Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante occupait un poste d’assistante de recherche, classifié au groupe et au niveau EG 04 – elle a présenté une plainte contre la nomination de la personne nommée par le sous ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (l’« intimé ») à un poste de chef d’usines, classifié au groupe et au niveau EG-06 – la plaignante satisfaisait à toutes les qualifications essentielles mais elle n’a pas été choisie pour une nomination – la plaignante a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir en retirant une question de l’examen – il n’y avait pas de preuve que le retrait d’une question avait entaché le processus de nomination – toutefois, le refus de divulguer à la plaignante la correction de son examen en invoquant qu’il n’était pas pertinent à la plainte alors qu’il a été considéré dans la prise de décision de nomination, constituait un manque de transparence – la plaignante a fait valoir que l’intimidation qu’elle aurait subie avait influencé l’intimé dans la décision de ne pas la nommer dans le poste – elle a aussi soutenu que l’intimé avait accordé un avantage indu à la personne nommée en lui donnant l’occasion d’occuper le poste visé de façon intérimaire et en refusant une telle possibilité à la plaignante pendant deux ans – la plaignante n’a pas prouvé ces deux allégations – la plaignante a allégué que l’intimé avait fait preuve d’apparence de partialité contre elle – la Commission a déterminé qu’un observateur relativement bien renseigné des circonstances de cette affaire pouvait percevoir une crainte raisonnable de partialité à l’égard des commentaires faits par une des personnes chargées de l’évaluation, qui pouvaient être perçus comme des préjugés – la plaignante a soutenu que l’intimé avait abusé de son pouvoir vu son manque de transparence durant le processus de nomination – au départ, l’intimé avait établi une grille d’évaluation dans laquelle les qualifications essentielles et les méthodes d’évaluation étaient identifiées et les résultats consignés – son omission de continuer cette approche pour la suite du processus était contraire aux valeurs énoncées dans le préambule de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13), soit la transparence, l’équité et le respect – l’intimé a ajouté des critères en cours de processus, ce dont il avait avisé les candidats lors de l’affichage du poste – or, une qualification ne figurait pas sur le questionnaire de vérification des références – pourtant, cette qualification faisait partie des éléments qui ont fait pencher la balance envers la personne nommée – considérés dans leur ensemble, la Commission a déterminé que le défaut de transparence et l’ajout de certains critères déterminants combinés avec l’apparence de partialité dénotaient de l’abus de pouvoir de la part de l’intimé – la Commission a déclaré que l’intimé avait abusé de son pouvoir et qu’il avait manqué de transparence durant la procédure devant la Commission.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20240214

Dossier: 771-02-41899

 

Référence: 2024 CRTESPF 19

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la

fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

SABRINA BERGERON-QUIRION

plaignante

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Bergeron-Quirion c. Administrateur général (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Goretti Fukamusenge, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral.

Pour la plaignante : Elle-même

Pour l’intimé : Karl Chemsi, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Alain Jutras, analyste principal

Affaire entendue par vidéoconférence,

les 3, 4 et 30 mai 2023.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

[1] Sabrina Bergeron Quirion (la « plaignante ») conteste le processus de nomination annoncé 19-AGR-QC-IA-ST-65 lancé en septembre 2019 par le sous-ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (l’« intimé »). Le processus visait à pourvoir un poste de chef d’usines classifié au groupe et au niveau EG-06. La plaignante a satisfait à toutes les qualifications essentielles, mais elle n’a pas été choisie pour une nomination.

[2] Le 17 juillet 2020, elle a présenté une plainte à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), conformément aux dispositions de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP). Selon cette disposition, une personne qui n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination dans un processus de nomination interne annoncé peut présenter une plainte en raison d’abus de pouvoir.

[3] Au moment du dépôt de la plainte, la plaignante occupait un poste d’assistante de recherche, classifié au groupe et au niveau EG-04, au Centre de recherche et développement des aliments de Saint-Hyacinthe, Direction générale des sciences et de la technologie du ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire.

[4] La plaignante allègue qu’elle a subi de l’intimidation et du harcèlement avant et pendant le processus de nomination et que les mesures prises par l’intimé pour traiter ces problèmes ont eu pour conséquence de la stigmatiser et de limiter ses chances d’acquérir de l’expérience pertinente au poste de chef d’usines, ce qui lui aurait créé un préjudice « en lien avec la présente cause ». Elle invoque également que l’intimé lui a refusé des occasions d’être nommée à titre intérimaire dans ce poste contrairement à la personne nommée. Elle ajoute que le comité de sélection était partial, qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’évaluation de sa candidature, en particulier quant aux références, et un manque de transparence.

[5] Enfin, la plaignante considère que l’intimé a abusé de son pouvoir en retirant une question de l’examen.

[6] Pour sa part, l’intimé maintient qu’il a agi dans les limites de la LEFP. Il souligne que cette loi lui accorde un pouvoir discrétionnaire considérable de nommer la personne qui, selon lui, convient le mieux au poste. Il fait valoir qu’il s’est servi des outils qu’il avait légitimement à utiliser pour faire la nomination.

[7] La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas présenté d’arguments bien qu’elle a fourni sa réponse aux allégations de la plaignante durant ce processus.

II. Questions en litige

[8] Alors que la plaignante met en cause tout le processus de nomination incluant l’étape de l’examen écrit, l’intimé maintient que la seule question en litige est celle de déterminer si la gestionnaire déléguée a abusé de son pouvoir à l’étape de choisir la personne nommée parmi les candidats qualifiés.

[9] La décision de nomination a été prise sur base de plusieurs éléments dans le processus et à la lumière des arguments présentés, j’estime que les questions ci-après méritent une considération.

1) L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en retirant une question de l’examen?

 

2) Est-ce que l’intimidation que la plaignante aurait subie a influencé l’intimé dans la décision de ne pas la nommer dans le poste en cause?

 

3) L’intimé a‑t‑il accordé un avantage indu à la personne nommée en lui donnant l’occasion d’occuper le poste visé de façon intérimaire et en refusant une telle opportunité à la plaignante ?

