Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le demandeur a demandé que 39 postes d’agents de santé et sécurité (ASS) classifiés aux groupes et niveaux TI-05 et TI-06 soient déclarés des postes de direction ou de confiance – il a soutenu que les occupants de ces postes ne devraient pas être inclus dans l’unité de négociation pour des raisons de conflit d’intérêts ou en raison de leurs fonctions auprès de l’employeur en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la Loi – le demandeur a soutenu que les ASS étaient en conflit d’intérêts lorsqu’ils traitaient de questions de santé et de sécurité dans lesquelles l’agent négociateur ou les fonctionnaires de la même unité de négociation étaient impliqués – le demandeur a soutenu que les ASS avaient un devoir de neutralité et que leur inclusion dans l’unité de négociation donnait lieu à un conflit de loyautés – la Commission a conclu que le rôle des ASS en tant que délégués du ministre du Travail était d’assurer le respect du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2) et du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (DORS/86-304) – la Commission a conclu que l’hypothèse selon laquelle les ASS ne pouvaient pas être neutres en raison de leur inclusion dans l’unité de négociation était spéculative et qu’elle n’était étayée par aucune preuve – le demandeur n’a pas convaincu la Commission que les ASS avaient une loyauté partagée, considérant que leurs fonctions et responsabilités exigeaient qu’ils soient neutres – la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas satisfait à son fardeau de prouver que les postes étaient visés à l’alinéa 59(1)g) de la Loi.

Demandes rejetées.

Contenu de la décision

Date: 20240124

Dossiers: 572‑02‑3708 à 3718, 38943 à 38948, 38952 à 38955,

38957 à 38964, 38970 à 38977, 38981 et 38982

 

Référence: 2024 CRTESPF 10

Loi sur la Commission

des relations de travail et de

l’emploi dans le secteur public

fédéral et Loi sur les relations de

travail dans le secteur public

fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Conseil du Trésor

demandeur

 

et

 

Alliance DE LA FONCTION PUBLIQUE DU Canada

 

défenderesse

Répertorié

Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant des demandes, en vertu de l’article 71 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, pour une ordonnance déclarant que les postes sont des postes de direction ou de confiance

Devant : Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le demandeur : Richard Fader, avocat

Pour la défenderesse : Janson LaBond, Alliance de la Fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 14 février, les 13 et 27 mars et le 28 avril 2020 et le 25 mai, les 4 et 9 juin
et le 14 septembre 2021 et entendue par vidéoconférence le 14 septembre 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Demandes devant la Commission

[1] Le Conseil du Trésor a présenté une demande en vertu du paragraphe 71(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (maintenant la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») pour une ordonnance déclarant que 39 postes d’agent de santé et sécurité (ASS) constituent des postes de direction ou de confiance, en vue de les exclure de l’unité de négociation du groupe Services techniques (TC) (l’« unité de négociation ») de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC, le « syndicat » ou la « défenderesse »).

[2] Pour faciliter la lecture, dans la présente décision, « demandeur » désigne le Conseil du Trésor, et « employeur » désigne, selon le contexte, soit le Conseil du Trésor, soit Emploi et Développement social Canada (EDSC), soit les deux. Dans la présente décision, la « Commission » désigne la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et ses prédécesseurs. La « Loi » désigne la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral et toutes ses versions antérieures.

[3] Les titulaires de ces postes travaillent dans le cadre du Programme du travail d’EDSC (le « programme ») en tant qu’autorité en matière de conformité aux règlements et d’application de la loi en vertu de la Partie II (« Santé et sécurité au travail ») du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L‑2; le « Code »). Ils sont classifiés au groupe professionnel Inspection technique (TI) au groupe et aux niveaux TI‑05 et TI‑06. Les deux parties ont utilisé l’expression « agent de santé et sécurité » ou « ASS » pour désigner les postes TI‑05 et TI‑06, ainsi que leurs titulaires. La présente décision fera de même.

[4] Les ASS exercent le pouvoir délégué du ministre du Travail d’inspecter les lieux de travail et d’enquêter sur les plaintes. Ils déterminent si une violation a eu lieu en vertu de l’art. 145 du Code et s’il existe un « danger » ou « aucun danger » dans le contexte d’un refus de travailler en vertu de l’art. 129. Ils donnent des directives juridiquement exécutoires, sous réserve d’un appel devant le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI). Auparavant, ces appels étaient tranchés par le Tribunal de la santé et de la sécurité au travail du Canada (l’« ancien tribunal d’appel »).

[5] Le demandeur a demandé à la Commission d’appliquer l’alinéa 59(1)g) de la Loi et de déclarer ces postes des postes de direction ou de confiance pour des raisons de conflit d’intérêts ou en raison de leurs fonctions et responsabilités auprès de leur employeur. Il a soutenu que les ASS sont en conflit d’intérêts lorsqu’ils traitent de questions de santé et de sécurité dans le secteur public fédéral parce que leurs fonctions et responsabilités envers leur employeur exigent la neutralité, ce qui est incompatible avec le fait d’être membre de l’unité de négociation.

[6] L’AFPC s’est opposée au motif que les ASS n’exercent pas de fonctions de gestion ou de confiance pour EDSC. Leur responsabilité est envers le ministre du Travail, dont le pouvoir délégué est exercé dans l’exercice de leurs fonctions. Elle a fait valoir que la santé et la sécurité au travail ne sont pas seulement un aspect des relations de travail conflictuelles, qu’elles sont, ou devraient être, l’affaire de tous, et qu’une prise de décision neutre et l’accomplissement responsable de son travail ne sont pas incompatibles avec le fait d’appartenir à unité de négociation.

[7] La présente affaire s’est déroulée à l’origine au moyen d’arguments écrits, après quoi la Commission a fixé une audience et invité les parties à présenter leur témoignage. La défenderesse n’a cité aucun témoin. Le demandeur a cité à témoigner Renée Roussel, directrice principale, Opérations nationales, Programme du travail d’EDSC. Aucun ASS n’a témoigné.

[8] Pour les motifs qui suivent, je rejette les demandes. Le paragraphe 74(3) de la Loi impose au demandeur le fardeau d’établir qu’une déclaration de direction ou de confiance, qui entraînera une exclusion de l’unité de négociation, est justifiée. Le demandeur ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

II. Témoignage des témoins

[9] Au cours de son interrogatoire principal, Mme Roussel a fait part de son expérience antérieure lorsqu’elle a occupé des postes de santé et sécurité au travail auprès de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), du ministère des Pêches et des Océans et de l’Agence Parcs Canada (APC). Elle a déjà travaillé en tant qu’ASS. Dans le cadre de son rôle actuel auprès d’EDSC, elle s’occupe de cinq régions, surveille toutes les enquêtes et agit généralement comme intermédiaire entre les ASS sur le terrain et la haute direction. Elle est chargée de la création de postes et des descriptions de travail, ainsi que de l’affectation des ressources. Elle travaille directement avec les gestionnaires et les directeurs régionaux et seulement indirectement avec les ASS.

[10] Mme Roussel a expliqué que le Programme du travail bénéficie du soutien et des services d’EDSC, mais que les ASS ont des pouvoirs délégués par le ministre du Travail puisqu’ils travaillent à titre de réglementation. Ils travaillent à la fois à assurer la conformité proactive et réactive. Elle a dit que leur rôle ne consiste pas à réglementer ni à dicter; l’objectif est toujours de faire régler le problème par les parties. En commençant par la conformité volontaire, les ASS tentent d’inciter les employeurs à promettre de régler les problèmes dans un délai précis. Si un problème n’est pas réglé ou est grave, l’étape suivante prend la forme d’un document de conformité, qui est une décision juridique et exécutoire qui peut faire l’objet d’un appel. Dans les cas graves, il y a aussi la possibilité de poursuites et, à compter de 2021, de sanctions pécuniaires.

[11] Le poste TI‑06 a été créé en 2014 pour traiter des problèmes les plus critiques, des questions nationales et des situations de non‑conformité systémique. Par exemple, lorsqu’un TI‑05 a effectué une inspection, enquêté sur une plainte ou fourni des services de counseling, mais que les problèmes persistants ou systémiques demeurent, un TI‑06 peut intervenir. De plus, les employeurs sont devenus plus complexes en général, et certains exercent des activités à l’échelle nationale; un problème dans un seul endroit de Postes Canada, par exemple, peut avoir des répercussions sur les terminaux partout au pays. Le travail d’un TI‑06 est souvent plus d’une portée nationale que celle d’un TI‑05; cependant, ils sont tous les deux des décideurs qui peuvent donner des directives à un employeur et des machines d’étiquetage. Selon la politique, il est recommandé qu’un TI‑05 consulte un TI‑06 avant d’envoyer une directive concernant un cas national ou complexe, mais il n’est pas nécessaire, car ils ont tous deux le pouvoir requis.

[12] Mme Roussel a déclaré que le secteur public est le troisième secteur prioritaire du Programme du travail et qu’au fil du temps, il a généré plus de travail et qu’il représente maintenant 24 % du volume de travail. Elle a dit qu’il est parfois difficile de répondre à la demande. Elle n’a pas fourni le pourcentage de la charge de travail du secteur public de l’AFPC.

[13] Mme Roussel a affirmé qu’il y a lieu d’exclure les postes TI‑05 et TI‑06 parce que même si le poste TI‑06 a été créé pour aider à affecter et à exécuter le travail, le programme est une opération qui est exécutée 365 jours, 7 jours par semaine. Il n’y a qu’un petit nombre de postes TI‑06, et le programme ne peut pas les avoir en service, en tout temps, pour s’occuper du secteur public, au besoin. Par conséquent, l’employeur doit exclure à la fois les postes TI‑05 et TI‑06 ASS pour traiter avec le secteur public, mais il a tenté de réduire le nombre de postes proposés aux fins d’exclusion.

[14] Mme Roussel a décrit un scénario de refus de travailler. Elle a expliqué que tout employé qui croit qu’un élément de son travail est dangereux peut informer son superviseur qu’il refuse de travailler et qu’il participe ensuite au processus d’enquête. Le danger doit être immédiat et tangible. L’employeur enquête et peut décider qu’il existe un danger immédiat. Dans le cas contraire, la question est renvoyée au comité mixte de santé et de sécurité. Avec la participation de l’employé, un comité composé de deux membres enquête et fait rapport à l’employeur pour déterminer s’il a constaté un danger. L’AFPC représente souvent l’employé qui refuse de travailler dans le cadre de ce processus.

[15] Une fois qu’un comité a conclu à l’existence ou à l’absence d’un danger ou qu’il est divisé sur la décision, on peut faire appel à un ASS. L’employé peut continuer de refuser de travailler jusqu’à ce que l’ASS tranche la question. Un autre employé peut faire le travail s’il est informé du refus de travailler, mais il y a toujours une incidence sur le milieu de travail jusqu’à ce que la décision soit prise. Le programme prend très au sérieux les refus de travailler et les considère comme des priorités. Mme Roussel n’a pas indiqué combien de refus de travailler sont habituellement traités par le programme.

[16] À la question de savoir si on pouvait dire sans se tromper que les ASS tranchent les différends relatifs aux refus de travailler, Mme Roussel a convenu qu’elle le décrirait ainsi. Elle a précisé qu’il est très important d’entendre l’employé qui refuse de travailler, mais que l’ASS doit recueillir tous les renseignements disponibles auprès de toutes les trois parties. Si la décision de l’ASS est qu’il n’existe aucun danger, l’employé doit retourner au travail. S’il existe un danger, l’ASS peut donner une directive à l’employeur, généralement pour corriger quelque chose avant que l’employé ne retourne au travail. Ces directives peuvent faire l’objet d’un appel auprès du CCRI.

[17] Lorsqu’une question a atteint le point de nécessiter l’intervention d’un ASS pour donner une directive, généralement, l’employeur et le syndicat s’en occupent. Lorsque les appels ont été interjetés auprès de l’ancien tribunal d’appel, seuls l’employeur, l’employé et leur représentant y participaient. Le Programme du travail a été parfois invité, mais ne faisait pas partie du processus; maintenant, le programme peut présenter des éléments de preuve et participer aux appels.

[18] Mme Roussel a fait remarquer que les aspects de l’inspection et de la plainte du travail sont beaucoup plus vastes que les refus de travailler, car les ASS doivent tenir compte de tous les aspects de la Partie II du Code et peuvent donner des directives à ce sujet. Une inspection ne découle habituellement pas d’une plainte; il s’agit simplement d’une partie du rôle du programme consistant à inspecter les employeurs à tour de rôle, de sorte qu’un employeur fera l’objet d’une inspection toutes les quelques années.

[19] Lors de son interrogatoire principal, à la question de savoir si c’était dans le secteur public qu’elle avait constaté un conflit d’intérêts, elle a répondu par l’affirmative. Lorsqu’on lui a demandé de décrire le problème des conflits d’intérêts tel qu’elle le voit, elle a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

L’essentiel est que lorsque vous avez un tiers qui est concerné, l’agent négociateur peut influencer la décision éventuelle. Nous l’avons vu, à Parcs Canada et dans d’autres cas […] Nous avons des membres qui siègent aux comités de santé et de sécurité de l’AFPC. Nous leur avons dit qu’il existe un conflit d’intérêts. […]

 

[20] Mme Roussel a affirmé que le risque est que les ASS retirent leur chapeau de régulateur et agissent comme employés. Il pourrait s’avérer difficile, par exemple, lorsque la défenderesse est en situation de grève et qu’un ASS doit prendre une décision concernant un refus de travailler. Une telle situation serait le conflit d’intérêts le plus direct, surtout pour les agents syndicaux dont le retrait de leur chapeau syndical peut être difficile.

[21] Mme Roussel a déclaré que, dans un cas récent, un TI‑06 enquêtait sur une plainte et il estimait que l’AFPC ne représentait pas bien l’employé concerné. Comme elle l’a affirmé [traduction] « en raison de son propre historique en tant que membre de l’AFPC », l’ASS avait communiqué avec un collègue qui n’était pas concerné par le cas, pour obtenir le point de vue du syndicat. Elle n’a pas précisé s’il s’agissait du point de vue du syndicat quant à la plainte ou à la représentation insuffisante.

