Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont été placés en congé sans solde pour une durée indéterminée en raison de leur refus d’être entièrement vaccinés conformément à la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada (la « Politique ») – ils ont allégué que le congé sans solde, qui a duré sept mois, constituait une mesure disciplinaire déguisée, une mesure qui cherchait à corriger leur comportement et à les inciter à se faire vacciner – les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »), l’alinéa de la Loi qui permet le renvoi à l’arbitrage de griefs portant sur une mesure disciplinaire entraînant, entre autres, une suspension ou une sanction pécuniaire – l’intimé a fait valoir que le congé sans solde constituait une mesure administrative visant, entre autres, à protéger la santé et la sécurité des employées de l’administration publique centrale –l’intimé a soulevé une objection quant à la compétence de la Commission pour instruire les griefs en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi – pour distinguer entre une mesure disciplinaire et une mesure non disciplinaire, la Commission doit tenir compte à la fois de l’intention réelle, par opposition à l’intention déclarée, de l’employeur et des répercussions de la mesure sur les fonctionnaires s’estimant lésés – bien que l’imposition d’un congé sans solde ait eu un effet défavorable sur eux les fonctionnaires s’estimant lésés, la Commission a conclu qu’ils n’avaient pas satisfait au fardeau qu’il leur incombait de démontrer qu’ils avaient fait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée – la preuve a démontré que le objectif de la Politique était la protection de la santé et de la sécurité des employées de l’administration publique centrale – l’employeur avait en sa possession suffisamment d’information crédible et fiable voulant qu’imposer une politique de vaccination constituait une démarche sécuritaire et efficace en vue de son objectif opérationnel d’augmenter le nombre d’employés travaillant en présentiel – dans les circonstances exceptionnelles d’une pandémie qui avait un impact sur l’ensemble des activités de l’employeur, il était raisonnable et efficace pour l’employeur d’adopter une politique s’appliquant à l’ensemble de ses effectifs – procéder ainsi permettait à l’employeur d’assurer une uniformité et une certitude dans l’application de la Politique – quand il est question d’un virus comme la COVID-19, la preuve présentée à l’audience a indiqué que l’uniformité dans l’application d’une politique de vaccination était de grande importance – les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas démontré que l’intention de l’employeur était de les punir ou de corriger leur comportement en leur imposant un congé sans solde – ils n’ont également pas démontré que l’effet de la décision de les placer et de les laisser en congé sans solde était disproportionné au motif administratif et aux considérations opérationnelles légitimes invoquées par l’intimé – les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que la Politique visait à les contraindre à se faire vacciner, sous peine d’être privé de leur revenu pour une durée indéterminée, et qu’il s’agissait d’une violation du droit à la sécurité de la personne garanti à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés – le droit à la sécurité de la personne protège à la fois l’intégrité physique et l’intégrité psychologique de la personne – les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas démontré que leur intégrité physique avait été compromise – leur décision de ne pas se faire vacciner avait été respectée – l’aspect du droit à la sécurité de la personne qui protège l’intégrité psychologique protège une personne contre les graves souffrances psychologiques causées par l’État – l’impact de la Politique sur les fonctionnaires s’estimant lésés ne pouvait pas être caractérisé comme constituant une atteinte psychologique grave – bien que le choix de se conformer à la Politique ou non a été difficile et a entraîné des conséquences, la Commission a conclu que c’était un choix éclairé que les fonctionnaires s’estimant lésés avaient effectué par principe – les conséquences qu’ils ont subies découlent de ce choix – la durée du congé était liée à l’évolution de la pandémie et au motif lié à l’emploi invoqué par l’intimé – la décision de l’intimé de suspendre l’application de la Politique était fondée sur l’évolution des connaissances scientifiques relativement au variant Omicron et son impact sur l’efficacité vaccinale – les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas démontré qu’il était déraisonnable pour l’intimé de procéder ainsi.

L’objection de l’intimé quant à la compétence de la Commission pour instruire les griefs a été accueillie.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date: 20240328

Dossiers: 566-02-44070 et 44117

 

Référence: 2024 CRTESPF 47

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

SLIM REHIBI ET KARINE LAVOIE

fonctionnaires s’estimant lésés

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère de l’Emploi et du Développement social)

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

 

défendeurs

Répertorié

Rehibi c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés : Bernard Desgagné, représentant

Pour les défendeurs : Richard Fader, Kétia Calix, Marie-France Boyer et Larissa Volinets Schieven, avocats

Affaire entendue par vidéoconférence

du 28 novembre au 2 décembre 2022, du 10 au 14 juillet, le 20 juillet,

et le 12 septembre 2023.

Arguments écrits déposés le 28 août 2023.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

[1] L’adoption et la mise en œuvre par le Conseil du Trésor (l’« intimé » ou l’« employeur ») d’une politique de vaccination applicable à l’ensemble des employés de l’administration publique centrale (ou les « fonctionnaires ») constituaient des mesures sans précédent. La question que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») doit trancher dans le cadre des présents griefs est à savoir si l’application de la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada (la « Politique ») constituait une mesure administrative visant, entre autres, à protéger la santé et la sécurité des fonctionnaires de l’administration publique centrale, ou s’il s’agissait plutôt d’une mesure disciplinaire déguisée visant à corriger le comportement des fonctionnaires qui refusaient de se faire vacciner en les punissant.

[2] La Politique a été adoptée par l’intimé le 6 octobre 2021. Elle exigeait que tous les fonctionnaires de l’administration publique centrale soient entièrement vaccinés contre le virus SRAS-CoV-2 à moins que des mesures d’adaptation ne soient prises en raison d’un motif de distinction illicite prévu par la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP). Le virus SRAS-CoV-2 est mieux connu sous le nom de la maladie qu’il cause, la COVID-19. Ci-après, je vais référer à ce virus comme la « COVID-19 » ou le « virus de la COVID-19 ».

[3] Les fonctionnaires qui refusaient d’être entièrement vaccinés ou d’attester leur statut vaccinal avant la date prévue par l’employeur étaient placés en congé sans solde jusqu’à ce qu’ils soient vaccinés, que la Politique soit abolie ou que son application soit suspendue.

[4] Le 15 novembre 2021, les fonctionnaires s’estimant lésés, Slim Rehibi et Karine Lavoie (les « fonctionnaires s’estimant lésés »), ont été placés en congé sans solde en raison de leur refus de se conformer à la Politique. Ils ont été en congé sans solde jusqu’à ce que l’application de la Politique soit suspendue en juin 2022. Comme l’application de la Politique a été suspendue, dans la présente décision, la Politique sera décrite comme s’il s’agissait d’une mesure imposée dans le passé.

[5] À l’époque à laquelle la Politique a été adoptée et mise en œuvre, M. Rehibi travaillait en présentiel. Mme Lavoie, quant à elle, travaillait de la maison en vertu d’une entente de télétravail. Elle bénéficiait d’une entente de télétravail bien avant le début de ce qui est communément appelé la « pandémie de la COVID-19 ». Les deux fonctionnaires s’estimant lésés ont refusé, par principe, de se faire vacciner. Ils ont maintenu leur refus de se faire vacciner pendant toute la période pendant laquelle la Politique a été mise en application.

[6] Les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas formulé une demande d’exemption à l’application de la Politique à titre de mesure d’adaptation en vertu de la LCDP. Ainsi, il n’existe aucun enjeu de conformité à la LCDP dans le contexte des présents griefs.

[7] Ils ont renvoyé des griefs quasiment identiques à l’arbitrage devant la Commission. Les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), l’alinéa de la Loi qui permet le renvoi à l’arbitrage de griefs portant sur une mesure disciplinaire entraînant, entre autres, une suspension ou une sanction pécuniaire.

[8] Les fonctionnaires s’estimant lésés ne sont pas représentés par un agent négociateur. Leurs griefs comptent parmi de nombreux griefs quasiment identiques renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi par des fonctionnaires ayant le même représentant. Les présents griefs ont été proposés par les parties à titre de dossiers pouvant être entendus en priorité afin que les parties puissent bénéficier des conclusions de la Commission quant à la nature de la Politique. Les dossiers ont été joints et entendus ensemble. Devant la Commission, les fonctionnaires s’estimant lésés ont allégué que le congé sans solde qui leur avait été imposé comme conséquence pour leur non-conformité à la Politique constituait une mesure disciplinaire déguisée, une mesure qui cherchait à corriger leur comportement et à les inciter à se faire vacciner. L’intimé a fait valoir que la Politique constituait une mesure administrative. Il a soulevé une objection quant à la compétence de la Commission pour instruire les griefs.

[9] La Commission tire sa compétence uniquement de la Loi. Elle n’a pas de compétence inhérente. La portée de la compétence de la Commission pour entendre un grief est décrite à l’art. 209 de la Loi. En vertu de l’alinéa 209(1)b), un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage un grief individuel si le grief porte sur « […] une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire […] ». La question que je dois trancher dans le présent cas est celle à savoir si la Politique, lorsqu’elle a été appliquée aux fonctionnaires s’estimant lésés de façon à les placer en congé sans solde, constituait une mesure disciplinaire déguisée. Pour ce faire, je dois m’appuyer sur la preuve au dossier. Ni la façon dont l’intimé qualifie sa décision ni les sentiments des fonctionnaires qui estiment avoir été traités injustement ne sont en soi des facteurs déterminants (voir Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, aux paragraphes 21 et 23).

[10] Pour que les griefs soient admissibles à l’arbitrage, je dois conclure que l’application de la Politique constituait une mesure disciplinaire déguisée. Si je conclus que la Politique constituait une mesure administrative, je n’ai pas compétence pour instruire les griefs et ceux-ci devront être rejetés.

[11] La présente décision constitue la première décision de la Commission portant sur sa compétence relativement à des griefs alléguant que l’application de la Politique constituait une mesure disciplinaire déguisée. L’audition de ces dossiers a duré 10 jours. Une preuve documentaire volumineuse a été reçue par la Commission et 9 témoins ont été entendus, dont 2 témoins experts.

[12] L’audience s’est déroulée en deux phases. Le 3 février 2023, Pierre Marc Champagne, un des avocats de l’intimé pour la première phase de l’audience, a été nommé commissaire à temps plein de la Commission à compter du 13 mars 2023. Il n’a pas participé à la deuxième phase de l’audience et aucune discussion n’a eu lieu entre la présente formation de la Commission et Me Champagne au sujet de cette affaire.

[13] Pour les motifs suivants, je conclus que les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas satisfait au fardeau qu’il leur incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils avaient fait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée. Bien que l’imposition d’un congé sans solde pour non-conformité à la Politique ait eu un effet défavorable sur eux, je suis d’avis que la Politique constituait une mesure administrative. Pour cette raison, les griefs doivent être rejetés pour absence de compétence.

II. Décisions interlocutoires

[14] De nombreuses décisions interlocutoires ont été rendues avant et durant l’audience. Certaines d’entre elles ont influencé le déroulement de l’audience. Les motifs à l’appui des décisions sont exposés dans les paragraphes suivants.

A. Preuve relative à une violation de droits protégés en vertu de la Charte

[15] Comme il sera expliqué plus longuement dans les motifs, les fonctionnaires s’estimant lésés ont allégué que leur mise en congé sans solde en application de la Politique constituait une atteinte à leurs droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés (Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, adoptée en tant qu’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.); la « Charte »). Ils ont cherché à présenter une preuve relative à cette atteinte étant donné que, selon eux, l’atteinte à leurs droits sert à démontrer que leur mise en congé sans solde constituait une mesure disproportionnée par rapport à son prétendu objectif et que leur mise en congé sans solde cherchait à corriger leur comportement en les punissant. Une preuve et un argumentaire relativement à la Charte étaient, selon eux, au cœur du présent débat.

[16] Pendant la première phase de l’audience, les fonctionnaires s’estimant lésés ont invoqué les droits protégés en vertu des articles 2a), 7 et 15 de la Charte. Toutefois, dans la deuxième phase de l’audience, ils ont abandonné leurs arguments relativement aux articles 2a) (liberté de conscience) et 15 (droit à l’égalité) de la Charte. Dans le cadre des plaidoiries finales, le représentant des fonctionnaires s’estimant lésés a confirmé que les fonctionnaires invoquaient désormais uniquement l’art. 7 de la Charte. Seul le droit protégé par l’art. 7 de la Charte, plus précisément le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, sera abordé dans la présente décision.

[17] Avant l’audience, l’intimé a soulevé une objection, faisant valoir que la Commission ne pouvait pas appliquer la Charte afin de répondre à la question à savoir si l’application de la Politique constituait une mesure disciplinaire déguisée, c’est-à-dire l’analyse visant à confirmer si la Commission avait compétence pour instruire les griefs. L’intimé a fait valoir que la Commission n’avait pas de compétence inhérente sur des questions de Charte et qu’elle pouvait seulement entendre des arguments basés sur la Charte qu’après avoir conclu qu’elle avait compétence pour instruire les griefs des fonctionnaires s’estimant lésés. Il a fondé son objection sur les décisions Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2015 CF 50 (« Chamberlain CF 2015 ») et Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115 (« Chamberlain CRTFP »). Selon l’intimé, une prétendue violation de la Charte ne constitue pas un critère ayant été reconnu par la jurisprudence comme faisant partie de l’analyse visant à conclure si une mesure est disciplinaire et non administrative. Pour cette raison, il a soutenu qu’une preuve relative à une violation de la Charte ne pouvait pas être prise en compte dans le cadre de l’analyse effectuée par la Commission voulant confirmer si elle avait compétence pour instruire un grief alléguant une mesure disciplinaire déguisée.

[18] Dans le contexte d’une conférence préparatoire à l’audience, la Commission a indiqué aux parties que l’objection de l’employeur serait traitée dans le cadre de la décision sur le fond de cette affaire. La Commission a permis aux fonctionnaires s’estimant lésés de présenter la preuve qui, selon eux, fondait leurs allégations voulant que la violation de leurs droits protégés par la Charte servait à démontrer que leur mise en congé sans solde constituait une mesure disciplinaire déguisée. La Commission a informé les fonctionnaires s’estimant lésés que leur preuve et leurs arguments relativement à la Charte devaient d’abord et avant tout servir à démontrer que la Commission avait compétence pour instruire les griefs. La Commission a invité les parties à présenter, dans le cadre de leurs plaidoiries finales, des arguments relativement à la compétence de la Commission pour entendre des arguments relatifs à la Charte dans le contexte des présents dossiers et les traiter.

[19] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont ensuite demandé d’avoir le droit de remettre à plus tard au cours de l’audience la décision de savoir s’ils allaient présenter une contre-preuve relativement à l’article premier de la Charte. Les fonctionnaires s’estimant lésés avaient déjà connaissance de la très grande majorité de la preuve que l’intimé prévoyait présenter pour justifier l’adoption et la mise en œuvre de la Politique. L’intimé avait indiqué avoir l’intention de présenter une preuve semblable à celle qu’il avait présentée précédemment dans le cadre d’un litige portant sur la constitutionnalité d’arrêtés ministériels décrétant la vaccination obligatoire dans le transport maritime, aérien et ferroviaire sous réglementation fédérale. L’intimé avait également indiqué qu’il n’avait pas l’intention de présenter une preuve supplémentaire relative à l’article premier. Comme les fonctionnaires s’estimant lésés avaient connaissance de la preuve de l’intimé et comme le fardeau de faire la preuve d’une mesure disciplinaire déguisée leur incombait, la Commission a informé les fonctionnaires s’estimant lésés qu’ils devaient présenter l’ensemble de leur preuve relativement aux allégations voulant qu’il y ait eu une violation d’un droit protégé par la Charte. Ils ne pouvaient pas attendre à un moment après la clôture de la preuve de l’intimé pour décider s’ils présenteraient une contre-preuve relativement à l’article premier.

[20] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont présenté un avis de question constitutionnelle comme l’exige l’art. 57 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F-7). La Commission n’a reçu aucune réponse à l’avis.

[21] Je reviendrai aux arguments des fonctionnaires s’estimant lésés relativement à la Charte et à la compétence de la Commission pour entendre et trancher des questions relatives à la Charte dans le cadre de mon analyse.

B. Décisions quant à la preuve des fonctionnaires s’estimant lésés

[22] La Commission a rendu deux décisions interlocutoires relativement à la preuve des fonctionnaires s’estimant lésés. Comme les fonctionnaires s’estimant lésés font valoir que ces décisions, mais surtout la deuxième, auraient eu pour effet de les priver de l’occasion de faire valoir leur cause, j’exposerai ici les motifs pour ces décisions.

[23] La première décision a été rendue dans le cadre de la préparation de l’audience et à la suite de plusieurs discussions ayant eu lieu lors de conférences préparatoires à l’audience au sujet de la preuve que chacune des parties souhaitait présenter. À l’époque, les fonctionnaires s’estimant lésés étaient représentés par un avocat.

[24] L’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés a présenté une liste préliminaire de témoins qui comptait, entre autres, trois témoins principaux, soit les fonctionnaires s’estimant lésés et la gestionnaire de M. Rehibi. Aucune objection n’a été formulée à l’égard de la pertinence de ces témoignages. Ces trois personnes ont témoigné lors de l’audience.

[25] La liste préliminaire de témoins comptait également sept témoins secondaires ainsi qu’un nombre non défini de personnes qui auraient, selon l’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés, subi des effets secondaires à la suite de l’administration d’un vaccin contre la COVID-19. L’intimé a formulé une objection quant à la pertinence de la preuve pouvant être offerte par les témoins secondaires. À la demande de la Commission, l’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés a déposé une description écrite de la pertinence, selon lui, de chacun des témoignages proposés. Les parties ont ensuite présenté des plaidoiries orales au sujet de la pertinence.

[26] La Commission peut accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non en justice (voir l’alinéa 20e) de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365)). Toutefois, elle est tenue d’exercer ce pouvoir discrétionnaire de façon à ne pas compromettre les principes généraux de l’équité procédurale, notamment le principe de la pertinence des éléments de preuve aux faits et aux questions en litige.

[27] À la suite de la lecture de la description déposée par l’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés quant à la pertinence des témoignages et après avoir entendu les plaidoiries des parties à ce sujet, j’ai conclu que la preuve pouvant être offerte par l’ensemble des témoins secondaires n’était pas pertinente à la question dont la Commission est saisie, soit si la mise en congé sans solde des fonctionnaires s’estimant lésés constituait une mesure disciplinaire déguisée. Aucun des témoins secondaires potentiels n’était un fonctionnaire fédéral. Aucun n’avait été assujetti à la Politique ou n’avait été impliqué de près ou de loin dans son élaboration, sa mise en application ou sa suspension. Ils étaient des personnes ou des représentants de regroupements de personnes qui auraient, selon eux, été critiquées ou censurées dans les médias sociaux ou sanctionnés par un ordre professionnel ou par un employeur autre que le Conseil du Trésor pour avoir critiqué les vaccins contre la COVID-19, tandis que, comme indiqué précédemment, d’autres témoins potentiels étaient des personnes qui disaient avoir subi des effets secondaires à la suite d’un vaccin contre la COVID-19.

[28] Bien qu’il ait indiqué avoir l’intention d’appeler un témoin expert et un représentant d’un regroupement de fonctionnaires fédéraux qui s’opposaient à la vaccination contre la COVID-19 à titre de témoins, l’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés a peu après indiqué avoir changé d’avis.

[29] La première phase de l’audience s’est déroulée du 28 novembre au 2 décembre 2022. Sur consentement et à la suggestion de l’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés, l’ordre habituel de la présentation de la preuve a été modifié quelque peu afin de permettre à Carole Bidal, la sous-ministre adjointe déléguée qui avait été chargée de voir à l’élaboration et la mise en œuvre de la Politique, de témoigner avant que les fonctionnaires s’estimant lésés aient présenté leur preuve. Ce changement à l’ordre de la présentation de la preuve a été effectué en raison du fait que le témoignage de Mme Bidal quant à l’élaboration et la mise en œuvre de la Politique établirait le contexte factuel dans lequel s’inscriraient tous les autres témoignages.

[30] Pendant cette première phase de l’audience, la Commission a entendu l’ensemble de la preuve de Mme Bidal, suivi du témoignage des trois témoins des fonctionnaires s’estimant lésés. L’interrogatoire et le contre-interrogatoire de Mme Bidal se sont échelonnés sur deux journées entières. La Commission a également entendu une partie importante de la preuve du Dr Jason Kindrachuk, un témoin expert convoqué par l’intimé. Le Dr Kindrachuk a été contre-interrogé par l’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés pendant plusieurs heures avant que la première phase de l’audience ne prenne fin. Il était prévu que le contre-interrogatoire du Dr Kindrachuk se poursuivrait en avril 2023, aux dates prévues pour la reprise de l’audience.

[31] Avant de décrire la suite des événements, je tiens à préciser qu’en début de journée d’audience du 2 décembre 2022 et avant que ne débute le témoignage du Dr Kindrachuk, l’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés a confirmé que leur preuve était close. Les fonctionnaires s’estimant lésés étaient présents tout au long de cette phase de l’audience.

[32] Passons maintenant à la deuxième décision interlocutoire rendue relativement à la preuve des fonctionnaires s’estimant lésés.

[33] En février 2023 et entre la première et la deuxième phase de l’audience, l’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés a informé la Commission qu’il ne représentait désormais plus les fonctionnaires s’estimant lésés. Tout indique que l’avocat aurait décidé de mettre fin à son implication dans le présent dossier. Ce ne sont pas les fonctionnaires s’estimant lésés qui ont mis fin à la relation professionnelle avec leur avocat.

[34] Après le retrait de leur avocat du dossier et pour le restant de l’audience, les fonctionnaires s’estimant lésés ont été représentés par un nouveau représentant. Ce représentant a demandé à la Commission de permettre aux fonctionnaires s’estimant lésés de rouvrir leur preuve. L’intimé a soulevé une objection.

[35] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que leur droit à un procès équitable serait menacé si le droit de rouvrir leur preuve leur était refusé. Ils ont insisté sur l’importance pour eux d’être en mesure de présenter une preuve réfutant les allégations de l’intimé selon lesquelles « […] l’urgence sanitaire prétendument causée par la COVID-19 était d’une gravité sans précédent », « […] la crise ne pouvait être résolue qu’à condition d’inoculer la majeure partie de la population avec un produit à base d’ARN messager qualifié de vaccin », qu’« […] à l’automne 2021, le système de santé était débordé à cause de la COVID-19 », qu’il était « […] nécessaire de soumettre tous les fonctionnaires fédéraux sans exception à l’injection d’un vaccin […] », et que le fait de « […] priver de salaire, pour une période indéterminée, des fonctionnaires ne souhaitant pas se faire injecter le vaccin, n’était qu’une mesure administrative […] ».

[36] La demande cherchait à obtenir le droit de faire entendre 19 témoins supplémentaires, dont 4 témoins experts, et de contre-interroger Mme Bidal de nouveau. La demande cherchait également à obtenir le droit d’interroger – et non de contre-interroger – un témoin de l’intimé devant témoigner pendant la deuxième phase de l’audience, soit la gestionnaire de Mme Lavoie.

[37] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont déposé une description écrite de la nature de la preuve de chacun des témoins supplémentaires qu’ils souhaitaient appeler ainsi que de la pertinence du témoignage de chacun. Lors d’une conférence de gestion des cas, les parties ont eu l’occasion de faire valoir leurs arguments à l’appui de leur position respective. À la suite de la lecture de la description déposée par les fonctionnaires s’estimant lésés quant à la pertinence des témoignages, et après avoir entendu les plaidoiries des parties à ce sujet, j’ai rejeté la demande des fonctionnaires s’estimant lésés. À l’époque, j’ai indiqué que mes motifs en appui à cette décision interlocutoire seraient inclus à ma décision sur le fond : les voici.

[38] La demande des fonctionnaires s’estimant lésés était fondée sur certaines allégations à l’égard de leur ancien avocat, soit que ce dernier les avait mal représentés et n’avait pas suivi leurs instructions. Ils ont indiqué que ce n’est que lors de la première phase de l’audience qu’ils ont appris que leur avocat n’allait pas présenter des témoins experts en appui à leurs allégations. Je ne me prononcerai pas au sujet des allégations à l’égard de l’ancien avocat. Ces allégations n’ont pas été établies en preuve et elles ne font pas l’objet du présent dossier.

[39] La décision d’accorder une demande de réouverture de la preuve relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission. Il ne s’agit pas d’un pouvoir qui devrait être exercé à la légère, surtout lorsque la demande repose uniquement sur une allégation d’assistance non effective de l’avocat. Comme Mediatube Corp. c. Bell Canada, 2018 CAF 127, au par. 34, l’enseigne, les tribunaux doivent être prudents et veiller à ce que le moyen d’assistance non effective de l’avocat ne serve pas d’excuse facile en vue de l’instruction d’un nouveau procès. Je suis d’avis que cet appel à la prudence doit également s’appliquer aux demandes de la part d’une partie souhaitant rouvrir sa preuve dans le cadre de l’arbitrage d’un grief.

[40] Un avocat est le mandataire de ses clients et un client qui a retenu les services d’un avocat sera généralement lié par les décisions prises par son avocat, y compris les décisions de ce dernier relativement à la stratégie de litige (voir Quindiagan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 769, au par. 26, citant Jouzichin c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1886, au par. 2). Une partie qui change de représentation après que sa preuve est close n’a pas, de ce fait même, le droit de rouvrir sa preuve. Cela s’explique en raison de l’importance d’assurer l’équité procédurale, un droit dont les deux parties à un litige doivent bénéficier. Les règles généralement reconnues relativement à l’ordre de la présentation de la preuve ont pour objectif de permettre aux fonctionnaires s’estimant lésés de faire valoir l’ensemble de leur preuve tout en permettant à l’intimé de connaître la preuve faite contre lui et de présenter sa défense en fonction de la preuve qui a été soumise par la partie adverse (voir Johnson c. Société Radio-Canada, 1994 CanLII 284 (TCDP)).

[41] Dans le présent cas, l’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés a indiqué que sa stratégie de litige comportait la présentation de trois témoins et misait sur le contre-interrogatoire des témoins de l’intimé, surtout les témoins experts, pour démentir les allégations de l’intimé. Comme je l’ai indiqué précédemment, la nature de la preuve que l’intimé a présenté à l’audience était bien connue avant le début de l’audience. La preuve documentaire de l’intimé portant sur l’innocuité et l’efficacité des vaccins, le processus d’approbation des vaccins et les données scientifiques sur lesquelles l’employeur s’est fondé dans l’élaboration de la Politique étaient déjà connus. Les rapports d’experts avaient été acheminés à l’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés bien avant le début de l’audience. Il ne s’agit pas d’un dossier dans lequel les fonctionnaires s’estimant lésés peuvent prétendre avoir été surpris par la preuve présentée par la partie adverse.

[42] L’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés a exposé sa stratégie de litige à plusieurs reprises, soit dans le cadre de conférences préparatoires à l’audience et dans des échanges de courriels au dossier de la Commission. Il a confirmé – par écrit et verbalement – qu’il n’avait pas l’intention d’appeler de témoins experts pour réfuter la preuve de l’intimé. Il a également exposé sa théorie de la cause en début d’audience.

[43] Si les fonctionnaires s’estimant lésés ignoraient la stratégie de litige adoptée par leur avocat et les témoins qu’ils prévoyaient appeler avant le début de l’audience, il est indéniable qu’ils en avaient connaissance dès les premiers moments de la première phase de l’audience. Les fonctionnaires s’estimant lésés étaient présents pendant la première phase de l’audience.

[44] Les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas informé la Commission de préoccupations relativement à la stratégie de litige adoptée par leur avocat alors que la première phase de l’audience était en cours. Si leurs préoccupations reposaient véritablement sur le défaut de leur avocat d’appeler les témoins qui, selon eux, étaient nécessaires pour contredire les allégations de l’intimé, ils auraient pu informer la Commission de ces préoccupations bien avant la clôture de leur preuve. Bien que cela aurait entraîné un délai dans le déroulement de l’audience, ils auraient également pu prendre des démarches en vue de changer de représentant avant que leur preuve soit close.

[45] Il est révélateur que les fonctionnaires s’estimant lésés aient indiqué avoir communiqué avec leur avocat pour exprimer leurs préoccupations non pas pendant la phase de l’audience qui correspondait à la présentation de leur preuve, mais plutôt après que leur preuve était close, que le contre-interrogatoire de Mme Bidal était terminé et que le contre-interrogatoire du Dr Kindrachuk était déjà bien avancé.

[46] Ce n’est que la soirée du 2 décembre 2022 et encore en janvier 2023, que les fonctionnaires s’estimant lésés auraient, selon eux, demandé à leur avocat de prendre des démarches pour se renseigner relativement à certains sujets avant de procéder aux contre-interrogatoires des témoins de l’intimé et pour demander à la Commission la permission de rouvrir leur preuve.

