvellement annuel de la certification, et la ministre a de nouveau exprimé le désir d’accompagner l’EAS en plongée. Une plongée a été prévue pour le lieu. À titre de superviseur de plongée de cette plongée particulière, et puisqu’il était chargé des questions de sécurité, M. Dagneau a témoigné qu’il devait consulter le registre de plongée récent de la ministre pour évaluer la nature et la qualité de ses récentes plongées afin d’évaluer son aptitude à la plongée en question. M. Dagneau souhaitait également voir le certificat médical requis l’autorisant à plonger. Il a témoigné avoir demandé ces renseignements à la « direction » sans nommer une personne en particulier.

[131] M. Dagneau a témoigné qu’il avait [traduction] « suivi le courant » et qu’il avait autorisé la ministre à plonger avec l’EAS à la zone protégée de Prescott, même s’il n’avait pas vu son registre de plongée ni son autorisation médicale. Il a témoigné qu’il était parfaitement au courant de ce qui était arrivé au fonctionnaire dans des circonstances identiques, et il a dit expressément qu’il ne voulait pas que la même chose lui arrive.

[132] M. Dagneau a témoigné qu’il avait travaillé en étroite collaboration avec le fonctionnaire dans le passé. Ils s’entendaient très bien et il n’éprouverait aucune difficulté à travailler de nouveau avec lui à l’avenir.

[133] Alexandre Poudret‑Barré a témoigné par vidéoconférence de la France. Il était relativement nouveau dans l’EAS, l’ayant jointe en 2016. Il a témoigné au sujet des relations tendues au sein de l’EAS. Les renseignements n’étaient pas disponibles sur tous les projets, ce qui l’a amené à se sentir quelque peu exclu du processus décisionnel. Il a témoigné au sujet des conflits sur le manque d’échange de renseignements lors des réunions d’équipe, au cours desquelles tous les membres de l’équipe semblaient se disputer entre eux.

[134] M. Poudret‑Barré pouvait ressentir la tension entre le fonctionnaire et M. Bernier et entre le fonctionnaire et M. Harris et M. Moore. Lorsqu’ils ont plongé ensemble aux lieux de l’Arctique, M. Poudret‑Barré a entendu M. Harris et M. Moore discuter de manière irrespectueuse de la capacité du fonctionnaire. M. Poudret‑Barré était certifié en tant que technicien médical de plongée et il a travaillé à ce titre aux lieux de plongée de l’Arctique.

[135] Selon M. Poudret‑Barré, la perspective que la ministre plonge avec l’EAS a fait l’objet de nombreuses discussions au sein de l’EAS et a été à l’origine d’une grande tension. Ce témoin a affirmé que [traduction] « personne ne voulait qu’elle plonge avec l’EAS », mais il a dit qu’il avait interprété le message de la direction comme signifiant [traduction] « elle vient, quoi qu’il en soit ».

[136] M. Poudret‑Barré a témoigné qu’il n’avait pas été très satisfait des réunions de réconciliation tenues après le départ du fonctionnaire parce que chaque fois que la question concernant le licenciement du fonctionnaire était soulevée, on mettait fin à la conversation. Le thème des réunions était la façon d’améliorer l’environnement en milieu de travail, mais il a témoigné qu’il n’avait constaté que peu de progrès. En fait, son insatisfaction à l’égard de l’environnement du milieu de travail de l’EAS a commencé à toucher sa santé, et il a pris une période de congé de maladie en novembre 2019. Il a eu très peu à voir avec le bureau d’Ottawa à partir de ce moment-là jusqu’à son départ en mars 2020, date à laquelle lui et son épouse ont décidé de déménager à Masseube, en France. Il y demeure depuis lors.

[137] Carol Pillar est dessinatrice et artiste. Elle effectue de temps à autre des travaux contractuels pour Parcs Canada. Elle a travaillé en étroite collaboration avec le fonctionnaire dans le passé et l’a toujours considéré comme agréable lorsqu’elle travaillait avec lui. Elle a affirmé avoir travaillé avec lui à l’automne 2016, époque à laquelle elle avait reçu un contrat pour la création de dessins d’une carabine longue, qui est une arme à feu que l’EAS a récupérée de l’Erebus.

[138] Le fonctionnaire a témoigné au sujet de l’incidence dévastatrice de son licenciement sur sa vie professionnelle et personnelle. Sa dépression s’est aggravée, et il lui a fallu du temps pour trouver un autre emploi. Son épouse a modifié ses horaires de travail pour compenser la perte de revenu, et sa vie de famille a été perturbée. Il a témoigné qu’il n’avait pas pu acheter de cadeaux de Noël pour ses enfants cette année‑là, ce qui a exacerbé son état dépressif.

[139] Des documents qui décrivent le revenu brut total du fonctionnaire depuis son licenciement ont été déposés en preuve (pièces J‑1, vol. II, onglet 37 et E‑2). Il a témoigné que même si ses efforts pour atténuer les pertes financières peuvent être facilement quantifiables, d’autres facteurs importants doivent également être pris en compte, y compris sa pension de la fonction publique, qui a été grandement touchée depuis son licenciement. Il a témoigné qu’il était frustré de ne pas pouvoir utiliser sa formation et son expérience comme archéologue subaquatique. Il a également témoigné de l’incidence négative du licenciement sur ses activités de plongée, en ce sens qu’il ne plonge plus à des fins récréatives.

[140] Le fonctionnaire a témoigné de son souhait d’être réintégré dans ses fonctions. Il a investi un capital émotionnel et professionnel considérable pour atteindre un haut niveau de compétence en archéologie subaquatique, et il veut reprendre le travail dans son domaine choisi. Il n’y a tout simplement aucune autre organisation au Canada qui effectue le travail de l’EAS. Il a reconnu le risque de frictions au sein de l’EAS s’il retournait au travail, mais à son avis, cela ne serait pas insurmontable.

IV. Argumentation finale de l’employeur

[141] L’employeur a souligné certains aspects de la preuve qui indiquent que le fonctionnaire avait un comportement inacceptable en milieu de travail et que ses relations avec de nombreux coéquipiers étaient tendues. Tous les témoins cités à témoigner par l’employeur ont décrit une tendance de comportement qui semblait entraîner de plus en plus le fonctionnaire à entrer en conflit avec ses coéquipiers.

[142] M. Bernier estimait que le fonctionnaire était difficile à gérer. Il a interprété les actes du fonctionnaire comme visant à saper son autorité.

[143] L’employeur a invoqué Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P‑162, [1977] 1 Can. L.R.B.R. 1 (« Scott ») (recueil de jurisprudence de l’employeur, onglet 1), pour avoir énoncé les [traduction] « […] trois questions distinctes dans le grief typique de licenciement ». La page 13 de cette décision énonce ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Premièrement, l’employé a‑t‑il donné à l’employé un motif juste et raisonnable de prendre une mesure disciplinaire? Le cas échéant, la décision de l’employeur de congédier l’employé était‑elle excessive dans l’ensemble des circonstances de l’affaire? Enfin, si l’arbitre est d’avis que le renvoi est excessif, quelle autre mesure juste et équitable peut‑on y substituer?

[…]

 

[144] L’employeur s’est ensuite concentré sur la définition de « harcèlement » prévue dans une politique de Parcs Canada (pièce J‑1, onglet 5, page 240) et a fait remarquer qu’un libellé de politique semblable était présent dans Joss c. Conseil du Trésor (Agriculture et Agroalimentaire Canada), 2001 CRTFP 27, au paragraphe 59, comme suit :

[59] Bref, pour qu’on puisse conclure à ce genre de harcèlement au sens de la Politique sur le harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor, il faut qu’il y ait 1) un comportement malséant, 2) que ce comportement vise le plaignant, 3) qu’il soit blessant pour celui‑ci, 4) que son auteur en connaissait l’importunité ou aurait dû la connaître, 5) que le comportement humilie, rabaisse ou embarrasse personnellement le plaignant et 6) que ce soit un propos, une action ou une exhibition ayant cet effet une fois ou continuellement. Par conséquent, lorsque le harcèlement n’est pas sexuel, il ne suffit pas que le comportement soit malséant et que son auteur ait su ou aurait dû savoir qu’il était importun; la personne visée par le comportement doit le considérer comme blessant, et le comportement lui‑même doit être répréhensible parce qu’il humiliait, rabaissait ou embarrassait personnellement la victime. Il s’ensuit que le harcèlement non sexuel doit être prouvé à la fois objectivement et subjectivement. Le critère objectif, c’est que le comportement doit être malséant et humiliant, rabaissant ou embarrassant personnellement pour la victime, et le subjectif, que la victime ou la personne visée par le comportement doit l’avoir considéré comme blessant pour une de ces raisons.

 

[145] L’employeur a soutenu que le comportement du fonctionnaire répondait aux critères objectifs et subjectifs de harcèlement. M. Bernier a longuement témoigné au sujet des répercussions du comportement du fonctionnaire et il ne devrait pas y avoir de doute qu’il s’est senti harcelé. Il a été fait référence au témoignage de M. Bernier au sujet de la réunion du 22 août 2017 au cours de laquelle il n’avait jamais vu une telle colère envers lui.

[146] En ce qui concerne l’élément objectif du critère, l’employeur a souligné la distinction subtile entre les désaccords normaux liés au travail et le harcèlement en milieu de travail. Objectivement, contester une décision de son gestionnaire est répréhensible. Le cas Children’s Hospital of Eastern Ontario v. Ontario Public Service Employees’ Union (2015), 260 L.A.C. (4th) 147 (« CHEO »), énonce ce qui suit aux paragraphes 109 à 111 :

[Traduction]

109 Le comportement de la plaignante dans le présent cas n’est pas le type habituel de cris ou d’insultes qui est communément reconnu comme du harcèlement personnel. Toutefois, le caractère subtil de la conduite ne milite pas contre une conclusion de harcèlement. Que les commentaires ou la conduite soient subtils ou qu’il s’agisse d’un comportement passif non verbal, la conclusion d’un harcèlement ne dépend que de la question de savoir si la conduite est vexatoire et si la personne savait ou aurait dû savoir que ladite conduite était malvenue.

110 En l’espèce, je conclus que la conduite de la plaignante était vexatoire. Je vois la logique de la suggestion du syndicat selon laquelle il faut être prudent lorsqu’il s’agit de conclure à un harcèlement sur la base de la personnalité d’une personne, parce qu’il est inévitable qu’il y ait une multitude de personnalités en milieu de travail. Cependant, la personnalité n’est pas une défense contre le harcèlement. On s’attend à ce que les gens se comportent conformément aux règles de conduite en milieu de travail, et non à leur façon préférée de traiter avec les gens. En l’espèce, la plaignante savait manifestement comment se comporter d’une manière qui était encourageante et respectueuse. La plupart des témoins ont affirmé qu’ils l’avaient vue se comporter de façon positive envers certaines personnes à un moment donné.

111 Il ressort également clairement des éléments de preuve que si une personne adoptait une position ou un point de vue que la plaignante n’appuyait pas, ou même si quelqu’un était amical avec une telle personne, sa réponse était d’agir de manière intimidante et ostracisante. Même si la plaignante a fourni une quantité excessive d’éléments de preuve sur les raisons de toutes ses préoccupations liées au milieu de travail, il est tout simplement inapproprié de traiter les désaccords en milieu de travail de cette façon. Le problème n’est pas qu’elle avait des préoccupations, mais plutôt la façon dont elle traitait ses collègues […]

 

[147] L’employeur a souligné l’importance de la dernière phrase de ce paragraphe. Ce qui compte vraiment dans le présent cas, ce ne sont pas les raisons liées à la sécurité qui sous‑tendent les actes du fonctionnaire, mais la façon dont il a présenté ces raisons. L’employeur a soutenu qu’une personne raisonnable qui étudie la question de manière objective conclurait que la conduite du fonctionnaire consistant à dénigrer M. Bernier et à contester ses décisions en matière de dotation était répréhensible et qu’elle justifiait une réponse disciplinaire.

[148] Selon l’employeur, la composante subjective du harcèlement est facilement établie par le témoignage de M. Bernier. Il craignait pour sa sécurité. Il a témoigné quant aux problèmes de santé qui ont raccourci sa carrière.