[22] La défenderesse a contesté cet élément du témoignage à titre de preuve par ouï‑dire présentée sans nom, lieu, ni autres renseignements. Mme Roussel a ensuite proposé que cette situation est survenue dans le groupe des services frontaliers à un aéroport non précisé. Même si la preuve par ouï‑dire peut être admissible au cours d’une audience administrative, ce commentaire n’a pas été détaillé et n’a pas pu être remis en question en contre‑interrogatoire ou contesté par la contre‑preuve. Il entrait dans la catégorie d’une rumeur concernant le lieu de travail et aucun poids ne pouvait lui être accordé.

[23] Mme Roussel a été invitée à expliquer davantage au sujet des ASS qui siègent aux comités de santé et de sécurité et à indiquer si, de façon générale, elle constatait un conflit d’intérêts dans cette situation. Elle a répondu par l’affirmative en déclarant : [traduction] « puisque vous travaillez avec ces parties, vous voulez aller au comité, mais pour ceux qui travaillent en tant que délégués syndicaux, il est difficile de retirer ce chapeau ». Aucun exemple précis n’a été donné d’un ASS siégeant à un comité de santé et de sécurité ou de tout ce qui s’était produit au sein d’un comité que l’employeur considérerait comme un conflit d’intérêts.

[24] Le seul exemple réel d’un prétendu conflit d’intérêts que Mme Roussel a indiqué dans son interrogatoire principal était le cas concernant l’APC. Cette question a été présentée à la Commission en tant que l’exemple du [traduction] « seuil élevé » du genre d’incidence qu’une décision de l’ASS peut avoir sur un milieu de travail et de ce qui peut se produire lorsqu’un « tiers » (le syndicat) intervient et influence la décision d’un ASS. Ce n’est qu’en réponse aux questions en contre‑interrogatoire que Mme Roussel a fourni plus de détails sur le cas autre que cette description de celui‑ci.

[25] Elle a confirmé lors du contre‑interrogatoire qu’elle avait travaillé à l’APC de 2006 à la mi‑2010 à titre de coordonnatrice nationale de la santé et de la sécurité au travail. Elle a convenu que tout le monde connaissait l’ASS Grundie et a confirmé que l’APC n’était pas du tout satisfaite de la direction qu’il avait donnée. Elle a clairement indiqué qu’elle était également fortement en désaccord avec cette directive et qu’elle estimait que cela avait été le résultat de l’influence syndicale. Elle a affirmé que l’ASS Grundie avait été au‑delà des parties du milieu de travail pour déterminer s’il existait un danger, ce qu’il n’aurait pas dû faire. Elle s’est souvenue (à tort) qu’il s’agissait d’un refus de travailler et a ajouté que l’employé qui refusait de travailler avait un objectif précis à l’esprit : obtenir le droit des gardes de parc de porter des armes de poing.

[26] Mme Roussel a expliqué que son désaccord avec la directive de l’ASS était le fait qu’elle comportait une mesure corrective particulière (fournir des armes de poing aux gardes de parc) et qu’il aurait été difficile pour tout employeur de s’y conformer. Elle faisait partie du groupe de travail de l’APC qui a été créé pour mettre en œuvre ce qui est finalement devenu la décision du gouvernement fédéral de fournir des armes de poing aux gardes de parc, et le défi à relever était qu’il était impossible de faire une évaluation appropriée des risques pour mettre en œuvre la directive. Elle a estimé que même s’il existait un danger, il aurait dû revenir aux parties au milieu de travail pour déterminer la réparation.

[27] Elle a été interrogée au sujet que les deux parties avaient interjeté appel de la directive de l’ASS Grundie – l’APC au sujet de la réparation parce que sa directive n’avait pas ordonné à l’APC de fournir des armes de poing. Elle ne s’est pas souvenue de ce fait et a réitéré qu’elle n’avait été chargée que de la mise en œuvre de la décision finale du gouvernement fédéral de les fournir.

[28] Elle a été interrogée au sujet du fait que, des années plus tard, l’APC s’était plainte auprès de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC; tel était alors le nom d’EDSC) au sujet de l’ASS Grundie, alléguant un conflit d’intérêts et une collusion avec le syndicat. En raison de la plainte, RHDCC et l’APC se sont regroupés pour lancer de multiples enquêtes visant à trouver des éléments de preuve d’inconduite. Toutes les allégations contre l’ASS Grundie ont été réfutées, et RHDCC a été jugée avoir fait preuve de collusion avec l’APC en vue d’exercer des représailles contre lui pour avoir simplement fait son travail.

[29] Mme Russel semblait de ne pas avoir été au courant de ce fait, même si ces faits avaient été décrits en détail dans la décision publiée de la Commission dans Grundie c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada), 2015 CRTEFP 95. Elle ne semblait connaître que la caractérisation du [traduction] « seuil élevé » qu’elle avait présentée avec rigueur lors de son interrogatoire principal. Elle a raconté l’histoire d’un « tiers » (le syndicat) intervenant pour influencer la décision d’un ASS, un faux récit qui continuait de régner et qui, de toute évidence, continuait d’être mal digéré 20 ans plus tard. (La directive de l’ASS Grundie a été rendue le 1er février 2001.) Même si je crois qu’elle l’a présentée à la Commission de la façon dont elle s’en souvenait réellement ou dont l’histoire lui avait été racontée, ce témoignage était néanmoins très trompeur.

[30] Malheureusement, j’ai conclu qu’une grande partie du témoignage de Mme Roussel n’était pas fiable. Ses sentiments négatifs forts concernant les effets de la participation syndicale aux questions de santé et de sécurité ont clairement influencé sa compréhension ou sa mémoire de ce qui s’est réellement passé dans l’affaire concernant l’APC. De plus, même si elle a d’abord affirmé : [traduction] « Nous l’avons vu – dans le cas concernant l’APC et dans d’autres cas », elle n’a offert que deux autres exemples.

[31] Le premier était une allégation non précisée d’un TI‑06 qui, selon elle, avait communiqué avec un collègue syndical [traduction] « en raison de son propre historique en tant que membre de l’AFPC ». Son allégation quant au sujet duquel il avait communiqué avec son collègue syndical n’était pas claire et les seuls renseignements particuliers déterminants fournis (et seulement en contre‑interrogatoire) étaient qu’il enquêtait sur quelque chose concernant un endroit des services frontaliers dans un aéroport. Le deuxième était sa référence aux ASS siégeant aux comités de santé et de sécurité et le risque que, à son avis, ils aient de la difficulté à retirer leur chapeau syndical. Encore une fois, aucun détail n’a été fourni.

[32] Mme Roussel a été interrogée au sujet d’une bonne partie de son témoignage quant aux points essentiels et il semblait que, parfois, elle ne comprenait pas l’importance de l’exactitude ou de la précision de ses commentaires. Ses opinions et ses descriptions ont été présentées comme des faits. En général, les renseignements neutres qu’elle a fournis sur le fonctionnement du programme étaient utiles et semblaient fiables. J’ai accepté ce témoignage. Toutefois, je peux accorder peu, voire aucun, poids à une grande partie de son témoignage, surtout à ses commentaires concernant les conflits d’intérêts présumés ou perçus.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le demandeur

[33] Ces postes devraient être déclarés des postes de direction ou de confiance parce qu’ils ne devraient pas faire partie de l’unité de négociation pour des raisons de conflit d’intérêts ou en raison de leurs fonctions auprès de l’employeur.

[34] La question ne se pose que dans le secteur public, et le demandeur cherche à exclure seulement 28 des 211 postes TI‑05 et tous les 11 postes TI‑06, ce qui représente un total de 39 des 222 postes. Le travail a été organisé de manière à réduire au minimum l’incidence sur la défenderesse. Ces chiffres tiennent compte d’un volume accru de travail dans le secteur public; le Programme du travail doit s’assurer que les inspections, les enquêtes et les interventions sont effectuées en conséquence. Les postes dont l’exclusion est proposée se trouvent dans les régions où les concentrations de travail dans le secteur public sont plus élevées. L’intention qui sous‑tend la création des postes TI‑06 et la nature de leur travail exigent que tous les 11 soient exclus.

[35] L’AFPC prône depuis longtemps la santé et la sécurité au travail – un rôle légitime et important, mais elle ne fait pas la promotion de postes neutres en matière de santé et de sécurité, mais elle prône plutôt ce qu’elle considère comme l’intérêt supérieur des employés qu’elle représente. Il s’agit du plus important syndicat du secteur public fédéral, représentant les employés de tous les ministères et organismes. Cela peut mettre les ASS en position d’enquêter sur les refus de travailler et les présumées violations du Code impliquant des collègues de l’unité de négociation. Étant donné cela, le conflit d’intérêts est direct et évident; un titulaire pourrait participer à une décision interne de l’AFPC sur une question de santé et de sécurité tout en enquêtant sur la même question en tant que personne neutre.

[36] Les ASS peuvent également témoigner aux audiences relatives aux appels, ce qui les place des deux côtés d’un différend, d’une part en tant que personnes neutres au nom du régulateur, d’autre part en tant qu’employés de l’unité de négociation représentés par un agent négociateur qui est partie à l’appel ou qui représente un autre employé de l’unité de négociation. Étant donné que le demandeur ne peut agir que par l’intermédiaire de ses représentants, ses fonctionnaires doivent être loyaux en ce qui concerne ses intérêts et doivent être perçus comme tels.

[37] L’alinéa 59(1)g) s’applique lorsqu’un poste ne satisfait pas aux critères énoncés aux autres alinéas du paragraphe 59(1), et il comporte deux parties, l’exclusion pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison des fonctions du poste auprès de l’employeur. Ce dernier critère était le seul avant 1992, lorsque le libellé exprès « pour des raisons de conflits d’intérêts » a été ajouté.

[38] Même si faire partie de l’équipe de la direction entraîne généralement un conflit d’intérêts, tous les cas de conflit d’intérêts ne sont pas nécessairement liés à l’appartenance à l’équipe de gestion. De plus, des conditions autres qu’un conflit d’intérêts exprès peuvent justifier l’exclusion en raison des fonctions auprès de l’employeur, par exemple la nature sensible du travail. Il est difficile d’énumérer toutes les circonstances d’incompatibilité avec l’appartenance à une unité de négociation. L’alinéa 59(1)g) avait pour objet de conférer à la Commission le pouvoir discrétionnaire d’évaluer les cas individuels.

[39] La Commission a constaté des conflits d’intérêts lorsque les employés ne faisaient pas partie de l’équipe de gestion; par exemple, un vérificateur dans Bureau du Vérificateur général du Canada c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Groupes de la bibliothéconomie et de la vérification – Catégorie scientifique et professionnelle), [1980] C.R.T.F.P.C. no 2 (QL; « Lalonde »), et le chef de la section de l’aide de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) à la Barbade dans Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1982] C.R.T.F.P.C. no 148 (QL; « Dare et Bédard »).

[40] Une infirmière qui a fait part de ses commentaires à la direction au sujet des demandes de congé de maladie d’employés a été jugée être en situation de conflit d’intérêts parce que ses fonctions touchaient les conditions de travail d’autres employés dans Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Office national du film du Canada, [1990] C.R.T.F.P.C. no 78 (QL; « ONF »). Ce cas présente un parallèle évident au présent cas, puisque les décisions des ASS ont également une incidence profonde sur leurs collègues de l’unité de négociation.

[41] Un poste d’agent de renseignements de sécurité a été jugé être en situation de conflit d’intérêts dans Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada) c. Alliance de la Fonction publique du Canada), 2012 CRTFP 46ARS »). La Commission a fait remarquer que l’alinéa 59(1)g) est une disposition générique dans laquelle l’expression « conflit d’intérêts » est quelque peu ambiguë et l’expression « ses fonctions auprès de l’employeur » est encore moins limitative. Elle a fait une mise en garde contre de ne pas entraver son pouvoir discrétionnaire en tentant de fournir une définition plus restrictive et a affirmé que l’expression « ses fonctions auprès de l’employeur » pourrait viser des situations où l’appartenance à une unité de négociation pourrait nuire à l’exercice des fonctions essentielles auprès de l’employeur. Malgré l’absence de caractéristiques justifiant habituellement l’exclusion, les fonctions de l’agent de renseignements de sécurité étaient en conflit avec les obligations envers les collègues de l’unité de négociation, ce qui est un concept qui s’applique directement au présent cas, étant donné que les ASS enquêtent sur les refus de travailler de collègues de l’unité de négociation.

[42] Dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2016 CRTEFP 84 (« Opérations frontalières nationales »), les postes au Centre national des opérations frontalières ont été jugées être en conflit d’intérêts, et la Commission a formulé des commentaires au sujet du conflit de loyauté auxquels les titulaires de postes pourraient être confrontés à l’égard des moyens de pression au travail. Le faible volume de ces travaux a été noté par la Commission, mais n’a pas été jugé déterminant pour trancher la question. Le concept de « conflit de loyauté » s’applique directement au présent cas.

[43] Dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2016 CRTEFP 80 (« Enquêteurs principaux d’EDSC »), les employés qui ont enquêté sur l’inconduite présumée d’employés ne faisaient pas partie de l’équipe de gestion et n’ont pas pris de décisions sur la mesure disciplinaire, mais leur rôle d’enquêteur à l’égard des autres employés de l’unité de négociation les a placés en situation de conflit d’intérêts. La Commission a exprimé son mécontentement au sujet du retard de l’employeur à déposer sa demande de désignation des postes de direction ou de confiance, mais cela n’a pas eu d’incidence sur son analyse du paragraphe 59(1).

[44] Le demandeur a soutenu que le cas le plus pertinent est Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, [1988] C.R.T.F.P.C. no 316 (QL; « APRT »). Les agents principaux des relations du travail (APRT) du Conseil canadien des relations du travail (CCRT, tel était alors sa désignation) étaient, comme les ASS, exercer leurs fonctions de manière indépendante des employeurs et des syndicats. Ils enquêtaient sur les requêtes déposées auprès du CCRT et agissaient comme médiateurs à l’égard des plaintes. Ils n’avaient aucun pouvoir décisionnel (contrairement aux ASS), même si leurs recommandations ont été systématiquement adoptées dans les décisions du CCRT. Contrairement au présent cas, où les ASS prennent des décisions qui touchent les ministères et les organismes fédéraux, le CCRT n’avait pas compétence sur les employeurs du secteur public; toutefois, l’AFPC représentait les employés relevant de la compétence du CCRT.