[47] Si les fonctionnaires s’estimant lésés n’étaient pas satisfaits de la représentation offerte par leur avocat, il n’empêche qu’ils n’ont pas agi avec célérité pour faire valoir leurs préoccupations. Ils n’ont pas communiqué avec leur avocat avant que leur preuve soit close pour exprimer leurs préoccupations. Ils ont fait défaut de communiquer ces préoccupations à la Commission dans le cadre de la première phase de l’audience. Ce n’est qu’après que leur avocat se soit retiré du dossier qu’ils ont informé la Commission de leurs préoccupations relativement à la représentation offerte par leur avocat. Il ressortait de la demande des fonctionnaires s’estimant lésés et de la plaidoirie de leur représentant lors de la conférence de gestion des cas à ce sujet une nette impression que les préoccupations des fonctionnaires exprimées à leur avocat à la suite de la première phase de l’audience et après la clôture de leur preuve étaient celles de clients contrariés par le fait qu’une audience et, plus particulièrement, le contre-interrogatoire des témoins experts de l’intimé, ne se déroulait pas comme ils l’avaient espéré. L’impression que j’en ai retirée n’était pas celle de préoccupations de clients surpris d’apprendre une stratégie de litige adoptée par leur avocat.

[48] La Commission devait veiller au respect de l’équité procédurale. Pour se faire, la Commission devait tenir compte des droits et des intérêts de chacune des parties au litige. Comme le fardeau de la preuve d’une mesure disciplinaire déguisée incombait aux fonctionnaires s’estimant lésés, la nature et l’étendue de la preuve qu’ils présenteraient à l’audience avaient fait l’objet de nombreuses discussions et échanges de courriels. L’intimé avait préparé sa preuve à la lumière des trois témoins identifiés par les fonctionnaires s’estimant lésés et avait élaboré sa stratégie de litige en conséquence. L’intimé avait le droit de connaître l’intégralité de la preuve présentée contre lui avant de commencer la présentation de sa preuve. Accorder la demande des fonctionnaires s’estimant lésés, en tout ou en partie, aurait eu pour effet de faire passer le nombre de témoins présentés par les fonctionnaires de 3 jusqu’à un maximum de 21. Cela aurait eu pour effet de retarder la deuxième phase de l’audience de façon significative, prolonger la durée totale de l’audience et créer un préjudice important pour l’intimé du fait qu’il serait ainsi tenu de répondre à une preuve ayant augmenté de façon exponentielle en cours d’audience.

[49] Pour les raisons exposées ci-dessus, j’ai conclu que la demande des fonctionnaires s’estimant lésés pour faire entendre des témoins supplémentaires devait être rejetée. Toutefois, en raison de leur objectif avoué de vouloir réfuter les allégations de l’intimé relativement, entre autres, à l’innocuité et l’efficacité des vaccins et à l’existence d’une urgence sanitaire justifiant l’imposition de la Politique, j’ai accordé aux fonctionnaires s’estimant lésés une large marge de manœuvre dans le cadre de leurs contre-interrogatoires des témoins de l’intimé lors de la deuxième phase de l’audience. J’ai fait ainsi pour leur donner l’occasion de démontrer la pertinence des divers thèmes énumérés au par. 35 de la présente décision et, le cas échéant, de soutirer une preuve relativement à ces sujets en contre-interrogatoire.

[50] Nonobstant ma conclusion exposée précédemment relativement à la demande des fonctionnaires s’estimant lésés, je tiens à préciser que j’étais, et je suis toujours, d’avis que, bien que certains thèmes énumérés au par. 35 puissent être d’une certaine pertinence, il existait, selon moi, un écart significatif entre ces thèmes et la description qui m’a été présentée – oralement et par écrit – de la preuve des divers témoins supplémentaires.

[51] Comme je l’ai indiqué précédemment, les fonctionnaires s’estimant lésés ont indiqué vouloir présenter une preuve réfutant des allégations relativement à la gravité de l’urgence sanitaire, à l’impact de la COVID-19 sur le système de santé et à la nécessité, pour le gouvernement, d’utiliser un vaccin à base d’ARNm comme outil pour répondre à la propagation du virus. Ils ont également indiqué vouloir présenter une nouvelle preuve réfutant des allégations voulant qu’il était « […] nécessaire de soumettre tous les fonctionnaires fédéraux sans exception à l’injection d’un vaccin […] » et que le fait de « […] priver de salaire, pour une période indéterminée, des fonctionnaires ne souhaitant pas se faire injecter le vaccin, n’était qu’une mesure administrative […] ».

[52] Comme il a été indiqué précédemment, les fonctionnaires s’estimant lésés cherchaient à obtenir le droit de contre-interroger Mme Bidal de nouveau, de faire entendre 19 témoins supplémentaires, dont 4 témoins experts, et de pouvoir interroger – et non de contre-interroger – la gestionnaire de Mme Lavoie.

[53] Les fonctionnaires ont indiqué avoir « besoin de poser encore quelques questions » à Mme Bidal, sans plus de précisions ou d’explications. Ils n’ont pas pu décrire ou expliquer comment et pourquoi le contre-interrogatoire de Mme Bidal, qui avait pourtant été très long, aurait été incomplet ou insuffisant pour faire valoir leur position. Ils n’ont également pas fourni de renseignements pouvant expliquer à la Commission pourquoi il était nécessaire, selon eux, d’avoir le droit d’interroger la gestionnaire de Mme Lavoie. L’employeur s’était engagé à appeler la gestionnaire comme témoin. Il était déjà prévu que les fonctionnaires s’estimant lésés auraient l’occasion de la contre-interroger. Sans plus de précisions, je n’aurais pas accordé ces deux demandes.

[54] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont également demandé d’avoir le droit d’appeler, comme témoin supplémentaire, l’individu qui avait signé la lettre informant Mme Lavoie de la mise en congé en solde de cette dernière. La seule explication offerte à l’appui de cette demande était que le témoignage servirait à « déterminer si les garanties procédurales [avaient] été respectées ». Une telle demande, en l’absence d’allégations voulant que des garanties procédurales n’aient pas été respectées, constituait, selon moi, une recherche à l’aveuglette.

[55] Passons maintenant à la preuve d’expert. Les fonctionnaires s’estimant lésés souhaitaient présenter 4 témoins experts. Deux des quatre témoins experts proposés par les fonctionnaires s’estimant lésés avaient préalablement été proposés comme des témoins ordinaires dans le cadre de la demande présentée par leur avocat, c’est-à-dire la demande qui a fait l’objet de la décision interlocutoire relative à la preuve des fonctionnaires s’estimant lésés décrite précédemment. La preuve de ces deux témoins avait été jugée non pertinente.

[56] La preuve des témoins experts a été décrite comme portant sur l’immunité naturelle pouvant être acquise contre la COVID-19, sur des données recueillies par le biais d’un système américain permettant l’auto-déclaration d’effets secondaires à la vaccination contre la COVID-19, sur l’historique de la technologie utilisée pour le développement de vaccins à ARNm ainsi que sur l’efficacité et l’innocuité des vaccins contre la COVID-19. Seul le dernier thème était, selon moi, pertinent aux présents griefs, et ce, en raison du fait que l’employeur avait beaucoup insisté sur l’innocuité et l’efficacité des vaccins dans ses communications en lien avec la Politique. Or, la preuve de l’individu proposé à titre de témoin expert à ce sujet avait déjà été jugée non pertinente dans le cadre de la préparation de la première phase de l’audience alors qu’il avait été proposé comme un témoin ordinaire. Permettre aux fonctionnaires s’estimant lésés d’appeler ce témoin à ce stade de l’audience et en raison d’allégations à l’égard de leur ancien avocat aurait eu pour effet de permettre aux fonctionnaires s’estimant lésés de faire indirectement ce que je leur avais précédemment interdit de faire directement.

[57] Comme il a été indiqué précédemment, les fonctionnaires s’estimant lésés ont également demandé d’avoir le droit d’appeler plus qu’une douzaine de témoins ordinaires supplémentaires. Parmi les témoins supplémentaires, on retrouvait un médecin qui aurait témoigné quant à de prétendues lacunes dans le système canadien de surveillance des effets secondaires aux vaccins contre la COVID-19, un individu qui aurait témoigné au sujet des contrats de fabrication des vaccins contre la COVID-19, un médecin qui aurait traité un fonctionnaire vacciné qui est décédé d’un cancer, le conjoint d’une fonctionnaire vaccinée décédée d’un infarctus ainsi que deux membres des Forces armées canadiennes qui auraient témoigné quant à l’élaboration de la politique de vaccination des Forces armées canadiennes et quant au nombre de cas de la COVID-19 et d’effets secondaires aux vaccins au sein des Forces armées. Cette preuve aurait eu pour effet d’élargir le débat devant la Commission de façon significative et d’entraîner la Commission bien au-delà d’un examen de l’application de la Politique aux fonctionnaires s’estimant lésés.

[58] À ces témoins supplémentaires s’ajoutaient huit fonctionnaires fédéraux. Les ministères et organismes pour lesquels ces fonctionnaires travaillaient ne sont pas connus. La liste de ces témoins supplémentaires comptait un fonctionnaire qui aurait témoigné relativement à l’impact qu’ont eu des cas de la COVID-19 sur les activités de la Garde côtière après la mise en application de la Politique, une fonctionnaire dont le fils aurait subi un effet secondaire au vaccin contre la COVID-19, une fonctionnaire qui aurait été tenue de s’absenter du travail pendant plusieurs jours après avoir été vaccinée, et une fonctionnaire qui aurait subi un effet secondaire décrit comme étant sérieux et qui aurait requis un congé de maladie. Deux autres fonctionnaires qui ont été mis en congé sans solde pour non-conformité à la Politique auraient témoigné au sujet du refus de leur employeur de leur accorder une mesure d’adaptation, tandis qu’une autre fonctionnaire aurait témoigné quant à son sentiment d’avoir été contrainte à se faire vacciner en raison du fait qu’elle était mère de famille monoparentale. Le dernier témoin supplémentaire était le représentant des fonctionnaires s’estimant lésés dans le cadre de la deuxième phase de l’audience. La description écrite de son témoignage indiquait qu’il aurait témoigné au sujet d’effets secondaires au vaccin contre la COVID-19 qu’il aurait observé chez ses proches et ses collègues.

[59] La Commission est saisie des griefs individuels des fonctionnaires s’estimant lésés, et non d’un grief collectif. C’est l’application de la Politique aux fonctionnaires s’estimant lésés qui, d’abord et avant tout, doit faire l’objet d’un examen par la Commission. Le fait que les fonctionnaires s’estimant lésés contestent la Politique et que la Politique a été appliquée à l’ensemble de l’administration publique centrale n’a pas pour effet de changer la nature des griefs dont je suis saisie. Cela n’a également pas pour effet d’accorder aux fonctionnaires s’estimant lésés le droit de présenter une preuve qui n’a rien à voir avec les circonstances particulières des fonctionnaires s’estimant lésés. Pour cette raison, la preuve des témoins ordinaires supplémentaires n’était pas pertinente à la question dont la Commission est saisie, soit si la mise en congé sans solde des fonctionnaires s’estimant lésés constituait une mesure disciplinaire déguisée.

III. Résumé de la preuve

[60] Comme je l’ai indiqué précédemment, les fonctionnaires s’estimant lésés ont présenté trois témoins, soit les deux fonctionnaires s’estimant lésés et la gestionnaire de M. Rehibi, Nathalie Bard.

[61] L’intimé a présenté six témoins, soit un témoin expert ayant une expertise en matière de la COVID-19 et la vaccination contre la COVID-19 (Dr Kindrachuk), un témoin expert ayant une expertise relativement au dépistage pour la COVID-19 (Dr Guillaume Poliquin), les gestionnaires de M. Rehibi et Mme Lavoie (Chantal Nadeau et Claudine Blondin), la sous-ministre adjointe déléguée chargée de l’élaboration et la mise en œuvre de la Politique (Mme Bidal) et la directrice générale de la Direction des médicaments biologiques et radiopharmaceutiques de Santé Canada qui, en décembre 2020, a approuvé les premiers vaccins contre la COVID-19 pour utilisation au Canada (Dre Celia Lourenco).

[62] Les témoignages se sont échelonnés sur neuf jours et une quantité de documents importante a été admise en preuve. J’ai tenu compte de l’ensemble de la preuve qui m’a été présentée à l’audience. Toutefois, par souci de concision, je résumerai seulement la preuve que j’estime être la plus pertinente aux questions que je dois trancher dans le cadre des présents griefs.

[63] Comme il a été indiqué précédemment, le fardeau incombe aux fonctionnaires s’estimant lésés de prouver une mesure disciplinaire déguisée. Satisfaire à ce fardeau peut nécessiter, en autres, la présentation d’une preuve relativement à l’intention de l’intimé ainsi que l’effet de la mesure imposée aux fonctionnaires (voir Bergey c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 30, au par. 37; et Frazee, aux paragraphes 22 à 24). Pour cette raison, j’ai accordé une grande latitude aux fonctionnaires s’estimant lésés dans les contre-interrogatoires des témoins de l’employeur. Toutefois, j’estime qu’une partie importante de la preuve qui a découlé de ces contre-interrogatoires s’est avérée non pertinente aux questions que je dois trancher dans le présent cas. J’expliquerai davantage, dans mon analyse, la raison pour laquelle j’en suis arrivée à cette conclusion.

[64] Dans leurs arguments écrits, les fonctionnaires s’estimant lésés ont également inclus des énoncés et allégations qu’ils ont décrits comme étant des éléments d’information de notoriété publique. Selon eux, la Commission devrait admettre ces éléments d’information en preuve étant donné qu’elle leur avait refusé le droit de rouvrir leur preuve. Ce que les fonctionnaires s’estimant lésés décrivent comme étant des éléments d’information de notoriété publique sont loin de l’être. Il s’agit plutôt de données, articles, reportages et allégations qu’ils auraient pu présenter aux témoins de l’intimé en contre-interrogatoire ou qu’ils auraient voulu présenter en preuve si la Commission leur avait permis de faire entendre des témoins supplémentaires. En incluant ces énoncés et allégations dans leurs arguments écrits, ils ont tenté de faire indirectement ce que la Commission ne leur avait pas permis de faire directement. Pour cette raison, je ne tiendrai pas compte des énoncés et allégations n’ayant pas d’assise dans la preuve admise en cours de l’audience qu’ils ont ajoutés à leurs arguments écrits.

[65] L’intimé a également ajouté à ses arguments écrits une référence à un rapport d’enquête qui n’avait pas été admis en preuve dans le cadre de l’audience. Je n’en tiendrai pas compte.

A. Survol de la chronologie

[66] La Politique a été adoptée en octobre 2021 et son application a été suspendue en juin 2022. Toutefois, le développement et la mise en œuvre de la Politique s’inscrivent dans le contexte temporel plus large de la réponse de l’intimé à titre d’employeur des 260 000 fonctionnaires de l’administration publique centrale à la propagation du virus de la COVID-19.

[67] Cette période est gravée à la mémoire de plusieurs. Toutefois, j’offre la chronologie suivante à titre de rappel du contexte factuel et temporel pertinent au présent cas. La chronologie est tirée de la preuve documentaire et des témoignages. Je tiens à préciser que cette chronologie ne se veut pas exhaustive. Elle ne cherche qu’à situer dans le temps le développement et la mise en œuvre de la Politique par l’intimé et son application aux fonctionnaires s’estimant lésés.

[68] Comme les fonctionnaires s’estimant lésés se sont attardés à la pertinence, selon eux, du processus encadrant l’autorisation de la mise en marché des vaccins contre la COVID-19 et de l’émergence de certains variants de la COVID-19 à l’élaboration et la mise en œuvre de la Politique, notamment les variants Alpha, Beta, Delta et Omicron, j’ai inclus dans la chronologie certaines étapes du processus d’autorisation des vaccins ainsi que les périodes approximatives auxquelles les variants seraient vraisemblablement devenus les variants dominants au Canada dans son ensemble. Il m’est impossible d’identifier avec certitude le jour, la semaine ou même le mois qu’un variant est devenu dominant. J’estime qu’il n’est pas nécessaire pour moi de le faire afin de me permettre d’analyser la pertinence et le poids à accorder aux arguments des fonctionnaires s’estimant lésés soulevés dans le cadre de l’arbitrage de griefs en matière de relations de travail. Les périodes approximatives identifiées dans la chronologie suivante sont tirées du rapport d’expert du Dr Kindrachuk, plus précisément la figure 6 de son rapport. Elles concordent avec les témoignages du Dr Kindrachuk et de la Dre Lourenco.

[69] Au début mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré une pandémie mondiale de COVID-19. Le virus SRAS-CoV-2 a été détecté au Canada.

[70] Les 15 et 16 mars 2020, les ministères pour lesquels M. Rehibi et Mme Lavoie travaillaient ont demandé à leurs employés de travailler à distance, à l’exception des employés qui offraient des services essentiels. Dans les semaines suivantes, de nombreuses mesures ont été instaurées en milieu de travail, notamment le port du masque, la distanciation physique et la communication de diverses consignes relatives aux symptômes de la COVID-19, l’hygiène des mains et la désinfection des surfaces. Comme je le décrirai plus loin dans le résumé de la preuve, M. Rehibi a continué à travailler en présentiel tandis que Mme Lavoie a continué à travailler en télétravail.

[71] En avril 2020, le premier ministre du Canada a déclaré qu’un retour à la normale n’aurait lieu que lorsqu’un vaccin contre la COVID-19 serait disponible.

[72] En mai et en juin 2020, la dirigeante principale des Ressources humaines du gouvernement du Canada et le président du Conseil du Trésor du Canada ont signalé, par le biais de messages et déclarations, que les ministères commençaient à planifier un retour en présentiel des fonctionnaires en plus grand nombre. Ces communications indiquaient que la courbe de la propagation de la COVID-19 s’était aplanie et, qu’en juin 2020, elle était en baisse.

[73] Le 16 septembre 2020, la ministre de la Santé a approuvé un arrêté d’urgence ayant pour objectif de permettre une plus grande souplesse dans le déroulement du processus d’autorisation d’importation et de vente des vaccins contre la COVID-19. Aucune modification n’a été apportée à la nature ou l’étendue des données devant être présentées par les fabricants de vaccins quant à l’innocuité et à l’efficacité des vaccins. Les exigences à respecter et les analyses et vérifications effectuées par Santé Canada sont demeurées les mêmes que pour d’autres vaccins pour des maladies respiratoires infectieuses. La souplesse visée par l’arrêté cherchait principalement à permettre aux fabricants de présenter sur une base continue des données relativement à la qualité, l’innocuité et l’efficacité des vaccins afin que Santé Canada puisse en faire l’analyse au fur et à mesure que les données devenaient disponibles. L’arrêté permettait également à Santé Canada d’imposer aux fabricants des conditions supplémentaires.

[74] À l’été et en début de l’automne 2020, un nombre croissant de fonctionnaires dans l’administration publique centrale travaillaient, en tout ou en partie, en présentiel, soit dans les locaux de leur employeur ou dans les locaux de tierces parties. En date du 4 septembre 2020, au moins 60 000 fonctionnaires travaillaient en présentiel.

[75] Le 24 novembre 2020, en raison d’une augmentation rapide du nombre de cas de la COVID-19, la dirigeante principale des Ressources humaines a recommandé aux administrateurs généraux et chefs d’organismes au sein de la fonction publique fédérale de continuer à privilégier le travail à distance. L’augmentation prévue du travail en présentiel était, à toute fin pratique, mise en suspens.

[76] En novembre ou décembre 2020 (approximativement), le variant Alpha est devenu le variant dominant au Canada.

[77] Les 9 et 23 décembre 2020, Santé Canada a approuvé les deux premiers vaccins contre le virus de la COVID-19, soit deux vaccins à base d’ARNm. Contrairement aux vaccins qui utilisent un virus vivant pour déclencher une réponse immunitaire, les vaccins à ARNm enseignent aux cellules du corps comment fabriquer une protéine qui déclenche une réponse immunitaire. Une fois cette réponse immunitaire déclenchée, le corps produit des anticorps qui aident à combattre une infection à la COVID-19, le cas échéant. Ces vaccins devaient être administrés en deux doses, à un intervalle de plusieurs semaines.

[78] En décembre 2020, une campagne de vaccination publique a commencé. Certains groupes de personnes ont été identifiés comme ayant accès à la vaccination sur une base prioritaire.

[79] En janvier 2021 (approximativement), le variant Beta a fait son apparition au Canada.

[80] En avril 2021, la vaccination contre la COVID-19 pour la population générale a commencé, alors que les vaccins devenaient disponibles en plus grande quantité. La campagne de vaccination publique s’est échelonnée sur plusieurs mois en 2021 et s’est effectuée à différentes vitesses dans les diverses régions du pays.

[81] En mai 2021, le président du Conseil du Trésor a émis une déclaration encourageant fortement les fonctionnaires fédéraux à se faire vacciner. Quelques semaines plus tard, la dirigeante principale des Ressources humaines a envoyé un message aux administrateurs généraux et chefs d’organismes concernant une mise à jour de directives concernant l’occupation des lieux de travail fédéraux en prévision de l’assouplissement graduel des restrictions en matière de santé publique.

[82] À l’été 2021, le Secrétariat du Conseil du Trésor a entrepris des analyses relativement à la vaccination. L’adoption d’une politique de vaccination applicable à l’ensemble de l’administration publique centrale était une des options qui faisait l’objet d’analyses.

[83] Vers la fin juillet 2021 (approximativement), le variant Delta est devenu le variant dominant au Canada.

[84] Le 13 août 2021, le Conseil du Trésor, le comité du cabinet fédéral qui constitue l’employeur légal des fonctionnaires de l’administration publique centrale, a annoncé son intention d’adopter une politique de vaccination applicable à l’ensemble de l’administration publique centrale, y compris la Gendarmerie royale du Canada.

[85] Le 6 octobre 2021, la Politique a été adoptée. Elle est entrée en vigueur immédiatement. Sa mise en œuvre a été décrite comme étant graduelle. Les fonctionnaires devaient attester leur statut vaccinal avant le 29 octobre 2021, faute de quoi ils seraient placés en congé sans solde quelques semaines après.

[86] Le 8 novembre 2021, la dirigeante principale des Ressources humaines a partagé avec les administrateurs généraux et chefs d’organismes de la fonction publique une mise à jour des directives ayant pour objectif d’aider les ministères et les organismes à augmenter progressivement le taux d’occupation et à planifier le retour de fonctionnaires dans leur milieu de travail en plus grand nombre. Ces directives modifiées sont entrées en vigueur le 15 novembre 2021.

[87] Le 15 novembre 2021, la Politique a été complètement mise en œuvre. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont été placés en congé sans solde jusqu’à ce qu’ils se conforment à la Politique, que la Politique soit révoquée ou que son application soit suspendue.

[88] Le 16 décembre 2021, en réaction à la propagation d’Omicron, un nouveau variant de la COVID-19, la présidente du Conseil du Trésor a émis une déclaration selon laquelle les ministères et organismes devaient suspendre toute augmentation prévue de l’occupation de leurs locaux et revoir les niveaux d’occupation actuels.

[89] Vers la fin décembre 2021 ou au début janvier 2022 (approximativement), Omicron est devenu le variant dominant au Canada. Ce variant contenait des mutations qui le distinguaient de tous les variants précédents. Ce variant s’est éventuellement montré beaucoup plus transmissible. Il a mené à une augmentation importante du nombre de cas de la COVID-19 ainsi qu’à une augmentation du taux d’hospitalisations.

[90] Pendant les premiers mois de 2022, les communautés scientifiques canadienne et internationale ont effectué des études et analyses pour évaluer l’impact d’Omicron sur l’efficacité des vaccins contre la COVID-19.

[91] Le 28 février 2022, la présidente du Conseil du Trésor a émis une déclaration selon laquelle les ministères et organismes pouvaient reprendre leur planification en vue d’augmenter progressivement la présence de fonctionnaires travaillant en présentiel.

[92] Le 14 juin 2022, le Conseil du Trésor a annoncé que l’application de la Politique serait suspendue le 20 juin 2022. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont été informés qu’ils pourraient réintégrer leurs fonctions dès le 20 juin 2022.

[93] Mme Lavoie a réintégré ses fonctions le 20 juin 2022 et M. Rehibi a fait de même le 4 juillet 2022.

B. La COVID-19, le dépistage et les vaccins contre la COVID-19

[94] Avant de décrire la preuve présentée à l’audience relativement à la COVID-19 et les vaccins contre la COVID-19, il est nécessaire de clarifier ce que les fonctionnaires contestent et ce qu’ils ne contestent pas. Leur position a changé quelque peu entre la première et la deuxième phase de l’audience.

[95] La position mise de l’avant par les fonctionnaires s’estimant lésés dans le cadre de la deuxième phase de l’audience indique qu’ils ne contestent pas l’existence du virus. Ils ne contestent pas non plus que le virus peut mener à des infections, des maladies graves et des décès. Toutefois, ils contestent l’existence d’une véritable urgence sanitaire au Canada, la véracité et la fiabilité des données scientifiques portant sur l’efficacité et l’innocuité des vaccins à base ARNm contre le virus de la COVID-19, ainsi que les données relativement au taux d’hospitalisation en raison de la COVID-19. Dans leurs arguments écrits, les fonctionnaires s’estimant lésés semblent également contester la déclaration, par l’OMS, d’une pandémie de la COVID-19. Dans le cadre des contre-interrogatoires des témoins de l’employeur, les fonctionnaires s’estimant lésés ont cherché à mettre en doute la fiabilité et la véracité des données sur lesquelles l’intimé s’est appuyé dans le cadre de l’audience et de semer un doute relativement à la méthodologie scientifique employée dans le cadre de certaines études qui ont examiné l’efficacité et l’innocuité des vaccins. Une partie importante de la preuve qui a découlé de ces contre-interrogatoires s’est avérée non pertinente aux questions que je dois trancher dans le cadre de l’arbitrage des présents griefs. J’expliquerai davantage, dans mon analyse, la raison pour laquelle j’en suis arrivée à cette conclusion.

[96] Au lieu de me demander de prendre connaissance d’office de faits relatifs au virus de la COVID-19, de l’efficacité et l’innocuité des vaccins ou du processus d’approbation des vaccins comme l’ont fait les tribunaux dans les affaires Parmar v. Tribe Management Inc., 2022 BCSC 1675, R. v. Morgan, 2020 ONCA 279, Khodeir c. Canada (Procureur général), 2022 CF 44, et J.N. v. C.G., 2023 ONCA 77, l’intimé a présenté des éléments de preuve relatifs à ces sujets. J’exposerai la preuve qui m’a été présentée à l’audience et j’en traiterai dans mon analyse.

[97] La preuve présentée à l’audience relativement au virus de la COVID-19, aux vaccins contre la COVID-19 et à l’approbation des vaccins pour le marché canadien provenait principalement du Dr Kindrachuk, un témoin expert, et de la Dre Lourenco. Une preuve a également été présentée relativement au dépistage à la COVID-19. Il s’agissait de la preuve d’un deuxième témoin expert, soit le Dr Guillaume Poliquin.

[98] En raison des postes qu’ils occupent et des fonctions qu’ils exercent, les trois témoins ont des connaissances approfondies de la COVID-19, la transmission du virus, la vaccination contre la COVID-19 et l’évolution de la situation épidémiologique en raison de l’impact des divers variants. En contre-interrogatoire, les trois témoins se sont prononcés sur ces thèmes. Leurs témoignages étaient très semblables. Je n’ai identifié aucune divergence d’opinion ou contradiction importante. Ainsi, pour réduire les répétitions dans la mesure du possible, dans les paragraphes suivants, je décrirai uniquement le témoignage offert par eux en ce qui a trait à leurs propres champs d’expertise ou d’expérience.

[99] La preuve relative au virus de la COVID-19 et à la vaccination sera décrite en premier lieu. Ensuite, je poursuivrai avec le résumé de la preuve relative aux forces et faiblesses du dépistage comme outil pour répondre à la propagation du virus de la COVID-19. En dernier lieu, j’offrirai un résumé de la preuve relative au processus qui a mené à l’approbation par Santé Canada des vaccins contre la COVID-19.

[100] L’admissibilité de la preuve des deux témoins experts présentés par l’intimé est traitée dans le cadre du résumé de leurs témoignages.

