Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé occupait un poste de tuyauteur-plombier au ministère de la Défense nationale (MDN) – il a été suspendu sans solde puis licencié pour avoir manqué d’intégrité en volant et revendant des rebuts de cuivre et de laiton (les « rebuts ») appartenant au MDN – il a plaidé coupable à un chef d’accusation criminelle de possession de biens criminellement obtenus d’une valeur de moins de 5 000 $ – le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé des griefs relativement à la suspension et au licenciement – le fonctionnaire s’estimant lésé a avoué avoir récupéré et revendu des rebuts qu’il avait retirés des bâtiments et des installations du MDN et dont il avait partagé les profits avec d’autres employés – les gestes posés par le fonctionnaire s’estimant lésé constituaient un manque d’intégrité, soit une grave violation des principes d’éthique du MDN – toutefois, le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu qu’il n’avait pas eu l’intention de voler – il s’était fié à une pratique du secteur privé selon laquelle les plombiers récupéraient et revendaient les rebuts à la suite de travaux qu’ils effectuaient et partageaient les profits de la revente – il croyait que cette même pratique était acceptée au MDN – durant ses sept années à l’emploi du MDN, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas demandé à un représentant du MDN s’il pouvait prendre les rebuts à des fins personnelles ou si le MDN souhaitait les garder – la Commission a jugé qu’il n’avait pas respecté une composante importante de la pratique qu’il avait invoquée pour expliquer sa croyance – le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir qu’il ignorait qu’il existait des directives relatives à la gestion des matériaux résiduels parce qu’il avait été mal formé et mal renseigné par son employeur – même si l’employeur avait manqué à son devoir de communiquer certaines directives, elles étaient accessibles sur les sites intranet et Internet pour les employés qui voulaient s’informer relativement à la récupération des rebuts – la preuve a révélé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait appris en observant ses collègues que le MDN avait certaines attentes et exigences relativement à la gestion des biens et des matériaux – la Commission a jugé que l’ignorance des directives n’était pas une défense – selon la Commission, rien n’indiquait que l’employeur avait utilisé le verbe « voler » comme un terme technique au sens du Code criminel – que le fonctionnaire ait eu l’intention de voler ou non, la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé justifiait un licenciement – la Commission a reconnu des facteurs atténuants soit, les années de service, le bon rendement, le dossier disciplinaire vierge du fonctionnaire s’estimant lésé, la reconnaissance de ses torts, ainsi que sa collaboration à une phase subséquente de l’enquête criminelle – la Commission a jugé que la croyance du fonctionnaire s’estimant lésé d’une pratique au MDN similaire au secteur privé et son ignorance des directives n’étaient pas des facteurs atténuants – la Commission a reconnu des facteurs aggravants, soit la nature de l’inconduite, l’inconduite pendant les heures de travail en utilisant un camion du MDN, l’inconduite échelonnée sur plusieurs années et de façon préméditée, la connivence avec des collègues, le profit important et le défaut de ne pas avouer immédiatement son inconduite – les facteurs aggravants et la nature de l’inconduite l’ont emporté sur les facteurs atténuants – par conséquent, le licenciement ne constituait pas une mesure disciplinaire excessive – la suspension et le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé constituaient deux mesures disciplinaires distinctes s’appuyant sur la même justification – l’employeur a utilisé la date de la suspension sans solde comme date d’effet du licenciement – puisque les motifs qui sous-tendent le licenciement existaient au moment où le licenciement a pris effet, la Commission a déterminé que le grief portant sur la suspension était sans objet – la Commission s’est prononcée sur la durée de 19 mois de la suspension en déclarant qu’elle n’était pas excessive au point de devenir disciplinaire et que le délai était explicable.
Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date: 20231218

Dossiers: 566-02-14284 et 44708

 

Référence: 2023 CRTESPF 119

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

N.L.

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(ministère de la Défense nationale)

 

défendeur

Répertorié

N.L. c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Aaron Lemkow, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur : Philippe Giguère, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

du 6 au 10 et les 13, 15 et 16 février 2023.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1] Le cuivre et le laiton sont des métaux d’une valeur monétaire pouvant être surprenante pour certains. Toutefois, pour ceux et celles qui travaillent dans l’industrie de la plomberie, la valeur monétaire des rebuts de cuivre et de laiton est bien connue.

[2] Le fonctionnaire s’estimant lésé, N.L. (le « fonctionnaire »), occupait un poste de tuyauteur-plombier au ministère de la Défense nationale (le « ministère » ou MDN). Bien que le Conseil du Trésor du Canada soit l’employeur légal du fonctionnaire, pour les fins de la présente décision, le MDN est désigné comme employeur.

[3] Le fonctionnaire occupait le poste de tuyauteur-plombier depuis janvier 2008. Il a été suspendu en 2015 et a été licencié en 2016 pour avoir manqué d’intégrité en volant et revendant du matériel appartenant au ministère, notamment des rebuts de cuivre.

[4] Il a fait l’objet d’une enquête criminelle ainsi que d’une enquête administrative menée par un enquêteur du MDN. Dans le cadre des deux enquêtes, le fonctionnaire a avoué avoir récupéré et revendu des rebuts de cuivre et de laiton recueillis dans le cadre de travaux effectués pour le compte du MDN et avoir partagé les profits avec d’autres employés du ministère. Toutefois, il a nié avoir eu l’intention de voler. Il a été accusé de vol de moins de 5 000 $. À la suite d’une proposition conjointe présentée par la Couronne et la défense, il a plaidé coupable à un chef d’accusation criminelle de possession de biens criminellement obtenus d’une valeur de moins de 5 000 $.

[5] Malgré ses aveux et son plaidoyer de culpabilité, devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), le fonctionnaire soutient que ses agissements ne justifiaient pas qu’il fasse l’objet de mesures disciplinaires, parce qu’il ignorait que la récupération et la revente de rebuts à des fins personnelles étaient interdites au MDN. Il soutient qu’il n’était pas au courant que ses agissements constituaient un vol de biens appartenant à son employeur. Il fait également valoir que son employeur était au courant de la récupération et la revente de cuivre et de laiton par des employés et tolérait la situation.

[6] Avant son embauche par le ministère, le fonctionnaire était plombier dans le secteur privé où, selon lui, il existait une pratique généralisée selon laquelle les plombiers récupéraient et revendaient les rebuts de cuivre et de laiton à la suite de travaux qu’ils effectuaient, et partageaient les profits de la revente. Le fonctionnaire soutient qu’il croyait que cette même pratique était acceptée au MDN. Il croyait que le MDN jetait les rebuts. Selon lui, rien n’indiquait qu’il était tenu de remettre les rebuts de cuivre et de laiton à son employeur. Il conteste sa suspension sans solde et son licenciement.

[7] Lors de l’audience, les parties m’ont demandé de diviser l’audience et de rendre une décision portant uniquement sur le bien-fondé des griefs du fonctionnaire, laissant la réparation à une phase subséquente du processus décisionnel si la Commission accueillait les griefs. J’ai accédé à la demande.

[8] L’identité du fonctionnaire a été anonymisée pour les motifs énoncés dans N.L. c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2022 CRTESPF 82. Conformément à l’ordonnance d’anonymisation, j’ai également ordonné, en cours d’audience, que les recueils de documents déposés par les parties soient également anonymisés. Les parties m’ont également demandé de ne pas identifier par leurs noms les employés du MDN qui, comme le fonctionnaire, ont été accusés d’infractions en lien avec les faits ayant donné lieu à la présente affaire. Comme l’identité de ces employés n’est pas pertinente à l’issue de la présente affaire et qu’ils n’ont pas été appelés comme témoins, ces employés seront identifiés dans les présents motifs uniquement par leurs initiales.

[9] Pour les motifs suivants, les griefs sont rejetés.

II. Résumé de la preuve

[10] Le fonctionnaire a occupé un poste de tuyauteur-plombier auprès du ministère d’août 2008 jusqu’à son licenciement en décembre 2016. Il travaillait au sein du Service du génie à la Garnison de Longue-Pointe à Montréal, au Québec (la « Garnison »).

A. Récupération de rebuts de cuivre et de laiton dans le secteur privé

[11] Avant d’être un employé du MDN, le fonctionnaire a travaillé pendant approximativement sept ans à titre de plombier dans le secteur privé. Il a travaillé sur des chantiers commerciaux petits et grands, ainsi que dans la plomberie résidentielle.

[12] Trois témoins ont décrit leurs connaissances et expériences de la pratique de récupération de rebuts de cuivre et de laiton dans l’industrie de la construction privée : le fonctionnaire, son ancien contremaître Guy Hurtubise et un électricien au sein du Service du génie, Gabriel Sigouin.

[13] Avant de décrire les témoignages, je tiens à préciser que les mots « récupérer » et « récupération », lorsqu’ils seront utilisés dans les présents motifs, signifient « [r]ecueillir des matériaux usagés pour réutiliser, recycler ou en faire commerce […] » (voir le Dictionnaire Larousse, en ligne). Ils ne comportent pas une présomption – comme le fonctionnaire l’a fait valoir dans son témoignage – que les matériaux récupérés sont, dans tous les cas, destinés à la revente. La revente peut être un objectif de la récupération, mais il ne s’agit pas du seul.

[14] Sujet à quelques nuances importantes, les trois témoins ont décrit une pratique semblable de récupération et de revente de rebuts dans l’industrie de la construction privée. Ils ont indiqué que les plombiers et les électriciens rassemblaient et ramassaient les rebuts de cuivre sur les chantiers de construction lors de projets d’entretien, de réparation et de construction. Les témoins ont également tous indiqué que les rebuts étaient revendus à profit. Toutefois, leurs témoignages étaient divergents quant aux directives – formelles ou informelles – données aux plombiers et aux électriciens par leurs employeurs au sujet de la revente de rebuts provenant de chantiers de construction, ainsi qu’au sujet de qui avait droit aux profits de la revente de rebuts.

[15] M. Sigouin a témoigné qu’en raison de la valeur monétaire des rebuts de cuivre, les ententes de service de construction précisaient fréquemment qui, entre le client et le fournisseur de service de construction, avait le droit aux rebuts de cuivre lorsqu’un projet de construction prenait fin. Lorsque le fournisseur de service de construction avait droit aux rebuts, les rebuts étaient récupérés par les plombiers et les électriciens et ramenés à un endroit central tout au long de l’année, jusqu’à ce que leur employeur en fasse la revente. L’employeur utilisait ensuite les profits de la revente de rebuts pour offrir une récompense à ses employés, tel un repas de fin d’année. Selon lui, les plombiers et les électriciens n’avaient pas le droit de revendre les rebuts et de garder les profits de la revente.

[16] Le fonctionnaire n’a pas contredit la description de M. Sigouin d’une pratique où l’employeur utilisait les profits de la revente de rebuts amassés à la suite de projets de construction pour offrir une récompense à ses plombiers. Toutefois, il a indiqué que les employeurs n’avaient pas tous cette pratique. Il a indiqué avoir travaillé dans des environnements de travail où les employés œuvrant sur un chantier de construction amassaient, à un endroit central, tous les rebuts de cuivre pendant la durée des travaux. À la suite des travaux, l’un d’entre eux avait la tâche de revendre les rebuts. Les profits étaient partagés à parts égales entre les employés ayant travaillé sur le chantier. Le fonctionnaire a indiqué avoir eu une seule expérience où son employeur l’avait informé que les rebuts de cuivre amassés devaient être remis au client. Il s’agissait d’un projet de construction de très grande envergure et les quantités de rebuts étaient considérables.

[17] Lorsqu’il a décrit son expérience de travail en plomberie résidentielle, le fonctionnaire a indiqué avoir eu la pratique de demander à ses clients s’ils souhaitaient garder les rebuts de cuivre ou s’ils préféraient qu’il apporte les rebuts avec lui à la suite des travaux. Selon lui, les clients ne voulaient habituellement pas garder les rebuts. Le fonctionnaire a témoigné qu’il mettait les rebuts que les clients n’avaient pas voulu conserver dans son camion et les apportait à l’atelier de plomberie de son employeur. Les rebuts amassés par tous les plombiers étaient accumulés pour plusieurs semaines ou plusieurs mois jusqu’à ce que le contremaître de l’atelier apporte les rebuts chez un ferrailleur pour la revente. Les profits étaient ensuite partagés à parts égales entre les plombiers. Il a indiqué qu’un de ses employeurs avait, à un moment donné, laissé tomber cette pratique pour, au lieu, permettre aux plombiers de revendre – sur une base individuelle – les rebuts que chacun avait récupérés lors de travaux de plomberie résidentielle.

[18] Le témoignage de M. Hurtubise a largement corroboré la description de la pratique informelle dans le secteur privé offerte par le fonctionnaire à l’exception d’une précision apportée par M. Hurtubise en contre-interrogatoire. Il a indiqué qu’il demandait aux clients de projets commerciaux, industriels et résidentiels s’ils voulaient garder les rebuts de cuivre. Ce n’était que lorsqu’un client indiquait ne pas vouloir conserver les rebuts de cuivre que les rebuts étaient récupérés et revendus par les plombiers.