[45] L’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique a conclu que le conflit d’intérêts était évident, en affirmant ce qui suit : « En agissant dans les affaires où l’AFPC est en cause, les agents principaux des relations du travail font eux‑mêmes face à un conflit d’intérêts possible et le rôle du CCRT en tant qu’organisme neutre est remis en question et peut‑être miné. » Les APRT devaient agir à titre de personnes neutres, et le conflit d’intérêts était que leur neutralité perçue était compromise par leur inclusion dans l’unité de négociation. De la même façon que cela a miné le rôle du CCRT, l’inclusion des ASS dans une unité de négociation mine la neutralité du ministre du Travail lorsqu’ils agissent en tant que personnes chargées de la conformité à la réglementation et de l’application de la loi. L’appartenance à l’unité de négociation empêche les ASS de jouir d’une neutralité perçue, surtout lorsqu’ils enquêtent sur les conditions de travail des autres employés représentés par l’AFPC.

[46] La définition d’un « conflit d’intérêts » est prévue dans la Loi, mais il s’agit d’un concept bien établi dans la jurisprudence de la Commission; le critère consiste à savoir si une personne raisonnable estimerait qu’il existe une possibilité réaliste que l’inclusion d’un ASS à titre d’employé dans l’unité de négociation puisse influer sur l’exécution de ses fonctions officielles (voir Atkins c. Conseil du Trésor (ministre des Transports), dossier de la CRTFP 166‑02‑889 (19740321); et Assh c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 358). De plus, Assh soutient la proposition selon laquelle une conclusion de conflit d’intérêts peut être fondée sur un jugement pratique et une inférence logique, une norme de preuve relativement faible.

[47] La santé et la sécurité au travail représentent un intérêt important pour l’AFPC. Son site Web fait référence au discours de son ancien président lors d’une conférence sur la santé et la sécurité en 2007, au cours de laquelle il a annoncé que l’AFPC avait déposé une contestation quant à la structure de l’ancien tribunal d’appel et qu’elle utilisait une action en justice pour promouvoir les questions de santé et de sécurité. Un article de 2019 sur le site Web actuel du Syndicat des Douanes et de l’immigration fait référence au recours au refus de travailler, entre autres stratégies, dans la tentative de cet élément d’armer les agents frontaliers. En tant qu’employés de l’unité de négociation, les ASS ont le droit d’occuper une charge au sein du syndicat, de participer aux activités syndicales et de promouvoir le programme syndical, mais la Commission a reconnu un conflit d’intérêts fondé sur les obligations envers les autres employés de l’unité de négociation. Un employé de l’unité de négociation peut être divisé entre le rôle exigé d’un délégué du ministre du Travail et le poste de son syndicat.

[48] L’argument de l’AFPC selon lequel les obligations des ASS sont envers le ministre du Travail et non le demandeur détourne l’analyse de ce sur quoi elle devrait porter, c’est‑à‑dire la question de savoir s’il existe un conflit d’intérêts. Les ASS ne sont pas des personnes nommées par le gouverneur en conseil; ce sont des employés de l’administration publique centrale, et l’obligation qu’ils doivent à leur employeur consiste à agir comme des personnes neutres en tant que personne chargée de la réglementation aux fins du Programme du travail. Le conflit d’intérêts est entre leur obligation d’être neutre et de faire partie de l’unité de négociation lorsque l’AFPC défend les intérêts des employés qu’elle représente.

[49] Pour déterminer les refus de travailler ou les violations du Code, les ASS n’appliquent pas simplement des règles techniques à une proposition factuelle neutre. Ils sont confrontés à un employeur et à un syndicat qui n’ont pas pu régler la question à l’interne; ils interviennent et tranchent le différend. Leurs décisions sont définitives et exécutoires, sous réserve seulement d’un appel (et dans certains cas, d’un contrôle judiciaire). Le fait que leurs décisions sont susceptibles de faire l’objet d’un contrôle judiciaire ne les rend pas moins décisifs.

[50] Le demandeur a présenté une liste de huit décisions d’appel dans lesquelles l’AFPC était une partie ou représentait un employé et a soutenu que, dans de nombreux cas, l’AFPC contestait les ASS en tant qu’appelant cherchant à annuler une conclusion d’absence de danger. Elle a soutenu qu’un ASS qui témoigne dans le cadre d’un appel le fait en tant que partie indépendante qui justifie sa décision dans un forum contradictoire où les parties ont des intérêts concurrents. Étant donné qu’ils peuvent exercer les droits découlant de leur appartenance à l’unité de négociation en occupant des charges syndicales, par exemple, au sein des comités de santé et de sécurité, les ASS pourraient participer à la communication de directives à un avocat de l’AFPC, puis être contre‑interrogés par l’avocat de l’AFPC à l’audience relative à l’appel. Le conflit d’intérêts ne peut être plus direct ou plus évident.

[51] La structure globale de la partie II du Code reconnaît implicitement les différents intérêts qui interviennent dans la détermination, l’enquête et le règlement des questions en matière de santé et de sécurité – les employeurs, les employés et leurs agents négociateurs sont liés dans un environnement contradictoire. Le Code énonce d’importants freins et contrepoids en fonction desquels les parties bénéficient un pied d’égalité lorsqu’ils règlent des préoccupations en matière de santé et de sécurité, et le règlement des différends au palier le plus bas possible est encouragé. Toutefois, le Code reconnaît que les parties du milieu de travail ne partagent pas toujours les mêmes intérêts; en fin de compte, s’il y a une impasse, un ASS doit enquêter et peut donner une directive, ou rendre une décision quant à l’existence de danger ou à l’absence de danger. En ce qui concerne les employés représentés par l’AFPC, la défenderesse joue un rôle actif tout au long de la procédure, du palier le plus bas jusqu’aux audiences sur l’appel devant le CCRI.

[52] Un ASS agit en tant qu’autorité objective et évalue les faits et les éléments de preuve pour rendre une décision en fonction de son jugement. Ses décisions ont le poids d’ordonnances légales exécutoires et peuvent avoir des répercussions graves sur les activités de l’employeur, même au point de fermer l’organisation; ses conclusions ne sont ni négociables ni révisables, sauf en appel. Les ASS ne sont appelés à exercer leur pouvoir délégué que lorsqu’un différend entre les parties n’est pas réglé. Lorsqu’ils agissent seuls et exercent leur jugement, ils doivent être perçus comme impartiaux et exempts de tout conflit d’intérêts réel ou perçu.

[53] Même si un comité de santé et de sécurité n’est pas un forum contradictoire, il n’en va pas de même pour un poste d’ASS. Le rôle de l’ASS consiste à écouter les témoignages et les arguments des deux parties et de prendre des décisions exécutoires concernant le droit continu de refuser de travailler et, plus généralement, les allégations de violations du Code. Même si certaines parties du programme de santé et de sécurité ne sont pas contradictoires, d’autres le sont, y compris le travail d’un ASS. Cela est particulièrement évident lorsqu’ils témoignent dans le cadre d’un appel dans lequel ils ne représentent aucune des parties et doivent demeurer neutres dans un environnement manifestement contradictoire.

[54] En ce qui a trait à l’argument du syndicat selon lequel la santé et la sécurité ne sont pas une question de relations de travail, le demandeur a reconnu que Conseil du Trésor c. Association des juristes de justice, 2020 CRTESPF 3 (« AJJ 1 »), avait appliqué une définition très restrictive du concept de « relations de travail », mais a fait remarquer que la décision faisait l’objet d’un contrôle judiciaire. (La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision le 26 février 2021, dans 2021 CAF 37 (« AJJ 2 »).) Il a également fait remarquer que ces demandes ne proposent pas d’exclure les ASS en vertu de l’alinéa 59(1)c) (relations de travail) mais plutôt en vertu de l’alinéa 59(1)g), qui comprend les conflits d’intérêts.

[55] Il n’est pas nécessaire que tous les conflits d’intérêts concernent les relations de travail; si le législateur avait eu l’intention de les limiter aux questions en matière de relations de travail (définies de manière étroite), il l’aurait fait. Dans Conseil du Trésor (ministère de la Justice) c. Association des Juristes de Justice, 2020 CRTESPF 59 (confirmée par la Cour d’appel fédérale dans 2021 CAF 87), le titulaire du poste n’a fourni aucun conseil en matière de relations de travail, mais il a été jugé être en situation de conflit d’intérêts. Les postes peuvent être exclus lorsque leurs fonctions ont des répercussions potentielles au‑delà des relations de travail sur des questions beaucoup plus vastes qui intéressent l’AFPC, comme les rapports de vérification des ministères fédéraux et l’aide financière aux pays des Caraïbes.

[56] À titre de solution de rechange, la santé et la sécurité au travail ont été reconnues comme une question de relations de travail dans Toronto District School Board v. Canadian Union of Public Employees Local 4400, 2008 CanLII 10519 (ON LA), et chaque convention collective du secteur public fédéral comporte une disposition relative à la santé et à la sécurité. Ces dispositions ont été tranchées par la Commission et la partie 3 de la Loi porte sur la santé et la sécurité au travail.

[57] Selon la défenderesse, les ASS n’ont aucun pouvoir relatif aux conditions d’emploi de leurs collègues, en fait, les ASS traitent de la condition d’emploi la plus importante, soit la santé et la sécurité. Si un collègue de l’unité de négociation refuse de travailler, l’ASS finira par trouver un danger et donner une directive à l’employeur ou ne trouver aucun danger auquel cas l’employé doit retourner au travail.

[58] Un certain nombre des alinéas de l’article 59 exigent un certain seuil d’exclusion. Seuls les postes visés par une politique de haut niveau d’application générale (alinéa 59(1)d)) ou de véritables postes de gestionnaires ayant des attributions de gestion à l’égard de fonctionnaires (alinéa 59(1)e) doivent être exclus. Pour certains alinéas, il peut s’agir d’une question de degré, mais l’inverse est vrai pour l’al. 59(1)g). Cela est confirmé par les décisions qui ont exclu les postes comportant la responsabilité d’entendre des griefs, même si le titulaire du poste n’a jamais été demandé à en entendre un.

[59] Sauf l’aspect de conflit d’intérêts de l’alinéa 59(1)g), l’expression « ses fonctions auprès de l’employeur » doit être appliquée de manière indépendante et elle doit être interprétée selon son sens complet. Dans ARS, la Commission a déclaré que cette expression était encore moins limitative que « conflit d’intérêts » et qu’elle conférait à la Commission un pouvoir discrétionnaire très vaste qui ne devrait pas être entravé en tentant de fournir une définition plus restrictive. Comme l’a déclaré la Commission, le critère serait satisfait si l’inclusion d’un employé dans une unité de négociation peut compromettre l’efficacité de l’exercice des fonctions essentielles pour son employeur. Même si une conclusion de conflit d’intérêts déclenchait certainement l’application des critères d’exclusion, indépendamment d’une telle conclusion, y compris les ASS de l’unité de négociation pourrait nuire à l’efficacité de l’exercice de ses fonctions au moyen des pouvoirs délégués du ministre du Travail en tant qu’arbitre de différends indépendants en matière de sécurité et de santé au travail.

[60] Les dispositions d’exclusion ne devraient pas être interprétées de façon restrictive, mais plutôt compte tenu de leur rédaction ordinaire fondée sur des principes reconnus en matière d’interprétation des lois. Le demandeur a organisé ses affaires de manière à limiter l’incidence; par conséquent, la proposition supplémentaire selon laquelle l’alinéa 59(1)g) doit être interprété de façon restrictive est incompatible avec les principes d’interprétation des lois.

[61] Enfin, la défenderesse a fait valoir un argument sur les valeurs de la Charte (Charte canadienne des droits et libertés, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11; la « Charte ») selon lequel toute interprétation de la Loi devrait être guidée par le fait que la négociation collective est un droit protégé par la Constitution. Toutefois, la Cour suprême du Canada a fait une distinction entre les valeurs de la Charte et les droits garantis par la Charte. S’il n’existe aucune ambiguïté, la Commission ne peut pas interpréter de manière atténuante les dispositions législatives afin qu’elles soient conformes aux valeurs de la Charte; si elle juge qu’il y a conflit, elle doit appliquer la loi telle qu’elle est rédigée. Pour faire valoir un argument fondé sur les valeurs de la Charte dans ces circonstances, la défenderesse devrait contester directement la constitutionnalité de la loi (voir Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42; Doré c. Barreau du Québec, 2012 SCC 12; École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12).

B. Pour la défenderesse

[62] La défenderesse a soutenu que le fardeau de la preuve incombait directement au demandeur de convaincre la Commission qu’il existe un conflit d’intérêts.

[63] La Commission a statué que chaque demande présentée en vertu de l’al. 59(1)g) doit être déterminée en fonction de ses faits particuliers et a appliqué la disposition de façon étroite, avec modération et uniquement dans les situations inhabituelles où l’inclusion dans l’unité de négociation était fondamentalement incompatible avec les fonctions et les responsabilités du poste, et même seulement si la demande ne relevait d’aucun des autres alinéas de l’article 59. Les demandes présentées en vertu de l’alinéa 59(1)g) ne devraient pas être évaluées selon une norme moindre; la Commission ne peut pas être moins rigoureuse dans son jugement des facteurs qui peuvent être pertinents à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. (Voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Groupe de l’achat et de l’approvisionnement), [1977] C.R.T.F.P.C. no 3 (QL), au par. 21.)

[64] Le demandeur cherche à faire de la santé et de la sécurité au travail une extension d’une guerre de relations industrielles continue entre l’employeur et son plus important syndicat, liés dans l’environnement contradictoire qui est la partie II du Code. Toutefois, la santé et la sécurité au travail ne font pas partie des relations de travail. Les ASS ne participent pas à la négociation collective, à la stratégie de règlement des griefs et d’arbitrage, ni à l’interprétation des conventions collectives pour leur employeur. Leur compétence est la santé et la sécurité au travail – une responsabilité partagée et un objectif commun qui est distinct des relations de travail. Cela est reconnu depuis longtemps dans la jurisprudence des commissions des relations de travail, et la Commission a récemment rejeté une qualification de la santé et de la sécurité au travail comme faisant partie intégrante des relations de travail dans AJJ 1 (que la Cour d’appel fédérale a confirmée dans AJJ 2).