1. Témoignage expert sur la COVID-19 et la vaccination

[101] Le Dr Kindrachuk est un virologue et un professeur agrégé au sein du Département de microbiologie médicale et des maladies infectieuses de l’Université du Manitoba. Il est également détenteur de la Chaire de recherche du Canada sur les virus en émergence. Son domaine d’expertise est l’étude des virus émergents, des infections qu’ils provoquent et de leur impact sur la santé mondiale. Il est membre du Réseau de l’intervention de recherche rapide sur les variants du coronavirus, un réseau de chercheurs interdisciplinaires qui cherche à coordonner, faciliter, soutenir et accélérer la recherche à réponse rapide relativement aux variants du virus de la COVID-19 dans tout le Canada. En 2020, le Dr Kindrachuk a effectué un détachement de 12 mois auprès de la Vaccine and Infectious Disease Organization de l’Université de la Saskatchewan où il a contribué à diriger des recherches en lien avec le virus de la COVID-19. Il a mené des études scientifiques portant sur le virus de la COVID-19 et il est membre de groupes de travail de l’OMS relativement au virus de la COVID-19. À au moins une autre occasion, il a été reconnu comme un témoin expert dans le cadre d’un litige portant sur des mesures obligatoires imposées en lien avec la COVID-19.

[102] Dans la première phase de l’audience, les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas présenté une objection à la reconnaissance du Dr Kindrachuk comme témoin expert. Toutefois, dans la deuxième phase de l’audience, soit dans leurs arguments écrits, les fonctionnaires s’estimant lésés ont exprimé de fortes réserves quant à son témoignage, notamment son indépendance et sa crédibilité. Ils ont formulé des allégations relatives à un prétendu conflit d’intérêts pouvant, selon eux, découler d’un financement direct ou indirect accordé à l’employeur du Dr Kindrachuk. Je n’en dirai pas plus au sujet de ces allégations qui n’ont pas été présentées au Dr Kindrachuk dans le cadre de l’audience et qui n’étaient aucunement appuyées par la preuve au dossier.

[103] La Cour suprême du Canada enseigne, dans White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, que la démarche qui permet de déterminer l’admissibilité du témoignage d’opinion d’un expert est une analyse à deux étapes. Dans un premier temps, la Commission doit s’assurer que le témoignage proposé satisfait aux quatre critères énoncés dans l’arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, à savoir la pertinence, la nécessité, l’absence de toute règle d’exclusion et la qualification suffisante de l’expert. La décision d’exclure le témoignage à cette première étape de l’analyse ne devrait être prise que dans les cas manifestes où l’expert proposé ne peut ou ne veut fournir une preuve juste, objective et impartiale.

[104] Si les critères énoncés dans Mohan sont satisfaits, la jurisprudence enseigne que la Commission doit passer à la deuxième étape de l’analyse, soit celle d’examiner les réserves exprimées quant à l’indépendance et l’impartialité du témoin expert dans le contexte d’une évaluation globale des coûts et des bénéfices de l’admission du témoignage (voir White Burgess, aux paragraphes 10 et 54). Les coûts identifiés dans la jurisprudence incluent, entre autres, le risque que le décideur s’en remette à l’opinion de l’expert au lieu de faire un examen critique et efficace de la preuve, le danger que l’admission de la preuve d’expert puisse entraîner des délais et des frais démesurés ainsi que le danger que la preuve d’expert ne distraie le juge des faits au lieu de l’aider (voir White Burgess, au par. 18). White Burgess enseigne également qu’il y a lieu de tenir compte du fait que la preuve d’expert peut être imperméable au contre-interrogatoire efficace par des avocats qui ne sont des experts dans le domaine.

[105] À l’audience, j’ai reconnu le Dr Kindrachuk à titre de témoin expert relativement au virus de la COVID-19 et la vaccination contre ce virus.

[106] Son témoignage au sujet de la transmission du virus de la COVID-19 et du rôle de la vaccination – en soi ainsi qu’en comparaison à des mesures non vaccinales – dans la réduction de la transmission et des infections à la COVID-19 était pertinent aux motifs invoqués par l’employeur pour justifier l’adoption de la Politique ainsi qu’à certains choix ayant été effectués dans l’élaboration de celle-ci.

[107] La Commission est un tribunal administratif avec une expertise en matière de droit du travail. Elle n’a pas d’expertise scientifique. L’opinion d’expert du Dr Kindrachuk était nécessaire pour permettre à la Commission d’apprécier la nature technique et scientifique des questions en litige relatives à la COVID-19 et à l’importance de la vaccination comme un outil pouvant être utilisé par l’employeur. Aucune règle d’exclusion n’a été invoquée par les fonctionnaires s’estimant lésés et aucune des règles d’exclusion reconnues en droit ne trouve application dans le présent cas. Quant au critère de la qualification suffisante de l’expert, les connaissances et l’expérience considérable acquises par le Dr Kindrachuk sont décrites au par. 101 des présents motifs. J’ai conclu qu’il serait en mesure de témoigner de façon juste, objective et impartiale.

[108] J’ai également conclu que l’évaluation globale des coûts et des bénéfices favorisait l’admission du témoignage du Dr Kindrachuk. La preuve du Dr Kindrachuk était pertinente à la position de l’employeur voulant que la vaccination contre la COVID-19 constituait la mesure la plus efficace de répondre à la propagation du virus de la COVID-19. Cette preuve n’était pas, selon moi, susceptible d’usurper mon rôle de décideur étant donné qu’elle ne portait pas sur la question dont la Commission ait saisie, soit si la mise en congé sans solde des fonctionnaires s’estimant lésés constituait une mesure disciplinaire déguisée. Il ne s’agissait que d’une preuve visant à exposer les connaissances scientifiques auxquelles l’employeur avait accès au moment où la Politique a été élaborée, mise en œuvre et suspendue. Dans le présent cas, le défi que peut constituer un contre-interrogatoire efficace d’un témoin expert aurait été minimisé du fait que l’essentiel de la preuve du Dr Kindrachuk était déjà connu et que son rapport avait été envoyé aux fonctionnaires s’estimant lésés bien avant l’audience. Il n’était pas envisagé que l’admission de la preuve de Dr Kindrachuk pourrait entraîner des délais et des frais démesurés (voir White Burgess, au par. 18).

[109] L’opinion d’expert du Dr Kindrachuk a été jugée admissible.

[110] En résumé, le témoignage du Dr Kindrachuk était le suivant :

· Le virus de la COVID-19 est transmis par une personne infectée à d’autres personnes principalement par des gouttelettes respiratoires et des aérosols. Il peut également se transmettre par un contact direct ou indirect avec les muqueuses.

 

· Une personne infectée à la COVID-19 peut être symptomatique, asymptomatique ou présymptomatique. Une personne en phase présymptomatique ne manifeste pas encore de symptômes de la maladie, mais deviendra symptomatique.

 

· La gravité de la maladie chez une personne infectée est très variable. La maladie varie de l’asymptomatique chez certains à la maladie grave et critique chez d’autres. Une infection à la COVID-19 peut, dans certains cas, entraîner une hospitalisation et même le décès de la personne infectée. Les risques les plus élevés de maladie grave sont associés à l’âge et aux problèmes de santé sous-jacents.

 

· Bien que les personnes symptomatiques soient le principal vecteur de transmission du virus, le virus peut être transmis par une personne infectée plusieurs jours avant l’apparition de symptômes de maladie, ce qui constitue une caractéristique unique de la COVID-19 qui contribue à sa propagation rapide. La transmission virale peut également se produire en cas de maladie asymptomatique.

 

· Les risques de transmission peuvent être influencés par certains facteurs, entre autres, la phase de l’infection, l’environnement, les modes de contact, des facteurs socio-économiques et, comme sera décrit plus loin, le variant du virus qui circule dans la communauté.

 

· Il n’existe pas d’intervention ou de mesure unique pouvant accorder une protection totale contre l’infection à la COVID-19. Une intervention composée de multiples mesures de protection constitue la meilleure protection contre l’infection.

 

· Les interventions non pharmaceutiques, notamment le port du masque, la ventilation, la distanciation physique et l’hygiène des mains peuvent contribuer à réduire la transmission du virus au sein de la collectivité. Toutefois, elles n’assurent pas une protection immunologique contre la maladie en cas d’infection. Chaque intervention non pharmaceutique apporte une mesure de protection supplémentaire, mais ne garantit pas une protection totale contre l’infection. La transmission du virus peut toujours se produire.

 

· La vaccination fournit une protection additionnelle contre la COVID-19. Les vaccins ne peuvent à eux seuls bloquer ou empêcher toute transmission du virus. La meilleure protection est celle offerte par une intervention qui combine la vaccination et des interventions non pharmaceutiques.

 

· Les vaccins ne protègent pas à 100 % et l’immunité post-vaccinale varie d’un individu à un autre. Un risque d’infection post-vaccinale existe.

 

· L’objectif premier de la vaccination contre la COVID-19 n’est pas d’empêcher la transmission du virus. Plutôt, l’objectif est de réduire le risque de maladie grave, d’hospitalisation et de décès. La vaccination est un mécanisme sûr qui offre un niveau global de protection contre les conséquences graves de la COVID-19.

 

· Bien qu’il ne s’agisse pas de l’objectif primaire de la vaccination contre la COVID-19, la vaccination a pour effet de réduire la période infectieuse de la maladie en atténuant les symptômes, réduisant ainsi la période symptomatique et infectieuse globale et, par conséquent, la période pendant laquelle la personne pourrait transmettre le virus dans la communauté.

 

· Les avantages de la vaccination se manifestent au niveau individuel ainsi qu’au niveau collectif. Parmi les avantages de la vaccination au niveau collectif, il y en a un qui est particulièrement pertinent au milieu de travail. L’exclusion d’employés non vaccinés d’un lieu de travail sert à réduire le risque de transmission du virus sur le lieu de travail, y compris le risque de transmission du virus aux personnes vaccinées. Le risque d’une infection post-vaccinale existe toujours. Toutefois, le risque de transmission du virus dans un milieu de travail composé uniquement de personnes vaccinées serait considérablement réduit.

 

· Les deux principales catégories de vaccins contre la COVID-19 sont les vaccins à ARNm et les vaccins à base de vecteurs viraux. Contrairement aux vaccins à ARNm décrit précédemment, les vaccins à base de vecteurs viraux utilisent un virus inoffensif comme vecteur viral. Les vaccins qui ont été mis en marché par Pfizer et Moderna étaient des vaccins à ARNm tandis que le vaccin qui a été mis en marché par AstraZeneca était un vaccin à base de vecteur viral.

· Bien qu’ils soient considérés par certains comme une « nouvelle » technologie, les vaccins à ARNm sont à divers stades de développement préclinique et clinique depuis près de 30 ans. Ils ont été étudiés de près dans le cadre d’essais cliniques contre d’autres maladies infectieuses.

 

· Privilégier une intervention fondée sur l’immunité naturelle au lieu d’une immunité vaccinale comporte d’importantes considérations de santé publique. Une immunité naturelle est provoquée par la réaction immunitaire du corps à la suite d’une infection à la COVID-19. Une intervention de cette nature peut entraîner des maladies graves découlant de l’infection initiale à la COVID-19 et avoir un impact important sur le système de soins de santé. De plus, l’immunité naturelle peut varier considérablement d’une personne à l’autre et peut s’affaiblir avec le temps.

 

· Les virus peuvent muter. Les coronavirus ne font pas exception. Toutefois, ce ne sont pas toutes les mutations qui mènent à l’émergence d’un nouveau variant. Certaines mutations peuvent avoir peu d’effet, ou ne pas en avoir, sur le comportement du virus. Bien qu’il soit possible qu’un nouveau variant puisse surgir en période de transmission prolongée du virus, il n’y a aucune certitude que cela se produira.

 

· Il est impossible de prédire le comportement d’un virus.

 

· Lors de précédentes épidémies de coronavirus telles que le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), des variants préoccupants n’étaient pas apparus. Des variants préoccupants sont de nouveaux variants ayant une incidence sur la gravité de la maladie ou une transmissibilité accrue ou la capacité de se soustraire au diagnostic ou à l’immunité. Sur la base de cette expérience passée, la communauté scientifique ne s’attendait pas nécessairement à ce qu’il y ait des variants préoccupants de la COVID-19 capables d’affecter la capacité d’un vaccin à fournir une protection contre l’infection au virus.

 

· Au fil du temps, des variants de la COVID-19 ont été identifiés. Les variants Alpha, Delta et Omicron sont les variants qui ont été les plus présents au Canada. Ils se sont succédé dans ce qui a été décrit comme des « vagues » de transmission de la COVID-19.

 

· Malgré ces variants, les vaccins ont continué à offrir une protection contre les conséquences graves de la COVID-19. Pendant un certain temps, les vaccins ont permis de réduire de façon significative le taux d’infection à la COVID-19 chez les personnes vaccinées.

 

· Une fois qu’un variant préoccupant est identifié, la communauté scientifique doit procéder à des études visant à déterminer si le variant entraînera des modifications du comportement viral ou de l’efficacité des vaccins. Ces études peuvent prendre plusieurs mois, car elles doivent prendre en considération et analyser divers facteurs potentiellement confondants tels que les mesures de santé publique en vigueur dans la région géographique à l’étude, la disponibilité de vaccins et de doses de rappel, le pourcentage de la population entièrement vaccinée et le temps s’étant écoulé depuis la vaccination, entre autres.

 

· Le variant Omicron pouvait, en raison de mutations, échapper à la réponse immunologique créée par le vaccin plus que les variants antérieurs. Cela a mené à plus d’infections post-vaccinales, une augmentation importante dans le nombre de cas de la COVID-19 et, par conséquent, une augmentation du taux d’hospitalisations en raison de la COVID-19 ou pour un motif accessoire à la COVID-19. Toutefois, les vaccins ont continué à protéger contre les conséquences graves de la COVID-19.

 

· La protéine de spécule d’un coronavirus, la protéine ciblée par les vaccins ARNm contre la COVID-19, est sujette à mutations. Toutefois, les vaccins ARNm entraînent une réaction immunitaire ciblant la totalité de la protéine de spécule, ce qui fait en sorte que s’il y a une mutation dans une région spécifique de la protéine de spécule, une réaction immunitaire se produira quand même pour le reste de la protéine. Cela signifie que le vaccin continuera normalement à protéger contre les conséquences graves de la COVID-19, même si le vaccin est moins efficace pour bloquer l’infection.

 

· Bien que l’efficacité des vaccins à réduire le taux d’infection chez les personnes vaccinées ait été réduite avec l’émergence d’Omicron, les données scientifiques indiquent que la transmission du virus par une personne vaccinée et infectée du variant Omicron était probablement réduite par rapport à une personne non vaccinée et infectée du même variant.

 

· Au fil du temps, les études effectuées relativement à Omicron ont montré que la capacité du vaccin à prévenir l’infection était réduite mais que la protection offerte par le vaccin contre les conséquences graves restait élevée. Toutefois, cette protection diminuait rapidement.

 

2. Témoignage expert sur le dépistage pour la COVID-19

[111] Le Dr Poliquin est le vice-président du Laboratoire national de microbiologie de l’Agence de santé publique du Canada (ASPC). Il détient un doctorat en microbiologie médicale et infectiologie. Il est également médecin avec une pratique clinique en matière de maladies infectieuses pédiatriques.

[112] Dr Poliquin est l’auteur principal des premières lignes directrices provisoires de l’ASPC relativement à l’utilisation de tests de détection rapides d’antigènes pour déceler une infection à la COVID-19. Il a participé au développement de divers outils diagnostiques et de suivi pour la COVID-19. Il est l’auteur de publications scientifiques évaluées par les pairs qui traitent de l’efficacité d’essais diagnostiques de la COVID-19. À au moins une autre occasion, il a été reconnu comme un témoin expert dans le cadre d’un litige portant sur des mesures obligatoires imposées en lien avec la COVID-19.

[113] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont exprimé de fortes réserves quant à la qualification du Dr Poliquin à titre de témoin expert, notamment quant à sa crédibilité et à son indépendance en raison de sa participation à une vidéo préparée par l’intimé que les fonctionnaires s’estimant lésés ont été tenus de visionner dans le cadre de l’application de la Politique. Bien que ces « fortes réserves » ne constituent pas, en soi, une objection à la qualification du témoin à titre d’expert, j’offre tout de même les commentaires suivants quant au témoignage du Dr Poliquin.

[114] Le témoignage du Dr Poliquin satisfaisait aux critères énoncés dans les arrêts Mohan et White Burgess décrits précédemment. Son témoignage relativement au dépistage pour la COVID-19, notamment les forces et faiblesses du dépistage comme outil pour répondre à la propagation du virus de la COVID-19, était pertinent au choix effectué par l’employeur de privilégier la vaccination par rapport au dépistage. Son opinion d’expert était nécessaire, et ce, pour les motifs exprimés dans le cadre de l’analyse de la nécessité du témoignage du Dr Kindrachuk. L’opinion d’expert du Dr Poliquin était nécessaire pour permettre à la Commission d’apprécier la nature technique du dépistage de la COVID-19, ainsi que l’effet qu’a eu l’émergence de variants du virus sur l’efficacité et la spécificité des tests de dépistage.

[115] Aucune règle d’exclusion n’a été invoquée par les fonctionnaires et aucune des règles d’exclusions reconnues en droit ne trouve application dans le présent cas. Quant au critère de la qualification suffisante de l’expert, les connaissances et l’expérience considérable acquises par le Dr Poliquin sont décrites aux paragraphes 111 et 112 des présents motifs.

[116] J’ai conclu que le Dr Poliquin serait en mesure de témoigner de façon juste, objective et impartiale. Je ne partage aucunement les réserves exprimées par les fonctionnaires s’estimant lésés relativement à la crédibilité ou l’indépendance du témoin.

[117] Ni les propos du Dr Poliquin dans la vidéo préparée par l’intimé ni son témoignage lors de l’audience n’ont suscité un doute à mon esprit quant à sa compréhension de son obligation envers la Commission, soit l’obligation d’apporter à la Commission une aide juste, objective et impartiale. Sa participation dans la vidéo, sans plus, est nettement insuffisante pour appuyer une conclusion selon laquelle son opinion serait influencée par ce lien antérieur avec l’intimé ou que son opinion ne découlerait pas d’un examen objectif des questions qui lui seraient posées. J’ai été satisfaite de son indépendance et de son impartialité.

[118] Dans le cadre de mon évaluation globale des coûts et des bénéfices de l’admission du témoignage du Dr Poliquin, j’ai tenu compte des réserves des fonctionnaires s’estimant lésés au sujet de l’indépendance et l’impartialité du Dr Poliquin. J’ai pesé la pertinence, la fiabilité et la nécessité de son témoignage par rapport aux facteurs de risque décrits précédemment, notamment les délais et les frais, les difficultés liées à assurer un contre-interrogatoire efficace d’un témoin expert, le danger que la preuve d’expert constitue une distraction des véritables questions en litige et le risque que la preuve puisse faire en sorte que le décideur s’en remette à l’opinion de l’expert au lieu de faire un examen critique et efficace de la preuve.

[119] La preuve du Dr Poliquin était pertinente à la décision de l’employeur de privilégier la vaccination par rapport au dépistage. Cette preuve n’était pas, selon moi, susceptible d’usurper mon rôle de décideur étant donné qu’elle ne portait pas sur la question de savoir si l’application de la Politique aux fonctionnaires s’estimant lésés constituait une mesure disciplinaire déguisée. Il ne s’agissait que d’une preuve visant à exposer les connaissances scientifiques auxquelles l’employeur aurait eu accès au moment où la Politique a été élaborée et mise en œuvre. L’essentiel de la preuve du Dr Poliquin était déjà connu et son rapport avait été envoyé aux fonctionnaires s’estimant lésés bien avant l’audience. Il n’était pas envisagé que l’admission de la preuve de Dr Poliquin pourrait entraîner des délais et des frais démesurés (voir White Burgess, au par. 18).

[120] J’ai conclu que l’utilité possible du témoignage du Dr Poliquin l’emportait sur les risques liés à son témoignage (voir White Burgess). Le Dr Poliquin a été reconnu à titre de témoin expert relativement au dépistage pour la COVID-19. Son opinion d’expert a été jugée admissible.

[121] Les principes généraux découlant du témoignage du Dr Poliquin sont les suivants :

· Le dépistage est inférieur à la vaccination comme outil pour freiner la propagation d’un virus comme la COVID-19. Contrairement à la vaccination, le dépistage ne réduit pas la transmission du virus. Seules les actions prises à la suite d’un résultat de dépistage positif à la COVID-19 peuvent avoir pour effet de réduire la transmission du virus.

 

· Le dépistage a comme objectif l’identification des cas positifs à la COVID-19. Il n’offre pas une protection contre la maladie grave ou le décès en raison d’une infection à la COVID-19. La vaccination offre une protection contre la maladie grave et le décès.

 

· Deux sortes de tests de dépistage ont communément été utilisés au Canada en réponse à la propagation du virus de la COVID-19: les tests de dépistage rapide, aussi connus comme des tests de détection rapides d’antigènes, et les tests de détection moléculaire communément connus sous le nom de « tests PCR ». Les tests de détection moléculaire analysés en laboratoire sont supérieurs aux tests de dépistage rapide pouvant être effectués à domicile. Ils sont plus sensibles et donc plus efficaces à détecter une charge virale peu après une infection et alors que la personne infectée peut ignorer avoir contracté le virus de la COVID-19.

 

· Bien que les tests de dépistage rapide aient une sensibilité plus faible, ils ont une excellente spécificité, c’est-à-dire que l’utilisateur du test peut avoir confiance qu’un résultat de dépistage positif à la COVID-19 constitue bel et bien un cas d’infection à la COVID-19. Ces tests peuvent constituer un outil utile pendant des périodes de haute transmission du virus alors que les laboratoires traitant les tests de détection moléculaire sont incapables de répondre à la demande.

 

· Avant la disponibilité de vaccins contre la COVID-19, les mesures de santé publique visant le contrôle des infections étaient axées sur l’identification des cas positifs à la COVID-19, la recherche des contacts et l’isolement pour contrôler la propagation du virus. À cette époque, le dépistage à l’aide de tests de détection moléculaire a été utilisé à large échelle, notamment en raison de l’exactitude et de la fiabilité accrue de ces tests.

 

· Le dépistage est imparfait, peu importe la nature du test utilisé.

 

· Des régimes de santé publique s’appuyant uniquement sur le dépistage sont moins efficaces que des régimes fondés sur la vaccination. Le dépistage, et surtout au moyen de tests de détection rapide d’antigènes pouvant être effectués à domicile, ne permet pas d’identifier toutes les personnes infectées à la COVID-19. Une personne infectée peut transmettre le virus avant l’apparition de symptômes ou en l’absence de symptômes, c’est-à-dire que la personne peut transmettre le virus alors que rien ne lui porte à croire qu’elle est infectée à la COVID-19. La sensibilité du dépistage peut être influencée par divers facteurs tels que le variant dominant à l’époque ainsi que le moment auquel l’écouvillonnage est effectué, et la façon dont il est effectué.

 

· Un régime s’appuyant uniquement sur le dépistage est également moins efficace en raison du fait que des personnes infectées à la COVID-19 ayant reçu un résultat de dépistage négatif seront moins portées à se conformer aux mesures sanitaires suggérées en raison de leur croyance qu’elles sont négatives à la COVID-19.

 

· L’apparition du variant Omicron a davantage diminué l’efficacité de tout régime s’appuyant uniquement sur le dépistage.

 

· Omicron constituait un variant fondamentalement différent des variants précédents. Son émergence a nécessité une revue complète des recherches et constats tirés auparavant relativement aux variants précédents, notamment en ce qui a trait au dépistage et à la protection offerte par la vaccination. Beaucoup des recherches et d’études effectuées relativement au virus de la COVID-19 et des premiers variants étaient à refaire.

 

· En raison de la présence de multiples facteurs confondants devant être pris en compte et analysés, plusieurs mois, dont une partie importante du début de l’année 2022, se sont écoulés avant que les communautés scientifiques canadienne et internationale puissent en arriver à un consensus en ce qui a trait à l’impact d’Omicron sur le dépistage, la protection vaccinale et, plus particulièrement, la protection vaccinale contre les formes graves de la maladie.

 

· Omicron avait un taux de transmission élevé pendant la période précédant le dépistage d’une infection de la COVID-19. La fiabilité d’un résultat négatif à un test de détection rapide d’antigènes était diminuée. De plus, l’augmentation du nombre de cas positifs provoquée par le variant Omicron a fait en sorte que la demande pour le dépistage moléculaire a rapidement dépassé la capacité des laboratoires canadiens.

 

· Il a été nécessaire de modifier les conseils de l’ASPC relativement au dépistage de la COVID-19, notamment en réduisant l’accès au dépistage moléculaire et en donnant de nouvelles consignes sur la méthode d’écouvillonnage.

 

3. L’approbation des vaccins contre la COVID-19

[122] À l’époque pertinente, la Dre Lourenco était la directrice générale de la Direction des médicaments biologiques et radiopharmaceutiques de Santé Canada. Elle était responsable de l’examen scientifique et de l’autorisation réglementaire des vaccins pour le marché canadien. C’est elle qui a autorisé les vaccins contre la COVID-19 pour utilisation au Canada. Elle n’a pas été impliquée dans l’élaboration ou la mise en œuvre de la Politique.

[123] Son témoignage se résume comme suit :

· Santé Canada est l’organisme chargé de la réglementation des vaccins. Le ministère est également responsable du processus de pharmacovigilence, soit le processus de surveillance des effets secondaires ou indésirables après la vaccination.

 

· L’ASPC est l’organisme chargé de contrôler l’épidémiologie de maladies infectieuses et l’efficacité vaccinale, c’est-à-dire vérifier si les vaccins ont l’effet voulu dans la collectivité lorsqu’ils sont administrés. L’ASPC effectue également la collecte de données relativement aux effets secondaires ou indésirables après la vaccination. Sur ce dernier thème, les responsabilités de l’ASPC et celles de Santé Canada se chevauchent.

 

· La décision d’autoriser ou non les vaccins contre la COVID-19 revenait à la Dre Lourenco. Personne n’est intervenu pour influencer sa décision.

 

· Elle a pris la décision d’approuver les vaccins sur la base des renseignements et données présentées par les fabricants, des analyses effectuées par les membres de son équipe sur ces données ainsi que sur des données provenant d’études canadiennes et internationales relativement à l’innocuité des vaccins pour lesquels des demandes d’autorisation avaient été présentées.

 

· L’approbation des demandes pour l’autorisation réglementaire des vaccins a été fondée sur les données disponibles à l’époque, notamment des données provenant d’essais cliniques à 3 phases comportant des dizaines de milliers de participants, d’études en laboratoire et d’études animales, ainsi que sur des données relatives à la fabrication, à la pureté et aux mesures de sécurité prises afin de garantir la qualité et l’efficacité des vaccins.

 

· En raison de l’importance d’identifier un vaccin pouvant contribuer à freiner la propagation de virus au niveau mondial, des organismes de réglementation internationaux, dont Santé Canada, se sont concertés afin de s’entendre sur les données minimales requises pour permettre l’approbation de vaccins contre la COVID-19, notamment la période sur laquelle devaient s’échelonner les données provenant d’essais cliniques.

 

· Les exigences réglementaires canadiennes n’ont pas été assouplies. Les demandes en vue de l’autorisation réglementaire des vaccins ont été révisées, étudiées et analysées de la même façon que pour tout autre vaccin, la seule exception étant celle décrite dans la chronologie, soit le fait que les données provenant d’études et d’essais ou relatives aux mesures prises pour assurer la qualité et l’efficacité des vaccins pouvaient être présentées par les fabricants et analysées par Santé Canada sur une base continue.

 

· Le processus d’approbation de ces vaccins a été effectué avec la même rigueur que pour tout autre vaccin. Si le processus a pu être effectué plus rapidement qu’en temps normal, ce n’est qu’en raison du fait que des ressources humaines supplémentaires ont été affectées à la tâche et qu’un nombre significatif d’heures supplémentaires ont été effectuées par ceux et celles impliqués dans l’étude et l’analyse des demandes.

 

· Un vaccin est seulement approuvé s’il a été démontré que les bénéfices conférés par le vaccin l’emportent sur les risques en découlant, notamment les risques d’effets secondaires.

 

· La principale mesure de l’efficacité d’un vaccin est sa capacité à prévenir l’infection chez les personnes à risque ayant reçu le vaccin. S’il prévient l’infection, le vaccin est également censé prévenir la transmission, car si une personne n’est pas infectée à la COVID-19 grâce à un vaccin, elle ne pourra pas propager le virus.

 

· Les vaccins ne sont pas à 100 % efficaces à protéger contre une infection, peu importe la sorte de vaccin. Ils peuvent toutefois être très efficaces à protéger contre l’infection ainsi que contre les maladies graves, l’hospitalisation et les maladies mortelles.

