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Date: 20240209

Dossier: 771-02-41890

 

Référence: 2024 CRTESPF 16

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans

la fonction publique

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Annabelle Farquharson

plaignante

 

et

 

administrateur général

(ministère de la Justice)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Farquharson c. Administrateur général (ministère de la Justice)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Jean Russell, Syndicat des employé-e-s de la sécurité et de la justice

Pour l’intimé : David Labelle, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Maude Bissonnette Trudeau

Affaire entendue par vidéoconférence

les 28 et 29 septembre 2023.


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Résumé

[1] Annabelle Farquharson (la « plaignante ») a été placée dans le bassin de candidats qualifiés, mais n’a pas reçu la nomination AS-02 qu’elle cherchait à obtenir (processus portant le numéro 2019-JUS-IA-122755; avis de nomination daté du 30 juin 2020). Elle a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « Loi »). Toutefois, ses allégations et sa preuve portaient exclusivement sur l’alinéa 77(1)a). Autrement dit, elle allègue qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite et demande que la nomination soit annulée.

[2] Il a été allégué que le superviseur immédiat de la personne nommée a fait preuve de partialité à l’égard de la plaignante et de favoritisme personnel à l’égard de la personne nommée. Toutefois, les preuves à l’appui n’étaient pas concluantes. La discrimination raciale avait été alléguée dans les actes de procédure, mais au début de l’audience, le représentant de la plaignante a expressément déclaré que cette allégation n’était pas poursuivie.

[3] Il est également allégué que des irrégularités ont été commises dans le cadre du processus d’évaluation et que le superviseur de la personne nommée a fourni une référence positive pour la personne nommée. Ce superviseur a également participé au processus d’évaluation.

[4] La Commission de la fonction publique était partie à la présente procédure en vertu de la loi. Elle a présenté des arguments écrits sur sa Politique de nomination, mais n’a pas pris position sur le bien-fondé de la plainte.

[5] La plainte est rejetée pour les motifs qui suivent.

II. Résumé des preuves pertinentes

[6] L’élément le plus fort de la plainte de la plaignante découle de son allégation de partialité à son égard et en faveur de la personne nommée par la superviseure du bureau, Laura Cosentino. La plaignante a témoigné avoir été blessée par des choses, comme avoir essayé d’approcher Mme Cosentino à la porte de son bureau et avoir été ignorée ou s’être fait dire de réserver une réunion. La plaignante a également témoigné avoir vu la personne nommée aller au bureau de Mme Cosentino et en venir, et les avoir entendues rire et discuter de questions personnelles. La plaignante a donné d’autres exemples de ce qu’elle considérait comme des hostilités de la part de Mme Cosentino, comme le fait d’avoir été regardée froidement dans la salle des dossiers lorsqu’elle a offert de tenir la porte pour elle.

[7] La plaignante a témoigné que chaque membre de son équipe a reçu une récompense pour son excellent rendement dans le cadre d’un projet pendant qu’elle était en congé et qu’elle n’a jamais reçu de reconnaissance à son retour, malgré le fait qu’elle avait fait partie intégrante de l’effort d’équipe.

[8] La plaignante a également décrit un cas antérieur dans lequel la supérieure de Mme Cosentino, Carla Lyon, lui avait parlé d’une manière froide et inamicale dans un ascenseur du bureau. La plaignante a témoigné qu’elle estimait que ces interactions et d’autres semblables témoignaient de l’hostilité et de la partialité de sa superviseure et de la haute direction à son égard.

[9] Plus important encore, la plaignante a témoigné que la personne nommée apportait des cadeaux à la direction et dînait régulièrement seule avec la superviseure, Mme Cosentino. La plaignante a témoigné qu’elle n’a jamais été invitée à prendre un café ou à aller dîner avec la superviseure et qu’il s’agissait d’une sorte d’arrangement spécial accordé uniquement à la personne nommée. Elle a ajouté que leur relation spéciale s’était développée depuis 2018.

