Décisions de la CRTESPF

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Date: 20240112

Dossiers: 568-02-48380 et 566-02-47327

 

Référence: 2024 CRTESPF 5

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Derek Osborne

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

Conseil du Trésor

(ministère des Pêches et des Océans)

 

employeur

Répertorié

Osborne c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans)

Affaire concernant une demande de prorogation du délai en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral et un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Elissa McCarron, avocate

Pour l’employeur : John Mendonça, Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés le 26 juin, les 9 et 24 juillet, le 22 août, le 27 septembre et le 4 octobre 2023.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] La présente décision porte sur le respect des délais concernant le présent grief et, si le grief est hors délai, sur la question de savoir si je devrais accorder une prorogation du délai pour le déposer.

[2] Les deux questions concernant le respect du délai de dépôt du grief consistent à déterminer si des discussions en cours entre un employé et l’employeur prorogent le délai pour déposer un grief et à déterminer la [traduction] « date de référence » (pour reprendre le terme du fonctionnaire s’estimant lésé) du présent grief. Comme je le décrirai plus en détail plus loin dans la présente décision, des discussions en cours ne prorogent pas le délai pour déposer un grief. De plus, la date de référence du présent grief était le 1er décembre 2020, soit le dernier jour de la nomination intérimaire qui peut faire l’objet du présent grief. Le grief a été déposé en retard.

[3] J’ai également décidé de ne pas accorder une prorogation du délai pour déposer le présent grief. Le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») n’a pas fourni d’explication convaincante pour justifier le retard, et les autres facteurs, dont la Commission tient habituellement compte pour décider si elle devrait accorder ou non une prorogation de délai, sont équilibrés et ne compensent pas l’absence d’une explication convaincante.

[4] Par conséquent, j’ai rejeté la demande de prorogation de délai et j’ai rejeté le grief au motif qu’il est hors délai.

II. Procédure suivie pour la présente décision

[5] La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission », qui, dans la présente décision, fait également référence à l’un ou l’autre des prédécesseurs de la Commission) est habilitée à statuer sur une plainte sur la base d’arguments écrits, car elle a le pouvoir de trancher « […] toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience » conformément à l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365); voir aussi Andrews c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 141 au paragraphe 3 (confirmée dans 2022 CAF 159 au par. 10).

[6] L’employeur s’est opposé au présent grief au motif qu’il était hors délai. Le fonctionnaire a répondu en affirmant que le grief n’était pas hors délai, mais a également demandé la possibilité de présenter une demande de prorogation du délai pour déposer le grief si la Commission conclut qu’il était hors délai. L’employeur a déposé une courte réponse à la thèse du fonctionnaire. Après avoir examiné ces arguments, j’ai décidé que la question relative au respect des délais pourrait être tranchée par écrit. J’ai également décidé que toute demande de prorogation de délai (au besoin) pourrait également être tranchée par écrit en même temps que ma décision sur le respect du délai de dépôt du présent grief. J’ai établi un calendrier pour que les parties échangent des arguments écrits sur cette demande et je leur ai permis de compléter leurs arguments actuels sur le respect du délai de dépôt du grief. Enfin, j’ai demandé aux parties de déposer des copies de deux courriels (datés du 26 février et du 4 mars 2021) qui ont été mentionnés dans les arguments écrits des deux parties. Le fonctionnaire a déposé ces copies, conformément à ma demande.

[7] Après avoir examiné les arguments écrits des parties, je demeure convaincu que cette objection préliminaire et la demande connexe de prorogation de délai peuvent être tranchées par écrit. Il n’y a aucun fait concernant le respect du délai de dépôt du grief qui exige une audience ou un contre-interrogatoire des témoins pour être réglé.

III. Nature du grief

[8] Dans la présente décision, j’ai résumé les allégations formulées dans le grief et le contexte dans lequel il s’inscrit uniquement dans le but de déterminer l’objet du grief. Je n’ai pas abordé son bien-fondé.

[9] Le fonctionnaire était employé au ministère des Pêches et des Océans (MPO). Son poste d’attache était classifié au groupe et au niveau BI-04 et il occupait le poste de chef de section. Le fonctionnaire a également agi à titre de gestionnaire de la Division des ressources aquatiques pendant environ huit mois au total, y compris cinq mois par intermittence entre mai 2019 et mars 2020. Au début de la pandémie de COVID-19 en mars 2020, le fonctionnaire a demandé à quitter ce rôle intérimaire afin de pouvoir répondre aux besoins immédiats de sa famille en matière de garde d’enfants. L’employeur a accepté et sa nomination intérimaire a pris fin le 31 mars 2020 à sa demande. Le fonctionnaire a pris un congé du 15 juin au 15 septembre 2020 pour s’occuper de ses enfants, puis il est retourné à son poste d’attache. Le fonctionnaire n’a pas eu d’autres possibilités d’agir à titre de gestionnaire de division, sauf pour une période de cinq jours du 16 au 20 novembre 2020.

[10] Le MPO a mené un processus de nomination externe annoncé pour nommer des employés au poste de gestionnaire de division (classifié au groupe et au niveau REM‑02). Le fonctionnaire et d’autres collègues ont présenté leur candidature. Le fonctionnaire et d’autres collègues ont été jugés qualifiés pour le poste. En fin de compte, le MPO n’a pas nommé le fonctionnaire. Il a plutôt nommé l’employé qui avait occupé le poste par intérim du 4 août au 1er décembre 2020. L’employeur explique qu’il a offert le poste à cet employé le 17 novembre 2020 et qu’il a prolongé la nomination intérimaire de cet employé du 1er décembre 2020 au 15 janvier 2021 pour lui donner le temps de mettre au point cette nomination.

[11] Il n’y a eu aucune nomination intérimaire au poste de gestionnaire de division depuis celle qui a débuté le 1er décembre 2020.

[12] Le 19 février 2021, le MPO a nommé un deuxième candidat à un autre poste de gestionnaire de division. Cette deuxième nomination a donné lieu à une réunion plus tard ce jour-là entre le fonctionnaire et la directrice régionale des sciences (DRS) du MPO pour discuter des décisions de nomination. Le 26 février 2021, le fonctionnaire a envoyé un courriel pour donner suite à cette réunion et faire état de ses préoccupations. La directrice régionale a répondu par courriel le 4 mars 2021. Le fonctionnaire a communiqué avec son délégué syndical le 10 mars 2021, puis il a préparé et signé le présent grief le 31 mars 2021 avec l’aide de son délégué syndical. Même si le fonctionnaire affirme parfois qu’il a déposé son grief le 31 mars 2021, il a précisé dans ses arguments en réplique qu’il l’avait déposé le 6 avril 2021. Heureusement, rien dans le présent cas ne dépend de la question de savoir si le grief a été déposé le 31 mars ou le 6 avril (ce qui représente une différence d’un seul jour ouvrable).