B. La récupération et la revente de cuivre et de laiton par le fonctionnaire alors qu’il était à l’emploi du MDN

[19] Comme il a été indiqué précédemment, le fonctionnaire a été embauché par le MDN en 2008. Il s’agissait de son premier emploi au sein de la fonction publique.

[20] À son entrée en fonction, le fonctionnaire était un employé au sein de l’atelier électrique-mécanique de la Garnison. L’atelier regroupait entre autres les plombiers, les ferblantiers et les électriciens du Service du génie. Le bâtiment dans lequel était situé l’atelier électrique-mécanique abritait également l’atelier général dont les employés étaient, entre autres, des peintres, des maçons, des serruriers et des menuisiers. Avant août 2013, chacun des ateliers avait son propre surintendant.

[21] Plusieurs allégations fondées uniquement sur des rumeurs et du ouï-dire ont été soulevées à l’audience relativement à la gestion de l’atelier électrique-mécanique par le surintendant à l’époque. Je n’en ai pas tenu compte. Toutefois, il ressort de la preuve que la gestion de l’atelier laissait à désirer. Le surintendant avait peu d’intérêt à surveiller et gérer ses employés. Les communications officielles – écrites ou verbales – provenant du surintendant, ainsi que les réunions d’équipe, étaient très peu fréquentes. Les employés étaient en grande partie laissés à eux-mêmes.

[22] En août 2013, l’atelier électrique-mécanique et l’atelier général ont été fusionnés pour devenir un seul atelier, soit l’atelier de production. Le surintendant de l’atelier électrique-mécanique a pris sa retraite et M. Jacques Boily est devenu le surintendant de l’atelier de production. M. Boily a témoigné qu’à son entrée en fonction, il a rapidement constaté certaines lacunes dans la gestion des biens de ce qui était auparavant l’atelier électrique-mécanique. Par exemple, il a indiqué qu’une mise à jour de l’inventaire des outils de l’atelier a révélé que des outils d’une valeur significative appartenant au MDN étaient introuvables.

[23] Peu après la fusion, M. Boily a également eu connaissance d’allégations selon lesquelles certains employés de l’atelier prenaient et revendaient du cuivre et du laiton retiré de divers bâtiments du MDN. Après avoir effectué certaines vérifications initiales en vue de confirmer si les allégations pouvaient être fondées, il a informé le Commandant du Service du génie de la Garnison de ces allégations. Les allégations ont mené à une enquête criminelle menée par le Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC), ainsi qu’une enquête administrative menée par l’employeur. Le fonctionnaire était un des employés visés par ces enquêtes. Trois de ses collègues plombiers étaient également visés, de même que deux électriciens.

[24] Retournons maintenant en 2008, à l’époque où le fonctionnaire est arrivé au sein de l’atelier électrique-mécanique, pour mieux comprendre les événements qui ont mené aux allégations faites à son égard.

[25] Dès son arrivée, le fonctionnaire a été jumelé avec un autre plombier, G.G., aux fins d’apprentissage. La formation sur le tas était la méthode de formation et d’apprentissage privilégiée au sein de l’atelier électrique-mécanique à la période à laquelle remontent les faits à l’origine des griefs. Les employés apprenaient de leurs collègues en les observant.

[26] Je tiens à préciser qu’il y avait, à l’époque des faits pertinents à la présente affaire, un autre employé de l’atelier de production qui avait également les initiales G.G., soit un électricien. Il ne s’agit pas de l’individu décrit dans les présents motifs.

[27] Très peu de temps après son entrée en poste, G.G. aurait dit au fonctionnaire « qu’ici, on récupère et revend » les rebuts de cuivre et de laiton. Le fonctionnaire a indiqué avoir été surpris et avoir demandé à G.G. : « Wow. Vous faites ça? », ce à quoi G.G. aurait répondu par l’affirmative, ajoutant que « on fait comme dans le privé ». Le fonctionnaire n’a pris aucune démarche auprès du surintendant de l’atelier ou d’un autre individu en position d’autorité pour valider ce que G.G. lui avait dit. Il a témoigné qu’à la lumière de ce que G.G. lui avait dit, il a tenu pour acquis que les employés de l’atelier électrique-mécanique récupéraient les rebuts de cuivre et de laiton, les revendaient chez un ferrailleur de la région et partageaient les profits des ventes. Il a présumé que la récupération et la revente du cuivre et du laiton par les employés étaient permises au MDN, comme c’était le cas lorsqu’il travaillait dans le secteur privé.

[28] Selon le fonctionnaire, le surintendant de l’atelier électrique-mécanique disait à ses employés de « récupérer » les rebuts après avoir effectué leurs travaux, leur indiquant ensuite qu’ils savaient ce qu’ils devaient faire avec les rebuts. Selon le fonctionnaire, il s’agit des seules instructions qu’il a reçues du surintendant relativement au traitement des rebuts. Le fonctionnaire a dit avoir présumé que le surintendant de l’atelier était au courant de la récupération et de la revente du cuivre et du laiton par les employés à des fins personnelles et qu’il approuvait de cette pratique.

[29] Peu de temps après, le fonctionnaire a accompagné G.G. chez le ferrailleur. Il a été témoin d’une transaction de vente de rebuts de cuivre et de laiton. Il n’a pas reçu une part des profits parce qu’il était un nouveau venu et n’avait pas contribué à la récupération des rebuts vendus. Seuls G.G. et W.L., un autre plombier, ont partagé les profits.

[30] Après cette transaction, le fonctionnaire a commencé à amasser des rebuts de cuivre et de laiton à la suite de travaux qu’il effectuait à la Garnison. Il a participé aux transactions de revente subséquentes. Il a partagé les profits de la revente à parts égales avec G.G. et W.L. À une date ultérieure, un quatrième plombier, R.K., s’est joint au groupe et les profits étaient dorénavant partagés entre les quatre plombiers.

[31] Le fonctionnaire a décrit comment se déroulait cette activité de récupération et de revente de rebuts.

[32] À titre de tuyauteur-plombier, le fonctionnaire travaillait à divers endroits à la Garnison. Il travaillait souvent seul, avec peu de supervision. Il pouvait être appelé à effectuer des travaux à d’autres emplacements du MDN dans la région de Montréal. Il avait accès à un véhicule du ministère qui lui était attitré aux fins de son travail.

[33] Il effectuait diverses tâches d’entretien préventif ainsi que des réparations, tels que lors de bris de conduits d’eau ou de toilettes défectueuses. Il était également responsable d’effectuer des tests de la qualité de l’eau ainsi que des vérifications des systèmes d’alarme d’incendie. Il participait parfois à des projets de nouvelles installations ainsi qu’à des projets de démantèlement de réseaux de distribution d’eau.

[34] Environ 15 % des travaux effectués par le fonctionnaire impliquaient du cuivre et il n’était pas inhabituel pour lui de passer plus d’un mois sans avoir à retirer des pièces ou des tuyaux en cuivre. Toutefois, le fonctionnaire pouvait parfois être appelé à participer à des projets d’envergure tel le démantèlement de réseaux de distribution d’eau complet avant la démolition d’un édifice. Des quantités importantes de cuivre et de laiton pouvaient être retirées dans le cadre de tels projets.

[35] Aucune preuve ne m’a été présentée quant à la fréquence à laquelle le fonctionnaire devait retirer des matériaux faits de laiton dans le cadre des travaux qu’il effectuait. La majorité des témoignages ont porté sur le cuivre.

[36] Après avoir terminé une tâche impliquant le retrait de tuyaux ou de pièces en cuivre ou en laiton, le fonctionnaire plaçait les rebuts dans une grosse poubelle à l’arrière de son camion de travail.

[37] Lorsque les trois ou quatre plombiers, selon leurs nombres à l’époque, avaient amassé, collectivement, une quantité importante de rebuts, l’un d’eux se rendait chez le ferrailleur pour en faire la revente. Les rebuts étaient transportés chez le ferrailleur dans des camions du MDN, et ce, pendant les heures de travail. Le fonctionnaire a indiqué qu’il lui arrivait parfois d’amasser des rebuts sur plusieurs mois avant que lui et les autres plombiers aient amassé suffisamment de rebuts pour en faire la revente.

[38] Je tiens à préciser que, bien que la récupération et la revente de rebuts se soient échelonnées de 2008 à 2014, les allégations à l’égard du fonctionnaire qui ont fait l’objet de l’enquête administrative portaient sur la période du 1er décembre 2010 au 11 août 2014.

[39] Le fonctionnaire a avoué avoir récupéré des rebuts pendant l’ensemble de cette période, et ce, en vue de participer au partage des profits découlant de leur revente.

[40] Il n’est pas clair, à la lumière de la preuve, combien de transactions ont eu lieu entre le 1er décembre 2010 et le 11 août 2014, ou combien le fonctionnaire a reçu pendant cette période à titre de profits de revente. Toutefois, ce qui est clair est que le fonctionnaire a avoué avoir participé au partage des profits à quatre reprises pendant le cours de son emploi au MDN. Un ou plusieurs des autres plombiers ont effectué trois de ces quatre transactions. Le fonctionnaire a effectué l’autre, soit une transaction chez le ferrailleur en mars 2013. Lors de cette transaction, le fonctionnaire a revendu 298 livres de cuivre et 432 livres de laiton en échange de 1 663,40 $. Sa part du profit était d’environ 415 $.

[41] À l’audience, le fonctionnaire a reconnu avoir reçu une somme équivalente à 1 663 $ en profits pour l’ensemble des quatre transactions de revente décrites au paragraphe précédent.

[42] Le fonctionnaire a témoigné qu’après avoir effectué la transaction de revente de mars 2013, il s’était demandé pourquoi le MDN ne récupérait pas les rebuts de cuivre et de laiton étant donné leur valeur monétaire et les sommes que le MDN pourrait obtenir de leur revente. Il a témoigné avoir cru que le MDN jetait les rebuts de cuivre et de laiton aux poubelles et n’y voyait aucune valeur.

[43] Selon le fonctionnaire, le ou vers le 19 mars 2014, W.L. l’aurait informé que M. Boily avait récemment émis une directive interdisant la récupération de cuivre et de laiton à des fins personnelles. La directive était décrite dans un document intitulé « Procédure de récupération des matières recyclable [sic] – Cuivre et Brass » (la « Procédure »). La Procédure sera décrite en plus grand détail plus loin dans le résumé de la preuve. Pour l’instant, il suffit de retenir que, selon le fonctionnaire, c’est ainsi qu’il aurait appris que la récupération et la revente de rebuts n’étaient pas autorisées par le MDN.

[44] Le fonctionnaire a fait valoir qu’avant mars 2014, il ignorait qu’il lui était interdit de ramasser et de revendre les rebuts de cuivre au MDN. Lorsqu’il a appris la nouvelle et a pris connaissance de la Procédure, le fonctionnaire aurait demandé à W.L., qui était alors son contremaître, pourquoi on interdisait soudainement aux employés de récupérer le cuivre. W.L. lui aurait répondu qu’il n’avait jamais été permis de faire la récupération et la revente de cuivre. Le fonctionnaire a témoigné s’être immédiatement conformé à la Procédure et d’avoir immédiatement cessé de récupérer le cuivre et le laiton à des fins personnelles.

[45] Le 14 janvier 2015, le fonctionnaire, G.G., W.L. et R.K., ainsi que deux électriciens de l’atelier de production, ont été mis en état d’arrestation par la police militaire. L’arrestation a eu lieu sur les lieux de travail. Le fonctionnaire a été accusé, entre autres, d’un chef d’accusation de vol de moins de 5 000 $. Bien qu’il ait nié avoir l’intention de voler et ait indiqué avoir la croyance qu’il lui était permis de prendre et revendre des rebuts, le fonctionnaire a collaboré à l’enquête criminelle. Selon l’enquêteur du SNEFC qui a témoigné à l’audience, le caporal Kevin Plourde, les aveux du fonctionnaire ont permis aux enquêteurs d’établir une preuve relative à l’existence d’un complot entre les employés du MDN visés par l’enquête criminelle. Le caporal Plourde a également indiqué que le fonctionnaire était le seul des plombiers et des électriciens qui ont fait l’objet de l’enquête criminelle à avoir soutenu qu’il ignorait qu’il lui était interdit de récupérer et de revendre le cuivre et le laiton.

[46] Le jour après son arrestation, le fonctionnaire a été placé en congé payé. Quelques jours plus tard, il a été informé qu’il allait faire l’objet d’une enquête administrative pour inconduite présumée, notamment avoir volé et vendu des biens appartenant à l’employeur, soit des rebuts de cuivre. Peu de temps après, l’enquête administrative a été mise en suspens afin de ne pas nuire à l’enquête criminelle que menait le SNEFC. Le 27 mai 2015, le fonctionnaire a été suspendu sans solde au motif que sa présence au travail présentait un risque suffisamment élevé et immédiat pour préoccuper le MDN. Il a été suspendu en attendant les résultats de l’enquête administrative.