[149] L’explication du fonctionnaire de ce comportement ne constituait pas une défense. Le fait d’invoquer des préoccupations en matière de santé et de sécurité ne justifie pas le harcèlement d’un collègue. L’employeur a fait référence de nouveau à CHEO, au paragraphe 110, qui énonce ce qui suit : [traduction] « […] la personnalité n’est pas une défense contre le harcèlement. »

[150] L’employeur a qualifié de faux‑fuyants les nombreuses références à la Directive sur les plongées et à la description de travail, parce que la question ne consiste pas à savoir la raison pour laquelle le fonctionnaire a fait ce qu’il a fait, mais comment il l’a fait.

[151] Dans l’analyse finale, l’employeur a fait valoir que les préoccupations du fonctionnaire en matière de sécurité n’avaient pas beaucoup de sens, étant donné l’expérience de l’EAS en plongée aux lieux de l’Arctique et de l’incapacité de l’ASP d’assister à chaque plongée, compte tenu du nombre de projets qui étaient en cours. Il était impossible pour l’ASP d’être présent à chaque plongée.

[152] Pour ce qui est de l’analyse effectuée dans Scott visant à déterminer si la mesure disciplinaire était excessive, l’employeur a soutenu que les actes du fonctionnaire constituaient une inconduite grave. La tendance de comportement était continue, et son incidence cumulative sur M. Bernier et le milieu de travail était très grave. Les paragraphes 122 et 123 de CHEO énoncent ce qui suit :

[Traduction]

122 […] Sur le spectre du harcèlement, la conduite de la plaignante ne semble se situer qu’au bas de l’échelle si chaque incident est pris en compte par lui‑même. Toutefois, l’importance et l’incidence de l’inconduite de la plaignante ont été amplifiées par sa nature insidieuse et soutenue. L’incidence cumulative de son comportement était si importante qu’elle a créé une situation où les gens ont commencé à douter de leurs propres capacités et de leur valeur, et étaient mal à l’aise d’exprimer leurs propres points de vue par crainte de sa réaction ou d’un genre de comportement de représailles de sa part. Ils ont décrit cette situation comme « marcher sur des œufs » ou être « dans une relation abusive ». En outre, il ne s’agissait pas d’un ou de deux incidents de comportement mal avisé, mais plutôt d’une tendance de conduite sur un certain nombre d’années à l’égard d’un groupe de personnes dont la « cible » changeait et s’élargissait. L’incidence du comportement de la plaignante est mieux illustrée par le fait que les préoccupations de ses collègues englobaient leur sécurité physique. Même si je conclus qu’il n’y a absolument aucune preuve à l’appui de telles préoccupations, j’accepte le fait que ses collègues aient honnêtement eu ces préoccupations. Cela indique à quel point le comportement de la plaignante et l’ampleur du sentiment de crainte et d’incertitude que leur a inspiré son comportement ont eu une incidence profonde sur ces personnes.

123 L’effet cumulatif de cette tendance de comportement soutenu a été la création d’un environnement de travail toxique où le personnel l’évitait complètement ou se sentait comme s’ils ne pouvaient pas exprimer leurs points de vue sur les questions dont ils étaient censés discuter, à savoir les soins aux patients et les processus en milieu de travail […]

 

[153] De même, l’employeur a invoqué Peterborough Regional Health Centre v. O.N.A. (2012), 219 L.A.C. (4th) 285, au paragraphe 108, dans laquelle il est affirmé que [traduction] « [i]l est axiomatique que l’intimidation et les brimades ne doivent pas être tolérées en milieu de travail ». Au paragraphe 115, on peut lire ceci :

[Traduction]

115 En l’espèce, les actes de la plaignante étaient extrêmement subtils et, en ce sens, extrêmement insidieux. L’intimidation et le harcèlement peuvent consister en un seul incident, ou en une série d’incidents répétés qui peuvent avoir une incidence importante sur la victime du comportement […]

 

[154] Dans Teck Coal Ltd. v. U.S.W., Local 7884 (2021), 332 L.A.C. (4th) 155 (« Teck Coal »), un comportement semblable à celui de la fonctionnaire dans le présent cas était en litige. La décision énonce ce qui suit aux paragraphes 28 et 29 :

[Traduction]

28 […] le syndicat cherche à excuser la conduite du plaignant au motif que le plaignant ne faisait que soulever des préoccupations en matière de sécurité concernant la conduite auprès de ses collègues. En effet, le syndicat affirme que la politique de l’entreprise encourage les employés à discuter de telles préoccupations entre eux. En ce qui concerne la conduite du plaignant à l’égard de Mme Power et Mme Charbonneau, la défense clé du syndicat est le fait que le plaignant n’avait pas l’intention d’humilier, de harceler ou d’intimider ces personnes. Il dit que la conduite du plaignant n’a pas atteint le niveau du harcèlement parce qu’il n’y avait aucune intention de harceler. Le syndicat prétend que, parce que le plaignant est un homme de grande taille, sa conduite envers autrui peut être perçue comme plus intimidante et agressive qu’il ne le souhaite.

29 Je ne peux pas accepter ces défenses. En ce qui concerne la discussion des incidents de sécurité avec d’autres employés, l’argument du syndicat a absolument raté la cible. Le problème des interactions entre le plaignant et Mme Nichols et M. Grasdal n’est pas l’objet des discussions, mais plutôt la façon dont elles ont été menées […]

 

[155] L’employeur a attiré l’attention sur la nature répétitive de l’inconduite du fonctionnaire au cours d’une certaine période et a fait référence à des incidents survenus avant l’été 2017.

[156] L’employeur a cité Canadian National Railway Company v. Teamsters Canada Rail Conference (2022), 338 L.A.C. (4th) 268 (« CNR »), à titre d’exemple d’une inconduite grave ayant entraîné le licenciement.

[157] De même, l’employeur a soutenu que dans Teck Metals Ltd. (Trail Operations) v. United Steelworkers, Local 480 (2015), 254 L.A.C. (4th) 333 (« Teck Metals »), qui portait sur un comportement qui consistait en une contestation agressive de l’autorité de gestion, un congédiement n’a pas été jugé excessif.

A. En ce qui concerne la question des représailles pour avoir lancé une enquête en vertu du CCT

[158] En ce qui concerne le grief portant sur de prétendues représailles pour avoir lancé l’enquête en vertu du CCT, l’employeur a fait valoir qu’il n’y avait aucun lien entre le licenciement et les enquêtes en vertu du CCT. Le cas Burlacu c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2022 CRTESPF 51, au paragraphe 96, énonce les principes analytiques comme suit :

[96] […]

1. Le plaignant a‑t‑il observé les dispositions de la partie II du Code ou cherché à les faire appliquer (article 147)?

2. Le défendeur a‑t‑il pris contre le plaignant une mesure interdite par l’article 147 du Code (articles 133 et 147)?

3. Existe‑t‑il un lien direct entre a) la mesure prise contre le plaignant et b) l’observation des dispositions de la partie II du Code ou le fait de chercher à assurer l’application de ces dispositions?

 

[159] Le fardeau de la preuve incombait directement au fonctionnaire qui, selon l’employeur, ne s’est pas acquitté de ce fardeau. Il a légitimement lancé une enquête sur l’inconduite alléguée. La simultanéité de l’enquête et des questions concernant le CCT ne créait pas, en soi, un lien.

[160] L’employeur a invoqué Ouimet c. VIA Rail Canada Inc., 2002 CCRI 171, au paragraphe 56, pour l’utilisation du cadre analytique suivant dans un tel cas :

[56] En outre, le rôle du Conseil n’est pas de déterminer si le degré de discipline était juste, ni même si l’employeur avait juste cause pour imposer quelque mesure disciplinaire que ce soit, comme pourrait le faire un arbitre dans une procédure de grief selon la convention collective, mais d’être convaincu que l’action de l’employeur n’est pas entachée de représailles envers le plaignant […]

 

[161] L’employeur a soutenu que ce cas est semblable à Anderson c. IMTT‑Québec Inc., 2011 CCRI 606, qui concernait un plaignant qui a (au par. 10) « […] expliqu[é] qu’il a voulu faire ressortir les faiblesses des directeurs avec qui il travaille en ce qui concerne la santé et la sécurité sur le site de l’entreprise, ce qui a conduit à des relations interpersonnelles très acrimonieuses entre les cadres ».

[162] Le plaignant dans Anderson avait exercé un droit en vertu de la partie II du CCT le 26 mars 2009 et avait été licencié le 2 avril 2009. Le Conseil canadien des relations industrielles a conclu (au par. 85) que « [l]a prépondérance de la preuve indique qu’il n’a pas été suspendu ou congédié en raison de la dénonciation concernant la dangerosité potentielle du lampadaire, mais bien pour son comportement antérieur à cet événement et pour les gestes qu’il a posés par la suite ».

[163] Par conséquent, l’employeur a soutenu que même la nature simultanée d’une plainte et d’une mesure disciplinaire ne suffisait pas à créer un lien entre ces événements.

[164] L’employeur a soutenu que le grief relatif aux représailles en vertu du CCT devrait être rejeté en conséquence.

B. En ce qui concerne la question de la réintégration dans ses fonctions

[165] Enfin, l’employeur a soutenu que si la Commission conclut que le licenciement n’était pas justifié, la réintégration n’est pas appropriée dans les circonstances. Le cas Lâm c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada), 2011 CRTFP 137, appuie la proposition selon laquelle les arbitres de grief ont la compétence d’accorder une indemnité au lieu d’une réintégration, s’ils le jugent approprié dans les circonstances. Afin de rendre cette décision, la Commission a le droit d’examiner la conduite non disciplinaire du fonctionnaire, conformément à Bahniuk c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 107, aux paragraphes 356 et 357, qui se lisent comme suit :

356 Quels sont donc les facteurs à prendre en considération pour déterminer si la relation de travail est viable? Comme l’a mentionné l’employeur, le critère le plus couramment accepté est celui établi dans DeHavilland. Dans cette décision, après avoir examiné plusieurs décisions, l’arbitre de grief a établi les facteurs suivants [traduction] « sans ordre de priorité » au paragraphe 5 de la décision :

[Traduction]

1. Le refus des collègues de travailler avec le fonctionnaire.

2. La rupture du lien de confiance entre le fonctionnaire et l’employeur.

3. L’incapacité ou le refus du fonctionnaire d’accepter la responsabilité de ses fautes.

4. Le comportement et l’attitude du fonctionnaire à l’audience.

5. L’animosité que le fonctionnaire nourrit à l’égard de la direction ou de ses collègues.

6. Le risque de créer un climat de travail malsain.

357 L’employeur a cité NAV Canada v. I.B.E.W., Local 2228 (Coulter) (2004), 131 L.A.C. (4e) 429. Dans cette décision, l’arbitre de différend a déclaré ce qui suit au paragraphe 16, après avoir mentionné les facteurs établis dans DeHavilland :

[Traduction]

Il y a certainement d’autres facteurs, car ceux énumérés ne sont que des exemples d’un principe généralement compris comme suit : quand la relation entre le fonctionnaire et son employeur n’est plus viable, car elle a été si endommagée qu’elle ne peut plus être réparée, il ne convient pas d’ordonner la réintégration du fonctionnaire, même si le congédiement ne satisfait pas à la norme du motif valable.

 

[166] L’employeur a soutenu que dans le présent cas, M. Bernier, M. Picher, M. Moore et M. Harris se sont tous opposés catégoriquement au retour du fonctionnaire au sein de l’EAS. Le travail est tellement dangereux qu’un niveau élevé de confiance est nécessaire entre tous les coéquipiers, et le fonctionnaire a irrémédiablement rompu ce lien de confiance. Ces plongeurs ne font tout simplement pas confiance à son jugement.

[167] M. Bernier a déjà pris sa retraite, mais M. Moore et M. Harris ont tous deux déclaré qu’ils envisageraient de quitter Parcs Canada si le fonctionnaire était réintégré dans ses fonctions. Même les plongeurs qui ont dit qu’ils travailleraient de nouveau avec le fonctionnaire, comme M. Dagneau, ont dit qu’il serait [traduction] « choquant et perturbant » de réintégrer le fonctionnaire au sein de l’EAS.

[168] Des cas comme CHEO et Peterborough Regional Health Centre constituent des précédents fiables quant à l’importance d’examiner minutieusement la nature du milieu de travail lorsqu’on envisage la réintégration. Dans ces cas, le milieu hospitalier était un environnement semblable, car le travail d’équipe et la coopération sont essentiels pour assurer des soins appropriés aux patients.

V. Argumentation finale du fonctionnaire

[169] Le fonctionnaire a soutenu que les événements en question constituaient tous un exercice légitime de son devoir, compte tenu de son poste d’ASP, de soulever des questions de sécurité et de défendre fermement le bien‑être de l’EAS.