 

4) L’intimé a-t-il fait preuve de partialité ou d’apparence de partialité contre la plaignante dans le processus de nomination?

 

5) Est-ce qu’il y a eu défaut de transparence qui constitue un abus de pouvoir dans le processus de nomination en cause?

 

[10] Pour les motifs exposés plus loin dans la présente décision, la plainte est accueillie. Les circonstances de cette affaire dénotent une apparence de partialité ainsi qu’un manque de transparence.

III. Résumé de la preuve

A. Le processus de nomination

[11] Le 8 mai 2018, dans le cadre de l’instauration d’une nouvelle structure de gestion, l’intimé a annoncé la création d’un nouveau poste de gestion classifié au groupe et au niveau EG-06, intitulé « chef d’usines ». La dotation officielle de ce poste allait se faire en 2019.

[12] Par le même fait, l’intimé lançait un appel de candidatures pour des nominations intérimaires successives (durée de quatre mois moins un jour) pour une période de 12 à 16 mois. Il est ressorti de la preuve que la personne nommée a bénéficié d’une nomination intérimaire et que deux autres candidats, qui n’avaient pas réussi l’examen écrit et l’exercice de simulation, soit un examen standardisé de la CFP, avaient aussi été nommés de façon intérimaire.

[13] La plaignante a présenté sa candidature et a réitéré son intérêt à quelques reprises, mais elle n’a pas été nommée dans le cadre de ces occasions intérimaires.

[14] En septembre 2019, l’intimé a finalement amorcé le processus de nomination pour doter le poste de chef d’usines. Six candidats ont postulé à ce poste.

[15] Au début du processus, un comité de sélection composé de trois membres a été créé.

[16] La preuve indique que le processus a été fait en deux étapes. La première étape incluait les demandes de candidatures, un examen écrit ainsi qu’un exercice de simulation en tant que superviseur. Cette étape a permis d’établir un bassin de quatre candidats partiellement qualifiés pour les fins d’une nomination. Il y avait aussi une évaluation de langue seconde à venir.

[17] La deuxième étape a été celle de choisir la personne à nommer parmi les candidats qui s’étaient qualifiés pour être dans le bassin. Cette étape a été menée par Julie Bernier, la directrice déléguée nouvellement embauchée à l’époque.

[18] Dans une lettre du 22 janvier 2020 suivant la première étape, la plaignante a été informée que le comité de sélection l’avait jugée partiellement qualifiée et qu’elle faisait partie du bassin de candidats qui serait en vigueur jusqu'au 31 janvier 2022.

[19] La lettre indiquait aussi qu’une vérification des références pouvait être prise en compte pour la sélection du candidat issu du bassin des candidats partiellement qualifiés. À cet effet, on lui a demandé de fournir deux références : un superviseur et un collègue.

[20] De plus, cette lettre informait la plaignante qu’elle serait invitée à une discussion informelle avec la directrice déléguée. Cette discussion informelle semblait être une entrevue pour connaître les candidats partiellement qualifiés et discuter les attentes relatives au poste plutôt qu’une discussion informelle au sens de l’art. 47 de la LEFP. La lettre indiquait aussi que le critère de mérite qui n’avait pas encore été évalué était «l’évaluation de langue seconde Bilingue-impératif […]».

B. Les témoignages

[21] La plaignante a témoigné pour son compte et a appelé à témoigner, M. Villeneuve. Ce dernier était le superviseur de la plaignante lors des événements. Il était aussi sur la liste de références de la plaignante dans le processus de nomination en question.

[22] De plus, la plaignante a appelé à témoigner les trois membres du comité de sélection : M. Gagnon, M. Di Campo ainsi que M. Robert. Elle a également fait témoigner la nouvelle directrice déléguée à l’époque, Julie Bernier, ainsi que la directrice sortante, Sonia Ringuette.

[23] L’intimé avait prévu faire témoigner un seul témoin: Mme Bernier, la directrice déléguée qui a pris la décision de nomination. Vu que la plaignante désirait présenter Mme Bernier comme sa propre témoin, l’intimé a établi sa preuve par contre-interrogatoires.

[24] Au début de son témoignage, la plaignante a voulu introduire en preuve un document intitulé « Chronologie des événements d’intimidation […] », qu’elle avait préparé. Elle affirmait que ce document relatait les événements d’intimidation qui auraient eu un impact direct dans le processus de nomination.

[25] L’intimé a contesté la recevabilité de ce document. Il a soulevé une objection selon laquelle le document n’était pas pertinent. L’objection a été accueillie.

[26] La plaignante a beaucoup insisté sur les allégations d’intimidation et de harcèlement. Elle a déclaré que depuis l’annonce de la création du nouveau poste, en mars 2018, une situation de compétition et d’esprit négatif s’était installée en milieu de travail et qu’elle avait subi de l’intimidation de la part de ses collègues. Elle a relaté que cette intimidation avait continué pendant le processus de nomination, que la direction était au courant de la situation, mais qu’elle ne l’avait pas adressée.

[27] Lors de son témoignage, la plaignante a aussi affirmé ce qui suit

· Le 8 mai 2018, la direction annonce qu’il y avait des intérims. C’est pour laisser la chance aux gens. Ces intérims sont liés au processus de dotations, car on leur a donné la chance, un transfert de connaissances.

· Novembre 2018, on me révoque officiellement, la direction me retire toutes les tâches des usines pilotes, ça m’a préjudicié parce que je ne pouvais plus avoir de l’expérience, on m’a empêché d’acquérir des connaissances pour le poste de chef d’usine.

· 19 novembre 2018, une lettre d’intimidation est signée par 21 adjoints de recherche concernant ma nomination dans un poste indéterminé d’adjoint de recherche.

· La direction m’avait nommée pour travailler dans un poste EG-05 à titre intérimaire, mais suite aux événements d’intimidation, on ne me permet pas de terminer l’intérim. Le 21 novembre 2018, l’affectation est révoquée, cela m’a posé préjudice.

· 29 novembre 2018: Sonia Ringuette a mentionné dans une rencontre que la situation vécue par Sabrina Bergeron Quirion peut être perçue comme de l’intimidation;

· On m’a envoyée à la maison le temps que le climat se calme.

