Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a présenté une plainte relative à la dotation – il était représenté par son agent négociateur – l’agent négociateur a retiré la plainte sans son consentement – la Commission a fermé le dossier et a avisé les parties – le plaignant a demandé à la Commission de rouvrir le dossier – l’intimé s’est opposé à sa demande et a soutenu : 1) qu’il était lié par les actions de l’agent négociateur puisqu’ils avaient une relation de mandant-mandataire; 2) que la Commission avait perdu sa compétence sur le dossier, ce qui était final et irréversible – la Commission a conclu qu’il n’y avait pas de relation de mandant-mandataire et que l’agent négociateur avait agi sans autorisation – la Commission a donc conclu que le retrait n’était pas valide – le retrait étant invalide, la Commission a conclu qu’elle n’avait pas perdu la compétence sur la plainte – la Commission a rejeté l’objection de l’intimé quant à sa compétence – la Commission a ordonné la réouverture du dossier et fixé une date pour une audience.

Objection rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20240228

Dossier: 771-02-41941

 

Référence: 2024 CRTESPF 27

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la

fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Pier-Luc Ouimet

plaignant

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère de la Défense nationale)

 

intimé

 

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Ouimet c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes de l’alinéa 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Goretti Fukamusenge, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour l’intimé : Alexandre Toso, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard, analyste principale

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés les 13 et 28 juin et le 6 juillet 2023.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant la Commission

[1] Pier-Luc Ouimet (le « plaignant ») demande la reprise des procédures à la suite du retrait de sa plainte par son représentant syndical et la fermeture subséquente du dossier. Le ministère de la Défense nationale (l’« intimé ») s’y oppose. En s’appuyant sur le droit des mandats, il maintient que le plaignant était lié par les actes de son représentant puisque celui-ci agissait à titre de mandataire. De plus, il fait valoir que le retrait est irréversible et qu’il a pour effet de rendre la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») functus officio (signifiant « dessaisie »). Selon l’intimé, la Commission n’a plus de compétence à l’égard de cette affaire.

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de reprise des procédures est accueillie. Il n’y avait pas de relation mandant-mandataire entre le plaignant et son représentant syndical. Ainsi, le retrait fait par ce dernier était nul, invalide, et sans effet. Il n’a pas privé la Commission de sa compétence, le concept du functus officio ne trouve pas application dans ce cas.

II. Historique de la procédure

[3] Le 31 juillet 2020, le plaignant a présenté une plainte auprès de la Commission. Il a allégué que l’intimé avait abusé du pouvoir que lui confère la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP) dans le processus de nomination du poste de planificateur/analyste électronique classifié au groupe et au niveau EL-05.

[4] Depuis la présentation de la plainte jusqu’à son retrait, le plaignant était représenté par un représentant syndical de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 (FIOE ou le « syndicat »).

[5] Le 24 mars 2023, les parties avaient été avisées que la plainte était mise au rôle des audiences de la Commission pour les 23 et 24 mai 2023.

[6] Une conférence préparatoire à l’audience a eu lieu le 24 avril 2023. L’intimé, la Commission de la fonction publique, le plaignant ainsi que deux représentants de la FIOE (M. Lessard et M. Dionne) ont participé à cette conférence.

[7] Le 1er mai 2023 à 14 h 55, M. Dionne, chef délégué de la FIOE, a envoyé un message de retrait de la plainte à la Commission et aux autres parties. Le plaignant n’était pas un des destinataires du courriel. Le message se lisait en partie comme suit : « La FIOE désire aviser la Commission de notre décision de retirer le grief 771-02-41941 et ainsi ne pas aller de l’avant avec l’arbitrage du différend. Je vous prie d’aviser les intéressés que l’audience du 23 mai ne sera plus requise […] »

[8] Le même jour à 15 h 18, la Commission a envoyé par courriel un accusé de réception de l’avis de retrait de la plainte et elle a informé les représentants des parties que le dossier était alors fermé. Par le même fait, le message suivant a été envoyé à l’adresse courriel du plaignant : « Nous avons reçu votre avis de retrait concernant la plainte mentionnée en rubrique. Par conséquent, ce dossier est maintenant fermé. Veuillez noter que l’audience devant avoir lieu les 23 et 24 mai 2023 est annulée. »

