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Date: 20240112

Dossier: 561-02-48519

 

Référence: 2024 CRTESPF 6

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Tamar Messer

plaignante

 

et

 

Alliance de la fonction publique du Canada

 

défenderesse

Répertorié

Messer c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour la défenderesse : Eve Berthelot, Alliance de la Fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 24 et 28
novembre 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] La plaignante a déposé une plainte relative au devoir de représentation équitable contre l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) en raison de la déclaration publique faite par l’AFPC le 14 octobre 2023 au sujet de la violence en Palestine et en Israël. La plaignante se plaint également que l’AFPC a rejoint la coalition « Cessez le feu ». La plaignante allègue que le résultat de ces actions signifie que l’AFPC perpétue l’antisémitisme et qu’elle appuie le terrorisme.

[2] La Commission n’a pas compétence pour entendre la présente plainte. Le devoir de représentation équitable s’étend à la façon dont un agent négociateur représente les employés seulement lorsque l’objet de la représentation (1) relève de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), et (2) concerne un différend avec l’employeur. Les déclarations d’un agent négociateur sur des questions sociales ou politiques plus larges ne relèvent pas de son devoir de représentation équitable. Par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour entendre une plainte au sujet des déclarations ou de la position d’un agent négociateur sur des questions sociales ou politiques plus vastes. Le recours éventuel du plaignant est ailleurs.

II. Cadre de la décision

[3] La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») peut trancher toute question dont elle est saisie sans tenir d’audience, conformément à l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365). J’ai exercé ce pouvoir pour trancher le présent cas en me fondant sur les arguments écrits des parties.

[4] Pour rendre ses décisions sur les plaintes relatives au devoir de représentation équitable, la Commission a souvent appliqué une analyse de la cause défendable (voir, par exemple, Burns c. Unifor, section locale 2182, 2020 CRTESPF 119, aux par. 82 à 84, Abi-Mansour c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 48, aux par. 48 et 49, Musolino c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 46, au para. 32, Fortin c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 67, au par. 26, Corneau c. Association des juristes de Justice, 2023 CRTESPF 16, au par. 17, Serediuk c. Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (UCCO-SACC-CSN), 2023 CRTESPF 71, aux para. 5 à 7, et Archer c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 105, aux par. 27 à 29).

[5] L’analyse de la cause défendable m’oblige à considérer les faits allégués par la plaignante comme véridiques et à déterminer ensuite si la plaignante a établi une cause défendable selon laquelle la défenderesse a contrevenu à la Loi. Pour trancher le présent cas, j’ai appliqué ce cadre de la cause défendable. Par conséquent, les faits exposés dans la présente décision sont tirés de la plainte. J’ai évalué si les faits allégués par la plaignante signifient que la plainte a une chance défendable de succès.

III. Nature de la plainte

[6] La plaignante est membre de l’AFPC. La plainte indique que le 14 octobre 2023, l’AFPC a fait une déclaration publique au sujet de la violence en Palestine et en Israël. La plaignante affirme que cette déclaration est discriminatoire à l’égard du peuple juif, notamment parce qu’elle ne qualifie pas le Hamas d’organisation terroriste et ne demande pas que les otages israéliens qu’il a enlevés soient relâchés en toute sécurité. La plainte indique également que le 26 octobre 2023, l’AFPC a rejoint et signé la coalition Cessez le feu, qui ne condamne pas non plus le terrorisme et n’appelle pas au retour des otages israéliens. La plainte indique qu’en faisant sa déclaration publique et en se joignant à la coalition Cessez le feu, l’AFPC a fait preuve de discrimination à l’égard des Juifs, ce qui constitue une violation de son devoir de représentation équitable.

[7] Je tiens à répéter qu’il ne s’agit que d’allégations à ce stade. Je ne me prononce pas sur la question de savoir si la plaignante a prouvé ces allégations ou si elle a bien décrit la déclaration de l’AFPC ou la nature de la coalition Cessez le feu. Je me prononce seulement sur la question de savoir si ces allégations, si elles sont prouvées, pourraient signifier que l’AFPC a manqué à son devoir de représentation équitable.

