Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé une plainte contre l’administrateur en chef du Service administratif des tribunaux judiciaires concernant le poste de directeur, Opérations, classifié au groupe et au niveau PM-06 – le plaignant a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir en choisissant un processus de nomination non annoncé – la Commission a conclu que l’intimé avait clairement documenté sa décision d’utiliser un processus non annoncé – il a appliqué la politique ministérielle et a choisi d’utiliser un processus non annoncé parce que le candidat potentiel était suffisamment bien connu, avait des compétences hautement spécialisées et faisait partie d’un bassin établi de candidats qualifiés pour un poste ayant des compétences similaires et classifié au même groupe et niveau professionnels ou équivalent – le plaignant a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir en établissant des critères de mérite en 2019 qui ne reflétait pas les fonctions du poste – la Commission a conclu que les qualifications essentielles que l’intimé a utilisées dans le processus de nomination de 2019 étaient très semblables à celles utilisées dans les processus de nomination de 2010 et de 2020 pour le même poste – la Commission a conclu que l’énoncé des critères de mérite utilisé dans le processus de nomination de 2019 était raisonnable et approprié au poste – le plaignant a allégué que l’intimé avait fait preuve de favoritisme personnel en choisissant une seule employée et en la nommant au poste en faisant correspondre ses qualifications avec les exigences minimales – l’intimé a documenté de façon approfondie la façon dont la personne nommée répondait aux qualifications essentielles du poste – le plaignant n’a pas fourni de preuve que l’intimé était motivé par le favoritisme personnel au moment de la nomination.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20240216

Dossier: 771-02-41394

 

Référence: 2024 CRTESPF 23

 

Loi sur la Commission

des relations de travail et de

l’emploi dans le secteur public

fédéral et Loi sur l’emploi

dans la fonction publique

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Yoginder Gulia

plaignant

 

et

 

Administrateur en chef du Service administratif des tribunaux judiciaires

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Gulia c. Administrateur en chef du Service administratif des tribunaux judiciaires

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Jena Russell, Syndicat des employé-e-s de la sécurité et de la justice (SESJ-AFPC)

Pour l’intimé : Jean-Charles Gendron, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Maude Bissonnette Trudeau, analyste principale

Affaire entendue par vidéoconférence

les 3 et 4 octobre 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 31 décembre 2019, Yoginder Gulia (le « plaignant ») a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP).

[2] Il a allégué que l’administrateur en chef du Service administratif des tribunaux judiciaires (l’« intimé ») avait abusé de son pouvoir lorsqu’il a nommé Alejandra Gutierrez (la « personne nommée ») au poste de directrice des opérations, qui était classifié au groupe et niveau PM-06 et qui était situé au bureau régional du Service administratif des tribunaux judiciaires (SATJ) de Toronto (Ontario). Le plaignant a allégué qu’un abus de pouvoir s’est produit dans l’application du principe du mérite (en vertu de l’al. 77(1)a) de la LEFP) et dans le choix d’un processus non annoncé pour effectuer la nomination (en vertu de l’al. 77(1)b)). Le processus de nomination portait le numéro 19-CAJ-INA-766. Une notification de candidature retenue a été émise le 16 décembre 2019. L’avis de nomination a été publié le 24 décembre 2019.

[3] Le plaignant a formulé ces trois allégations dans sa plainte :

1. L’intimé a abusé de son pouvoir en choisissant un processus non annoncé et en ne considérant pas d’autres candidats qui auraient pu convenir, pour nommer le candidat qu’il avait choisi.

2. L’intimé a abusé de son pouvoir en établissant des critères de mérite qui ne reflétaient pas les fonctions du poste.

3. Le fait de choisir une seule employée et de la nommer à ce poste en faisant correspondre ses qualifications avec les exigences minimales constituait un abus de pouvoir, démontrant un favoritisme personnel.

 

[4] L’intimé a nié avoir abusé de son pouvoir dans le processus de nomination.

[5] La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas assisté à l’audience et a présenté des arguments écrits sur les lignes directrices et les politiques applicables. Elle n’a pas pris position sur le bien-fondé de la plainte.