[47] Le fonctionnaire a déposé un grief relativement à sa suspension sans solde (dossier de la Commission 566-02-14284). Le grief alléguait que les délais de l’enquête administrative étaient déraisonnables et contestait le fait qu’une mesure disciplinaire semblable n’aurait pas été imposée à tous les employés du MDN visés par l’enquête administrative. À l’audience, le fonctionnaire n’a pas présenté de preuve en appui à son allégation selon laquelle les autres employés visés par l’enquête auraient fait l’objet de mesures disciplinaires moindres. Il n’a également pas présenté d’arguments à ce sujet.

[48] Le 3 juin 2016 et à la suite d’une proposition conjointe présentée par la Couronne et la défense, le fonctionnaire a plaidé coupable à un chef d’accusation de possession de biens criminellement obtenus d’une valeur de moins de 5 000 $ et a fait la promesse de rembourser 1 663 $ au Receveur général, soit le montant de la transaction qu’il avait effectué en mars 2013. Il a reçu une absolution inconditionnelle.

[49] W.L. et R.K. ont tous les deux plaidé coupables à un chef d’accusation de possession de biens criminellement obtenus d’une valeur de moins de 5 000 $, tandis que G.G. a plaidé coupable à un chef d’accusation de vol de biens d’une valeur de moins de 5 000 $. Ils ont dû rembourser la valeur des transactions qu’ils avaient effectuées chez le ferrailleur, soit 1 585 $ pour W.L., 7 534 $ pour R.K. et 2 987 $ pour G.G. W.L. a reçu une absolution inconditionnelle tandis que R.K. a reçu une absolution conditionnelle de deux ans. G.G. s’est vu imposer une probation d’une durée de deux ans, ce qui incluait 100 heures de travaux communautaires.

[50] À la suite de ces condamnations, le SNEFC a entamé une deuxième phase de son enquête criminelle relativement à la revente de biens du MDN. Le fonctionnaire a offert sa collaboration en échange d’un engagement de la part de l’enquêteur du SNEFC, le caporal Plourde, selon lequel l’enquêteur écrirait une lettre au MDN informant le ministère de la collaboration du fonctionnaire dans le cadre de l’enquête. Il n’a pas été clairement établi en preuve quels individus étaient visés par cette deuxième phase de l’enquête ou s’il s’agissait d’employés, actuels ou anciens, de l’atelier de production. L’enquête a été abandonnée.

[51] Lorsque le processus judiciaire impliquant le fonctionnaire s’est terminé, l’employeur a redémarré son enquête administrative. En septembre 2016, le fonctionnaire a reçu une copie du rapport final de l’enquête, qui contenait une conclusion selon laquelle les allégations portées contre lui étaient fondées.

C. Directives et procédures en matière de gestion du matériel excédentaire, dont les rebuts de cuivre et de laiton

[52] Avant de décrire les motifs pour lesquels l’employeur a licencié le fonctionnaire, il y a lieu de décrire brièvement les directives et procédures du MDN relativement à la gestion du matériel excédentaire. Le fonctionnaire est le seul des plombiers qui ont fait l’objet d’enquêtes criminelles et administratives à avoir soutenu qu’il ignorait qu’il lui était interdit de récupérer et revendre le cuivre et le laiton. Il a fait valoir qu’il a été mal formé et informé. Ainsi, la preuve relative aux directives et procédures en vigueur à l’époque est pertinente à l’issue des griefs.

[53] Trois témoins, soit M. Boily, M. Sigouin et Danielle Lacroix, une plombière spécialisée en chauffage, ont témoigné relativement à ce qu’ils faisaient avec des rebuts dans le cadre de leurs fonctions. Ils ont tous indiqué avoir appris ce qu’ils devaient faire avec les rebuts de cuivre et de laiton dès leur entrée en fonction. Ils ont appris en observant leurs collègues et en discutant avec eux. Ils ont ainsi appris qu’ils devaient apporter les rebuts de cuivre et de laiton au Centre de gestion intégrée des déchets (aussi connu comme la « GID ») et les placer dans le conteneur de récupération et de recyclage de métaux situé à l’extérieur de la GID. Ils ont également indiqué avoir posé des questions aux employés de la GID ou à leur contremaître en cas d’incertitude quant aux attentes et aux exigences en lien avec la gestion des rebuts de toutes sortes. M. Boily est le seul à avoir indiqué s’être également renseigné en consultant des directives du MDN relativement à la gestion des matériaux excédentaires.

[54] La GID était également connue comme le bâtiment 13 et a subséquemment été renommée la section de la réparation et disposition, ou « R&D ».

[55] La GID était le lieu désigné pour la gestion des matières résiduelles à la Garnison. Pendant toute la période pertinente à la présente affaire, trois grands conteneurs étaient installés à l’extérieur de ce bâtiment. Les conteneurs étaient munis d’affiches indiquant les produits devant être déposés dans chacun d’eux, soit « métaux », « bois » et « déchets secs ». Trois grandes affiches identiques étaient également installées à proximité de, et de chaque côté, d’une rampe qui menait aux conteneurs. Ces affiches indiquaient ce qui suit :

Veuillez vous présenter à la bâtisse 13 [p]our l’accès, avant de jeter vos rebuts.

Il est strictement défendu de jeter des rebuts sans utiliser la rampe d’accès.

Aucunes matières dangereuses résiduelles ou radioactives ne doivent être jetées dans les contenants.

Pour toute l’information [sic] contacter le R&D au [poste] ou pour urgence le [numéro de téléphone].

 

[56] Une autre affiche était attachée à la clôture qui entourait la zone dans laquelle se trouvaient les conteneurs. Cette affiche indiquait ceci :

Veuillez vous présenter à la section R&D au bât 13 pour l’accès au site de matière dangereuses [sic].

Il est strictement défendu de déposer vos déchets ou matériaux devant la clôture.

L’environnement est l’affaire de tous,

Cmdt Svc Tech

 

[57] Le fonctionnaire a témoigné que l’utilisation des mots « jeter » et « déchets » sur ces affiches a renforcé sa croyance que le MDN envoyait les rebuts laissés auprès de la GID au dépotoir.

[58] Robert Picard, un technicien en approvisionnement qui travaille à la GID depuis 2009, a témoigné quant au rôle et au fonctionnement de la GID. Les employés de la GID assuraient le tri et la gestion du matériel excédentaire récupéré par les employés de la Garnison, incluant les employés du Service du génie. Le matériel pouvant faire l’objet de revente, dont le cuivre et le laiton, était rassemblé en lots et était vendu au public par le biais du site d’encan GCSurplus. Les métaux étaient habituellement vendus à des compagnies de recyclage de métaux. Environ la moitié du produit des ventes de matières résiduelles revenait au Receveur général du Canada, et l’autre moitié, à l’état-major du commandement de la Garnison.

[59] Les membres du public qui achetaient des biens par le biais de GCSurplus devaient se rendre à la Garnison et à la GID pour récupérer les biens en question.

[60] Mme Lacroix et M. Sigouin ont témoigné qu’ils apportaient leurs rebuts à la GID, soit des métaux, du bois ou des déchets secs, et les plaçaient dans le conteneur approprié. Les deux témoins n’avaient pas connaissance de l’existence d’une directive écrite relativement à la récupération et au recyclage de matières résiduelles avant mars 2014 et ne savaient pas ce que le MDN faisait avec les rebuts. Toutefois, ils savaient que les rebuts, notamment les rebuts de cuivre et de laiton, ne leur appartenaient pas et devaient être placés dans les conteneurs à la GID.

[61] M. Sigouin a également témoigné qu’en 2006, G.G. lui aurait demandé ce qu’il faisait avec les rebuts. G.G. aurait invité M. Sigouin à participer à la récupération et à la revente de rebuts de cuivre et de laiton et lui aurait expliqué qu’avec d’autres employés, il ramassait et revendait les rebuts de cuivre et de laiton pour ensuite en partager le profit à parts égales. M. Sigouin a refusé de participer aux activités décrites par G.G. parce qu’il savait que le cuivre avait une valeur monétaire importante et que les rebuts appartenaient à l’employeur et non aux employés. Il n’a toutefois pas communiqué avec son superviseur pour dénoncer le comportement de G.G.

[62] La preuve démontre qu’il existait à la Garnison, pendant toute la période pertinente, des directives à respecter relativement à la gestion du matériel excédentaire, soit la directive et ordonnance administrative 9200-9 intitulée « Retour et élimination du matériel excédentaire des usagers en Garnison (la DOA 5 GSS 9200-9; la « DOA 9200-9 ») et la directive et ordonnance administrative de la Défense 3013 (la « DOAD 3013 ») qui porte sur le matériel excédentaire. Selon M. Boily, le surintendant d’un atelier avait la responsabilité de communiquer les directives de cette nature à ses employés. Toutefois, rien n’indique que ces deux directives ont été portées à l’attention du fonctionnaire ou des autres employés de l’atelier électrique-mécanique de façon expresse avant mars 2014, date à laquelle M. Boily a émis et transmis la Procédure à tous les employés de l’atelier de production.

[63] La DOA 9200-9 a été émise par le commandant de la Base de Longue-Pointe en 2006. Il s’agit à la fois d’une directive s’adressant aux employés civils de la Garnison et d’une ordonnance s’adressant aux militaires y travaillant. Selon M. Picard et M. Boily, à l’époque des faits pertinents à la présente affaire, la DOA-9200-9 était affichée dans le site intranet du MDN ainsi que sur des babillards dans chacun des bâtiments à la Garnison.

[64] L’objectif de la DOA-9200-9 est de veiller à ce que le MDN, par l’entremise de ses employés et des militaires, recycle davantage et cherche des façons avantageuses de réutiliser les matières premières. La DOA-9200-9 décrit la procédure que doivent respecter les employés civils et militaires en ce qui a trait au matériel excédentaire, y compris les matières recyclables définies comme incluant les métaux ferreux et non ferreux, le bois et les matériaux secs tels le ciment, le plâtre, le plastique et le verre. En vertu de cette directive, les employés sont tenus de retourner les matières recyclables à la GID et de les placer dans les conteneurs désignés à cette fin, afin que les employés de la GID puissent ensuite en faire le tri, séparant le matériel désuet du matériel pouvant être réparé ou revendu au moyen de ventes de lots. La responsabilité de la GID dans la revente des matières recyclables y est décrite. La DOA-9200-9 précise également que toutes les recettes découlant de la vente de métaux, notamment le laiton et le cuivre, sont versées à l’ordre du Receveur général du Canada.

[65] Tandis que la DOA-9200-9 s’applique à la Base militaire de Longue-Pointe et à la Garnison, la DOAD 3013 est une directive ministérielle en vigueur depuis 2012. La DOAD 3013 est une directive et une ordonnance administrative applicable à l’ensemble des employés civils et militaires du ministère. Elle compte deux sections, une portant sur le matériel excédentaire de façon générale (DOAD 3013-0), et l’autre sur l’aliénation du matériel excédentaire (DOAD 3013-1). Les rebuts sont inclus à la définition de matériel excédentaire.

[66] Un des objectifs dans la DOAD 3013 est de permettre au MDN de maximiser les recettes nettes pouvant être tirées de l’aliénation de matériel excédentaire de façon à tenir compte de l’intérêt public. Elle indique que la vente de matériel excédentaire à sa juste valeur marchande est la méthode d’aliénation privilégiée par le MDN. Les rôles et les responsabilités, ainsi que le processus à respecter pour l’aliénation de matériel excédentaire, y sont expliqués, notamment l’obligation du MDN de protéger l’intégrité des matériaux destinés à la revente. Seul un sous-ministre adjoint peut approuver l’aliénation de matériel à titre gratuit ou à titre de don, et ce, comme exception au processus d’aliénation.

[67] À l’époque des faits pertinents à la présente affaire, la DOAD 3013 était affichée sur Internet, dans le site intranet du MDN ainsi que sur des babillards dans chacun des bâtiments à la Garnison.

[68] En plus d’être affichées sur les babillards et dans le site intranet du MDN, les DOA 9200-9 et DOAD 3013 étaient, selon M. Boily, également disponibles dans des cartables situés dans les divers ateliers du Service du génie. Ces cartables contenaient diverses directives internes régissant les activités du Service du génie. Le témoignage de M. Boily à ce sujet n’a pas été contredit ni contesté. Les employés pouvaient en tout temps consulter les cartables pour prendre connaissance de la DOA 9200-9 et de la DOAD 3013.