[10] Lors de son interrogatoire principal, Mme Cosentino a témoigné qu’elle n’avait jamais socialisé en tête-à-tête avec le personnel, y compris en dînant avec l’un de ses subordonnés, à moins qu’ils ne soient tous invités. Elle a mentionné les dîners spéciaux, telle une célébration sur le thème des fêtes, comme un exemple de telles occasions rares. Elle a également dit que, parfois, plusieurs membres du personnel rapportaient des petits cadeaux ou des bibelots de vacances et en partageaient un avec elle, mais que ce n’était pas quelque chose d’unique entre elle et la personne nommée. Elle s’est également souvenue d’au moins une occasion où la personne nommée avait fait de l’artisanat à la maison et les avait donnés comme petits cadeaux à tous les membres de l’équipe.

[11] Malheureusement, l’affirmation de la plaignante selon laquelle Mme Cosentino dînait régulièrement en privé avec la personne nommée n’a pas été soumise à Mme Cosentino en contre-interrogatoire.

[12] La plaignante a également témoigné que 14 mois avant ce processus de nomination, elle avait reçu deux prix d’excellence pour son excellent travail et deux cartes-cadeaux dans le cadre de cette reconnaissance. Les cartes-cadeaux devaient être utilisées dans le hall de vente au détail de l’immeuble où elle travaillait. Cependant, elle a demandé et obtenu une autorisation spéciale de la supérieure de sa superviseure, Mme Lyon, pour utiliser les cartes-cadeaux chez un autre détaillant, pour acheter un article de plus grande valeur que les cartes-cadeaux, et elle a payé la différence de coût de sa propre poche.

[13] Elle a expliqué qu’elle ne pouvait pas demander cette approbation à sa superviseure immédiate, Mme Cosentino, parce qu’elle était absente du travail à ce moment-là. La plaignante a témoigné qu’à son retour au travail, Mme Cosentino lui a fait savoir qu’elle n’était pas satisfaite de ce qui s’était passé en ce qui concerne les cartes-cadeaux. Elle a estimé que Mme Cosentino était mécontente parce qu’elle avait échangé directement avec Mme Lyon au lieu d’elle. Elle a dit que cela avait laissé de l’animosité envers elle dans l’esprit de Mme Cosentino.

[14] Lors de son interrogatoire principal, Mme Cosentino a discuté de cet incident des cartes-cadeaux et a expliqué qu’il créait une « situation difficile » puisque les règles de finances auraient exigé de divulguer que l’achat de la plaignante dépassait le total des cartes-cadeaux, et qu’il aurait semblé être une dépense irrégulière. Elle a admis que cela l’avait rendue nerveuse. Elle a nié avoir une quelconque animosité personnelle envers la plaignante, de façon générale ou spécifique, à la suite de cet incident. Elle a également ajouté qu’elle avait une bonne relation professionnelle avec la plaignante et tous ses autres subordonnés. Mme Cosentino a dit qu’elle trouvait que la plaignante était une très bonne travailleuse consciencieuse et qu’elle n’avait aucun problème avec elle.

[15] La plaignante a également témoigné que la personne nommée recevait un traitement favorable de la part de Mme Cosentino, c’est-à-dire qu’elle voyait sa charge de travail réduite, ce qui faisait en sorte que la plaignante et les autres membres du personnel avaient plus de travail à faire. La plaignante a ensuite déclaré que lorsqu’elle a demandé de l’aide pour s’acquitter de sa charge de travail, afin de répondre à des besoins de garde d’enfants qui avaient surgi soudainement, Mme Cosentino l’a repoussée et lui a posé plusieurs questions au sujet de son enfant qu’elle jugeait tout à fait injustes et qui laissaient entendre que sa superviseure ne lui faisait pas confiance.

[16] Dans son interrogatoire principal sur ce point, Mme Cosentino a témoigné qu’elle a toujours essayé d’assurer une charge de travail égale entre les membres du personnel de son bureau. Elle a dit qu’elle rencontrait chaque membre du personnel individuellement une fois par semaine pour discuter de la charge de travail et qu’elle essayait toujours de répondre favorablement si quelqu’un exprimait un problème de charge de travail, bien que ce soit rare. Elle a également déclaré qu’elle se souvenait d’une fois où elle avait pris du travail de la personne nommée et l’avait réaffecté à un autre membre du personnel, mais que ce n’était pas arrivé qu’à la personne nommée, car d’autres avaient reçu la même aide de sa part.