[13] Les parties conviennent que le délai pour déposer le présent grief était de 25 jours ouvrables à compter de la date à laquelle le fonctionnaire a été informé ou a pris connaissance pour la première fois de « […] l’action ou des circonstances donnant lieu au grief ». La convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada pour l’unité de négociation Sciences appliquées et examen des brevets (SP) (expirée le 30 septembre 2022; la « convention collective ») qui fixe ce délai se lit comme suit :

[…]

35.12 L’auteur du grief peut présenter un grief au premier (1er) palier de la procédure de la manière prescrite au paragraphe 35.06, au plus tard le vingt‑cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle l’auteur du grief est informé ou devient conscient de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief […]

35.12 A grievor may present a grievance to the first step of the procedure in the manner prescribed in clause 35.06, not later than the twenty-fifth (25th) day after the date on which the grievor is notified or on which the grievor first becomes aware of the action or circumstances giving rise to the grievance.…

[…]

 

[14] Pour déterminer « […] l’action ou [l]es circonstances donnant lieu au [présent] grief », j’ai suivi l’approche adoptée dans Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, au paragraphe 37, qui consiste à déterminer cette action ou cette circonstance en examinant le formulaire de grief ainsi que les arguments déposés par les deux parties. Dans le présent cas, cela signifie également que j’ai tenu compte des deux courriels (du 26 février et du 4 mars 2021) qui décrivent la nature du présent cas.

[15] Le grief se lit comme suit :

[Traduction]

Je conteste l’omission de l’employeur d’assurer l’équité et la transparence dans l’attribution des nominations intérimaires pour la période de mars 2020 jusqu’à ce jour.

Cela contrevient à la convention collective du groupe0 [sic] SP, y compris, sans toutefois s’y limiter, à l’article 5 (Droits de la direction) et à l’article 44 (Élimination de la discrimination), ainsi qu’à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[16] Selon la thèse du fonctionnaire, il n’a pas eu une possibilité équitable ou égale de postuler le poste de gestionnaire de division parce qu’il n’a pas eu la possibilité d’occuper ce poste par intérim à son retour au travail en septembre 2020. Le fonctionnaire affirme qu’il a été empêché d’exercer ce rôle parce qu’il avait pris un congé pour répondre aux besoins de sa famille découlant de la pandémie de COVID-19 et que le MPO ne l’a pas nommé à un poste intérimaire après son retour parce qu’il a supposé à tort qu’il ne souhaitait plus occuper un poste par intérim. Le fonctionnaire déclare que, en tant que père homosexuel, il a été traité différemment des travailleuses qui accordent la priorité à leur famille en cas de crise. Le courriel de la directrice régionale du 4 mars 2021 conteste cette allégation et souligne qu’il y a eu deux périodes intérimaires principales, l’une du 1er avril au 15 mai 2020 (c.-à-d. la période au cours de laquelle le fonctionnaire a demandé de cesser d’occuper ce poste) et l’autre de la fin juillet (c.-à-d. celle qui a commencé le 4 août 2020) jusqu’au 1er décembre 2020 qui a commencé pendant que le fonctionnaire était en congé.

IV. Respect du délai de dépôt du grief

[17] L’employeur s’oppose au dépôt tardif du présent grief. L’employeur affirme que la dernière nomination intérimaire a été effectuée le 1er décembre 2020 et que même cela constituait une mesure temporaire en vue d’assurer une transition harmonieuse à la nomination permanente. Le grief a été déposé plus de 25 jours ouvrables après cette date.

[18] Le fonctionnaire fait état de deux éléments en réponse à l’argument de l’employeur, décrits ci-dessous. J’ai rejeté ces deux arguments.

1. Des discussions avec la direction ne prorogent pas un délai

[19] En premier lieu, le fonctionnaire affirme que ses discussions informelles avec la direction ont prorogé cette période de 25 jours de sorte qu’elle n’a commencé à s’écouler que le 4 mars 2021.

[20] Je ne suis pas du même avis. En l’absence d’une entente visant à suspendre le délai, « [l]es discussions en cours entre un agent négociateur et l’employeur ne suspendent pas le délai à moins que les parties n’aient accepté de le suspendre » (voir Tuplin c. Agence du revenu du Canada, 2021 CRTESPF 29, au par. 49). Cette règle s’applique également aux discussions entre un fonctionnaire et son employeur. De même, la Commission a conclu que « […] le délai pour le dépôt d’un grief n’est pas unilatéralement prolongé par les tentatives de l’employé pour convaincre l’employeur de revenir sur sa décision ou de la modifier » et que « [d]es discussions continues à propos de la décision de l’employeur […] » ne prorogent pas la période au cours de laquelle le grief doit être déposé (voir Mark c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 34, aux par. 22 et 27).

[21] Les discussions en cours entre le fonctionnaire et la direction n’ont pas prorogé le délai pour déposer un grief.

[22] Le fonctionnaire a invoqué l’alinéa 35.05c) de la convention collective pour étayer son argument, qui est rédigé comme suit :

35.05

35.05

[…]

c. Les parties reconnaissent l’utilité d’une explication officieuse entre les employés et leurs superviseurs et entre l’Institut et l’employeur de façon à résoudre les problèmes sans avoir recours à un grief officiel. Lorsqu’un employé ou l’Institut annonce, dans les délais prescrits au paragraphe 35.12, qu’il désire se prévaloir du paragraphe présent, il est entendu que la période couvrant l’explication initiale jusqu’à la réponse finale ne doit pas être comptée comme comprise dans les délais prescrits lors d’un grief.

c. The parties recognize the value of informal discussion between employees and their supervisors and between the Institute and the Employer to the end that problems might be resolved without recourse to a formal grievance. When notice is given that an employee or the Institute, within the time limits prescribed in clause 35.12, wishes to take advantage of this clause, it is agreed that the period between the initial discussion and the final response shall not count as elapsed time for the purpose of grievance time limits.