[69] En mars 2014 et après avoir eu connaissance d’allégations selon lesquelles certains employés de l’atelier de production prenaient et revendaient du cuivre et du laiton appartenant au MDN, M. Boily a fait installer des conteneurs sécurisés à l’extérieur du bâtiment qui abritait l’atelier de production afin que les employés y déposent leurs rebuts de cuivre et de laiton à la fin de leurs quarts de travail. Il a également instauré un processus rigoureux pour le transfert à la GID des rebuts déposés dans ces conteneurs, un processus qui impliquait, entre autres, la tenue de registres de la quantité des rebuts recueillis au bâtiment 7 et reçus par la GID.

[70] Comme il a été indiqué précédemment, en mars 2014, M. Boily a préparé et distribué la Procédure aux employés de l’atelier de production, incluant le fonctionnaire. La Procédure indiquait, entre autres, que tous les matériaux de cuivre et de laiton récupérés de tout endroit appartenant au MDN devaient être déposés, à toutes les fins de quart de travail, dans les conteneurs sécurisés nouvellement installés à l’extérieur de l’atelier. Tous les employés de l’atelier de production devaient attester avoir pris connaissance de la Procédure. L’attestation incluait une mention expresse du fait que les rebuts de cuivre et de laiton étaient la propriété du MDN. Le fonctionnaire a signé l’attestation le 19 mars 2014.

[71] M. Boily a indiqué que l’élaboration et la mise en œuvre de la Procédure avaient pour objectif de renforcer et de rendre plus expresse l’application des directives de la Garnison et du MDN sur la récupération des matériaux excédentaires aux employés de l’atelier de production, notamment la DOA 9200-9 et la DOAD 3013.

[72] Également en mars 2014, le major Hugo Marcotte, le commandant du Service du génie, a émis un document semblable à celui préparé par M. Boily. Ce document, intitulé « Procédures de récupération des matières recyclables – cuivre et laiton (OP SGM 225) », est un ordre permanent du Service du génie qui répète, pour la plupart, le contenu de la Procédure et qui l’officialise davantage.

D. Décision de licencier le fonctionnaire

[73] À la suite d’une enquête administrative qui avait recueilli une preuve documentaire importante ainsi que les témoignages de plus d’une vingtaine d’employés du Service du génie, le lieutenant-colonel François Lagacé a recommandé le licenciement du fonctionnaire. Il était alors le commandant des unités des opérations immobilières à la Garnison. À son arrivée en poste, les enquêtes criminelles et administratives impliquant le fonctionnaire étaient déjà en cours.

[74] Avant de prendre sa décision de recommander le licenciement du fonctionnaire, le lieutenant-colonel a revu et tenu compte des déclarations des témoins dans le cadre de l’enquête administrative ainsi que du rapport de l’enquête administrative et de la réponse du fonctionnaire à ce rapport. Il a également tenu compte de l’absence d’antécédents disciplinaires du fonctionnaire, des années de service de ce dernier et de l’information que le fonctionnaire avait divulguée dans le cadre de l’enquête administrative, notamment sa reconnaissance qu’il avait récupéré et revendu des rebuts de cuivre et de laiton qu’il avait amassés en milieu de travail et sa reconnaissance qu’il avait partagé les profits avec d’autres plombiers du MDN.

[75] Le lieutenant-colonel Lagacé a témoigné qu’il avait également tenu compte d’un courriel rédigé par le caporal Plourde et adressé au commandant du Service du génie à l’époque. Le courriel faisait état, entre autres, de la collaboration du fonctionnaire dans le cadre de l’enquête du SNEFC. Un des objectifs avoués du courriel du caporal Plourde, qui a témoigné lors de l’audience, était de faire état de sa croyance quant à la sincérité du fonctionnaire lorsque ce dernier a indiqué qu’il ignorait que la récupération et la revente de rebuts à des fins personnelles étaient interdites au MDN.

[76] Selon le lieutenant-colonel, si le courriel avait pour objectif d’aider le fonctionnaire dans le contexte du processus disciplinaire, l’effet a plutôt été le contraire. Selon le lieutenant-colonel, le fait que le courriel indiquait que le fonctionnaire avait expliqué le fonctionnement d’un « stratagème » au sein du MDN constituait en soi une reconnaissance de la part du fonctionnaire qu’il avait été impliqué dans une activité qu’il tentait de cacher de la vue de tous. Le lieutenant-colonel n’a également pas trouvé persuasif ou convaincant un énoncé de la part du caporal Plourde selon lequel le fonctionnaire aurait affirmé s’être fait « […] embarqu[er] dans ce stratagème malgré lui, peu de temps après avoir joint le [Service du génie] ». Le lieutenant-colonel a indiqué être de l’avis que le temps s’étant écoulé entre l’entrée en fonction du fonctionnaire en 2008 et son arrestation en 2015 – soit sept ans – servait plutôt à illustrer à quel point le fonctionnaire avait eu beaucoup de temps pour se renseigner quant aux procédures et se rendre compte que l’activité dans laquelle il était impliqué était interdite. Le lieutenant-colonel a indiqué qu’il trouvait cela peu probable que le fonctionnaire ait pu être le seul à ignorer que l’activité de récupération et de revente dans laquelle il était impliqué était interdite ou inacceptable.

[77] Le 22 décembre 2016, le fonctionnaire a été licencié pour des motifs disciplinaires. L’employeur a conclu que le fonctionnaire avait enfreint le Code de valeurs et d’éthique du secteur public (le « Code de valeurs et d’éthique »), ainsi que les principes d’éthique du MDN. La lettre de licenciement indique que le fonctionnaire avait « […] fait preuve d’un comportement selon lequel [il avait] manqué d’intégrité [lorsqu’il avait] volé du matériel, notamment du cuivre, appartenant à l’employeur et [qu’il en avait] fait la revente ». Le licenciement du fonctionnaire était rétroactif au 27 mai 2015, la date à laquelle il avait été suspendu sans solde.

[78] En janvier 2017, le fonctionnaire a déposé un grief contestant son licenciement (dossier de la Commission 566-02-44708).

[79] Le fonctionnaire n’est pas le seul à avoir été licencié. G.G., W.L. et R.K. ont également été licenciés par le MDN.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[80] L’employeur maintient que le licenciement du fonctionnaire constituait une mesure disciplinaire raisonnable dans l’ensemble des circonstances.

[81] Le fonctionnaire a reconnu avoir récupéré et revendu des rebuts de cuivre et de laiton qui appartenaient à son employeur sans autorisation. Il a utilisé des biens de la Couronne à des fins personnelles et il l’a fait dans l’objectif d’en tirer un profit. Il a agi de connivence avec d’autres employés du MDN. Son inconduite s’est échelonnée sur une période de sept ans. La question de savoir si le fonctionnaire avait l’intention de voler de son employeur n’est pas pertinente. Il savait qu’il n’avait pas droit aux biens qu’il a récupérés et revendus. Il a ainsi commis une inconduite grave.

[82] Le fonctionnaire savait ou aurait dû savoir qu’il n’était pas acceptable de s’approprier les biens de l’employeur. Il aurait également dû savoir qu’il ne devait pas se fier sur les dires d’un collègue de travail sans autorité ou responsabilité décisionnelle sur une question aussi importante. Le fonctionnaire n’a pris aucune démarche pour se renseigner quant aux procédures applicables au traitement de matériaux résiduels. Il n’a pas posé de questions à la gestion pour confirmer si ce que lui avait dit son collègue était véridique.

[83] L’employeur fait valoir que le fonctionnaire a reconnu que les rebuts qu’il a eus en sa possession et qu’il a revendus avaient été volés lorsqu’il a plaidé coupable à la possession de biens criminellement obtenus. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un plaidoyer de culpabilité pour vol, il s’agit tout de même d’une reconnaissance de la part du fonctionnaire qui appuie une conclusion selon laquelle le fonctionnaire est coupable d’une inconduite qui justifiait l’imposition d’une mesure disciplinaire importante (voir Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63).

[84] L’employeur soutient que l’ignorance de la loi n’est pas une excuse (voir, par exemple, Champagne et les Aéroports de Montréal, [1994] C.R.T.F.P.C. no 127 (QL), et Bray v. Bank of Nova Scotia, [2007] C.L.A.D. no 128 (QL), au par. 50). Cela est d’autant plus vrai, selon lui, lorsque le comportement du fonctionnaire en est un qui cherche à tirer un avantage personnel auquel l’employé n’a pas droit et qu’il ne s’agit pas d’un incident isolé (voir Rahim c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 121). Même si le fonctionnaire n’avait pas une connaissance subjective que ses agissements constituaient du vol, ce qui est nié, il aurait fait preuve d’aveuglement volontaire méritant une sanction disciplinaire importante (voir R. v. Onasanya, 2018 ONCA 932). En présence de multiples indices suggérant qu’il était interdit de récupérer et de revendre les rebuts, il aurait décidé de ne pas poser des questions à la gestion ou de consulter les directives de l’employeur.

[85] L’employeur fait également valoir qu’il doit pouvoir avoir confiance que son employé fera preuve de bon sens et de bon jugement (voir Gannon c. Conseil du Trésor (Défense nationale), 2002 CRTFP 32, au par. 127). Les règles de conduite de base auxquelles un employeur est en droit de s’attendre, c’est-à-dire le bon sens et le bon jugement, doivent s’appliquer même si elles n’ont pas été expressément expliquées (voir Board of Education of School District no 39 v. UA Local 170, 2011 CanLII 47160 (BC LA)). Cela est d’autant plus vrai dans le contexte du MDN où les employés comme le fonctionnaire ont accès à des biens de grande valeur monétaire et d’importance militaire et stratégique.

[86] L’employeur soutient que, dans les circonstances de la présente affaire, le licenciement était une mesure disciplinaire appropriée. Les années de service du fonctionnaire, ses évaluations du rendement favorables et l’absence de discipline antérieure ne constituent pas des facteurs atténuants pouvant contrer sa malhonnêteté et son manque d’intégrité important. Voler est un manquement grave qui justifie la prise d’une mesure disciplinaire sévère. Un congédiement est réputé raisonnable dans des cas de vol de biens appartenant à l’employeur sauf lors de circonstances exceptionnelles (voir Shandera c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 26, au par. 351; Toronto Transit Commission v. Canadian Union of Public Employees, Local 2, 2011 CanLII 49050 (ON LA); Breweries’ Employers Industrial Relations Assn. and Western Union of Brewery, Beverage, Winery and Distillery Workers, Loc. 287, Re, 1992 CanLII 14431 (AB GAA)). Aucune telle circonstance exceptionnelle n’existe dans la présente instance.

[87] Le fonctionnaire a volé et revendu les biens de l’employeur sur une période d’environ sept ans. Il a agi de concert avec des collègues. Le lien de confiance entre les parties a été rompu par les gestes prémédités et répétés du fonctionnaire dans le but de tirer un avantage financier des biens de l’employeur (voir Lynch et Conseil du Trésor (Défense nationale), [1997] C.R.T.F.P.C. no 127 (QL)). De plus, le fonctionnaire n’a pas pris la responsabilité pour ses actions, se contentant de faire des reproches à son employeur et à la gestion du MDN de l’avoir mal formé et mal informé. Rien ne justifie une dérogation au principe selon lequel celui qui vole la Couronne n’a aucun droit à être employé par la Couronne (voir King c. Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada), [1995] C.R.T.F.P.C. no 8, et Shandera, au par. 351).

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[88] Le fonctionnaire fait valoir que l’employeur avait le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le fonctionnaire était coupable de vol et de vente de biens appartenant à l’employeur. L’employeur ne peut pas se contenter de faire la preuve d’une possession de biens obtenus illégalement, car il ne s’agit pas du motif pour lequel le fonctionnaire a été suspendu et congédié (voir Gordon c. Agence du revenu du Canada, 2021 CRTESPF 99, aux par. 102, 103 et 116 à 120).

[89] Le vol nécessite l’intention de voler (voir le par. 322(1) du Code criminel (L.R.C. (1985), ch. C-46); Toronto Transit Commission and A.T.U., Loc. 113 (Hicks) (Re), 1997 CanLII 25000 (ON LA), aux p. 54 à 58; Toronto Transit Commission v. Amalgamated Transit Union, Local 113, (Olejko Grievance), [2010] O.L.A.A. no 147 (QL), aux par. 69 et 70). L’intention nécessite à son tour la connaissance que les biens en question appartiennent à autrui. Une preuve de négligence n’est pas suffisante pour fonder une conclusion voulant que le fonctionnaire ait volé de son employeur. De plus, la doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance à l’individu qui a des doutes au point de vouloir se renseigner davantage, mais qui choisit délibérément de ne pas le faire (voir R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, aux par. 21 à 24). Or, l’employeur n’a pas démontré que le fonctionnaire savait que les rebuts appartenaient à l’employeur ou qu’il avait un doute à ce sujet, et qu’il avait l’intention de les voler.