[17] Dans son témoignage, lorsqu’elle a parlé du processus d’évaluation, la plaignante a déclaré qu’au cours de sa rencontre après le fait, on lui avait dit qu’elle avait été placée dans le bassin de candidats qualifiés, mais qu’elle n’avait pas reçu la nomination. Elle a témoigné qu’elle avait beaucoup plus d’années d’expérience au ministère que la personne nommée. Elle a déclaré qu’on lui avait dit qu’il n’y avait pas de notation ou de classement, mais qu’on avait déterminé que la personne nommée était la bonne personne pour le poste.

[18] La plaignante a également témoigné que Mme Cosentino, sa superviseure directe et celle de la personne nommée, faisait partie du comité d’évaluation. Lors de son interrogatoire principal, la plaignante a indiqué que les feuilles de notation comprenaient des commentaires et des notes rédigés par Mme Cosentino. Cependant, en contre-interrogatoire, la plaignante a admis qu’elle ne pouvait pas identifier avec certitude l’écriture manuscrite sur les notes d’évaluation.

[19] Lors de son interrogatoire principal sur sa participation au processus d’évaluation, Mme Cosentino a déclaré qu’on lui avait demandé et qu’elle avait fourni une question écrite portant sur les frais de voyage et d’accueil et la directive du Conseil national mixte sur ces frais. Elle a ajouté qu’elle n’avait pas participé à l’élaboration du guide de cotation utilisé pour évaluer les candidats.

[20] Mme Cosentino a également témoigné qu’elle avait participé aux travaux du comité d’évaluation pour noter les épreuves écrites, mais elle a ajouté que les membres du comité n’avaient pas noté leurs propres subordonnés. Elle a dit que tous les membres ont discuté de leur notation, afin d’assurer l’uniformité dans la façon dont le guide de cotation était appliqué aux réponses écrites de chaque candidat. Elle a ajouté qu’elle n’avait abaissé aucune note sur les copies des candidats. Elle a également ajouté qu’elle n’avait pas assisté aux entrevues orales et qu’elle n’avait participé d’aucune façon à la notation des réponses aux entrevues.

[21] Lors du contre-interrogatoire sur son rôle dans l’évaluation des candidats, Mme Cosentino a ajouté qu’elle avait ajouté sa propre évaluation à tous les candidats, y compris ceux faisant partie de son personnel, mais seulement lors du deuxième ou troisième examen du comité d’évaluation. Elle a également répété sa déclaration précédente selon laquelle elle n’avait pas fait de première évaluation.

[22] Lorsqu’on lui a présenté le « Rapport de présélection et du comité de sélection », Mme Cosentino a témoigné qu’il montrait que la plaignante et la personne nommée avaient obtenu presque les mêmes notes pour les questions relatives aux qualifications essentielles. Toutefois, la plaignante a obtenu une note « Bien », tandis que la personne nommée a obtenu une note « Très bien » pour les mêmes questions. En contre-interrogatoire, elle a également déclaré qu’elle avait décidé d’offrir la nomination à la personne nommée parce qu’elle avait obtenu une meilleure note à ces questions.

[23] Lors de son interrogatoire principal, Mme Lyon a témoigné qu’elle connaissait la plaignante dans le cadre de son travail au bureau et a déclaré qu’elles entretenaient une relation normale, professionnelle et cordiale. Interrogée sur l’incident possible de l’ascenseur dont la plaignante a parlé, elle a répondu qu’elle n’avait aucun souvenir d’un tel incident. Elle a ajouté que sa relation avec la personne nommée était également normale, cordiale et professionnelle, qu’il s’agissait d’un petit bureau et qu’elle savait que tous les membres du personnel se disaient bonjour ou se saluaient lors de réunions occasionnelles.

[24] En contre-interrogatoire, Mme Lyon s’est souvenue d’une situation où la plaignante ne voulait pas s’asseoir près d’autres membres du personnel. Mme Lyon a dit que la plaignante était bouleversée par quelque chose et que, pour cette raison, elle a pu rester à la place qu’elle préférait.

[25] Lorsqu’elle a été interrogée sur la question à des références pour la personne nommée, Mme Cosentino a témoigné qu’un membre du comité d’évaluation lui avait demandé de répondre à certaines questions et de fournir une référence à la personne nommée. Elle a expliqué qu’il s’agit d’une situation courante; un comité d’évaluation l’appelle pour lui demander des renseignements sur une vérification des références pour l’un de ses employés qui a présenté sa candidature à une nomination. Elle a déclaré qu’elle était toujours heureuse de voir ses employés réussir à avancer dans leur carrière.