IV. La plainte ne relève pas de la compétence de la Commission

[8] La présente plainte allègue que les actions de l’AFPC ont contrevenu à l’article 187 de la Loi. L’article 187 de la Loi codifie le devoir de représentation équitable d’un agent négociateur envers les employés de l’unité de négociation qu’il est accrédité à représenter. L’article 187 stipule explicitement qu’il régit « [la] représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur ». Cela signifie qu’une plainte alléguant un manquement au devoir de représentation équitable de l’AFPC doit porter sur sa représentation des employés.

[9] De plus, la Commission a toujours affirmé que « […] le devoir de représentation équitable ne s’applique qu’aux affaires ou aux différends régis par la Loi ou la convention collective applicable […] » (Hancock c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 51, au par. 84) et « […] ne s’applique qu’à la représentation des employés relativement aux questions concernant leur employeur […] » (Serediuk, au par. 24). Autrement dit, comme je l’ai dit précédemment, le devoir de représentation équitable ne s’applique que lorsque l’objet de la représentation (1) relève de la Loi, et (2) concerne un différend avec l’employeur.

[10] La présente plainte porte sur les déclarations publiques et les positions de l’AFPC au sujet de la violence en Palestine et en Israël. Ces déclarations publiques n’ont rien à voir avec la Loi, la convention collective ou la relation de la plaignante avec son employeur. Par conséquent, la présente plainte ne relève pas de la compétence de la Commission en vertu de l’article 187 de la Loi.

[11] Le lien le plus étroit que la plaignante établit entre les déclarations publiques de l’AFPC et sa représentation en tant qu’employée est lorsqu’elle déclare que les déclarations publiques de l’AFPC l’ont mise mal à l’aise d’être représentée par l’AFPC en tant qu’agent négociateur et qu’elle n’a pas confiance que l’AFPC la défendra dans les questions de relations de travail. Elle demande, pour la forme, ce qui suit : [traduction] « [...] mon agent négociateur peut-il me représenter équitablement dans les questions de relations de travail tout en exerçant simultanément une discrimination contre moi en public? » Cette préoccupation est hypothétique à ce stade. Tant que la plaignante n’a pas de conflit de travail concret avec son employeur, le devoir de représentation équitable n’est pas déclenché.

[12] La plaignante a cité l’article 96 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2). Cette disposition ne s’applique pas à elle ni à l’AFPC. Toutefois, le paragraphe 189(1) de la Loi contient la même disposition, qui stipule que « […] il est interdit à quiconque de chercher, par menace ou mesures coercitives, à obliger un fonctionnaire […] » à cesser d’être membre d’une organisation syndicale. La plainte ne cite pas le paragraphe 189(1) de la Loi, mais je vais quand même aborder cette question en raison de la référence à l’article 96 du Code canadien du travail.

[13] La plaignante affirme que les déclarations publiques de l’AFPC l’obligent à cesser d’être membre de l’AFPC parce qu’elle n’est pas à l’aise d’être représentée par cette dernière. La plainte doit être rejetée parce qu’une déclaration publique du type de celle qui fait l’objet de la présente plainte ne peut pas être considérée comme des « menace[s] ou mesures coercitives ». Cette phrase exige que les remarques contestées constituent « [...] des menaces ou mesures coercitives assimilables à de la contrainte ou à de l’intimidation » dans un contexte de relations de travail; voir Desgagnés Marine Petro Inc. et Desgagnés Marine Cargo Inc., 2008 CCRI 429, aux par. 72 et 83, qui porte sur la même phrase de l’article 96 du Code canadien du travail. Les déclarations publiques dans le présent cas ne constituent pas une contrainte ou une intimidation qui tomberait dans le champ d’application du paragraphe 189(1) de la Loi.

[14] La plaignante allègue qu’il y a du racisme systémique au sein de l’AFPC. Comme la Commission l’a dit dans Hancock, au paragraphe 88, une telle allégation porte sur les affaires internes de l’AFPC et ne relève pas de la compétence de la Commission.