· Le 17 décembre 2018: alors que je suis de retour au travail, on m’envoie en microbiologie, je suis à l’écart du centre de recherche;

· Suite à la correction de l’examen, on a retiré une question. Question ratée par tous les candidats. En retirant la question, on modifiait les résultats finaux des candidats et on modifiait le nombre de personnes réussissant.

· Le comité de sélection a tenu des propos inacceptables à mon égard.

[Sic pour l'ensemble de la citation]

 

[28] En contre-interrogatoire, la plaignante a indiqué qu’elle n’avait pas déposé un grief ni une plainte de harcèlement. Elle a expliqué qu’elle avait consulté son représentant syndical, mais que ce dernier n’était pas intervenu.

[29] Quant au témoignage de M. Villeneuve, on l’a référé aux commentaires contenus dans le formulaire de références. Il a témoigné qu’il avait indiqué que la plaignante était la seule personne qui possédait l’envergure pour le poste de chef d’usines. En contre-interrogatoire, il a expliqué qu’il n’avait pas vu les dossiers de chaque candidat et qu’il ne connaissait pas les connaissances et les capacités de travail de tous les candidats.

[30] M. Villeneuve est aussi revenu sur les allégations d’intimidation. À titre d’exemple, il a cité la lettre contestant la nomination de la plaignante dans un processus de nomination non annoncé pour un poste d’adjoint(e) de recherche (EG-04) visant un transfert de poste doté pour une durée déterminée dans un poste doté pour une durée indéterminée. La lettre aurait été signée par 21 collègues, à l’attention des ressources humaines.

[31] La question concernant l’intimidation et le harcèlement allégués est revenue plus tard dans le témoignage de Mme Bernier. Cette dernière a indiqué qu’elle avait été informée d’une lettre de collègues contre la plaignante concernant un processus de nomination non annoncé. Elle a déclaré que cela avait créé « des égratignures et éclaboussures » et qu’il y avait eu une évaluation en milieu de travail. Elle a indiqué qu’elle n’avait pas été influencée par ces événements dans la prise de décision de nomination.

[32] Mme Bernier avait commencé dans son poste en novembre 2019, remplaçant Mme Ringuette la directrice déléguée sortante. Les deux directrices ont assuré une transition pendant environ six semaines. Mme Ringuette aurait pris sa retraite en décembre 2019.

[33] Dans son témoignage, Mme Bernier a aussi parlé de son rôle dans le processus de nomination. Elle a précisé qu’elle avait eu le dossier de la dotation après l’achèvement de l’examen écrit et de l’exercice de simulation.

[34] Elle a ajouté que lorsqu’elle a pris le relais, elle est allée chercher d’autres éléments pour les fins de la nomination. Elle a expliqué qu’elle avait les éléments suivants : la grille sommaire des résultats, les réponses pour les références, les rencontres avec les candidats pour connaître leurs attentes envers le poste et d’autres informations, mais elle n’a pas précisé quelles étaient ces informations.

[35] Elle a indiqué comme suit, quels étaient les éléments qui avaient fait pencher la balance entre les quatre candidats qualifiés dans le bassin :

[…] le leadership, quelqu’un qui sait servir la clientèle. Je voulais quelqu’un qui connaissait le milieu de recherche, ce n’était pas tous les candidats qui avaient cette notion-là, le reste, chacun des participants avait des qualités. Je cherchais quelqu’un qui vient du milieu scientifique […]

 

[36] À savoir si le fait qu’un candidat qui ne venait pas du milieu scientifique était disqualifié, elle a répondu comme suit: « On parle de qui est ma personne, avoir un laboratoire c’est un atout, est-ce que ça faisait partie des critères de nomination, c’est le processus global ».

[37] Elle a ajouté que selon elle, les compétences constituaient un facteur primordial pour quelqu’un qui devait être un superviseur. Elle n’a pas précisé à quelles compétences elle référait.

[38] À savoir pourquoi elle n’avait pas voulu nommer la plaignante à titre intérimaire dans le poste de chef d’usines, elle a expliqué ce qui suit :

Il y avait une série d’intérimaires qui avait commencé, il y avait un manque à gagner, c’était un peu difficile, il y avait une situation sensible. C’était pour des besoins opérationnels. Le mandat était à très court terme, j’avais besoin de poursuivre les opérations rapidement, j’avais besoin de quelqu’un qui roulait déjà les opérations dans ce poste au lieu de prendre une nouvelle personne.

 

[39] La question des nominations intérimaires dans le poste visé par la plainte est revenue dans le témoignage de Mme Ringuette. Cette dernière a indiqué qu’elle avait rencontré la plaignante et qu’elle lui a expliqué qu’elle avait privilégié « les gens de l’usine ». Elle a ajouté que l’usine offre un service au large public qui fonctionne sur 24h et qu’« il fallait alors que la personne à l’intérim soit habilitée à gérer différents enjeux même quand elle se retrouve seule après 17h. »

[40] Mme Ringuette a aussi été référée à une rencontre qui avait été initiée le 17 décembre 2019 par M. Gagnon, à laquelle elle avait été invitée, dont le but était de discuter une approche pour « choisir le best fit ». Elle a déclaré qu’elle ne se rappelait pas avoir participé à la rencontre. Elle a indiqué qu’elle n’avait pas participé à l’étape de la nomination, bien que Mme Bernier lui aurait demandé de le faire.

[41] De plus, elle a été référée aux commentaires manuscrits qu’elle aurait faits à l’égard de la plaignante pendant le processus de nomination. Ces commentaires se lisent comme suit : « Sonia: Sabrina: pas prête, manque solidité; manque synthèse. » Mme Ringuette a déclaré que ces commentaires ne lui appartenaient pas.

[42] Quant aux témoignages des trois membres du comité de sélection, M. Gagnon, président du comité de sélection, a indiqué qu’il a travaillé avec Mme Ringuette pour rédiger l’examen écrit. Il a aussi affirmé avoir combiné et transcrit les notes d’évaluation ainsi que les commentaires des membres du comité de sélection dans le document intitulé « Profil d’évaluation du candidat ». Le fait que ce document n’est pas daté ni signé a suscité beaucoup de questions.

