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Date: 20240124

Dossier: 566‑02‑43181

XR: 566‑02‑42557, 42795 à 42797, et 42995

 

Référence: 2024 CRTESPF 11

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

George sganos

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

Conseil du Trésor

 

employeur

Répertorié

Sganos c. Conseil du Trésor

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Patricia H. Harewood, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Melynda Layton, avocate

Pour l’employeur : Stephanie White, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 13 et 20 septembre et le 4 octobre 2023.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] Il s’agit d’une décision provisoire rendue après que George Sganos, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a présenté une requête le 8 septembre 2023 en vue d’obtenir une ordonnance de production de documents qui, selon lui, pourraient être pertinents à l’arbitrage de six griefs individuels connexes, y compris un grief de licenciement. Chaque grief a été renvoyé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

[2] Le fonctionnaire est un comptable professionnel. Il a été licencié le 9 avril 2021 de son poste d’analyste au Centre d’expertise en ’établissement des coûts du Conseil du Trésor (l’« employeur »). Il allègue que les mesures disciplinaires prises par l’employeur contre lui et son licenciement étaient injustes et constituaient des représailles. L’employeur allègue que le fonctionnaire a fait l’objet de mesures disciplinaires progressives et qu’il a été licencié pour un motif valable pour des actes d’insubordination successifs.

II. Décision

[3] En appliquant le « critère de la pertinence défendable » que la Commission a constamment utilisé, je conclus que les documents demandés par le fonctionnaire pourraient être pertinents aux griefs dont la Commission est saisie. Il existe un lien entre eux et la position qu’il a présentée. Le fonctionnaire cherche à obtenir des communications internes sur la divulgation et il soutient que la divulgation a entraîné la prise de mesures disciplinaires contre lui et son licenciement ultérieur. En bref, il allègue que la direction l’a ciblé à maintes reprises après qu’il a divulgué à l’agent supérieur désigné pour la divulgation interne (ASDDI) que la direction était impliquée dans des actes répréhensibles allégués.

[4] Étant donné que le critère de divulgation est beaucoup plus large à ce stade que pendant une audience, j’ordonne la production des communications internes demandées.

[5] Il y a certainement d’importantes considérations d’ordre public pour assurer la confidentialité d’un processus en vertu d’une autre loi – la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (L.C. 2005, ch. 46; LPFDAR) – qui a été établie pour faciliter la divulgation d’actes répréhensibles dans la fonction publique.

[6] Toutefois, cela doit être équilibré au sein d’un système de relations de travail et d’un processus d’arbitrage particulier en vertu de la Loi, dans lequel chaque partie a droit à l’équité procédurale. Cela comprend le droit aux renseignements qui pourraient être pertinents pour qu’un fonctionnaire s’estimant lésé puisse présenter l’ensemble de ses éléments de preuve, et ce, de manière équitable.

[7] La divulgation permet 1) d’assurer l’équité procédurale et la rapidité de la procédure d’arbitrage des griefs pour les deux parties, 2) de prévenir les surprises, et 3) d’ouvrir la voie à un règlement plus rapide. Par conséquent, compte tenu de ce qui est en jeu pour les deux parties dans les griefs disciplinaires et de licenciement, surtout pour les fonctionnaires s’estimant lésés, une approche générale est nécessaire en matière de divulgation.

III. Historique de la procédure

[8] L’audience des six griefs du fonctionnaire devait avoir lieu en personne à Ottawa, en Ontario, du 18 au 23 septembre 2023. Toutefois, l’avocate du fonctionnaire a demandé une remise de l’audience le 14 septembre 2023 parce que son cabinet n’a pas pu se préparer entièrement, car il n’a pas pu recevoir ou télécharger un grand nombre de documents que le bureau de l’employeur avait tenté d’envoyer par l’entremise de son portail de documents sécurisé et de son courriel, conformément à l’ordonnance de production de la Commission du 8 septembre. Après avoir entendu les arguments oraux des parties lors d’une deuxième réunion de gestion de cas le 15 septembre 2023, la Commission a accueilli la demande de remise d’audience.