[15] Enfin, les autres arguments de la plaignante comprennent en grande partie une série de questions auxquelles elle demande à la Commission de répondre. Le rôle de la Commission n’est pas de fournir des conseils juridiques à un plaignant. Je ne peux donc pas répondre à la plupart de ces questions et je ne le ferai pas. Je vais néanmoins en aborder expressément une, car elle pourrait être interprétée comme un argument sur la compétence de la Commission en vertu de la Loi.

[16] La plaignante demande si, dans la mesure où les déclarations politiques ou les questions de justice sociale ne relèvent pas de la compétence de la Commission, ces actions des agents négociateurs sont permises. Je ne peux pas répondre à cette question à toutes fins utiles, mais je peux répondre à la question de savoir si de telles actions contreviennent automatiquement à la Loi. Ce n’est pas le cas. D’autres administrations ont adopté des limites ou des règles législatives sur ce que les agents négociateurs peuvent faire dans un contexte politique, comme les modifications de 2020 en Alberta qui exigent que les syndicats divulguent le pourcentage des cotisations syndicales dépensées pour des activités politiques et qui exigent que les membres choisissent expressément d’utiliser les cotisations à des fins autres que la négociation collective; voir le Labour Relations Code (R.S.A. 2000, c. L-1, s. 26.1) et le Election of Union Dues Regulation, Alta. Reg. 260/2021. Toutefois, la Loi ne contient aucune règle sur l’activité politique d’un agent négociateur et, comme je l’ai indiqué précédemment, mon rôle se limite à l’application de la Loi.

[17] Je souligne également que la Cour suprême du Canada a confirmé la constitutionnalité de l’utilisation par un syndicat des cotisations obligatoires payées par ses membres pour des activités politiques dans Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211. Les opinions concordantes qui constituaient la majorité dans ce cas disaient ce qui suit : « On peut soutenir de façon convaincante que pour atteindre leurs objectifs légitimes et conserver l’équilibre indiqué entre patrons et employés, les syndicats doivent dans une certaine mesure se livrer à des activités politiques [...] » (à la p. 350), et ceci (à la p. 289) :

[...] la participation du syndicat hors du domaine strict de la négociation et de l’application des contrats sert les intérêts du syndicat à la table de négociation et au moment de l’arbitrage. Toutefois, je ne crois pas que le rôle du syndicat doit être limité à ces fonctions économiques restreintes […]

 

[18] Cette Cour a également confirmé la pertinence des contributions des syndicats au débat politique dans Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, au paragraphe 38.

[19] Plus directement en réponse à l’argument de la plaignante, dans Sodexho MS Canada Ltd. v. Hospital Employees’ Union, 2004 CanLII 36157 (BC LRB), un groupe d’employeurs a soutenu qu’un syndicat particulier ne devrait pas être autorisé à représenter ses employés parce qu’il préconisait un changement de politique gouvernementale qui aurait fait perdre leur clientèle à ces employeurs. La Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique a rejeté cet argument, déclarant plutôt que [traduction] « s’exprimer sur les tribunes juridique, publique et politique est l’un des rôles reconnus des syndicats » et que [traduction] « en tant qu’institutions sociales et politiques, les syndicats ont un droit important de s’exprimer et de prendre position sur les questions politiques et peuvent poursuivre des objectifs juridiques et politiques, pas seulement des objectifs de négociation collective » (aux par. 26 et 27). Tout comme le fait d’adopter des positions politiques n’a pas privé un syndicat de la protection du Labour Relations Code de la Colombie-Britannique (R.S.B.C. 1996, c. 244), le fait d’adopter une position politique ne prive pas l’AFPC de son statut d’agent négociateur en vertu de la Loi ou ne contrevient pas autrement à la Loi.

[20] Entre autres questions, la plaignante demande si sa seule option est de déposer une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. La Commission ne peut pas la conseiller à ce sujet; elle doit poser cette question à cette commission.

[21] Je tiens à souligner que je ne veux pas minimiser ou diminuer les opinions sincères de la plaignante. Mon rôle n’est pas d’approuver ou de condamner les positions prises par les agents négociateurs sur des questions politiques ou sociales plus larges; de même, ma décision ne devrait pas être interprétée comme une critique de ses opinions ou croyances.

[22] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[23] La plainte est rejetée.

Le 12 janvier 2024.

Traduction de la CRTESPF

Christopher Rootham,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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