[43] Toutefois, M. Di Campo, a confirmé que c’était M. Gagnon qui avait combiné les notes d’évaluation et les commentaires dans ce document. Il a ajouté que les commentaires quant à l’attribution du pointage avaient été rédigés de manière fidèle au consensus de la conversation des membres du comité et que cette approche était la même pour tous les candidats.

[44] Au sujet de la question de l’examen qui a été retirée, M. Gagnon a expliqué qu’il avait été nécessaire de retirer la question afin de permettre au processus de continuer, car, dit-il, si on avait gardé la question, aucun candidat n’aurait atteint la note de passage. À ce sujet, M. Di Campo, a expliqué qu’il ne se souvenait pas si une question à l’examen avait été retirée. Quant à M. Robert, il a dit, « si une question a été retirée, je viens de l’apprendre ».

[45] Lors de son témoignage, M. Robert a été aussi référé aux commentaires manuscrits qu’il avait faits à l’égard de la plaignante pendant le processus de nomination. Selon ces commentaires, la plaignante serait une super employée, mais pas une superviseure. Il a expliqué qu’il ne savait pas pourquoi il avait écrit ces commentaires et que selon son souvenir, la plaignante occupait un poste d’assistante de recherche avec les fonctions qui n’incluaient pas la supervision.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

[46] La plaignante est revenue sur les allégations citées lors de son témoignage. Elle a insisté avoir subi de l’intimidation et du harcèlement. Elle a expliqué que Mme Bernier aurait refusé de régler l’intimidation, et que cela aurait influencé la décision de ne pas la nommer dans le poste de chef d’usines. Elle a expliqué qu’en l’isolant, en révoquant ses nominations, tout cela serait survenu pendant le processus de nomination en cause.

[47] Elle maintient qu’elle n’a pas été choisie pour les occasions intérimaires pour le poste visé par la nomination, alors que ces occasions produisaient des avantages et faisaient partie intégrante du processus de nomination.

[48] Selon la plaignante, les commentaires qui auraient été faits par Mme Ringuette, ainsi que ceux de M. Robert, démontrent qu’ils faisaient preuve de mauvaise foi et de partialité envers elle.

[49] Elle a fait valoir que le processus n’était pas transparent, car, selon les notes prises par M. Villeneuve lors de la rencontre de divulgation sélective concernant l’examen standardisé de la CFP, il y avait des documents manquants. Elle n’a pas précisé quels étaient ces documents. Elle a ajouté que Mme Bernier aurait confirmé avoir utilisé des documents non signés et non datés pour la sélection.

[50] En outre, la plaignante explique que l’intimé a retiré une question d’examen à son détriment, elle a indiqué que le retrait n’a pas été fait dans les règles, que l’impact demeure inconnu.

[51] Elle fait valoir également que l’intimé a ignoré ses références. Elle a réitéré que l’évaluation a été faite d’une façon subjective à son égard, que sa candidature n’a pas été prise à sa juste valeur.

[52] Pour soutenir son argumentaire, la plaignante a soumis les décisions suivantes : Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10; Ryan c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2014 TDFP 9; Gomy c. Sous-Ministre de la Santé, 2019 CRTESPF 84; Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29.

B. Pour l’intimé

[53] L’intimé a fait valoir que la présentation de la plaignante consiste en une série de faits lancés les uns à la suite des autres en espérant que certains faits correspondent à la notion d’abus de pouvoir. Pour une majorité de ces faits, il n’y a pas de lien entre les uns et les autres, et il n’y a pas de lien avec la question en litige. Il ne suffit pas de fournir une série de faits non démontrés.

[54] La preuve a démontré qu’il y a eu deux séquences. La première séquence constituée par l’examen écrit et l’exercice de simulation de la CFP a été faite par le comité de sélection. Cette première étape du processus n’a rien à avoir avec la deuxième étape qui est de prendre une personne et la nommer. Ces deux étapes n’ont pas été faites par les mêmes individus. C’est Mme Bernier nouvellement arrivée en novembre 2019 qui a pris le relais. Mme Bernier était là pour remplacer Mme Ringuette et la preuve a démontré que cette dernière a décidé de ne pas s’impliquer à l’étape de la nomination.

[55] L’intimé a souligné que la question en litige consiste à savoir si Mme Bernier a abusé de son pouvoir lorsqu’elle a sélectionné la personne nommée. Il a insisté que la gestionnaire déléguée qui a fait la nomination était Mme Bernier seule. Ce n’était pas Mme Ringuette, ni M. Gagnon, M. Di Campo ou M. Robert. Ces derniers n’ont exercé aucune influence sur Mme Bernier.

[56] Selon l’intimé, Mme Bernier a utilisé les outils qu’elle avait légitimement à utiliser pour se faire une idée de qui, selon elle, était la bonne personne. Elle a pris les commentaires combinés des trois membres du comité de sélection, la grille sommaire des résultats, elle a fait des vérifications auprès des références ainsi que les discussions informelles avec les candidats. Elle a déclaré qu’elle avait priorisé les compétences et qu’elle voulait une personne venant du milieu scientifique. Il était légitime pour Mme Bernier de procéder ainsi.

[57] La plaignante n’a pas démontré que le fait qu’elle n’avait pas été nommée à titre intérimaire avait eu un impact sur la nomination. Une autre personne qui a occupé un poste par intérim n’avait pas été nommée.

[58] L’intimé a fait référence à une douzaine de décisions incluant : Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684; Ben Achour c. le Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2012 TDFP 24; Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 11; Soccar c. le Commissaire de la Gendarmerie Royale du Canada, 2013 TDFP 14; Stamp c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2014 TDFP 4; Tibbs c. sousministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8; Portree c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14.

C. Pour la Commission de la fonction publique

[59] Lors de sa réponse aux allégations de la plaignante, la CFP a confirmé les informations suivantes :

1) La CFP a approuvé l’utilisation de l’exercice de simulation pour superviseur.