IV. Première conférence préparatoire à l’audience

[9] La première conférence préparatoire à l’audience a eu lieu le 8 septembre 2023 concernant la demande du fonctionnaire d’une ordonnance de production pour obtenir des renseignements que le fonctionnaire avait demandés à l’employeur. Le fonctionnaire a fait référence à un document intitulé [traduction] « Documents supplémentaires du Conseil du Trésor » (envoyé par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (SCT) le 31 août, mis à jour le 8 septembre) qui a été envoyé à l’employeur le 31 août et mis à jour et présenté à la Commission le 8 septembre.

[10] Après avoir entendu les arguments oraux des parties concernant la requête en production du fonctionnaire et l’objection de l’employeur, la Commission a rendu une ordonnance de production initiale qui a été communiquée oralement aux parties le 8 septembre et confirmée par écrit le 11 septembre. La Commission a ordonné que l’employeur communique les éléments suivants au fonctionnaire au plus tard le 13 septembre :

[Traduction]

1. Copies de tous les organigrammes du Centre d’expertise en établissement des coûts pour la période de décembre 2019 à 2022, inclusivement.

2. Copie caviardée de l’offre d’emploi de Don Wong pour le poste 323926 au Centre d’expertise en établissement des coûts, qui ne comprend aucun renseignement confidentiel de tiers.

3. Copies de toutes les communications qui ne sont pas protégées par un privilège, y compris, sans toutefois s’y limiter, les courriels concernant les mesures disciplinaires prises à l’égard de M. Sganos et son licenciement.

4. Copies du processus de recherche des faits disciplinaires pour chaque mesure disciplinaire qui n’est pas protégée par un privilège.

5. Copies de toutes les communications internes au sujet de la plainte de M. Sganos présentée à Benoit Tremblay par courriel le 14 mai 2020 qui ne sont pas protégées par un privilège.

 

[11] Le document demandé par le fonctionnaire et qui fait l’objet de la présente décision provisoire est la demande du fonctionnaire relative à des [traduction] « Copies de toutes les communications internes au sujet de la plainte de M. Sganos concernant l’ASDDI, reçue du plaignant le 6 mai 2020, et de l’enquête à ce sujet ». En ce qui concerne ce document, la Commission a demandé d’autres arguments et a fourni un calendrier pour les arguments écrits des parties. L’avocate du fonctionnaire a demandé une prorogation du délai pour présenter ses arguments en réponse, qui lui a été accordée.

[12] Après avoir reçu les arguments des parties, la Commission a demandé au fonctionnaire des précisions sur ce qu’il entendait par la [traduction] « plainte concernant l’ASDDI » et s’il avait présenté une plainte distincte en vertu de la LPFDAR. La Commission a donné à l’employeur la possibilité de répondre, au besoin.

[13] La représentante du fonctionnaire a confirmé le 4 octobre 2023 que la plainte à l’ASDDI faisait référence à la [traduction] « […] divulgation d’actes répréhensibles présentée par M. Sganos […] à l’agent supérieur désigné pour la divulgation interne […] » le 6 mai 2020. Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait fait une divulgation en vertu de la LPFDAR, mais qu’il n’avait pas présenté une plainte de représailles auprès du commissaire à l’intégrité du secteur public. L’employeur n’a présenté aucun argument supplémentaire.

V. Aucune compétence sur les divulgations ou les plaintes de représailles présentées en vertu de la LPFDAR

[14] La Commission n’a pas compétence sur les divulgations ou les plaintes de représailles présentées en vertu de la LPFDAR. Les processus de divulgation et de plaintes décrits aux articles 12 et 19.1 de la LPFDAR sont distincts des griefs individuels renvoyés à la Commission en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. De plus, un plaignant qui dépose une plainte de représailles en vertu de la LPFDAR – ce que le fonctionnaire a confirmé ne pas avoir fait – ne peut pas présenter un grief individuel sur cette question (voir le par. 208(2) de la Loi).

[15] Par conséquent, la présente décision ne traite d’aucune des allégations du fonctionnaire quant à la façon dont l’ASDDI a traité la divulgation. Elle se limite strictement à la requête du fonctionnaire visant à obtenir une ordonnance de production de copies de toutes les communications internes concernant la divulgation à l’ASDDI le 6 mai 2020.