[Je mets en évidence]

 

[23] Le fonctionnaire n’a jamais donné l’avis requis selon lequel il souhaitait se prévaloir de cette clause. Par conséquent, l’alinéa 35.05c) n’est d’aucun secours au fonctionnaire.

2. La date de référence du grief était au plus tard le 1er décembre 2020

[24] En deuxième lieu, le fonctionnaire déclare qu’il n’a pris connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief que le 4 mars 2021, lorsqu’il a reçu le courriel à cette date en réponse à son courriel du 26 février 2021. Je citerai les arguments du fonctionnaire sur ce point :

[Traduction]

[…]

[…] L’IPFPC [l’agent négociateur du fonctionnaire] soutient que le grief a été déposé dans les délais. Comme l’employeur l’a fait remarquer, la nomination permanente au poste REM-02 a été effectuée le 15 janvier 2021. Entre cette date et la présentation de son grief le 31 mars 2021, le fonctionnaire a communiqué régulièrement avec la haute direction au sujet de la nomination et de ses préoccupations quant à la façon dont le processus de dotation a été mené. Ce n’est que par ces communications que le fonctionnaire est devenu conscient du fait que la discrimination constituait un facteur dans l’attribution inégale des affectations intérimaires et que cela a mené à la nomination permanente […]

[…]

[…] Le fonctionnaire a pris connaissance de la nomination permanente le 15 janvier 2021. Toutefois, ce n’est qu’après avoir rencontré Mme Janes le 19 février 2021 et avoir examiné sa correspondance le 4 mars 2021 qu’il est devenu évident que l’employeur s’était appuyé sur l’affectation inégale antérieure des possibilités intérimaires comme motif central de la nomination permanente. De plus, c’est au cours de ces échanges que la haute direction a formulé des commentaires qui ont révélé un parti pris contre le fonctionnaire fondé sur sa décision de prendre un congé en raison de ses obligations en matière de garde d’enfants. Par conséquent, le fonctionnaire n’est devenu « conscient de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief » conformément à la clause 35.12 de la convention collective du groupe SP que le 4 mars 2021, soit la date de référence de son grief […]

[…]

 

[25] Le fonctionnaire a été plus succinct dans ses arguments en réponse, comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] La relation entre ses obligations en matière de garde d’enfants et le désavantage injuste n’est toutefois devenue évidente qu’au cours des discussions avec la direction à ce sujet entre le 19 février 2021 et le 4 mars 2021. Par conséquent, cette dernière date sert de cause d’action ou de déclencheur pour le grief déposé le 6 avril 2021.

[…]

 

[26] Encore une fois, je ne suis pas du même avis, et ce, pour deux raisons.

[27] En premier lieu, les arguments du fonctionnaire portant sur le respect des délais orientent son argumentation sur la nomination permanente. Le problème est qu’il n’a pas contesté cette nomination. Il ne pouvait pas la contester non plus. Le paragraphe 208(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») énonce qu’un fonctionnaire ne peut présenter de grief si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale. La Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « LEFP ») prévoit une réparation aux fonctionnaires lésés par les nominations pour une période indéterminée – soit auprès de la Commission de la fonction publique si la nomination a été effectuée dans le cadre d’un processus de nomination externe (voir l’art. 66 de la LEFP), comme c’était le cas pour la nomination pour une période indéterminée, ou auprès de la Commission si la nomination a été effectuée dans le cadre d’un processus de nomination interne (voir le par. 77(1) de la LEFP).

[28] Pour ce motif, le fonctionnaire ne pouvait pas contester la nomination pour une période indéterminée.

[29] Le grief doit porter sur une série de nominations intérimaires effectuées jusqu’au 1er décembre 2020. Étant donné que les deux premières nominations intérimaires internes étaient d’une durée inférieure à quatre mois, elles n’étaient pas visées par le processus de plainte prévu dans la LEFP (voir le par. 14(1) du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (DORS/2005-334)), ce qui explique sans doute la raison pour laquelle le fonctionnaire a plutôt déposé un grief. Étant donné qu’il n’existe aucun recours contre une nomination intérimaire d’une durée inférieure à quatre mois en vertu de la LEFP, la Commission a compétence pour entendre un grief alléguant qu’une telle nomination intérimaire contrevient à la clause d’une convention collective visant à éliminer la discrimination. Par exemple, dans Haynes c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 85, la Commission a accepté le fait qu’elle avait compétence pour entendre un grief portant sur l’omission d’offrir à une employée un poste intérimaire d’une durée inférieure à quatre mois parce que la LEFP ne prévoyait aucun recours contre ces nominations intérimaires, en déclarant au paragraphe 23 que « […] étant donné que la fonctionnaire n’a aucun recours devant le TDFP [en vertu de la LEFP], les procédures de ce dernier ne peuvent constituer ‘‘un autre recours administratif de réparation’’ aux termes des restrictions prescrites par l’article 208 quant aux types de griefs pouvant être déposés auprès de l’employeur ».

[30] Toutefois, la dernière nomination intérimaire qui a débuté le 1er décembre 2020 a donné lieu à une période cumulative de nomination intérimaire d’une durée de plus de quatre mois, ce qui signifie que le processus de plainte prévu à l’article 77 de la LEFP s’appliquait – ce qui signifie à son tour que le fonctionnaire ne pouvait pas contester cette nomination intérimaire.

[31] Par conséquent, la nomination intérimaire la plus récente qui aurait pu être contestée était celle du 4 août au 1er décembre 2020. Le fonctionnaire ne laisse pas entendre qu’il n’était pas au courant de cette nomination intérimaire lorsqu’il est revenu de son congé le 15 septembre 2020. Par conséquent, il était au courant de l’action ou des circonstances qui ont donné lieu au grief – c’est-à-dire les nominations intérimaires – bien plus de 25 jours avant de déposer le grief.

[32] Le fonctionnaire soutient qu’il n’est devenu conscient de l’incidence de la répartition inégale des nominations intérimaires que le 4 mars 2021. Toutefois, cette « incidence » était celle des nominations intérimaires sur l’évaluation des candidats à la nomination permanente. Il ne pouvait pas contester cette évaluation. De plus, le délai de prescription pour déposer un grief commence lorsqu’un employé devient conscient de « l’action ou des circonstances donnant lieu au grief » – et non de l’incidence de cette action ou de ces circonstances.