 

· Des infections post-vaccinales sont possibles, c’est-à-dire qu’il est possible pour une personne ayant reçu deux doses du vaccin contre la COVID-19 d’être tout de même infecté par la COVID-19 à une date ultérieure. Ce genre d’infection est devenu plus fréquent avec le variant Omicron.

 

· L’efficacité des vaccins contre la COVID-19 a fait l’objet d’essais cliniques destinés à évaluer la capacité des vaccins à prévenir l’infection par la COVID-19 et leur efficacité contre les formes graves de la maladie. Au moment de leur autorisation, les données relativement à l’efficacité vaccinale des vaccins ARNm contre une infection à la suite de l’administration de deux doses étaient de 94 et 95 %.

 

· Après l’approbation des vaccins, Santé Canada a continué à recevoir et à analyser des données relativement à l’efficacité et l’innocuité des vaccins. Ces données provenaient, entre autres, des fabricants, des scientifiques canadiens et étrangers et de l’ASPC. Avec le passage du temps, les données sur l’efficacité vaccinale ont démontré que l’immunité vaccinale diminuait avec le temps. Les vaccins offrent une bonne protection pour plusieurs mois après la vaccination avant de diminuer.

 

· La technologie utilisée pour l’élaboration et la préparation de vaccins ARNm avait fait l’objet d’études et de recherches pour plus d’une décennie. La pandémie de la COVID-19 a constitué une occasion pour mettre ces vaccins en marché. Les vaccins contre la COVID-19 constituaient également les premiers vaccins autorisés pour les humains relativement à un coronavirus. La quantité, la qualité et la nature des données présentées à Santé Canada pour l’autorisation réglementaire étaient semblables aux donnés présentées pour d’autres types de vaccins.

 

· Comme pour tous les vaccins, les vaccins contre la COVID-19 ont fait l’objet d’une surveillance par Santé Canada de l’innocuité et de l’efficacité des vaccins au sein de la population après leur mise en marché, y compris la surveillance d’effets secondaires. Cette surveillance peut mener au retrait d’un vaccin du marché si les données révèlent que les risques associés au vaccin sont plus grands que les bienfaits. Cela ne s’est pas produit.

 

· Une équipe de scientifiques chez Santé Canada a effectué une analyse des déclarations d’effets secondaires à la suite de la vaccination contre la COVID-19, comme Santé Canada le fait pour tout autre vaccin. L’objectif de cette analyse est de confirmer un lien de causalité entre le vaccin et l’effet secondaire, ou l’exclure. Certains effets secondaires rares, mais potentiellement sérieux, se sont manifestés dans le passé, lors de l’administration d’autres types de vaccins. Des déclarations pouvant suggérer la présence de tels effets secondaires à la suite de la vaccination contre la COVID-19 ont été examinées attentivement et ont été traitées en priorité.

 

· En ce qui a trait au vaccin contre la COVID-19, les effets secondaires pour lesquels un lien de causalité a été établi ou pour lesquels un lien de causalité ne peut pas être écarté sont affichés sur le site web de l’ASPC. La majorité d’entre eux ne constituent pas des effets secondaires importants ou dangereux. Il s’agit, par exemple, d’effets secondaires tels que la fatigue, la douleur musculaire, un mal de tête et la fièvre.

 

· Les cas d’effets secondaires graves ayant été rapportés et pour lesquels un lien de causalité a pu être établi, ou n’a pas pu être écarté, sont très peu nombreux, surtout lorsque leur nombre est comparé au nombre total de doses vaccinales contre la COVID-19 qui ont été administrées.

 

· Le risque pouvant découler d’une infection à la COVID-19, notamment le risque de maladie grave, d’hospitalisation et de décès, est supérieur au risque pouvant découler du vaccin lui-même.

 

C. L’élaboration de la Politique

[124] Comme je l’ai mentionné précédemment, Carole Bidal est la sous-ministre adjointe déléguée des Relations avec les employés et de la rémunération globale au sein du Bureau de la dirigeante principale des ressources humaines du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. Elle occupe ce poste depuis septembre 2021. En plus de diverses autres fonctions et responsabilités, elle a été chargée de voir à l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique de vaccination applicable à l’ensemble de l’administration publique centrale, y compris la Gendarmerie royale du Canada. Elle a fourni des conseils et des avis au Conseil du Trésor relativement à la Politique. Toutefois, la décision d’adopter la Politique fut celle du Conseil du Trésor.

[125] L’historique suivant, tiré du témoignage de Mme Bidal, constitue un survol de la preuve que j’ai entendu relativement à l’élaboration de la Politique. Le contenu de la Politique sera décrit dans une section subséquente du résumé de la preuve.

[126] Dès mars 2020, le Conseil du Trésor devait réagir à l’émergence d’un virus dont les effets et la transmissibilité étaient peu connus à l’époque. Il a demandé à un nombre important de fonctionnaires qui travaillaient auparavant en présentiel de travailler à distance. Selon Mme Bidal, le risque à la santé et à la sécurité que représentait la COVID-19 était l’unique raison pour ce changement soudain et majeur aux opérations au sein de l’administration publique centrale.

[127] À ce moment-là, le travail à distance constituait une mesure temporaire visant à permettre à l’employeur d’assurer ses obligations en vertu de la partie II du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2; CCT), soit ses obligations en matière de santé et sécurité au travail. Selon Mme Bidal, l’intention de l’employeur était de faire en sorte que les fonctionnaires de l’administration publique centrale réintègrent le milieu de travail dès que cela pourrait se faire de façon sécuritaire.

[128] Ce ne sont pas tous les fonctionnaires de l’administration publique centrale à qui l’employeur a demandé de travailler à distance. Les fonctionnaires qui offraient un service essentiel n’ont pas cessé de travailler en présentiel, tandis que d’autres ont dû travailler à distance à partir de mars 2020, mais ont réintégré les locaux de l’employeur pendant l’été 2020.

[129] Comme il est indiqué dans la chronologie décrite précédemment, environ 60 000 des 260 000 fonctionnaires de l’administration publique centrale travaillaient en présentiel en septembre 2020. Certains fonctionnaires travaillaient étroitement avec le public ou avec des clients ministériels, tandis que certains travaillaient dans les locaux de tierces parties. Il s’agissait principalement de fonctionnaires que Mme Bidal a décrits comme étant des travailleurs de [traduction] « première ligne ». Il s’agissait, entre autres, d’agents correctionnels, d’agents des services frontaliers, d’infirmiers et infirmières, de membres de la Garde côtière et de membres de la Gendarmerie royale du Canada ainsi que les fonctionnaires qui travaillaient en appui à ces derniers. À ceux-ci, s’ajoutaient de nombreux fonctionnaires dont le travail en présentiel était requis pour permettre à l’employeur ou au ministère de satisfaire à ses obligations légales, de même que des fonctionnaires dont les tâches ne pouvaient pas – en tout ou en partie – s’effectuer à distance et qui devaient travailler sur place à temps plein, à temps partiel ou de façon ad hoc. Il s’agissait, entre autres, de fonctionnaires œuvrant dans les domaines de la sécurité nationale, les affaires étrangères, la sécurité publique, la défense nationale et l’inspection des aliments. Comme il sera décrit plus loin dans les motifs, M. Rehibi occupait un poste dont les tâches s’effectuaient à l’époque entièrement en présentiel.

[130] Selon Mme Bidal, en septembre 2020, la majorité des fonctionnaires au sein de l’administration publique centrale travaillaient toujours à distance. Il en était ainsi parce que l’employeur avait l’obligation de veiller à la protection de la santé et sécurité des fonctionnaires et qu’il n’y avait pas, à l’époque, de vaccins contre la COVID-19.

[131] Comme il est décrit dans la chronologie, le Conseil du Trésor avait exprimé son intention d’augmenter le nombre de fonctionnaires travaillant en présentiel à l’été 2020. Ce nombre a augmenté au cours de l’été et le début de l’automne. Toutefois, à l’automne, une augmentation dans le nombre de cas de la COVID-19 a fait en sorte que les démarches en vue d’accroître le travail en présentiel ont temporairement été mises en suspens.

[132] En décembre 2020, une campagne de vaccination publique a commencé. Au cours des mois suivants, les vaccins contre la COVID-19 sont graduellement devenus disponibles à travers le pays. Comme les vaccins devaient être administrés en deux doses à plusieurs semaines d’intervalle, la campagne de vaccination étant encore en cours lorsqu’en mai 2021, le Conseil du Trésor a de nouveau signalé son intention de prendre des démarches en vue d’augmenter le nombre de fonctionnaires travaillant en présentiel. Lors de son témoignage, Mme Bidal a indiqué qu’il aurait été prématuré, en mai 2021, d’envisager l’imposition d’une obligation vaccinale aux fonctionnaires de l’administration publique centrale. L’accès aux vaccins était encore restreint par certains critères d’éligibilité et la disponibilité des vaccins était inégale d’une région à l’autre.

[133] Selon Mme Bidal, son équipe a commencé à effectuer des analyses relativement à une politique de vaccination lorsque les vaccins sont devenus disponibles partout au pays. Les recommandations en matière de santé publique indiquaient que la vaccination constituait le meilleur outil contre l’infection, la transmission du virus, l’hospitalisation et la maladie grave. L’adoption d’une politique de vaccination pour l’administration publique centrale était une des options à l’étude. Selon Mme Bidal, ces analyses ont commencé à l’été 2021.

[134] Dans son témoignage, Mme Bidal a décrit les sources d’information qu’elle avait à sa disposition lorsque son équipe a commencé à effectuer les analyses initiales, de même que lorsque le temps est venu pour procéder à l’élaboration et la mise en œuvre de la Politique. Mme Bidal bénéficiait, entre autres, des conseils des membres de son équipe et de conseils et avis provenant d’autres ministères tels le ministère de la Justice, Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) et l’ASPC. Elle recevait également des questions ou commentaires de la part des divers ministères de l’administration publique centrale relativement à la mise en œuvre de la Politique.

[135] Je tiens à souligner deux éléments de mise en contexte importants relativement à l’élaboration de la Politique. À l’été 2021, le Conseil du Trésor n’avait pas – et ne pouvait pas recueillir – des données quant au taux de vaccination des fonctionnaires de l’administration publique centrale. Le taux de vaccination chez les fonctionnaires était inconnu.

[136] Le deuxième élément que je souhaite souligner est qu’au moment de l’élaboration de la Politique, de premières mutations du virus de la COVID-19 avaient déjà été identifiées, notamment les mutations communément connues comme les variants Alpha et Delta. Les conseils et constats de l’ASPC indiquaient que le vaccin était très efficace contre le variant Delta. Selon Mme Bidal, alors que la Politique était en voie de mise en application, Omicron avait fait son apparition, mais Delta était toujours le variant dominant. Les renseignements, avis et conseils dont elle disposait à l’époque ne l’ont pas porté à croire qu’il y avait un besoin de revoir l’approche préconisée en raison de l’émergence du variant Omicron.

[137] Mme Bidal a témoigné avoir tenu compte de divers facteurs dans l’élaboration de la Politique. Certains de ces facteurs étaient liés à la COVID-19 et aux vaccins, tandis que d’autres étaient liés aux obligations légales du Conseil du Trésor comme employeur. Elle a également tenu compte de facteurs qui étaient davantage liés aux activités des divers ministères et organismes de l’administration publique centrale. Je décrirai ces facteurs dans cet ordre.

[138] Parmi ces facteurs, on compte bon nombre de données, des renseignements et des avis relatifs à la COVID-19 et la vaccination. Mme Bidal recevait notamment des données épidémiologiques, des données relativement aux taux de vaccination dans la population canadienne et au nombre de cas de la COVID-19 chez les fonctionnaires ayant travaillé en présentiel, ainsi que le nombre de fonctionnaires touchés par la fermeture de bureaux en raison d’éclosions de la COVID-19. Mme Bidal a également tenu compte des constats et conseils de l’ASPC relativement à l’efficacité et l’innocuité des vaccins ainsi que relativement à l’importance de la vaccination en réponse à la COVID-19.

[139] Les renseignements et conseils provenant de l’ASPC se résument comme suit :

· Les vaccins étaient très efficaces contre le virus de la COVID-19, y compris le variant Delta qui était, à l’époque, un variant émergeant plus transmissible que ses prédécesseurs et qui comportait un plus grand risque de maladie grave et d’hospitalisation que le virus souche et les variants précédents;

 

· Les bénéfices de la vaccination l’emportaient sur les risques d’effets secondaires ;

 

· La vaccination constituait l’outil le plus efficace pour réduire la propagation du virus et offrir une protection contre la maladie grave, l’hospitalisation et le décès.

 

· La vaccination constituait un outil essentiel à la reprise économique et à l’atteinte d’une immunité globale de façon sécuritaire;

 

· Il était fortement recommandé que tous les Canadiens et Canadiennes admissibles à la vaccination soient entièrement vaccinés.

 

[140] Dans l’élaboration de la Politique et, plus particulièrement, en établissant la période accordée aux fonctionnaires pour attester du statut vaccinal et la date à laquelle ceux et celles n’ayant pas attestés seraient mis en congé sans solde, Mme Bidal a tenu compte de la disponibilité des vaccins partout au pays et du fait que les vaccins les plus couramment disponibles exigeaient l’administration de 2 doses, de 8 à 10 semaines d’intervalle (selon la province dans laquelle un fonctionnaire habitait). Elle a également pris en considération le délai devant s’écouler après la deuxième dose pour une efficacité vaccinale maximale. Mme Bidal a expliqué la pertinence de ces divers délais et périodes d’attente entre l’administration des doses du fait qu’il n’était pas faisable du point de vue opérationnel pour l’employeur d’exiger la vaccination seulement lorsqu’un fonctionnaire serait convoqué à travailler en présentiel. Si tel était le cas, plusieurs semaines ou mois s’écouleraient entre la demande voulant que le fonctionnaire travaille en présentiel – que ce soit en permanence, à court terme ou de façon ad hoc – et le moment où le fonctionnaire serait considéré entièrement vacciné, et donc moins à risque d’infection, maladie grave, hospitalisation ou décès. Procéder ainsi aurait été non seulement inefficace et long, mais aurait également eu un impact significatif sur la fourniture de services aux citoyens et citoyennes.

[141] Mme Bidal a également tenu compte de facteurs liés aux obligations légales du Conseil du Trésor à titre d’employeur, notamment les obligations découlant du CCT, des conventions collectives, de la Charte et de la LCDP.

[142] Parmi ces obligations, l’obligation du Conseil du Trésor en vertu de la partie II du CCT était primordiale. Selon Mme Bidal, l’employeur était tenu de prendre toutes les mesures possibles pour assurer la protection de la santé et sécurité au travail des 260 000 fonctionnaires de l’administration publique centrale, sans exception.

[143] La disponibilité de vaccins contre la COVID-19 faisait en sorte qu’à l’été et l’automne 2021, l’employeur avait un nouvel outil à sa disposition pour protéger la santé et la sécurité des fonctionnaires, un outil qui, selon l’ASPC, constituait le meilleur outil pour protéger contre les infections, les maladies graves, les hospitalisations et les décès. Selon Mme Bidal, pour atteindre son objectif de protéger la santé et la sécurité des fonctionnaires, tous les fonctionnaires – ou presque – devaient être vaccinés. La vaccination s’ajouterait aux mesures de santé et sécurité déjà en place, soit le port du masque, la distanciation physique, l’hygiène des mains, et j’en passe.

[144] En contre-interrogatoire, Mme Bidal a indiqué que la Politique cherchait à protéger la santé et la sécurité des fonctionnaires, mais également la santé et la sécurité de ceux avec qui les fonctionnaires interagissaient dans le milieu du travail, c’est-à-dire d’autres fonctionnaires, des membres du public, des clients et des tierces parties. Elle a également précisé que les obligations de l’employeur en vertu du CCT s’appliquaient également lorsqu’un employé travaillait à distance, c’est-à-dire que les obligations s’appliquaient dans le domicile du fonctionnaire. Selon elle, un employé qui devenait infecté par la COVID-19 à la maison pouvait, s’il devait rentrer au bureau pour travailler en présentiel avec ou sans préavis, mettre ses collègues et ses clients à risque d’une infection.

[145] Mme Bidal a également pris en compte l’obligation de l’employeur de fournir à tous les fonctionnaires un milieu de travail exempt de harcèlement. Elle a dit être consciente du fait que la vaccination obligatoire était source de controverse à l’époque et qu’il était important que la Politique prévoie des mesures visant à respecter le choix des personnes ne voulant pas se faire vacciner, et ce, surtout à leur retour au travail à la suite de leur congé sans solde.

[146] Les besoins d’adaptation et les obligations légales de l’employeur à cet égard ont également été pris en compte dans l’élaboration de la Politique. Mme Bidal a témoigné de l’importance de prévoir certaines exemptions à l’application de la Politique pour refléter le devoir de prendre des mesures d’adaptation qui incombe à l’employeur en vertu de la Charte et de la LCDP.

[147] De plus, Mme Bidal a indiqué avoir tenu compte de facteurs liés aux activités et au fonctionnement des divers ministères et organismes au sein de l’administration publique centrale. La Politique devait s’appliquer à l’ensemble des emplois et des milieux de travail au sein de l’administration publique centrale. Bien que certains fonctionnaires travaillent dans un bureau avec peu de contact ou sans aucun contact avec le public, d’autres travaillent dans les locaux de tierces parties ou en contact quotidien et étroit avec des clients ou membres du public. Il n’y a pas un modèle unique de fonctionnaire ou d’emploi au sein de l’administration publique centrale, et la Politique devait assurer la sécurité de tous. De plus, Mme Bidal a tenu compte du besoin du gouvernement du Canada de maintenir les services à la population canadienne tout en assurant la santé et la sécurité des fonctionnaires.

[148] Mme Bidal a indiqué qu’en 2021, de plus en plus de ministères voulaient augmenter le nombre de leurs employés travaillant en présentiel. Certains ministères voulaient augmenter la présence d’employés dans les locaux de l’employeur dans le but de répondre à des problèmes continus de prestation de services et des difficultés d’ordre opérationnel ayant été provoquées par une période de travail à distance prolongée, soit l’intégration de nouveaux employés et la formation. Selon Mme Bidal, le traitement de demandes devant principalement être effectuées en présentiel, tel que le traitement de documents confidentiels et de demandes d’accès à l’information avait, dans certains ministères, pris des retards importants en raison du travail à distance.

[149] Mme Bidal a reconnu que la portée et l’étendue de la Politique étaient sans précédent. Elle a également indiqué qu’il s’agissait d’un choix intentionnel que de recommander l’adoption d’une politique s’appliquant à l’ensemble de l’administration publique centrale. Selon elle, l’adoption d’une politique qui aurait permis l’application au cas par cas d’une obligation vaccinale n’aurait pas permis à l’employeur d’atteindre son objectif de protéger la santé et sécurité des fonctionnaires en atteignant un taux vaccinal le plus élevé possible. Une politique vaccinale discrétionnaire aurait constitué une mesure qui se serait apparentée à une recommandation vaccinale. De plus, une politique dont la nature ou l’application aurait varié d’un ministère à l’autre aurait rendu la mise en œuvre et la mise en application de la Politique très difficile et n’aurait également pas permis à l’employeur d’atteindre l’objectif voulu de protéger la santé et la sécurité au travail de l’ensemble des fonctionnaires.

[150] Mme Bidal a indiqué que l’impact que pourrait avoir une mise en congé sans solde pour les fonctionnaires refusant de se conformer à la Politique a été examiné en comparaison au bénéfice pouvant découler de la Politique. Selon Mme Bidal, à la lumière des données et des avis scientifiques auxquels elle avait accès à l’époque, notamment des avis voulant que les vaccins constituaient un outil d’importance critique pour protéger les fonctionnaires contre la COVID-19, elle était de l’avis que le besoin de respecter les obligations de l’employeur en vertu de la partie II du CCT dépassait les impacts sur les fonctionnaires qui refuseraient de se faire vacciner.

[151] La Politique a été adoptée le 6 octobre 2021.

[152] Selon Mme Bidal, les congés sans solde pour non-conformité à la Politique étaient consignés aux dossiers des fonctionnaires concernés à titre de congé sans solde, sans plus de détails. Le code utilisé pour inscrire le congé au système de paye était le même que celui utilisé pour tout autre congé sans solde.

D. La Politique

[153] Comme il a été indiqué précédemment, la Politique est entrée en vigueur le 6 octobre 2021 et son application a été suspendue le 20 juin 2022. En date de la présente décision, la Politique n’a pas été abolie.

[154] La Politique s’appliquait aux 86 ministères et organisations faisant partie de l’administration publique centrale et à leurs employés.

[155] Le résultat attendu de la Politique était que tous les fonctionnaires de l’administration publique centrale soient entièrement vaccinés à l’exception de ceux et celles pour lesquels des mesures d’adaptation étaient prises en raison d’une contre-indication médicale certifiée, de la religion ou d’un autre motif de distinction illicite prévu par la LCDP.

[156] Tous les fonctionnaires devaient attester leur statut vaccinal, qu’importe s’ils travaillaient sur place, à distance ou en télétravail. Dans le cadre de la présente décision, l’expression « télétravail » décrit uniquement le travail à domicile effectué conformément à une entente formelle entre un fonctionnaire et son ministère. L’expression « travailler à distance » est utilisée pour décrire un fonctionnaire qui travaille temporairement à distance à la demande de son employeur, comme fut le cas pour des milliers de fonctionnaires fédéraux dès la mi-mars 2020.

[157] Trois objectifs sont énoncés à la Politique, soit :

· Prendre toutes les précautions raisonnables, dans les circonstances, pour la protection de la santé et de la sécurité des employés contre la COVID-19, notamment la vaccination;

 

· Améliorer le taux de vaccination contre la COVID-19, au Canada, des employés de l’administration publique centrale;

 

· Faire en sorte que tous les employés, y compris ceux qui travaillent à distance en raison de la pandémie et en télétravail, soient entièrement vaccinés « […] pour se protéger, protéger leurs collègues et leurs clients […] » contre la COVID-19, et ce, étant donné que les exigences opérationnelles pouvaient inclure une présente sur place ad hoc.

 

[158] À l’automne 2021, trois vaccins étaient disponibles. Deux d’entre eux nécessitaient l’administration de deux doses du vaccin, administrées à plusieurs semaines d’intervalle, afin d’atteindre un maximum de protection vaccinale et d’être considéré « entièrement vacciné », tel qu’il a été défini par le Comité consultatif national de l’immunisation. La Politique ne dictait pas quel vaccin contre la COVID-19 un fonctionnaire devait recevoir. Toutefois, il était nécessaire pour un fonctionnaire d’être « entièrement vacciné » pour se conformer à la Politique, sauf si l’employé bénéficiait d’une exemption en raison d’une mesure d’adaptation. Un employé qui refusait d’être entièrement vacciné ou qui refusait de divulguer son statut vaccinal devait assister à une séance de formation en ligne sur la vaccination contre la COVID‑19. Si un fonctionnaire n’avait pas attesté son statut vaccinal au plus tard le 29 octobre 2021, il ou elle était placé en congé sans solde dès le 15 novembre 2021.

[159] La Politique prévoyait, entre autres, que les administrateurs généraux d’organisations faisant partie de l’administration publique centrale et les gestionnaires au sein de ces organisations avaient la responsabilité d’assurer un environnement respectueux, inclusif et équitable, notamment en ne tolérant pas le harcèlement ou toute autre conduite interdite à l’égard d’un employé en raison de son statut vaccinal.

[160] La Politique était accompagnée d’un complément d’information, soit le Cadre de mise en œuvre de la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris la Gendarmerie royale du Canada (le « Cadre de mise en œuvre ») et un document à l’intention des gestionnaires chargés d’appliquer la Politique, soit la Trousse d’outils pour les gestionnaires sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris la Gendarmerie royale du Canada (la « Trousse d’outils »). Les deux documents étaient évolutifs, c’est-à-dire qu’ils pouvaient faire l’objet d’une mise à jour au fil de l’évolution des connaissances scientifiques et des directives de santé publique. La Trousse d’outils a été mise à jour à deux reprises. Le Cadre de mise en œuvre, quant à lui, ne semble pas avoir été mis à jour.

[161] Le Cadre offrait une description détaillée des exigences relatives à la mise en œuvre et la mise en application de la Politique, notamment les délais, l’attestation de vaccination nécessaire pour s’y conformer, le traitement des demandes de congés de maladie, la participation des fonctionnaires qui refusaient d’être entièrement vaccinés à une séance de formation virtuelle obligatoire, la protection des renseignements personnels, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’endroit de fonctionnaires ne pouvant être vaccinés, ainsi que les démarches à respecter à l’égard de fonctionnaires choisissant de ne pas être entièrement vaccinés.

[162] La Trousse d’outils, quant à elle, contenait des ressources à l’intention des gestionnaires, telles que des formulaires, des arbres de décision et des questions et réponses sur divers sujets, incluant la vaccination et la COVID-19, la sécurité et le bien-être des employés, ainsi que des renseignements et instructions relativement, entre autres, aux attestations vaccinales et au processus de demandes de mesures d’adaptation.

E. La preuve relative à M. Rehibi

[163] En date de l’audience, M. Rehibi occupait le même poste et effectuait les mêmes tâches qu’avant la mise en application de la Politique.

[164] Il est un commis de soutien chez Service Canada (une organisation au sein du ministère de l’Emploi et du Développement social Canada; EDSC) depuis novembre 2020. Il s’agit de son premier emploi à titre de fonctionnaire fédéral. Il était, et est toujours, fier de travailler pour le gouvernement fédéral.

[165] M. Rehibi a été embauché chez Service Canada peu après avoir perdu son emploi dans le secteur privé au début de la pandémie. Initialement, son embauche était pour une période déterminée d’une durée de deux ans. Une nomination pour une période indéterminée, qui devait initialement avoir lieu en décembre 2021, a été reportée en raison du défaut de M. Rehibi à se conformer à la Politique. La nomination pour une période indéterminée a eu lieu le 2 août 2022, soit moins d’un mois après son retour au travail à la fin de son congé sans solde.

[166] M. Rehibi offre un soutien administratif aux agents de Service Canada qui traitent les demandes pour des prestations de la Sécurité de la vieillesse pour la province du Québec. Il gère les documents en lien avec le traitement de ces demandes. Les tâches incluent, entre autres, la réception et le tri du courrier, la numérisation et l’archivage de documents papier, l’envoi de documents numérisés aux agents, l’impression et l’envoi de lettres à envoyer aux demandeurs de prestations ainsi que la saisie de données dans un système informatique.

[167] Selon les gestionnaires de M. Rehibi, Nathalie Bard et Chantal Nadeau, le traitement de demandes de prestations sociales, telles que les demandes de prestations de la Sécurité de la vieillesse, avait été identifié par EDSC comme constituant un service essentiel. Alors qu’EDSC a demandé, le 16 mars 2020, à de nombreux employés de Service Canada de travailler à distance en raison de la propagation de la COVID-19, les commis de soutien et tous les autres employés qui contribuaient à la prestation de services essentiels étaient tenus de travailler sur place, dans les locaux de Service Canada. À l’époque, l’ensemble des tâches de M. Rehibi devait être effectué sur place, car les demandes de prestation étaient reçues en format papier.

[168] Avec le passage du temps et en raison de changements qui ont été apportés à la façon dont certaines tâches pouvaient être effectuées, il est devenu possible pour les commis de soutien de travailler à distance à l’occasion et en alternance. Toutefois, comme l’ont expliqué Mme Bard et Mme Nadeau, en raison de la nature des tâches à effectuer, il était impossible pour l’employeur, du point de vue opérationnel, de permettre aux commis de soutien de travailler exclusivement ou majoritairement à distance ou en télétravail pendant la pandémie, à l’exception d’employés ayant droit à une mesure d’adaptation. Mme Bard et Mme Nadeau ont toutes les deux témoigné que lors d’une journée typique à l’automne 2021, la période à laquelle la Politique est entrée en vigueur, environ 75 % des employés de leurs équipes travaillaient sur place. Un système de rotation avait été instauré afin de permettre aux commis de soutien ayant un intérêt à travailler à distance de le faire à l’occasion.

[169] Selon Mme Bard, M. Rehibi n’a pas manifesté un intérêt particulier à travailler à distance, ce qui a également été reflété dans le témoignage de ce dernier. M. Rehibi a expliqué qu’il avait tenté l’expérience du travail à distance seulement à quelques reprises. Il travaillait sur place. Selon lui, bien que certaines des tâches d’un commis de soutien pouvaient être effectuées à distance, une présence sur place était requise afin de répondre aux demandes formulées par les agents qui traitaient les demandes de prestations.