[16] Les parties utilisent les termes « plainte » et « divulgation » de manière interchangeable dans leurs arguments, même s’ils ont des significations très différentes en vertu de la LPFDAR. Aux fins de la présente décision, je ferai référence à l’événement du 6 mai 2020 comme étant une divulgation d’actes répréhensibles allégués ou comme une divulgation à l’ASDDI.

VI. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire

[17] Le fonctionnaire soutient qu’il est un dénonciateur que l’employeur a puni après qu’il a divulgué des actes répréhensibles à l’ASDDI au sujet de la violation présumée par ses gestionnaires du Code de valeurs et d’éthique du secteur public.

[18] Le fonctionnaire fait valoir qu’il est important pour lui de savoir comment la divulgation a été traitée à l’interne afin qu’il puisse confirmer qu’il y a eu partialité institutionnelle qui a entraîné des mesures disciplinaires à son encontre et qui a finalement entraîné son licenciement. En fin de compte, l’ASDDI a décidé de ne pas enquêter davantage à la suite de la divulgation.

[19] Le fonctionnaire fait remarquer que la divulgation à l’ASDDI et à un autre gestionnaire constitue le contexte des mesures disciplinaires et de ses griefs alléguant que l’employeur a agi de mauvaise foi, a fait preuve d’une partialité institutionnelle et a exercé des représailles contre lui, ce qui a entraîné son licenciement.

[20] Le fait de ne pas divulguer complètement toutes les communications internes demandées entraînera un manquement à l’équité procédurale.

[21] Le fonctionnaire fait valoir en outre que l’exigence de confidentialité dans les procédures de divulgation en vertu de la LPFDAR doit être équilibrée avec les principes d’équité procédurale et de justice naturelle dans une procédure d’arbitrage de grief.

[22] Dans le présent cas, la divulgation est requise, car la décision de la Commission sur le fond aura une incidence sur l’emploi et la carrière du fonctionnaire. Lorsque les droits sont touchés d’une façon aussi importante, une divulgation complète est requise (voir Ontario (Human Rights Commission) v. Ontario (Board of Inquiry into Northwestern General Hospital), [1993] O.J. No. 3380 (QL)).

[23] De plus, la Commission ne sera pas en mesure de s’acquitter de son rôle consistant à déterminer si le licenciement était raisonnable si le fonctionnaire ne peut pas obtenir les documents qui pourraient être pertinents.

B. Pour l’employeur

[24] L’employeur soutient que les parties sont tenues de divulguer les documents qui pourraient être pertinents conformément aux directives de la Commission sur l’échange préalable à l’audience de listes de documents.

[25] Toutefois, une demande de divulgation ne peut pas constituer une recherche à l’aveuglette (voir Ontario Public Service Employees Union (Madan) v. Ontario (Environment), 2012 CanLII 76562 (ON GSB) (« O.P.S.E.U. ») au par. 11). Les arbitres en droit du travail doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire pour rendre des ordonnances de production qui sont équilibrées, pratiques et raisonnables. Il y a des limites aux demandes générales qui peuvent entraîner des retards inutiles. Le principe de proportionnalité par rapport à la valeur probante des documents demandés doit être pris en considération (voir Amalgamated Transit Union, Local 113 v. Toronto Transit Commission, 2017 ONSC 2078 (CanLII)).

[26] Dans le présent cas, l’employeur fait valoir qu’il n’existe aucun fondement raisonnable à l’allégation du fonctionnaire selon laquelle la direction s’est livrée à de la collusion sous forme de représailles. Essentiellement, la requête du fonctionnaire constitue une recherche à l’aveuglette.

[27] Les seuls faits à l’appui invoqués par le fonctionnaire sont que des mesures disciplinaires ont été prises après qu’il a fait sa divulgation et que l’ASDDI était un employé du SCT. Il n’existe aucun lien entre ces faits et les mesures disciplinaires qui justifierait la divulgation de renseignements confidentiels.