[170] Le fonctionnaire a soutenu qu’une personne raisonnable, qui étudie la question de manière objective, ne conclurait pas que sa conduite lors de ses réunions ou discussions avec M. Bernier équivalait à du harcèlement. Les perceptions de M. Bernier, y compris son sentiment selon lequel le fonctionnaire devenait [traduction] « de plus en plus en colère » au cours de l’appel du 11 juillet 2017 ou qu’il avait [traduction] « du feu dans les yeux » lors de la réunion du 22 août 2017, étaient très subjectives. Dans Cara Operations Ltd. (c.o.b. Toronto Flight Kitchen) v. Teamsters Chemical, Energy and Allied Workers Union, Local 647 (2005), 141 L.A.C. (4th) 266 (« Palmieri »), l’importance d’une évaluation objective était en litige. L’arbitre a déclaré ce qui suit aux paragraphes 18 à 20 :

[Traduction]

18 L’arbitre Shime a défini l’abus et le harcèlement en milieu de travail dans Stina, à la p. 241, que j’adopte aux fins de l’affaire dont je suis saisi, comme suit :

Définitions d’abus et de harcèlement

Les conduites abusives comprennent les mauvais traitements physiques ou mentaux et l’abus de pouvoir. Il s’agit également d’un comportement qui s’écarte d’une conduite raisonnable.

Le harcèlement comprend les mots, les gestes et les actes qui ont tendance à agacer, blesser, abuser, tourmenter, importuner, persécuter, déranger et embarrasser une autre personne, ainsi que le fait de soumettre une personne à des attaques, des questions, des exigences ou d’autres désagréments vexatoires. Un acte unique, qui a un effet nocif, peut également constituer du harcèlement.

19 La définition ci‑dessus indique qu’une norme objective doit être appliquée pour déterminer si des abus et/ou du harcèlement en milieu de travail ont été commis, par opposition aux impressions subjectives de la victime présumée. Cela est conforme à l’arrêt de principe de la Cour suprême du Canada, Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, dans lequel le juge en chef Dickson a adopté un critère objectif à la définition de harcèlement sexuel à la p. 375 […]

20 J’adopte donc ce qui précède comme fondement de la proposition selon laquelle je dois évaluer objectivement les éléments de preuve afin de déterminer si un harcèlement en milieu de travail a eu lieu. Par conséquent, même si la plaignante croyait qu’elle était victime d’un tel harcèlement et qu’elle a subi de réelles conséquences médicales, ses perceptions et leur résultat ne suffisent pas, en soi, à étayer une conclusion de harcèlement.

 

[171] Le fonctionnaire a soutenu que le contexte du milieu de travail est extrêmement important. Les plongeurs discutent tout le temps des questions de sécurité. En sa qualité d’ASP, il avait le devoir de les présenter aux fins de discussion. Il travaillait à Parcs Canada depuis plus de 17 ans, et on ne lui a jamais parlé de la façon dont il présentait les préoccupations en matière de sécurité et on ne l’a pas réprimandé à cet égard. En ce qui concerne sa divergence d’opinions avec M. Bernier, le fonctionnaire a simplement fait ce qu’il avait toujours fait, et il l’a fait de la même façon.

[172] Le fonctionnaire ne souscrivait pas à l’argument de l’employeur selon lequel une grave inconduite avait eu lieu. Rien dans ses actes n’était prémédité ou répétitif. Le fonctionnaire parlait toujours de questions de sécurité parce que son travail l’exigeait. Il n’a pas formulé de menaces n’a pas proféré de grossièretés , n’a pas été impoli et n’a pas proféré d’insultes.

[173] Le fonctionnaire ne souscrivait pas à l’affirmation de l’employeur selon laquelle son courriel daté du 23 avril 2018 portait atteinte aux droits à la vie privée de M. Bernier. Le site Web du gouvernement du Canada portant sur les atteintes importantes à la vie privée énonce, en partie, ce qui suit :

[…] Une atteinte substantielle à la vie privée présente le risque d’impact le plus élevé et est définie ainsi :

· elle concerne des renseignements personnels sensibles; et

· on peut raisonnablement penser qu’elle risque de causer un préjudice ou un dommage sérieux à la personne […]

Les « renseignements personnels sensibles » sont notamment les suivants :

· renseignements médicaux, psychiatriques ou psychologiques […]

[…]

Une atteinte « cause un préjudice sérieux à la personne » dans les cas suivants :

[…]

· Dommages ou embarras durables qui auront des effets négatifs directs sur […] la carrière de la personne, sa réputation, sa situation financière, sa sécurité, sa santé ou son bien‑être.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[174] Le fonctionnaire a soutenu que le courriel fourni par M. Bernier au Comité de plongée ne contenait rien de plus que des précautions et des recommandations en matière de sécurité en plongée connues de tous, que l’EAS connaissait déjà bien. Le fonctionnaire a fait valoir que rien dans ce courriel ne pouvait raisonnablement avoir causé un préjudice grave à M. Bernier ou à quiconque au moment de sa divulgation.

[175] Le fonctionnaire a accepté les critères énoncés dans Scott comme cadre analytique et a soutenu que le premier critère n’a pas été satisfait. Rien dans son comportement lors des discussions ou des réunions ne peut être interprété comme du harcèlement. La série de réunions n’indiquait aucunement une tendance de comportement abusif, comme l’a soutenu l’employeur. Il s’agissait de discussions distinctes sur le même sujet.

[176] Le fonctionnaire a soutenu que, subsidiairement, si son comportement est jugé avoir constitué du harcèlement, la sanction imposée était disproportionnellement sévère. Il a cité Upper Grand District School Board v. Canadian Union of Public Employees, Local 256, [2004] C.L.A.D. No. 282 (QL), qui portait sur un concierge d’école dont la suspension de 10 jours pour s’être livré à ce qui a été décrit comme un comportement « extrêmement abusif » a été réduit à deux jours. Lorsqu’on lui a demandé de ne pas utiliser de vinaigre dans une machine à laver, il a dit ceci : [traduction] « J’utiliserai tout ce que tu veux, Bridgitte, je vais même pisser dans la machine. » Le concierge avait des antécédents disciplinaires, y compris des suspensions.

[177] Dans Ajax Pickering Transit Authority v. Canadian Union of Public Employees Local 129‑01 (2003), 123 L.A.C. (4th) 51, un opérateur de transport en commun a été suspendu et peu après, il a été licenciement pour avoir dit : [traduction] « Que dois‑je faire pour être entendu ici, entrer et tirer sur quelqu’un? »

[178] Selon le fonctionnaire, il s’agissait là d’un comportement bien pire. Aucune menace de quelque nature que ce soit, manifeste ou non, n’a jamais été prononcée par le fonctionnaire. Il a été choqué, surpris et déçu d’apprendre, à l’audience, les craintes de M. Bernier pour sa sécurité. Le fonctionnaire a fait valoir que rien dans les éléments de preuve n’aurait pu donner lieu à une telle crainte. Il s’agissait d’une réaction déraisonnable et disproportionnée de la part de M. Bernier.

[179] Dans Canada Safeway Ltd. v. United Food and Commercial Workers, Local 401, [2003] A.G.A.A. No. 60 (QL), un employé a été licencié pour s’être mis en colère au cours d’une discussion sur les congés. Des mots ont été échangés, puis il a légèrement poussé son superviseur sur les épaules avec les paumes de ses mains. Il avait un dossier disciplinaire et avait été suspendu pour un incident semblable deux mois plus tôt. Il a été réintégré dans ses fonctions à la condition qu’il suive une formation sur la gestion de la colère. Le fonctionnaire a soutenu que cette inconduite était également beaucoup plus grave parce qu’il n’y avait même jamais eu de signe de violence dans les interactions avec M. Bernier.

[180] Dans Canada Post Corp. v. Canadian Union of Postal Workers, [2016] C.L.A.D. No. 189 (QL) (« Canada Post »), un travailleur des postes ayant des antécédents de suspensions a été licencié pour harcèlement et intimidation. L’employé a été licencié pour avoir commis les actes qui suivent au cours d’un seul quart de travail :

· proférer des injures à l’égard d’autres employés;

· appeler des collègues « bébés », en disant ce qui suit : [traduction] « Je pense que je vais me rendre chez Walmart et leur acheter des Kleenex », et plus tard, approcher un des collègues avec une boîte de Kleenex et dire [traduction] « Ne pleure pas trop sur le fait que je constitue un obstacle »;

· demander à ce collègue de donner une boîte de Kleenex à un autre collègue qu’il considérait comme un « bébé ».

 

[181] Dans Canada Post, quatre autres suspensions disciplinaires avaient été imposées au cours des 12 mois précédant le quart qui a entraîné le licenciement. La page 1 de la décision décrit les suspensions précédentes :

[Traduction]

[…] une suspension d’un jour pour une absence non autorisée de son poste de travail; une suspension de deux jours pour avoir fait des commentaires inappropriés à son superviseur; une suspension de trois jours pour le retard du courrier; et une suspension de cinq jours pour un comportement inapproprié sur le lieu de travail. Ces suspensions ont été imposées dans les 12 mois avant son licenciement […]

 

[182] Malgré un facteur aggravant aussi important, le fonctionnaire a fait remarquer que l’employé dans Canada Post a été réintégré dans ses fonctions et que son licenciement a été remplacé par une sanction consistant en une suspension d’un mois. Le fonctionnaire a fait valoir qu’il n’avait jamais été sarcastique et qu’il n’avait ni dénigré ni humilié M. Bernier. Le fonctionnaire n’avait pas non plus de dossier disciplinaire, contrairement à l’employé dans Canada Post. De la même façon, le fonctionnaire a soutenu qu’il devrait être réintégré dans ses fonctions.

[183] Dans Cyr c. Agence Parcs Canada, 2016 CRTEFP 111, un employé saisonnier en poste depuis 30 ans a éprouvé des problèmes de santé nécessitant des mesures d’adaptation et a été informé qu’il serait mis en congé de maladie pour une durée indéterminée. Il a fait ce qui suit (au par. 27) :

[27] […] s’était emporté immédiatement, en criant que l’employeur allait payer, qu’il ferait du grabuge, qu’il prendrait son bateau pour faire le tour des îles et déranger les visiteurs en jouant de la musique très fort. Quand Mme Chrétien a tenté de le calmer en lui disant qu’il y avait différentes options à envisager, il s’est retourné contre elle, l’a insultée, et lui a dit : « Tu vas me payer ça ma calice mec qu’tu reviennes au Havre [sic pour l’ensemble de la citation]. » Le ton était si coléreux que ces mots ont fait peur à Mme Chrétien, pourtant aguerrie aux réactions d’employés qui n’aiment pas toujours ce que les ressources humaines ont à leur communiquer.

 

[184] Le décideur dans Cyr a jugé la suspension de 10 jours excessive parce que même si l’employeur a reconnu qu’un dossier disciplinaire vierge constituait un facteur atténuant, il n’a pas tenu compte du contexte dans lequel le fonctionnaire s’était mis en colère. Le fonctionnaire a soutenu que dans le présent cas, aucun accès de colère n’a eu lieu et aucune injure n’a jamais été utilisée. Il a fait valoir que plus important encore, l’employeur n’a pas tenu compte du contexte dans lequel l’inconduite a eu lieu. L’employeur est allé jusqu’à qualifier de « faux‑fuyant » le contexte dans lequel se sont déroulées les discussions entre M. Bernier et le fonctionnaire.

[185] Le fonctionnaire a fait valoir que le contraire est vrai. Le contexte est primordial. Le fonctionnaire ne faisait que son travail, discutant des questions de sécurité.

[186] Le fonctionnaire a soutenu que tous les cas cités par l’employeur à l’appui du licenciement présentaient un comportement bien pire que celui dont il a fait preuve. Dans Lâm, même une agressivité continue et persistante n’était pas suffisante pour justifier le licenciement. Le fonctionnaire a fait valoir que, compte tenu des précédents offerts par la jurisprudence, un avertissement verbal ou écrit aurait dû lui être imposé.

[187] Le fonctionnaire a soutenu qu’il n’était pas le seul responsable de la tension en milieu de travail, puisque beaucoup d’autres choses avaient lieu à l’époque. M. Dagneau et M. Poudret‑Barré ont tous deux décrit une certaine animosité continue au sein de l’équipe. Plus particulièrement, la persistance de la ministre à accompagner l’EAS lors d’une plongée sur le lieu d’Erebus a créé une grande tension dans le milieu de travail, et on ne devrait pas reprocher au fonctionnaire de s’être acquitté de son devoir d’ASP consistant à s’opposer au plan de la ministre.