 

2) Des spécialistes de l'évaluation du Centre de psychologie du personnel de la CFP ont formé les membres du comité d’évaluation de l’intimé sur l’administration et notation de l’exercice de simulation.

 

3) L’exercice de simulation a été administré par les membres du comité d’évaluation de l’intimé et la CFP n’a pas participé à l’évaluation.

 

4) Des membres du Centre de psychologie du personnel de la CFP ont participé à la rencontre de divulgation sélective de l’exercice de simulation avec la plaignante et les représentants de l’intimé, le 14 février 2022.

 

V. Analyse

A. Résumé des principes de base

[60] En vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP, une personne qui n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination dans un processus de nomination annoncé peut présenter une plainte à la Commission au motif d’abus de pouvoir. Pour les fins de l’application de la LEFP, le par. 2(4) indique qu’on entend notamment par « abus de pouvoir », la mauvaise foi et le favoritisme personnel. Au par. 38 de Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, la Cour fédérale a examiné une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision portant sur une plainte d’abus de pouvoir. Elle a confirmé que la description de l’abus de pouvoir au par. 2(4) n’est pas exhaustive et peut comprendre d’autres formes de conduite inappropriée, mais qui ne sont pas de simples erreurs ou omissions.

[61] Au par. 20 dans Muka c. Le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2021 CRTESPF 53, en se référant à Tibbs, la Commission note qu’«[] un abus de pouvoir peut comprendre un acte, une omission ou une erreur que le législateur naurait pas pu envisager dans le cadre de la discrétion accordée aux personnes possédant des pouvoirs délégués de dotation. » Toutefois, labus de pouvoir doit être une faute grave, qui va au-delà de cette discrétion (voir Huard c. Administrateur général (Bureau de linfrastructure du Canada), 2023 CRTESPF 9, au par. 79).

[62] Il est à noter que l’alinéa 77(1)a) de la LEFP renvoie au par. 30(2). Le par. 30(2) donne un pouvoir discrétionnaire assez large à l’administrateur général de nommer la personne qui, selon lui, possède non seulement les qualifications essentielles, mais aussi est la bonne personne qui convient le mieux au poste à doter (voir Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24, aux par. 34, 42 et 44, et Stamp, au par. 30). Un pouvoir similaire est aussi prévu à l’art. 36 de la LEFP en ce qui concerne le choix des méthodes d’évaluation. Il convient de mentionner que ces pouvoirs ne sont pas absolus.

[63] Il a été aussi établi que le fardeau de la preuve incombe à la plaignante (voir Tibbs aux par. 48 à 50.

B. Application des principes de base aux faits

1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en retirant une question de l’examen?

[64] La plaignante soutient que l’intimé a retiré une question d’examen et s’est opposée à la communication de la correction complète de son examen écrit incluant la question retirée. Selon la plaignante, en retirant une question à l’examen, l’intimé modifiait les résultats finaux des candidats et modifiait ainsi le nombre de personnes réussissant. À l’audience, elle a indiqué que l’impact de ce retrait lui était inconnu.

[65] L’intimé fait valoir que cette plainte d’abus de pouvoir n’implique que l’étape du processus de nomination faite par Mme Bernier seulement. Mme Bernier a pris la relève quand l’examen écrit était déjà complété. Sa tâche était de prendre une décision de nommer une des personnes du bassin. Selon l’intimé, c’est essentiellement cette décision qui est l’objet de la plainte. L’examen écrit n’est pas pertinent à la plainte, la Commission ayant déjà statué sur cette question dans son ordonnance du 5 novembre 2020.

[66] Je considère que c’est le processus global qui est en cause. La preuve a révélé que l’examen écrit a été un des éléments qui ont été utilisés dans la prise de décision de nomination, et cela crée un lien avec la plainte. L’ordonnance du 5 novembre 2020 a été émise avant l’audience, sur base de l’information qui était disponible à ce moment.

[67] Le sujet concernant l’examen écrit a effectivement fait l’objet d’un autre débat lors d’une demande d’ordonnance de communication de renseignements. La plaignante avait demandé entre autres « [s]on examen écrit et la correction complète (incluant l’information exacte et les précisions à savoir si une ou des question(s) a(ont) été retirée(s) de l’évaluation, quelle(s) question(s), et sa note à cette (ces) question(s)). » Dans la réponse à cette demande, l’intimé avait indiqué que l’examen écrit n’était pas pertinent à la plainte et que les résultats de cet examen n’avaient pas été considérés pour la décision de sélection. Dans une ordonnance datée du 5 novembre 2020, la Commission a jugé que la plaignante n’avait pas démontré un lien direct ou la pertinence de cette information avec sa plainte.

[68] Cependant, l’explication de l’intimé quant à l’utilisation de l’examen écrit dans la décision de nomination, n’a pas été cohérente durant toute la procédure devant la Commission. Bien que l’intimé eût indiqué que l’examen écrit n’a pas été considéré dans la décision de nomination, lors de la réponse à la demande de communication de renseignements ainsi que dans sa réponse aux allégations, cette explication a été contredite à l’audience par le témoignage de Mme Bernier. On a appris de cette dernière que parmi les outils qu’elle a considérés, il y avait la grille sommaire des résultats. Or, cette grille contient des résultats de l’examen écrit ainsi que ceux de l’exercice de simulation, les seuls résultats d’ailleurs qui y sont consignés. Ce manque de cohérence dans l’explication de l’intimé concernant l’utilisation de l’examen écrit dans la décision de nomination constitue de la négligence qui a nui à la procédure devant la Commission.

[69] Cela étant, la question ici revient à déterminer si, en retirant une question de l’examen, l’intimé a abusé de son pouvoir. Le retrait d’une question de l’examen à lui seul ne dénote pas un abus de pouvoir. L’intimé avait la discrétion d’établir les questions pour l’examen écrit et je n’ai pas reçu une preuve selon laquelle le retrait d’une question a entaché le processus de nomination. Toutefois, le refus de divulguer à la plaignante la correction de son examen en invoquant qu’il n’était pas pertinent à la plainte alors qu’il a été considéré dans la prise de décision, constitue un manque de transparence qui aurait pu dans d’autres circonstances mener à de l’abus de pouvoir.