[170] Lorsque M. Rehibi travaillait sur place avant la mise en œuvre de la Politique, de nombreuses mesures de santé et de sécurité au travail avaient été mises en place sur les lieux de travail. Parmi ces mesures, il y avait la distanciation physique, le port du masque et l’autodépistage quotidien. La désinfection des surfaces de travail était effectuée régulièrement. L’utilisation de gel antiseptique était recommandée. Des limites avaient été imposées relativement au taux d’occupation à l’étage, et le travail à distance était imposé à titre préventif pour ceux et celles ayant été en contact étroit avec une personne infectée à la COVID-19. La gestion assurait la recherche de contacts lors d’un cas positif à la COVID-19 en milieu de travail.

[171] Selon Mme Nadeau, les diverses mesures décrites au paragraphe précédent cherchaient à protéger la santé et la sécurité des employés travaillant sur place ainsi qu’à éviter une propagation de la COVID-19 en milieu de travail qui pouvait mener à la fermeture temporaire du bureau; cela aurait, par conséquent, un impact important sur la livraison des prestations sociales à une clientèle âgée dont le bien-être pouvait dépendre de ces prestations. Ces mesures sont demeurées en vigueur après la mise en œuvre de la Politique.

[172] Avant l’adoption de la Politique, M. Rehibi s’était renseigné sur Internet et sur les médias sociaux relativement aux risques associés à la COVID-19. Ayant constaté qu’il ne possédait aucune des caractéristiques ou comorbidités pouvant faire de lui une personne susceptible de présenter une forme grave de la maladie ou des complications s’il contractait la COVID-19, il a effectué une évaluation comparative des bénéfices et risques découlant de la vaccination. Selon son témoignage, une expérience antérieure dans sa vie personnelle l’aurait mené à conclure qu’aucune intervention médicale n’est 100 % efficace, et que toute intervention médicale comporte un risque quelconque.

[173] Il a conclu que les risques associés à contracter la COVID-19 étaient moins élevés que le risque pouvant découler d’un vaccin dont il ignorait la composition et qui, selon lui, était à une phase expérimentale.

[174] Le 13 août 2021, EDSC a informé ses employés, dont M. Rehibi, que le gouvernement du Canada avait annoncé son intention d’exiger la vaccination dans l’ensemble de la fonction publique. Une mise à jour a été envoyée quelques jours plus tard. Le 6 octobre 2021, EDSC a informé ses employés, dont M. Rehibi, de l’adoption de la Politique et a partagé avec eux de plus amples renseignements relativement, entre autres, à l’obligation vaccinale, l’obligation d’attester le statut vaccinal, le processus à suivre pour faire une demande de mesure d’adaptation, et l’intention de l’employeur de placer tout employé ayant refusé d’attester son statut vaccinal ou ayant refusé de se faire vacciner en congé sans solde à partir du 15 novembre 2021. D’autres communications d’EDSC ont suivi dans les semaines suivantes.

[175] Ni l’annonce, en août 2021, qu’une politique de vaccination pour les fonctionnaires fédéraux allait être adoptée, ni l’adoption de la Politique en octobre 2021, ni la formation obligatoire qu’il a dû suivre relativement à la vaccination contre la COVID-19 n’ont porté M. Rehibi à reconsidérer sa décision de ne pas se faire vacciner. Les diverses communications d’EDSC à ses employés au sujet de la Politique, de la vaccination et de la COVID-19 n’ont pas influencé sa décision. Au cours de son témoignage, il a indiqué que la conséquence de la non-conformité à la Politique, soit la mise en congé sans solde, ne l’avait pas mené à douter de sa décision. Une fois sa décision prise, il l’a maintenue. Il a toutefois cherché à être discret et ne pas afficher son statut vaccinal ou sa décision de ne pas se conformer à la Politique.

[176] M. Rehibi a décrit son refus de se conformer à la Politique comme une question de principe. Selon lui, plus on insistait sur la vaccination contre la COVID-19, plus il résistait. Il a indiqué ne pas s’être senti obligé d’accepter de faire ce qu’on lui demandait de faire, soit se faire vacciner. Il a témoigné que, s’il avait été tenu de choisir entre se faire vacciner ou perdre son emploi, il aurait préféré perdre son emploi.

[177] Comme il a été indiqué précédemment, M. Rehibi n’a pas fait de demande d’exemption à l’application de la Politique à titre de mesure d’adaptation en vertu de la LCDP. Le 15 novembre 2021, il a été placé en congé sans solde. Il a continué à avoir droit à l’assurance-maladie et à l’assurance dentaire pendant la durée de ce congé. L’employeur a continué à effectuer sa contribution au régime de pension.

[178] Selon Mme Nadeau, la présence d’employés sur les lieux de travail a augmenté entre octobre 2021 et juin 2022, soit pendant la période d’application de la Politique.

[179] M. Rehibi a indiqué avoir trouvé un autre emploi peu après le début de son congé sans solde. Pour cette raison, il a témoigné ne pas avoir « trop souffert financièrement » du congé sans solde qui lui avait été imposé. Bien que ce nouvel emploi fût moins bien rémunéré que son emploi auprès de Service Canada, il a pu faire suffisamment d’heures supplémentaires pour combler l’écart salarial. Avant de décrocher cet emploi, il avait fait une demande d’assurance-emploi. Sa demande a subséquemment été refusée.

[180] Peu de temps après l’annonce selon laquelle l’application de la Politique allait être suspendue, M. Rehibi a été informé que son congé sans solde prendrait fin le 20 juin 2022. Il a été invité à revenir au travail. Comme il occupait un autre emploi et qu’il devait donner un préavis à cet autre employeur, M. Rehibi n’a réintégré ses fonctions que le 4 juillet 2022.

[181] Selon M. Rehibi, étant donné les dates de son départ en congé et de son retour peu après la suspension de la Politique, certains de ses collègues en auraient déduit qu’il avait refusé de se conformer à la Politique. Bien qu’il dit avoir ressenti que certains collègues étaient plus distants sur le plan émotionnel à son retour au travail, M. Rehibi a indiqué n’avoir vécu aucune expérience ou interaction négative avec des collègues ou des gestionnaires en raison de son refus de se conformer à la Politique, que ce soit avant ou après son congé sans solde. Il a décrit son retour au travail comme ayant été effectué dans le respect.

[182] M. Rehibi n’a aucun antécédent disciplinaire. Il a été décrit par Mme Bard et Mme Nadeau comme étant un excellent employé.

F. La preuve relative à Mme Lavoie

[183] En date de l’audience, Mme Lavoie occupait le même poste et effectuait les mêmes tâches qu’avant la mise en application de la Politique.

[184] Elle est traductrice-conseil et chef d’équipe au Bureau de la traduction chez SPAC. Depuis 2003, elle travaille au sein d’une équipe chargée de la traduction de textes provenant d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, de la Commission canadienne des grains, de la Commission canadienne du lait et de la Commission canadienne de sûreté nucléaire. Ses tâches incluent le contrôle de la qualité de traductions effectuées par des entreprises privées et des pigistes, ainsi que la formation et l’encadrement de nouveaux traducteurs. Comme traductrice-conseil, elle peut également être appelée à traduire des textes « prioritaires » tels que des textes à l’intention d’un ministre ou du premier ministre.

[185] Une traductrice-conseil a également la responsabilité de traduire des textes secrets, c’est-à-dire des documents dont la manutention et le traitement exigent une cote « secrète ». La traduction de ces textes doit être effectuée sur place, sur des appareils électroniques désignés à cette fin. La traduction de ces textes ne peut pas être effectuée à distance.

[186] Mme Lavoie tire une grande fierté de sa carrière et du service qu’elle offre au profit de la population canadienne.

[187] Depuis 2015, Mme Lavoie travaillait de son domicile conformément à une entente de télétravail. Le télétravail était la norme au sein de l’équipe de Mme Lavoie. Une partie importante de l’équipe travaillait en télétravail à temps plein, et ce, bien avant la pandémie.

[188] L’entente de télétravail de Mme Lavoie devait être renouvelée annuellement. Elle a été renouvelée annuellement de 2015 à 2021. Cette entente autorisait Mme Lavoie à travailler de la maison à temps plein, mais prévoyait également qu’elle devait se rendre sur place, à la demande de son employeur. Mme Lavoie a indiqué qu’elle comprenait que son employeur pouvait mettre fin à l’entente de télétravail à n’importe quel moment et qu’il pouvait lui demander de rentrer au bureau à tout moment, notamment en raison d’un besoin de traduction d’un texte secret, pour assister à une réunion ou pour participer à une formation.

[189] En 2021, les ententes de télétravail de tous les fonctionnaires au Bureau de la traduction ont été remplacées par des ententes de travail provisoires. Pour les fins du présent dossier, il suffit de préciser qu’en vertu de cette entente de travail provisoire, Mme Lavoie travaillait toujours à domicile et elle était toujours tenue de rentrer au bureau si son employeur en faisait la demande.

[190] Lorsque SPAC, en mars 2020, a demandé à ses employés de travailler à distance, très peu a changé pour Mme Lavoie relativement à la façon dont elle effectuait son travail au quotidien.

[191] Peu après avoir demandé à tous ses employés de travailler à domicile s’ils le pouvaient, SPAC a révisé ses instructions à l’intention de ses employés pour préciser que seuls les employés qui assuraient des services essentiels devraient se présenter sur les lieux de travail. Selon Claudine Blondin, la gestionnaire de Mme Lavoie, un service de traduction constitue un service essentiel. Ainsi, la traduction de textes secrets devait être effectuée en présentiel comme auparavant. Les fonctionnaires et les gestionnaires qui se rendaient sur place étaient tenus d’inscrire leur nom dans un registre de présences avant de se présenter au bureau.

[192] Mme Lavoie a témoigné qu’avant la pandémie, la fréquence à laquelle elle devait se rendre sur place pour traduire des textes secrets pouvait varier d’une fois par mois à une fois sur une période de trois mois. Elle se rendait sur place pour des formations et des réunions d’équipe. Dans son grief, elle a indiqué qu’avant la pandémie, elle devait se rendre au bureau une ou deux fois par mois, toutes raisons confondues.

[193] Entre mars 2020 et la date à laquelle la Politique est entrée en vigueur en novembre 2021, Mme Lavoie n’a pas dû se rendre sur place pour traduire un texte secret. Elle a témoigné s’être rendue sur place deux fois pendant cette période, soit une fois pour actualiser un mot de passe qui ne pouvait pas être actualisé à distance, et une deuxième fois pour la prise d’une photo pour le renouvellement de sa carte d’accès. Lorsqu’elle s’est rendue au bureau à ces occasions, ce ne fut que très brièvement. Selon elle, elle n’aurait interagi qu’avec très peu d’employés sur place.

[194] Bien que le nom de Mme Lavoie n’apparaisse qu’une seule fois dans le registre de présence présenté à l’audience et que Mme Blondin ait indiqué se souvenir d’une seule occasion à laquelle Mme Lavoie avait eu à se rendre dans les locaux de l’employeur, j’accepte plutôt le témoignage de Mme Lavoie voulant qu’elle se soit rendue sur place à deux reprises pour des motifs administratifs et non pour effectuer la traduction d’un texte secret. Si Mme Lavoie n’a pas eu à travailler en présentiel pour traduire un texte secret, cela s’explique vraisemblablement par le fait que le ministère client responsable de la majorité des demandes de traduction de textes secrets traitées par l’équipe de Mme Lavoie avait effectué un changement important à ses opérations qui a résulté en une baisse significative de textes secrets à traduire.

[195] Dans le cadre de son témoignage, Mme Blondin a décrit les tentatives et efforts de SPAC en vue d’augmenter la présence de fonctionnaires dans les locaux de l’employeur, ainsi que les changements de cap requis lorsqu’une nouvelle vague de la COVID-19 déferlait à travers le pays. Selon elle, la présence de fonctionnaires travaillant en présentiel avait augmenté dès juin 2020. Toutefois, comme il a été décrit dans la chronologie, la pandémie n’a pas permis une augmentation continue ou linéaire du travail en présentiel.

[196] Je décrirai maintenant la raison pour laquelle Mme Lavoie a décidé de ne pas se faire vacciner ainsi que la raison pour laquelle elle a décidé de ne pas se conformer à la Politique. Ces raisons ne sont pas tout à fait les mêmes.

[197] Mme Lavoie a indiqué n’avoir jamais considéré se faire vacciner. Elle n’a pas vécu de tiraillement. Prendre le vaccin n’a jamais été un choix à son esprit.

[198] Elle a indiqué avoir eu ce qu’elle croyait être un effet secondaire à un vaccin contre le tétanos quelques années auparavant. L’expérience lui avait fait peur. Comme, selon elle, aucun vaccin n’est sécuritaire à 100 %, elle ne voulait pas se faire vacciner, encore moins avec un vaccin qui nécessitait l’administration de deux doses.

[199] Peu de temps après que les vaccins contre la COVID-19 sont devenus disponibles au Canada, elle a effectué des recherches sur Internet pour se renseigner au sujet de la dangerosité de la COVID-19 et des effets secondaires découlant du vaccin contre la COVID-19. Selon elle, elle n’avait pas de comorbidités ou de facteurs de risque pouvant la rendre plus susceptible de devenir gravement malade ou d’être hospitalisée en raison d’une infection à la COVID-19, encore moins d’en décéder. Ces recherches n’ont pas changé ou influencé sa décision initiale selon laquelle elle ne voulait pas se faire vacciner.

[200] Elle a témoigné que sa décision de ne pas se faire vacciner n’avait rien à voir avec la façon dont les vaccins contre la COVID-19 avaient été conçus. Le fait que les vaccins les plus couramment disponibles étaient des vaccins à ARNm ne constituait pas un facteur ayant influencé sa décision.

[201] Mme Lavoie a indiqué que le choix entre se conformer à la Politique en se faisant vacciner afin de conserver son salaire et refuser de se conformer et perdre son salaire pour une période indéterminée fut un choix difficile. Toutefois, elle a indiqué avoir refusé de se conformer à la Politique en raison de son opinion selon laquelle la Politique constituait une mesure visant à intimider, influencer et ultimement « ségréger » une partie de la fonction publique. Elle a partagé avec Mme Blondin son opinion selon laquelle la Politique était, selon elle, une mesure d’intimidation qui cherchait à l’obliger de subir un acte médical avec lequel elle n’était pas d’accord. Selon Mme Blondin, cette conversation entre elles avait été cordiale et dénuée de tension. Rien n’indique que Mme Blondin aurait tenté d’influencer ou d’inciter Mme Lavoie à se faire vacciner. Elle a toutefois, lors de cette conversation et à d’autres moments après l’adoption de la Politique, tenté de s’assurer que Mme Lavoie comprenait les conséquences d’une non-conformité à la Politique.

[202] Mme Lavoie a été placée en congé sans solde le 15 novembre 2021. Elle a indiqué avoir été prête à subir certaines conséquences financières en raison de son choix de refuser de se faire vacciner. Toutefois, elle a dit s’être sentie punie pour avoir fait ce choix.

[203] Pendant son congé sans solde, Mme Lavoie a pris des démarches en vue de trouver un autre emploi. Ces démarches n’ont pas été fructueuses. Elle s’est occupée de ses enfants dont les cours à l’école se donnaient à distance. Cette période sans solde a été marquée de stress. Son sommeil a été perturbé. Son humeur a changé. Sa famille a également eu à faire des sacrifices financiers en raison de la perte de son salaire et de celui de son conjoint qui était également en congé sans solde pour non-conformité à une politique de vaccination, tels des changements dans leur alimentation et leurs activités familiales. Elle n’a toutefois jamais reconsidéré sa décision de ne pas se faire vacciner. Elle a indiqué qu’elle ne se fera jamais vacciner contre la COVID-19.

[204] Mme Lavoie a réintégré ses fonctions dès le 20 juin 2022. Elle a indiqué que tandis que certains collègues semblaient ignorer la raison pour laquelle elle avait été en congé, elle a eu l’impression que sa relation avec d’autres collègues avait été plus froide à son retour de congé. Leurs conversations portaient désormais davantage sur le travail que sur leurs vies personnelles.

[205] Elle a témoigné trouver difficile de tourner la page depuis son retour en poste étant donné que l’application de la Politique avait seulement été suspendue et que la Politique pourrait être appliquée de nouveau dans le futur.

[206] Mme Lavoie avait une bonne relation avec sa gestionnaire. Sa gestionnaire l’a décrite comme étant une bonne employée ayant un bon rendement. Mme Lavoie n’a pas d’antécédent disciplinaire.

G. Suspension de la Politique et fin des congés sans solde

[207] La Politique prévoyait que sa nécessité et son contenu seraient revus au moins tous les six mois.

[208] De novembre 2021 à février 2022, Mme Bidal était informée – par l’entremise de son équipe – des nouvelles données épidémiologiques et scientifiques provenant de l’ASPC relativement à l’impact et la nature du variant Omicron. Les avis et conseils de l’ASPC indiquaient que le vaccin offrait toujours une protection contre la maladie grave, l’hospitalisation et le décès.

[209] En février 2022, la révision de la Politique était en cours. Mme Bidal a indiqué, qu’à l’époque, elle n’avait pas voulu modifier l’approche préconisée par l’employeur en l’absence d’une plus grande certitude scientifique relativement aux mutations des virus et de l’impact de ces mutations sur l’efficacité vaccinale relativement à la transmission du virus. Elle a indiqué avoir voulu faire preuve de prudence pour s’assurer que toute décision prise par l’employeur relativement à la Politique assurerait un équilibre entre la santé et la sécurité au travail des fonctionnaires de l’administration publique centrale et la santé et la sécurité des fonctionnaires ayant été placés en congé sans solde en raison de leur non-conformité à la Politique.

[210] L’application de la Politique a été suspendue le 20 juin 2022. À ce moment, environ 98,5 % des fonctionnaires étaient vaccinés.

[211] En date de l’audience, la Politique n’avait pas été abolie.

IV. Motifs

[212] Les parties ont présenté des arguments écrits exposant le fondement factuel et juridique de leurs positions respectives, suivi d’une réplique orale présentée dans le cadre de l’audience. Bien que je n’aie pas inclus un sommaire des arguments des parties dans la présente décision, j’ai tenu compte de l’ensemble de leurs arguments. Toutefois, je traiterai uniquement des arguments qui sont, selon moi, les plus pertinents aux questions en litige.

A. Cadre juridique

[213] L’employeur qui soulève une objection quant à la compétence de la Commission pour instruire un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi et qui entend défendre une mesure comme étant administrative et non disciplinaire doit présenter une preuve pouvant établir que cette mesure était liée à l’emploi et non à un autre motif (voir, dans le contexte d’un renvoi en cours de stage, Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529 (CanLII) au par. 37). Dans le présent cas, l’employeur doit produire des éléments de preuve pouvant démontrer que la mise en application de la Politique de façon à mettre les fonctionnaires s’estimant lésés en congé sans solde constituait une mesure liée à l’emploi.

[214] L’analyse de la Commission ne s’arrête pas là.

[215] Comme les fonctionnaires s’estimant lésés font valoir que le motif lié à l’emploi invoqué par l’employeur n’est qu’un prétexte, le fardeau de la preuve incombe aux fonctionnaires s’estimant lésés de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils ont fait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée, dans le présent cas, une suspension ou une sanction pécuniaire. Les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas précisé s’ils alléguaient que leur congé sans solde constituait une suspension ou une sanction pécuniaire. Ils n’ont pas allégué avoir fait l’objet d’une rétrogradation ou d’un licenciement.

[216] Pour distinguer entre une mesure disciplinaire et une mesure non disciplinaire, la Commission doit tenir compte à la fois de l’intention réelle – par opposition à l’intention déclarée – de l’employeur et des répercussions de la mesure sur la carrière du fonctionnaire (voir Bergey, au par. 37). Une analyse axée sur les faits est requise.

[217] Il convient d’examiner les divers facteurs qui ont été énoncés en premier lieu dans Frazee et repris, entre autres, dans Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1027 (« Chamberlain CF 2012 »), Basra c. Canada, 2008 CF 606 et Bergey. La Commission doit chercher à identifier l’intention réelle de l’employeur lorsqu’il a imposé la mesure contestée, plus précisément si l’employeur avait l’intention de corriger la conduite des fonctionnaires s’estimant lésés en les plaçant en congé sans solde ou de les punir. Dans le cadre de son analyse des répercussions de la mesure sur les fonctionnaires s’estimant lésés, la Commission doit se demander si la mise en application de la Politique a eu un effet défavorable immédiat sur les fonctionnaires s’estimant lésés et si l’effet de la Politique sur les fonctionnaires s’estimant lésés était sensiblement disproportionné par rapport au motif administratif invoqué par l’intimé. En dernier lieu, la Commission doit se demander si la mise en congé sans solde des fonctionnaires s’estimant lésés était susceptible d’entraîner des répercussions sur les perspectives de carrière ou d’être invoquée dans le cadre d’une mesure disciplinaire future.

[218] L’appréciation des facteurs susmentionnés peut aider la Commission à déterminer si une mesure imposée par un employeur était effectivement une mesure disciplinaire même si l’employeur nie toute intention disciplinaire (voir Chamberlain CF 2012, au par. 57).

[219] La grande majorité des mesures prises en milieu de travail sont de nature purement administrative et ne se veulent pas une forme de sanction (voir Frazee au par. 20 citant Porter c. Conseil du Trésor (ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources), dossier de la CRTFP 166-02-752(19731128), à la p. 13).

[220] La jurisprudence enseigne qu’une mesure prise par l’employeur qui a un effet préjudiciable sur un fonctionnaire n’est pas nécessairement une mesure disciplinaire. Alors que certaines mesures sont de toute évidence disciplinaires, d’autres exigent une appréciation des facteurs susmentionnés pour conclure si la mesure imposée par l’employeur cherchait effectivement à infliger une mesure disciplinaire. Les présents griefs tombent dans cette deuxième catégorie. Une analyse doit être effectuée à la lumière des faits et des circonstances propres à cette affaire.

B. Jurisprudence relativement à d’autres politiques de vaccination

[221] Bien que la mise en application de la Politique puisse être décrite comme une mesure sans précédent dans l’administration publique centrale, de nombreuses autres politiques de vaccination adoptées et mises en œuvre en réponse à la COVID-19 ont fait l’objet de décisions de la part des tribunaux et d’arbitres en matière de droit du travail. L’intimé a recensé 27 décisions de ce genre dans ses arguments écrits, mais le nombre total est plus élevé. À ce stade de mon analyse, je vais seulement faire référence à certaines de ces décisions pour illustrer la tendance relativement aux politiques qui ont imposé le congé sans solde comme seule conséquence pour une non-conformité à une politique de vaccination.

[222] Plusieurs politiques de vaccination ont été jugées raisonnables, et donc non disciplinaires, dans des circonstances dans lesquelles les employés étaient appelés à travailler en présentiel (voir, entre autres, Parmar; Canadian National Railway Company v. United Steelworkers, Local 2004 (décision non publiée; le 12 octobre 2022); Canada Post Corporation v. Canadian Union of Postal Workers (2022), 339 L.A.C. (4e) 353; et Regional Municipality of York c. Canadian Union of Public Employees, Local 905, 2022 CanLII 78173 (ON LA)).

[223] Des politiques qui s’appliquaient à des employés travaillant à distance ou en télétravail – en tout ou en partie - ont également été jugées raisonnables, et donc non disciplinaires (voir, entre autres, Lakeridge Health v. CUPE, Local 6364, 2023 CanLII 33942 (ON LA); Canadian Union of Public Employees, Local 1866 v. Worksafe New Brunswick, 2023 CanLII 1 (NB LA); et Nova Scotia Union of Public & Private Employees, Local 13 v. Halifax Regional Municipality, 2022 CanLII 129860 (NS LA)).

[224] Cela étant dit, certaines politiques qui auraient ou avaient été jugées raisonnables au moment de leur mise en œuvre ont été jugées – en tout ou en partie - ne plus être raisonnables en raison de l’apparition du variant Omicron et l’impact qu’a eu se variant sur l’efficacité vaccinale (voir, entre autres, FCA Canada Inc. v. Unifor, Locals 195, 444, 1285, 2022 CanLII 52913 (ON LA); et Power Workers’ Union v. Elexicon Energy Inc., 2022 CanLII 7228 (ON LA)).

[225] Chacune des politiques mentionnées précédemment a été examinée et analysée, entre autres, à la lumière du contenu de chacune des politiques, du devoir de l’employeur de veiller à la protection de la santé et de la sécurité de ses employés, de l’environnement de travail, de la nature des tâches effectuées par les employés et des circonstances particulières de la pandémie de la COVID-19. Peu des politiques contestées qui ont été traitées dans le cadre de décisions mentionnées dans les paragraphes précédents constituaient des politiques de vaccination qui s’appliquaient à une main-d’œuvre pancanadienne occupant des postes d’une nature aussi variée, dans des environnements de travail aussi diversifiés. Elles s’inscrivaient également dans un cadre législatif et jurisprudentiel différent de celui qui régit l’administration publique centrale et la Commission. Pour cette raison, j’estime que les décisions relatives à ces politiques constituent une source d’information utile, mais aucune d’entre elles ne peut être considérée comme contenant une analyse constituant une réponse complète aux questions soumises à la Commission.

[226] J’ajouterais également que certaines politiques de vaccination ont également fait l’objet de contestations en vertu de l’art. 7 de la Charte (voir, par exemple, Syndicat des métallos, section locale 2008 c. Procureur général du Canada, 2022 QCCS 2455; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1108 c. CHU de Québec – Université Laval, 2023 QCTA 353; Comité externe d’examen des griefs militaires, Annexe I - Constitutionnalité de la politique des Forces armées canadiennes en matière de vaccination contre la COVID-19, en date du 18 juillet 2023 (des ressources supplémentaires pour les sommaires des cas 2022-078, 2022-109, 2022-125 et 2022-162 sont disponibles en ligne sur le site Web de ce Comité en date de la présente décision). J’aborderai ces décisions dans le cadre de mon analyse des arguments présentés par les fonctionnaires s’estimant lésés relativement à l’art. 7 de la Charte.

C. Analyse relativement à la compétence de la Commission : facteurs énoncés dans Frazee et Bergey

1. L’intention déclarée de l’employeur

[227] Comme je l’ai indiqué précédemment, un employeur qui fait valoir qu’une mesure contestée constitue une mesure administrative, et non une mesure disciplinaire, doit produire des éléments de preuve que la mesure était liée à l’emploi et non à un autre motif (voir Leonarduzzi, au par. 37).

[228] La Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11; LGFP) accorde au Conseil du Trésor un pouvoir de gestion en matière de ressources humaines en général. Il a le pouvoir d’adopter des politiques applicables à l’administration publique centrale et de déterminer les conditions d’emploi des fonctionnaires au sein de l’administration publique centrale. Il n’est pas contesté que le Conseil du Trésor avait l’autorité légale d’adopter une politique vaccinale en vertu des pouvoirs que lui confère la LGFP, notamment les paragraphes 7(1) et 11.1(1).

[229] Il n’est également pas contesté qu’à titre d’employeur, l’intimé est tenu, en vertu de la partie II du CCT, de veiller à la santé et à la sécurité des fonctionnaires de l’administration publique centrale. Cette obligation inclut la prévention et l’élimination des risques à la santé et à la sécurité. Elle s’applique à l’égard de tous les fonctionnaires. Elle s’applique aux fonctionnaires qui travaillent uniquement ou majoritairement en présentiel, aux personnes qui travaillent à domicile en vertu d’une entente de télétravail, ainsi qu’aux fonctionnaires qui travaillaient temporairement à distance en raison de la propagation de la COVID-19. L’employeur est également tenu de veiller à la santé et à la sécurité des fonctionnaires, qu’ils soient susceptibles de subir des conséquences graves à la suite d’une infection à la COVID-19 ou non, et qu’ils hésitent à se faire vacciner ou non.

[230] Mme Bidal a indiqué que la COVID-19 constituait un risque important à la santé et à la sécurité des fonctionnaires de l’administration publique centrale. Selon elle, dans les semaines et les mois qui ont suivi la déclaration d’une pandémie mondiale, l’employeur a veillé à la protection de la santé et de la sécurité au travail de tous les fonctionnaires de l’administration publique centrale en privilégiant le travail à distance pour les fonctionnaires en mesure d’effectuer leurs tâches à distance et en imposant toutes les mesures de santé publique recommandées à l’époque afin de protéger, dans la mesure du possible, les fonctionnaires devant travailler en présentiel en raison des fonctions qu’ils exerçaient.