[188] En ce qui concerne les circonstances atténuantes, le fonctionnaire a soutenu qu’un poids important aurait dû être accordé à son dossier disciplinaire vierge. Pendant toutes ses années à titre d’ASP, dans des situations où ses décisions en tant qu’ASP ont donné lieu à des tensions en milieu de travail (la décision de refuser l’autorisation de plonger pour des raisons médicales à la conjointe de M. Boyer, par exemple), on ne lui a jamais dit que son ton ou sa position étaient inappropriés. Comment le licenciement pourrait‑il être justifié alors qu’il faisait tout simplement ce qu’il avait toujours fait? Il a soutenu que l’affirmation de M. Picher selon laquelle il n’avait [traduction] « pas d’autre choix » que de licencier le fonctionnaire était absurde. Si un comportement est jugé inapproprié, la direction peut non seulement en parler à l’employé, mais elle devrait aussi le faire. Le licenciement ne devrait pas constituer le premier plan d’action.

[189] Le contexte dans lequel le désaccord entre M. Bernier et le fonctionnaire a surgi doit être pris en compte en tant que facteur atténuant. Toute l’équipe était au courant des décès qui ont eu lieu dans le passé, et tout le monde savait que le fonctionnaire, en sa qualité d’ASP, avait le devoir d’assurer le respect des pratiques de plongée sécuritaires.

[190] Les tentatives du fonctionnaire de trouver un moyen d’amorcer le processus de règlement des conflits le 1er août 2017 doivent également être considérées comme un facteur atténuant important. Il cherchait une solution pacifique et ne cherchait pas à aggraver le conflit. Dans ses communications avec M. Picher, il a souvent mentionné sa volonté de participer à un processus de résolution informelle des conflits.

[191] De toute évidence, l’employeur ne se préoccupait pas de la capacité du fonctionnaire à effectuer son travail parce qu’il l’a envoyé au lieu de Red Bay en octobre 2017. Le fait qu’il ait continué à lui faire confiance, malgré l’enquête sur le harcèlement en cours, devrait être pris en compte en tant que facteur atténuant.

[192] Le fonctionnaire a soutenu que sa collaboration et son honnêteté tout au long de l’enquête sur le harcèlement constituent un autre facteur atténuant. Il n’était ni argumentatif ni défensif; il a simplement déclaré à maintes reprises qu’en tant qu’ASP, il avait le devoir d’assurer le respect des pratiques de plongée sécuritaires.

[193] Le fonctionnaire a soutenu que la perception de M. Picher selon laquelle il n’avait pas de remords n’est pas corroborée par les éléments de preuve. Il a assumé, à maintes reprises dans sa correspondance, sa part du blâme pour la tension en milieu de travail à la suite des décisions qu’il a dû prendre à titre d’ASP. Il aurait présenté des excuses en personne à M. Bernier, conformément à son témoignage, mais on lui avait dit de ne pas l’approcher.

[194] M. Picher a témoigné qu’il estimait qu’il n’avait pas d’autre choix que de licencier le fonctionnaire en raison de son incidence sur l’équipe. Il s’agissait d’une déclaration absurde et illogique, parce que la seule raison pour laquelle le fonctionnaire s’est trouvé en désaccord avec M. Bernier en premier lieu était attribuable à ses obligations en tant qu’ASP. Il convient de noter que tous les témoins de l’employeur ont témoigné d’une amélioration de l’équipe après que le poste d’ASP a été aboli et que la sécurité des plongées est devenue une responsabilité collective. Le fonctionnaire a soutenu qu’il est injuste qu’il soit le seul tenu responsable et obligé de payer.

[195] En ce qui a trait à la question des représailles, le fonctionnaire a fait valoir que les circonstances relatives à son licenciement mènent à la conclusion inévitable qu’il a été licencié, au moins en partie, pour avoir lancé des enquêtes en vertu du CCT.

[196] Les fonctions d’ASP du fonctionnaire tiraient leur origine de la partie II du CCT. Il avait des préoccupations légitimes au sujet du non‑respect de la Directive sur les plongées. Il était d’accord avec l’employeur pour dire que la Commission n’a pas pour obligation de se prononcer sur la validité des questions relatives au CCT ni sur les pratiques de plongée sécuritaires, mais qu’il convient de noter les changements qui ont eu lieu après que les recommandations ont été formulées, après la conclusion des enquêtes sur la sécurité. Ce n’est pas comme si le fonctionnaire avait inventé des choses. Certains problèmes de sécurité ont été relevés, et ces problèmes ont été traités, en grande partie, en raison des enquêtes en vertu du CCT.

[197] Le fonctionnaire a soutenu qu’il est incontestable que les enquêtes en vertu du CCT ont entraîné une tension importante en milieu de travail. M. Bernier et M. Picher, ainsi que M. Harris et, dans une moindre mesure, M. Moore, l’ont affirmé dans leurs témoignages. M. Bernier (et plus particulièrement M. Picher) se préoccupait du fait que les enquêtes en vertu du CCT puissent nuire aux projets de l’EAS. M. Bernier a témoigné au sujet de la friction que les enquêtes ont entraînée pour l’équipe et de sa crainte qu’elles ne [traduction] « mettent fin à tout », selon ses mots. M. Picher a témoigné que cela a [traduction] « détruit le cœur de l’équipe ».

[198] Le fonctionnaire a fait valoir que la direction et les employés semblaient tous mécontents de la capacité de l’ASP de créer une telle impasse, ce qui explique la raison pour laquelle le poste a été aboli. Ce n’était pas de sa faute, mais il en a certainement payé le prix. Il a soutenu qu’aucune autre conclusion ne peut être tirée, si ce n’est que tout cela découlait de l’exécution de ses fonctions d’ASP, qui tiraient leur origine de la partie II du CCT.

[199] Le cas Ouimet appuie la proposition selon laquelle des représailles ne sont pas nécessairement la seule raison d’un licenciement; elles ne font qu’entacher la décision de licenciement. Cette décision énonce ce qui suit au paragraphe 56 :

[56] En outre, le rôle du Conseil n’est pas de déterminer si le degré de discipline était juste, ni même si l’employeur avait juste cause pour imposer quelque mesure disciplinaire que ce soit, comme pourrait le faire un arbitre dans une procédure de grief selon la convention collective, mais d’être convaincu que l’action de l’employeur n’est pas entachée de représailles envers le plaignant pour son rôle de coprésident du comité et ses autres activités connexes […]

 

[200] Étant donné que le licenciement constituait une réponse disproportionnellement sévère au comportement du fonctionnaire et que les enquêtes en vertu du CCT ont entraîné des répercussions tellement négatives sur le milieu de travail, la conclusion inévitable doit être que la décision de le licencier était au moins entachée, sinon directement liée, aux enquêtes lancées par le fonctionnaire en vertu du CCT.

A. Thèse du fonctionnaire concernant la réintégration

[201] Le fonctionnaire a soutenu que la réintégration est la seule option viable. Son travail depuis toujours est celui d’archéologue subaquatique et il ne peut utiliser son ensemble de compétence nulle part ailleurs au Canada qu’avec l’EAS.

[202] M. Moore et M. Harris sont toujours des chefs de l’EAS, et leurs témoignages ne laissent aucun doute qu’ils ne seraient pas heureux de travailler de nouveau avec le fonctionnaire et qu’ils pourraient envisager d’autres options, mais cela ne peut pas être la raison pour laquelle le fonctionnaire, qui a été injustement licencié, ne peut pas être réintégré dans ses fonctions. Il ne fait aucun doute que les choses seraient difficiles au début, mais le fonctionnaire a toujours été franc et direct dans son engagement à rétablir la confiance de l’équipe.

B. Thèse du fonctionnaire concernant la réparation

[203] Le fonctionnaire demande ce qui suit à titre de réparation :

1) que la suspension sans solde et le licenciement soient tous les deux annulés;

2) que sa plainte en vertu de l’article 133 du CCT, alléguant que son licenciement constituait des représailles pour avoir déposé la plainte en vertu du CCT, soit accueillie;

3) qu’il soit indemnisé pour la totalité de son salaire, avec intérêts, y compris pour la perte d’heures supplémentaires, qui constituaient en moyenne de 30 000 $ à 40 000 $ par année;

4) qu’il conserve toute son ancienneté et que les prestations de retraite qu’il a perdues soient récupérées.

 

[204] Le fonctionnaire a également demandé que la Commission demeure saisie de la présente affaire afin de permettre l’exécution intégrale des conditions de sa réintégration.

C. Arguments supplémentaires du fonctionnaire concernant les dommages‑intérêts majorés

[205] Le fonctionnaire a invoqué Lyons c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 95, à l’appui d’une demande de dommages‑intérêts majorés. Il a également cité Mattalah c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2018 CRTESPF 13.

[206] Le paragraphe 228(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) précise qu’après étude d’un grief, la Commission doit trancher celui‑ci par l’ordonnance qu’elle juge indiquée.

[207] Le fonctionnaire a soutenu qu’au cours de l’audience, la Commission a entendu des témoignages dans lesquels il a été qualifié d’homme violent et dangereux. M. Bernier et M. Picher ont effectivement déclaré que [traduction] « la réintégration mettrait en danger la vie des autres membres de l’EAS ». Il s’agissait d’une réaction totalement disproportionnée et exagérée, qui lui a causé un préjudice psychologique considérable. Il a trouvé ces nouvelles révélations extrêmement blessantes.

[208] Par conséquent, le fonctionnaire demande également une somme de 50 000 $ en tant que dommages‑intérêts majorés.

VI. Réfutation de l’employeur

[209] L’employeur a fait valoir que la demande de dommages‑intérêts exemplaires est totalement injustifiée. Tout d’abord, la demande, présentée comme elle l’a été le dernier jour de l’audience, a non seulement élargi la portée des griefs en litige, mais elle les a modifiés de manière fondamentale parce qu’ils ne comportaient aucune mention de dommages‑intérêts exemplaires. Cela est en contradiction avec Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.).

[210] L’élargissement de la portée d’un grief en ce qui concerne les mesures correctives était également en litige dans Tulk c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2020 CRTESPF 25, qui a déclaré ce qui suit au paragraphe 44 :

[44] Le fonctionnaire n’est pas autorisé à modifier la nature de son grief de façon à ce qu’il excède la portée de l’enquête, ni à ajouter quoi que ce soit aux mesures correctives demandées (voir Burchill […]). La compétence d’un arbitre de grief est déterminée par l’exposé initial du grief (voir Schofield c. Canada (Procureur général), 2004 CF 622). Le fonctionnaire ne pouvait pas modifier fondamentalement la nature de son grief […]

 

[211] De même, dans Cameron c. Administrateur général (Bureau du directeur des poursuites pénales), 2015 CRTEFP 98, il a été déclaré ce qui suit au paragraphe 88 :

88 Je suis d’accord avec l’employeur pour dire qu’un grief et les redressements ne peuvent pas être modifiés lors de l’arbitrage, conformément à ce qui est indiqué dans Burchill. Si j’avais compétence et que je faisais droit aux griefs, je n’envisagerais d’accorder que les redressements demandés dans les griefs. En ce qui concerne les griefs en soi, leur porté [sic] est limitée aux allégations selon lesquelles l’employeur a omis de fournir un examen approprié et sans partialité du poste de la fonctionnaire et qu’il a omis d’enquêter sa plainte officielle déposée au sujet de la partialité alléguée et le manque de transparence dans le cadre du processus d’examen. Je ne trancherai pas l’argument de la fonctionnaire qu’elle a soulevé à l’audience relativement à l’omission de l’employeur de signaler une maladie survenue dans le cadre du travail découlant du stress en milieu de travail puisqu’il ne faisait pas partie des griefs dont je suis saisie.

 

[212] L’employeur a donc fait valoir que la Commission n’a pas compétence pour examiner la question des dommages‑intérêts majorés. Même si elle devait conclure qu’elle a compétence, des dommages‑intérêts ne sont pas justifiés en raison du seuil élevé établi dans Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, qui a déclaré ce qui suit au paragraphe 57 :

[57] Des dommages‑intérêts ne doivent donc être accordés pour les circonstances du congédiement que lorsqu’est remplie la condition énoncée dans l’arrêt Wallace, à savoir que l’employeur se soit comporté, lors du congédiement, « de façon inéquitable ou [en faisant] preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteu[r], trompeu[r] ou trop implacabl[e] » […]

 

[213] L’employeur a soutenu qu’il n’y a aucune indication de mauvaise foi. Il y a eu une transparence parfaite tout au long du processus d’enquête, la procédure régulière a été suivie lorsqu’il a administré la mesure disciplinaire et le fonctionnaire a été autorisé à continuer de travailler tout au long du processus d’enquête.