2. Est-ce que l'intimidation que la plaignante aurait subie a influencé la gestionnaire déléguée dans sa décision de ne pas la nommer dans le poste en cause?

[70] Il n’y a pas de preuve qui permet de conclure que la plaignante a été victime de préjugés basés sur l’intimidation ou le harcèlement qu’elle aurait subi.

[71] Pour illustrer les conséquences liées à l’intimidation et au harcèlement allégués, la plaignante a cité des mesures prises par l’intimé à son égard, notamment le retrait des tâches des usines pilotes, la décision de la retirer du milieu de travail pendant un certain temps à la suite de la lettre des 21 collègues, la décision de l’isoler du centre de recherche, la révocation de sa nomination dans un poste intérimaire, et l’inaction alléguée de l’intimé face aux micro-agressions de la part des collègues.

[72] Selon l’intimé, il ne suffit pas pour la plaignante de fournir une série de faits du harcèlement et de l’intimidation, sans aucune preuve. Même s’il y avait le moindre élément d’intimidation, il n’y a aucun lien avec Mme Bernier.

[73] Mon rôle ici n’est pas d’examiner si la plaignante a été victime d’une intimidation ou du harcèlement, mais je peux examiner si le contexte a fait en sorte qu’elle n’a pas eu une chance équitable dans le processus de nomination.

[74] La plaignante avance que les mesures prises par l’intimé pour traiter les problèmes de relation de travail incluant l’intimidation et le harcèlement qu’elle aurait subi l’ont empêché d’avoir de l’expérience et des connaissances pour le poste visé et que cela aurait eu une incidence dans le processus de nomination. La plaignante avait le fardeau de démontrer un lien entre l’intimidation et le harcèlement qu’elle aurait subi et la décision de ne pas la nommer dans le poste visé par la plainte. Elle n'a pas présenté une preuve directe ou circonstancielle pouvant démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Bernier a écarté sa candidature en raison du contexte d'intimidation et du harcèlement qu’elle allègue.

3. L’intimé a-t-il accordé un avantage indu à la personne nommée en lui donnant l’occasion d’occuper le poste visé de façon intérimaire et en refusant une telle opportunité à la plaignante ?

[75] Aucun lien entre les processus des nominations intérimaires et le processus de nomination visé par la plainte n’a été établi par la plaignante.

[76] La plaignante fait valoir que l’intimé lui a refusé les occasions d’agir à titre intérimaire dans le poste visé par la nomination. Elle maintient que les nominations intérimaires faisaient partie du processus de nomination en cause puisque le but était de permettre un transfert de connaissances liées à ce poste.

[77] L’intimé maintient que la plaignante n’a pas démontré que le fait qu’elle n’a pas obtenu une nomination intérimaire a eu un impact sur la nomination au poste visé. Une autre personne qui a obtenu une nomination intérimaire n’a pas été nommée.

[78] Il convient d’abord de noter que non seulement je ne suis pas saisie d’une plainte relative aux nominations intérimaires antérieures, mais aussi, je n’ai pas la compétence relativement à ces nominations intérimaires. Cependant, je peux examiner les nominations intérimaires afin de déterminer s’il y avait un lien entre ces processus et celui qui a mené à la nomination visée par la plainte.

[79] La première nomination intérimaire a été faite en mai 2018, avec le lancement de la création du poste et différentes personnes ont été nommées jusqu’à ce que la notification de la candidature retenue a été publiée en juillet 2020. Pendant cette période, la plaignante s’est vu refuser toute possibilité d’occuper le poste à titre intérimaire, même après s’être qualifiée dans le bassin des candidats retenus dans le poste visé.

[80] Je suis d’accord que les nominations intérimaires permettent aux personnes d’acquérir de nouvelles expériences dans des postes dans lesquels elles sont nommées, et peuvent avoir un impact sur la carrière des personnes visées. Les nominations intérimaires peuvent aussi permettre à un gestionnaire de connaître davantage des personnes qui pourraient être appelées à être nommées de façon indéterminée. Certes, les gestionnaires délégués ont la discrétion de faire de telles nominations, et cette discrétion doit être exercée de façon objective, transparente, juste et équitable. Souvent, la personne qui a été nommée de façon intérimaire se retrouve à être la personne nommée après un processus de nomination. C’est ce qui est arrivé ici.

[81] Dans Ben Achour, l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal ») a examiné une question similaire et a conclu aux paragraphes 54 à 56 que le fait d’avoir occupé un poste à titre intérimaire ne garantissait pas une réussite dans un processus de nomination. Je souscris à ce raisonnement. La plaignante n’a pas démontré que le fait que la personne nommée ait occupé le poste à titre intérimaire lui aurait assuré un avantage indu dans ce processus de nomination.

4. L’intimé a-t-il fait preuve de partialité ou d’apparence de partialité dans le processus de nomination?

[82] Une personne bien informée des circonstances de cette affaire pourrait croire à une crainte raisonnable de partialité vis-à-vis la conduite de l’intimé.

[83] Selon la plaignante, le comité de sélection a tenu des propos inacceptables à son égard. Les commentaires selon lesquels elle ne serait « pas prête [qu’elle] manque [de] solidité [et qu’elle] manque [de] synthèse », qui auraient été faits par Mme Ringuette, ainsi que ceux faits par M. Robert selon lesquels elle serait une « super employée, [mais] pas […] superviseure » démontrent que Mme Ringuette et M. Robert faisaient preuve de partialité envers elle. Elle a renvoyé à Gignac, en vue d’établir un parallélisme.

[84] L’intimé fait valoir que ce n’est pas Mme Ringuette ni M. Gagnon, M. Robert ou M. Di Campo qui ont pris la décision de nomination. Les deux étapes du processus ont été évaluées par des individus différents, seule Mme Bernier a décidé qui, selon elle, était la bonne personne pour le poste de chef d’usines.