[9] Quelques minutes après, soit à 15 h 20, le plaignant a envoyé un message à la Commission indiquant qu’il n’avait pas retiré sa plainte. Les autres parties et les représentants de la FIOE n’étaient pas des destinataires de ce message, qui se lit comme suit : « Je n’ai pas décidé de retirer ma plainte, mon syndicat refuse de me représenter […] »

[10] La Commission a alors organisé une conférence de gestion des cas qui a eu lieu le 12 mai 2023. Le syndicat avait reçu l’invitation, mais il n’y a pas participé. Lors de cette conférence, la Commission a reçu de brefs commentaires de la part du plaignant, ainsi que de l’intimé, concernant la validité du retrait de la plainte.

[11] L’intimé s’est opposé à la réouverture des procédures. Il a plaidé que le retrait était valide et que la Commission l’avait accepté.

[12] Le plaignant a indiqué qu’il avait eu des discussions avec son syndicat 10 jours avant la conférence préparatoire à l’audience du 24 avril 2023. Il a dit qu’il ne s’était pas senti appuyé. Il a ajouté qu’il était « en combat » avec son syndicat depuis. Le plaignant a maintenu qu’il n’avait pas donné son consentement pour retirer la plainte.

[13] À la demande de la Commission de fournir un échange avec son syndicat en relation avec le retrait de la plainte, le plaignant a déposé un échange de courriels incluant un message que son syndicat lui avait envoyé le 1er mai 2023, à 14h42 peu avant le retrait de la plainte. Le message avisait le plaignant que le syndicat ne comptait pas aller de l’avant avec la plainte. Ce courriel se lit en partie comme suit :

Bonjour Pier-Luc,

Pour les motifs suivants, avec égards, la Section Locale 2228 n’apportera pas le grief à l’arbitrage, et nous communiquerons cette décision au commissaire des relations de travail de la fonction publique.

-Vous nous avez signalé assez catégoriquement l’abandon de votre intérêt envers la mesure corrective initiale du grief, ce qui, à toute fin pratique, suffirait pour constater votre abandon du grief à proprement dit. […]

[…]

 

[14] Le plaignant a répondu à ce message le 2 mai 2023. Sa réponse se lit en partie comme suit :

[…]

Vous avez changé de discours près de 3 ans plus tard et maintenant vous retirez ma plainte sans mon consentement.

De plus, lors du dépôt du grief en question, mon syndicat a vérifié le tout et maintenant vous me dites que mon grief était mal rempli !!

[…]

 

[15] Le 29 mai 2023, la Commission a invité les parties à présenter des observations supplémentaires concernant la validité du retrait et la fermeture du dossier, incluant des observations concernant la décision Fontaine c. Robertson, 2021 CRTESPF 19.

[16] Les parties ont soumis leurs arguments écrits les 13 et 28 juin, ainsi que le 6 juillet 2023.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

[17] Le plaignant indique qu’il ne voulait pas retirer sa plainte et n'a pas donné d'instructions à l'agent négociateur à cet effet. Il a fait une comparaison de sa situation avec celle dans Fontaine. L’extrait des arguments qui suit contient quelques éléments liés au retrait de la plainte:

 

[…] Dans mon cas, il s’est passé exactement 36 minutes entre le temps où mon syndicat m’a informé, par courriel, qu’ils n’allaient pas poursuivre mon grief à l’arbitrage et le temps où j’ai reçu le courriel du [sic] CRTESPF m’indiquant que M. Dionne avait fermé ma plainte. Ce délai démontre que M. Dionne a agi de mauvaise foi. Jamais il n’a voulu discuter de ma plainte avec moi de vive voix et sans attendre mon point de vue, il a retiré ma plainte.