[26] Elle a ajouté qu’elle aurait été heureuse de fournir une référence pour n’importe lequel des candidats, mais qu’on lui avait seulement demandé d’en fournir une pour la personne nommée. Elle a également témoigné qu’elle n’avait pas participé à l’élaboration des critères à utiliser pour évaluer les références, pas plus qu’elle n’avait noté les réponses à l’entrevue. Elle a également témoigné qu’elle n’avait joué aucun rôle dans l’évaluation des références par le comité d’évaluation.

[27] Après avoir examiné le « Rapport de présélection et du comité de sélection » sur les évaluations des candidats, Mme Cosentino a témoigné qu’elle aurait souhaité que la personne nommée et la plaignante soient toutes les deux nommées. La personne nommée avait toutefois obtenu des notes légèrement supérieures.

III. Analyse des questions

[28] Selon l’article 77(1)a) de la Loi, dans le cadre d’un processus de nomination interne, une personne dans la zone de recours peut déposer une plainte auprès de la Commission selon laquelle elle n’a pas été nommée ou n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite. La plaignante a le fardeau de prouver que, selon la prépondérance des probabilités, l’intimé a abusé de son pouvoir (voir Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, aux par. 49 et 55).

[29] Le paragraphe 30(1) de la Loi stipule que les nominations internes ou externes à la fonction publique doivent être fondées sur le mérite, et l’alinéa 30(2)a) stipule qu’une nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne à nommer possède les qualifications essentielles pour le travail à accomplir, telles qu’établies par l’administrateur général.

[30] Le terme « abus de pouvoir » n’est pas défini dans la Loi; toutefois, le paragraphe 2(4) donne les indications suivantes : « Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel. » L’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal ») a examiné ce terme et, dans Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 7, aux paragraphes 39 et 40, il a déterminé ce qui suit, avec lequel je suis d’accord :

39 De plus, l’expression « il est entendu » au début du paragraphe 2(4) est employée pour une raison. En effet, le législateur fait précisément référence à la mauvaise foi et au favoritisme personnel pour s’assurer que nul ne conteste le fait que ces formes d’inconduite constituent un abus de pouvoir. Il convient de noter que le mot « favoritisme » est qualifié par l’adjectif « personnel », ce qui met en évidence l’intention du législateur de faire en sorte que les deux mots soient lus ensemble, et que c’est le favoritisme personnel, non pas tout autre type de favoritisme, qui constitue un abus de pouvoir.

40 La mauvaise foi et le favoritisme personnel comptent parmi les formes les plus graves d’abus de pouvoir que la fonction publique dans son ensemble devrait s’efforcer avec ardeur de prévenir. Lorsqu’un abus de pouvoir survient, il faut prendre toutes les mesures nécessaires pour y remédier. Manifestement, le paragraphe 2(4) vise à ce qu’il ne fasse aucun doute que ces formes d’inconduite constituent un abus de pouvoir. Voir: Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Markham: Butterworths, 2002), aux pages 180 à 182 […]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

A. Partialité et favoritisme

[31] À l’appui de son allégation de partialité contre elle et en faveur de la personne nommée, la plaignante s’est appuyée sur Denny c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29, qui cite une décision souvent citée de la Cour suprême du Canada, comme suit :

[…]

125 Dans la décision Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 à la page 394, le critère de la crainte raisonnable de partialité est défini comme suit :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[…]

 

[32] Elle a mentionné dans son témoignage qu’elle s’était sentie méprisée tant par Mme Cosentino que par Mme Lyon. Elle a souligné que toute son équipe avait reçu un prix pendant qu’elle était en congé, mais qu’elle n’avait jamais reçu son prix d’excellence même si elle faisait partie intégrante de cette équipe. Elle a soutenu que tout cela, ensemble, prouve que ces deux gestionnaires avaient un parti pris contre elle.