[231] Mme Bidal a témoigné que, depuis mars 2020, l’employeur a toujours eu l’intention de faire en sorte que les fonctionnaires de l’administration publique centrale réintègrent les lieux de travail dès qu’il serait possible de le faire de façon sécuritaire. Elle a expliqué qu’au fil du temps, un nombre croissant de ministères voulaient augmenter le nombre de fonctionnaires travaillant en présentiel pour répondre à des problèmes opérationnels ayant été provoqués par une longue période de travail à distance. La preuve documentaire, plus précisément les nombreuses communications ministérielles en preuve, appuie le témoignage de Mme Bidal selon lequel l’objectif de l’employeur a toujours été de voir les fonctionnaires de l’administration publique centrale réintégrer les locaux de l’employeur dès qu’il serait possible de le faire de façon sécuritaire.

[232] Elle a expliqué que, lorsque des vaccins contre la COVID-19 jugés sûrs et efficaces par Santé Canada sont devenus largement disponibles partout au pays, l’intimé pouvait envisager un retour au travail en présentiel en plus grand nombre. La Politique constituait un outil en vue de l’atteinte de cet objectif, tout en permettant à l’employeur de protéger davantage la santé et la sécurité des fonctionnaires qui travaillaient déjà en présentiel.

[233] Mme Bidal a décrit l’élaboration de la Politique, plus particulièrement comment elle était fondée sur les avis et les conseils de l’ASPC voulant que la vaccination contre la COVID-19 constituait l’outil le plus efficace disponible pour protéger les fonctionnaires. Selon l’ASPC, la vaccination de tous les fonctionnaires (à l’exception de ceux et celles ayant droit à une mesure d’adaptation) constituait le moyen le plus sûr d’atteindre l’objectif de l’employeur de veiller à la protection de la santé et de la sécurité des fonctionnaires de l’administration publique centrale lorsqu’ils réintègreraient les lieux de travail en plus grand nombre, soit de façon exclusive, occasionnelle ou ponctuelle. La vaccination ajouterait une mesure supplémentaire de protection qui contribuerait, avec d’autres mesures de prévention, à combattre ou limiter la propagation de la COVID-19 et à protéger les fonctionnaires contre les conséquences graves de la COVID-19. Ces conseils de l’ASPC étaient conformes à la preuve des témoins experts et de Dre Lourenco présentée à l’audience.

[234] Le libellé de la Politique ainsi que le libellé du Cadre de mise en œuvre et de la Trousse d’outils confirment le témoignage de Mme Bidal. Tous ces documents identifient la protection de la santé et de la sécurité des fonctionnaires de l’administration publique centrale comme l’objectif principal de la Politique. Il est utile de reproduire ici les objectifs énoncés dans la Politique. Deux d’entre eux portent directement sur la santé et la sécurité et l’un d’entre eux mentionne expressément des exigences opérationnelles pouvant exiger une présence sur place :

· Prendre toutes les précautions raisonnables, dans les circonstances, pour la protection de la santé et de la sécurité des employés contre la COVID-19, notamment la vaccination;

 

· Améliorer le taux de vaccination contre la COVID-19, au Canada, des employés de l’administration publique centrale;

 

· Faire en sorte que tous les employés, y compris ceux qui travaillent à distance en raison de la pandémie et en télétravail, soient entièrement vaccinés « […] pour se protéger, protéger leurs collègues et leurs clients […] » contre la COVID-19, et ce, étant donné que les exigences opérationnelles pouvaient inclure une présente sur place ad hoc.

 

[235] Dans leur témoignage, deux des gestionnaires chargées de l’application de la Politique, soit Mmes Blondin et Nadeau, ont indiqué qu’à tout moment, la Politique a été décrite par la haute gestion de leurs ministères respectifs comme étant une mesure administrative ayant pour objectif de protéger la santé et la sécurité des fonctionnaires en vue d’un retour en présentiel en plus grand nombre.

[236] Bien que la durée du congé sans solde des fonctionnaires s’estimant lésés était indéterminée au moment où ils ont été placés en congé, la preuve démontre que – à première vue – la durée du congé était liée à l’évolution de la pandémie et au motif lié à l’emploi invoqué par l’intimé. L’employeur a suspendu la mise en application de la Politique lorsque les données et conseils scientifiques auxquels l’employeur avait accès ont démontré que la propagation du variant Omicron avait réduit l’efficacité vaccinale de façon importante et que les avantages de la vaccination dans le milieu du travail – quoi que toujours présents – avaient été réduits en raison de l’habileté du variant à échapper à l’immunité vaccinale. L’employeur a mis fin aux congés sans solde des fonctionnaires s’estimant lésés. Ils ont réintégré leurs fonctions.

2. Les arguments des fonctionnaires s’estimant lésés voulant qu’ils ont fait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée

[237] Comme l’employeur a produit des éléments de preuve voulant que la Politique constituait une mesure liée à l’emploi, je dois maintenant me pencher sur la question à savoir si les fonctionnaires s’estimant lésés ont satisfait au fardeau qui leur incombait de faire la preuve qu’ils avaient fait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée.

[238] Les arguments des fonctionnaires s’estimant lésés relativement aux divers facteurs énoncés dans Frazee et Bergey se chevauchent quelque peu. Dans les paragraphes suivants, j’aborderai leurs arguments dans le cadre de mon analyse du facteur de Frazee que j’estime être le plus pertinent. Il y aura parfois une certaine répétition afin de me permettre d’exposer leurs arguments le plus fidèlement possible.

a. L’intention réelle de l’employeur était de corriger le comportement des fonctionnaires s’estimant lésés ou les punir

[239] La jurisprudence enseigne que la caractéristique essentielle d’une mesure disciplinaire est une intention de corriger la mauvaise conduite d’un employé en le disciplinant ou de le punir d’une certaine façon. Les fonctionnaires s’estimant lésés doivent démontrer que l’employeur avait l’intention de leur imposer une mesure disciplinaire pour les punir ou pour corriger leur conduite, mais que l’employeur a déguisé la mesure disciplinaire en lui donnant une forme différente (voir Peters c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CRTFP 7).

[240] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont soutenu que l’adoption et la mise en œuvre de la Politique satisfaisaient à un objectif politique de la part du premier ministre du Canada, un objectif qui n’avait rien à voir avec la protection de la santé et de la sécurité des fonctionnaires de l’administration publique centrale.

[241] Ils ont fait valoir que le premier ministre avait exprimé publiquement de vives frustrations à l’égard des personnes non vaccinées, utilisant un vocabulaire peu flatteur à leur égard. Selon les fonctionnaires s’estimant lésés, la Politique était le reflet des frustrations exprimées par le premier ministre et visait la création d’un régime coercitif cherchant à imposer la vaccination aux fonctionnaires qui ne se seraient pas déjà fait vacciner et à corriger le comportement des personnes qui refuseraient de se faire vacciner en les privant de leur salaire pour une durée indéterminée et en leur interdisant l’accès à des prestations d’assurance-emploi. L’absence de discrétion dans l’application de la Politique et l’objectif avoué de l’employeur de chercher à limiter le plus possible le nombre d’exemptions à l’application de la Politique illustrent davantage, selon eux, le caractère vindicatif de la mesure imposée aux fonctionnaires s’estimant lésés.

[242] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que, si la Politique avait véritablement eu comme objectif la protection de la santé et de la sécurité des fonctionnaires, l’employeur aurait agi avec plus de prudence et de rigueur. Il aurait examiné avec soin toutes les données scientifiques disponibles relativement à la COVID-19, à l’efficacité et l’innocuité des vaccins contre la COVID-19 et aux taux de maladies graves, de décès et d’hospitalisations en raison de la COVID-19. Il aurait examiné la méthodologie employée dans le cadre des études à la source de ces données. Un employeur soucieux de protéger la santé et la sécurité de ses employés aurait calculé le risque de la COVID-19 pour ses employés ainsi que la réduction du risque pour ceux-ci s’ils se faisaient vacciner. Il n’aurait pas accepté, sans questionner, les conseils de l’ASPC relativement à l’importance de la vaccination, plus précisément l’importance de la vaccination pour l’ensemble des fonctionnaires, ou l’approbation par Santé Canada de vaccins contre la COVID-19 sur la base de données provenant des fabricants de ces vaccins.

[243] Selon les fonctionnaires s’estimant lésés, si l’intimé avait voulu protéger la santé et la sécurité des fonctionnaires, il aurait attendu une certitude scientifique quant aux dangers et aux bénéfices, pour ses employés, des vaccins. Les vaccins à ARNm n’avaient jamais été administrés auparavant et la prudence était de mise. Un employeur préoccupé par la santé et la sécurité de ses employés aurait également comparé les bénéfices aux risques de la vaccination en tenant compte du fait que des mutations du virus pouvaient rendre le vaccin moins efficace. Il aurait fait preuve d’une plus grande ouverture d’esprit relativement à des mesures moins invasives et incertaines pouvant être prises pour protéger la santé et la sécurité des fonctionnaires, notamment les traitements pour la COVID-19, l’imposition de congés avec solde aux fonctionnaires non vaccinés ou, encore, la modification des tâches des fonctionnaires ne voulant pas se faire vacciner de façon à leur permettre de travailler uniquement à distance. Selon les fonctionnaires s’estimant lésés, le fait que l’employeur n’a pris aucune de ces démarches sert à démentir la prétention de l’intimé selon laquelle la Politique était une mesure administrative avec l’objectif de protéger la santé et la sécurité des fonctionnaires de l’administration publique centrale. Ils ont fait valoir que l’absence de rigueur de la part de l’employeur illustrait la nature arbitraire et donc disciplinaire de la Politique.

[244] En dernier lieu, les fonctionnaires s’estimant lésés ont soutenu que priver un fonctionnaire de son salaire pendant sept mois sans nouvelles ou mise à jour constitue, en soi, un indice dévoilant une intention de punir.

[245] L’intimé a nié toute intention disciplinaire.

[246] La Politique et les communications officielles de l’employeur relativement à la Politique ne mentionnent pas la discipline comme conséquence de la non-conformité. Toutefois, cela n’est pas déterminant en soi. Comme il a été indiqué précédemment, la Commission doit tenir compte à la fois de l’intention réelle – par opposition à l’intention déclarée – de l’employeur. Une analyse axée sur les faits s’impose pour identifier la véritable intention de l’employeur.

[247] Je vais, en premier lieu, adresser l’allégation des fonctionnaires s’estimant lésés voulant que la Politique soit une mesure élaborée et mise en œuvre par le Conseil du Trésor pour obtempérer à un souhait quelconque de la part du premier ministre de punir tout fonctionnaire refusant de se faire vacciner en les privant de leur salaire. Bien que le premier ministre du Canada ait effectivement exprimé des frustrations à l’égard des personnes qui refusaient de se faire vacciner, la preuve qui a été présentée à l’audience n’appuie aucunement cette allégation. Comme je l’expliquerai dans les paragraphes suivants, la preuve démontre plutôt que les réels objectifs de la Politique sont ceux énoncés dans la Politique elle‑même. L’objectif principal était la protection de la santé et de la sécurité des fonctionnaires de l’administration publique centrale.

[248] Dès mars 2020, l’employeur a été confronté à une situation sans précédent, soit le besoin de maintenir ses activités et les services aux Canadiens et Canadiennes en présence d’un virus qui présentait un risque à la santé de l’ensemble de sa main-d’œuvre. La situation à laquelle était confronté l’employeur a été rendue plus complexe en raison de l’incertitude quant au comportement de ce virus, l’évolution épidémiologique de la pandémie et les circonstances changeantes créées par l’émergence de variants du virus de la COVID-19 ayant des comportements et des conséquences fort différentes les uns par rapport aux autres. La preuve présentée à l’audience indique que le virus de la COVID-19 était de nature imprévisible et que la communauté scientifique a déployé de grands efforts pour comprendre le comportement et les conséquences du virus de la COVID-19. Les connaissances scientifiques ont évolué avec le temps, notamment alors que les variants se succédaient.

[249] Il n’est pas contesté que l’employeur a mis en place, dans le milieu du travail, de nombreuses mesures de santé et de sécurité au travail de nature non vaccinale dès mars 2020. Il n’est également pas contesté que l’employeur a également immédiatement adapté ses opérations en réponse à l’émergence du virus en privilégiant le travail à distance, dans la mesure du possible. Mmes Bidal, Nadeau et Blondin ont témoigné quant aux mesures prises par l’employeur pour assurer la santé et la sécurité des fonctionnaires, dans la mesure du possible, dans un contexte d’incertitude et de fluctuations dans le nombre de cas de la COVID-19 dans la communauté et dans les locaux de l’employeur.

[250] Le témoignage de Mme Bidal et les nombreuses communications ministérielles admises en preuve, dont certaines ont été énumérées précédemment, appuient la position mise de l’avant par l’intimé selon lequel il a toujours été son intention et son objectif de voir les fonctionnaires de l’administration publique centrale réintégrer les locaux de l’employeur dès qu’il était possible de le faire de façon sécuritaire. Bien que les fonctionnaires s’estimant lésés aient soutenu qu’il n’était pas nécessaire pour les fonctionnaires de reprendre le travail en présentiel et que l’employeur aurait pu prolonger le travail à distance ou modifier les tâches des fonctionnaires refusant de se faire vacciner jusqu’à ce que le danger en lien avec la COVID-19 soit dissipé, ils n’ont pas nié que l’employeur voulait augmenter le travail en présentiel dès qu’il serait possible de le faire de façon sécuritaire.

[251] Toutefois, la nature du virus de la COVID-19 a fait en sorte que les efforts de l’employeur en vue d’atteindre son objectif d’un retour au travail en présentiel n’ont pas été sans détours ou embuches. Pendant la période pertinente aux présents griefs, la COVID-19 représentait en quelque sorte une cible mouvante, à la fois pour l’employeur et la communauté scientifique. La chronologie décrite précédemment en fait l’illustration, notamment les tentatives en vue d’une augmentation du travail en présentiel qui ont échoué en raison de l’émergence de variants menant à des changements dans la transmission et la dangerosité du virus.

[252] J’accepte le témoignage de Mme Bidal selon lequel, avant que les vaccins soient largement disponibles, l’intimé n’a pas poursuivi ses efforts en vue d’augmenter significativement le travail en présentiel en présence de nouvelles « vagues » de la COVID-19 en raison de son devoir de protéger la santé et la sécurité de ses employés.

[253] Les données et les conseils scientifiques auxquels l’employeur avait accès indiquaient que le dépistage à lui seul ne constituait pas un moyen efficace d’assurer la santé et la sécurité de personnes comme les fonctionnaires de l’administration publique centrale. Un régime fondé uniquement sur le dépistage aurait offert une protection bien inférieure à celle pouvant être offerte par un régime fondé sur la vaccination. La preuve du Dr Poliquin était cohérente avec ces conseils.

[254] Mme Bidal a témoigné qu’avant que les vaccins contre la COVID-19 soient largement disponibles partout au pays, il n’était pas possible pour l’employeur d’envisager l’adoption d’une politique de vaccination. Les données et les conseils scientifiques auxquels l’employeur avait accès indiquaient que la vaccination, en conjonction avec des mesures non vaccinales comme le port du masque et la distanciation physique, constituait l’outil le plus efficace pour protéger contre les effets néfastes de la COVID‑19. Les vaccins contre la COVID-19 constituaient l’outil le plus hautement recommandé par la communauté scientifique. Lorsque les vaccins sont devenus largement disponibles, l’employeur a entrepris l’élaboration de la Politique.

[255] Avant l’élaboration et la mise en application de la Politique, l’employeur ne possédait pas de données relativement au taux de vaccination des fonctionnaires de l’administration publique centrale.

[256] La preuve qui a été présentée à l’audience – tant les témoignages que la preuve documentaire – soutient la position mise de l’avant par l’intimé voulant qu’il a élaboré la Politique afin de s’assurer que la réintégration progressive des fonctionnaires de l’administration publique centrale sur les lieux de travail puisse se faire de façon sécuritaire, conformément à son obligation en vertu de la partie II du CCT et de la LCDP. Comme je l’expliquerai plus loin dans les présents motifs, les fonctionnaires s’estimant lésés sont en désaccord qu’une réintégration progressive sur les lieux du travail était requise dans les circonstances. Ils font valoir que l’employeur aurait pu – et aurait dû – continuer à privilégier le travail à distance au lieu d’imposer la Politique. Ils font également valoir que l’employeur aurait dû permettre aux fonctionnaires qui refusaient de se faire vacciner de continuer à travailler à distance. Toutefois, leur désaccord n’a pas pour effet de rendre déraisonnable ou non fondé le désir de l’employeur de prévoir une réintégration progressive et sécuritaire des fonctionnaires de l’administration publique centrale.

[257] Le devoir de l’employeur de veiller à la protection de la santé et de la sécurité de ses employés était un thème omniprésent dans les communications officielles relativement à la Politique qui ont été déposées en preuve, dont plusieurs qui ont été reçues par les fonctionnaires s’estimant lésés. La santé et la sécurité au travail constituaient également un thème sous-jacent à l’ensemble de la preuve offerte à l’audience par Mmes Bidal, Nadeau et Blondin. Ces dernières ont témoigné qu’au sein de leurs ministères respectifs, la Politique et les vaccins avaient, en tout temps, été présentés et décrits comme constituant une mesure de santé et sécurité au travail. Selon elles, une intention disciplinaire n’a jamais été évoquée, considérée ou discutée. La Politique poursuivait le même objectif que les mesures non vaccinales que l’employeur avait mises en place dès mars 2020.

[258] Dans le cadre des contre-interrogatoires des témoins de l’intimé ainsi que dans leurs arguments écrit et oral, les fonctionnaires s’estimant lésés se sont attardés longuement à la fiabilité et à l’exactitude des données scientifiques et des avis en matière de santé publique relativement à la vaccination et la COVID-19 sur lesquels le Secrétariat du Conseil du Trésor s’était fondé pour élaborer la Politique. Ils n’ont toutefois pas contesté que l’élaboration de la Politique avait été faite, comme l’a indiqué Mme Bidal, en consultation, entre autres, avec l’ASPC et Santé Canada, et que son élaboration avait été fondée sur des avis, conseils et données scientifiques.

[259] Certains rappels s’imposent quant aux données et aux conseils dont disposait Mme Bidal. Elle a décrit ces avis et conseils, mais ils sont également reflétés dans la preuve documentaire, notamment un document évolutif préparé par l’ASPC relativement aux considérations de santé publique liées à la mise en œuvre d’une exigence vaccinale contre la COVID-19 au sein de la fonction publique fédérale.

[260] Les avis et les conseils dont disposait l’employeur indiquaient que la COVID-19 était très contagieuse et qu’une infection à la COVID-19 pouvait entraîner des conséquences graves et même mortelles. Étant donné qu’il se transmettait par le biais de gouttelettes et d’aérosols, le virus était plus facilement transmissible dans des espaces intérieurs comme les lieux de travail. La transmission ne s’effectuait pas seulement par les personnes ayant des symptômes de la maladie. Le virus pouvait également être transmis par des personnes infectées à la COVID-19 et n’ayant aucun symptôme de la COVID-19. Le virus pouvait être transmis pendant plusieurs jours avant qu’un test de dépistage puisse détecter une infection et avant que la personne infectée développe des symptômes. Les personnes non vaccinées étaient plus à risque de conséquences graves, d’hospitalisation et de décès que les personnes pleinement vaccinées.

[261] Plus important encore, l’ASPC était d’avis que, bien qu’aucun vaccin ne protège à 100 % et que des infections post-vaccinales sont possibles, les vaccins contre la COVID-19 étaient très efficaces, notamment pour offrir une protection contre des conséquences graves de la maladie. Au moment de l’élaboration et de la mise en application de la Politique, Mme Bidal s’est fiée sur les avis de l’ASPC selon lesquels la vaccination avait pour effet de réduire le taux d’infection et, par conséquent, le taux de transmission de la COVID-19. Comme l’a expliqué le Dr Kindrachuk, bien qu’un virus puisse muter et que de nouveaux variants puissent apparaître, les connaissances scientifiques à l’époque ne laissaient pas présager qu’un variant hautement transmissible pouvant échapper à l’immunité vaccinale ferait son apparition. Cela étant dit, avant et après l’apparition du variant Omicron, les conseils de l’ASPC étaient que les bénéfices de la vaccination contre la COVID-19 l’emportaient sur les risques pouvant découler de la vaccination.

[262] L’employeur s’est fié sur les avis et les renseignements que lui a fait parvenir, entre autres, l’ASPC. Il s’est fié sur l’approbation des vaccins par Santé Canada comme preuve de l’efficacité et de l’innocuité des vaccins. Il s’est également fié aux mises à jour qu’il recevait relativement aux suivis effectués à la fois par l’ASPC et Santé Canada concernant les effets secondaires de la vaccination. Je ne peux pas accepter l’argument des fonctionnaires s’estimant lésés selon lequel l’employeur était tenu de questionner les avis et les conseils provenant de l’ASPC et de Santé Canada, soit une agence et un ministère ayant une expertise en matière de santé publique et des processus en vue d’assurer la sécurité et l’efficacité vaccinale. Dans les circonstances particulières de la pandémie de la COVID-19, le défaut de l’employeur à mettre en doute les conseils et les données qui lui avaient été fournis par des experts en la matière ne pouvait lui être reproché. Il ne s’agit pas d’un indice d’une intention disciplinaire.

[263] Par l’entremise de ces griefs, les fonctionnaires s’estimant lésés ont tenté de faire le procès des données, des conseils et des études scientifiques sur lesquels l’employeur s’est appuyé pour élaborer la Politique. J’irais même jusqu’à dire qu’ils ont tenté de faire le procès de la gestion de la pandémie de la COVID-19 par le gouvernement fédéral dans la mesure qu’ils ont également cherché à contester la rigueur scientifique employée par Santé Canada dans l’approbation des vaccins contre la COVID-19 et dans le suivi des effets secondaires du vaccin et l’analyse de données et de statistiques par l’ASPC relativement au virus et ses effets, à la vaccination et aux taux d’hospitalisation et de décès. Ils ont invité implicitement la Commission à examiner la Politique à la lumière des connaissances scientifiques d’aujourd’hui ainsi qu’à la lumière de l’évolution de la pandémie de la COVID-19 depuis l’époque pertinente aux présents griefs. Ils m’ont invité à tenir compte des effets du variant Omicron et de la hausse du nombre de cas de COVID-19 et des taux d’hospitalisations provoquée par ce nouveau variant pour en déduire que la Politique était vouée à l’échec, et donc qu’elle était manifestement disciplinaire.

[264] Selon les fonctionnaires s’estimant lésés, les questions au cœur de ces griefs sont les suivantes : « Le virus de la COVID-19 a-t-il réellement causé une urgence sanitaire? Quelle est l’efficacité réelle des traitements géniques expérimentaux contre la COVID-19 qui ont été qualifiés de vaccins? Quels risques pour la santé ces prétendus vaccins présentent-ils? » Ils se sont attardés longuement à ces questions dans le cadre des contre-interrogatoires des témoins de l’employeur, dans leurs arguments écrits et dans leurs plaidoiries orales.

[265] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait fausse route. Aucune de ces questions ne porte directement sur l’analyse que doit effectuer la Commission, c’est-à-dire de décider si la Politique, lorsqu’elle a été appliquée aux fonctionnaires s’estimant lésés et a mené à leur congé sans solde, constituait une mesure disciplinaire déguisée. La mesure contestée doit être examinée à la lumière des connaissances de l’employeur et des circonstances à l’époque et non à la lumière des connaissances et circonstances d’aujourd’hui.

[266] En contre-interrogatoire, les fonctionnaires s’estimant lésés ont présenté aux témoins experts et à la Dre Lourenco ce qu’ils ont décrit comme étant des failles méthodologiques dans des études scientifiques que l’ASPC a retenues dans le cadre de son analyse de l’efficacité et de l’innocuité des vaccins contre la COVID-19, des tentatives d’occulter des données contraires à celles sur lesquelles s’est appuyé l’employeur ainsi que des études scientifiques contredisant celles présentées par l’employeur dans le cadre de l’audience. L’exercice cherchait à appuyer leur allégation selon laquelle l’employeur aurait ignoré ou rejeté les données et conclusions scientifiques qui n’appuyaient pas son projet de politique vaccinale.

[267] L’exercice n’a pas eu les résultats souhaités. Les témoins n’ont pas nié l’existence d’effets secondaires au vaccin contre la COVID-19, d’opinions contraires relativement aux vaccins à base d’ARN messager et d’études dont les données et constats étaient différents de ceux retenus par l’ASPC ou Santé Canada. À la lumière des témoignages de Mme Bidal et de Mme Lourenco et de la preuve documentaire importante voulant que, à toutes les périodes pertinentes aux griefs, l’intimé ait pris en compte une quantité importante de données et de conseils scientifiques provenant d’experts en la matière, j’estime que les allégations des fonctionnaires s’estimant lésés voulant que l’employeur ait ignoré ou rejeté les données et conclusions scientifiques qui n’appuyaient pas son projet de politique vaccinale sont dénuées de fondement.

[268] La mesure qui est à l’examen dans le cadre des présents griefs est la décision de l’employeur d’adopter et de mettre en œuvre une politique de vaccination qui a causé la mise en congé sans solde des fonctionnaires s’estimant lésés. L’arbitrage d’un grief n’est pas le forum pour débattre des décisions prises et des analyses effectuées par des ministères et organismes autres que le Conseil du Trésor. Le simple fait que Santé Canada et l’ASPC sont également intervenus et ont été engagés dans la gestion de la COVID-19, y compris relativement à la vaccination, ne fait pas en sorte que les gestes et décisions de ces entités peuvent faire l’objet d’une décision de la Commission. C’est pour cette raison que j’estime que les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait fausse route en s’attardant longuement sur les décisions prises et les analyses effectuées par des ministères et organismes autres que le Conseil du Trésor, comme l’approbation des vaccins par Santé Canada et l’analyse de données et la formulation de conseils par l’ASPC.

[269] La principale question que je dois trancher dans le présent cas n’est pas de savoir si la Politique est mal fondée, mal conçue ou mal exécutée, mais plutôt si elle constitue une mesure disciplinaire (voir Frazee, au par. 21). Ainsi, les arguments des fonctionnaires s’estimant lésés voulant que l’ASPC n’aurait pas, selon eux, effectué toutes les analyses qu’ils estiment pertinentes et nécessaires, ou que Santé Canada n’aurait pas – encore selon eux – assujetti les données provenant des fabricants de vaccins à un examen suffisamment rigoureux, ne sont pas pertinents à la question centrale qui cherche à déterminer si l’intention – avouée ou déguisée – de l’employeur était de nature disciplinaire.

[270] Un examen attentif de la preuve démontre que l’employeur avait des considérations opérationnelles légitimes. Il avait également en sa possession suffisamment d’information crédible et fiable voulant qu’imposer une politique de vaccination aux fonctionnaires de l’administration publique centrale constituait une démarche sécuritaire et efficace en vue de son objectif opérationnel d’augmenter le nombre d’employés travaillant en présentiel. Les renseignements auxquels l’employeur avait accès à l’époque indiquaient que la vaccination contre la COVID-19 offrait une protection contre l’infection, la transmission et les conséquences graves de la COVID-19.

[271] Je suis d’accord avec l’intimé lorsqu’il fait valoir qu’à titre d’employeur, il ne pouvait pas se permettre d’attendre une certitude scientifique avant d’agir en imposant une politique de vaccination (voir Elementary Teachers’ Federation of Ontario v. Ottawa-Carleton District School Board, 2022 CanLII 53799 (ON LA), aux paragraphes 44 à 47; et Ontario Nurses Association v. Eatonville/Henley Place, 2020 ONSC 2467, au par. 78).

[272] La preuve présentée à l’audience indique qu’au moins 60 000 fonctionnaires travaillaient en présentiel à l’époque à laquelle la Politique a été élaborée et mise en œuvre. M. Rehibi en était un. Le fait qu’il n’y ait pas eu d’éclosion de la COVID-19 au sein de son équipe de travail avant l’adoption de la Politique n’est pas déterminant et n’a pas pour effet d’amoindrir l’importance du devoir de l’employeur de protéger la santé et la sécurité au travail de l’ensemble de ses employés.