[…]

 

[18] Dans sa réplique à la réponse de l’intimé, il a expliqué ce qui suit :

[…]

De mon côté, je le rappelle, jamais je n’ai désiré retirer ma plainte, ni dit à mes représentants que je désirais le faire. De plus, à aucun moment, ils ne m’ont informé que je pouvais me représenter seul s’ils désiraient se retirer de la plainte.

Mon représentant, M. Donald Dionne, a pris l’initiative de fermer ma plainte le 1er mai 2023, sans mon consentement, sans m’en parler d’abord et je le rappelle encore, sans jamais ne m’avoir demandé ma version des faits. Il m’a simplement envoyé un courriel m’indiquant que la FIOE désirait se retirer du grief! Quelques minutes plus tard, il a envoyé un courriel au [sic] CRTESPF indiquant que je retirais ma plainte.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[19] Il a ajouté que les décisions (Canada (Procureur général) c. Lebreux (C.A.F.), [1994] A.C.F. no 1711 (QL); Ding c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2018 CRTESPF 50; et Howarth c. Sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 2009 TDFP 11) citées par l'intimé se distinguent du présent cas en ce que celles-ci traitent des cas où le plaignant aurait accepté un règlement ou aurait retiré sa plainte lui-même.

B. Pour l’intimé

[20] D’une part, l’intimé fait valoir que le plaignant est lié par le retrait qui a été fait par son représentant syndical puisque ce dernier agissait à titre de mandataire. Il insiste que le plaignant était représenté par son syndicat depuis la présentation de la plainte jusqu’à son retrait, et qu’il n’y a aucune preuve qui démontre qu’il y avait une quelconque limitation à l’étendue de la représentation ou que cette représentation a cessé ou changé à un moment.

[21] Pour avancer cet argument, l’intimé renvoie à la décision Scherer v. Paletta, [1966] 2 O.R. 524-527, ainsi qu’à la décision Ding. Il note que dans Ding, la Commission a estimé que le retrait d’une plainte par un avocat pouvait lier son client. Il en déduit que la même conclusion s’impose lorsque le syndicat représente un plaignant.

[22] D’autre part, l’intimé affirme que le retrait est un acte unilatéral et irrévocable qui met fin à la compétence de la Commission à l’égard de la plainte.

[23] Pour appuyer cet argument, l’intimé se base sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Lebreux. Il note que dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’à la suite d’un désistement, « […] la Commission et l’arbitre désigné sont functus officio puisqu’ils sont dessaisis du litige, le désistement constituait un acte juridique unilatéral d’abandon des procédures dont la Commission ne pouvait que prendre acte pour ensuite fermer son dossier ».

[24] L’intimé soutient que la Commission devrait suivre le raisonnement de la Cour dans Lebreux et simplement constater administrativement le retrait de la plainte. Il a aussi cité des décisions de la Commission qui réitèrent le raisonnement de Lebreux. Ces décisions comprennent : Elliott c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2008 CRTFP 3; Fournier c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 65; Maiangowi c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 6; et Howarth.

[25] Finalement, l’intimé maintient que Fontaine peut être distinguée des faits de la présente affaire. Dans un premier temps, il a concédé que la plainte en dotation, telle qu’elle a été déposée par le plaignant, appartient à ce dernier et ne requiert pas l’appui du syndicat. Toutefois, il a souligné que cette affaire concernait une plainte de représentation équitable, alors que dans la présente affaire, « [l]a Commission n’est pas actuellement saisie de questions qui touchent aux recours du plaignant contre son syndicat et ne peut donc pas remédier aux conséquences de manquements du syndicat, même s’ils étaient établis ».

IV. Question à trancher

[26] Le plaignant conteste la validité du retrait et demande la reprise des procédures. L’intimé maintient que le retrait est valide, irrévocable et que la Commission a perdu compétence à l’égard de la plainte par le principe du functus officio. Ainsi, la validité du retrait devient le point central du litige et constitue la principale question à éclaircir.