[33] Pour ces motifs, je suis d’accord avec l’employeur pour dire que la date de référence du présent grief est au plus tard le 1er décembre 2020, date à laquelle la nomination intérimaire pouvant faire l’objet d’un grief a pris fin.

[34] En deuxième lieu, le fonctionnaire a fait valoir qu’il [traduction] « […] est devenu conscient du fait que la discrimination constituait un facteur dans l’attribution inégale des affectations intérimaires […] » uniquement après ses discussions avec sa directrice régionale. Selon l’argument du fonctionnaire, les nominations intérimaires étaient discriminatoires sur la base de l’orientation sexuelle ou de la situation de famille parce que les employés ayant des obligations familiales sont moins en mesure d’accepter des nominations intérimaires et que cette incidence est particulièrement marquée pour les parents homosexuels masculins. Toutefois, dans son cas, il a choisi de cesser d’occuper une nomination intérimaire en mars 2020 en raison d’obligations familiales. Je ne peux pas souscrire à son argument selon lequel il n’est devenu conscient que des obligations familiales donneraient lieu à une attribution inégale des affectations intérimaires qu’en 2021, étant donné ce qui s’est produit en mars 2020.

[35] Quoi qu’il en soit, la discussion verbale avec la directrice régionale a eu lieu le 19 février 2021. Le délai de vingt-cinq (25) jours ouvrables qui suivent le 19 février 2021 est fixé au 26 mars 2021. Par conséquent, même si je me trompe et que le fonctionnaire est devenu conscient de l’action ou des circonstances qui ont donné lieu au grief seulement le 19 février 2021, son grief est toujours hors délai.

[36] Il reste un courriel envoyé par sa directrice régionale le 4 mars 2021. J’ai conclu que ce courriel n’étaye pas l’argument du fonctionnaire concernant le respect des délais, et ce, pour deux raisons.

[37] En premier lieu, le courriel du 4 mars 2021 était en réponse au courriel du fonctionnaire du 26 février 2021, dans lequel il indique ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le présent courriel fait suite à notre appel de vendredi dernier (le 19 février 2021) concernant la deuxième nomination récente à un poste de gestionnaire de division au sein de la Direction générale des sciences. Comme je l’ai affirmé clairement, je suis extrêmement déçu d’apprendre qu’une fois de plus, je n’ai pas été pris en considération aux fins de la promotion. J’estime que les raisons sont fermement enracinées dans une vision archaïque des hommes en tant que principaux pourvoyeurs de soins d’enfants et dans une procédure douteuse.

[…]

Je crois qu’on m’a empêché de continuer à exercer par intérim le rôle de gestionnaire de division parce que j’avais pris un congé auparavant pour répondre aux besoins de ma famille en conséquence directe de la pandémie. Je crois en outre qu’une telle approche inéquitable en matière de sélection du prochain gestionnaire de division ne serait pas tolérée dans le cas d’une candidate qui accorde la priorité à sa famille en cas de crise… À une époque où on parle beaucoup de briser les plafonds de verre, il semble que la fonction publique n’est pas prête à permettre à des hommes homosexuels compétents d’assumer des rôles au sein de la haute direction régionale.

[…] je chercherai des options officielles pour remédier à l’injustice dont j’ai été victime.

[…]

 

[38] Dans ce courriel, le fonctionnaire accuse sa directrice régionale de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et/ou la situation de famille et déclare qu’il entamera une procédure en conséquence. Le fonctionnaire affirme également que sa plainte sera fondée sur des événements qui ont culminé avec la discussion du 19 février 2021. Le fonctionnaire affirme clairement qu’il était conscient de sa demande au plus tard le 19 février 2021.

[39] En deuxième lieu, j’ai lu le courriel du 4 mars 2021 dans son intégralité. La directrice régionale n’admet à aucun moment l’existence d’une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou la situation de famille. Elle nie plutôt les allégations du fonctionnaire et affirme que [traduction] « […] toutes les décisions de dotation sont fondées sur le mérite et sont effectuées de manière équitable et impartiale afin de respecter les normes d’éthique élevées ». Elle décrit ensuite le processus de nomination pour une période indéterminée avant de décrire les nominations intérimaires (l’objet du présent grief) en affirmant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Vous avez soulevé les deux affectations intérimaires que [le candidat retenu] a entreprises en 2020. La première est survenue après que vous m’avez informé que vous ne souhaitiez pas prolonger votre période d’intérim après avoir occupé le poste intérimaire pendant le mois de mars 2020 lorsque le GD titulaire du poste était en congé de maladie. Par conséquent, [le candidat retenu] a eu la possibilité d’occuper le poste par intérim pendant le reste de la période de congé de maladie du GD titulaire du poste, entre le 1er avril et le 15 mai 2020. La deuxième période d’intérim, fixée à quatre mois moins un jour pour assurer la continuité opérationnelle pendant une période difficile, est survenue après que le GD titulaire du poste a informé le ministère de son intention de prendre sa retraite et de cesser de travailler à la fin de juillet 2020, période pendant laquelle vous étiez en congé prolongé. Même si [le candidat retenu] a entrepris ce poste intérimaire pendant ces périodes, je fais remarquer que, de façon positive, vous avez également profité de possibilités d’occuper des postes intérimaires pendant de longues périodes dans un passé récent.

[…]

 

[40] Le fonctionnaire n’a rien relevé dans ce courriel qui pourrait donner lieu à une allégation de discrimination. La directrice régionale a nié les actes répréhensibles et a expliqué son refus. Une négation d’actes répréhensibles ne fait pas recommencer un délai de prescription. Le fonctionnaire était conscient des circonstances qui ont donné lieu à son grief avant que la directrice régionale ne rejette ses allégations le 4 mars 2021.

[41] Pour ces motifs, j’ai conclu que le grief est hors délai.

V. Demande d’une prorogation de délai

[42] La Commission a le pouvoir de proroger tout délai énoncé dans une convention collective ou dans le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement ») « par souci d’équité » (voir l’al. 61b) du Règlement). Les deux parties ont axé leurs arguments sur les facteurs dits Schenkman (de Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1), que la Commission applique couramment lorsqu’elle détermine s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai, à savoir :

· le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

· la durée du retard;

· la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;

· l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit le défendeur si la prorogation est accordée;

· les chances de succès du grief (souvent exprimées par la question de savoir si le grief soulève une cause défendable).