[65] Le demandeur a soutenu que le syndicat n’adopte pas une position neutre relativement aux questions en matière de santé et de sécurité. Cela s’applique également à l’employeur. La défenderesse ne conteste pas que, même si tout le monde devrait se préoccuper de la santé et de la sécurité, de telles questions peuvent être controversées, et les employeurs et les syndicats, parfois, les abordent avec des intérêts différents à l’esprit. Reconnaître que la réalité ne signifie pas que la santé et la sécurité ne constituent qu’un aspect des relations de travail contradictoires ou que les ASS sont des praticiens en relations de travail. Il s’agit plutôt de professionnels de la santé et de la sécurité au travail dont les fonctions consistent à appliquer deux articles particuliers du Code.

[66] Les ASS inspectent régulièrement les lieux de travail de leur propre initiative pour vérifier la conformité en matière de santé et de sécurité. Ils enquêtent sur les plaintes, les refus de travailler et les accidents du travail, y compris les décès. Leur travail est prescrit et technique; leurs conclusions sont fondées sur des faits. Ils prennent des décisions factuelles quant à l’existence d’un danger au sens du Code lorsque les employés exercent leur droit de refuser de travailler dans des conditions qu’ils estiment dangereuses. Leurs décisions peuvent être confirmées ou annulées en appel auprès du CCRI et, à leur tour, les décisions d’appel peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

[67] Les ASS ne sont pas les arbitres de grief ou les arbitres de différends que le demandeur affirme qu’ils sont, mais ils correspondent davantage aux agents de réglementation ou aux policiers qui appliquent une loi. L’AFPC représente des milliers d’employés de réglementation et d’application de la loi dans de nombreuses juridictions, y compris les policiers. Le fait que leur travail d’application de la loi est exécuté dans des lieux de travail représentés par l’AFPC ne signifie pas que les ASS sont en situation de conflit d’intérêts et incapables d’exercer leurs fonctions de manière professionnelle et impartiale, indépendamment de la position que leur syndicat peut adopter à l’égard d’une question. Les policiers sont syndiqués dans de nombreuses juridictions et on leur fait confiance pour gérer toutes les questions de sécurité publique, y compris les manifestations, les piquetages et les différentes formes de pressions au travail. Dans le passé, seuls les membres de la GRC étaient exclus de la négociation collective, mais ils ont aussi obtenu le droit de s’organiser, en 2015.

[68] Le demandeur a présenté une liste d’appels des décisions des ASS. Dans certains cas, l’employeur était l’appelant; dans d’autres, il s’agissait du syndicat. Il ressort clairement de ces appels que les ASS parviennent à leurs conclusions indépendamment de toute influence syndicale. Les ASS sont parfaitement capables de fournir une défense professionnelle et impartiale de leurs décisions en appel. Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve pour étayer son allégation selon laquelle les ASS sont perçus comme n’étant pas neutres ou pour démontrer qu’ils sont en quelque sorte « tiraillés » entre leur emploi et leur syndicat. Les faits démontrent qu’ils ne sont pas redevables envers leur syndicat.

[69] Le demandeur reconnaît que les ASS ne font pas partie d’une équipe de gestion et ne fait pas valoir leur exclusion pour ce motif. Ils ne sont manifestement pas des gestionnaires. Toutefois, ils ne sont pas non plus des « représentants » du demandeur, comme cela a été affirmé; ils ne représentent ni les ministères fédéraux visés par leurs enquêtes ni le Conseil du Trésor. Ils représentent le ministre du Travail et appliquent la loi fédérale sur la santé et la sécurité.

[70] Les décisions de la Commission présentées par le demandeur à l’appui de ces demandes peuvent toutes être distinguées du présent cas. Le titulaire du poste dans Lalonde a travaillé en étroite collaboration avec les agents financiers principaux de l’organisation cliente; les ASS travaillent indépendamment de tout le monde, y compris le demandeur. L’infirmière de l’organisation dans ONF a formulé des recommandations sur les congés de maladie qui ont eu une incidence évidente sur les conditions emploi de ses collègues; les ASM n’ont aucune autorité sur les conditions d’emploi de leurs collègues, c’est‑à‑dire la terminologie en matière de relations de travail. Ils ont le pouvoir délégué de donner des directives en matière de santé et de sécurité qui entraîne des conditions de travail plus sécuritaires pour tous les employés dans un milieu de travail, syndiqués ou non. Le cas ONF n’est certainement pas, comme l’affirme le demandeur, [traduction] « […] un parallèle évident au présent cas […] ».

[71] Le titulaire du poste dans Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2000 CRTFP 85 (« MDN »), donnait des conseils à la direction en matière de relations de travail, de dotation et de classification; les ASS n’exercent aucune de ces fonctions de relations de travail pour l’employeur. L’agent de renseignements de sécurité dans ARS était les yeux et les oreilles de la haute direction aux fins des risques liés à la sécurité et avait connaissance de renseignements qui impliquaient des collègues employés en matière d’inconduite; les ASS exercent leurs fonctions de manière indépendante, et non en tant que représentants de l’employeur. Contrairement aux ASS, les titulaires du poste dans Opérations frontalières nationales effectuaient un travail essentiel en matière de relations de travail pour leur employeur. Contrairement aux ASS, les titulaires du poste dans Enquêteurs principaux d’EDSC ont enquêté sur l’inconduite des employés et leurs rapports à la direction ont eu des conséquences disciplinaires directes pour leurs collègues.

[72] Le poste exclu dans Dare et Bédard n’était pas analogue à un poste d’ASS, et cette décision n’explique pas la façon dont des « révélations peuvent alors être faites au sujet du commerce et du travail », à laquelle il a fait référence, pourrait entraîner un conflit d’intérêts. Quant à la proposition du demandeur selon laquelle la décision la plus pertinente est celle concernant les APRT qui ont enquêté sur les demandes et les plaintes en matière de relations de travail et qui ont agi en tant que médiateurs à leur égard, les ASS ne sont ni des praticiens ni des médiateurs en relations de travail au sein d’une commission des relations de travail, et l’application de la santé et de la sécurité au travail ne constituent pas des relations de travail.

[73] Depuis plus de 60 ans, les commissions de travail et les tribunaux ont appliqué une interprétation étroite aux exclusions des postes de direction ou de confiance, de crainte que la grande partie des employés soient exclus de la négociation collective. La Commission a également adopté cette approche depuis ses premières décisions dans Sisson (Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Groupe des services correctionnels), [1979] C.R.T.F.P.C. no 9 (QL) et Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1997] C.R.T.F.P.C no 143 (QL; « Andres et Webb »). De plus, depuis ces décisions antérieures, un changement monumental s’est produit en ce qui concerne le droit désormais constitutionnel des employés de s’organiser et de négocier collectivement. Cela renforce davantage l’importance d’éviter d’entraver inutilement les droits de négocier collectivement.

IV. Motifs de décision

[74] L’alinéa 59(1)g de la Loi se lit comme suit :

Postes de direction ou de confiance

Managerial or Confidential Positions

[…]

59 (1) Après notification d’une demande d’accréditation […] l’employeur peut présenter une demande à la Commission pour qu’elle déclare, par ordonnance, que l’un ou l’autre des postes visés par la demande d’accréditation est un poste de direction ou de confiance pour le motif qu’il correspond à l’un des postes suivants :

59 (1) After being notified of an application for certification … the employer may apply to the Board for an order declaring that any position of an employee in the proposed bargaining unit is a managerial or confidential position on the grounds that

[…]

g) poste dont le titulaire, bien que ses attributions ne soient pas mentionnées au présent paragraphe, ne doit pas faire partie d’une unité de négociation pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de ses fonctions auprès de l’employeur; […]

(g) the occupant of the position has duties and responsibilities not otherwise described in this subsection and should not be included in a bargaining unit for reasons of conflict of interest or by reason of the person’s duties and responsibilities to the employer ….

 

[75] En vertu de l’alinéa 59(1)g) de la Loi, la Commission a pour tâche de déterminer d’abord si les titulaires des postes en litige ont des fonctions et des responsabilités qui ne sont pas décrites par ailleurs au paragraphe 59(1). Dans l’affirmative, la Commission déterminera ensuite si les postes ne devraient pas être inclus dans l’unité de négociation pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de ses fonctions auprès de l’employeur.

[76] Dans le présent cas, il est clair que les titulaires des postes en litige ont des fonctions qui ne sont pas par ailleurs décrites au paragraphe 59(1). Par conséquent, si la Commission décide que les postes sont visés par l’alinéa 59(1)g) pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de leurs fonctions auprès de l’employeur, ils seront déclarés des postes de direction ou de confiance (voir le paragraphe 74(1)).

[77] Dans Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 87, au par. 9, la Cour d’appel fédérale a formulé les commentaires suivants au sujet du libellé général de l’alinéa 59(1)g) :

[9] En outre, le libellé de l’alinéa 59(1)g) de la LRTSPF n’est pas circonscrit, ce qui laisse à la CRTESPF une latitude considérable pour dégager le sens de cette disposition. Tel que souligné dans la décision Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2012 CRTESPF 46, 2012 CarswellNat 1341, au par. 70, la disposition « […] confère à la CRTFP un pouvoir discrétionnaire très large pour exclure un employé sur la base d’aspects de ses fonctions et de ses responsabilités […] ».

 

[78] Le présent cas s’est déroulé à l’origine par voie d’arguments écrits, y compris les arguments supplémentaires concernant la décision rendue dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 24. (Cette décision a depuis fait l’objet d’un contrôle judiciaire et elle a été jugée ne pas comporter des motifs suffisants concernant l’alinéa 59(1)g) et elle a été renvoyée à la Commission (voir Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2022 CAF 204). Au paragraphe 8 de cette décision, la Cour d’appel fédérale a cité et répété le commentaire ci‑dessus et a poursuivi comme suit :

[8] […] Chaque demande présentée en application de l’alinéa 59(1)g) doit être tranchée « en fonction de ses propres circonstances en se reportant à la jurisprudence qui s’est établie » (Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2000 CRTFP 46 au para. 31).

 

[79] Par conséquent, je commence mon analyse en tenant compte de ces principes. Les demandes présentées en vertu de l’alinéa 59(1)g) doivent être tranchées en fonction de leurs propres circonstances en faisant référence à la jurisprudence qui a été établie. Le libellé de la disposition qui n’est pas circonscrit confère à la Commission un pouvoir discrétionnaire considérable pour accomplir cette tâche.

A. Les droits de négocier collectivement ne doivent pas être écartés inconsidérément

[80] Les commissions du travail et les tribunaux ont constamment abordé les demandes d’exclusion de postes de direction ou de confiance avec prudence afin de s’assurer que le plus grand nombre d’employés ont accès à la négociation collective; voir, par exemple, United Steelworkers of America v. Cominco Ltd., [1980] CarswellNat 698, au par. 24, comme suit, où le CCRT a cité avec approbation sa décision dans International Longshoremen’s and Warehousemen’s Union, Ship and Dock Foremen, Local 514 v. Vancouver Wharves Ltd., [1974] CarswellNat 419, au par. 179 :

On ne met pas en doute, de l’avis du Conseil, le fait que le Parlement du Canada, tout autant que les législatures provinciales, soit lié par la politique fondamentale selon laquelle il faut favoriser la négociation collective et l’étendre à autant de personnes que possible. Le droit à la négociation collective n’est ni un privilège ni une concession ni une faveur, mais un droit fondamental dont on ne saurait priver quelque employé que ce soit, à moins de raisons très graves […]

[Je mets en évidence]

 

[81] La Commission a déclaré ce qui suit au paragraphe 73 de sa décision Sisson de 1979 : « Il nous faut aussi veiller à ce que le plus grand nombre de personnes possible jouissent des libertés et des droits rattachés à la négociation collective. » Dans sa décision Andres et Webb de 1997, la Commission a déclaré ce qui suit au paragraphe 28 : « Il est particulièrement important, au moment d’interpréter l’alinéa 5.1(1)d), de se rappeler que le droit d’adhésion à une unité de négociation (syndicalisation) ne devrait pas être enlevé à la légère. » De plus, dans de nombreuses décisions au cours des années, plus récemment dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2020 CRTESPF 41, la Commission a affirmé ce qui suit au par. 36 : Dans son interprétation de ces mots [al. 59(1)(g)], la Commission s’est montrée très prudente et consciente du fait qu’elle ne devait pas priver à la légère un fonctionnaire de son droit à la négociation collective. » (Voir également ARS, au par. 71; et Enquêteurs principaux d’EDSC, au par. 101.)

[82] Dans AJJ 1, confirmée dans AJJ 2, la Commission a déclaré ce qui suit :

[…]

[37] […] De plus, comme l’a indiqué la prédécesseure de la Commission (la Commission des relations de travail dans la fonction publique ou CRTFP) dans Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2012 CRTFP 46, au par. 71, « [l]a perte de la protection de l’agent négociateur et des bénéfices découlant d’une convention collective peut avoir des répercussions importantes sur un employé. Ces avantages ne devraient pas être retirés inconsidérément ».

[…]

 

[83] Le demandeur a soutenu que la défenderesse faisait valoir un argument fondé sur les valeurs de la Charte en proposant que les dispositions d’exclusion doivent être interprétées de façon étroite. Le demandeur a fait valoir qu’en l’absence d’ambiguïté, la Commission ne pouvait pas interpréter de manière atténuante les dispositions législatives afin qu’elles soient conformes aux valeurs de la Charte. La Cour suprême du Canada a déclaré que, lorsqu’il faut interpréter une loi sans ambiguïté, les décideurs doivent donner effet à l’intention législative clairement exprimée et éviter d’utiliser la Charte pour obtenir un résultat différent. (Voir par exemple, Bell ExpressVu Limited Partnership, au par. 66.)

[84] Pour trancher ces demandes, il n’est pas question d’interpréter de manière atténuante la disposition législative afin qu’elle soit conforme aux valeurs de la Charte. La présente décision porte plutôt sur l’application de l’al. 59(1)g) de la Loi. En appliquant cette disposition, je souscris aux nombreuses décisions qui ont reconnu depuis longtemps l’importance des droits de négocier collectivement et qui ont donné une mise en garde à maintes reprises selon lesquelles ils ne doivent pas être retirés inconsidérément.