[85] La question que je dois déterminer est de savoir si l’intimé a fait preuve de partialité dans le processus en cause.

[86] Le critère de crainte raisonnable de partialité a été établi dans la décision de la Cour suprême du Canada Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, et repris dans Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623. Ce critère a été entériné par le Tribunal et par la Commission. La décision Gignac par exemple, au par. 74, énonce ce critère de la façon suivante :

[74] […] Lorsqu’il y a allégation de partialité, le critère suivant pourra être appliqué à son analyse en tenant compte des circonstances l’entourant : Si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’une ou plusieurs personnes chargées de l’évaluation, le Tribunal pourra conclure qu’il y a abus de pouvoir.

 

[87] Je trouve qu’un observateur relativement bien renseigné des circonstances de cette affaire pourrait percevoir une crainte raisonnable de partialité à l’égard des commentaires de M. Robert, qui était parmi les personnes chargées de l’évaluation; ainsi que les commentaires dont l’auteur ne peut être identifié alors qu’ils apparaissent dans les documents concernant le processus de nomination.

[88] M. Robert a fait des commentaires à l’égard de la plaignante (super employée et non superviseure). On ne naît pas superviseur: on le devient. Lors de son témoignage, il a expliqué que selon son souvenir, la plaignante occupait un poste d’assistante de recherche avec les fonctions qui n’incluaient pas la supervision. Or, le fait d’occuper un poste de supervision ne faisait pas partie des critères de mérite, et il n’y a aucune indication que les autres candidats occupaient des postes de supervision. Si cela était important pour les fins de la nomination dans le poste visé, l’intimé l’aurait indiqué dans les critères de mérité et ainsi, limiter le processus aux seules personnes occupant un poste de supervision. Ces commentaires viennent appuyer l’argument de la plaignante selon lequel sa candidature a été évaluée d’une façon subjective et n’a pas été évaluée à sa juste valeur.

[89] En qualité de membre du comité de sélection, M. Robert jouait un rôle important dans le processus de nomination. Non seulement il a été parmi les personnes qui ont corrigé l’examen écrit et l’exercice de simulation, mais aussi selon le témoignage de Mme Bernier, cette dernière l’a consulté ainsi que M. Di Campo pour « la prise d’autres renseignements ». Les commentaires de M. Robert suscitent une crainte raisonnable d’une évaluation inéquitable, partiale.

[90] En ce sens, il faut placer ces commentaires dans le contexte particulier de cette affaire. Le témoignage de la plaignante appuyé par celui de M. Villeneuve révèle qu’elle a fait face à des événements en milieu de travail, et certains événements ont provoqué une série de mesures prises par l’intimé à l’égard de la plaignante, dont le retrait des tâches des usines pilotes, la décision de la retirer du milieu de travail pendant un certain temps, la décision de l’isoler du centre de recherche, ainsi que la révocation de sa nomination dans un poste intérimaire. Dans un tel contexte, les commentaires selon lesquels la plaignante « n’est pas superviseure » pourraient être perçus comme des préjugés.

[91] La plaignante m’a renvoyé à Ryan. Dans cette affaire, une personne qui faisait partie du comité de sélection chargé de l’examen écrit et de l’entrevue et faisait également partie des personnes qui ont été consultées pour choisir la personne nommée avait dit à la plaignante : « Jamais je ne vous offrirai ce poste, sauf si on me l’ordonne ».

[92] Les commentaires de M. Robert ne sont pas aussi directs que ceux qui avaient été faits dans l’affaire Ryan. Toutefois, la partialité ne ressort pas toujours de façon évidente, elle peut être aussi très subtile et n’apparaître qu’aux yeux de la personne qui garde un esprit ouvert. De plus, comme il a été noté dans Bain c. le sous ministre de Ressources naturelles Canada, 2011 TDFP 28 au par. 134, il est difficile d’établir une preuve directe de parti pris.

[93] D’autre part, les autres commentaires (« pas prête, manque [de] solidité, manque [de] synthèse ») ne sont d’aucunes façons liées aux qualifications essentielles, par exemple, une qualification telle que la capacité d’analyse qui viserait à évaluer l’esprit de synthèse d’un individu, mais qui n’était pas un des critères de mérite. De plus, le fait qu’ils ne sont pas datés et qu’on ne peut identifier leur l’auteur dénote un manque de transparence.

[94] L’intimé soutient qu’aucune personne, autre que Mme Bernier, n’a été impliquée dans la prise de décision de la personne à nommer. Or, Mme Bernier a affirmé qu’étant nouvellement en poste, et ne connaissant pas les candidats, elle avait consulté M. Di Campo et M. Robert en tant que membres du comité de sélection dans le but d’avoir des renseignements et que ces derniers lui ont fait part de leurs commentaires sur les candidats. La décision de Mme Bernier n’a pas été prise en vase clos hors du contexte global du processus de nomination.

[95] Par ailleurs, il n’est pas nécessaire pour la plaignante d’établir l’existence de la partialité, mais simplement qu’il y a une crainte raisonnable de partialité. Comme il a été noté dans Amirault c. le sous ministre de la Défense nationale, 2012 TDFP 6, au par. 57, « […] il est habituellement impossible de déterminer si le décideur a abordé la question avec un esprit partial […] ».

5. Est-ce qu’il y a eu défaut de transparence qui constitue un abus de pouvoir dans le processus de nomination en cause?

[96] J’estime qu’il y a des éléments, qui, combinés, témoignent d’un manque de transparence qui n’est pas une simple erreur dans le processus de nomination en cause. À part les commentaires anonymes cités plus haut, les contradictions concernant l’utilisation de l’examen écrit dans la sélection, il y a aussi le défaut de consigner par écrit les évaluations lors de la deuxième étape du processus de nomination, ainsi que l’ajout de nouveaux critères en cours de route. Je traiterai les deux derniers éléments dans les passages ci-après.

a. Le défaut de consigner par écrit les évaluations lors de la deuxième étape du processus de nomination,

[97] Lorsqu’on examine la grille sommaire des résultats qui a été produite en preuve, on constate qu’elle contient diverses méthodes d’évaluation, dont la demande de candidature, l’examen écrit et l’exercice de simulation ainsi que les qualifications essentielles que ces méthodes visent à évaluer. Dans les deux derniers cas, il y a des notes de passage, des notes de coupure et les notes des candidats.