 

[43] Comme la Commission l’a déclaré dans Bowden, au paragraphe 55, « [c]es critères ne sont pas fixes et l’objectif primordial est de déterminer ce qui est juste en fonction des faits de chaque cas […] De plus, les critères n’ont pas nécessairement le même poids et la même importance […] ». Le fonctionnaire a également cité Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2013 CRTFP 144, et Duncan c. Conseil national de recherches du Canada, 2016 CRTEFP 75, pour étayer ces deux propositions – soit que les facteurs ne sont pas tous pondérés de façon égale et que la préoccupation primordiale est l’équité. Je suis du même avis.

[44] Les deux parties ont abordé dans l’ordre les cinq facteurs énoncés dans Schenkman, et je ferai de même.

1. Le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[45] Habituellement, il s’agit du facteur le plus important dans une demande de prorogation de délai. Comme la Commission l’a affirmé dans Brassard c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2013 CRTFP 102, au paragraphe 26 :

[26] […] En l’absence de motifs clairs, logiques et convaincants justifiant le retard, la durée du retard, le fait que le demandeur ait fait preuve de diligence ou que le rejet de la demande de la prorogation entraîne une injustice à l’égard du demandeur plus importante que le préjudice subi par le défendeur si la prorogation est accordée, ou encore que les chances de succès du grief soient bonnes ou non importe peu dans la plupart des cas. Il faut un motif sérieux pour justifier le retard. La Commission a adopté cette approche de façon constante au cours des deux dernières années (voir, par exemple, Lagacé, ou Callegaro c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 110). D’autre part, comme je l’ai observé dans Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33, par le passé, la Commission a rarement accepté d’accorder une prorogation du délai sans motifs clairs, logiques et convaincants justifiant le retard.

 

[46] Ou, plus directement, « […] dans la plupart des cas, les autres critères n’ont pas beaucoup d’importance […] » (voir Bowden, au par. 82).

[47] Le fonctionnaire affirme ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] la seule raison justifiant le retard était les efforts de bonne foi déployés par le fonctionnaire pour soulever ses préoccupations directement auprès de la haute direction. Ce n’est qu’après que ces conversations ont mené à une impasse et, d’ailleurs, ont démontré au fonctionnaire que l’attribution inégale et discriminatoire des affectations intérimaires constituait un facteur central dans la nomination permanente d’un autre candidat au poste REM-02, qu’il a communiqué avec son syndicat et a déposé un grief.

[…]

 

[48] L’employeur indique que le fonctionnaire aurait pu déposer un grief plus tôt et qu’il n’a donné aucune raison claire, logique et convaincante quant à la raison pour laquelle il ne l’a pas fait.

[49] De façon générale, la Commission a conclu que les discussions en cours ne constituent pas une explication convaincante justifiant le retard à déposer un grief. Par exemple, elle a affirmé que « […] de[s] discussions pour régler des questions ne justifie[nt] pas le dépôt hors délai des griefs. Une fois qu’il est déposé, un grief peut toujours être mis en suspens en attendant le résultat des discussions entre les parties » (voir Salain c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 117, au par. 45). Plus récemment, la Commission a été tout aussi directe : « […] des discussions officieuses ne justifient pas un dépôt hors délai d’un grief […] » (tiré de Fragomele c. Agence du revenu du Canada, 2022 CRTESPF 39, au par. 148).

[50] Même si j’acceptais les arguments du fonctionnaire selon lesquels une discussion en cours justifie un retard (ce que je ne fais pas), je me préoccupe du fait que le fonctionnaire n’a fourni aucune justification claire, logique et convaincante pour toute la période du retard.

[51] Dans d’autres administrations, les décideurs ont exigé que la partie qui demande d’excuser un retard fournisse une explication adéquate pour toute la période du retard. Par exemple :

· La Cour fédérale exige qu’un demandeur établisse « […] qu’il existe une justification pour le retard pendant toute la période du retard […] » (voir Beilin c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 88 FTR 132 (CF 1re inst.), au par. 6, et Doray c. Canada, 2014 CAF 87).

· La Cour d’appel du Manitoba a refusé d’accorder une prorogation du délai pour déposer un appel parce que la santé de l’appelante [traduction] « […] ne justifie pas de façon satisfaisante toute la période de retard […] » (voir Delichte v. Rogers, 2018 MBCA 79, au par. 25).

· La Cour d’appel de l’Ontario exige qu’une partie qui demande une prorogation de délai pour se retirer d’un recours collectif établisse que [traduction] « […] toute la période de retard, à compter du dépassement de la date limite pour se retirer jusqu’à la date de présentation de la demande de prorogation, a été le résultat d’une négligence excusable » (voir Johnson v. Ontario, 2022 ONCA 725, au par. 40).

 

[52] La décision de la Commission dans Prior c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTFP 96, peut sembler, à première vue, rejeter cette proposition aux paragraphes 133 et 139, qui se lisent comme suit :

133 La défenderesse a fait référence à un certain nombre de décisions rendues par la Cour fédérale du Canada à l’appui de la proposition selon laquelle une justification relative à une prorogation du délai exige que le retard soit justifié par une explication raisonnable et, dans certains cas, pour toute la période du retard.

[…]

139 Il est évident que les Règles des Cours fédérales ne stipulent pas les facteurs sur lesquels le pouvoir discrétionnaire des cours de proroger les délais doit être fondé et, par conséquent, les tribunaux ont élaboré et établi des facteurs dans la jurisprudence à appliquer. La disposition dans la Loi de l’impôt sur le revenu exige expressément qu’un juge soit convaincu que la demande a été déposée dès que matériellement possible. Ces cas sont, à mon avis, très différents du présent cas, où les Règlements, en tant que législation subordonnée, stipulent que les prorogations doivent être accordées par souci d’équité.

[Je mets en évidence]

 

[53] Toutefois, dans Prior, la Commission n’a pas dit explicitement que l’omission de fournir une explication pour toute la période de retard n’était pas pertinente. La Commission a fini par dire deux choses : que la négligence de la part d’un syndicat pourrait constituer une explication justifiant un retard et que le principe primordial pour accorder ou refuser une prorogation de délai est l’équité.

[54] Je fais également remarquer que, dans Featherston c. Administrateur général (École de la fonction publique du Canada), 2010 CRTFP 72, la Commission a rejeté une demande de prorogation de délai parce que les problèmes de santé de la demanderesse ne permettaient pas d’expliquer la totalité de la période de retard. Cela est conforme au principe selon lequel les lacunes dans l’explication d’un retard sont pertinentes.