B. Le critère permettant de conclure à un conflit d’intérêts dans une demande présentée en vertu de l’alinéa 59(1)g)

[85] Le demandeur a fait remarquer que la Loi ne prévoit aucune définition de l’expression « conflit d’intérêts », mais il a fait référence aux décisions Atkins et Assh pour proposer qu’il s’agisse d’un concept bien établi dans la jurisprudence de la Commission.

[86] La décision Atkins portait sur un agent de réglementation maritime qui a été suspendu lorsqu’il a démarré sa propre entreprise maritime, soulevant la question de savoir si l’intérêt public dans la bonne administration de la réglementation maritime allait à l’encontre de l’intérêt qu’il portait à ses affaires économiques privées. La Commission a conclu par l’affirmative.

[87] La décision Assh portait sur un fonctionnaire du gouvernement fédéral qui avait reçu une somme d’argent qui lui avait été léguée par une personne qu’il avait aidée à régler des questions de pension. La Cour d’appel fédérale a conclu que le critère consistait à savoir si une personne raisonnable penserait qu’il y a une possibilité réaliste que l’acceptation du don puisse nuire à l’exercice futur des fonctions de l’employé. Le demandeur a fait valoir qu’il s’agit du critère juridique de conflit d’intérêts.

[88] Je n’accepte pas que le critère de la « personne raisonnable » décrit dans Assh soit le critère applicable dans le contexte d’une demande présentée en vertu de l’alinéa 59(1)g). Il n’a pas été ainsi appliqué dans la jurisprudence de la Commission.

[89] Ce critère a été cité dans des décisions concernant des griefs disciplinaires portant sur des conflits d’intérêts (voir, par exemple, Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62, aux paragraphes 160 à 166), mais pas dans le présent contexte. Les questions soulevées dans Atkins, Assh et Brazeau étaient considérablement différentes de celles devant moi – elles traitaient de conflits d’intérêts réels ou potentiels entre les fonctions des représentants fédéraux et leurs intérêts économiques privés.

[90] La Commission a longtemps rejeté la proposition selon laquelle cette analyse devrait être effectuée du point de vue d’un tiers et a déclaré qu’elle devrait plutôt la trancher, en se fondant sur son opinion de tous les faits pertinents (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Commission de la fonction publique), [1985] C.R.T.F.P.C. no 51 (QL; « Brownlee »)).

[91] La Commission a interprété l’alinéa 59(1)g) comme suit dans ARS, aux paragraphes 69 à 72 :

69 L’alinéa 59(1)g) de la LRTFP est une disposition générique qui semble destinée à englober les situations pour lesquelles exclure un employé peut être justifié par un motif, parmi un large éventail, qui ne figure pas dans les descriptions plus précises des autres alinéas. Le terme « conflit d’intérêts » peut signifier soit que le conflit doit être constaté en examinant les fonctions et les obligations dont s’acquitte l’employé de façon générale (plutôt qu’en se référant à l’exercice précis de tout pouvoir de direction ou de décision ou d’une fonction reliée aux relations de travail) ou que la caractéristique particulière du poste qui donne lieu au conflit d’intérêts n’est pas visée par les autres alinéas parce qu’il est impossible de prévoir tous les cas où un conflit peut survenir au moment de rédiger une loi.

70 Le deuxième motif d’exclusion du poste d’un titulaire en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP – « […] ses fonctions auprès de l’employeur […] » – est encore moins limitatif. Cette description confère à la CRTFP un pouvoir discrétionnaire très large pour exclure un employé sur la base d’aspects de ses fonctions et de ses responsabilités et pour demander aux arbitres de grief de considérer avec soin, en vertu de cet alinéa, les relations globales entre le poste et les intérêts du demandeur. Dans ce contexte, il n’est peut‑être pas surprenant que la jurisprudence ne soit pas parvenue à articuler un ensemble de critères clairs pour l’application de cette disposition. Dans Gestrin et Sunga, l’ancienne Commission avait émis l’hypothèse que l’ancienne version de cette disposition devait exiger que l’on détermine si un employé faisait partie de l’équipe de gestion. Dans des cas ultérieurs, comme Andres et Webb, on avait conclu que le concept d’équipe de gestion ne pouvait rendre compte de tous les conflits d’intérêts pouvant justifier l’exclusion en vertu de cette disposition et que les arbitres de grief devraient examiner la question de manière plus générale. Bien que les décisions qui m’ont été soumises traitent souvent des concepts d’« équipe de gestion » et de « conflit d’intérêts », qui sont considérés comme étant étroitement reliés et comme faisant partie d’une approche globale pour évaluer un poste, elles apportent peu d’éclaircissements en matière de définition ou de critères pour effectuer une telle évaluation. À dire vrai, puisque cette disposition semble avoir été conçue pour servir de clause passe‑partout conférant à la CRTFP un champ d’application étendu pour considérer l’exclusion de postes peu communs et qui ne peuvent être prévus, on ne devrait pas attendre de la CRTFP qu’elle entrave son pouvoir discrétionnaire en tentant de fournir une définition plus restrictive de sa tâche.

71 À de nombreuses occasions, les arbitres de grief ont conseillé la prudence lorsqu’il s’agit de déterminer si un poste devrait être exclu d’une unité de négociation. La perte de la protection de l’agent négociateur et des bénéfices découlant d’une convention collective peut avoir des répercussions importantes sur un employé. Ces avantages ne devraient pas être retirés inconsidérément.

72 D’un autre côté, dans certaines circonstances, inclure un employé dans une unité de négociation peut compromettre l’efficacité de cet employé dans l’exercice de fonctions essentielles pour le demandeur. Il ressort de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP que les raisons permettant de conclure à l’existence de ce risque peuvent comprendre des facteurs qui ne sont pas pris en compte d’ordinaire. S’il est conclu qu’il y a une incompatibilité fondamentale entre les fonctions d’un employé et son inclusion dans une unité de négociation, le poste de l’employé peut légitimement être exclu.

 

[92] Dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2020 CRTESPF 41, la Commission a fait référence à la décision ARS avec approbation, comme suit :

[…]

[39] Après avoir examiné la jurisprudence plutôt rare qui traite des exclusions faites en vertu de l’alinéa 59(1)g) et des dispositions législatives qui l’ont précédé, la Commission a conclu que le poste devait être exclu. Selon la Commission, l’alinéa 59(1)g) prévoit un motif supplémentaire à la disposition de l’employeur pour exclure un poste qui n’est pas clairement un poste de direction, ni un poste qui joue un rôle dans les relations de travail, mais qui entraîne un conflit d’intérêts insoutenable ou est indéfendable dans le cadre de l’unité de négociation, de par sa nature même. Comme le déclare la Commission, « […] dans certaines circonstances, inclure un employé dans une unité de négociation peut compromettre l’efficacité de cet employé dans l’exercice de fonctions essentielles pour le demandeur ».

[40] Les paragraphes qui suivent exposent en détail le raisonnement de la Commission qui justifie l’exclusion :

76 L’alinéa 59(1)g) de la LRTFP m’accorde un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer si un poste devrait être exclu. Bien entendu, je ne peux tout bonnement retirer le poste de l’unité de négociation sans justification. Je partage l’avis de l’avocat du demandeur à savoir que la jurisprudence invoquant cet alinéa ou les dispositions qui l’ont précédé n’a pas apporté de définition claire de l’éventail de circonstances dans lesquelles il peut s’appliquer. Le but manifeste de cet alinéa est de permettre à la CRTFP de prendre en compte des situations qui ne correspondent à aucune des justifications habituelles pour exclure un poste d’une unité de négociation. Par conséquent, il n’est pas surprenant qu’aucune description précise des circonstances visées par cet alinéa n’ait été produite. Normalement, le recours à cette disposition législative devrait être restreint, et elle ne devrait être jugée applicable que dans des situations inhabituelles.

[…]

 

[93] Je souscris au raisonnement de ces décisions qui laissent entendre que l’alinéa 59(1)g) peut être appliqué de façon appropriée pour déclarer un poste de direction ou confidentiel lorsqu’il y a conflit d’intérêts avec l’inclusion dans une unité de négociation ou une incompatibilité fondamentale entre les fonctions et responsabilités essentielles de l’employé auprès du demandeur, comme l’a décidé la Commission en se fondant sur son opinion de tous les faits pertinents.

[94] Le demandeur a également invoqué Assh à l’appui de la proposition selon laquelle il n’est pas nécessaire qu’une conclusion de conflit d’intérêts soit fondée sur des éléments de preuve directs, mais qu’elle peut être fondée sur un jugement pratique et une inférence logique, une norme de preuve peu exigeante.

[95] Je fais remarquer que, comme suit, dans Assh, la Cour est parvenue à cette conclusion dans un contexte considérablement différent – lorsque les intérêts privés d’un représentant fédéral (et d’un fiduciaire ayant une relation avocat‑client) auraient pu être en conflit avec ses fonctions officielles :

[…]

76 À mon avis, la question pertinente à poser quant à l’application de l’article 27 en l’espèce est de savoir si la personne raisonnable penserait qu’il y a une possibilité réaliste que l’acceptation du legs puisse nuire à l’exercice futur des fonctions officielles de l’employé. Cette norme de preuve relativement peu exigeante correspond également au contexte dans lequel se pose la question : il s’agit de la relation avocat‑client. À titre de fiduciaire, l’avocat‑conseil spécialisé en pensions a la confiance de son client et occupe une position d’influence. On pourra rarement produire une preuve indépendante de ce qui s’est passé entre les deux ou de la dynamique de cette relation particulière.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[96] Même si Assh a été tranchée dans un différent contexte, il convient de noter qu’un conflit d’intérêts en vertu de l’alinéa 59(1)g) peut être à la fois réel ou potentiel (voir Conseil du Trésor (ministère de la Justice) c. Association des Juristes de Justice, 2020 CRTESPF 59, aux paragraphes 30 et 39; et Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 87). Par conséquent, il est logique que des jugements pratiques et des inférences logiques puissent être invoqués dans certaines circonstances, par exemple lorsqu’un conflit d’intérêts potentiel plutôt que réel est allégué.

[97] Toutefois, un raisonnement inférentiel peut être utilisé pour démontrer un conflit d’intérêts potentiel en l’absence d’éléments de preuve directs, seulement s’il est fondé sur des faits objectifs qui permettent de faire de telles inférences raisonnablement. Sinon, il s’agit d’une conjecture. Voir Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25 (Sherman (Succession)), au par. 97, où la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

[97] […] Or, ce raisonnement inférentiel ne permet pas de se livrer à des conjectures inadmissibles. Une inférence doit tout de même être fondée sur des faits circonstanciels objectifs qui permettent raisonnablement de tirer la conclusion par inférence. Lorsque celle‐ci ne peut raisonnablement être tirée à partir des circonstances, elle équivaut à une conjecture (R. c. Chanmany, 2016 ONCA 576, 352 O.A.C. 121, par. 45).

 

C. Jurisprudence en vertu de l’alinéa 59(1)g) et ses versions antérieures

[98] La jurisprudence antérieure de la Commission a établi que les postes de direction ou de confiance étaient liés aux gestionnaires, y compris les quasi‑gestionnaires et certains postes consultatifs considérés comme faisant partie de l’équipe de gestion. Le concept de l’équipe de gestion a été élaboré pour la première fois dans Institut professionnel du Service public du Canada c. Conseil du Trésor, [1971] C.R.T.F.P.C. no 8 (QL; Gestrin et Sunga). Voici ce que la Commission a fait remarquer dans Sisson :

[…]

64. Dans l’affaire Gestrin et Sunga (supra), la Commission expose le principe de l’« équipe de gestion » et établit un lien direct entre les fonctions et responsabilités qui caractérisent une personne membre d’une « équipe de gestion » et le conflit d’intérêts auquel elle peut faire face si elle est en même temps membre d’une unité de négociation. Voici ce qu’elle dit à la page K725 :

Le sous‑alinéa (vii) de l’article 2u) confère à la Commission une grande discrétion. On y trouve peu de précisions sur la ligne de conduite qu’elle devrait suivre pour déterminer si une personne répond à la définition qui est donnée. Les discussions du comité mixte spécial de la Chambre des communes et du Sénat concernant les relations entre employeurs et employés dans la fonction publique du Canada et les débats sur le bill C‑170 aux Communes et au Sénat ne font rien de plus que de préciser qu’au moment où le Bill était à l’étude, il n’était pas possible de « prévoir toutes les circonstances dans lesquelles l’employeur devrait faire une proposition visant à faire exclure une personne remplissant des fonctions de gestion »; on a jugé nécessaire l’inclusion d’une clause « passe‑partout », pour que la Commission puisse régler les situations spéciales. Puisque nous n’avons que ces renseignements, il nous semble qu’on devrait invoquer le sous‑alinéa (vii) pour permettre la désignation de personnes qui, bien qu’elles ne soient pas autrement décrites aux sous‑alinéas (iii) à (vi), doivent être considérées principalement comme membres de ce que nous pourrions appeler « l’équipe de gestion » […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

[99] Ce concept a été porté un peu plus loin que l’équipe de gestion même dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Groupe de l’achat et de l’approvisionnement), dossier de la Commission 174‑02‑250 (19770214; « Lemieux »). Au paragraphe 17, la Commission a ajouté ce qui suit :

17. […] Toutefois, bien que l’on puisse dire que toute participation à l’équipe de gestion entraîne la possibilité de conflit d’intérêts, l’inverse n’est pas nécessairement vrai. En d’autres termes, une personne peut être exclue en vertu de l’alinéa g) même si elle n’a rien de commun avec l’équipe de gestion, pourvu qu’il soit prouvé qu’il peut y avoir conflit d’intérêts entre ses fonctions et responsabilités envers l’employeur, qui ne sont pas décrites aux alinéas c) à f). […]

[Je mets en évidence]

 

[100] La Commission a indiqué qu’elle devait être convaincue qu’il y avait une réelle possibilité de conflit d’intérêts entre les fonctions de M. Lemieux envers son employeur à titre de vérificateur et ses intérêts à titre de membre de l’unité de négociation.