VII. Décision et motifs

[214] L’employeur a cité Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119, à l’appui de la proposition selon laquelle si une mesure disciplinaire se situe à l’intérieur de la fourchette des résultats raisonnables, elle ne devrait pas être perturbée. Je ne souscris pas à cette proposition. Les griefs et la plainte dont je suis saisi ont été entendus de novo. Je ne suis pas chargé d’analyser si le licenciement se situe dans une fourchette de résultats raisonnables. Je n’ai pas à faire preuve de retenue à l’égard de la décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire. En tout état de cause, ma décision démontrera que le licenciement ne se situe pas à l’intérieur de la fourchette des résultats raisonnables.

[215] Scott a été cité à bon droit en tant que fondement de l’analyse des cas de licenciement. Pour paraphraser, ses critères sont les suivants :

· Y a‑t‑il eu une conduite qui justifiait une réponse disciplinaire de la part de l’employeur?

· La mesure disciplinaire (le licenciement, dans le présent cas) était‑elle excessive?

· Dans l’affirmative, quelle mesure disciplinaire serait appropriée?

 

A. Y a‑t‑il eu une conduite qui justifiait une réponse disciplinaire de la part de l’employeur?

[216] Tout d’abord, je suis d’accord avec le décideur dans Palmieri quant à l’importance d’établir, selon une norme objective, si du harcèlement a eu lieu. Les perceptions subjectives de la victime, comme il est indiqué au paragraphe 20 de Palmieri, [traduction] « […] ne suffisent pas, en soi, à étayer une conclusion de harcèlement ».

[217] Je trouve que les circonstances actuelles sont semblables à celles décrites dans CHEO. Chaque incident concernant M. Bernier était si subtil qu’à eux seuls, ils ne constituaient pas du harcèlement. Quatre réunions ont eu lieu sur une période relativement courte, comme suit :

· le 11 juillet 2017 (appel de 90 minutes sur la dotation des lieux de plongée de l’Arctique);

· le 31 juillet 2017 (la réunion de suivi de l’appel du 11 juillet);

· le 15 août 2017 (l’appel sur la sécurité des lieux de l’Arctique);

· le 22 août 2017 (la réunion du CSST).

 

[218] L’objet de toutes ces réunions était le même. M. Bernier a été sans équivoque et inflexible dans sa décision de retirer le fonctionnaire des lieux de plongée de l’Arctique. Le fonctionnaire estimait que cette décision avait soulevé des questions de sécurité. Il s’agissait du seul sujet qui le préoccupait.

[219] Je suis d’accord avec l’employeur pour dire que la façon dont le fonctionnaire a soulevé ses préoccupations était plus importante que l’objet de ses préoccupations, mais je ne suis pas d’accord pour dire que la matière constitue un faux‑fuyant.

[220] À titre d’ASP, le fonctionnaire estimait que sa présence sur les lieux de plongée de l’Arctique était nécessaire. Il ne m’appartient pas de déterminer si sa position sur cette question est justifiable, mais seulement s’il s’agissait d’une croyance raisonnable de sa part, et je conclus que c’était le cas. Historiquement, l’ASP a joué un rôle majeur dans la sécurité des plongées, et les témoignages ont permis d’établir que l’ASP était, en fait, présent à un pourcentage important des plongées de l’EAS. Le nombre croissant de lieux de plongée partout au Canada a rendu impossible la présence physique de l’ASP à chaque plongée.

[221] M. Picher a évalué correctement la situation comme ayant ses racines dans une Directive sur les plongées désuète qui avait le potentiel mettre en conflit l’ASP et le gestionnaire. C’est exactement ce qui s’est produit : un conflit est survenu. J’estime qu’il est extrêmement 61important de noter que peu de temps après le licenciement du fonctionnaire, la Directive sur les plongées a été révisée de manière importante afin d’éliminer (entre autres) le poste d’ASP et de rendre la sécurité des plongées une responsabilité collective plutôt que d’imposer le fardeau lié aux questions de sécurité à une seule personne. L’employeur a tacitement reconnu que la directive désuète constituait une partie importante du problème. Peut‑être qu’une révision opportune de la Directive sur les plongées aurait dû faire l’objet d’une attention particulière, plutôt que le licenciement du fonctionnaire.

[222] Quoi qu’il en soit, l’objet des discussions du fonctionnaire avec M. Bernier n’est pas du tout un faux‑fuyant. Il constitue une partie importante de l’analyse.

[223] L’appel de 90 minutes du 11 juillet 2017 était la première fois que le fonctionnaire a soulevé ses préoccupations, et il a été cité comme étant le premier incident de harcèlement. Une heure et demie constitue une période très longue pour discuter de la décision de gestion de M. Bernier, mais elle indique l’importance de la question de sécurité pour le fonctionnaire. Au cours de leur conversation, ils ont discuté de l’historique du poste d’ASP, ainsi que de la nécessité d’exercer un pouvoir discrétionnaire de gestion lorsque les ressources sont affectées. Ils ont également discuté du personnel affecté aux lieux de l’Arctique, des questions de sécurité des plongées en général et des questions de sécurité au lieu d’Erebus en particulier. M. Bernier a dit que le fonctionnaire avait parfois haussé le ton, et il a dit qu’il ne se rappelait pas avoir haussé le ton lui-même. Le fonctionnaire a dit qu’à certains moments, les deux avaient haussé le ton.

[224] J’accepte le témoignage de M. Bernier au sujet de sa frustration d’avoir dû avoir un appel de 90 minutes avec le fonctionnaire alors qu’il était occupé à se préparer pour un voyage en Angleterre pour prendre la parole à une importante conférence internationale sur l’Erebus et le Terror. Même s’il me semble plus probable que les deux parties aient parfois haussé le ton, j’estime également que peu d’éléments dépendent de ce point. L’important, c’est qu’il n’y a pas eu d’insultes, de menaces ni de commentaires irrespectueux, seulement un désaccord quant au rôle de l’ASP.

[225] Étant donné que cette question n’a pas été réglée, les deux parties ont accepté de reprendre leur discussion plus tard, ce qui, à mon avis, est une indication de la nature relativement bénigne de la discussion. Si l’appel avait été caractérisé par un langage irrespectueux ou des grossièretés, ou par un comportement agressif ou menaçant, il est probable que M. Bernier n’aurait jamais accepté une réunion subséquente en personne.

[226] Les deux se sont rencontrés quelques semaines plus tard, soit le 31 juillet 2017. Les témoignages du fonctionnaire et de M. Bernier, ainsi que les notes de réunion du fonctionnaire, ne révèlent aucune indication de comportement inacceptable. La même question était toujours soulevée, et aucune des parties n’a changé d’approche. Le fonctionnaire a simplement refusé d’accepter non comme réponse. Encore une fois, rien dans la réunion du 31 juillet 2017 ne s’apparente à du harcèlement.

[227] Les discussions des 11 et 31 juillet 2017 n’ont pas inclus un participant indépendant et impartial, mais il y en a eu un lors de l’appel du 15 août 2017 portant sur les questions de sécurité des lieux. L’agent d’application de la loi de Parcs Canada, soit M. Halliday, a témoigné au sujet de l’appel. M. Halliday s’est souvenu que le fonctionnaire semblait contrarié de ne pas avoir été tenu au courant des questions de sécurité des lieux, mais il ne se souvenait pas d’un comportement agressif. Une fois de plus, examiné isolément, aucun élément de l’appel du 15 août 2017 ne peut être considéré comme du harcèlement. Il n’y a aucun élément de preuve de grossièreté, de tons haussés, de commentaires inappropriés, insultants ou irrespectueux, ou de menaces.

[228] La goutte d’eau qui a fait déborder le vase en ce qui concerne M. Bernier a été la réunion du 22 août 2017 avec le CSST. M. Bernier a déposé sa plainte de harcèlement le lendemain. La réunion a eu lieu en présence de quelques autres personnes, mais un seul participant a témoigné autre que le fonctionnaire ou M. Bernier. M. Hammer, qui était alors directeur de la conservation et des collections à Parcs Canada, était un membre du CSST et s’est souvenu que le fonctionnaire avait posé une question sur l’impartialité du CSST. M. Hammer s’est souvenu que le fonctionnaire s’était adressé à M. Bernier et lui avait demandé ce qui suit : [traduction] « Et vous, qu’en pensez‑vous? » M. Hammer a dit que le fonctionnaire avait parlé avec intensité et passion.

[229] M. Bernier a parlé du feu dans les yeux du fonctionnaire et de son sentiment qu’il n’avait jamais vu une telle colère envers lui. Je n’ai aucun doute quant à la validité des sentiments de M. Bernier, mais il n’y a tout simplement aucun élément de preuve objectif pour étayer l’affirmation selon laquelle le fonctionnaire s’est comporté de façon ouvertement menaçante ou agressive à la réunion du 22 août 2017.

[230] M. Hammer a témoigné qu’il n’était pas au courant du contexte dans lequel la question a été soulevée. Ce point est important parce qu’il révèle que M. Hammer n’avait aucun intérêt dans le jeu et qu’il était aussi objectif qu’on pouvait l’espérer. Il s’est souvenu de n’avoir constaté rien de déplacé dans la question du fonctionnaire. Plus particulièrement, M. Hammer a n’a constaté rien de déplacé dans le comportement du fonctionnaire. Encore une fois, je ne peux trouver aucun élément de harcèlement en milieu de travail lors de la réunion du 22 août 2017, lorsqu’elle est examinée isolément.

[231] Toutefois, comme le décideur dans CHEO, je dois adopter un point de vue plus large des choses et tenir compte de l’incidence cumulative des réunions pour déterminer si le comportement du fonctionnaire équivalait à du harcèlement.

[232] Il est possible, sur le lieu de travail, de tenir une discussion saine sur les questions de sécurité. Je ne souscris pas à l’affirmation de l’employeur selon laquelle le fait de ne pas être d’accord avec son patron est inacceptable en soi. Le contexte doit être examiné, et c’est là que l’objet de toutes les réunions devient important.

[233] Le fonctionnaire a soulevé ce qu’il estimait être des préoccupations légitimes en matière de sécurité. Il ne me revient pas de me prononcer sur la validité de ses préoccupations, mais ce n’est pas comme s’il avait créé des choses à partir de rien. Son poste d’ASP, selon la Directive sur les plongées et les descriptions de travail, le plaçait dans une position unique au sein de l’EAS pour soulever des questions de sécurité. Il lui incombait de les soulever.

[234] Le problème est qu’il ne savait pas quand cesser. M. Bernier n’a pas flanché à aucun moment; il est demeuré ferme dès le début en ce qui concerne sa décision d’affecter le fonctionnaire à des projets de l’EAS autres que ceux de l’Arctique. Si cela n’était pas clair après l’appel de 90 minutes du 11 juillet 2017, cela aurait certainement dû devenir clair après la réunion en personne du 31 juillet 2017. M. Bernier a clairement fait savoir (il était certainement très clair dans son témoignage) au fonctionnaire qu’il estimait que M. Harris et M. Moore étaient parfaitement capables de mener un programme de plongée sécuritaire dans l’Arctique, et que la présence de l’ASP à chaque plongée n’était pas nécessaire.

[235] Cela aurait dû mettre fin à l’affaire parce que tous les témoins, y compris le fonctionnaire, ont convenu que M. Bernier avait le pouvoir en tant que gestionnaire d’affecter les ressources entre les projets de l’EAS. Malheureusement, le fonctionnaire n’a pas laissé tomber l’affaire, et il a continué de faire valoir ses préoccupations.

[236] Je suis d’accord avec le fonctionnaire pour dire que les questions de sécurité étaient au cœur de la discussion téléphonique avec M. Halliday le 15 août 2017. La dernière chose dont Parcs Canada avait besoin était la possibilité pour les touristes ou les plongeurs récréatifs de tenter d’accéder sans autorisation aux lieux des épaves de l’Erebus et du Terror. M. Bernier a témoigné qu’il avait pris des mesures spéciales pour s’assurer que le fonctionnaire participe à l’appel, et ce, pour une bonne raison. Les questions de sécurité et de responsabilité relevaient de la responsabilité du fonctionnaire à titre d’ASP. Je ne suis pas d’accord avec le fait que l’employeur ait qualifié le comportement du fonctionnaire d’inapproprié lors de l’appel du 15 août 2017. Il n’y avait rien d’inapproprié dans le comportement du fonctionnaire.