V. Motifs

A. Le retrait de la plainte par le représentant syndical sans l’autorisation du plaignant était invalide

[27] Dans les procédures concernant les plaintes relatives à la dotation, toute personne peut se représenter ou se faire représenter devant la Commission par une autre personne incluant un représentant syndical, un avocat ou toute autre personne, et cela à n’importe quelle étape du processus de plainte.

[28] Dans la présente affaire, le plaignant était représenté par le syndicat jusqu’au moment où ce dernier a retiré la plainte. Il conteste le retrait en invoquant qu’il n’a pas donné l’autorisation. Pour sa part, l’intimé maintient que le représentant syndical agissait à titre de mandataire et qu’il avait ainsi l’autorité de retirer la plainte. Il se fonde sur les principes du droit des mandats qui ont été établis dans Scherer. Ces principes ont été adoptés dans d’autres décisions de différentes juridictions, y compris la décision de la Commission dans Ding (voir les paragraphes 56 et 57). Dans Yourkin c. La Reine, 2014 CCI 48 (CanLII), aux paragraphes 14 et 15, la Cour canadienne de l’impôt renvoie à Scherer, et à Sourani c. Canada, 2001 CAF 185, et réitère ces principes qui énoncent ceci :

[14] […]

[Traduction]

[…] Le client qui retient les services d’un procureur pour une affaire particulière investit ce dernier des pouvoirs d’un mandataire chargé de mener à bien l’affaire qu’on lui a confiée. En principe, le procureur est le mandataire du client et il est autorisé à le représenter dans toute affaire qui doit faire l’objet d’une décision et qui est la conséquence normale de son mandat. Lorsqu’un mandant donne à un mandataire le pouvoir général de conduire en son nom une affaire, le mandant est responsable envers les tiers de tout acte accompli par son mandataire dans le cours ordinaire de cette affaire, ou de tout acte accompli dans les limites apparentes de ses pouvoirs. Entre le mandant et le mandataire, les pouvoirs peuvent être restreints par un accord ou par des directives spéciales; mais à l’égard des tiers, le mandataire détient les pouvoirs qui s’infèrent normalement de la nature de son travail et de ses obligations. […]

Le procureur dont le mandat est établi dans le cadre de procédures particulières peut lier son client en concluant une transaction relativement à ces procédures, à moins que le client n’ait restreint ses pouvoirs et que la partie adverse n’en ait eu connaissance, sous réserve, dans tous les cas, du pouvoir discrétionnaire de la cour, si on sollicite son intervention pour qu’elle rende une ordonnance, de faire enquête sur les circonstances entourant l’affaire et d’accepter ou de refuser d’intervenir si elle le juge opportun; et sous réserve aussi de l’incapacité du client. […] Par contre, lorsque les parties sont majeures et capables et que ni l’existence du mandat ni les modalités de l’entente conclue par les procureurs ne sont contestées, la Cour ne cherchera pas à découvrir si le client a imposé quelque restriction aux pouvoirs de son procureur.

[15] Au paragraphe 4 de l’arrêt Sourani c. Canada, [2001] A.C.F. noo 904, le juge Malone, de la Cour d’appel fédérale, fait les observations suivantes :

[…] L’avocat est le représentant autorisé de son client en ce qui concerne toutes les questions dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient soulevées dans le cadre de l’instance précise pour laquelle ses services ont été retenus. […]

[…]

 

[29] Je ne peux pas considérer cette affaire, compte tenu des faits, comme une affaire dans laquelle on peut imposer les obligations contractuelles qui découlent de la relation mandant-mandataire.

[30] Pour qu’il y ait mandat, il faut qu’il y ait trois éléments essentiels tels que décrits dans la décision de la Cour d’appel fédérale dans Kinguk Trawl Inc. c. Canada, 2003 CAF 85 (voir les paragraphes 35 et 36, et voir Vocan Health Assessors Inc. c. La Reine, 2021 CCI 49, aux paragraphes 51 et 52). Selon ces décisions, les éléments essentiels d’un mandat sont les suivants :

[…]

[TRADUCTION]

1. Consentement tant du mandant que du mandataire;

2. Autorisation donnée au mandataire par le mandant de modifier la situation juridique de ce dernier;

3. Contrôle des actes du mandataire par le mandant.

En fait, les points 2 et 3 se recoupent souvent puisque le contrôle des actes du mandataire par le mandant se manifeste dans l’autorisation donnée au mandataire.