[55] À la lumière de ces cas, j’ai conclu que l’omission de fournir une explication claire, logique et convaincante justifiant toute la période de retard constitue un facteur pertinent dans l’évaluation de la demande de prorogation de délai. Le fait qu’une explication ne vise pas toute la période de retard n’est pas déterminant, mais il demeure pertinent.

[56] Dans le présent cas, les discussions invoquées par le fonctionnaire ont eu lieu entre le 19 février et le 4 mars 2021. Le fonctionnaire n’a fourni aucune explication justifiant le retard entre le 1er décembre 2020 et le 19 février 2021 – plus de 25 jours – puisqu’il n’y a eu aucune discussion pendant cette période. L’omission de fournir une explication pour toute la période milite contre le fonctionnaire; ce qui est pire, c’est que l’explication ne vise pas la première période de 25 jours du retard au cours de laquelle le fonctionnaire devait déposer un grief. Même si j’avais accepté le fait qu’il existait une raison claire et convaincante justifiant le retard, le fait que cette explication ne s’applique qu’après l’expiration du délai de prescription de 25 jours constitue un facteur militant contre l’octroi de cette prorogation de délai.

[57] Ce facteur milite contre une prorogation de délai.

2. La durée du retard

[58] Le fonctionnaire soutient que la durée du retard dans le présent cas n’était pas excessive. Toutefois, le fonctionnaire fonde cet argument sur la date de référence du grief qui, selon lui, correspond à la première nomination permanente effectuée le 15 janvier 2021. Comme je l’ai déjà expliqué, il ne s’agit pas de la date de référence du grief. Au risque de me répéter, le grief porte sur la répartition inégale des nominations intérimaires au poste de gestionnaire de division. L’employeur soutient que la date de référence du présent grief était le 1er décembre 2020. À mon avis, il s’agit de la dernière date de référence possible pour le présent grief, pour les motifs que j’ai exposés ci-dessus lorsque j’ai examiné le respect des délais aux fins du présent grief.

[59] En prenant le 1ᵉʳ décembre 2020 comme point de départ du délai pour déposer un grief, cela signifie que la durée du retard du dépôt du grief était dun peu plus de quatre mois (ce qui signifie que, comme la dit lemployeur, le grief était en retard denviron huit semaines). Dans Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59, au paragraphe 14, la Commission a indiqué qu’un retard de quatre ou de cinq mois ne peut pas être considéré comme court ou long. Dans Guittard c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2002 CRTFP 18, au paragraphe 28, la Commission a conclu qu’un retard de quatre mois n’est « pas vraiment excessif ». Dans Savard c. Conseil du Trésor (Passeport Canada), 2014 CRTFP 8, au paragraphe 67, la Commission a qualifié un retard de cinq mois de « pas exceptionnel ». Dans Duncan, au paragraphe 147, la Commission a qualifié un retard de quatre à cinq mois de « pas excessi[f] ». Je souscris à la teneur de ces cas selon laquelle le retard dans le présent cas n’est pas excessif, mais il n’est pas non plus court. Ce facteur milite en faveur de l’octroi d’une prorogation de délai – mais uniquement légèrement et je lui ai accordé peu de poids.

3. La diligence raisonnable du fonctionnaire

[60] Le fonctionnaire fait valoir qu’il a agi avec diligence après avoir [traduction] « […]été informé pour la première fois que l’attribution inégale et discriminatoire des affectations intérimaires constituait une importance capitale pour la nomination permanente de l’employeur lors de sa réunion avec la DRS le 19 février 2021 ». Le fonctionnaire a également soutenu que sa diligence devrait être prise en considération dans le contexte du traitement dilatoire du présent grief par l’employeur, surtout le retard de l’employeur à rendre une décision au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. L’employeur a rejeté le grief au deuxième palier le 25 juin 2021, mais n’a rendu aucune décision au troisième palier avant le 16 avril 2023. Le fonctionnaire soutient qu’il s’agissait d’un retard de [traduction] « près d’un an » – toutefois, selon mes calculs, il s’agissait d’un retard de près de deux ans (ce qui militerait davantage en faveur du fonctionnaire). Le fonctionnaire cite Van de Ven c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2023 CRTESPF 60, aux paragraphe 83 et 90, pour étayer cette proposition.

[61] L’employeur affirme que le fonctionnaire n’a pas fait preuve de diligence raisonnable parce que les discussions en cours ne suspendent pas les délais de prescription. J’ai déjà abordé cette question plus haut lorsque j’ai discuté de l’explication du retard fournie par le fonctionnaire. Par ailleurs, l’employeur ne dit rien sur la diligence du fonctionnaire.

[62] Les arguments du fonctionnaire sur la diligence raisonnable traitent le grief comme de l’incidence des nominations intérimaires sur la nomination permanente. Il ne s’agit pas de l’objet du grief – au risque de me répéter, il ne peut pas s’agir de l’objet du grief, car la nomination permanente ne peut pas faire l’objet d’un grief. Le grief doit porter sur l’attribution de nominations intérimaires d’une durée cumulative inférieure à quatre mois, dont la dernière a pris fin le 1er décembre 2020. Par conséquent, je cherche quand le fonctionnaire a fait preuve de diligence raisonnable depuis le jour où il a appris que les nominations intérimaires étaient inégales jusqu’au jour où il a déposé son grief, et pas seulement après avoir appris que les nominations intérimaires constituaient un facteur dans une mesure de dotation. Les prorogations de délai son une question d’équité; cependant, vigilantibus non dormientibus aequitas subvenit (l’équité sert le vigilant, et non pas le négligent).

[63] Je ne suis pas convaincu du fait que le fonctionnaire a fait preuve de diligence raisonnable dans la présente affaire pendant toute la période du retard. Il était au courant des nominations intérimaires, mais n’a rien fait. Après avoir pris connaissance de la première nomination permanente (le 15 janvier 2021), il a attendu plus d’un mois jusqu’à la deuxième nomination permanente pour exprimer ses préoccupations (le 19 février 2021), qui, de toute façon, concernaient principalement la première nomination permanente. Après la réunion au cours de laquelle il a exprimé ses préoccupations et entendu le point de vue de la direction, il a attendu encore deux semaines et demie pour communiquer avec son délégué syndical (le 10 mars 2021), puis attendu encore trois semaines pour signer le grief (le 31 mars 2021), et un peu moins d’une semaine (même si la plus grande partie était composée d’une fin de semaine et de jours fériés) pour le déposer (le 6 avril 2021).