[101] Dans la décision Brownlee, la Commission a examiné un prétendu conflit d’intérêts concernant des vérificateurs qui ont formulé des recommandations sur des questions telles que les reclassifications ou l’instauration de nouvelles technologies qui réduiraient le nombre d’employés dans le milieu de travail. La Commission a refusé de déclarer ces postes de direction ou de confiance. Elle a conclu que de nombreux employés sont confrontés à des conflits d’intérêts, importants et faibles, presque quotidiennement en raison de leurs fonctions et responsabilités auprès de l’employeur. Certains sentiments de malaise n’étaient pas suffisants pour exclure les postes.

[102] Dans Andres et Webb, la Commission a appliqué l’al. 5.1(1)d) de l’époque (semblable à l’alinéa 59(1)g) tel que cela a été mentionné dans 2020 CRTESPF 41 au par. 45), comme suit :

[…]

27 En vertu de l’alinéa 5.1(1)d), la Commission a une certaine latitude pour déterminer si les fonctions et les responsabilités d’un poste rattachent le titulaire de ce poste à l’employeur au point d’en justifier l’exclusion ou s’il y a risque d’un grave conflit d’intérêts entre les fonctions du poste et l’adhésion du titulaire à l’unité de négociation. C’est à cet égard que la notion « d’équipe de gestion » définie par la Commission au fil des années s’applique.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[103] Dans le cas ARS mentionné précédemment dans la présente décision, la Commission a examiné un poste d’agent de renseignements de sécurité dans un centre psychiatrique régional. Le poste a été exclu en raison de sa « relation de confiance » privilégiée avec la haute direction de l’établissement, qui se fiait aux conseils du titulaire du poste au sujet des risques pour la sécurité. Sa relation avec la direction devait en être une de confiance absolue, ce qui a été jugé créer une incompatibilité fondamentale entre ses fonctions professionnelles et son appartenance à une unité de négociation. La Commission a affirmé ce qui suit :

[…]

77 J’ai conclu que la situation présentée dans l’affaire qui nous occupe commandait l’application de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP. Bien que les caractéristiques justifiant habituellement l’exclusion – l’exercice de fonctions de direction, le pouvoir décisionnel étendu et la participation aux dossiers relatifs aux relations de travail – ne sont pas associées au poste d’ARS, il apparaît évident […] que les fonctions de l’ARS sont fortement liées au processus de prise de décisions en matière de sécurité aux échelons supérieurs de l’établissement. […] Un ARS a la lourde responsabilité de s’assurer que les produits de renseignement fournis sont fondés sur une appréciation et un classement de priorités corrects, que toutes les recommandations représentent une évaluation fiable de la nature et de l’ampleur d’une menace et que la haute direction peut prendre avec confiance les décisions qui s’imposent. Ces décisions doivent souvent être prises dans des conditions difficiles où le facteur temps importe, et il est primordial que les gestionnaires et l’ARS aient une relation de confiance mutuelle.

78 […] Toutefois, dans le présent cas, il est crucial que la haute direction d’un établissement correctionnel puisse accéder en tout temps à l’aide que seul l’ARS peut fournir. Elle doit être en mesure de discuter de renseignements de nature délicate et d’analyser des options opérationnelles dans une atmosphère de confiance absolue. À mon avis, cette situation créée une incompatibilité fondamentale entre le rôle de l’ARS et son appartenance à une unité de négociation.

79 […] Si le poste d’ARS était inclus, la relation de confiance privilégiée entre l’ARS et la haute direction de l’établissement entrerait en conflit avec les obligations de l’ARS envers les autres membres de l’unité de négociation. […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

[104] Dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2020 CRTESPF 41, mentionnée précédemment, la Commission a conclu que l’exclusion de deux postes de coordonnateur ou coordonnatrice, Soutien juridique, en faisant remarquer que le libellé de l’alinéa 59(1)g) était curieux, créant en quelque sorte une expression passe‑partout et, par conséquent, elle s’est inspirée de l’interprétation donnée par la Commission de cette expression particulière. Citant le raisonnement dans ARS avec approbation, la Commission a conclu que même si les coordonnateurs du soutien juridique n’étaient pas à un niveau de classification particulièrement élevé, ils faisaient partie de l’équipe de direction en raison de l’organisation de leur travail. Suivant Gestrin et Sunga, la Commission a conclu que cela entraînerait une situation intenable – les titulaires étaient trop étroitement liés à la direction pour faire partie de l’unité de négociation.

D. La jurisprudence invoquée par le demandeur se distingue

[105] Le demandeur n’a pas laissé entendre que les ASS faisaient partie de l’équipe de gestion. Il a renvoyé la Commission à une certaine jurisprudence et a affirmé que, dans ces décisions, la Commission avait conclu que les employés qui ne faisaient pas partie de l’équipe de gestion étaient néanmoins en situation de conflit d’intérêts.

[106] Toutefois, dans tous ces cas sauf deux, les fonctions du poste exigeaient que le titulaire gère l’organisation ou une relation de confiance absolue avec la direction, ou une harmonisation sans équivoque avec les intérêts de la direction et un engagement envers ces derniers, ce qui a donc entraîné une incompatibilité fondamentale avec l’appartenance à une unité de négociation.

[107] Voir, par exemple, l’évaluation par la Commission de l’infirmière dans ONF, dont les fonctions consistaient à donner à la direction son évaluation de la question de savoir si un employé était malade ou s’il y avait un manque de « discipline personnelle » :

[…]

Habituellement, il est jugé que les infirmières sont à bon droit membres de l’unité de négociation étant donné que, dans l’exercice de leurs fonctions, elles ne font pas partie de l’équipe de gestion. Toutefois, il peut arriver qu’une infirmière ait un rôle différent en ce sens qu’en plus de ses fonctions strictement professionnelles, elle doit assumer, compte tenu de la taille relativement peu importante de l’organisme pour lequel elle travaille, d’autres fonctions qui l’obligent à participer et à collaborer à la gestion de l’organisme, de sorte qu’elle doit être exclue de l’unité de négociation parce qu’elle fait face à un conflit d’intérêts. À mon avis, tel est ici le cas.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[108] Le directeur dans MDN a été très impliqué dans la prestation de conseils à la direction en matière de relations de travail, de dotation et de classification. La Commission a clairement indiqué, comme suit, que le conflit d’intérêts qu’elle a constaté était lié à ces fonctions particulières :

[…]

[23] De plus, compte tenu de la nature des fonctions assumées par la titulaire du poste dans les domaines de la négociation collective, des griefs et de la classification, je conclus que le poste ne devrait pas être inclus dans une unité de négociation pour des raisons de conflit d’intérêts qui, en l’espèce, serait à la fois apparent et réel.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[109] Autre exemple, l’agent de renseignements de sécurité dans ARS qui était « les yeux et les oreilles » de la haute direction qui se fiait à ses conseils en matière de risques pour la sécurité et qui avait également connaissance de renseignements sur la présumée inconduite des employés. Même s’il ne faisait pas partie de l’équipe de gestion, ses fonctions exigeaient une relation de confiance et une confiance absolue avec l’employeur, ce qui a créé une incompatibilité fondamentale avec l’appartenance à une unité de négociation.

[110] Considérons également les titulaires dans le cas Enquêteurs principaux d’EDSC, qui ont enquêté sur les allégations d’inconduite des employés et qui ont fourni les bases factuelles sur lesquelles la direction a pris des décisions visant la révocation des autorisations sécuritaires ou à prendre des mesures disciplinaires ou à licencier des employés. De plus, leur employeur les a appelés à témoigner devant la Commission à l’appui de telles décisions. La Commission a conclu comme suit :

[…]

100 Bien que je ne considère pas les titulaires des postes en question comme des membres de l’équipe de gestion, et que je sois au fait qu’ils ne participent pas à la prise de décisions, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que leurs fonctions et responsabilités auprès de l’employeur peuvent mener à un conflit d’intérêts, au sens de l’alinéa 59(1)g) de la Loi, à l’instar de la situation de l’infirmière dans Office national du film du Canada.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[111] De plus, il y a ensuite les postes examinés dans Opérations frontalières nationales, au sujet desquels la Commission a affirmé ce qui suit :

[…]

60 Je ne saurais imaginer des aspects plus importants de la conduite par la direction des relations de travail que la gestion sûre et stable des opérations pendant une période critique de moyens de pression au travail, de négociation collective et des grèves. […]

[…]

65 […] je respecte le concept de l’équipe de gestion soulevé dans Gestrin et Sunga, Lalonde et Lacombe et en particulier les mots de M. Finkelman cités ci‑dessus en ce qui concerne le fait que les employés ne peuvent se trouver des deux côtés de la table durant la négociation collective.

[…]

67 L’employeur doit être en mesure d’exploiter et d’organiser ses affaires de sorte qu’il n’a pas à craindre que ses fonctionnaires qui participent aux activités d’entreprises critiques puissent avoir des conflits de loyauté.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[112] Aucune des fonctions examinées dans les cas cités par le demandeur n’est en aucune façon analogue au rôle de l’ASS. Indépendamment de toutes les parties, les ASS sont chargés d’enquêter et d’évaluer les conditions de travail particulières ou les dangers allégués dans un milieu de travail afin d’aider à assurer un milieu de travail sécuritaire et sain pour tous, y compris la haute direction et les autres employés qui ne font pas partie de l’unité de négociation. Les fonctions et les responsabilités des ASS ne sont pas harmonisées aux intérêts de la direction. Il n’est pas nécessaire qu’ils aient une relation de confiance avec la direction. Ils ne sont pas du tout liés à la direction. Au contraire, ils doivent être neutres entre les employeurs, les employés ou les syndicats, et leurs décisions peuvent toucher tout le monde dans le milieu de travail.

[113] Selon la défenderesse, les ASS ont un pouvoir relatif aux conditions d’emploi de leurs collègues parce qu’ils prennent des décisions concernant la condition d’emploi la plus importante, soit la santé et la sécurité. Le rôle des ASS en tant que délégués neutres et indépendants du ministre du Travail qui appliquent le Code de manière à toucher tous les employés n’est pas analogue au pouvoir dont disposent la direction, ou les employés ayant une allégeance envers la direction, à l’égard des conditions de travail des employés appartenant à l’unité de négociation.

[114] Seulement deux des décisions citées par le demandeur à l’appui de ses demandes ne reposaient pas clairement sur le concept de fonctions qui exigeaient une allégeance étroite et une relation de confiance avec la direction. Il s’agit de Dare et Bédard et de la décision APRT.

[115] Dare et Bédard est une décision opaque qui n’explique pas la base sur laquelle elle a été prise. M. Dare était le directeur de la Section de l’aide de l’ACDI à Bridgetown, à la Barbade. L’AFPC était l’agent négociateur dans ce cas, et elle a soutenu que « [b]ien que les activités de tout fonctionnaire puissent en principe donner lieu à un conflit d’intérêts […] », il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve d’un conflit d’intérêts suffisant inhérent aux fonctions de M. Dare pour justifier une exclusion. Elle a également fait valoir que « [l]e rapport de l’examinateur ne mentionne d’ailleurs rien à ce sujet [conflit d’intérêts] » et que « [c]ertes, la Commission peut conclure qu’il y a conflit d’intérêts, mais le manque de preuves évidentes sur ce point devrait la convaincre du contraire ».

[116] La Commission n’a pas examiné ces arguments et a simplement déclaré que, même s’il n’y avait pas d’éléments de preuve suffisants pour démontrer que M. Dare était un membre de l’équipe de gestion, la preuve permettait amplement de conclure que s’il voulait jouer son rôle intégralement et efficacement, il était « […] exposé à un conflit d’intérêts ». Elle a également déclaré ce qui suit :

[…]

En tant que membre de l’unité de négociation, M. Dare pourrait se trouver en situation de conflit d’intérêts lorsqu’il traite avec les chefs de gouvernement des Caraïbes, étant donné que des révélations peuvent alors être faites au sujet du commerce et du travail dans cette région et que M. Dare est censé intercéder pour l’industrie canadienne auprès de la Banque de développement des Caraïbes. Cette situation de conflit pourrait influer sur les recommandations que M. Dare doit faire à Ottawa. […]

[…]

 

[117] La décision ne mentionne aucun élément de preuve qui justifierait une telle conclusion. Elle ne tente pas d’expliquer la nature du conflit d’intérêts ni comment il aurait pu influencer les recommandations de M. Dare. Elle n’indique pas non plus, en l’absence d’éléments de preuve directs, un fondement factuel en fonction de laquelle la Commission aurait pu faire un jugement pratique ou une inférence selon lesquels les fonctions de M. Dare créeraient un conflit d’intérêts s’il faisait partie de l’unité de négociation. La seule fois où la décision mentionne même l’unité de négociation est la phrase d’introduction du paragraphe de conclusion, qui dit simplement, « En tant que membre de l’unité de négociation, […] ».

[118] Même le demandeur, même s’il cherche à invoquer cette décision, semble la trouver moins convaincante. Dans son premier argument, il a simplement énuméré cette décision, mais n’a fait aucun commentaire à son égard. Dans un argument ultérieur, il a déclaré ce qui suit :

[…]

[Traduction]

Il est respectueusement soutenu que l’inférence tirée entre les intérêts de l’AFPC en ce qui concerne les décisions de financement touchant le commerce et le travail dans les pays des Caraïbes est beaucoup moins directe et évidente que la demande actuelle (où les décisions prises par les ASS ont une incidence directe et immédiate sur un aspect essentiel de l’emploi, c’est‑à‑dire la santé et la sécurité).

[…]

 

[119] À mon avis, la décision rendue dans Dare et Bédard est, au mieux, douteuse, et compte tenu de son raisonnement impénétrable, elle ne peut fournir aucune orientation à la Commission aux fins de l’analyse de la question en litige.