[…]

 

[31] Dans la présente affaire, le syndicat n’était pas obligé de représenter le plaignant, et il n’y a pas de preuve d’une existence d’un contrat ou d’une entente expresse de représentation. Ainsi, on ne peut que conclure qu’il y avait un consentement implicite de la part du plaignant quant à la représentation par son syndicat.

[32] À défaut d’une entente écrite, la jurisprudence préconise qu’il faut examiner la conduite des parties afin de déterminer s’il est possible de conclure à l’existence d’un mandat implicite (voir par exemple GEM Health Care Group Limited c. La Reine, 2017 CCI 13 (CanLII), au par. 29, qui renvoie à la décision Fourney c. La Reine, 2011 CCI 520). Bien que ces principes soient développés dans le cadre du droit fiscal, je trouve qu’ils peuvent nous servir de référence dans la présente affaire. Ces principes se lisent comme suit :

[…]

a) en l’absence d’une convention de mandat écrite, le juge doit examiner minutieusement la conduite des parties afin de déterminer s’il existait une intention implicite de créer un mandat ;

b) lorsqu’il s’agit d’examiner la conduite du mandant prétendu et du mandataire prétendu, un élément crucial consiste à établir le degré de contrôle que le premier exerçait sur le second ;

c) le contrôle des actes du mandataire prétendu par le mandant prétendu peut se manifester dans l’autorisation que le second donne au premier. Autrement dit, les notions d’autorisation et de contrôle se recoupent parfois ;

[…]

[Je mets en évidence]

 

[33] Selon la conduite du plaignant et son représentant syndical, on peut conclure qu’il y avait un consentement implicite quant à la représentation. En effet, les documents introductifs d’instance indiquent le nom d’un représentant syndical, et ce dernier était le point de contact pour toutes les communications concernant cette affaire. Ce représentant avait participé aux procédures devant la Commission jusqu’au retrait de la plainte.

[34] Cependant, il est clair que le plaignant n’avait pas le contrôle des actes de son représentant, et ce dernier n’avait pas non plus le pouvoir de mandataire de modifier la position juridique du plaignant en retirant la plainte. En effet, les échanges de courriels démontrent que le plaignant voulait poursuivre sa plainte et que le représentant syndical n’était pas autorisé à mettre fin au processus devant la Commission. Si le plaignant avait le contrôle sur les actes de son représentant, il n’y aurait pas eu de retrait sans son consentement.

[35] Je trouve alors que deux des trois éléments essentiels de la constitution d’un mandat, soient le contrôle des actes du mandataire par le mandant ainsi que l’autorisation au mandataire, décrits dans Kinguk Trawl Inc. et Vocan Health Assessors Inc., sont absents de la présente affaire.

[36] Or, dans la décision Glengarry Bingo Assn. c. Canada, 1999 CanLII 7738 (FCA), [1999] A.C.F. no 316 (aux paragraphes 32 et 33), la Cour d’appel fédérale a noté que l’absence du pouvoir du mandataire de modifier la position juridique du mandant indique de manière concluante qu’il n’y a pas de mandat. En suivant le raisonnement dans cette affaire, je trouve qu’il n’y avait pas de relation mandant-mandataire dans la présente affaire.

[37] Par ailleurs, j’estime que les circonstances dans Ding se distinguent de celles de la présente affaire en raison des faits. Dans Ding, un cabinet d’avocats avait retiré une plainte de représentation équitable qui avait été présentée par un plaignant contre son syndicat. La Commission avait alors fermé le dossier. Quelques semaines plus tard, le plaignant avait informé la Commission qu’il n’avait pas autorisé le retrait de la plainte.