[33] La plaignante s’est appuyée sur Gignac c. Sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10, qui a conclu ce qui suit :

[…]

70 En effet, les lignes directrices précisent que les personnes chargées de l’évaluation doivent agir de façon juste. Le Guide de mise en œuvre des Lignes directrices en matière d’évaluation explique qu’il est important que le processus soit juste et qu’il soit perçu comme tel. Ainsi, il y est spécifié que les membres du comité d’évaluation doivent minimiser toute apparence de partialité :

Comme l’intégrité d’un processus d’évaluation pourrait faire l’objet d’un examen, il est important non seulement que le processus en question soit juste, mais aussi qu’il soit perçu comme tel. Par exemple, les membres du comité d’évaluation devraient faire l’effort raisonnable de minimiser toute apparence de partialité dans le processus d’évaluation et les membres du comité d’évaluation devraient s’assurer que le favoritisme personnel n’influence pas le résultat du processus de nomination.

71 Le Tribunal estime pour toutes ces raisons que les personnes chargées de l’évaluation dans un processus de nomination ont le devoir de procéder à une évaluation impartiale et sans crainte raisonnable de partialité. De plus, si le comportement de ces personnes donne lieu à une crainte raisonnable de partialité, le Tribunal pourra considérer qu’il s’agit de mauvaise foi au sens de l’article 2(4) de la LEFP et constitue un abus de pouvoir.

[…]

 

[34] La plaignante a fait référence à son témoignage selon lequel Mme Cosentino dînait régulièrement en privé avec la personne nommée. Elles ont également eu de fréquentes visites personnelles au bureau, et la personne nommée a souvent offert des cadeaux aux superviseurs. Elle a soutenu qu’il s’agissait là d’une preuve claire et évidente de favoritisme personnel et que cela cadrait avec ce qui a été décidé dans Gignac, car cela signifiait que le processus de sélection ne pouvait pas être considéré comme équitable.

[35] L’administrateur général du ministère de la Justice (« l’intimé ») a répondu à ce sujet et a déclaré que la preuve sur ces questions était loin d’être claire et convaincante au point qu’une conclusion pourrait être tirée à l’appui des allégations. L’avocat a également souligné que la question des dîners au travail n’était pas du tout mentionnée dans le contre-interrogatoire de Mme Cosentino et que je ne devrais pas en tirer une conclusion probante, surtout compte tenu de l’absence de contre-interrogatoire, alors que les témoins ont présenté des témoignages directement contradictoires sur la question des dîners.

[36] Compte tenu des témoignages directement contradictoires de la plaignante et de Mme Cosentino sur la question des dîners privés de la personne nommée avec Mme Cosentino, et surtout parce que ce sujet n’a pas été soulevé lors du contre-interrogatoire de la plaignante à l’endroit de Mme Cosentino, je ne peux pas conclure, selon la preuve, que les dîners ont effectivement eu lieu. Il aurait pu y avoir d’autres preuves à l’appui d’une telle conclusion, mais sans que des questions vigoureuses ou quelconques sur le sujet aient été posées à Mme Cosentino, je ne peux pas conclure qu’elle et la personne nommée sont effectivement allées dîner ensemble au travail.

[37] Lorsque j’évalue le témoignage de la plaignante dans lequel elle a mentionné avoir été méprisée ou maltraitée au bureau et ne pas avoir reçu son prix, je ne suis pas en mesure de conclure que l’un ou l’autre de ces éléments, ou tous ensemble, sont suffisants pour que je puisse conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne bien informée, examinant l’affaire de manière réaliste et pratique – et ayant réfléchi à la question – conclurait raisonnablement à la partialité de Mme Cosentino ou de Mme Lyon, qie ce soit consciemment ou inconsciemment.

[38] Même si la plaignante croit honnêtement que la direction a un parti pris contre elle, la preuve qui m’a été présentée à l’audience n’était tout simplement pas claire et convaincante, de sorte que je pouvais conclure qu’il y avait une crainte de partialité, conformément à la décision du Tribunal dans Gignac.

B. Évaluation et référence

[39] La plaignante a soutenu que Mme Cosentino avait fait preuve de favoritisme personnel à l’égard de la personne nommée, ce qui a mené à une évaluation injuste des candidats. Elle a souligné le fait que Mme Cosentino avait fourni une référence positive à la personne nommée et qu’il avait été admis que son écriture figurait sur le guide de notation de l’évaluation. De plus, Mme Cosentino a admis avoir pris la décision d’offrir la nomination à la personne nommée. La plaignante a également soutenu que les notes étaient prédéterminées, afin de favoriser la personne nommée.