[120] Le demandeur a reconnu que la décision APRT était le cas le plus directement pertinent. À mon avis, il s’agit du seul cas présenté à la Commission qui est semblable à la présente situation factuelle. Les agents principaux des relations de travail du CCRT traitaient des demandes d’accréditation et de retrait d’accréditation, des ordonnances de cessation de grève et de lock‑out, des plaintes pour pratiques déloyales de travail (y compris le devoir de représentation équitable) et des plaintes de refus de travailler et de représailles. Leur rôle consistait à enquêter sur les demandes et à mener la médiation de plaintes. Ils ne prenaient pas de décisions, mais le CCRT se fiait souvent à leurs recommandations. À la page 8, la Commission a conclu que les APRT devraient être exclus de l’unité de négociation, comme suit :

[…] Un conflit d’intérêts ou une possibilité de conflit d’intérêts qui mine le rôle même de l’employeur, diminue l’efficacité des agents principaux des relations du travail et exige le transfert de lourdes tâches et responsabilités aux directeurs dont relèvent ces agents ne peut pas être toléré et il faut y mettre fin le plus tôt possible. Toute interprétation raisonnable de l’alinéa g) de l’article 2 montre que la Commission a compétence pour mettre fin, au moyen du processus d’exclusion, à une situation où « en raison de ses fonctions et responsabilités », comme il en est fait mention dans la présente décision, l’agent principal des relations du travail fait face à un conflit d’intérêts ou à une possibilité de conflit d’intérêts. À l’appui de cette position, mentionnons la décision rendue dans l’affaire Le Bureau du vérificateur général du Canada et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (dossier de la Commission 172‑14‑297).

 

[121] La seule jurisprudence que la Commission a cité à l’appui de sa décision était Lalonde, qui traitait d’un vérificateur dont les fonctions exigeaient de travailler en étroite collaboration avec les agents financiers principaux et une harmonisation étroite avec les intérêts de la direction. Elle n’a pas traité d’un conflit d’intérêts présumé du genre de celui que la Commission a jugé « évident » dans la situation d’APRT; par conséquent, la façon dont cette décision étayait la conclusion de la Commission n’est pas claire.

[122] Quoi qu’il en soit, la conclusion de la Commission d’un conflit d’intérêts était fondée sur la participation directe des APRT aux questions de relations de travail contradictoires dans tous les aspects de leur travail. À mon avis, pour ce motif, elle se distingue du présent cas. Les ASS ne sont pas des praticiens en relations de travail au sein d’une commission des relations de travail et leurs fonctions ne concernent pas le traitement des questions en matière de relations de travail.

[123] Le vice‑président de l’époque du CCRT a témoigné que le problème était la perception des parties qui comparaissaient devant lui et que le CCRT avait reçu des déclarations de préoccupation et une plainte écrite selon lesquelles les APRT faisaient partie de l’unité de négociation. Il n’est pas surprenant que le CCRT ait reçu de telles déclarations de préoccupation étant donné la participation directe et constante des APRT dans les relations de travail contradictoires des parties. Aucun tel élément de preuve n’a été présenté dans le présent cas.

[124] Apparemment, les ASS s’acquittent de leurs fonctions de façon satisfaisante depuis un certain temps sans que personne ne présente une plainte de conflit d’intérêts potentiel (sauf les allégations fallacieuses que l’APC et l’employeur ont formulées contre l’ASS Grundie), et sans que le demandeur ne cherche à les retirer de l’unité de négociation avant qu’elle ne présente ces demandes. S’il y avait un conflit d’intérêts avec leur inclusion dans l’unité de négociation ou une incompatibilité fondamentale entre leurs fonctions et leur inclusion dans l’unité de négociation, cela aurait certainement déjà été soulevé.

[125] Il y avait aussi des éléments de preuve dans le cas APRT selon lesquels afin de gérer le travail du secteur public, les directeurs devaient assumer de « lourdes tâches », ce qui constituait une solution qui, selon la Commission, ne pouvait être acceptée qu’à titre de mesure temporaire. Mme Roussel a mentionné qu’il y a plus de travail dans le secteur public qu’auparavant et qu’il est parfois difficile d’assurer une couverture. Toutefois, rien ne laisse entendre que les gestionnaires n’aient jamais eu à faire le travail des ASS en raison d’un conflit d’intérêts potentiel ou qu’une telle mesure n’ait jamais été envisagée.

[126] Une augmentation du travail dans le secteur public ne serait pertinente que si certains ASS exclus exécutaient déjà ce travail et que les présentes demandes visaient à obtenir des exclusions supplémentaires pour couvrir l’augmentation. Ce n’est pas le cas dans la présente affaire. Rien ne laisse entendre que les ASS n’aient pas toujours géré tous les travaux dans le secteur public.

E. Les ASS sont des agents de conformité

[127] Les ASS sont classifiés au groupe TI et sont visés par la définition du groupe TC, qui se lit comme suit : « Le groupe Services techniques comprend les postes qui sont principalement liés à l’exécution et à l’inspection d’activités techniques spécialisées, et à l’exercice de leadership pour ces activités. »

[128] Le demandeur a souligné ce qu’il considère comme un aspect décisionnel du rôle, affirmant que les ASS entendent les éléments de preuve et les arguments des deux parties et prennent des décisions exécutoires; qu’ils n’appliquent pas seulement des règles techniques à des propositions factuelles neutres, mais qu’ils doivent plutôt intervenir en tant qu’arbitre de différends relativement aux différends que les parties n’ont pas été en mesure de régler. Dans son interrogatoire principal, il a été demandé à Mme Roussel si les ASS pouvaient être décrits comme arbitres de différends en matière de refus de travailler et elle a convenu qu’ils pourraient être décrits de cette façon. Étant donné que cette réponse a été offerte en convenant à une question suggestive, je lui accorde peu de poids.

[129] Toutefois, elle a précisé qu’il était très important d’entendre l’employé qui refuse de travailler et de recueillir tous les renseignements disponibles. Cela concorde avec sa réponse à une question en contre‑interrogatoire quant à savoir si les ASS sont semblables aux policiers, étant donné qu’ils sécurisent des scènes, prennent des déclarations de témoins, informent du droit de garder le silence et recueillent des éléments de preuve en vue de poursuites. Elle a répondu que, même si la GRC a formé les ASS dans le passé, elle n’estimait pas qu’ils se considéraient comme des agents de la paix ou des policiers, mais plutôt comme des enquêteurs.

[130] La Commission n’a entendu d’aucun ASS quant à la façon dont ils s’acquittent de leurs fonctions. Toutefois, il est clair qu’ils n’entendent ni des éléments de preuve ni des arguments pour procéder à l’arbitrage des différends, comme l’a soutenu le demandeur. Les éléments de preuve indiquent qu’ils recueillent tous les renseignements disponibles, qu’ils écoutent ce que chacun a à dire, qu’ils effectuent leurs propres recherches, qu’ils font leurs propres observations, enquêtes et évaluations indépendantes. Il s’agit d’enquêter, et non pas d’un arbitrage.

[131] Même si les parties peuvent ne pas s’entendre quant à la façon dont le Code devrait être interprété ou appliqué, les ASS ne sont pas là pour régler un différend entre les parties; ils sont là pour appliquer le Code et assurer la conformité à ce dernier et au Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (DORS/86‑304; le « Règlement »). Comme Mme Roussel l’a affirmé au sujet des ASS dans sa description de l’exécution du Programme du travail : [traduction] « Ils travaillent à la fois à assurer la conformité proactive et réactive. »

[132] Comme l’ancien tribunal d’appel l’a déclaré dans Agence canadienne d’inspection des aliments c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2015 TSSTC 1 :

[…]

[16] La présente demande soulève une question importante au sujet des intérêts en jeu dans le contexte d’un appel contre une instruction émise par un agent de santé et de sécurité en vertu du Code.

[17] Une enquête menée par un agent de santé et de sécurité commence habituellement, comme cela a été le cas ici, par une demande d’intervention ou une plainte déposée par un employé. Le rôle de l’agent de santé et de sécurité n’est pas de résoudre un litige entre les deux parties, mais, comme dans le présent cas, de déterminer s’il y a eu contravention au Code ou à son Règlement. L’agent de SST doit donc faire enquête pour recueillir les faits qui lui permettront de se faire une opinion éclairée sur la question.

[18] Si l’agent de SST conclut qu’il y a eu contravention au Code, il peut émettre une instruction exigeant de l’employeur ou de l’employé concerné, ou des deux, qu’ils se conforment aux exigences du Code. Une telle instruction est contraignante et exécutoire immédiatement ou dans le délai fixé par l’agent de SST, à moins qu’un agent d’appel prononce une suspension jusqu’à l’audition d’un appel.

[19] Une fois émise, une instruction, qui vise à corriger une situation à l’égard de laquelle l’agent de santé et de sécurité conclut qu’il s’agit d’une contravention au Code, a aussi une dimension de politique publique qui dépasse les seuls intérêts des parties. Il s’agit d’une ordonnance émise par un fonctionnaire public exigeant la plupart du temps de l’employeur qu’il se conforme à une obligation prescrite par le Code. Le défaut de se conformer à une telle ordonnance constitue une infraction aux termes du Code. L’agent de santé et de sécurité lui‑même n’est pas autorisé par la loi à modifier sa propre instruction une fois qu’elle est émise. Seul un agent d’appel peut modifier ou annuler une instruction, pour des motifs juridiques ou factuels appropriés touchant la validité et le bien‑fondé de l’instruction dans les circonstances présentes. C’est la tâche confiée aux agents d’appel par l’article 146.1 du Code.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[133] Le demandeur a également soutenu qu’un ASS qui témoigne à une audience d’appel est en situation de conflit d’intérêts qui a été décrit à divers égards comme étant inclus dans les deux parties à un différend (l’organisme de réglementation d’une part, l’employé de l’unité de négociation d’autre part) ou comme étant neutre et ne représentant aucune des deux parties dans un environnement contradictoire.

[134] Le fait de témoigner lors d’un appel ne fait pas en sorte que les ASS soient inclus dans les deux parties à un différend; les ASS comparaissent en tant que personnes neutres, pour expliquer leurs décisions. Cela indique qu’ils ne sont pas des décideurs comme des arbitres de différends ou des arbitres de grief qui ne défendent ni n’expliquent leurs décisions en appel ou en contrôle judiciaire. Certains aspects de leur rôle, y compris la comparution en appel, sont analogues à ceux des agents d’application de la loi, comme la police, qui prennent également des décisions sur place, mènent de longues enquêtes et témoignent pour expliquer ce qui les a amenés à prendre une décision ou une mesure. De plus, comme les policiers, ils sécurisent également les lieux des accidents, informent les témoins de leurs droits, posent des questions, enquêtent et rédigent des rapports.

[135] La défenderesse a fait remarquer que l’AFPC représente des milliers d’employés de réglementation et d’application de la loi dans de nombreuses juridictions canadiennes, y compris les policiers, dont la grande partie travaille au sein de la fonction publique fédérale. Le demandeur n’a ni proposé le contraire ni contesté cette affirmation de quelque façon que ce soit. Cela rappelle les commentaires de la Commission dans la décision Brownlee à l’effet suivant :

[…]

36. […] Bon nombre d’employés sont susceptibles de vivre, presque quotidiennement, des conflits plus ou moins importants, en raison de leurs fonctions et responsabilités envers l’employeur. Il faut donc déterminer si le conflit actuel ou éventuel entre les fonctions et responsabilités d’un employé et ses intérêts à titre de membre d’une unité de négociation est suffisamment important pour justifier l’exclusion. […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

[136] J’en déduis des éléments de preuve que les ASS ne sont pas des arbitres de grief ou des arbitres de différends qui règlent les différends entre les parties en litige, mais plutôt des conseillers techniques, des enquêteurs et des agents de conformité qui veillent à ce que les lois sur la santé et la sécurité soient respectées par tous.

F. Appels des décisions des ASS

[137] Le demandeur a soutenu que [traduction] « [l]’ASS, dans de nombreux cas, est remis en question par l’AFPC en tant qu’appelante cherchant à annuler leur conclusion d’absence de danger (ou la directive) dans le cadre d’un procès quasi judiciaire ». Pour illustrer ce fait, il a présenté une liste de huit décisions de l’ancien tribunal d’appel rendues entre 2013 et 2017. Sept étaient des décisions d’appel; l’une était une décision relative à la demande de l’employeur de proroger le délai pour déposer un appel.

[138] La liste n’indiquait pas que dans de [traduction] « nombreux cas », l’AFPC a contesté les décisions des ASS en cherchant à annuler une conclusion d’absence de danger. Elle comportait plutôt huit décisions, rendues sur une période de cinq ans, dont seulement deux ont été rendues dans le cadre d’appels de l’AFPC de décisions d’absence de danger. Deux appels d’une décision d’absence de danger en cinq ans peuvent difficilement être décrits comme de nombreux cas. Le demandeur a qualifié sa liste de « sélection » des décisions d’appel, mais si d’autres décisions existaient, il a choisi de ne pas les énumérer. Quoi qu’il en soit, je n’ai que ce qui m’a été présenté.

[139] La liste permet d’étayer l’allégation selon laquelle l’AFPC participe elle‑même aux appels, même si elle comparait légèrement plus fréquemment en tant que défenderesse qu’en tant qu’appelante. Outre les deux appels de l’AFPC, les six autres décisions énumérées étaient des cinq appels interjetés par l’employeur relativement aux directives d’ASS et une demande d’un employeur visant à proroger le délai pour déposer un appel. Même s’il a été établi que l’employeur était l’appelant le plus actif figurant à cette liste, un total de huit décisions en cinq ans, dont sept étaient des décisions d’appel réelles, ne me paraît pas être un lit chaud de litiges en matière de santé et de sécurité par l’une ou l’autre des parties.

[140] En ce qui concerne les issues, le syndicat n’a pas obtenu gain de cause dans ses deux appels. L’employeur a obtenu gain de cause et deux directives ont été annulées et sa demande de dépôt tardif a été accueillie. Il n’a pas obtenu gain de cause dans ses trois autres appels. Ces chiffres sont beaucoup trop faibles pour mener à des conclusions équivoques, mais ils ne laissent certainement pas entendre que les ASS sont incapables de prendre des décisions neutres comme l’exige leur travail.

[141] Le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve consistant à établir l’existence d’un conflit d’intérêts en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la Loi parce que la défenderesse participe à des appels et interjette des appels.

G. Le devoir de neutralité et conflits de loyauté

[142] Le demandeur a fait valoir que [traduction] « [é]tant donné que l’employeur ne peut agir que par l’intermédiaire de ses représentants, ses fonctionnaires doivent être loyaux en ce qui concerne ses intérêts et doivent être perçus comme tels. » Il a soutenu que le concept de conflits de loyauté s’appliquait dans le contexte de ces demandes et que les ASS lui doivent un devoir de neutralité, ce qui crée un conflit fondamental avec leur inclusion dans une unité de négociation.