[38] La décision Ding fait référence à un courriel dans lequel le plaignant avait indiqué qu’il se demandait « […] si le retrait sera considéré comme ayant épuisé toutes les autres ressources ou NON […] ». Bien que le plaignant ait déclaré plus tard qu’il n’avait pas donné une autorisation écrite de retirer la plainte, il semble que lui et son avocat avaient abordé la question de retrait de sa plainte dans une rencontre, ce qui n’est pas le cas ici. Dans la présente affaire, je n’ai pas reçu une preuve qui indique que la question du retrait a été abordée avant le message de retrait de la plainte par le représentant syndical en date du 1er mai 2023.

[39] Le représentant syndical n’était pas autorisé à retirer la plainte. Compte tenu des faits de cette affaire, je suis d'avis qu'il n'existait pas de relation mandant - mandataire. Par conséquent, le retrait était nul, invalide, sans effet et ne peut pas être opposable au plaignant.

B. Le principe du functus officio ne trouve pas application

[40] Le principe du functus officio enlève la compétence du tribunal lorsque ce dernier a rendu une décision définitive sur le fond (voir Société Radio-Canada c. Manitoba, 2021 CSC 33, au par. 33; Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, p. 860).

[41] En se fondant sur le principe du functus officio dont la Cour fédérale a traité dans la décision Lebreux, l’intimé avait également fait valoir que le retrait était unilatéral et irrévocable, et a eu pour effet de priver la Commission de la compétence pour entendre l’affaire. Pour sa part, le plaignant a expliqué que sa situation est différente de celle décrit dans Lebreux puisque dans son cas, le retrait est contesté. J’ai conclu que le retrait était invalide et sans effet. Dans la même veine, il n’a donc pas entrainé une perte de la compétence.

[42] Je ne trouve pas que le principe du functus officio s’applique dans la présente affaire. Comme indiqué plus haut, vu que le syndicat n’avait pas l’autorité de retirer la plainte, le retrait était invalide, il ne produit pas d’effets juridiques. Par ailleurs, la Commission n’avait pas examiné la question dont elle était saisie initialement, soit celle concernant l’abus de pouvoir allégué par le plaignant. Il n’y a pas eu de décision ou une ordonnance sur le fond, il n’est donc pas question de réentendre ou de décider de nouveau les questions sur lesquelles la plainte était fondée.

[43] L’intimé a aussi référé aux décisions Howarth, Maiangowi, et Fournier. Toutefois, toutes ces décisions reposent sur Lebreux. Comme dans Lebreux, ces affaires impliquent une demande de réouverture des procédures suivant un retrait dont la validité n’avait pas été contestée. Elles concernent plutôt les conséquences d’un désistement volontaire ou d’un retrait non-contesté. Tout comme la Commission l’a expliqué au par.17 de Palmer c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2010 CRTFP 11, Lebreux a été rendue dans un contexte dans lequel le retrait du grief n’avait pas été mis en question. Dans le présent cas, la validité même du retrait est en cause. Pour que le raisonnement dans Lebreux trouve application, il faut que le retrait soit valide en droit.

[44] Dans Lebreux, le fonctionnaire s’estimant lésé avait conclu une entente avec l’employeur concernant ses griefs et les avait retirés. Après la fermeture des dossiers par la Commission, le fonctionnaire s’estimant lésé est revenu à la charge en demandant qu’on les rouvre, parce que les parties n’auraient pas conclu une entente satisfaisante. La Commission avait réouvert les dossiers. Toutefois, en contrôle judiciaire, la Cour d’appel fédérale a statué qu’un arbitre de grief n’avait pas compétence pour entendre un grief une fois que le grief en question avait été retiré, car la Commission avait été dessaisie du grief.

[45] Je ne suis pas d’accord avec une application rigide de la décision Lebreux. Dans la présente affaire, cette approche rigoureuse est d’ailleurs tempérée par le contexte dans lequel le retrait de la plainte s’est produit. Le représentant syndical a retiré la plainte auprès de la Commission sans le consentement du plaignant. Contrairement aux décisions Lebreux, Fournier, Maiangowi et Howarth, il n’y a pas de preuve dans la présente affaire qui indique que le plaignant a consenti au retrait de la plainte ou l’a autorisé. Au contraire, la preuve indique qu’il a contesté le retrait dès qu’il en a été informé par la Commission.