[237] Le fonctionnaire a convoqué la réunion du 22 août 2017 à la suite d’une discussion antérieure avec M. Proulx, qui a dit ceci au fonctionnaire (pour paraphraser) : [traduction] « Je dispose du point de vue de la direction concernant les questions, je travaille pour la direction et je n’ai pas à m’enquérir davantage. » Il est facile de comprendre la frustration du fonctionnaire à l’égard de ce point de vue, et c’est la raison pour laquelle il souhaitait convoquer la réunion du CSST. Il n’était probablement pas nécessaire qu’il se tourne vers M. Bernier et lui demande [traduction] « Et vous, qu’en pensez‑vous? », parce qu’il savait déjà ce que M. Bernier en pensait, et ce depuis le 11 juillet 2017. De toute évidence, il ne souscrivait pas à la position de M. Bernier, mais il l’a également fait savoir, et la réunion du 22 août 2017 a été le moment où le poids cumulatif des discussions précédentes a fait passer le fonctionnaire au‑delà de la ligne de la conduite irrégulière. Cette situation n’était plus une simple discussion sur les questions de sécurité. Examiné objectivement, le fonctionnaire est finalement devenu directement et ouvertement insubordonné. Je ne suis pas d’accord pour dire que son comportement à la réunion du 22 août 2017 était, comme l’employeur l’a soutenu, dénigrant ou humiliant. Toutefois, il s’agissait de la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Son incapacité à accepter non comme réponse équivalait, à ce stade, à de l’insubordination.

[238] Le premier des critères énoncés dans Scott est satisfait; le poids cumulatif des réunions du 11 juillet, du 31 juillet et du 22 août 2017 équivalait à de l’insubordination, et une mesure disciplinaire modérée était justifiée. Je n’inclus pas l’appel du 15 août 2017 avec l’Application de la loi de Parcs Canada parce que même M. Bernier a reconnu la sagesse d’inclure l’ASP dans un appel sur la sécurité des lieux de plongée dans l’Arctique et sur les questions de sécurité et de responsabilité connexes.

B. La mesure disciplinaire (le licenciement, dans le présent cas) était‑elle excessive?

[239] La deuxième étape de l’analyse selon Scott consiste à tenir compte de la gravité de l’inconduite ainsi que des facteurs aggravants et atténuants.

[240] Je ne suis pas du même avis que l’employeur. Il ne s’agissait pas d’une inconduite grave. Les cas que le fonctionnaire et l’employeur ont tous les deux invoqués décrivaient un comportement beaucoup plus grave que celui dont a fait preuve le fonctionnaire dans ses trois interactions avec M. Bernier. Dans Teck Coal, le licenciement a été justifié par une conduite qui comprenait les interactions suivantes avec quatre personnes différentes :

[Traduction]

[…]

14 […] Elle a dit qu’il avait mis son doigt sur son visage et lui avait dit : « Pourquoi t’offriraient‑ils une formation? » […]

[…]

17 […] le plaignant se tenait à environ 15 pieds d’elle. Elle dit qu’il lui a crié dessus avec un ton de colère alors qu’il marchait vers elle. Elle dit qu’il a crié assez fort que les personnes à proximité pouvaient entendre […] Elle a dit qu’il semblait être en colère et que son ton semblait être un ton de colère. Il s’est approché à deux pieds d’elle […]

[…]

19 […] Elle a témoigné au sujet d’une interaction dans la fosse minière où son véhicule et celui du plaignant avaient eu ce qu’on pourrait appeler un « quasi‑accident ». Selon elle, le plaignant l’avait réprimandée à la radio, ce qui a été entendu par tous les conducteurs dans la fosse. Cela l’a amenée à être préoccupée pour le reste de ce quart de travail, parce qu’elle craignait d’avoir d’autres interactions avec lui. Elle a dit qu’à la fin du quart, lorsque les conducteurs sont montés dans l’autobus de la fosse pour se rendre aux zones de casiers, le plaignant, en présence d’autres personnes dans l’autobus, a de nouveau soulevé l’incident « avec beaucoup de colère ». Elle a dit que, tant à la radio que dans l’autobus, il était condescendant et qu’elle s’était sentie humiliée et embarrassée […]

20 M. Grasdal a témoigné que le plaignant l’avait approché à son casier à la fin d’un quart de travail (d’autres travailleurs étaient aussi là pour changer leurs vêtements) de façon agressive et bruyante et lui avait dit qu’il (M. Grasdal) ne savait pas comment faire son travail […] il y a eu un deuxième événement une semaine ou deux plus tard. Encore une fois, le plaignant s’est approché de lui à son casier et l’a réprimandé, laissant entendre à nouveau qu’il ne savait pas comment faire son travail […]

[…]

 

[241] La principale distinction entre Teck Coal et la situation actuelle est la nature apparemment sans distinction de l’intimidation commise par le plaignant dans Teck Coal. Il a ciblé quatre personnes différentes, dont l’une a été victime d’intimidation deux fois. Dans le présent cas, le fonctionnaire n’a pas fait preuve d’un niveau d’agression comparable et ne s’est pas fâché contre d’autres au hasard.

[242] L’employeur a également invoqué Charinos c. Administrateur général (Statistique Canada), 2016 CRTEFP 74, pour étayer son affirmation selon laquelle le comportement du fonctionnaire était répétitif. Dans Charinos, l’employé a d’abord fait l’objet d’une réprimande verbale pour un comportement inapproprié en 2013, puis ce qui suit (aux par. 5 à 8) :

5 Le fonctionnaire a fait l’objet d’une suspension de trois jours parce qu’il a omis d’effectuer certaines parties de sa tournée de courrier, les 8 et 9 juillet 2014, qu’il n’a pas rempli les feuilles de suivi du courrier comme il a été demandé les 8, 9 et 10 juillet 2014, et qu’il est disparu, le 9 juillet 2014, après avoir effectué une partie de sa tournée de courrier.

6 Environ un mois et demi plus tard, le défendeur a imposé au fonctionnaire une suspension de cinq jours sans rémunération parce qu’il n’avait pas complété ses tournées de courrier, les 21 et 22 août 2014, parce qu’il n’avait pas, encore une fois, rempli les feuilles de suivi du courrier conformément aux directives du défendeur, et parce qu’il avait critiqué son gestionnaire au moyen d’un courriel qu’il a envoyé à la haute direction avec copie conforme au superviseur de ce dernier et au syndicat.

7 À la suite d’un accident en milieu de travail à la fin de l’été ou au début de l’automne de 2014, le fonctionnaire a demandé que des mesures d’adaptation soient prises à son égard. Il a été affecté aux fonctions de recherches d’adresses. Malgré ce changement de fonctions, son comportement dans le lieu de travail est demeuré inacceptable. Durant cette période, des suspensions sans rémunération de 10 et de 20 jours lui ont été imposées en raison de son comportement inacceptable. Comme il a été mentionné, il n’a déposé aucun grief à leur égard.

8 Vers le 11 décembre 2014, après la suspension de 20 jours, le comportement du fonctionnaire dans le lieu de travail a continué de poser problème au défendeur. Les 11 et 15 décembre 2014, le fonctionnaire n’a toujours pas effectué correctement les recherches d’adresses. Le 14 décembre 2014, il était en congé de maladie. Le 15 décembre 2014, le défendeur a entamé une enquête de recherche des faits pour connaître les raisons de son refus continu d’obtempérer aux directives. Le 16 décembre 2014, le fonctionnaire a envoyé un autre courriel dans lequel il critiquait son superviseur et, le même jour, il a téléphoné à son directeur adjoint à son domicile dans une tentative de l’intimider. Le directeur adjoint a reconnu la voix du fonctionnaire et il a signalé l’appel à la haute direction. Par conséquent, le fonctionnaire a été licencié […]

 

[243] L’affaire Charinos décrit un comportement bien pire que celui dont a fait preuve le fonctionnaire dans le présent cas. En fait, j’estime que Charinos a peu de points communs avec l’ensemble des faits du présent cas. Charinos est un cas typique de mesures disciplinaires positives et progressives. Une fois que l’inconduite est constatée, elle doit être traitée immédiatement au moyen d’une réponse disciplinaire rapide et rigoureuse. Une fois que la personne a été informée qu’un comportement inapproprié entraînera une mesure disciplinaire, et qu’elle continue de se livrer à la même inconduite, des mesures disciplinaires plus sévères doivent être imposées afin de tenter de corriger le comportement en question.

[244] Dans Charinos, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est vu imposer deux réprimandes et trois suspensions de plus en plus longues avant d’être licencié. Dans le présent cas, le fonctionnaire a été licencié la première fois qu’il ne s’est pas conformé. Une inconduite unique commise par une personne ayant un dossier disciplinaire par ailleurs vierge peut certainement entraîner un licenciement, mais l’inconduite doit être très grave.

[245] Comme je l’ai fait remarquer, chacune des interactions individuelles du fonctionnaire avec M. Bernier était insuffisante pour justifier une réponse disciplinaire, de sorte que le principe des mesures disciplinaires positives et progressives ne s’applique pas. Rien ne s’est produit au cours de l’appel de 90 minutes du 11 juillet 2017 qui justifiait une mesure disciplinaire. Il en va de même pour la réunion en personne du 31 juillet 2017. Seul l’effet cumulatif de la persistance du fonctionnaire après la réunion du 22 août 2017 a permis de faire passer la situation au‑delà du seuil. Toutefois, l’effet cumulatif, même en tenant compte de son effet profond sur M. Bernier, ne justifiait pas une réponse comparable à un licenciement ou à une suspension.

[246] L’employeur a invoqué CNR en tant qu’exemple d’une inconduite grave ayant entraîné un licenciement. La similitude entre CNR et le présent cas est évidente. Au paragraphe 35, CNR énonce ce qui suit : [traduction] « Le plaignant est un employé de longue date. Au moment de son licenciement, il avait 52 ans et comptait 31 ans de service. Il n’avait aucun point d’inaptitude. Ce sont d’importants facteurs atténuants. » J’estime que ces circonstances sont très semblables à celles du fonctionnaire, car il avait également la cinquantaine et comptait 17 ans de service sans mesure disciplinaire.

[247] Toutefois, la similitude prend fin là. Dans CNR, l’employé concerné avait harcelé une collègue à l’aide d’une série d’environ 24 courriels répartis sur une période de trois jours. Les courriels sont reproduits intégralement au paragraphe 5 de CNR, mais ces extraits suffiront à distinguer CNR du présent cas :

[Traduction]

[…]

· […] ton émoticône ne signifie rien pour moi […]

· Embrasse ceci [suivi de cinq émoticônes du majeur]

· […] Fausse prétention, ce sont toutes des conneries, tu ne fais que te tromper toi-même […] tu n’es qu’un imposteur! […]

· […] Une chance que tu avais les Indiens de ton côté […]

· […] DE TELLES CONNERIES […]

· […] Tu ne penses pas que les gens voient à travers ta propagande? Penses‑y encore, chienne égoïste!

· Alors, adieu […]

· sur un couteau

· […] l’âge est sur ton dos […] Andrew profitera-t-il d’une [nom de la collègue] âgée à la peau hirsute???? Une jeune reine de fraîcheur est à proximité […] Réveilles-toi […] ridée […]

· […] putain, nous sommes tous vieux […] regarde dans le miroir […] Nous sommes tous les deux laids et nous avons de grosses têtes de merde […]

· Tu es malade dans la tête […]

· […] envoyé de toi à toi pour être sur Facebook […] putain […] tu es malade dans la tête […]

· J’ai des photos de toi […] des photos coquines […] un ami me les a envoyées Veux-tu que je le dise? […]

 

 

[248] Rien dans le message que le fonctionnaire a adressé à M. Bernier ne s’approche des propos racistes, misogynes, grossiers, injurieux et profanes rédigés par l’employé dans CNR, dont le grief de licenciement a été rejeté à juste titre par le décideur.

[249] L’employeur a également invoqué Teck Metals en tant qu’exemple d’une inconduite grave ayant entraîné un licenciement. Je n’estime pas que Teck Metals s’applique parfaitement au présent cas. Tout d’abord, la personne dans Teck Metals avait un long dossier disciplinaire et a été avertie en janvier 2012 (au par. 13) que [traduction] « la présente mesure disciplinaire fait en sorte [qu’il est] près du licenciement ». D’autres incidents d’insubordination se sont produits en 2012, puis un incident ayant donné lieu à une mesure disciplinaire s’est produit en juin 2014. Puis, le 14 novembre 2014, la personne s’est mise en colère relativement à une situation concernant des heures supplémentaires (au par. 18), puis [traduction] « […] a sorti un stylo feutré de sa poche et a écrit “putain de sac à merde” et “Roy est le jouet de Bob” sur le mur au‑dessus duquel Crockett s’assoit pour “lui faire honte” ».