[90] Le fait que le fonctionnaire ait plaidé coupable à un chef d’accusation de possession de biens criminellement obtenus ne constitue pas une reconnaissance qu’il a volé les biens. Il s’agit, selon le fonctionnaire, uniquement d’une reconnaissance qu’au moment où il a plaidé coupable, il avait connaissance des directives de l’employeur relativement à la gestion du matériel excédentaire et avait connaissance du fait qu’il n’avait pas droit aux rebuts qu’il avait récupérés et revendus dans le passé.

[91] Le fonctionnaire soutient qu’il a présenté une preuve crédible qui démontre qu’il existait une pratique dans le secteur privé selon laquelle les plombiers étaient autorisés à récupérer et revendre des rebuts de cuivre et de laiton et qu’il était raisonnable pour lui de croire que cette pratique était reconnue et acceptée au MDN. À son arrivée au MDN, il a été jumelé avec un collègue qui récupérait et revendait les rebuts à des fins personnelles. Il n’avait pas motif à questionner ou remettre en question les dires de son collègue selon lesquels la pratique qui existait dans le secteur privé était également pratiquée par les employés du MDN. Les directives de l’employeur n’ont pas été communiquées au fonctionnaire ou aux autres employés de l’atelier de production. L’employeur n’a déployé aucun effort pour informer les employés de ces directives et en assurer leur compréhension.

[92] Le fonctionnaire argumente qu’une mesure disciplinaire ne devrait pas lui être imposée dans des circonstances où l’employeur ne lui avait pas communiqué les règles à respecter, plus précisément que la récupération et la revente de rebuts n’étaient pas permises au MDN (voir Lumber & Sawmill Workers’ Union, Local 2537 v. KVP Co. Ltd. (1965), 16 L.A.C. 73, aux par. 31 à 34).

[93] Sa croyance que l’employeur n’en voyait aucune valeur et que les rebuts étaient envoyés au dépotoir était raisonnable dans les circonstances. Les affiches à la GID étaient ambiguës et la preuve démontre que le fonctionnaire n’était pas le seul à ignorer l’existence de directives sur la récupération des rebuts. Mme Lacroix, une plombière au sein du même atelier, ne savait pas qu’il existait une telle directive. Toutefois, en mars 2014 et dès que le fonctionnaire a appris l’existence d’une directive sur la récupération des rebuts, il s’y est conformé.

[94] Le fonctionnaire fait valoir que la preuve des témoins de l’employeur, notamment la preuve de M. Boily et du lieutenant-colonel Lagacé, était peu crédible. Il s’agissait soit d’énoncés et d’accusations fondés sur du ouï-dire, soit des récits sélectifs mettant de l’avant seulement les éléments de preuve qui appuyaient la théorie du témoin et de l’employeur. Le fonctionnaire soutient également que la Commission devrait tirer une inférence négative du fait que l’employeur n’a pas appelé le surintendant de l’atelier électrique-mécanique à titre de témoin, soit l’individu qui avait la responsabilité de communiquer les directives et pratiques de récupération des matériaux résiduels au fonctionnaire et de les mettre en œuvre. L’employeur n’a également pas appelé les enquêteurs qui ont mené l’enquête administrative relative aux allégations d’inconduite à l’égard du fonctionnaire. La Commission devrait, selon le fonctionnaire, présumer que ces témoins auraient mis au jour des faits défavorables à la cause de l’employeur (voir Milliken & Co. v. Interface Flooring Systems (Canada) Inc., 2000 CanLII 14871 (CAF), au par. 11, et Murray v. Saskatoon (City), 1951 CanLII 202 (SK CA), au par. 19).

[95] Si la Commission devait conclure que le fonctionnaire a commis une inconduite qui justifiait l’imposition d’une mesure disciplinaire, le fonctionnaire fait valoir que son licenciement était une mesure manifestement excessive dans un contexte dans lequel il n’avait pas été informé des directives de l’employeur. Le fonctionnaire demande à la Commission de ne pas imposer une suspension sans solde plus importante que celle imposée dans Beaulne c. Conseil du Trésor (Transports Canada), [1997] C.R.T.F.P.C. no 100 (QL). Dans Beaulne, le fonctionnaire s’estimant lésé avait été congédié pour avoir présenté des reçus inexacts en vue d’obtenir une indemnité de réinstallation. La Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait preuve d’une négligence intentionnelle importante. Elle a tout de même réduit la mesure disciplinaire à une suspension sans solde d’une durée de 12 mois en raison, entre autres, du fait que le fonctionnaire n’avait pas reçu une copie de la politique de l’employeur relativement à l’indemnité de réinstallation et que l’employeur aurait pu ou dû intervenir pour arrêter la situation dès le début.

[96] Tout comme dans Beaulne, le fonctionnaire fait valoir qu’il existait, au sein du Service du génie du MDN, une culture de laisser-faire en milieu de travail, une culture où la gestion de l’atelier était au courant des inconduites des employés et n’est pas intervenue. Selon le fonctionnaire, il était bien connu que des employés revendaient des rebuts et partageaient les profits. Il n’y a eu aucune tentative visant à dissimuler cette pratique (voir Melcher c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), [1997] C.R.T.F.P.C. no 35 (QL), aux par. 35 et 36, et Finning International Inc. v. International Assn. of Machinists and Aerospace Workers, Local 99 (Gervais), 2013 CarswellAlta 1474, au par. 58). De plus, le fonctionnaire fait valoir que ses années de service, son dossier disciplinaire vierge, le nombre restreint de transactions de revente auxquelles il a participé, ses remords pour avoir enfreint – sans le savoir – les directives du ministère, et sa collaboration dans le cadre de l’enquête du SNEFC font en sorte qu’une suspension sans solde devrait être substituée à son licenciement.

[97] Le fonctionnaire fait valoir que sa suspension sans solde pendant la durée de l’enquête administrative de l’employeur était excessive et serait devenue disciplinaire. Il a été suspendu sans solde pour 19 mois avant d’être licencié. Le fonctionnaire souligne que, même si l’employeur était tenu d’attendre le déroulement de l’enquête et du procès criminels avant d’effectuer son enquête administrative, il devait agir avec empressement par la suite (voir Lemieux c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 20, aux par. 170 à 174). L’employeur n’a pas démontré pourquoi il lui a fallu six mois après le plaidoyer de culpabilité du fonctionnaire pour en arriver à la conclusion que ce dernier devait être licencié.

IV. Analyse

[98] Pour évaluer une mesure disciplinaire imposée par l’employeur, la Commission doit répondre aux questions suivantes : 1) la conduite du fonctionnaire justifie-t-elle l’imposition d’une mesure disciplinaire? 2) le cas échéant, la mesure disciplinaire imposée était-elle excessive? et 3) si elle l’était, quelle mesure devrait être substituée? (voir Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P162, [1977] 1 C.L.R.B.R. 1 (« Wm. Scott »)).

[99] La Commission effectue un examen de novo des allégations portées contre le fonctionnaire à la lumière de la preuve qui lui est présentée. Elle n’est pas liée par les constats ou les conclusions de l’enquête administrative menée par l’employeur.

[100] Les parties ont invoqué une jurisprudence abondante pour appuyer leurs argumentaires. Pour les fins des présents motifs, je ne ferai référence qu’aux décisions qui permettent d’éclairer le raisonnement qui sous-tend les conclusions que j’ai tirées relativement aux critères énoncés dans Wm. Scott.

A. La crédibilité des témoins et le défaut d’appeler le surintendant à titre de témoin

[101] J’analyserai le bien-fondé des griefs du fonctionnaire, mais d’abord, je me pencherai brièvement sur la question de la crédibilité de certains témoins. Le fonctionnaire a fait valoir qu’un enjeu de crédibilité était au cœur de la présente affaire, notamment la crédibilité du fonctionnaire par opposition à celle de M. Boily et du lieutenant-colonel Lagacé. J’aborderai la question de la crédibilité du fonctionnaire plus loin dans ma décision.

[102] En premier lieu, je tiens à préciser que j’ai trouvé que le lieutenant-colonel Lagacé était un témoin crédible. Ses réponses aux diverses questions qui lui ont été posées étaient claires et cohérentes. Sa description des raisons pour lesquelles il a recommandé le licenciement du fonctionnaire était neutre et reposait sur les preuves et conclusions de faits découlant de l’enquête administrative. Il a pu expliquer, en détail, la raison pour laquelle il a préféré certains constats et éléments de preuve à d’autres. Je n’ai décelé aucun manque d’objectivité de sa part.

[103] Lors de l’audience, M. Boily a reconnu, à plus d’une reprise, qu’il avait fait – dans le cadre des enquêtes criminelle et administrative – plusieurs énoncés catégoriques dont le seul fondement était du ouï-dire. Il a également reconnu qu’il parle parfois sans réfléchir. Dans le cadre de son témoignage devant la Commission, il a choisi ses mots avec soin. Il a également pris soin d’identifier les commentaires et les allégations antérieures faites par lui qui n’avaient – à l’époque – aucun fondement factuel. En raison de son habitude avouée de parler sans réfléchir, lorsque je m’appuierai sur le témoignage de M. Boily dans le cadre de mon analyse, il s’agira de témoignage de la part de M. Boily qui ne fut pas contesté ou contredit, ou encore, de témoignage de sa part qui fut corroboré par une preuve documentaire ou par le témoignage d’un autre témoin. De toute façon, mes conclusions relativement à l’inconduite du fonctionnaire et au bien-fondé de la mesure disciplinaire qui lui a été imposée reposent non pas sur le témoignage de M. Boily, mais sur le témoignage du fonctionnaire, sur ses aveux, sur la preuve documentaire volumineuse découlant à la fois de l’enquête administrative et de l’enquête criminelle, et sur la preuve des autres témoins.

[104] Le fonctionnaire m’a également demandé de tirer une inférence négative du fait que l’employeur n’avait pas appelé le surintendant de l’atelier électrique-mécanique à titre de témoin. Plus précisément, le fonctionnaire m’a invité d’en conclure que le surintendant avait connaissance de, ou encore, aurait participé aux activités de récupération et de revente.

[105] Il est curieux que le surintendant n’ait pas témoigné. Toutefois, cela peut s’expliquer par de nombreuses raisons qui n’ont rien à voir avec une tentative de dissimuler une preuve. Comme je l’expliquerai plus tard dans les présents motifs, les seuls éléments de preuve qui m’ont été présentés relativement au surintendant étaient les soupçons du fonctionnaire et le témoignage de M. Boily relativement à une allégation qu’il aurait communiquée aux enquêteurs du SNEFC, allégation qu’il a reconnu n’avoir été fondée que sur du ouï-dire. En l’absence de preuve pouvant raisonnablement me porter à croire que le surintendant avait connaissance de, ou avait participé, aux activités de revente, je ne tirerai aucune telle inférence négative.

B. La conduite du fonctionnaire justifie l’imposition d’une mesure disciplinaire

[106] Le fardeau de la preuve en ce qui a trait à l’inconduite alléguée incombe à l’employeur. Contrairement au fardeau qui s’applique dans le contexte criminel, il ne s’agit pas de prouver au-delà de tout doute raisonnable que le fonctionnaire a commis l’inconduite qui lui est reprochée par l’employeur. L’employeur doit seulement en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités en présentant des preuves claires et convaincantes (voir Brown and Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e édition, au par. 7.13 et F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, au par. 46).

[107] L’inconduite en question est celle d’avoir enfreint le Code de valeurs et d’éthique ainsi que les principes d’éthique du MDN en ayant manqué d’intégrité lorsqu’il a « […] volé du matériel, notamment du cuivre, appartenant à l’employeur et [en a] fait la revente […] ».

[108] Les arguments du fonctionnaire ont porté en large partie sur l’utilisation, par l’employeur, du verbe « vol[er] ». Il soutient que ses actions ne constituaient pas du vol étant donné qu’il n’avait pas l’intention de voler, plus spécifiquement qu’il n’avait pas connaissance du fait que les rebuts de cuivre et de laiton appartenaient à l’employeur et qu’il lui était interdit de les prendre à des fins personnelles. Il fait valoir qu’il croyait que les rebuts étaient, aux yeux de l’employeur, des déchets sans valeur qui allaient être envoyés au dépotoir.

[109] Rien n’indique que l’employeur a utilisé le verbe « vol[er] » dans la lettre de licenciement comme un terme technique. Il ne peut pas être présumé qu’il a voulu limiter le sens du mot « vol » au sens qui lui est donné dans le Code criminel lorsqu’il a ajouté le mot à l’appui d’un énoncé selon lequel le fonctionnaire avait enfreint le Code de valeurs et d’éthique et les principes d’éthique du ministère. De plus, la jurisprudence citée par le fonctionnaire à l’appui de son argument voulant qu’une preuve d’intention – soit l’intention de voler – soit requise pour justifier l’imposition d’une mesure disciplinaire pour vol peut être distinguée. Contrairement au présent cas, Toronto Transit Commission (Hicks) et Toronto Transit Commission (Olejko Grievance) étaient des instances dans lesquelles un arbitre devait interpréter et appliquer une clause d’une convention collective qui indiquait expressément que le vol (« theft ») constituait une inconduite pouvant donner lieu au licenciement. Or, ce n’est pas l’exercice dont la Commission est appelée à faire ici.