[28] Le fonctionnaire cherche à élargir la portée de la procédure et à inclure des questions qui ne sont pas pertinentes ou à remettre en cause des questions que l’ASDDI a déjà tranchées. L’ASDDI a conclu que la divulgation d’actes répréhensibles n’était pas fondée et qu’elle concernait un conflit interpersonnel et des mesures prises en raison du rendement du fonctionnaire.

[29] L’employeur soutient que la Commission devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et préserver la confidentialité d’un processus fondé sur la divulgation volontaire et la protection, en vertu de l’article 11 de la LPFDAR, des identités des personnes qui font des divulgations, des témoins et des personnes qui seraient impliquées dans des actes répréhensibles.

[30] La valeur probante des documents demandés est compensée par l’intérêt public à protéger un processus de divulgation interne en vertu de la LPFDAR.

[31] Si la Commission ordonne la divulgation, celle-ci devrait avoir une portée limitée.

VII. Motifs

[32] L’alinéa 20f) de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) prévoit ce qui suit :

 

[33] La Commission, comme tant d’autres tribunaux administratifs, a également élaboré ses propres directives sur l’échange préalable à l’audience de listes de documents, et j’en ai reproduit un extrait ci‑dessous :

[…]

But de la présente directive

La communication préalable à l’audience de listes de documents nécessaires à la participation d’une partie à un processus d’arbitrage est nécessaire, sauf avis contraire d’une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission » ou CRTESPF).

L’échange préalable à l’audience de listes de documents a pour but d’amener les parties à échanger tous les documents qui pourraient être pertinents à l’affaire en instance. Cet échange, qui survient tôt dans la procédure, signifie que les parties ne seront pas prises par surprise; on réduira ainsi le nombre d’éventuelles demandes d’ajournement et on accélérera les procédures de la Commission.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[34] À l’étape préalable à l’audience, le critère de divulgation que la Commission a systématiquement appliqué est celui de la pertinence défendable. Certains des facteurs qu’un décideur doit prendre en considération sont brièvement cités dans West Park Hospital v. Ontario Nurses’ Association (1993), 37 L.A.C. (4th) 160, qui les énonce comme suit :

[Traduction]

 

1) une cause défendable;

2) les renseignements demandés doivent être précisés;

3) le décideur doit être convaincu qu’il ne s’agit pas d’une recherche à l’aveuglette;

4) il existe un lien entre les renseignements demandés et les positions en litige à l’audience;

5) le décideur doit être convaincu que la divulgation ne causera pas un préjudice indu.

 

[35] Toute décision relative à une ordonnance de communication de renseignements est factuellement précise puisqu’une grande partie de l’analyse dépend de la nature des renseignements demandés, de leur lien aux questions soulevées dans le litige et des répercussions que la divulgation peut avoir sur l’autre partie ou des tiers. De plus, je suis d’accord avec l’employeur pour dire que la question de la proportionnalité de la demande par rapport à la valeur probante des renseignements demandés demeure un facteur important à prendre en considération.

[36] Les demandes générales de renseignements peu pertinents à un différend constituent un obstacle important à l’administration d’une procédure équitable, efficace et crédible. À l’inverse, les demandes proportionnelles de renseignements qui pourraient être pertinents contribuent à optimiser l’équité et l’efficacité de la procédure.

[37] Dans Akhtar c. Sous‑ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2007 TDFP 26, qui a été cité dans Berglund c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2007 TDFP 34, au paragraphe 18, l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal ») a confirmé que le critère, à ce stade, est plus large que lors d’une audience :

[18] […]

[28] […] Il est important de reconnaître que le critère préliminaire servant à établir la pertinence à cette étape du processus de plainte est plus large que le critère utilisé à l’audience. On pourrait déterminer que les renseignements produits mèneront à la conclusion que d’autres renseignements qui n’ont pas encore été produits sont pertinents et doivent être fournis. En outre, les renseignements produits pourraient mener à la conclusion qu’ils ne sont pas utiles pour la partie qui les a demandés.

 

[38] Dans le présent cas, compte tenu des allégations explicites du fonctionnaire, je conclus que les renseignements demandés pourraient être pertinents. Il existe un lien clair entre les renseignements qu’il demande et ses allégations selon lesquelles, après la divulgation, des représailles, de la mauvaise foi et une partialité institutionnelle ont eu lieu, ce qui a mené à la prise de mesures disciplinaires contre lui et à son licenciement.