[250] Je conclus que la conduite de la personne dans Teck Metals, qui a eu lieu de cette façon à la suite d’un programme de mesures disciplinaires positives et progressives, est bien pire que le comportement du fonctionnaire. Au paragraphe 89 de Teck Metals figure l’affirmation suivante :

[Traduction]

89 Je suis conscient de l’incidence grave que le licenciement aura sur le plaignant. Un licenciement est difficile pour tout employé, mais il est surtout difficile pour une personne à son stade de vie et à la suite de 34 ans de service. Toutefois, même en accordant un poids important à ces facteurs, ils sont insuffisants pour surmonter les autres circonstances. Je ne peux pas exiger de l’employeur qu’il fasse plus que ce qu’il a déjà fait pour essayer de travailler avec lui. Je conclus que le licenciement ne constituait pas une réponse excessive.

 

[251] Dans le présent cas, il n’existait aucun programme de mesures disciplinaires positives et progressives.

[252] L’employeur a invoqué Munroe c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2021 CRTESPF 136, à titre d’exemple d’une tendance de comportement qui a entraîné une réponse disciplinaire. Encore une fois, je conclus que le principal point de départ par rapport aux circonstances du présent cas était un programme de mesures disciplinaires positives et progressives. Dans Munroe, l’employeur avait mis en place un programme de réadaptation long et minutieux après de nombreux incidents d’absences injustifiées et de comportements inappropriés pour lesquels des mesures disciplinaires ont été imposées, ainsi qu’une série de réunions sur le rendement et de lettres d’attentes. Tous ces éléments sont absents du présent ensemble de faits.

[253] L’employeur a fait référence à l’incidence du harcèlement sur M. Bernier comme une indication de la gravité de l’inconduite. J’ai eu l’occasion d’examiner le comportement de M. Bernier à la barre des témoins. Il a prétendu être faible et en mauvaise santé, et je suis d’accord, il semblait l’être. D’autres témoins, comme M. Harris, M. Moore et M. Picher, ont fait remarquer que le bien‑être de M. Bernier s’était détérioré sensiblement à la suite des interactions avec le fonctionnaire. J’accepte tout cela, mais j’ai du mal à blâmer le fonctionnaire pour toutes les questions relatives à la santé de M. Bernier. Tout d’abord, l’inconduite en litige n’était pas si grave, lorsqu’on l’examine objectivement.

[254] De nombreux autres événements importants survenus en milieu de travail ont sans aucun doute contribué à la charge de stress à laquelle M. Bernier a été confronté à l’été 2017. L’importance internationale des découvertes de l’Erebus et du Terror a imposé des exigences supplémentaires à ses heures de travail. Il a témoigné quant au fait qu’il se préparait à prendre la parole lors d’une conférence internationale sur l’expédition de Franklin le 11 juillet 2017. Le stress associé à la reconnaissance internationale en tant qu’archéologue subaquatique éminemment qualifié et chef d’équipe chargé de la gestion des lieux historiques importants constituait probablement plus un « bon » stress qu’un « mauvais » stress, mais cela a dû être stressant tout de même.

[255] M. Bernier a été appelé à affecter des ressources entre quatre projets différents : Red Bay, VNTS, les Îles‑Gulf et les lieux arctiques. M. Picher, M. Bernier, M. Harris et le fonctionnaire ont tous témoigné quant aux exigences de plus en plus rigoureuses imposées par différents intervenants à l’EAS pour qu’elle s’acquitte de ses obligations à l’égard de tous les différents projets. Une seule personne a été chargée de répartir les ressources entre toutes ces demandes urgentes, à savoir M. Bernier.

[256] Il y a aussi eu l’enquête en vertu du CCT, que M. Bernier et M. Picher ont tous deux décrite comme ayant [traduction] « fait boule de neige, s’étant transformé en un examen complet du programme ». M. Bernier a témoigné qu’il était également stressant pour lui de répondre aux demandes des enquêteurs.

[257] Il était stressant que la ministre ait exercé des pressions incessantes pour accompagner l’EAS lors d’une plongée vers l’Erebus. M. Picher a contribué à la pression, témoignant qu’il avait conseillé à M. Bernier [traduction] « de ne pas tenir compte du fait qu’elle est la ministre et d’explorer les façons dont nous pouvons le faire en toute sécurité, et de déterminer si elle a ou non la capacité de plonger avec l’EAS ». M. Harris et M. Dagneau ont corroboré la pression ministérielle dans leurs témoignages. Une personne a subi les conséquences de cette situation, à savoir M. Bernier.

[258] Je crois le fonctionnaire lorsqu’il a témoigné que M. Bernier lui avait dit ceci : [traduction] « Vous ne savez pas combien de problèmes vous m’avez causés, maintenant je dois conduire sept putains d’heures pour réparer les dégâts que vous avez causés. » Je crois aussi le témoignage du fonctionnaire selon lequel, lorsqu’il a finalement rencontré la ministre en personne, elle lui a dit [traduction] « Oh, c’est vous ».

[259] Le fonctionnaire, à titre d’ASP, a refusé catégoriquement, et à bon droit, de permettre à la ministre de plonger. Il convient de noter que, pendant qu’il était l’ASP, il y a eu deux décès en plongée, dont l’un a entraîné la suspension temporaire de toutes ses opérations de plongée sur le VNTS par Parcs Canada. L’autre décès a été celui d’un scientifique en visite, qui a plongé en tant qu’invité d’Environnement Canada. La ministre voulait plonger en tant qu’invitée de l’EAS. Le fonctionnaire a témoigné que ces décès pesaient lourdement sur lui, et je le crois. Il est évident que l’opposition incessante du fonctionnaire au plan de la ministre a créé beaucoup de travail et de stress supplémentaires pour M. Bernier.

[260] Enfin, M. Bernier a également témoigné qu’il dû faire face au décès malheureux de son père au milieu de toutes ces turbulences.

[261] M. Bernier a été tiré dans plusieurs directions à la fois. Il n’y a rien d’étonnant à ce que sa santé en ait souffert, mais il serait injuste d’attribuer entièrement la responsabilité de cette situation au fonctionnaire.

[262] J’ai aussi du mal à voir comment M. Bernier ait pu craindre pour sa sécurité physique. Il n’y a aucun élément de preuve d’une agression ou de menaces évidentes. Pour faire écho au décideur dans CHEO, au paragraphe 122, [traduction] « [m]ême si je conclus qu’il n’y a absolument aucune preuve à l’appui de telles préoccupations, j’accepte que ses collègues aient honnêtement eu ces préoccupations […] ».

[263] En résumé, pour ce qui est du deuxième critère énoncé dans Scott, je conclus que le licenciement constituait une réponse disciplinaire disproportionnellement sévère.

C. Quelle est la mesure disciplinaire appropriée?

[264] Le troisième critère énoncé dans Scott prévoit une mesure disciplinaire appropriée si le licenciement est jugé trop sévère, comme il en est ainsi dans le présent cas. Il concerne une analyse plus approfondie des facteurs aggravants et atténuants.

[265] L’employeur a fait référence au témoignage de M. Picher, dans lequel il a décrit le fonctionnaire comme n’ayant aucun remords et comme n’assumant pas la responsabilité de ses actes. Selon M. Picher, il s’agissait du principal facteur aggravant. Je trouve très peu d’éléments de preuve permettant d’étayer sa thèse. M. Picher a droit à son opinion au sujet de la sincérité des excuses du fonctionnaire, mais je conclus que les éléments de preuve démontrent que le fonctionnaire a sincèrement regretté les répercussions de ses actes.

[266] Le fonctionnaire a témoigné qu’il éprouvait de la sympathie pour M. Bernier. Il a dit ce qui suit : [traduction] « Je me soucie toujours de lui et je ressens de l’empathie envers lui. Je pouvais également constater qu’il n’est pas la même personne. » Le fonctionnaire a ajouté que même s’il souhaitait présenter des excuses à M. Bernier en personne, il n’a pas pu le faire parce qu’on lui avait ordonné de ne pas l’approcher.

[267] Les messages écrits du fonctionnaire révèlent de nombreuses indications d’un sentiment de remords sincère. Le 3 avril 2018, il a écrit ce qui suit à M. Picher (pièce J‑1, onglet 9) :

[Traduction]

[…]

J’ai vu la « cohésion de l’équipe » et les interactions interpersonnelles se dégrader lentement depuis un certain nombre d’années et, en tant que membre de cette équipe, j’accepte une partie de la responsabilité de cette réalité.

[…]

Jarred, je n’ai aucun doute que Marc estime réellement que j’ai remis en question son droit de gérer et de planifier et que j’ai débattu, parfois de façon agressive, avec lui au sujet de ses décisions. Je reconnais pleinement que cela a compliqué son rôle de gestionnaire et ajouté du stress à son milieu de travail […]

[…]

 

[268] Ces sentiments témoignent d’une acceptation de la responsabilité. Le 19 avril 2018, le fonctionnaire a écrit ceci à l’ensemble de l’EAS (pièce J‑1, onglet 11, page 295) : [traduction] « En tant que membre de l’équipe, je suis responsable de certaines de ces difficultés et j’ai contribué à ce dysfonctionnement. J’accepte ma part de responsabilité. Je suis entièrement résolu à améliorer […] »

[269] Le 24 mai 2018, le fonctionnaire a écrit ceci à M. Picher (pièce J‑1, onglet 16, page 365) : [traduction] « Après avoir lu le rapport, je reconnais également que je dois présenter mes excuses à Marc‑André et à certains de mes collègues pour la façon dont je les ai traités dans le passé. »

[270] Lors de la réunion disciplinaire du 27 août 2018, le fonctionnaire a lu à haute voix ses notes (pièce J‑1, onglet 22, page 29), déclarant, en partie, ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Comme je vous en fait part aujourd’hui et dans une correspondance antérieure, je reconnais que j’ai parfois discuté avec trop de passion des questions de santé et de sécurité et d’autres questions connexes.

Je suis désolé et j’assume la responsabilité de mes actes.

Même si ces arguments étaient motivés par mon sens des responsabilités pour la santé et la sécurité de l’équipe, je reconnais que je dois faire preuve de plus de diplomatie à l’avenir.

Je ferai part respectueusement de mes préoccupations et j’accepterai les décisions de la direction même si je n’y souscris pas.

[…]

 

[271] Ces sentiments ne corroborent pas l’affirmation de M. Picher selon laquelle le fonctionnaire refuse d’assumer la responsabilité de ses actes et ne ressent aucun remords. Je ne peux pas accepter cela comme un facteur aggravant.

[272] L’employeur a soutenu que le moment choisi pour le courriel du fonctionnaire du 23 avril 2018, qui a été reçu que quatre jours après avoir examiné le rapport d’enquête, est une indication d’un manque d’acceptation de la responsabilité et d’un manque de remords. Je ne suis pas du même avis. Le fonctionnaire n’a rien fait de différent à ce moment‑là par rapport à ce qu’il avait fait depuis le début, c’est‑à‑dire simplement exprimer sa position relative aux questions de sécurité. Je ne peux pas non plus retenir l’affirmation de l’employeur selon laquelle il a délibérément divulgué les renseignements médicaux privés de M. Bernier dans le but de l’humilier ou lui nuire davantage. Le contenu du courriel que le fonctionnaire a transmis à l’EAS a fait l’objet d’une ordonnance de mise sous scellés parce qu’il peut contenir des renseignements personnels. Même si cela peut être vrai, je conclus également que M. Bernier a renoncé à tout droit à la vie privée qu’il croyait avoir à l’égard de ces renseignements lorsqu’il les a communiqués au Comité de plongée, dont le fonctionnaire était membre, parce qu’ils contenaient des recommandations du Dr Harpur que M. Bernier estimait avantageux pour l’EAS. Pour cette raison, je n’accepte pas non plus l’argument selon lequel la diffusion du courriel par le fonctionnaire constituait une atteinte à la vie privée ou un facteur aggravant.

[273] L’employeur a reconnu à juste titre les 17 ans de service du fonctionnaire avec un dossier disciplinaire vierge comme facteur atténuant. Il y avait beaucoup plus de facteurs atténuants, mais aucun n’a été pris en considération. Je vais maintenant les examiner.