[6] Pour les motifs qui suivent, la plainte est rejetée.

II. Résumé des éléments de preuve

[7] Le plaignant a témoigné pour lui-même et s’est appuyé sur cinq documents qui ont été déposés sur consentement.

[8] Le plaignant a témoigné qu’au moment où cette nomination a été faite, il était agent du greffe au groupe et au niveau PM-03 au SATJ. Il travaillait au SATJ depuis environ 12 ans. Il a témoigné que le milieu de travail au bureau régional du SATJ à Toronto est toxique. Il a déclaré qu’il n’avait eu accès à des possibilités d’emploi intérimaire à un niveau supérieur qu’après avoir déposé une plainte de dotation. Il a témoigné que, depuis 2019 ou 2020, il est dans un bassin de candidats pour des postes au groupe et au niveau AS-04, qu’il détient une maîtrise et qu’il est l’employé le plus qualifié parmi les agents du greffe.

[9] Le plaignant a témoigné qu’il y a deux directeurs des opérations au bureau régional de Toronto du SATJ. Il a indiqué qu’un poste s’occupe des affaires générales du greffe et que l’autre s’occupe des questions spéciales de gestion de cas, mais que, à part cela, les postes sont identiques.

[10] Au cours de son témoignage et de son contre-interrogatoire, le plaignant a comparé les énoncés des critères de mérite (ECM) utilisés dans les processus de nomination suivants :

· Un processus annoncé (portant le numéro 10-CAJ-IA-TOR-3050) a été lancé en 2010 pour créer un bassin de candidats à partir duquel des nominations indéterminées ou intérimaires pourraient être faites à des postes de directeur des opérations au bureau régional de Toronto du SATJ (le « processus de nomination de 2010 »).

· Le processus de nomination non annoncé en question, portant le numéro 19-CAJ-INA-766 (le « processus de nomination de 2019 »).

· Un processus de nomination annoncé (portant le numéro 20-CAJ-IA-058) a été lancé en février 2020 pour créer un bassin de candidats à partir duquel des nominations indéterminées ou intérimaires pourraient être faites à des postes partout au Canada aux groupes et aux niveaux AS-06, PM-05 et PM-06, y compris les postes de directeur des opérations (le « processus de nomination de 2020 »).

 

[11] Le plaignant a également fait référence au contenu d’une description de travail générique non datée pour le poste de [traduction] « directeur des opérations (Régions) ».

[12] Le plaignant a témoigné qu’il y avait plusieurs différences entre les ECM utilisés dans les trois processus. Il a convenu que les trois processus exigeaient que les candidats aient une expérience récente de l’interprétation des lois et des politiques. Il a témoigné que les trois ECM utilisaient un libellé quelque peu différent en ce qui concerne l’expérience requise pour fournir des conseils à la haute direction et l’expérience requise pour gérer une unité de travail. Plus particulièrement, il a déclaré que le processus de 2010 exigeait [traduction] « une expérience récente de la gestion d’une grande unité de travail par l’entremise de superviseurs subordonnés », alors que les processus de 2019 et de 2020 exigeaient seulement de l’expérience dans la gestion d’une unité de travail.

[13] Le plaignant a également souligné ces différences dans les compétences requises énoncées dans les ECM pour les trois processus de nomination :

· Le processus de nomination de 2010 a énuméré 11 compétences essentielles, notamment la pensée stratégique, l’engagement, l’excellence en gestion, la capacité à communiquer efficacement à l’oral, la capacité à communiquer efficacement par écrit, les relations interpersonnelles efficaces, le jugement, l’esprit d’initiative, la fiabilité, le leadership et le travail d’équipe.

· Le processus de nomination de 2019 a énuméré cinq compétences essentielles, dont la capacité à communiquer efficacement à l’oral et par écrit, les relations interpersonnelles efficaces, le jugement, l’esprit d’initiative et la fiabilité.