[39] Sans le bénéfice d’une audience, je conclus qu’il est difficile, à ce stade préliminaire, de déterminer si le fonctionnaire demande ou non les communications internes pour corroborer les renseignements existants. Quoi qu’il en soit, sa demande est loin d’être une recherche à l’aveuglette. Les communications internes entre l’ASDDI, les gestionnaires du fonctionnaire et d’autres, y compris la Direction générale des relations de travail de l’employeur, pourraient faire la lumière sur les perceptions de la direction à l’égard du fonctionnaire et contribuer à expliquer leur réponse subséquente en matière de relations de travail.

[40] Dans ses arguments, l’employeur confirme qu’en février 2021, l’ASDDI a conclu qu’il s’agissait d’une question de relations de travail liée à un « conflit interpersonnel » et à la gestion du rendement. Par conséquent, non seulement la communication interne concernant la divulgation du fonctionnaire à l’ASDDI et son enquête à cet égard est pertinente (c.‑à‑d. qui en a été informé), mais elle pourrait également être essentielle aux allégations du fonctionnaire portant sur la partialité institutionnelle, la mauvaise foi et les représailles.

[41] De plus, les renseignements demandés sont suffisamment particuliers aux communications internes liées à la divulgation du 6 mai 2020 et à l’enquête subséquente de l’ASDDI sur les allégations.

[42] En ce qui concerne la question du préjudice indu, selon l’argument de l’employeur, l’intégrité d’un processus confidentiel visant à protéger les dénonciateurs sera compromise. Aucun argument n’a été présenté selon lequel une personne subirait un préjudice du fait de la divulgation à ce stade précoce.

[43] À l’appui de sa position concernant la nécessité de protéger la confidentialité du processus de divulgation, l’employeur a fait référence à l’article 11 de la LPFDAR, qui souligne l’obligation des administrateurs généraux de protéger l’identité des personnes qui participent au processus de divulgation :

[…]

Obligations de l’administrateur général

Duty of chief executives

11(1) L’administrateur général veille à ce que :

11(1) Each chief executive must

a) sous réserve de l’alinéa c) et de toute autre loi fédérale applicable, de l’équité procédurale et de la justice naturelle, l’identité des personnes en cause dans le cadre d’une divulgation soit protégée, notamment celle du divulgateur, des témoins et de l’auteur présumé de l’acte répréhensible;

(a) subject to paragraph (c) and any other Act of Parliament and to the principles of procedural fairness and natural justice, protect the identity of persons involved in the disclosure process, including that of persons making disclosures, witnesses and persons alleged to be responsible for wrongdoings;

b) des mécanismes visant à assurer la protection de l’information recueillie relativement à une divulgation soient mis en place;

(b) establish procedures to ensure the confidentiality of information collected in relation to disclosures of wrongdoings; and

c) dans les cas où il est conclu par suite d’une divulgation faite au titre de l’article 12 qu’un acte répréhensible a été commis, soit mise promptement à la disposition du public de l’information faisant état :

(c) if wrongdoing is found as a result of a disclosure made under section 12, promptly provide public access to information that

(i) de l’acte répréhensible, y compris l’identité de son auteur si la divulgation de celle‑ci est nécessaire pour en faire état adéquatement,

(i) describes the wrongdoing, including information that could identify the person found to have committed it if it is necessary to identify the person to adequately describe the wrongdoing, and

(ii) des recommandations contenues, le cas échéant, dans tout rapport qui lui a été remis et des mesures correctives prises par lui‑même ou des motifs invoqués pour ne pas en prendre.

(ii) sets out the recommendations, if any, set out in any report made to the chief executive in relation to the wrongdoing and the corrective action, if any, taken by the chief executive in relation to the wrongdoing or the reasons why no corrective action was taken.

Exception

Exception

(2) L’alinéa (1)c) n’oblige pas l’administrateur général de mettre à la disposition du public de l’information dont la communication est restreinte sous le régime d’une loi fédérale.