[274] Un facteur atténuant important, que l’employeur a rejeté à maintes reprises comme un faux‑fuyant, était la raison qui sous‑tendait une grande partie de la tension entre M. Bernier et le fonctionnaire. À titre d’ASP, le fonctionnaire était chargé des questions de sécurité. Ces responsabilités n’étaient ni imaginaires ni exagérées; elles existaient dans la Directive sur les plongées et dans la description de travail du fonctionnaire, surtout dans les activités principales 7 et 8. Même si l’employeur souhaite se distancer d’elles, ces responsabilités ont constitué le fondement de chaque question que le fonctionnaire a soulevée auprès de M. Bernier. J’estime qu’il est très significatif que la Directive sur les plongées ait été révisée de manière importante et que le poste d’ASP ait été éliminé directement à la suite des incidents qui ont donné lieu à la présente audience. Il s’agissait là d’une reconnaissance tacite par l’employeur que le facteur rejeté en tant que faux‑fuyant jouait en fait un rôle essentiel dans le conflit. Il aurait dû être reconnu comme un facteur atténuant important, mais il ne l’a pas été.

[275] Dans ses observations à l’intention de M. Picher, le fonctionnaire a reconnu à maintes reprises son rôle dans la création des tensions au sein de l’EAS en prenant son rôle d’ASP trop au sérieux. Il a indiqué qu’il était vraiment disposé à participer à toute forme appropriée de résolution des conflits, de médiation, de formation ou de renforcement de l’esprit d’équipe afin de se faire pardonner et de regagner la confiance de l’équipe. J’estime qu’il s’agit d’un facteur atténuant et d’un indicateur solide de ses chances de réussir sa réintégration au sein de l’EAS.

[276] Dans son témoignage, M. Picher a fait référence à des documents que le fonctionnaire avait fournis avant son audience disciplinaire. Ces documents comprenaient des notes de médecin qui faisaient référence à sa santé mentale. M. Picher a exprimé la nécessité de tenir compte de ce qu’il a appelé [traduction] « ces circonstances atténuantes » et a témoigné avoir demandé au fonctionnaire des éclaircissements quant à savoir si ces conditions auraient pu avoir contribué à son comportement. M. Picher n’a pas reçu de réponse du fonctionnaire. Étant donné que le fonctionnaire n’a pas fait valoir ce facteur en tant que facteur atténuant, je suis réticent à le considérer comme un facteur atténuant.

[277] Les cas que le fonctionnaire et l’employeur ont tous les deux cités décrivent une inconduite beaucoup plus grave que celle dont a fait preuve le fonctionnaire. Bon nombre de ces cas expriment les valeurs d’un programme de mesures disciplinaires positives et progressives. La première étape d’un tel programme consiste à attirer l’attention de la personne sur la nature particulière de l’inconduite en question et à préciser que la répétition du comportement entraînera des mesures disciplinaires de plus en plus sévères pouvant aller jusqu’au licenciement. Ces renseignements figurent habituellement dans une lettre de réprimande.

[278] Une lettre de réprimande constitue la mesure disciplinaire que je juge la plus appropriée dans les circonstances du présent cas. Il n’est pas nécessaire d’en rédiger une; la présente décision est une déclaration selon laquelle le refus persistant du fonctionnaire d’accepter l’exercice légitime du pouvoir discrétionnaire en matière de gestion de M. Bernier équivalait à une insubordination à la limite du harcèlement, et la présente décision constitue une réprimande écrite pour son inconduite.

[279] Par conséquent, le fonctionnaire doit être réintégré dans ses fonctions au sein de l’EAS à son ancienne classification et son ancien niveau à partir duquel il a été injustement suspendu sans solde le 18 mai 2018, et à partir duquel il a été injustement licencié le 28 septembre 2018.

VIII. La question des représailles pour avoir lancé une enquête en vertu du CCT

[280] Le CCT prévoit ce qui suit :

[…]

Plainte au Conseil

Complaint to Board

133 (1) L’employé — ou la personne qu’il désigne à cette fin — peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

133 (1) An employee, or a person designated by the employee for the purpose, who alleges that an employer has taken action against the employee in contravention of section 147 may, subject to subsection (3), make a complaint in writing to the Board of the alleged contravention.

Délai relative à la plainte

Time for making complaint

(2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance — ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance — de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

(2) The complaint shall be made to the Board not later than ninety days after the date on which the complainant knew, or in the Board’s opinion ought to have known, of the action or circumstances giving rise to the complaint.

Restriction

Restriction

(3) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa présentation est subordonnée, selon le cas, à l’observation du paragraphe 128(6) par l’employé ou à la réception par le chef des rapports visés au paragraphe 128(16).

(3) A complaint in respect of the exercise of a right under section 128 or 129 may not be made unless the employee has complied with subsection 128(6) or the Head has received the reports referred to in subsection 128(16), as the case may be, in relation to the matter that is the subject‑matter of the complaint.

Exclusion de l’arbitrage

Exclusion of arbitration

(4) Malgré toute règle de droit ou toute convention à l’effet contraire, l’employé ne peut déférer sa plainte à l’arbitrage.

(4) Notwithstanding any law or agreement to the contrary, a complaint made under this section may not be referred by an employee to arbitration or adjudication.

Fonctions et pouvoir du Conseil

Duty and power of Board

(5) Sur réception de la plainte, le Conseil peut aider les parties à régler le point en litige; s’il décide de ne pas le faire ou si les parties ne sont pas parvenues à régler l’affaire dans le délai qu’il juge raisonnable dans les circonstances, il l’instruit lui‑même.

(5) On receipt of a complaint made under this section, the Board may assist the parties to the complaint to settle the complaint and shall, if it decides not to so assist the parties or the complaint is not settled within a period considered by the Board to be reasonable in the circumstances, hear and determine the complaint.

Charge de la preuve

Burden of proof

(6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle‑ci de prouver le contraire.

(6) A complaint made under this section in respect of the exercise of a right under section 128 or 129 is itself evidence that the contravention actually occurred and, if a party to the complaint proceedings alleges that the contravention did not occur, the burden of proof is on that party.

[…]

Interdiction générale à l’employeur

General prohibition re employer

147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

147 No employer shall dismiss, suspend, lay off or demote an employee, impose a financial or other penalty on an employee, or refuse to pay an employee remuneration in respect of any period that the employee would, but for the exercise of the employee’s rights under this Part, have worked, or take any disciplinary action against or threaten to take any such action against an employee because the employee

a) soit il a témoigné — ou est sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

(a) has testified or is about to testify in a proceeding taken or an inquiry held under this Part;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

(b) has provided information to a person engaged in the performance of duties under this Part regarding the conditions of work affecting the health or safety of the employee or of any other employee of the employer; or

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

(c) has acted in accordance with this Part or has sought the enforcement of any of the provisions of this Part.

Abus de droits

Abuse of rights

147.1 (1) À l’issue des processus d’enquête et d’appel prévus aux articles 128 et 129, l’employeur peut prendre des mesures disciplinaires à l’égard de l’employé qui s’est prévalu des droits prévus à ces articles s’il peut prouver que celui‑ci a délibérément exercé ces droits de façon abusive.

147.1 (1) An employer may, after all the investigations and appeals have been exhausted by the employee who has exercised rights under sections 128 and 129, take disciplinary action against the employee who the employer can demonstrate has wilfully abused those rights.

Motifs écrits

Written reasons

(2) L’employeur doit fournir à l’employé, dans les quinze jours ouvrables suivant une demande à cet effet, les motifs des mesures prises à son égard.

(2) The employer must provide the employee with written reasons for any disciplinary action within fifteen working days after receiving a request from the employee to do so.

[…]

 

[281] En ce qui concerne le grief en vertu du CCT, je rejette l’affirmation de l’employeur selon laquelle il n’y a aucun lien entre celui‑ci et la mesure disciplinaire. Les témoignages de M. Harris, de M. Bernier et de M. Picher indiquent clairement que l’enquête sur la plainte du fonctionnaire déposée en vertu du CCT a créé beaucoup d’agitation en milieu de travail et a grandement contribué au stress ressenti par M. Bernier et M. Picher, qui ont tous deux qualifié l’enquête sur la sécurité comme ayant eu une incidence profonde sur le milieu de travail et ayant eu le potentiel de nuire (ou de mettre fin) aux projets en cours de l’EAS. Je fais particulièrement référence au témoignage de M. Picher, dans lequel il a déclaré que la plainte en vertu du CCT avait détruit le cœur de l’EAS et compromis ses activités.

[282] Les enquêtes en vertu du CCT étaient directement liées à la décision de licencier le fonctionnaire, ce qui l’a entachée. Je conclus que le licenciement constituait des représailles. La présente plainte est accueillie.

IX. Question des dommages‑intérêts majorés

[283] Je partage l’avis de l’employeur à l’égard des deux questions qu’il a soulevées. Tout d’abord, Burchill et Cameron permettent d’expliquer amplement l’incapacité d’un fonctionnaire à élargir ou à modifier son grief à une audience. Les dommages‑intérêts majorés ne sont pas mentionnés dans les griefs initiaux. Le fait de les mentionner le dernier jour de l’audience élargit considérablement la portée du grief. Par ailleurs, les circonstances du présent cas ne permettent pas une discussion sur les dommages‑intérêts majorés. Il n’y a aucune indication, conformément au libellé de Honda Canada Inc., que le comportement de l’employeur pendant le processus de licenciement était inexact, trompeur ou indûment insensible.

[284] La demande de dommages‑intérêts majorés du fonctionnaire découlait, en partie, des commentaires des témoins à l’audience. Je ne suis pas d’accord pour dire qu’un témoin a laissé entendre que la réintégration du fonctionnaire dans son poste mettrait des vies en péril. Cela n’a jamais été dit ou n’a jamais été proposé implicitement. M. Harris et M. Moore ont déclaré qu’ils ne font pas confiance au jugement du fonctionnaire, ce qui peut ne pas être une remarque aimable, mais n’est pas indûment insensible. Le fonctionnaire a du travail à faire pour tenter de rétablir la confiance, mais je crois qu’il fera de son mieux. Je m’attends à ce que tous les membres de l’EAS en fassent de même.

[285] Pour ces raisons, des dommages‑intérêts majorés ne seront pas accordés.

[286] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


X. Ordonnance

[287] Les griefs dans les dossiers 566‑33‑39662 et 39663 de la Commission sont accueillis, mais seulement en partie parce qu’une mesure disciplinaire était en fait justifiée. Les mesures disciplinaires consistant en une période de suspension sans solde et en un licenciement étaient excessives. Ces mesures disciplinaires doivent être remplacées par une réprimande écrite, dont la présente décision écrite fait foi.

[288] Aucun élément de preuve n’a été déposé à l’audience concernant le grief dans le dossier 566‑33‑39664 de la Commission, et le fonctionnaire n’a présenté aucun argument à son égard. Par conséquent, j’ordonne la clôture du dossier.

[289] La plainte du fonctionnaire dans le dossier 560‑33‑39561 de la Commission est accueillie. Sa suspension et son licenciement subséquent constituaient, au moins en partie, une forme de représailles de la part de l’employeur pour avoir lancé les enquêtes en vertu du CCT.

[290] J’ai déclaré ailleurs que l’une des conséquences importantes du présent cas est l’élimination du poste d’ASP. Par conséquent, le fonctionnaire ne peut pas y être réintégré. Il doit donc être réintégré au groupe et au niveau à partir duquel il a été suspendu le 18 mai 2018 et licencié le 28 septembre 2018. Il doit recevoir tous les salaires et toutes les prestations (moins les déductions habituelles), y compris la pension, auxquels il aurait eu droit en date du 18 mai 2018 et les intérêts au taux approprié de la Banque du Canada s’appliqueront à ce montant.

[291] Les heures supplémentaires qui auraient normalement été gagnées doivent également être payées. Le montant doit être calculé à l’aide d’une moyenne des heures supplémentaires effectuées par tous les plongeurs de l’EAS à compter du 18 mai 2018 jusqu’à ce jour.

[292] Bien sûr, tous ces montants doivent être compensés par le montant avec lequel le fonctionnaire a atténué ses pertes au moyen d’autres emplois.

[293] La Commission demeure saisie du présent cas pendant une période de quatre mois suivant la date de la présente décision, au cas où des questions surviendraient au sujet du calcul ou de la mise en œuvre de ces réparations.

Le 31 octobre 2023.

Traduction de la CRTESPF

James R. Knopp,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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