[64] Je suis d’accord avec le fonctionnaire sur le principe que je peux considérer le traitement dilatoire d’un grief par un employeur lorsqu’il s’agit de décider si une prorogation de délai est équitable. Même si la Commission, dans Van de Ven, a tenu compte du retard de l’employeur lorsqu’il a évalué d’autres facteurs (notamment la durée du retard et l’équilibre au niveau du préjudice causé par le retard), je suis d’accord avec le fonctionnaire pour dire que je peux tenir compte du retard de l’employeur lorsque j’évalue plutôt la diligence raisonnable. Comme je l’ai mentionné plus haut, la question primordiale qui se pose lorsqu’il s’agit de décider s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai est l’équité; je ne me préoccupe pas de savoir où je [traduction] « place » des faits particuliers qui portent sur l’équité de l’octroi d’une prorogation de délai.

[65] Toutefois, le fonctionnaire (par l’entremise de son agent négociateur) a accepté d’accorder à l’employeur une série de prorogations de délai pour rendre une décision relative au grief au dernier palier. Il ne s’agit pas d’une situation comme dans Zeleke c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2023 CRTESPF 76, dans laquelle l’employeur n’a tout simplement pas fourni de décision relative au grief au dernier palier et n’a jamais demandé une prorogation auprès du fonctionnaire s’estimant lésé. De même, dans Van de Ven, l’agent négociateur ou la fonctionnaire s’estimant lésée n’avaient pas convenu de suspendre le grief ou de proroger le délai de réponse de l’employeur – en fait, l’employeur dans ce cas n’avait pas consulté du tout la fonctionnaire s’estimant lésée avant de rendre une réponse au dernier palier (voir Van de Ven, au par. 85).

[66] Je n’accorde aucun poids à la lenteur de l’employeur à répondre au grief au dernier palier. Le fonctionnaire a consenti au retard; il ne peut pas maintenant contester le retard qu’il a accepté à l’époque.

[67] Ce facteur ne milite pas en faveur de l’octroi d’une prorogation de délai.

4. Équilibre au niveau du préjudice

[68] Je cite les arguments de l’employeur sur le préjudice dans leur intégralité :

[Traduction]

[…]

Le représentant du fonctionnaire indique que l’employeur ne subirait aucun préjudice si une prorogation du délai pour déposer le grief était accordée. L’employeur ne souscrit pas à cette évaluation, car le fonctionnaire a déclaré sans élément de preuve que l’employeur n’avait offert aucune possibilité intérimaire en raison de sa situation de famille et de son orientation sexuelle. La décision de ne pas offrir la dernière nomination intérimaire (du 1er décembre 2020 au 15 janvier 2021) au fonctionnaire visait à assurer l’uniformité puisque la personne en poste actuel s’était vu offrir le poste pour une période indéterminée. Il n’y avait rien de discriminatoire dans cette décision.

[…]

 

[69] L’argument de l’employeur se résume comme suit : il estime qu’il obtiendra gain de cause.

[70] Ce n’est pas ce que l’on entend par préjudice pour l’employeur. Le préjudice consiste à déterminer si l’employeur subirait un préjudice en raison du retard de l’audience du présent cas et non à déterminer la force de ses arguments. Le préjudice peut être de nature procédurale, c’est-à-dire un retard qui empêche l’employeur de défendre dûment ses arguments – comme la perte de documents ou l’indisponibilité de témoins pendant la période de retard. Le préjudice peut également être important, en ce sens que l’employeur invoque l’omission de déposer un grief dans les délais lorsqu’il a pris une décision ou une mesure quelconque. Il existe d’autres formes de préjudice, mais la force des arguments de l’employeur ne lui cause pas un préjudice.

[71] L’employeur n’a pas établi qu’il subirait un préjudice si j’accordais la prorogation de délai.

[72] Voici l’affirmation du fonctionnaire concernant le préjudice :

[Traduction]

[…]

Si le grief est jugé hors délai, cela causera un préjudice important au fonctionnaire. Son grief porte sur une question sérieuse de discrimination fondée sur la situation de famille et l’orientation sexuelle qui a eu des répercussions durables sur sa trajectoire professionnelle au sein du ministère. Peu de temps après les événements, il a accepté une offre d’emploi à l’extérieur de sa région, afin d’avoir une certaine distance pour réfléchir à ce qui s’était passé. Cela a eu une incidence négative sur sa confiance dans la haute direction et sur la capacité de son employeur à régler adéquatement les questions d’égalité et de discrimination en milieu de travail. Il ne devrait pas être privé de recours pour poursuivre le bien-fondé de son grief en raison d’un retard relativement court dans le dépôt, surtout compte tenu des retards auxquels il a été confronté de la part de l’employeur pour traiter son grief.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[73] Je ne comprends pas non plus comment le fonctionnaire subirait un préjudice si le grief est rejeté. Le fonctionnaire n’a indiqué aucun avantage tangible ou concret pour lui dans le présent grief. La mesure corrective qu’il a demandée sur le formulaire de grief est que l’employeur veille à ce que les affectations intérimaires soient attribuées de manière équitable et sans discrimination. Toutefois, le fonctionnaire a déménagé dans une autre région et, par conséquent, toute ordonnance que la Commission rendrait en fonction des faits allégués dans le présent grief ne lui serait d’aucune utilité, car elle ne concernerait qu’une région d’où il a déménagé.

[74] Dans le formulaire de grief, le fonctionnaire demande à être « indemnisé intégralement ». Toutefois, la Commission ne peut pas ordonner à l’employeur de nommer le fonctionnaire à un poste de gestionnaire de division ou même ordonner de le nommer à un poste intérimaire. Comme l’a dit la Commission, « [u]n employé ne peut pas invoquer le droit à une nomination » (voir Santawirya c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2018 CRTESPF 85, au paragraphe 40 (annulée dans 2019 CAF 248, mais pas sur ce point)). Je ne suis pas certain de la mesure que la Commission est supposée prendre en tant que mesure corrective intégrale dans le présent cas.