(2) Nothing in paragraph (1)(c) requires a chief executive to provide public access to information the disclosure of which is subject to any restriction created by or under any Act of Parliament.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[44] L’employeur a également présenté la politique interne du SCT sur les divulgations internes et j’en ai extrait une partie pertinente ci‑dessous :

[Traduction]

[…]

6. Protéger l’identité des personnes concernées et la confidentialité des renseignements

L’identité des personnes concernées (le dénonciateur, les témoins concernés et les personnes visées par la divulgation) doit être protégée, sous réserve de toute autre loi applicable, et selon les principes d’équité procédurale et de justice naturelle. Cette protection de l’identité est un élément des mesures de protection contre les représailles qui sont prévues par la LPFDAR.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[45] Toutefois, il peut être nécessaire de communiquer des renseignements entre un nombre limité de personnes au cours d’une enquête, conformément aux exigences de la justice naturelle et de l’équité procédurale, afin de permettre aux personnes visées par une allégation d’acte répréhensible ou de représailles de connaître la nature des allégations et d’y répondre. Chaque situation sera évaluée selon son bien‑fondé.

[46] L’employeur ne fait référence à aucune disposition de la LPFDAR ou de la politique qui empêche la Commission d’ordonner la divulgation des communications internes demandées par le fonctionnaire. En fait, le libellé de l’article 11 de la LPFDAR et l’extrait de la politique envisagent la possibilité que l’identité des personnes concernées dans un processus de divulgation ne soit pas toujours protégée.

[47] De plus, je ne suis pas convaincue du fait que l’intégrité d’un processus de divulgation en vertu de la LPFDAR sera compromise par une ordonnance visant à divulguer des renseignements précis à un fonctionnaire en particulier et à son avocate. Même s’il est dans l’intérêt public de protéger un processus de divulgation confidentiel pour les fonctionnaires, il faut l’évaluer par rapport au droit du fonctionnaire à l’équité procédurale dans le cadre d’un processus d’arbitrage.

[48] Je conclus que, dans le présent cas, étant donné qu’il n’y a aucune preuve de préjudice à l’intérêt public, le droit du fonctionnaire d’obtenir des renseignements qui pourraient être pertinents en vue de présenter pleinement et équitablement son cas doit prévaloir.

[49] L’employeur cite un certain nombre de cas à l’appui de sa position selon laquelle les documents demandés ne satisfont pas au seuil de divulgation et que cela équivaut à une recherche à l’aveuglette. Je n’ai pas trouvé ces cas particulièrement utiles pour étayer l’objection de l’employeur.

[50] Tous les cas cités par l’employeur reconnaissent que le critère de la pertinence défendable est plus large que le critère plus strict applicable lors d’une audience (voir Berglund, au par. 18; Akhtar, au par. 18; Zhang c. Conseil du Trésor (Bureau du Conseil privé), 2010 CRTFP 46, aux par. 27 à 29; O.P.S.E.U., au par. 27; et West Park Hospital, aux par. 18 et 19).

[51] De plus, l’employeur n’a présenté aucune affaire de la Commission comportant des faits semblables et dans laquelle la Commission a refusé d’ordonner la production des renseignements demandés au stade préalable à l’audience.

[52] Dans Berglund, un plaignant a demandé une ordonnance de communication de renseignements afin de présenter pleinement sa position selon laquelle un processus de dotation interne avait été inéquitable. Le Tribunal a fait observer de façon générale qu’une demande vague peut constituer une recherche à l’aveuglette. Toutefois, il a également reconnu qu’un seuil moins élevé s’appliquait dans le contexte de demandes d’ordonnance de communication de renseignements au stade préalable à l’audience.

[53] Le Tribunal a analysé la pertinence défendable de chaque élément que le plaignant a demandé pour étayer ses arguments, y compris sa demande d’une copie du dossier personnel et du curriculum vitæ de la personne nommée, ainsi que des renseignements du comité de sélection et des Ressources humaines sur les qualifications de la personne nommée. Il a rendu une ordonnance exigeant que l’employeur produise tous les renseignements demandés, mais a fait remarquer que seule une version modifiée du curriculum vitæ de la personne nommée devait être fournie, parce que les renseignements médicaux, personnels ou familiaux n’étaient pas pertinents au litige et que leur communication aurait pu causer un préjudice indu à la personne nommée.