[46] J’estime plutôt que le raisonnement de la Commission dans Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 124, trouve application dans la présente affaire. Dans Ménard, le litige prenait source dans une plainte de représentation équitable dans laquelle la plaignante avait eu gain de cause contre son syndicat. Ce dernier avait retiré le grief de la plaignante et ce retrait avait été jugé arbitraire. Le débat revenait alors sur l’évaluation des mesures de réparation.

[47] Au paragraphe 42 de Ménard, la Commission a noté qu’elle pouvait ordonner au syndicat de poursuivre le grief puisqu’elle avait jugé que le retrait était illégal. La Commission a annulé le retrait du grief en signalant qu’il avait été fait en contravention de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art.2). La Commission énonce ce qui suit aux paragraphes 44 et 45 quant à l’applicabilité de Lebreux :

[44] À la différence de Lebreux, le désistement du grief dans la présente affaire a été fait en contravention de la Loi. Dans Lebreux, le syndicat a voulu réactivé [sic] les griefs parce que l’employé n’était pas satisfait de l’entente négociée entre les parties. Il s’agissait là d’un désistement tout à fait légitime permis par la Loi. Pour la Cour, l’acte de désistement mettait fin au grief. La règle établie dans Lebreux ne s’applique cependant pas dans une affaire où le désistement était illégal.

[45] Dans un tel cas, la Commission a la [sic] pouvoir d’annuler le désistement et de réactiver le grief, sans quoi elle ne pourrait directement rétablir le recours qui a été illégalement enlevé à un fonctionnaire. […]

 

[48] Dans Fontaine, la Commission a déclaré que la défenderesse avait agi d’une façon arbitraire en acceptant une offre de l’employeur au nom d’un fonctionnaire sans l’accord de ce dernier, afin de régler un grief. Il convient de noter que l’appui de la défenderesse était requis par la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») pour le processus d’arbitrage. Au paragraphe 29 de la décision, la Commission a réitéré que, selon la Loi, le grief appartenait au fonctionnaire, et lui seul pouvait accepter une offre de règlement de l’employeur en vertu des droits statutaires de cette loi.

[49] Dans la présente affaire, le litige principal repose sur une plainte relative à la dotation présentée en vertu de la LEFP. Ainsi, l’appui du syndicat n’était pas requis pour le processus d’arbitrage devant la Commission. Généralement, un syndicat qui décide de représenter un employé ou une employée dans une affaire de dotation visée par la LEFP le fait à titre volontaire.

[50] En suivant le raisonnement de Fontaine, la plainte appartenait au plaignant et, à plus forte raison, lui seul pouvait prendre acte de la retirer. Le syndicat pouvait uniquement retirer sa représentation. Ainsi, le syndicat n’avait pas l’autorité de retirer la plainte et la Commission est d’avis qu’elle ne peut pas accepter le retrait reçu du syndicat. Dans Ménard, la Commission a conclu que la décision du syndicat de retirer le grief du fonctionnaire sans son consentement était arbitraire, et elle a déclaré qu’elle avait le « […] pouvoir d’annuler le désistement et de réactiver le grief, sans quoi elle ne pourrait directement rétablir le recours qui a été illégalement enlevé à un fonctionnaire ».

[51] À la lumière des éléments décrits ci-dessus, la Commission conclut que le syndicat n’avait pas l’autorité de retirer la plainte. Puisque le syndicat n’avait pas le mandat de retirer la plainte, le retrait n’est pas valide. Ainsi la Commission n’a pas perdu la compétence pour examiner le bien-fondé de la plainte.

[52] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[53] La demande du plaignant est accordée quant à la reprise des procédures.

[54] L’objection de l’intimé à la compétence de la Commission est rejetée.

[55] J’annule la fermeture du dossier.

[56] Une date d’audience sera fixée afin d’entendre la plainte sur le fond.

Le 28 février 2024.

Goretti Fukamusenge,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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