[273] De plus, en l’absence de mesures d’adaptation, tous les fonctionnaires devaient demeurer disponibles pour se rendre au travail en présentiel sur demande, incluant les fonctionnaires travaillant à domicile en vertu d’une entente de télétravail. Mme Lavoie a reconnu, dans le cadre de son témoignage, s’être rendue sur place à deux reprises pour des raisons administratives. Elle a également reconnu qu’elle pouvait être tenue de travailler en présentiel à la demande de son employeur. Elle pouvait être tenue de se rendre sur place pour des formations ou des réunions. Elle pouvait également être tenue de travailler en présentiel avec très peu de préavis. Certaines de ses tâches ne pouvaient pas être effectuées à distance. La possibilité distincte d’avoir à se rendre sur place donnait lieu à une obligation de la part de l’employeur d’assurer sa santé et sa sécurité et celle de ses collègues lorsqu’ils seraient sur place. J’accepte le témoignage de Mme Bidal selon lequel il aurait été inefficace et pas faisable du point de vue opérationnel pour l’employeur d’exiger qu’un employé comme Mme Lavoie soit entièrement vacciné seulement lorsqu’elle serait convoquée à travailler en présentiel ou à se rendre sur place pour un autre motif. Des semaines ou des mois s’écouleraient entre la demande de travailler sur place et le moment où l’employé serait considéré comme entièrement vacciné et donc moins à risque de maladie grave, d’hospitalisation ou de décès.

[274] La preuve scientifique dont disposait à Mme Bidal indiquait que les vaccins étaient l’outil le plus sûr et efficace pour protéger la santé et la sécurité de tous les fonctionnaires. Ainsi, il était raisonnable pour l’employeur de tenir compte non seulement des risques liés à la présence d’employés non-vaccinés sur les lieux de travail, mais également des risques que des fonctionnaires soient gravement atteints de la COVID-19.

[275] La preuve dont disposait l’employeur appuyait une conclusion selon laquelle la vaccination de tous les fonctionnaires de l’administration publique centrale constituait une mesure raisonnable visant l’atteinte de son objectif de protéger l’ensemble des fonctionnaires de l’administration publique centrale. Des politiques fondées sur des conclusions semblables ont été jugées conformes au principe de la précaution et raisonnables dans d’autres contextes (voir, par exemple, Toronto District School Board v. CUPE, Local 4400, 2022 CanLII 22110 (ON LA); Coca Cola Canada Bottling Inc. v. Teamsters, Local 213, 2022 CanLII 60956 (BC LA); Unifor Local 973 v. Coca-Cola Canada Bottling Limited, 2022 CanLII 25769 (ON LA); Power Workers’ Union).

[276] Les conseils formulés par l’ASPC à l’intention de Mme Bidal et sur lesquels cette dernière s’est appuyée dans l’élaboration de la Politique indiquaient qu’une politique qui accordait peu de discrétion dans sa mise en œuvre et qui s’appliquait au plus grand nombre d’employés possible constituait le meilleur outil pour réduire, le plus que possible, les risques aux employés. Les données scientifiques disponibles à l’époque indiquaient que l’exclusion de personnes non vaccinées d’un lieu de travail servait à réduire le risque de transmission du virus sur le lieu de travail, y compris le risque de transmission aux personnes vaccinées. La preuve du Dr Kindrachuk était cohérente avec ces conseils. L’ensemble de la preuve présentée à l’audience ne me permet pas de conclure, comme les fonctionnaires s’estimant lésés l’ont soutenu, que l’adoption d’une politique vaccinale qui accordait peu de discrétion dans sa mise en œuvre était arbitraire. La preuve indique plutôt qu’il s’agissait d’une décision fondée sur la science en vue de réduire, le plus que possible, les risques aux fonctionnaires de l’administration publique centrale.

[277] Dans le cadre de son témoignage, Mme Bidal a indiqué qu’après six mois, l’employeur avait revu le contenu et la nécessité de la Politique. Bien que cet exercice de révision ne semble pas avoir été annoncé ou communiqué publiquement alors qu’il était en cours, il ressort du témoignage de Mme Bidal que l’émergence du virus Omicron et ses caractéristiques particulières, notamment sa plus grande transmissibilité et sa plus grande capacité d’échapper à l’immunité vaccinale, ont fait l’objet d’un examen de la part de l’employeur. Son devoir de veiller à la santé et à la sécurité des fonctionnaires de l’administration publique centrale l’a porté à adopter une approche prudente, voulant attendre des avis et des conseils relativement à l’impact de ce variant sur l’efficacité vaccinale avant de prendre une décision relativement à la suspension de l’application de la Politique.

[278] Il aurait été préférable, du point de vue de la transparence, pour l’employeur de communiquer publiquement qu’une révision de la Politique était en cours ou avait été effectuée. Toutefois, je ne peux pas conclure que ce manquement de communication constitue un indice d’une intention disciplinaire.

[279] Je traiterai maintenant de l’argument des fonctionnaires s’estimant lésés selon lequel que la durée de leur congé sans solde constitue un indice voulant que l’employeur avait une intention disciplinaire, plus précisément une intention de punir les fonctionnaires qui refusaient de se faire vacciner ou de corriger leur comportement. Ils ont cité Lemieux c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 20, à l’appui de leur argument, plus précisément le paragraphe 111.

[280] Dans Lemieux, la Commission a jugé disciplinaire une suspension sans solde d’une durée de 11 mois, soit la durée d’une enquête relativement à une accusation criminelle portée contre le fonctionnaire s’estimant lésé en question. La Commission n’a toutefois pas, comme l’ont laissé entendre les fonctionnaires s’estimant lésés, conclu que la suspension était disciplinaire du seul fait de sa durée. De nombreux autres facteurs ont été pris en compte. La décision de la Commission dans Lemieux s’inscrivait dans un contexte factuel très particulier où un employeur avait imposé une suspension sans solde sur la base de spéculation et d’une présomption voulant que les accusations criminelles portées contre le fonctionnaire étaient fondées. Le paragraphe 111, cité par les fonctionnaires s’estimant lésés, s’inscrit non pas dans l’analyse de la Commission, mais plutôt dans le résumé des arguments mis de l’avant par le fonctionnaire s’estimant lésé en question.

[281] La jurisprudence enseigne que la durée d’un congé sans solde est un facteur pertinent à savoir si la mesure était raisonnable et justifiée (voir Potter c. Commission des services d’aide juridique du NouveauBrunswick, 2015 CSC 10, aux paragraphes 86 à 93). Une conclusion voulant que la durée d’une suspension puisse constituer, en soi, une mesure disciplinaire est intimement liée à l’ensemble des circonstances de chaque cas.

[282] La durée du congé sans solde des fonctionnaires s’estimant lésés était indéterminée. Ils ont été en congé sans solde pendant sept mois. Il s’agit manifestement d’une longue période.

[283] Bien que la durée du congé sans solde des fonctionnaires s’estimant lésés était indéterminée, elle était régie par des facteurs précis. La durée ne peut pas être dite indéfinie (voir Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la Vie, 2004 CSC 55, au par. 62). Il était prévu que le congé sans solde prendrait fin lorsque les fonctionnaires s’estimant lésés se feraient vacciner ou lorsque la Politique serait abolie ou sa mise en application suspendue en raison de changements dans l’évolution de la pandémie. Les circonstances dans lesquelles leur congé sans solde prendrait fin étaient connues par les fonctionnaires s’estimant lésés (voir Potter, aux paragraphes 86 à 93).

[284] Dans les circonstances très particulières d’une pandémie d’une évolution incertaine et tenant compte de l’importance du devoir de l’employeur de veiller à la santé et à la sécurité de ses employés, je ne peux pas conclure qu’un congé sans solde de sept mois doit, de ce fait même et sans autres indices d’une intention disciplinaire de la part de l’employeur, être jugé disciplinaire.

[285] En dernier lieu, je vais adresser deux autres allégations présentées par les fonctionnaires s’estimant lésés qui, selon eux, constituent des indices de la nature punitive et disciplinaire de la Politique, soit la privation des fonctionnaires s’estimant lésés des prestations d’assurance-emploi et le prétendu défaut de l’employeur de considérer des options moins invasives et moins incertaines que la vaccination. Je ne m’attarderai pas longuement sur cette deuxième allégation qui sera traitée de nouveau dans le cadre de mon analyse de l’argument des fonctionnaires s’estimant lésés relativement à la Charte. Pour l’instant, je tiens tout simplement à rappeler qu’une mesure contestée n’a pas à être la meilleure. Elle n’a pas à être parfaite. Qu’il y ait eu d’autres options que l’employeur aurait pu envisager ne font pas de la Politique une mesure disciplinaire. Tout de même, comme il sera décrit plus loin dans les présents motifs, la preuve présentée à l’audience démontre que l’employeur avait connaissance d’autres options et a effectué son choix dans l’objectif de privilégier la mesure offrant la plus grande protection pour la santé et la sécurité.

[286] Sur la question de l’assurance-emploi, le déni des prestations d’assurance-emploi ne découle pas de la Politique elle-même. La preuve présentée à l’audience indique que la décision voulant que les fonctionnaires qui avaient refusé de se conformer à la Politique, ne puissent pas bénéficier de ces prestations était une décision de la part du Programme du travail, une institution fédérale qui fait partie d’EDSC. La décision ne relevait pas du Conseil du Trésor. Mme Bidal a eu connaissance de cette décision dans le cadre de ses fonctions. Elle n’a pas été consultée ou informée au préalable. La demande de prestations de M. Rehibi a été refusée. Il avait, cependant, trouvé un autre emploi bien avant d’avoir appris que sa demande était rejetée. Comme le déni des prestations n’a pas été effectué par l’intimé et ne découle pas de la Politique elle-même, il ne s’agit pas d’un facteur que je retiendrai dans le cadre de mon analyse.

[287] Il ressort clairement du témoignage des fonctionnaires s’estimant lésés, et surtout de celui de Mme Lavoie, une impression d’avoir été puni pour leur non-conformité à la Politique. Toutefois, comme l’enseigne la jurisprudence, une mesure prise par l’employeur qui a un effet préjudiciable sur un fonctionnaire n’est pas nécessairement une mesure disciplinaire. De même, l’opinion du fonctionnaire visé par la mesure contestée voulant qu’il s’agisse d’une mesure disciplinaire déguisée n’en fait pas, sans plus, une mesure disciplinaire.

[288] Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas démontré que l’intention de l’employeur était de corriger le comportement des fonctionnaires s’estimant lésés en leur imposant un congé sans solde.

b. La mise en application de la Politique a eu un effet défavorable immédiat sur les fonctionnaires s’estimant lésés

[289] Passons maintenant à la question à savoir si la Politique a eu un effet défavorable immédiat sur les fonctionnaires s’estimant lésés.

[290] Il n’est pas contesté que la mise en congé sans solde des fonctionnaires s’estimant lésés a eu un effet défavorable sur eux. Le désaccord entre les parties porte sur la nature immédiate ou non de cet effet défavorable et sur la question à savoir si l’effet défavorable découle d’un choix effectué par les fonctionnaires s’estimant lésé.

[291] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que l’application de la Politique, c’est-à-dire leur mise en congé sans solde, a eu un effet défavorable immédiat sur eux. En raison de leur non-conformité à la Politique, ils ont été privés de leur salaire pour une période indéterminée. Ils ont été exclus de leurs fonctions sans savoir quand ils pourraient réintégrer le travail. Ils ont également, selon eux, été stigmatisés du fait que leur départ en congé sans solde aux dates prévues à la Politique annonçait à tous la raison pour le congé, c’est-à-dire leur non-conformité à la Politique. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que ces effets négatifs n’avaient pas découlé d’un choix de leur part. Ils ont soutenu qu’ils n’avaient pas eu la liberté de choisir de se conformer à la Politique ou non étant donné qu’ils connaissaient les dangers découlant de la vaccination et ne pouvaient pas ainsi se conformer à la Politique.

[292] L’intimé a soutenu que l’effet défavorable que les fonctionnaires s’estimant lésés ont allégué avoir subi, soit un congé sans solde, était le résultat de leur décision de ne pas se conformer à la Politique. Selon lui, la Politique offrait aux fonctionnaires s’estimant lésés le choix d’attester leur statut vaccinal ou de refuser de fournir leur attestation et être temporairement placés en congé sans solde. Ils ont fait leur choix, et leurs allégations selon lesquelles le congé sans solde a eu des répercussions sur eux ne peuvent pas avoir pour effet de transformer leur congé sans solde en suspension disciplinaire (voir Knox c. Conseil du Trésor (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2017 CRTEFP 40, au par. 135). De plus, l’intimé a fait valoir que les fonctionnaires s’estimant lésés étaient libres de se chercher un autre emploi pendant la période de leur congé sans solde, ce qu’ils avaient fait.

[293] Comme il a été indiqué précédemment, la Politique est entrée en vigueur le 6 octobre 2021 et les fonctionnaires étaient mis en congé sans solde à partir du 15 novembre 2021, soit plus d’un mois plus tard. Entre le 6 octobre 2021 et le 29 octobre 2021, les fonctionnaires de l’administration publique centrale devaient attester leur statut vaccinal. La preuve démontre que les ministères au sein desquels M. Rehibi et Mme Lavoie travaillent ont pris diverses mesures pour informer leurs employés au sujet de la Politique, de son objectif et des conséquences découlant d’une non-conformité à la Politique. Ils ont mis à la disposition de leurs employés des renseignements, entre autres, au sujet de la COVID-19 et de la vaccination contre ce virus.

[294] La Politique prévoyait également que, deux semaines après la date limite pour attester leur statut vaccinal, les fonctionnaires qui refusaient d’être entièrement vaccinés ou de divulguer leur statut vaccinal devaient assister à une séance d’information en ligne relativement à la vaccination contre la COVID-19. C’est seulement deux semaines après la date limite de la présentation de l’attestation et après la séance d’information que les fonctionnaires ont été placé en congé sans solde.

[295] L’historique des événements, examiné ainsi, démontre que le congé sans solde des fonctionnaires s’estimant lésés ne constituait pas une conséquence immédiate de l’entrée en vigueur de la Politique. Il en a découlé par la suite, soit lorsque la Politique avait été complètement mise en application.

[296] Comme je l’ai indiqué précédemment, le fait qu’une mesure prise par l’employeur ait un effet préjudiciable sur un fonctionnaire n’en fait pas nécessairement une mesure disciplinaire. De plus, que l’effet défavorable en cause soit immédiat ou non n’est pas déterminant en soi. La présence d’un effet défavorable immédiat n’est qu’un facteur parmi d’autres pouvant suggérer la présence d’une intention disciplinaire.

[297] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que la Politique ne leur offrait pas un véritable choix. Je reviendrai à cet argument dans le cadre de mon analyse relativement à la Charte. À ce stade de mon analyse, c’est-à-dire mon analyse à savoir si la Politique a eu un effet négatif immédiat sur les fonctionnaires s’estimant lésés, je tiens à préciser que le témoignage des fonctionnaires s’estimant lésés n’étaye pas leur argument voulant que les dangers allégués découlant de la vaccination aient fait en sorte qu’ils n’avaient véritablement pas le choix de se conformer à la Politique.

[298] Mme Lavoie a indiqué avoir refusé de se conformer à la Politique parce qu’à son avis, la Politique constituait une mesure visant à intimider et influencer les fonctionnaires s’estimant lésés à se faire vacciner. M. Rehibi, quant à lui, a indiqué ne pas s’être senti contraint à se faire vacciner. Il a témoigné que, plus on insistait sur la vaccination contre la COVID‑19, plus il résistait. Bien qu’ils aient tous les deux des raisons personnelles pour hésiter à se faire vacciner, les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas invoqué de prétendus risques liés à la vaccination en décrivant la raison pour laquelle ils avaient refusé de se conformer à la Politique. Ils ont été informés de la Politique et des conséquences découlant d’une non-conformité. Ils ont eu le temps d’y réfléchir et ils ont pris une décision éclairée de ne pas se faire vacciner. Ils ont fait ce choix par principe et les effets défavorables sur les fonctionnaires s’estimant lésés ont découlé de ce choix.

[299] Le témoignage des fonctionnaires s’estimant lésés n’étaye également pas leur allégation selon laquelle ils ont été stigmatisés en raison de l’application de Politique. Il est raisonnablement probable que certains collègues des fonctionnaires puissent avoir déduit, à la lumière des dates et de la durée des congés des fonctionnaires s’estimant lésés, qu’ils avaient été placés en congé sans solde en raison d’un refus de se conformer à la Politique. Toutefois, les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas présenté de preuve à cet égard. Ils n’ont pas décrit, dans le cadre de leur témoignage, des expériences ou des interactions professionnelles ou sociales pouvant fonder une conclusion selon laquelle ils auraient été maltraités ou critiqués en milieu de travail.

[300] Bien qu’ils aient décrit que leurs interactions avec certains collègues étaient moins chaleureuses ou personnelles à la suite de leur congé sans solde qu’elles l’étaient auparavant, ils n’ont pas décrit de conflits, de reproches ou de critiques. Au contraire, M. Rehibi a témoigné que son retour au travail à la suite de son congé sans solde s’était effectué dans le respect.

[301] Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus l’effet défavorable sur les fonctionnaires s’estimant lésés a découlé de la décision qu’ils ont effectuée.

c. L’effet de la décision de l’employeur de mettre les fonctionnaires s’estimant lésés en congé sans solde est disproportionné au motif administratif invoqué par l’employeur

[302] Comme je l’ai indiqué précédemment, lorsque l’incidence d’une mesure est grandement disproportionnée par rapport au motif administratif qui est invoqué par l’employeur, la mesure peut être considérée comme disciplinaire. Toutefois, cette norme ne sera pas atteinte si la mesure contestée est jugée comme étant une réaction raisonnable à des considérations opérationnelles honnêtes; elle sera jugée raisonnable et non disciplinaire (voir Frazee, au par. 24, citant Re Toronto East General & Orthopaedic Hospital Inc. and A.A.H.P.O., 1989 CanLII 9391 (ON LA)).

[303] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont fondé leur argument voulant que l’effet de la Politique soit disproportionné sur ce qu’ils ont caractérisé comme une violation de leur droit protégé par l’art. 7 de la Charte. Ils ont fait valoir que l’application de la Politique, notamment le fait d’avoir été privé de leur salaire pour une durée qui était alors indéfinie et qui s’est éventuellement avérée être de sept mois, a enfreint leur droit protégé par l’art. 7 de la Charte.

[304] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont soutenu que la Politique était une mesure arbitraire à portée excessive ayant entraîné des conséquences financières et psychologiques disproportionnées sur eux. Selon eux, il n’était pas nécessaire pour l’employeur d’opter pour la vaccination de tous ses fonctionnaires. La communauté scientifique ne proposait pas un taux de vaccination aussi élevé que 100 %. Ils ont également fait valoir que la vaccination comportait un risque pour leur santé. Ils soutiennent que la Politique n’avait aucune utilité. L’apparition du variant Omicron ferait en sorte que l’efficacité de la protection offerte par l’immunité vaccinale serait grandement diminuée. Les fonctionnaires s’estimant lésés sont même allés jusqu’à faire valoir que la vaccination aurait mené à une augmentation des cas de la COVID-19 en rendant les personnes vaccinées plus susceptibles au virus.

[305] En plus de ce qui est décrit au paragraphe précédent, les arguments présentés par les fonctionnaires s’estimant lésés ont porté en large partie sur le principe de l’atteinte minimale, notamment les autres options que l’employeur aurait dû, selon eux, privilégier au lieu de la vaccination, de même que sur les autres moyens que l’employeur aurait pu utiliser pour répondre à la problématique des fonctionnaires qui refusaient de se conformer à la Politique.

[306] L’intimé a fait valoir que l’application de la Politique constituait une réaction raisonnable à des considérations opérationnelles honnêtes. Les conséquences découlant de l’application de la Politique n’étaient pas disproportionnées par rapport au motif administratif invoqué. La seule répercussion pour les fonctionnaires s’estimant lésés était celle d’être placés temporairement en congé sans solde jusqu’à ce que l’application de la Politique soit suspendue. L’employeur, quant à lui, était tenu en vertu du CCT de protéger la santé et la sécurité de ses employés. La preuve scientifique démontrait que la meilleure façon de faire cela était d’exiger la vaccination de tous les fonctionnaires de l’administration publique centrale, à l’exception de ceux et celles qui avaient droit à une mesure d’adaptation.

[307] L’intimé a également fait valoir que la Commission n’avait pas compétence pour entendre et considérer les arguments des fonctionnaires s’estimant lésés relativement à la Charte avant d’avoir conclu que la mesure contestée était bel et bien une mesure disciplinaire déguisée (voir Chamberlain CRTFP, aux paragraphes 69 et 121; confirmée dans Chamberlain CF 2015). Il a également fait valoir que la Commission n’avait pas de compétence résiduelle lui permettant de considérer les actions de l’employeur à la lumière de la Charte (voir Marleau c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2023 CRTESPF 47, au par. 26). Comme je l’ai indiqué précédemment, j’ai permis aux fonctionnaires s’estimant lésés de présenter leur preuve relativement à la Charte.

[308] Il est clairement établi en droit que la Commission peut résoudre une question constitutionnelle se rapportant à une affaire dont elle est proprement saisie (voir Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, aux paragraphes 60 et 61; R. c. Conway, 2010 CSC 22, au par. 78). La Commission l’a déjà fait (voir, entre autres, Association des membres de la Police Montée du Québec c. Conseil du Trésor, 2019 CRTESPF 70; Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général), 2017 CSC 55). L’intimé n’a pas contesté que la Commission pouvait entendre et trancher des arguments en vertu de la Charte si elle était dûment saisie des griefs des fonctionnaires s’estimant lésés.

[309] Il a également clairement été établi que la Commission n’a pas compétence relativement à un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi au seul motif que le grief allègue une violation de la Charte ou d’une loi connexe telle que la LCDP. Il s’agissait de la situation de fait dans Chamberlain CF 2015 et Chamberlain CRTFP, les décisions sur lesquelles l’intimé a fondé son argument.

[310] Je suis de l’avis que l’argument de l’employeur selon lequel la Commission ne peut pas entendre et considérer des arguments basés sur la Charte avant d’avoir conclu qu’elle a compétence pour instruire un grief est trop limitatif dans la mesure où cet argument ne permettrait pas à la Commission, s’il était retenu, d’entendre une preuve et des arguments relativement aux valeurs qui sous-tendent la Charte.

[311] La décision Frazee enseigne que la façon dont l’employeur choisit de qualifier sa décision n’est pas en soi un facteur déterminant. Il peut s’avérer nécessaire pour la Commission d’examiner l’effet de la mesure contestée sur les fonctionnaires s’estimant lésés, notamment à savoir si l’incidence de la mesure est grandement disproportionnée par rapport au motif administratif invoqué par l’employeur.

[312] Les décisions Frazee et Bergey n’ont pas défini ou délimité la nature de la preuve sur laquelle la Commission peut s’appuyer dans le cadre de son examen de l’effet d’une mesure contestée. Ces décisions enseignent plutôt que, lorsque l’incidence d’une mesure prise par l’employeur est grandement disproportionnée par rapport au motif administratif qui est invoqué et que la mesure ne constitue pas une réaction raisonnable à des considérations opérationnelles honnêtes, la mesure peut être considérée comme disciplinaire (voir Frazee, au par. 24). Il s’agit là d’une analyse qui est intimement liée aux faits de chaque cas, notamment la nature de la mesure contestée.

[313] Il est raisonnable de croire que l’effet d’une mesure imposée à un fonctionnaire peut varier selon la nature de la mesure contestée. L’incidence ou l’impact peut être financier ou personnel. Il pourrait également se traduire, entre autres, par un impact sur le cheminement de carrière de la personne visée. Toutefois, je ne peux pas écarter la possibilité que l’effet d’une mesure contestée puisse également s’illustrer par le biais de son caractère incompatible avec les valeurs qui sous-tendent la Charte.

[314] L’adoption et la mise en œuvre de la Politique constituaient des mesures sans précédent dans l’administration publique centrale. Jamais auparavant l’intimé n’avait adopté une politique de vaccination menant à l’imposition d’un congé sans solde aux fonctionnaires refusant de s’y conformer. Je ne peux pas accepter l’argument de l’employeur voulant que les fonctionnaires s’estimant lésés soient dans l’impossibilité de faire valoir, en appui à leurs allégations selon lesquelles l’effet de la Politique était grandement disproportionné par rapport au motif administratif invoqué par l’employeur, et donc qu’elle était de nature disciplinaire, un argument selon lequel la mesure qui leur a été imposée était incompatible avec les valeurs qui sous-tendent la Charte.

[315] L’argument de l’intimé, s’il était accepté, ne laisserait aucune marge de manœuvre à la Commission pour entendre une preuve d’un impact allégué sur les valeurs qui sous-tendent la Charte lorsqu’un tel impact serait invoqué comme indice voulant que l’effet de la mesure contestée serait d’une telle ampleur et d’une telle importance qu’elle puisse être jugée disciplinaire et non administrative. Je ne peux pas accepter l’argument de l’intimé selon lequel la porte serait close à toute preuve et tout argument à ce sujet lorsque, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Commission estime qu’une telle preuve est pertinente à l’examen de l’incidence sur un fonctionnaire s’estimant lésé d’une mesure contestée. Conclure autrement serait, à mon avis, contraire à la jurisprudence qui enseigne qu’un tribunal administratif comme la Commission doit agir conformément aux valeurs qui sous-tendent la Charte en s’acquittant de ses fonctions (voir Conway, au par. 78).

[316] Dans la décision Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, au paragraphe 35, la Cour suprême du Canada a indiqué que les décisions administratives doivent toujours prendre en considération les valeurs fondamentales et que les organismes administratifs ont « […] le pouvoir, et même le devoir, de tenir compte des valeurs consacrées par la Charte dans leur domaine d’expertise. » À titre de décideur, je dois me demander comment protéger au mieux la valeur en jeu consacrée par la Charte compte tenu des objectifs visés par la Loi (Doré, au par. 56).

[317] Comme la Cour suprême du Canada l’a récemment rappelé dans Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31, au par. 64, le cadre d’analyse établi dans la décision Doré s’applique non seulement lorsqu’une décision administrative porte atteinte de manière directe aux droits garantis par la Charte, mais aussi, dans les cas où la décision administrative ne fait que mettre en jeu une valeur soustendant un ou plusieurs droits de la Charte, sans pour autant restreindre ces droits. À titre de décideur administratif, j’ai l’obligation de considérer les valeurs pertinentes pour l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire (Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest, au par. 65).

[318] L’intimé a cité la décision Marleau à l’appui de sa position voulant que la Commission n’ait pas compétence, ou de compétence résiduelle lui permettant d’examiner les actions de l’employeur à la lumière de la Charte. Marleau, une décision récente de la Commission, portait sur une plainte déposée par un employé de la Gendarmerie royale du Canada contre l’employeur. Sa plainte alléguait que l’employeur avait commis une pratique déloyale de travail en imposant la Politique. Le plaignant avait allégué, entre autres, des violations des articles 2 et 7 de la Charte. L’analyse de la Commission relativement à la Charte compte deux brefs paragraphes. Le plus pertinent des deux paragraphes, le paragraphe 26, indique que la Commission était de l’avis que le plaignant n’avait pas démontré comment les dispositions de la Charte qu’il avait invoquées s’appliquaient, et il n’avait pas expliqué comment ses allégations relatives à la Charte se rapportaient aux dispositions de la Loi qui confère à la Commission sa compétence. Or, ce n’est pas le cas ici. Les fonctionnaires ont démontré et expliqué la pertinence, selon eux, de leurs arguments relatifs à la Charte à la disposition de la Loi qui me confère ma compétence à titre d’arbitre de grief.

[319] Je ne suggère aucunement qu’une preuve et que des arguments relatifs aux valeurs qui sous-tendent la Charte devraient être permis dans toutes les instances dans lesquelles un fonctionnaire s’estimant lésé allègue une mesure disciplinaire déguisée. Dans la grande majorité des cas, des allégations et des arguments relativement à la Charte seront sans objet ou non pertinents à l’analyse des facteurs énoncés dans Frazee. Toutefois, je suis d’avis que des circonstances exceptionnelles peuvent survenir dans lesquelles un fonctionnaire s’estimant lésé pourrait être autorisé de présenter une preuve et des arguments relatifs aux valeurs qui sous-tendent la Charte dans le cadre d’un débat relativement à l’effet prétendument démesuré d’une mesure contestée. J’estime que le présent cas en est un.

[320] Dans le présent cas, les fonctionnaires s’estimant lésés ont présenté une preuve et des arguments relatifs à ce qu’ils ont décrit comme étant une violation de leurs droits protégés par l’art. 7 de la Charte. L’article 7 de la Charte prévoit que « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. »

[321] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que la Politique visait à les contraindre de se faire vacciner, sous peine d’être privé de leur revenu pour une durée indéterminée. Ils soutiennent qu’il s’agit d’une violation du droit à la sécurité de la personne garanti à l’art. 7 de la Charte. Ils soutiennent également qu’ils n’ont pas eu la liberté de choisir de se conformer à la Politique. Ils ne pouvaient pas s’y conformer parce qu’ils connaissaient les dangers découlant de la vaccination contre la COVID-19.

[322] Dans la décision Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, au par. 55, la majorité des juges de la Cour suprême du Canada a indiqué que le droit à la sécurité de la personne garanti par l’art. 7 de la Charte protège à la fois l’intégrité physique et l’intégrité psychologique de la personne.