[54] Dans le présent cas, l’employeur n’a présenté aucun argument selon lequel les renseignements demandés contiennent des renseignements de même nature que ceux dans Berglund.

[55] Dans Zhang, un prédécesseur de la Commission a ordonné la communication de renseignements provenant de la Direction générale des relations de travail de l’employeur liés à une recherche d’un autre emploi que la Commission avait ordonné à l’employeur d’entreprendre dans une décision antérieure. La Commission a rejeté les arguments de l’employeur selon lesquels un privilège relatif aux relations de travail s’appliquait aux renseignements et a conclu que les renseignements étaient liés aux allégations de la fonctionnaire s’estimant lésée dans cette affaire selon lesquelles l’employeur avait agi de mauvaise foi et ne voulait pas lui trouver un autre emploi.

[56] Dans O.P.S.E.U. – une décision qui n’a pas été rendue par la Commission et qui ressemble le plus à la présente affaire – la commission de règlement des griefs a ordonné qu’un rapport provisoire soit produit après que le superviseur de la fonctionnaire s’estimant lésée dans cette affaire a présenté une plainte de discrimination et de harcèlement en milieu de travail contre la personne qui avait congédié la fonctionnaire s’estimant lésée. Même si la plainte a été présentée avec une attente de confidentialité, l’arbitre a fait remarquer que sa divulgation ne pouvait pas être considérée comme causant un préjudice indu étant donné qu’elle était présentée [traduction] « […] en vertu des dispositions de la convention collective et de dispositions législatives ».

[57] De même, dans le présent cas, la demande de divulgation est fondée sur les principes de longue date d’équité procédurale qui sont intégrés dans les procédures de règlement des griefs et d’arbitrage prévus par la Loi. Dans ce contexte, l’argument de l’employeur selon lequel la Commission devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et préserver la confidentialité d’un processus distinct sur lequel elle n’a aucune compétence ni aucun contrôle ne peut prévaloir.

[58] La Commission a l’obligation d’assurer un processus d’arbitrage équitable pour toutes les parties. Le respect de l’équité procédurale est particulièrement important dans une affaire de licenciement, comme la présente, où le fait de ne pas avoir la possibilité d’obtenir tous les renseignements qui pourraient être pertinents à une affaire pourrait avoir de graves conséquences pour les deux parties, en particulier pour le fonctionnaire.

[59] L’employeur a fait remarquer que, si la Commission ordonne la divulgation, celle-ci devrait se limiter aux renseignements provenant des gestionnaires qui ont participé aux mesures disciplinaires prises contre le fonctionnaire et à la période allant du 6 mai 2020 à avril 2021. Je ne suis pas d’accord pour dire que des paramètres aussi stricts sont nécessaires à ce stade précoce de la procédure. Selon les propres arguments de l’employeur, l’ASDDI a déterminé que le fonctionnaire n’avait pas choisi la bonne tribune pour ce qu’il a essentiellement établi comme étant une question de relations de travail, de sorte qu’il a fermé le dossier en février 2021. Cela signifie que toute communication interne produite est probablement déjà limitée à la courte période au cours de laquelle le dossier a été ouvert.

[60] Néanmoins, l’ordonnance est rendue sous toutes réserves du droit de l’employeur de demander une ordonnance de confidentialité si, au cours d’une audience, le fonctionnaire demande à déposer en preuve l’un ou l’autre des documents visés par l’ordonnance de production.

[61] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VIII. Ordonnance

[62] J’ordonne à l’employeur de produire les renseignements demandés au fonctionnaire dans les 15 jours suivant la réception de la présente décision, dans un format que l’avocate du fonctionnaire est en mesure de recevoir.

[63] J’ordonne que la divulgation ne soit faite qu’au fonctionnaire et à son avocate ou à son représentant, dans le contexte de la divulgation préalable à l’audience, et que les documents reçus par le fonctionnaire et son avocate ne soient pas rendus publics ou utilisés à d’autres fins.

Le 24 janvier 2024.

Traduction de la CRTESPF

Patricia H. Harewood,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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