[75] Par conséquent, en ce qui concerne le préjudice, il ne me reste que la déclaration du fonctionnaire selon laquelle ces événements ont [traduction] « […] eu une incidence négative sur sa confiance dans la haute direction […] ». Obtenir gain de cause dans le présent grief ne changera pas cette incidence. Si le fonctionnaire obtient gain de cause, la Commission confirmera simplement son manque de confiance dans la haute direction. Le préjudice que subira le fonctionnaire si la demande de prorogation de délai est rejetée se limite au réconfort qu’il pourrait obtenir en obtenant gain de cause.

[76] Ce facteur milite de manière relativement équilibrée en faveur et contre l’octroi d’une prorogation de délai, avec un léger avantage pour l’octroi de la prorogation de délai (étant donné que le fonctionnaire subirait un certain préjudice si elle est refusée, mais l’employeur ne subirait aucun préjudice si le grief fait l’objet d’une audience). Je lui ai donc accordé relativement peu de poids.

5. Question de savoir si le grief soulève une cause défendable

[77] Le fonctionnaire souligne que ce facteur est habituellement axé sur la question de savoir si le grief ne servirait à rien parce qu’il n’a aucune chance de succès ou est frivole ou vexatoire. Le fonctionnaire fait également valoir qu’il est difficile d’évaluer le bien-fondé du présent grief sans un dossier de preuve complet, mais rien n’indique qu’il n’a aucune chance de succès.

[78] L’employeur affirme que le présent grief porte sur des possibilités intérimaires qui, selon le fonctionnaire, ne lui ont pas été offertes, mais en fait, le fonctionnaire a refusé une possibilité intérimaire (en mars 2020) et la deuxième possibilité (à compter du 4 août 2020) a eu lieu pendant qu’il n’était pas disponible parce qu’il était en congé.

[79] J’admets avoir certaines préoccupations au sujet de la compétence de la Commission pour entendre le présent grief de la façon dont le fonctionnaire présente ses arguments. Les arguments du fonctionnaire reviennent constamment sur l’incidence que les nominations intérimaires ont eue sur la nomination permanente; comme je l’ai déjà dit, la nomination permanente ne relève pas de la compétence de la Commission par voie de grief.

[80] D’autre part, j’estime également que l’employeur n’a pas bien saisi l’objet du grief. Le fonctionnaire ne dit pas qu’il aurait dû recevoir plus ou une nomination intérimaire particulière (ou du moins, ce n’est pas tout ce qu’il affirme). Les arguments du fonctionnaire sont plus nuancés et systémiques que cela. Les arguments du fonctionnaire, tels qu’ils sont énoncés dans le courriel du 26 février 2021 et indiqués dans ses arguments concernant le respect des délais, suivent le syllogisme suivant :

1) En 2020, le fonctionnaire n’a pas été en mesure d’occuper un poste intérimaire pendant de longues périodes en raison d’obligations familiales pendant la pandémie, et le MPO a utilisé une nomination intérimaire de longue durée au lieu d’une série de nominations plus courtes.

2) Cette incapacité d’occuper un poste intérimaire pendant de longues périodes est plus prononcée pour les employés qui ont des obligations familiales ou en matière de garde d’enfants.

3) Par conséquent, le recours à des nominations intérimaires de longue durée plutôt que de courte durée constitue une discrimination par effet préjudiciable fondée sur la situation de famille parce que les employés ayant des obligations familiales sont moins en mesure de s’engager envers des nominations intérimaires plus longues, ce qui signifie qu’ils sont moins susceptibles de profiter des avantages des nominations intérimaires (ce qui comprend, sans toutefois s’y limiter, l’accès aux promotions).

4) De plus, le fonctionnaire est un homme homosexuel qui est également un parent. L’employeur aurait pensé différemment concernant le fait qu’une femme hétérosexuelle prenne un congé pour s’occuper de ses enfants pendant la pandémie, ce qui constitue une discrimination fondée sur le sexe et/ou l’orientation sexuelle.

 

[81] La Commission n’a pas compétence pour entendre un grief portant sur une nomination pour une période indéterminée particulière. Toutefois, la Commission a compétence pour entendre un grief alléguant que des nominations intérimaires d’une durée inférieure à quatre mois ont été réparties d’une manière qui contrevient à la clause d’élimination de la discrimination de la convention collective.

[82] Il est au moins plausible que la rotation des nominations intérimaires chaque mois (comme le fonctionnaire l’a proposé dans son courriel du 26 février 2021) soit nécessaire pour s’assurer que les employés qui occupent des postes intérimaires pendant des périodes plus longues n’obtiennent pas d’avantage professionnel ou d’autres avantages (dont le plus évident est un salaire plus élevé lorsqu’ils occupent un poste intérimaire) par rapport aux employés qui ne peuvent pas occuper un poste intérimaire pendant de longues périodes pour des raisons familiales. Je ne dis pas que je souscris ou non à l’argument, et je ne dis pas que je souscris à l’argument selon lequel une nomination intérimaire d’une durée inférieure à quatre mois est longue; cependant, l’argument n’est ni frivole ni vexatoire. Ce facteur milite en faveur de l’octroi d’une prorogation de délai.

6. Conclusion relative à la prorogation de délai

[83] Dans le présent cas, il y a une explication non convaincante du retard, un manque de diligence raisonnable et l’absence de préjudice tangible que subirait le fonctionnaire, d’une part, et l’absence totale de préjudice que subirait l’employeur, d’autre part, une cause défendable pour le fonctionnaire et un retard relativement court. Une demande de prorogation de délai n’est pas tranchée en additionnant simplement les facteurs pour et contre et en donnant gain de cause à la personne qui « gagne » le plus de facteurs – ce qui est une bonne chose dans le cas présent, étant donné qu’il y a égalité.

[84] Comme je l’ai mentionné plus haut, de tous les facteurs, la Commission a généralement accordé le plus d’importance à l’explication justifiant le retard. Dans le présent cas, j’ai fait de même. Les autres facteurs en faveur de l’octroi de la prorogation de délai (l’absence de préjudice que subirait l’employeur, une cause défendable pour le fonctionnaire et un retard relativement court) ne l’emportent pas sur l’explication non convaincante justifiant le dépôt tardif du présent grief. Même si c’était le cas, ils seraient à leur tour compensés par d’autres facteurs (un manque de diligence raisonnable et un manque de préjudice tangible) qui militent contre l’octroi de la prorogation de délai demandée.

[85] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[86] La demande de prorogation de délai est rejetée.

[87] Le grief est rejeté.

Le 12 janvier 2024.

Traduction de la CRTESPF

Christopher Rootham,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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