[40] Compte tenu de tous les exemples dont elle a témoigné et du fait que Mme Cosentino a admis avoir participé à la notation et à l’évaluation des candidats, la plaignante a soutenu que cela correspond clairement à l’apparence de partialité mentionnée dans Gignac.

[41] L’intimé a soutenu que la preuve présentée par la plaignante était loin d’être claire et convaincante en ce qui concerne le fait de démontrer la partialité et le favoritisme personnel. Il a noté que l’ « Information pour les candidats » sur le formulaire « Évaluation et références » demande à chaque candidat de fournir le nom de son superviseur actuel et indique qu’il sera contacté pour valider l’information fournie dans le formulaire. Compte tenu de cette preuve, l’intimé a soutenu qu’il est courant et effectivement de bonne pratique pour un candidat de faire vérifier ses références auprès de son superviseur actuel et que rien de fâcheux ne s’est produit dans ce processus en demandant à Mme Cosentino de fournir ces informations sur la personne nommée, malgré le fait qu’elle ait participé au processus d’évaluation de l’examen écrit.

[42] L’avocat a fait remarquer que, contrairement aux faits dans Gignac, le gestionnaire en cause dans le présent cas n’a pas participé à l’ensemble du processus d’évaluation.

[43] L’avocat a également mentionné la décision rendue dans Myskiw c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2019 CRTESPF 107, et a déclaré que, contrairement aux faits dans cette affaire, dans le présent cas, il n’y a pas de preuve claire et convaincante à l’appui d’une conclusion de favoritisme personnel. Myskiw concernait un superviseur qui rencontrait presque quotidiennement un subordonné pour prendre un café ou pour dîner avec lui, avec lequel il avait également passé des vacances d’été et qui avait par la suite reçu une nomination promotionnelle.

[44] L’avocat s’est également appuyé sur Sproule c. Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2011 TDFP 34, qui énonce ce qui suit :

[…]

43 […] La preuve montre que les candidats devaient fournir le nom de leur superviseur actuel, ce qui a mis Mme Lalonde en situation d’assumer le double rôle de répondante et de présidente du comité d’évaluation. Dans ce cas précis, Mme Lalonde n’a pas participé à l’entrevue de Mme Iazzetta ni à l’évaluation des résultats de la vérification des références. Le seul fait que Mme Lalonde était la superviseure de la personne nommée ainsi que la présidente du comité d’évaluation ne permet pas de conclure automatiquement au favoritisme personnel. Dans ses décisions, le Tribunal a établi que les membres du comité peuvent avoir recours à leur connaissance personnelle d’un candidat dans un processus d’évaluation (voir par exemple la décision Visca c. Sous‑ministre de la Justice, 2007 TDFP 24 (CanLII), 2007 TDFP 0024, para. 53) […]

[…]

49 Le plaignant affirme par ailleurs que les réponses fournies par la personne nommée ne démontraient pas toutes qu’elle possédait la qualification « engagement ». Le Tribunal fait remarquer que la preuve fournie par l’intimé montre que la note finale a été déterminée par l’ensemble des membres du comité, après l’entrevue et la vérification des références. D’après l’ensemble de la preuve, le Tribunal est convaincu que le comité disposait de suffisamment de renseignements pour déterminer que la personne nommée possédait cette qualification.

[…]

 

[45] L’avocat de l’intimé a soutenu que, de même, les faits du présent cas démontrent que la superviseure, Mme Cosentino, n’a pas participé à l’entrevue des candidats, qu’un membre du comité d’évaluation lui avait demandé de fournir une référence, et que le l’ensemble du comité avait effectué les évaluations finales et la notation de tous les candidats et candidates et que cela n’a été en aucune façon déterminé par Mme Cosentino.

[46] Je suis d’accord avec les arguments de l’intimé selon lesquels il n’y a pas suffisamment de preuves pour étayer une conclusion de favoritisme personnel. En soi, le fait que Mme Cosentino ait fourni une référence positive à la personne nommée ne suffit pas à conclure à un favoritisme personnel.

[47] Pour tous ces motifs, je conclus que la plaignante n’a pas établi qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite, et la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[48] La plainte est rejetée.

Le 9 février 2024.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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