[98] Cependant, pour ce qui est des références, il n’y a aucune note de passage ni résultat. Il en est de même pour ce qui est de la discussion informelle qui tient lieu d’entrevue. Elle n’est même pas mentionnée. Il n’y a non plus aucun indice concernant l’évaluation de la langue seconde (bilingue impératif), dite critère de mérite. Pourtant, la partie du processus qui a été déterminante, selon l’intimé, est celle qui comprend la prise des références, la discussion informelle ainsi que la prise d’autres informations dont on ne sait la teneur. Par exemple, le questionnaire de vérification des références contient la question suivante : « Par le biais de vos expériences et connaissances, […] comment qualifierez-vous le(la) candidat(e) au niveau de : Autonomie […] Fiabilité […] Professionnalisme […] ».

[99] Ces critères apparaissent dans la justification de la décision de nomination « Formulation de la décision de sélection » signée par Mme Bernier dans laquelle on peut lire ce qui suit : « [la personne nommée] est une personne autonome, fiable et professionnelle, des qualités que je recherche dans un poste clé et au sein d’une équipe en pleine évolution.»

[100] Indépendamment de la méthode d’évaluation utilisée et du résultat, c’est une bonne pratique de déterminer la note de passage et documenter les résultats et les raisons d’une décision de nomination. Sans note de passage ni résultats, l’évaluation n’est pas transparente.

[101] Au départ, l’intimé a établi une grille d’évaluation dans laquelle sont identifiées les qualifications essentielles et les méthodes d’évaluation par lesquelles elles seraient évaluées ainsi que la consignation des résultats. Son omission de continuer cette approche pour la suite du processus est contraire aux principes énoncés dans le préambule de la LEFP. Le préambule énonce des valeurs de transparence, d’équité et de respect qui ont été discutés et confirmés dans des décisions du Tribunal et de la Commission. Par exemple, dans la décision Haller c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2022 CRTESPF 100, au par. 87, la Commission indique que la transparence est la principale valeur de dotation. Elle « […] exige que les évaluations et les décisions soient dûment consignées au moment du processus de nomination […] ». Tel n’a pas été le cas ici.

[102] La transparence est essentielle pour prévenir les abus de pouvoir. Elle assure aussi la confiance dans un processus de nomination. En raison de ce manque de transparence, la décision de nomination est teintée d’abus de pouvoir.

b. Ajout de qualifications essentielles en cours de route.

[103] Il est à noter que l’intimé a ajouté des critères en cours de processus, ce dont il avait avisé les candidats lors de l’affichage du poste. Cette pratique est cependant discutable puisque certains candidats auraient ou n’auraient pas postulé selon les nouvelles qualifications essentielles. De plus, ne pas être informé dès le départ des qualifications essentielles peut mettre les répondants pour les références dans une situation difficile de ne pas savoir quelles seront les qualifications essentielles évaluées pour pouvoir donner des exemples pertinents.

[104] À titre d’exemple, la justification de la décision de nomination mentionne que la prise des références et la discussion informelle soutiennent que la personne nommée a une « […] capacité à mener de multiples dossiers de front par une grande capacité d’organisation d’une équipe, de personnel et de dossiers dans le but d’atteindre les objectifs ou mandats qui lui sont donnés. » Or, cette qualification ne figure pas sur le questionnaire de vérification des références, et si elle a été évaluée lors de la discussion informelle, il n’est pas non plus clair comment elle a été évaluée. Pourtant, cette qualification fait partie des éléments qui ont fait pencher la balance envers la personne nommée.

[105] Certes, la LEFP investi un pouvoir discrétionnaire large aux gestionnaires. Toutefois, il n'existe pas de pouvoir discrétionnaire absolu. (Lavigne, aux par. 58 et 59). Il serait inconcevable de penser que le législateur a envisagé un pouvoir discrétionnaire illimité pouvant être exercé d’une façon capricieuse, sans tenir compte des valeurs incontournables comme l’équité, la transparence, et le respect dans les pratiques d’emploi.

[106] Considérés dans leur ensemble, j’estime que le défaut de transparence et l’ajout de certains critères déterminants combinés avec l’apparence de partialité dans les circonstances particulières de cette affaire dénotent un abus du pouvoir discrétionnaire que le législateur a investi dans l’intimé. Je conclus qu’il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination en cause.

VI. Mesures correctives

[107] La Commission ne peut ordonner à l’intimé de faire une nomination ou d’entreprendre un nouveau processus de nomination selon ce qui est prévu à l’art. 82 de la LEFP. Par contre, la Commission peut se pencher sur des mesures correctives. En vertu du par. 81(1) de la LEFP, si elle juge la plainte fondée, la Commission peut ordonner à l’intimé de révoquer la nomination et de prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

[108] Dans sa plainte, la plaignante a demandé que des mesures correctives appropriées soient appliquées sans autres précisions. Dans ses allégations, la plaignante a ajouté la révocation de la nomination de la personne nommée. À l’audience, cette demande a été retirée.

[109] Dans les circonstances particulières de cette affaire, j’estime qu’une déclaration que l’intimé a abusé de son pouvoir constitue la réparation appropriée.

[110] Comme indiqué plus haut, l’examen écrit était pertinent à la plainte, mais il n’était pas le seul élément qui a été considéré dans la décision de nomination. L’ordonnance du 5 novembre 2020 a été rendue sur foi de l’information disponible au dossier à l’époque. J’estime qu’une déclaration que l’intimé a manqué de transparence durant la procédure devant la Commission constitue également une mesure appropriée.

[111] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparait à la page suivante)


VII. Ordonnance

[112] La plainte est accueillie.

[113] Je déclare qu’il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination en cause.

[114] Je déclare qu’il y a eu un manque de transparence de l’intimé durant la procédure de la Commission.

Le 14 février 2024.

Goretti Fukamusenge,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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