[110] La décision quant à savoir s’il existe ou non un motif valable pour imposer une mesure disciplinaire à l’encontre d’un fonctionnaire nécessite un examen des faits en fonction des normes de conduite de l’employeur, et non en fonction des normes de conduite régies par le Code criminel (voir Bray, au par. 50). Les normes de conduites de l’employeur sont celles énoncées dans le Code de valeurs et d’éthique et dans les principes d’éthique du MDN.

[111] Le fonctionnaire a beaucoup insisté sur l’importance que devait accorder la Commission à la notion de l’intention, plus précisément, à l’absence d’intention. Il a fait valoir que la Commission devait tenir compte de l’intention dans le cadre de son analyse des deux premiers critères énoncés dans Wm. Scott.

[112] Dans le contexte du droit du travail, la jurisprudence enseigne que l’intention malhonnête du fonctionnaire – ou l’absence d’intention malhonnête – est un élément à prendre en compte dans la détermination de la gravité de l’inconduite. Il est tout de même possible de satisfaire au premier critère énoncé dans Wm. Scott et de conclure à l’existence d’une inconduite justifiant l’imposition d’une mesure disciplinaire en l’absence d’intention malhonnête (voir, par exemple, Re Canada Packers Inc. and United Food and Commercial Workers, Local 162, [1983] B.C.C.A.A.A. no 190 (QL), au par. 36, et Re Stelco Inc. and U.S.W.A., Loc. 8782, [1995] O.L.A.A. no 82 (QL), au par. 16). Il faut tout de même que l’employeur puisse démontrer que l’inconduite alléguée ne constituait pas une erreur faite de bonne foi. Comme l’a reconnu l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique dans Gannon, l’employeur a le droit de punir un fonctionnaire pour sa mauvaise conduite, pas pour une erreur (voir Gannon, au par. 130).

[113] Je dois décider si l’inconduite alléguée justifie l’imposition d’une mesure disciplinaire. Pour les motifs qui suivent, je suis persuadée qu’une telle inconduite a eu lieu et que la prise d’une mesure disciplinaire était justifiée. J’estime que les gestes posés par le fonctionnaire constituent un manque d’intégrité et une grave violation des valeurs et des principes d’éthique qui faisaient partie de ses conditions d’emploi.

[114] Le fonctionnaire a avoué avoir récupéré et revendu des rebuts de cuivre et de laiton qu’il avait retirés des bâtiments et des installations du MDN. Il a également avoué avoir revendu des rebuts de cuivre et de laiton retirés par d’autres plombiers du MDN. Bien qu’il ait indiqué qu’il croyait que les rebuts étaient, aux yeux de l’employeur, des déchets sans valeur, il savait ou aurait dû savoir que lui et les autres plombiers qui participaient à cette activité de revente n’en étaient pas les propriétaires. Le fonctionnaire en a tiré un profit à quatre reprises.

[115] Le fonctionnaire a posé des gestes qui sont contraires au Code de valeurs et d’éthique et de sa version précédente, le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. Il avait connaissance de ces codes. La preuve présentée à l’audience démontre qu’il assistait à une séance de formation annuelle obligatoire en matière de valeurs et d’éthique qui servait de rappel à ce sujet. Le fonctionnaire avait également connaissance des attentes exprimées dans ces codes à l’égard des fonctionnaires. Il savait que les valeurs et les comportements attendus décrits dans ces codes constituaient des conditions d’emploi et qu’un défaut de s’y conformer pouvait entraîner la prise de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement.

[116] Parmi les valeurs énoncées dans le Code de valeurs et d’éthique et son prédécesseur et les comportements attendus qui y sont décrits, on retrouve l’intégrité. Le fonctionnaire – comme tout fonctionnaire assujetti au Code de valeurs et d’éthique – était tenu de se comporter d’une manière qui puisse résister à l’examen public le plus approfondi. Il devait s’abstenir d’utiliser son rôle auprès du MDN pour obtenir de façon inappropriée un avantage pour lui-même ou pour autrui. Il devait prendre toutes les mesures possibles pour prévenir et résoudre tout conflit d’intérêt – réel, apparent ou potentiel – entre ses responsabilités officielles et ses affaires personnelles.

[117] Le fonctionnaire n’a pas respecté ces attentes. Il a pris des biens qui appartenaient à son employeur. Bien que le fonctionnaire fasse valoir qu’il croyait que les rebuts étaient envoyés au dépotoir, les rebuts ne lui appartenaient tout de même pas. Ils appartenaient au MDN et seul le MDN pouvait décider ce qu’il en ferait. Comme la Commission a dit, dans Lynch :

[…]

[88] […] [L]’on ne peut supposer, ni tolérer, que ce que l’on pourrait appeler les « ordures » du gouvernement puissent devenir le trésor de quelqu’un d’autre. Dans l’instance, peu importe le point de vue que l’on adopte, le trésor appartient toujours à l’État […]

[…]

 

[118] Prendre des biens appartenant à l’employeur à des fins personnelles et les revendre pour en tirer un avantage personnel ne constitue pas un comportement compatible avec les attentes de l’employeur relatives à l’intégrité. Il a utilisé son rôle au MDN pour obtenir, de façon inappropriée, un avantage personnel.

[119] Comme il a été mentionné précédemment, la lettre de licenciement indiquait que le fonctionnaire avait également agi en contravention avec les principes d’éthique du MDN. La lettre de licenciement n’indique pas de quels principes dont il était question. Toutefois, à l’audience, l’employeur a présenté en preuve les principes d’éthique énoncés dans l’Énoncé d’éthique de la Défense (l’« Énoncé d’éthique »), ainsi que les valeurs et comportements attendus énoncés dans le Code de valeurs et d’éthique du ministère de la Défense nationale Code du MDN ») et les Normes de conduite et de discipline – Personnel civil (DOAD 5016-0, en date de 2005) (les « Normes de conduite »). Ces principes, valeurs et comportements attendus, ont fait l’objet du témoignage du lieutenant-colonel Lagacé.

[120] Le Code du MDN décrit à son tour les comportements attendus et les valeurs d’intégrité et d’intendance des biens publics énoncés dans le Code de valeurs et d’éthique. Toutefois, des valeurs, des principes d’éthique et des comportements attendus additionnels s’y ajoutent, notamment en raison du mandat du MDN et des enjeux particuliers découlant des biens et des installations militaires du ministère. Les employés du MDN sont tenus de ne tolérer aucun comportement contraire à l’éthique. Ils doivent examiner et régler les questions d’éthique avec les autorités compétentes. Parmi les principes d’éthique propres au MDN, on retrouve le principe de « Servir le Canada avant soi-même » qui exige qu’en tout temps, les employés du MDN doivent s’acquitter de leurs tâches de façon à servir de leur mieux le Canada, sa population et le MDN en prenant des décisions et en agissant à tout temps dans l’intérêt public.

[121] Depuis au moins 2012, le MDN a également un Énoncé d’éthique qui décrit les principes d’éthique applicables et les comportements attendus des employés du MDN, notamment prendre des décisions et agir en tout temps dans l’intérêt public, ne jamais utiliser son rôle officiel en vue d’obtenir de façon inappropriée un avantage pour soi-même, éviter les situations pouvant donner lieu à des conflits d’intérêts personnels et veiller à l’utilisation efficace et efficiente des biens, des ressources et des fonds publics dont ils ont la responsabilité.

[122] Les Normes de conduite sont, quant à elles, énoncées dans la directive et ordonnance administrative de la Défense 5016-0 (la DOAD 5016-0). Il s’agit, entre autres, d’une directive à l’intention des employés civils qui définit une inconduite comme incluant une mauvaise conduite qui enfreint « délibérément, avec témérité ou par négligence » une norme de conduite ou d’éthique.

[123] Passons maintenant à l’explication offerte par le fonctionnaire selon laquelle il aurait respecté une pratique qui existait dans le secteur privé et qu’il croyait être acceptée au MDN. Son explication est commode, mais elle comporte également de nombreuses lacunes.

[124] En premier lieu, la description offerte par le fonctionnaire de la pratique généralisée dans le secteur privé démontre que, malgré le fait que les plombiers étaient parfois autorisés de prendre des rebuts à des fins personnelles et les revendre, il existait tout de même une reconnaissance que les rebuts appartenaient au client. Un plombier n’avait droit aux rebuts que si le client consentait à ce que le plombier s’en approprie. Les témoignages du fonctionnaire, de M. Hurtubise et de M. Sigouin ont confirmé qu’en construction privée, l’on demandait au client avant de prendre des rebuts. La question de savoir à qui appartenaient les rebuts à la suite de construction industrielle était discutée et pouvait faire l’objet d’une entente entre le client et le fournisseur de services de construction. Ce n’était pas un fait acquis que les rebuts étaient considérés par le client comme étant des déchets sans valeur et qu’un plombier pouvait s’en emparer à des fins personnelles.

[125] Lorsque le fonctionnaire est devenu un employé du MDN, le ministère est devenu à la fois son employeur et son client, c’est-à-dire, celui qui a payé pour les tuyaux, pièces et fils de cuivre et de laiton que le fonctionnaire utilisait dans le cadre de ses fonctions de tuyauteur-plombier. Or, au courant de ses sept années à l’emploi du MDN, le fonctionnaire n’a jamais demandé à un représentant du MDN s’il pouvait prendre les rebuts à des fins personnelles ou si le MDN souhaitait les garder. Ainsi, il n’a pas respecté une composante importante de la pratique qu’il a invoquée pour expliquer sa croyance voulant qu’il lui était permis de prendre et de revendre des rebuts de cuivre et de laiton.

[126] De plus, dans son témoignage relativement à son expérience de travail antérieure sur de gros chantiers de construction, le fonctionnaire a indiqué qu’il s’informait auprès de son contremaître pour savoir s’il lui était permis de récupérer et revendre les rebuts de cuivre et de laiton. Il n’a posé aucune telle question lorsqu’il était employé du MDN. Il n’a pas tenté de se renseigner quant à l’existence de directives ministérielles ou de directives émises par le Service du génie. Il a accepté, sans véritablement questionner, ce que G.G. lui avait dit. Or, G.G. n’était pas un contremaître ou un superviseur. Il était un collègue sans autorité décisionnelle.

[127] En plus d’invoquer son expérience de travail dans le secteur privé comme source d’une croyance raisonnable voulant qu’il lui était permis de prendre les rebuts, le fonctionnaire fait valoir qu’il ignorait qu’il existait des directives relatives à la gestion des matériaux résiduels parce qu’il avait été mal formé et mal renseigné par son employeur.

[128] La jurisprudence de la Commission enseigne certains principes pertinents à la présente instance. Le premier est que l’ignorance n’est pas et n’a jamais été une défense pour des inconduites (voir Rahim, au par. 79). Le deuxième est qu’un employeur n’est pas tenu d’inculquer à ses employés les rudiments de la bonne conduite ou d’adopter une politique sur le bon sens (voir Gannon, aux par. 127 à 129).

[129] Bien qu’un employeur doive communiquer ses attentes à l’égard de ses employés ainsi que les comportements attendus de ses employés, il n’est pas tenu de leur communiquer une liste exhaustive des comportements qui ne sont pas tolérés ou acceptables. Le fait qu’une règle de conduite, telle qu’une interdiction de poser un geste spécifique, n’a pas été expressément communiquée à un employé ne fait pas en sorte que l’employé peut poser le geste interdit sans conséquence (voir Gannon, aux par. 128 et 129). Un fonctionnaire a également un devoir de se renseigner, de poser des questions ou de demander conseil aux responsables compétents lorsque se présentent des situations qui ne sont pas expressément abordées par les politiques et directives de l’employeur et que les circonstances font en sorte qu’une personne raisonnable examinant la situation de façon objective pourrait conclure qu’il existe un doute quant aux comportements attendus de la part de l’employeur.

[130] Rien n’indique que la DOA 9200-9 et la DOAD 3013 ont été expressément communiquées au fonctionnaire et aux employés de l’atelier électrique-mécanique avant la fusion des ateliers. Si elles avaient été communiquées expressément, il est peu probable que M. Boily et le major Marcotte auraient cru nécessaire, en 2014, d’adopter des procédures visant à renforcer et rendre plus expresse l’application des directives ministérielles. L’employeur a manqué à son devoir de communiquer ses directives expressément, c’est-à-dire en portant un écrit à ce sujet à l’attention du fonctionnaire. Toutefois, il ne s’agit pas d’un coup fatal à la position de l’employeur selon laquelle le fonctionnaire a commis une inconduite justifiant l’imposition d’une mesure disciplinaire.