[323] La protection de l’intégrité physique comprend le droit d’une personne de décider si, et dans quelle mesure, il acceptera de se soumettre à des actes médicaux. Comme l’enseigne Ciarlariello c. Schacter, [1993] 2 R.C.S. 119, à la p. 135 (repris dans la décision A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), 2009 CSC 30, au par. 101), le droit au respect de l’intégrité physique comprend le droit de chacun de « […] décider de ce qu’on pourra faire subir à son corps et, partant, de refuser un traitement médical auquel il n’a pas consenti. »

[324] Les fonctionnaires n’étaient pas tenus de se faire vacciner. Ils ne l’ont pas été. Leur décision de ne pas se faire vacciner a été respectée. La preuve ne peut pas fonder une conclusion voulant que leur intégrité physique ait été compromise.

[325] J’estime que l’argument des fonctionnaires s’estimant lésés relativement à l’art. 7 de la Charte s’apparente plus à un argument voulant que la Politique constituait une atteinte à leur l’intégrité psychologique, c’est-à-dire qu’ils auraient, selon eux, subi un préjudice psychologique en raison du fait qu’ils se sont sentis contraints à se conformer à la Politique, sous peine d’être privés de leur salaire.

[326] L’aspect du droit à la sécurité de la personne qui protège l’intégrité psychologique protège une personne contre les graves souffrances psychologiques causées par l’État (voir Blencoe, au par. 57), c’est-à-dire des répercussions plus importantes qu’une angoisse ou une tension ordinaire (voir Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, au par. 60). Dans un contexte non pénal comme dans le présent cas, le droit à la sécurité de la personne n’englobe que « […] l’atteinte grave à l’intégrité psychologique résultant de l’atteinte de l’État à un droit individuel d’importance fondamentale » (voir Blencoe, au par. 82).

[327] Selon l’intimé, la nature du préjudice psychologique que les fonctionnaires s’estimant lésés prétendent avoir subi est comparable à celle de tout employé qui est placé en congé sans solde ou qui subirait une perte de salaire.

[328] L’impact de la Politique sur les fonctionnaires s’estimant lésés ne peut pas être caractérisé comme constituant une atteinte psychologique d’une gravité semblable à ce qui a été décrit dans Blencoe et G.(J.).

[329] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait un choix. Des conséquences ont découlé du choix qu’ils ont effectué. Les fonctionnaires s’estimant lésés étaient toutefois libres de trouver un autre emploi pendant leur congé sans solde. Mme Lavoie a pris des démarches en vue de trouver un autre emploi. Elle n’a pas réussi à en trouver un. Elle a subi des conséquences financières importantes du fait qu’elle a été privée de son salaire. Elle a également indiqué avoir subi un stress en raison de la perte de revenu et de l’incertitude quant à la durée du congé sans solde. Son sommeil a été troublé. Bien qu’elle ait témoigné au sujet d’une période pendant laquelle sa santé mentale s’était détériorée, son témoignage indique que cette période avait commencé en juin 2021, avant l’adoption et la mise en application de la Politique. J’accepte que Mme Lavoie ait vécu un stress et une angoisse. Toutefois, il m’est impossible de conclure qu’elle aurait subi un préjudice psychologique grave en raison de la Politique.

[330] M. Rehibi a décrit la décision comme étant difficile. Bien qu’il ait été placé en congé sans solde, il a rapidement pris des démarches en vue de se trouver un nouvel emploi. Il a réussi. Il a indiqué qu’il n’avait pas « trop souffert financièrement » en raison de son congé sans solde. Bien que j’accepte que M. Rehibi ait vécu un stress, il n’a pas décrit avoir subi un préjudice psychologique.

[331] Je ne partage pas l’opinion des fonctionnaires s’estimant lésés selon laquelle la Politique ne leur offrait pas un véritable choix. Ils ont effectué un choix. Le choix a été difficile et il pouvait entraîner des conséquences financières importantes, mais il ressort de leur témoignage que les fonctionnaires s’estimant lésés ont tous les deux décidé de ne pas se conformer à la Politique par principe. Les conséquences qu’ils ont subies découlent de ce choix.

[332] Des arguments voulant que les effets négatifs découlant d’une politique de vaccination comme celle contestée dans les présents griefs ne puissent pas être jugés comme découlant du choix du fonctionnaire ont été analysés et rejetés dans le cadre d’instances portant sur des politiques de vaccination offrant des choix semblables à la Politique contestée dans le présent cas (voir, par exemple, Health Employers Assn. of British Columbia v. Health Sciences Assn, (Influenza Control Program Policy), (2013) 237 L.A.C. (4th) 1 (BC LA), au par. 160, où un arbitre de grief a conclu qu’une politique qui offrait aux employés le choix entre le port du masque ou la vaccination contre l’influenza ne constituait pas une politique de vaccination obligatoire; Parmar, au par. 154, où un juge a conclu qu’une politique de vaccination qui offrait un choix entre la vaccination et un congé sans solde n’imposait pas la vaccination, mais offrait plutôt un choix à l’employé entre les deux options prévues à la politique; Syndicat canadien de la fonction publique, au par. 289, où un arbitre de grief a conclu qu’une politique qui incitait des employés à se faire vacciner ne constituait pas une contrainte vaccinale même si le choix que les employés exerçaient entraînait une conséquence financière significative).

[333] La Politique offrait un choix aux fonctionnaires s’estimant lésés : se faire vacciner et maintenir leur salaire ou refuser de se faire vacciner et être placés en congé sans solde. Ils ont effectué un choix. Leur témoignage indique qu’ils connaissaient et comprenaient les conséquences qui découleraient de ce choix.

[334] Ni la Charte ni les valeurs qui la sous-tendent n’offrent une protection des conséquences découlant de la décision que les fonctionnaires s’estimant lésés ont prise (voir, par exemple, Lewis v. Alberta Health Services, 2022 ABCA 359, relativement à une politique de vaccination dans le contexte médical).

[335] Bien que les fonctionnaires s’estimant lésés aient subi des conséquences financières en raison de la mise en application de la Politique, la jurisprudence enseigne que les intérêts économiques ne sont pas protégés par l’art. 7 de la Charte (voir Siemens c. Manitoba (Procureur général), 2003 CSC 3, au par. 45; Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123, aux pages 1169 à 1171 et 1179; voir également, dans le contexte de politiques vaccinales, Toronto District School Board, à la p. 31; Bailey v. New Brunswick Power Corporation, 2023 CanLII 2832 (NB LA), au par. 120; Syndicat canadien de la fonction publique, au par. 288).

[336] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont invoqué la décision Syndicat des métallos et les conclusions rendues par le Comité externe d’examen des griefs militaires relativement à la constitutionnalité de la politique des Forces armées canadiennes (les « Forces armées ») en matière de vaccination contre la COVID-19 à l’appui de leur position relativement à la Charte.

[337] Dans Syndicat des métallos, un juge de la Cour supérieure du Québec a conclu, en premier lieu, que certains arrêtés ministériels du ministre des Transports du Canada décrétant la vaccination obligatoire dans le transport maritime, aérien et ferroviaire portaient atteinte à la liberté et à la sécurité de la personne dans sa dimension psychologique, pour ensuite conclure que la mesure respectait les principes de justice fondamentale et donc n’était pas contraire à l’art. 7 de la Charte.

[338] Les fonctionnaires s’estimant lésés se sont appuyés sur la première conclusion et ont voulu distinguer la deuxième sur la base du fait que, dans Syndicat des métallos, l’efficacité et l’innocuité des vaccins n’avaient pas été contestées. L’intimé a fait valoir que la décision Syndicat des métallos est un cas isolé qui est incompatible avec la jurisprudence existante relativement à des politiques de vaccination.

[339] Je ne me prononcerai pas sur le bien-fondé de Syndicat des métallos. Il n’est pas nécessaire pour moi de le faire.

[340] Dans Syndicat des métallos, la Cour supérieure du Québec était saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire qui contestait la constitutionnalité d’arrêtés ministériels qui avaient décrété la vaccination obligatoire par le biais de politiques de vaccination contre la COVID-19 que les entreprises assujetties à la compétence fédérale avaient adoptées pour leurs employés. Les politiques de vaccination en question prévoyaient qu’un refus de se faire vacciner pouvait entraîner un congé sans solde ou un congédiement. Les cas précis qui étaient à l’étude dans Syndicat des métallos incluaient des situations dans lesquelles des congédiements avaient découlé d’une non-conformité à une politique de vaccination. Il est manifeste que la conclusion de la Cour supérieure du Québec voulant que les arrêtés ministériels portaient atteinte à la liberté et à la sécurité de la personne dans sa dimension psychologique repose au moins en partie sur le fait que le congédiement pouvait découler d’un refus de se conformer aux politiques de vaccination en question (voir, entre autres, les paragraphes 171 et 176). Pour ce motif, j’estime que la conclusion de la Cour supérieure du Québec dans Syndicat des métallos voulant que la mesure contestée violait l’art. 7 de la Charte peut être distinguée du présent cas, notamment en raison du fait que le congédiement ne constituait pas une conséquence découlant de la non-conformité à la Politique à l’examen dans le cadre des présents griefs.

[341] Bien que j’ai conclu que la conclusion de la Cour supérieure du Québec voulant que les arrêtés ministériels portaient atteinte à la liberté et à la sécurité de la personne dans sa dimension psychologique peut être distinguée, je trouve toutefois pertinentes certaines autres conclusions tirées dans Syndicat des métallos, notamment la conclusion selon laquelle la mesure contestée respectait les principes de justice fondamentale et donc n’était pas contraire à l’art. 7 de la Charte.

[342] Rappelons que l’art. 7 de la Charte prévoit que « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. » Celui qui invoque l’art. 7 doit non seulement démontrer que la mesure ou la décision contestée porte atteinte à un des droits énumérés à cet article, mais il doit aussi démontrer que cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale (Blencoe, au par. 47). Comme la Cour supérieure du Québec l’a indiqué dans ses motifs, l’art. 7 contient son propre mécanisme interne de justification et une mesure qui porte atteinte au droit à la sécurité de la personne ne violera pas l’art. 7 si elle est « […] taillée sur mesure, de sorte qu’elle n’est ni arbitraire, ni de portée excessive et, enfin, à condition qu’elle ne soit pas non plus totalement disproportionnée » (Syndicat des métallos, aux paragraphes 152 à 154).

[343] Dans le cadre de son analyse, la Cour a conclu que la mesure contestée n’était pas arbitraire, notamment en raison du fait que la preuve démontrait que les personnes non vaccinées représentaient un plus haut risque de développer des formes plus graves de la COVID-19, ce qui pouvait entraîner des conséquences sur les activités des employeurs en question. La Cour a également conclu que, bien que l’impact de la mesure pouvait être décrit comme sévère, il n’était pas possible de dire que la mesure avait une portée excessive. La Cour a fondé cette dernière conclusion sur un constat voulant que, là où la vaccination obligatoire a été jugée nécessaire en milieu de travail, il s’ensuit forcément qu’un employé non-vacciné ne peut pas travailler (Syndicat des métallos, au par. 202). En dernier lieu, la Cour a conclu que l’effet de la mesure sur les personnes concernées était proportionné à son objectif important, soit de réduire les risques liés à la COVID-19 et à la sécurité des transports maritime, aérien et ferroviaire. Elle a également indiqué que ça serait « […] minimiser la gravité de la situation [à laquelle était confronté le pays] à partir de l’automne 2021 que de qualifier la pandémie de simple épisode qui ne requérait pas une réponse musclée […] » (Syndicat des métallos, au par. 208).

[344] Bien qu’elle avait conclu que la mesure contestée ne violait pas l’art. 7 de la Charte, la Cour supérieure du Québec a tout de même examiné la question de la justification de la mesure au regard de l’article premier de la Charte. Elle a indiqué que si elle avait conclu que les dispositions contestées violaient l’art. 7 de la Charte, les dispositions auraient été justifiées comme constituant une limite raisonnable à ce droit (Syndicat des métallos, au par. 251).

[345] Dans le deuxième cas cité par les fonctionnaires s’estimant lésés, le Comité externe d’examen des griefs militaires a conclu que la politique des Forces armées violait le droit à la liberté et le droit à la sécurité des plaignants. Comme était le cas dans Syndicat des métallos, la conclusion du Comité externe à ce sujet reposait sur un fait important qui distingue la politique des Forces armées canadiennes de la Politique à l’étude dans le présent cas : un refus de se conformer à la politique des Forces armées constituait une inconduite. La politique prévoyait la prise d’une mesure disciplinaire et le renvoi des Forces armées de ceux et celles qui refusaient de s’y conformer. L’intention disciplinaire avouée et la nature de la conséquence découlant de la non-conformité à la politique des Forces armées font en sorte que la décision du Comité externe est facilement distinguable des présents griefs.

[346] J’ai tenu compte de ces décisions et de l’ensemble de la jurisprudence citée par les parties relativement à la Charte. Comme je dois examiner et analyser la Politique à la lumière de son contenu, de la preuve qui m’a été présentée à l’audience, du devoir du Conseil du Trésor de veiller à la protection de la santé et de la sécurité de ses employés et du contexte particulier de l’administration publique centrale, j’estime qu’aucune de ces décisions ne constitue une réponse complète aux questions en litige dans les présents griefs. J’estime également que les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas démontré que l’application de la Politique, et plus particulièrement leur mise en congé sans solde, constituait une atteinte à leurs droits protégés par l’art. 7 de la Charte ou avait un impact sur les valeurs qui sous-tendent l’art. 7.

[347] Retournons aux arguments des fonctionnaires s’estimant lésés relativement au principe de l’atteinte minimale.

[348] Je ne peux pas accepter la suggestion des fonctionnaires s’estimant lésés voulant que l’employeur aurait pu attendre que la pandémie de la COVID-19 soit terminée avant de répondre à ses besoins opérationnels. Même s’il aurait pu attendre, ce sur quoi je ne me prononce pas, l’employeur n’était pas tenu d’attendre la fin de cette période incertaine avant d’agir pour répondre à ses besoins opérationnels. À l’époque à laquelle la Politique a été adoptée et mise en œuvre, les conseils et renseignements dont l’employeur disposait indiquaient que la vaccination constituait un moyen sûr et sécuritaire de répondre à ses besoins opérationnels en respectant ses obligations en vertu du CCT.

[349] L’intimé est l’employeur de plus de 260 000 fonctionnaires qui travaillent dans plus de 86 ministères et organisations. Les postes qu’occupent ces fonctionnaires, et les tâches qu’ils accomplissent sont très variés. Il est faux de croire que les fonctionnaires de l’administration publique centrale occupaient tous des postes dont les tâches pouvaient s’effectuer à distance à l’époque pertinente aux présents griefs. Dans les circonstances exceptionnelles d’une pandémie qui avait un impact sur l’ensemble des activités de l’employeur, il était raisonnable et efficace pour un employeur d’adopter une politique s’appliquant à l’ensemble de ses effectifs. Procéder ainsi permettait à l’employeur d’assurer une uniformité et une certitude dans l’application de sa politique. Quand il est question d’une politique de vaccination en lien avec un virus comme la COVID-19, la preuve présentée à l’audience indique que l’uniformité dans l’application est de grande importance.

[350] J’accepte le témoignage de Mme Bidal selon lequel l’adoption d’une politique vaccinale qui aurait accordé, aux divers ministères et organismes de l’administration publique centrale, une discrétion dans l’application des exigences de la politique n’aurait pas permis à l’employeur d’atteindre son objectif de protéger la santé et la sécurité des fonctionnaires en atteignant un taux vaccinal le plus élevé possible. Son témoignage quant à l’importance de l’uniformité dans la mise en application d’une politique de vaccination a été corroboré par le témoignage du Dr Kindrachuk.

[351] Je ne peux également pas accepter l’argument des fonctionnaires s’estimant lésés voulant que l’employeur aurait pu et aurait dû permettre aux fonctionnaires refusant de se faire vacciner de travailler exclusivement à distance, en modifiant les tâches de ces derniers afin qu’un travail en présentiel ne soit pas requis.

[352] Il m’est impossible de conclure que le travail à distance exclusif pour ceux qui refusaient de se conformer pouvait être une solution pour tous les ministères et organisations et pour tous les postes occupés par ces personnes. M. Rehibi en est un exemple. Il occupe un poste de commis de soutien. Son travail s’effectuait exclusivement en présentiel avant mars 2020. En date de l’audience, son travail s’effectuait toujours presque exclusivement en présentiel. Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que Service Canada soit tenu de remanier son modèle d’affaires et de modifier à ce point ses façons de faire pour accommoder un choix qui, comme M. Rehibi l’a décrit, avait été fait par principe.

[353] Mme Lavoie travaillait à domicile en vertu d’une entente de télétravail bien avant que le virus de la COVID-19 fasse son apparition. En vertu de son entente, elle devait se rendre sur les lieux de travail de l’employeur sur demande, soit pour des réunions, des formations ou pour effectuer des traductions de textes secrets. Elle faisait ainsi quelques fois par mois avant mars 2020. Entre mars 2020 et sa mise en congé sans solde, elle s’est rendue sur place à deux reprises, pour des raisons administratives.

[354] Le fait que Mme Lavoie n’ait pas eu à effectuer des traductions en présentiel entre mars 2020 et sa mise en congé sans solde en novembre 2021 n’est pas déterminant. Cela ne change aucunement le fait que ses tâches incluaient, et incluent toujours, la traduction de textes secrets. Ces traductions doivent être effectuées en présentiel, sur les appareils désignés à cette fin. Quand Mme Blondin, la gestionnaire de Mme Lavoie, a décrit les tâches de la fonctionnaire s’estimant lésée, elle les a décrites comme comportant deux catégories : le mentorat et la révision du travail effectué par d’autres traducteurs ainsi que la traduction de textes secrets. La traduction de textes secrets constitue une partie importante des tâches de la fonctionnaire s’estimant lésée. J’estime qu’il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que le Bureau de la traduction dispense la fonctionnaire s’estimant lésée d’accomplir une partie importante de ses tâches pour accommoder un choix qui, comme Mme Lavoie l’a décrit, avait été fait par principe.

[355] Je traiterai très brièvement de l’allégation des fonctionnaires s’estimant lésés selon laquelle l’effet de la Politique serait disproportionné par rapport à son objectif en raison du fait que la Politique s’est avérée être inutile. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont cité Sault Area Hospital and Ontario Nurses’ Association, 2015 CanLII 55643 (ON LA), et St. Michael’s Hospital v. Ontario Nurses’ Association, 2018 CanLII 82519 (ON LA), à l’appui de leur argument.

[356] À ce sujet, je répète ce que j’ai indiqué précédemment. Ce sont les connaissances et les circonstances qui existaient à l’époque de l’élaboration et de la mise en œuvre de la Politique qui sont pertinentes à l’analyse des présents griefs. Lorsque la Politique a été élaborée et mise en application, les renseignements dont disposait l’employeur indiquaient que les vaccins étaient très efficaces à protéger contre l’infection ainsi que contre les maladies graves, l’hospitalisation et les maladies mortelles. La situation était toute autre dans Sault Area Hospital et St. Michael’s Hospital, deux décisions rendues relativement des politiques de vaccination antigrippale imposées en présence d’indications claires que les vaccins en question ne conféraient que peu de protection vaccinale.

[357] Le variant Omicron est devenu le variant dominant après la mise en œuvre de la Politique et la mise en congé sans solde des fonctionnaires s’estimant lésés. La preuve qui a été présentée à l’audience a démontré que plusieurs mois ont été nécessaires pour permettre à la communauté scientifique de pleinement comprendre l’impact de ce variant sur l’immunité vaccinale. La Politique a été suspendue lorsque l’employeur fut satisfait que la preuve scientifique ne démontrait plus un avantage net de la vaccination en raison de ce nouveau variant.

[358] C’est avec une certaine hésitation que j’aborde une autre allégation soulevée par les fonctionnaires s’estimant lésés, soit leur prétention que le vaccin contre la COVID-19 aurait entraîné une augmentation du nombre des cas de la COVID-19 et aurait rendu les personnes vaccinées plus susceptibles au virus. Je dirai seulement que cette allégation n’est aucunement fondée en preuve et qu’elle a été démentie par les témoins experts et la Dre Lourenco. S’il y a eu une augmentation du nombre de cas de la COVID-19 après la mise en œuvre de la Politique, la preuve scientifique présentée à l’audience indique que le variant Omicron en est responsable.

[359] Je suis d’accord avec l’intimé lorsqu’il a soutenu que, non seulement l’impact de l’application de la Politique n’était pas disproportionné par rapport à l’objectif visé, la période pendant laquelle la Politique est demeurée en vigueur n’était pas disproportionnée, bien que cette période ait sans doute paru très longue aux fonctionnaires s’estimant lésés.

[360] La preuve présentée à l’audience corrobore la position de l’intimé voulant que l’élaboration, la mise en œuvre et le maintien en application de la Politique étaient fondés sur la preuve scientifique disponible à l’époque. Il était difficile, voire impossible, de prédire le comportement du virus. L’employeur a continué de s’informer au sujet de l’évolution des connaissances scientifiques relatives à la COVID-19 et aux vaccins. Lorsque le variant Omicron est devenu dominant, l’employeur a pris le temps qu’il a jugé nécessaire afin de bien comprendre les répercussions du variant en ce qui concernait l’efficacité du vaccin avant de prendre une décision relativement à la Politique.

[361] La durée de la période que l’employeur a pris pour revoir la nécessité de maintenir ou de suspendre l’application de la Politique en présence du variant Omicron ne me paraît pas déraisonnable lorsqu’elle est évaluée à la lumière d’un contexte de données scientifiques en constante évolution. La décision de l’intimé de suspendre l’application de la Politique était fondée sur l’évolution des connaissances scientifiques relatives au variant Omicron et son impact sur l’efficacité vaccinale. Les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas démontré qu’il était déraisonnable pour l’intimé de procéder ainsi (voir, entre autres, les décisions Coca-Cola Canada Bottling Limited v. United Food and Commercial Workers Union Canada, Local 175, 2022 CanLII 83353 (ON LA), au par. 49; et Toronto (City) v. Toronto Civic Employees’ Union, CUPE, Local 416, 2022 CanLII 109503 (ON LA), aux paragraphes 112 à 117 qui traitent du maintien d’une politique de vaccination obligatoire après l’émergence du variant Omicron).

[362] À la lumière de l’ensemble de la preuve, je conclus que les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas démontré que l’effet de la décision l’employeur de les mettre en congé sans solde en raison de leur défaut de se conformer à la Politique était disproportionné au motif administratif invoqué par l’intimé. Malgré leurs arguments, examinés à la lumière des valeurs qui sous-tendent la Charte, plus précisément l’art. 7, les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas satisfait à leur fardeau à cet égard.

d. La mesure est susceptible d’avoir des répercussions sur les perspectives de carrière des fonctionnaires s’estimant lésés

[363] Les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas précisé quelle répercussion leur mise en congé sans solde pouvait avoir eue sur leurs perspectives de carrière, si répercussion il y a eu.

[364] La preuve qui m’a été présentée ne me permet pas de conclure que la mise en application de la Politique a eu une telle répercussion. Les gestionnaires des fonctionnaires s’estimant lésés ont confirmé que la raison du congé sans solde de M. Rehibi et de Mme Lavoie n’est pas mentionnée dans leur dossier d’employé. Rien dans leur dossier n’indique qu’ils ont fait défaut de se conformer à la Politique. Après leur congé sans solde, ils ont tous les deux réintégré leurs fonctions. Loin d’avoir subi une répercussion sur ses perspectives de carrière, M. Rehibi a obtenu une nomination pour une période indéterminée peu après son retour de son congé sans solde.

[365] En raison de l’absence de preuve pouvant me permettre de conclure que la mise en application de la Politique était susceptible d’avoir un impact sur les perspectives de carrière des fonctionnaires s’estimant lésés, j’accorderai ainsi très peu de poids à ce facteur dans le cadre de mon analyse.

e. La Politique est susceptible d’être invoquée dans le cadre d’une mesure disciplinaire future

[366] La Trousse d’outils, un document d’information préparé par le Secrétariat du Conseil du Trésor pour appuyer les gestionnaires dans la mise en œuvre de la Politique, contenait de nombreuses questions et réponses, dont une à savoir si des mesures disciplinaires progressives seraient appliquées aux fonctionnaires qui refusaient de se faire vacciner. La réponse indiquait qu’un fonctionnaire ne se conformant pas à la Politique serait mis en congé sans solde, sans plus. Les témoignages de Mmes Bidal, Blondin et Nadeau ont corroboré cet énoncé voulant qu’il n’était pas envisagé que la non-conformité des fonctionnaires s’estimant lésés puisse être invoquée par l’employeur dans le cadre de mesures disciplinaires futures.

[367] Les fonctionnaires s’estimant lésés avaient tous les deux un dossier disciplinaire vierge. Leur non-conformité à la Politique n’est pas mentionnée dans leur dossier d’employé. S’ils devaient faire l’objet d’une mesure disciplinaire dans le futur, rien ne laisse entendre que l’employeur soulèverait leur non-conformité à la Politique ou que leur congé sans solde serait considéré dans le contexte d’une prise de mesures disciplinaires progressives.

[368] J’estime que ce facteur de l’analyse énoncée dans Frazee n’est pas déterminant dans le présent cas et ne peut fonder une conclusion selon laquelle la Politique puisse être jugée comme disciplinaire.

V. Conclusion quant à la compétence de la Commission à instruire les griefs

[369] Au premier paragraphe de la présente décision, j’ai décrit l’adoption et la mise en œuvre de la Politique comme constituant des mesures sans précédent. La nature exceptionnelle de la mesure a porté les fonctionnaires s’estimant lésés à la contester. Toutefois, le fait que la Politique constituait une mesure sans précédent n’a pour effet d’en faire, de ce fait même, une mesure disciplinaire.

[370] L’employeur a fondé en preuve sa position voulant que la Politique soit une mesure liée à l’emploi.

[371] Ayant examiné l’ensemble des facteurs énoncés dans la jurisprudence en vue de déterminer si la Politique était véritablement administrative ou disciplinaire, j’en arrive à la conclusion que la Politique, c’est-à-dire son élaboration, sa mise en œuvre et son application aux fonctionnaires s’estimant lésés, constituait une mesure administrative fondée sur la preuve scientifique disponible à l’époque et adoptée pour répondre à des considérations opérationnelles légitimes. Il s’agissait d’une mesure prise par l’intimé dans l’objectif de veiller à la protection de la santé et de la sécurité des fonctionnaires de l’administration publique centrale. Il s’agissait d’une réponse raisonnable à un besoin opérationnel qui a été établi en preuve, soit un besoin d’augmenter les effectifs travaillant en présentiel de façon sécuritaire. L’objectif principal de la mesure était d’assurer le respect, par l’employeur, de ses obligations légales envers ses employés.

[372] Il revenait aux fonctionnaires s’estimant lésés de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils ont fait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée même si l’employeur le nie.

[373] J’ai examiné les divers facteurs dont l’appréciation peut aider la Commission à déterminer si l’intention de l’employeur était effectivement d’infliger une mesure disciplinaire aux fonctionnaires s’estimant lésés en raison de leur non-conformité à la Politique. Trois de ces facteurs se sont avérés être particulièrement pertinents aux présents griefs.

[374] Pour les motifs exposés précédemment, je conclus que les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas démontré que l’intention de l’employeur était de les punir ou de corriger leur comportement en leur imposant un congé sans solde. De plus, bien que l’imposition d’un congé sans solde pour non-conformité à la Politique ait eu un effet défavorable sur eux, j’estime que les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas démontré que l’effet de la décision de l’employeur de les mettre en congé sans solde – et de les laisser en congé jusqu’à ce que l’application de la Politique soit suspendue – était disproportionné au motif administratif invoqué par l’intimé. Je conclus également que l’effet défavorable sur les fonctionnaires s’estimant lésés a découlé de leur décision. Ils connaissaient et comprenaient les conséquences qui découleraient d’une non-conformité à la Politique. Bien que le choix de se conformer à la Politique ou non a été difficile et a entraîné des conséquences, il s’agissait d’un choix éclairé que les fonctionnaires s’estimant lésés ont effectué par principe.

[375] Je conclus que les fonctionnaires n’ont pas satisfait au fardeau qu’il leur incombait de démontrer qu’ils ont fait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée. Pour cette raison, la Commission n’a pas compétence pour instruire les griefs.

[376] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[377] L’objection de l’intimé quant à la compétence de la Commission pour instruire les griefs est accueillie.

[378] Les griefs sont rejetés.

Le 28 mars 2024.

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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