[143] Cela suppose qu’un employé d’une unité de négociation ne peut pas être neutre, même lorsque ses fonctions et ses responsabilités professionnelles l’exigent exactement, et que la loyauté présumée qu’il ressentira envers le syndicat ou ses collègues d’une unité de négociation l’emportera inévitablement sur son obligation de faire son travail correctement. Ou, du moins, qu’il se sentira « tiraillé » entre les deux.

[144] La défenderesse a répondu qu’il s’agit là d’un point de vue désuet depuis longtemps des prétendus effets de la syndicalisation et du régime de négociation collective.

[145] Je suis du même avis et je fais remarquer que cet argument a été présenté dans de nombreuses décisions depuis la fin des années 1970, comme l’a fait remarquer le CCRI dans Section locale 1574, Fraternité internationale des ouvriers en électricité c. NorthwesTel Inc., 2007 CCRI 377, citant la décision Cominco comme suit :

[…]

 

[17] […]

Comme nous l’avons mentionné, ce sont les intérêts conflictuels qui nous servent de critère, mais ceux‑ci ne sont plus perçus de la même façon que dans les années 60 ni même qu’au début des années 70. Les opinions concernant la compatibilité de la négociation collective et des responsabilités professionnelles ont changé. Ainsi, la négociation collective et l’adhésion à un syndicat ne sont plus considérées comme incompatibles avec les responsabilités d’un enseignant, d’un agent de police, d’un pompier, d’un professionnel ou d’un fonctionnaire. La société admet que des citoyens puissent exercer des fonctions comportant une responsabilité sociale sans que cela n’entre en conflit avec leur adhésion à un syndicat ou avec leur participation à la négociation collective. […]

[…]

(Cominco Ltd. (1980) […] [1980] 3 Can LRBR 105 [au par. 18.] […])

[…]

 

[146] Voir également les commentaires suivants du CCRT dans Telecommunications Employees Management and Professional Organization v. British Columbia Telephone Co. (1979), 38 di 145, au par. 28 :

[Traduction]

Pour ceux qui estiment que nous avons confondu l’intention du législateur dans son application à des personnes particulières en l’espèce, nous souhaitons affirmer que des décisions semblables du Conseil ont résisté à l’épreuve du temps et établi que les craintes hypothétiques n’étaient pas fondées. Par exemple, l’argument de l’employeur dans The Canadian Press 52 CLLC 16,615 selon lequel un parti pris en faveur du syndicat entraînerait l’apparition de nouvelles nationales avec la syndicalisation de son personnel de rédaction ne peut guère être considéré comme ayant eu lieu. […]

 

[147] Le demandeur a soutenu qu’un ASS est en situation de conflit d’intérêts inhérent parce qu’il pourrait devenir membre actif du syndicat et chercher à occuper une charge syndicale ou à siéger à un comité de santé et de sécurité. Il pourrait alors conseiller activement le syndicat ou donner des directives à l’avocat syndical sur une question, tout en tranchant l’affaire à titre d’ASS, puis défendre sa décision en appel pendant qu’il est contre‑interrogé par l’avocat syndical auquel il a donné une directive. Mme Roussel a affirmé qu’un ASS qui tranche un refus de travailler lorsque le syndicat est en position de grève constituerait un conflit d’intérêts parce que l’ASS pourrait retirer son chapeau de régulateur et agir à titre d’employé. Elle a dit que, surtout en ce qui concerne les dirigeants syndicaux, il pourrait être difficile de ne pas le faire et que ce serait le genre de conflit d’intérêts le plus direct.

[148] La Commission a rejeté ce genre d’argument spéculatif dans ARS. Cette décision portait sur la nécessité d’une confiance absolue dans les relations de l’agent de renseignements de sécurité avec la direction, mais même dans ce contexte, la Commission n’a pas accepté la spéculation au sujet des difficultés auxquelles un tel agent pourrait être confronté dans un conflit de travail, à la ligne de piquetage ou lorsqu’il occupe une charge syndicale. Elle énonçait ce qui suit :

[…]

78 Je suis consciente des mises en garde formulées dans un certain nombre de décisions antérieures auxquelles on m’a renvoyée, selon lesquelles les droits d’un employé à la représentation collective ne devraient pas être retirés inconsidérément. En prenant cette décision, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’accepter les spéculations de l’avocat du demandeur à l’appui de son argumentation au sujet des difficultés qu’un ARS peut rencontrer dans le contexte d’un conflit de travail, sur un piquet de grève ou à titre de titulaire d’un poste d’élu au sein de l’agent négociateur. Il y a de nombreuses circonstances dans lesquelles le statut d’un employé ayant accès à des renseignements importants doit être rééquilibré en faveur de la poursuite de son appartenance à une unité de négociation. Un employeur devrait alors accepter de subir un certain nombre d’inconvénients. […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

[149] Les préoccupations du demandeur au sujet des activités des ASS dans les comités de santé et de sécurité ou en tant que dirigeants syndicaux étaient entièrement spéculatives. Mme Roussel a simplement fait remarquer que certains ASS siègent aux comités de santé et de sécurité, que l’employeur leur avait dit qu’il s’agissait d’un conflit d’intérêts et qu’à son avis, il pourrait être difficile, parfois, pour les dirigeants syndicaux de retirer leur chapeau syndical. Les arguments du demandeur comportaient des spéculations sur des scénarios qui pourraient survenir, qui présentaient tous des ASS d’être en situation de conflits d’intérêts évidents; toutefois, aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet d’un problème réel.

[150] Cela ne veut pas dire que cette situation ne pourrait jamais survenir. Toutefois, en l’absence complète d’éléments de preuve à ce sujet, je tire la conclusion selon laquelle les parties sont capables de traiter de telles questions si elles survenaient. Ils doivent être ainsi capables, ou certainement, le demandeur aurait présenté cette demande bien avant. Je ne peux que supposer que les ASS savent comment et quand se récuser d’une question particulière, comme de nombreux employés du secteur public doivent parfois le faire, et que la possibilité qu’une telle question survienne et ne soit pas gérée de manière efficace et de bonne foi entre ces parties est faible.

[151] Les ASS sont des employés de l’administration publique centrale et ils exercent un pouvoir délégué du ministre du Travail. L’employeur est représenté par le Conseil du Trésor (par. 2(1) de la Loi). Le demandeur a renvoyé la Commission à la décision rendue dans Southeast Kootenay Principals’ and Vice‑Principals’ Association v. British Columbia (Attorney General), 2021 BCLRB 82 (Southeast Kootenay). Au paragraphe 130, en faisant référence à Cowichan Home Support Society v. United Food and Commercial Workers International Union, Local 1518, [1997] B.C.L.R.B.D. No. 28 (QL; « Cowichan »), la Commission des relations de travail de la Colombie‑Britannique (la « Commission de la C.‑B. ») a rédigé ce qui suit :

[Traduction]

130 Les objectifs de l’exclusion des postes de direction examinés dans Burnaby ont été confirmés de nouveau dans Cowichan, qui concernait un examen complet de la politique ancienne et actuelle de la Commission sur les exclusions de postes de direction en vertu du paragraphe 1(1) du Code et de la politique sur la pertinence à l’égard des unités de surveillance en vertu de l’article 29 du Code. Les commentaires de la formation dans Cowichan comprennent ce qui suit en ce qui concerne l’objet et la nécessité de l’exclusion des postes de direction :

Cela nous amène à examiner plus en détail les deux facteurs les plus importants à évaluer afin de déterminer si une personne est visée par la définition d’« employé » ou si elle est exclue en vertu du Code en raison de son statut de gestionnaire. Il s’agit des fonctions qui ont un lien avec la négociation collective et/ou les relations de travail. L’objectif général de l’exclusion des postes de direction est, comme nous l’avons affirmé, d’assurer la loyauté absolue des gestionnaires à l’entreprise. Cela est conforme au modèle de négociation collective sans lien de dépendance qui protège la relation contradictoire (dans l’intérêt du travail et de la gestion) et est conforme à l’objectif sous‑jacent de la loi.

S’il y a eu un changement dans ce point de vue, il s’inscrit probablement dans le concept d’une loyauté absolue à la direction. Dans le contexte des relations de travail, la loyauté consiste à accorder la priorité aux intérêts de l’entreprise. Du point de vue du syndicat, cela signifie accorder la priorité aux intérêts des membres. En excluant les gestionnaires de toute unité de négociation, ils n’auront aucun conflit de loyauté entre les fonctions de leur emploi (les intérêts de l’entreprise) et les intérêts des membres de l’unité de négociation. […]

[…]

[paragraphes 104 à 106]

 

[Je mets en évidence]

 

[152] Même si les décisions Southeast Kootenay et Cowichan ont été rendues dans un contexte législatif et factuel différent, elles ont examiné le type de conflit d’intérêts qui peut survenir dans le contexte des exclusions des postes de direction ou de confiance. Ce contexte est courant dans toutes les juridictions canadiennes.

[153] La Commission de la C.‑B. a affirmé qu’un conflit d’intérêts dans ce contexte peut survenir de l’existence de loyautés doubles découlant des fonctions exercées pour l’employeur et l’appartenance à une unité de négociation. Les loyautés dans le contexte des relations de travail sont décrites comme accordant la priorité aux intérêts de l’employeur ou accordant la priorité aux intérêts des membres de l’unité de négociation. Les loyautés doubles surviennent lorsque les fonctions et les responsabilités professionnelles exigent la première, alors que l’appartenance à une unité de négociation exige la deuxième.

[154] Il n’est pas contesté que les ASS exercent un pouvoir délégué du ministre du Travail et qu’ils doivent agir indépendamment de l’employeur, de l’agent négociateur et des autres employés. Leurs fonctions exigent qu’ils soient neutres, et non qu’ils accordent la priorité aux intérêts de l’employeur, de l’agent négociateur ou des membres de l’unité de négociation. Le demandeur n’a pas expliqué de manière adéquate comment ou pourquoi les ASS auraient des conflits de loyauté en raison de l’exécution de leurs fonctions dans l’exercice de leur pouvoir délégué.

[155] Qu’un ASS ayant le pouvoir délégué d’appliquer le Code et le Règlement fasse partie d’une unité de négociation avec d’autres employés ou non, des conflits d’intérêts peuvent survenir simplement parce qu’ils ont le même employeur que d’autres membres de l’unité de négociation ou parce que l’entité pour laquelle ils travaillent est parfois partie dans les cas que ces agents doivent néanmoins aborder avec objectivité et professionnalisme. Toutefois, l’appartenance à une unité de négociation ne rend pas en soi un agent de conformité incapable d’agir de façon indépendante ou susceptible d’agir à des fins inappropriées.

[156] Si des conflits d’intérêts réels ou potentiels surviennent de temps à autre, je n’ai entendu aucun élément de preuve qui laisse entendre qu’ils ne pourraient pas être gérés de façon appropriée et de bonne foi. Il n’a pas été proposé qu’un ASS n’ait jamais senti la nécessité de se récuser d’un dossier, ou qu’un dossier n’ait jamais été affecté à un gestionnaire en raison d’un conflit d’intérêts, mais ces deux options sont disponibles pour traiter des cas exceptionnels. Comme la Commission l’a énoncé dans ARS, au paragraphe 78 :

[…] Il y a de nombreuses circonstances dans lesquelles le statut d’un employé ayant accès à des renseignements importants doit être rééquilibré en faveur de la poursuite de son appartenance à une unité de négociation. Un employeur devrait alors accepter de subir un certain nombre d’inconvénients. […]

 

H. Fonctions et responsabilités auprès de l’employeur

[157] Le demandeur s’est surtout concentré sur son argument selon lequel les ASS sont en situation de « conflit d’intérêts direct et évident ». Il y a eu peu de discussions sur le deuxième critère de l’alinéa 59(1)g) – la question de savoir s’ils ne devraient pas être dans l’unité de négociation en raison de leurs fonctions et responsabilités auprès de l’employeur. Il a été noté que la décision ARS concluait que le critère du deuxième critère pouvait être satisfait lorsque l’inclusion dans une unité de négociation pouvait nuire à l’exercice efficace des fonctions essentielles.

[158] Le demandeur a soutenu que même si une conclusion de conflit d’intérêts déclencherait certainement l’application des critères d’exclusion, indépendamment d’une telle conclusion, l’inclusion des ASS dans l’unité de négociation pourrait nuire à l’exercice efficace de leurs fonctions au moyen des pouvoirs délégués du ministre du Travail en tant qu’arbitres de différends indépendants en matière de sécurité et de santé au travail. Comme je l’ai mentionné précédemment dans la présente décision, je n’accepte pas que les ASS soient des arbitres de différends en matière de santé et de sécurité au travail. En outre, il n’y avait pas d’explication adéquate quant à savoir comment ou pourquoi l’inclusion dans une unité de négociation nuirait à l’exercice de leurs fonctions et responsabilités, sauf l’hypothèse selon laquelle cela créerait inévitablement un conflit d’intérêts.

[159] Étant donné que les deux critères de l’alinéa 59(1)g) étaient inextricablement liés dans les éléments de preuve et les arguments devant la Commission, il faut comprendre que les motifs dans la présente décision s’appliquent aux deux. Selon les éléments de preuve, je ne vois aucun motif justifiant l’application de l’alinéa 59(1)g) de la Loi pour déclarer les postes d’ASS comme des postes de direction ou de confiance en raison de leurs fonctions et responsabilités auprès de l’employer.

V. Conclusion

[160] Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve convaincant ni aucun fait objectif circonstanciel à partir desquels des jugements pratiques ou des inférences logiques pourraient être tirés selon lesquels ces postes ne devraient plus faire partie de l’unité de négociation pour des raisons de conflit d’intérêts ou parce que leurs fonctions et responsabilités auprès de l’employeur sont fondamentalement incompatibles avec l’appartenance à une unité de négociation.

[161] Par conséquent, je ne vois aucun motif pour appliquer l’alinéa 59(1)g) de la Loi aux circonstances de la présente affaire.

[162] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[163] Les demandes sont rejetées.

Le 24 janvier 2024.

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.