[131] J’accepte les témoignages de M. Boily et de M. Picard voulant que la DOA 9200-9 et la DOAD 3013 étaient facilement accessibles aux employés qui voulaient s’informer des politiques et procédures relativement à la récupération des rebuts. Elles étaient affichées dans le site intranet. La DOA 9200-9 était également affichée dans le site Internet. Le fonctionnaire aurait pu les consulter. Il avait accès à un ordinateur et a indiqué l’avoir utilisé quotidiennement. Les deux directives étaient également incluses dans des cartables de directives et de procédures disponibles dans l’atelier électrique-mécanique ainsi que sur le babillard au sein de l’atelier.

[132] Outre le fonctionnaire, les seuls employés de l’atelier de production à avoir témoigné, soit Mme Lacroix et M. Sigouin, ont indiqué qu’ils ont appris les consignes à respecter en observant leurs collègues, en observant la pratique courante. Ils ont appris que les rebuts de cuivre et de laiton ne leur appartenaient pas et devaient être placés dans les conteneurs à la GID. Le fait qu’ils ignoraient les détails de ce que le MDN faisait avec les rebuts une fois qu’ils étaient déposés à la GID et qu’ils n’avaient pas connaissance de la DOA 9200-9 et de la DOAD 3013 n’est pas déterminant en soi.

[133] Le caporal Plourde a également indiqué qu’à l’exception du fonctionnaire, tous les plombiers et les électriciens qui ont fait l’objet de l’enquête criminelle ont reconnu que leurs gestes étaient interdits par le MDN. Ils avaient suffisamment de connaissances au sujet des directives relativement à la gestion des matières résiduelles pour savoir que les rebuts appartenaient au MDN et qu’il leur était interdit de les prendre et les revendre.

[134] Je trouve également peu convaincant l’argument du fonctionnaire voulant que, comme le MDN ne l’avait pas informé de l’existence de directives sur la gestion des matières résiduelles, il était raisonnable pour lui de se fier aux dires d’un collègue, soit G.G. Le fonctionnaire n’a pas indiqué que G.G. lui avait dit que tous les employés de l’atelier récupéraient et revendaient les rebuts de cuivre et qu’ils partageaient les profits des ventes. Plutôt, il a indiqué que G.G. lui avait dit « qu’ici, on récupère et revend » les rebuts. De plus, G.G. n’aurait pas dit au fonctionnaire que le MDN autorisait ses employés à récupérer et à revendre les rebuts. G.G. ne lui aurait également pas dit que le surintendant de l’atelier était au courant de, et approuvait la pratique de récupération et de revente. Il s’agit là de nuances importantes qui peuvent servir à contredire la prétention du fonctionnaire selon laquelle il était raisonnable pour lui de n’avoir aucun doute à son esprit qu’il était en droit de prendre et revendre les rebuts.

[135] Malgré le fait qu’il disait ignorer les directives du MDN relatives à la récupération des rebuts, le fonctionnaire savait que la GID était le bâtiment de la Garnison désigné pour la récupération et le recyclage du matériel excédentaire. Il a travaillé à proximité de la GID pendant sept ans. De larges conteneurs étaient clairement identifiés comme étant l’endroit où les employés de la Garnison devaient y déposer le métal, le bois et les déchets secs.

[136] Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait, au cours de son emploi, mis des rebuts de diverses sortes dans ces conteneurs, y compris de la porcelaine, du plastique, du gypse ainsi que des rebuts de métaux autres que du cuivre et du laiton. Il avait donc appris, sinon en lisant une directive, en observant et apprenant de ses collègues, que le MDN avait certaines attentes et exigences relativement à la gestion des biens et des matériaux. Il a témoigné qu’il n’apportait pas les rebuts de cuivre et de laiton à la GID parce que ces rebuts avaient une valeur monétaire importante et pouvaient être revendus. Il faisait ainsi le choix de déposer dans les conteneurs à la GID les rebuts n’ayant aucune valeur de revente, gardant à des fins personnelles les rebuts pouvant être revendus à profit.

[137] Je trouve peu convaincant l’argument du fonctionnaire présenté à l’audience selon lequel les affiches à l’extérieur de la GID, comme elles sont décrites aux paragraphes 55 et 56 de la présente décision, étaient ambiguës et pouvaient raisonnablement être interprétées comme indiquant que tous les matériaux déposés dans les conteneurs étaient traités par le MDN comme n’ayant aucune valeur, comme étant des poubelles. Il s’agit d’un argument fondé sur une lecture sélective du texte des affiches qui ne met en relief que deux mots, « jeter » et « déchets », faisant abstraction du restant du texte. Les affiches indiquent plutôt les instructions de l’employeur, à savoir que les employés devaient consulter la GID avant de placer les rebuts dans les conteneurs, devaient utiliser la rampe d’accès pour accéder aux conteneurs et ne devaient placer les matériaux et les déchets que dans les conteneurs désignés à cette fin au lieu de les déposer ailleurs à proximité de la GID.

[138] À la suite de la transaction qu’il a effectuée chez le ferrailleur en mars 2013, le fonctionnaire a dit s’être questionné à savoir pourquoi le MDN ne revendait pas les rebuts étant donné qu’il s’agissait de biens publics ayant une valeur de revente importante. Il a indiqué qu’il n’a toutefois pas cessé ou diminué sa participation aux activités de récupération et de revente de rebuts en raison de ce questionnement. Il n’a également pas tenté de valider sa compréhension de ce qui était permis et autorisé par le MDN. Il n’a pas consulté un gestionnaire ou les employés de la GID. Il n’a pas effectué une recherche visant à confirmer si le MDN avait une directive ou une politique sur le traitement des matériaux résiduels, plus particulièrement les métaux ayant une valeur monétaire importante.

[139] Ce n’est que lorsque M. Boily a préparé et transmis la Procédure en mars 2014 que le fonctionnaire dit avoir cessé de récupérer le cuivre et le laiton. Il n’a pas immédiatement avoué son manquement. Il a seulement avoué son manquement après avoir été accusé d’une infraction criminelle et assujetti à une enquête administrative de l’employeur.

[140] Lorsque les faits de la présente affaire sont analysés dans le contexte de l’environnement de travail du fonctionnaire, il me semble encore plus improbable que le fonctionnaire ignorait les attentes à son égard ou ignorait le besoin de se renseigner relativement aux attentes à son égard.

[141] Il travaillait dans un environnement militaire où la sécurité des lieux et des biens du MDN est priorisée. Comme tous les employés de la Garnison, son véhicule personnel était inspecté à la guérite à la fin de ses quarts de travail, une démarche visant, entre autres, à assurer la sécurité des biens du MDN. Les comportements attendus des employés civils de la Garnison étaient décrits dans de nombreuses directives et le respect de la chaîne de commandement faisait partie intégrale des attentes à l’égard des employés. Le fonctionnaire a témoigné qu’il assistait à une formation obligatoire annuelle en matière d’éthique. Bien que la formation ne mentionnât pas expressément qu’il était interdit pour un employé de prendre et revendre des rebuts, les principes d’intégrité et d’intendance des biens de la Couronne y étaient discutés. De plus, le MDN avait mis divers outils et ressources à la disposition d’employés confrontés à de potentiels conflits d’intérêts ou dilemmes d’éthique.

[142] À la lumière de l’ensemble de la preuve, j’estime que le défaut du surintendant de l’atelier électrique-mécanique d’expressément communiquer les exigences de la DOA 9200-9 et de la DOAD 3013 ou de transmettre les documents directement au fonctionnaire est nettement insuffisant pour expliquer ou excuser le comportement du fonctionnaire.

[143] La preuve mise de l’avant par le fonctionnaire n’explique aucunement comment il pouvait être le seul à ignorer qu’il n’était pas permis, au MDN, de prendre les rebuts de cuivre et de laiton à des fins personnelles. Son témoignage à ce sujet m’apparait être invraisemblable.

[144] Le fonctionnaire a indiqué être un homme de principes. Il m’est difficile de concilier son témoignage relativement à l’importance qu’il accorde au respect des règles de la société, telle que l’interdiction de voler, avec son comportement et son manque de réflexion face à de nombreux indices selon lesquels la récupération et la revente de rebuts par des employés du MDN n’étaient pas permises. J’ai du mal à croire qu’il ait pu être naïf au point de croire qu’il avait le droit de tirer profit de la vente de biens appartenant au MDN. La thèse de naïveté est d’autant plus invraisemblable lorsqu’elle est examinée à la lumière de l’expérience antérieure du fonctionnaire dans le secteur privé, plus précisément, sa preuve qui démontre qu’il existait une reconnaissance que les rebuts appartenaient au client et qu’il n’avait pas le droit de tirer profit de la vente des rebuts sans le consentement du client.

[145] Le critère à utiliser pour évaluer la crédibilité d’un témoin est la compatibilité de son témoignage « […] avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances […] » (voir Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (CA C.-B.)). La preuve du fonctionnaire relativement à sa connaissance des attentes de l’employeur à son égard ne satisfait pas au critère établi dans Faryna.

[146] Je conclus que si le fonctionnaire pouvait prétendre ne pas connaître les normes à respecter, ce ne serait qu’en raison du fait qu’il aurait fait preuve d’aveuglement volontaire (voir Briscoe, ainsi que Pagé c. Administrateur général (Service Canada), 2009 CRTFP 26, au par. 184, et Onasanya, aux par. 23 et 24).

[147] Qu’il ait eu l’intention de voler de son employeur ou non, le comportement du fonctionnaire constitue une inconduite au sens des Normes de conduite. En plus d’enfreindre le Code de valeurs et d’éthique, il a enfreint les principes d’éthique du MDN, tels qu’énoncés dans le Code du MDN et l’Énoncé d’éthique. Il avait la responsabilité de biens achetés par le MDN à l’aide de fonds publics. Au lieu de les utiliser de façon efficace et efficiente dans l’intérêt public, il les a pris à des fins personnelles, les a revendus et en a tiré un profit personnel. Il a privilégié ses intérêts personnels à ceux du MDN.

[148] Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le fonctionnaire a commis une inconduite justifiant l’imposition d’une mesure disciplinaire.

C. La mesure disciplinaire imposée, soit le licenciement, n’était pas excessive dans les circonstances

[149] En analysant la proportionnalité de la sanction imposée au fonctionnaire, je dois tenir compte des facteurs atténuants et aggravants.

[150] Le fonctionnaire a présenté de nombreux facteurs atténuants qui, selon lui, justifient une réduction de la mesure disciplinaire qui lui a été imposée. Il fait valoir, entre autres, que son licenciement était une mesure disciplinaire excessive parce qu’il ignorait qu’il lui était interdit de prendre et revendre les rebuts de cuivre et de laiton et donc, il n’avait pas l’intention de voler de son employeur. Le fonctionnaire soutient que le MDN ne lui avait pas communiqué les directives à respecter en matière de récupération et de recyclage de matière excédentaire tels le cuivre et le laiton et que, en raison de son expérience de travail antérieure, il était raisonnable pour lui de croire qu’il lui était permis de prendre et revendre les rebuts à des fins personnelles. Il soutient également que l’employeur était au courant de, et a toléré, son inconduite et celle de ses collègues, ce qui devrait atténuer la mesure disciplinaire qui lui a été imposée.

[151] J’ai déjà traité de l’intention du fonctionnaire et de sa connaissance des attentes de l’employeur. Je n’ai pas trouvé les arguments du fonctionnaire à ce sujet crédibles et convaincants dans le cadre de mon analyse en vertu du premier critère énoncé dans Wm. Scott. Ma conclusion est la même lorsque ces arguments sont examinés dans le cadre de mon analyse du deuxième critère énoncé dans Wm. Scott. Je conclus qu’il ne s’agit pas de facteurs qui devraient atténuer la mesure disciplinaire imposée.

[152] Comme je l’ai indiqué précédemment, rien n’indique que la DOA 9200-9 et la DOAD 3013 ont été expressément communiquées au fonctionnaire et aux employés de l’atelier électrique-mécanique avant la fusion des ateliers. Il s’agit d’un manquement de la part de l’employeur. Toutefois, les attentes de l’employeur avaient été communiquées autrement et le fonctionnaire est le seul à avoir prétendu ignorer la nature de ces attentes. S’il pouvait prétendre ne pas connaître les normes à respecter, ce ne serait qu’en raison du fait qu’il aurait fait preuve d’aveuglement volontaire.

[153] Le fonctionnaire fait également valoir qu’il existait une culture de laisser-faire au sein du Service du génie, une culture où la récupération et la revente de biens du MDN par des employés étaient tolérées. Il soutient qu’il s’agit d’un facteur qui milite en faveur d’une mesure disciplinaire moins sévère.

[154] Malgré les lacunes dans la gestion de l’atelier électrique-mécanique décrites dans le sommaire de la preuve, la preuve qui m’a été présentée à l’audience est insuffisante pour me permettre de conclure à l’existence d’une culture de « laisser-faire » où les agissements du fonctionnaire et de ses collègues étaient connus et tolérés par l’employeur (voir Chopra c. Canada (Procureur général), 2014 CF 246). Contrairement à la preuve présentée à la Commission dans Leadbetter et Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), [1999] C.R.T.F.P.C. no 59 (QL), et Melcher, qui sont des décisions citées par le fonctionnaire, à l’audience, on ne m’a présenté que des allégations, du ouï-dire et le témoignage du fonctionnaire selon lequel il a présumé que le surintendant était au courant de la récupération et de la revente de rebuts par des employés de son atelier et les approuvait.

[155] Il incombait au fonctionnaire de prouver son allégation selon laquelle l’employeur a toléré son comportement. Il aurait pu appeler comme témoins des employés de l’atelier électrique-mécanique pouvant corroborer ses allégations selon lesquelles l’employeur avait connaissance de, et tolérait, les agissements du fonctionnaire et de ses collègues. Il ne l’a pas fait. Aucune preuve directe ou convaincante ne m’a été présentée pouvant appuyer une conclusion voulant que le surintendant de l’atelier électrique-mécanique participait aux activités de récupération et de revente de rebuts qui ont mené à la mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire, ou qu’il en avait connaissance.

[156] Les autres facteurs atténuants invoqués par le fonctionnaire sont ses années de service, ses évaluations du rendement positives et son dossier disciplinaire vierge. Le fonctionnaire avait sept ans de service auprès du MDN. Il n’avait aucun antécédent disciplinaire et avait un bon rendement. Je suis d’accord qu’il s’agit de facteurs atténuants pertinents dans les circonstances de cette affaire. J’ajoute à cette liste le fait que le fonctionnaire a reconnu avoir récupéré et revendu les rebuts dans le contexte de l’enquête criminelle, a reconnu ses torts en plaidant coupable à une infraction criminelle et a avoué ses gestes dans le cadre de l’enquête administrative.

[157] Le fonctionnaire fait également valoir que sa collaboration à une phase subséquente de l’enquête criminelle constitue un facteur atténuant important. La collaboration d’un fonctionnaire dans le cadre d’une enquête a maintes fois été retenue par la Commission comme un facteur atténuant pouvant influer sur la mesure disciplinaire imposée. J’estime qu’il y a lieu pour moi d’en tenir compte.

[158] Pour décider si le licenciement constituait une mesure disciplinaire excessive dans les circonstances de la présente affaire, les facteurs atténuants décrits précédemment doivent être examinés à la lumière des facteurs aggravants et de la nature du manquement du fonctionnaire.

[159] Je retiens les facteurs aggravants suivants. Le fonctionnaire a récupéré et revendu les biens de l’employeur pendant les heures de travail, en utilisant un camion du MDN. Son inconduite s’est échelonnée sur plusieurs années. Son inconduite n’était pas un incident isolé. Il en a tiré un profit important. Le fonctionnaire a également agi de connivence avec ses collègues. J’estime que la participation de complices aux activités de récupération et de revente de rebuts a pour effet de rendre l’inconduite du fonctionnaire encore plus répréhensible (voir Lynch).

[160] Je retiens également comme facteur aggravant le défaut du fonctionnaire d’immédiatement avouer son inconduite. Comme je l’ai indiqué précédemment, le fonctionnaire a fait certains aveux dans le cadre des enquêtes criminelles et administratives. Toutefois, il n’a pas immédiatement avoué son inconduite. En mars 2014, M. Boily a adopté la Procédure. Celle-ci ne laissait aucun doute que les activités de récupération et de revente étaient interdites au MDN. W.L. a par la suite informé le fonctionnaire que la récupération et la revente avaient toujours été interdites au MDN. Bien qu’il se soit conformé à la Procédure, le fonctionnaire n’a pas informé son employeur de son inconduite. Ce n’est qu’après son arrestation en janvier 2015 qu’il a avoué avoir récupéré et revendu des rebuts.

[161] Quant à la nature du manquement du fonctionnaire, il est bien établi en droit que voler de son employeur constitue un manque d’honnêteté important qui entraîne habituellement le licenciement, à moins de circonstances atténuantes (voir, entre autres, Rahim, au par. 52; King; et Shandera, au par. 351). Un obstacle important à l’atténuation d’une mesure disciplinaire entraînant le licenciement existe lorsque le vol ne se limite pas à un incident isolé et qu’il s’agit donc d’un geste prémédité (voir, par exemple, Tyco Thermal Controls (Canada) Ltd. v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada and its Local 537, 2009 CanLII 1132 (ON LA), au par. 18, où l’arbitre a rejeté un grief contestant le licenciement d’un employé pour le vol de petites quantités de rebuts de cuivre pendant une période d’approximativement un mois).

[162] Le présent cas n’est pas le premier dans lequel un employé a été licencié pour avoir pris et vendu des métaux appartenant au MDN (voir Fleet et le Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), [1988] C.R.T.F.P.C. no 155 (QL); Lynch; Anctil et Conseil du Trésor (Défense nationale), [1999] C.R.T.F.P.C. no 36 (QL)).

[163] Dans Fleet, la Commission a rejeté des griefs contestant le licenciement de deux employés du MDN qui avaient pris et revendu – pendant les heures de travail – des quantités importantes d’aluminium appartenant au ministère. La Commission a maintenu le licenciement en l’absence d’aveux et sur la base de preuves circonstancielles voulant que les fonctionnaires avaient volé les métaux.

[164] Cela contraste avec Johnston Packers Ltd. v. United Food and Commercial Workers Union, Local 1518 (Parker), [2007] B.C.C.A.A.A. no 53 (QL), qui a été invoquée par le fonctionnaire. Dans Johnston Packers, l’arbitre de grief a accueilli un grief contestant le licenciement de M. Parker, un employé qui avait été accusé, entre autres, de vol de cuivre, et y a substitué une suspension sans solde d’un mois. Il ignorait que son employeur récupérait et revendait les rebuts de cuivre créés dans le contexte de travaux. M. Parker avait été informé par des collègues que les rebuts étaient jetés aux poubelles. Il est toutefois important de souligner que M. Parker avait demandé la permission d’un gestionnaire pour prendre une petite quantité de cuivre. Le gestionnaire lui avait accordé la permission dans la mesure où les rebuts que prenait M. Parker ne pouvaient pas être réutilisés. Selon l’arbitre de grief, M. Parker avait été opportuniste et avait interprété la permission qui lui avait été accordée plus librement qu’il était raisonnable de le faire. Il s’agissait d’un manque important de jugement qui ne constituait toutefois pas du vol.

[165] Bien que Fleet et Johnston Packers portent spécifiquement sur des situations dans lesquelles un employé s’est approprié le cuivre appartenant à son employeur, j’estime que Lynch constitue la décision la plus pertinente à la présente instance en raison de la similitude des faits.

[166] Dans Lynch, la Commission a maintenu le licenciement d’un employé civil du MDN qui avait pris des biens de son employeur, notamment des cadenas, un ordinateur, un dactylo, des meubles et un coffre-fort. M. Lynch avait avoué avoir pris de nombreux biens du MDN pour en faire un usage personnel ou pour en faire profiter un tiers. Plusieurs des biens pris par M. Lynch étaient des matériaux excédentaires qu’il avait pris des conteneurs semblables à ceux situés à la GID de la Garnison. Tout comme le fonctionnaire dans le présent cas, M. Lynch transportait les biens dans un véhicule du MDN pendant les heures de travail et avec l’aide de ses collègues de travail. Il avait plaidé coupable à une infraction de possession de biens criminellement obtenus, mais avait prétendu, devant la Commission, ne pas avoir commis de vol. Il prétendait avoir eu l’autorisation de prendre les biens parce qu’il n’avait jamais été informé des directives relatives à la gestion des biens du MDN, notamment la politique d’élimination des biens du MDN et les instructions permanentes qui régissaient le retrait du matériel excédentaire des locaux du MDN. Il faisait également valoir que son comportement était connu de, et toléré par, l’employeur parce que son superviseur était au courant des agissements du fonctionnaire et n’est pas intervenu.

[167] La Commission a trouvé peu crédible l’argument de M. Lynch, qui était un ancien membre de la police militaire, selon lequel il ne savait pas que l’élimination des biens de la Couronne était régie par une procédure particulière et qu’il lui était interdit de prendre les biens et de les déplacer à l’aide des camions du MDN. La Commission a également conclu que l’argument du fonctionnaire selon lequel son comportement était toléré par son employeur était « […] au mieux, futile et, au pire, une tentative de rejeter la faute sur quelqu’un d’autre […] » (Lynch, au par. 89). La Commission a conclu que la participation de complices n’avait pas pour effet de démontrer que l’inconduite du fonctionnaire était tolérée, mais que cela avait plutôt pour effet de rendre les actes du fonctionnaire encore plus répréhensibles.

[168] Dans l’ensemble des circonstances du présent cas, j’estime que les facteurs aggravants et la nature de l’inconduite l’emportent sur les facteurs atténuants et que le licenciement du fonctionnaire ne constitue pas une mesure disciplinaire excessive.

[169] L’honnêteté est la pierre angulaire de la relation employeur-employé. Le fonctionnaire a cherché à tirer un profit en vendant les biens de la Couronne sans autorisation. Il s’agit d’un manque d’honnêteté, d’intégrité et de jugement important de la part d’un employé du MDN qui bénéficiait d’une grande autonomie en milieu de travail et qui avait sous son contrôle des biens de la Couronne d’une valeur importante. À la lumière de l’ensemble de la preuve, je conclus que le lien de confiance entre le fonctionnaire et son employeur est irrémédiablement brisé.

[170] La suspension sans solde et le licenciement du fonctionnaire constituaient deux mesures disciplinaires distinctes s’appuyant sur la même justification. L’employeur a utilisé la date de la suspension sans solde comme date d’effet du licenciement, ce que la jurisprudence reconnaît qu’il est en droit de faire (voir Canada (Procureur général) c. Bétournay, 2018 CAF 230, au par. 50). Comme j’ai conclu que le fonctionnaire a commis une inconduite justifiant son licenciement et que les motifs qui sous-tendent le licenciement existaient au moment où ce licenciement a pris effet, j’estime que, dans la mesure qu’il conteste la suspension comme telle, le grief du fonctionnaire est maintenant sans objet.

[171] Passons maintenant à l’argument du fonctionnaire selon lequel la durée de sa suspension fut excessive et donc qu’elle serait devenue disciplinaire.

[172] Environ 19 mois se sont écoulés entre sa suspension sans solde et son licenciement.

[173] La chronologie des événements ayant eu lieu pendant ces 19 mois est la suivante.

[174] Le fonctionnaire a été suspendu avec solde le 15 janvier 2015, soit le jour après son arrestation. En février 2015, le SNEFC a demandé au MDN de suspendre son enquête administrative pour éviter que cette dernière nuise au déroulement de l’enquête criminelle en cours. En avril 2015, le MDN redémarre l’enquête administrative et un mois plus tard, soit le 27 mai 2015, le fonctionnaire est suspendu sans solde en attendant les résultats de l’enquête administrative. À la fin juin 2016, soit quelques semaines après avoir plaidé coupable au chef d’accusation qui pesait contre lui, le fonctionnaire rencontre les enquêteurs administratifs. Le rapport d’enquête provisoire est acheminé au fonctionnaire à la fin août 2016 et le rapport final, à la fin septembre 2016. Une semaine plus tard, une réunion a eu lieu dans le cadre de laquelle le fonctionnaire est invité à présenter les précisions ou circonstances atténuantes qui, selon lui, n’avaient pas été étudiées dans le cadre de l’enquête. Le 8 décembre 2016, le fonctionnaire est informé de son licenciement.

[175] La suspension sans solde du fonctionnaire fut longue. La durée de l’enquête a fait en sorte que le fonctionnaire a eu à vivre dans l’incertitude pour de nombreux mois. Toutefois, la durée de la suspension n’est pas, selon moi, excessive lorsqu’elle est évaluée à la lumière de la nature de l’enquête administrative devant être menée, c’est-à-dire une enquête administrative qui visait 6 employés du MDN, qui comptait 22 témoins et qui portait, entre autres, sur des allégations de vol, de revente et de collusion. Il s’agissait d’une enquête d’une grande envergure. De plus, une partie du délai s’explique du fait que l’employeur a attendu le dénouement de l’accusation criminelle portée contre le fonctionnaire avant d’amorcer la partie de l’enquête qui nécessitait la participation active du fonctionnaire. Procéder ainsi était, à mon avis, raisonnable. Dans l’ensemble des circonstances de cette affaire, j’estime que la durée de l’enquête n’était pas excessive au point de devenir disciplinaire ou punitive.

[176] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[177] Les griefs sont rejetés.

Le 18 décembre 2023.

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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