· Le processus de nomination de 2020 a énuméré 11 compétences essentielles, dont la vision et la stratégie, la mobilisation des gens, le respect et l’intégrité, la collaboration avec les partenaires et les intervenants, la promotion de l’innovation et l’orientation du changement, l’obtention de résultats, la capacité à communiquer efficacement par écrit, la capacité à communiquer efficacement à l’oral, la fiabilité, les relations interpersonnelles efficaces et l’esprit d’initiative.

 

[14] Le plaignant a témoigné qu’à son avis, l’ECM utilisé dans le processus de 2019 avait été dilué pour correspondre aux qualifications de la personne nommée. Plus particulièrement, il a souligné trois compétences qui n’étaient pas énumérées dans la notification de candidature retenue de 2019, mais qui étaient énumérées dans l’annonce de 2020 comme étant essentielles : la vision et la stratégie, la promotion de l’innovation et l’orientation du changement.

[15] En contre-interrogatoire, il a été demandé au plaignant s’il avait demandé une discussion informelle après la publication de la notification de candidature retenue. Il a dit que oui, mais qu’il ne pouvait pas se rappeler à qui la demande avait été faite ni si une telle discussion avait eu lieu.

[16] Le plaignant a également témoigné en contre-interrogatoire qu’il avait été présélectionné après avoir présenté sa candidature au processus de nomination de 2020, mais qu’il n’avait pas réussi l’examen final et qu’il n’était pas passé à l’étape de l’entrevue.

[17] L’intimé a appelé Imtiaz Rajab à titre de témoin. Il s’est également appuyé sur un recueil de documents comportant sept onglets, qui a été déposé sur consentement.

[18] Au moment de la nomination, M. Rajab était le directeur général régional du SATJ à Toronto. Il était le responsable délégué en matière de dotation pour le processus de nomination de 2019. Il a témoigné que le bureau régional de Toronto du SATJ était le plus occupé au pays. À l’automne 2019, les deux directeurs des opérations du bureau ont quitté leur poste sans trop de préavis, ce qui a créé un besoin urgent au bureau.

[19] M. Rajab a témoigné que la politique de nomination du SATJ permet l’utilisation de processus annoncés ou non annoncés. Dans le présent cas, il a expliqué la raison du recours à un processus non annoncé, que l’intimé a approuvé. La justification indiquait que le poste en question [traduction] « [...] exige une vaste expérience dans les domaines des opérations et de la gestion ». Il était noté que la personne nommée avait postulé avec succès dans un bassin de ce niveau et qu’elle avait plus de 28 ans d’expérience au sein du SATJ, dont 19 dans les opérations et 9 comme gestionnaire. La justification précisait qu’elle [traduction] « [...] a le minimum d’expérience et de compétences pour remplir les fonctions du poste en question [...] » et [traduction] « [qu’]aucun autre membre du personnel n’a le niveau d’expérience de [la personne nommée] ». La justification indiquait également que la personne nommée occupait le poste par intérim depuis septembre 2019.

[20] M. Rajab a effectué et documenté une évaluation de la personne nommée par rapport à l’ECM pour cette nomination. L’évaluation indique que, de 2010 à la date de la nomination, elle était directrice des services de gestion au groupe et au niveau AS-06. L’évaluation a démontré qu’elle satisfaisait à toutes les exigences essentielles du poste.

[21] M. Rajab a témoigné que les agents du greffe PM-03 (le poste que le plaignant occupait au moment où la plainte a été déposée) ne gèrent pas une unité de travail. Le SATJ a des postes d’agent principal du greffe au groupe et au niveau PM-04, qui gèrent un groupe d’environ 8 agents du greffe. Il a témoigné ne pas se souvenir qu’au cours de ses 17 années au sein du SATJ, quelqu’un ait été promu directement d’un poste de PM-03 à un poste de directeur PM-06, même si, lors du contre-interrogatoire, il a dit qu’un PM-03 aurait pu être promu à un poste d’agent d’évaluation PM-06 qui ne supervisait pas le personnel.

[22] M. Rajab a témoigné que le processus de nomination annoncé de 2020 avait été lancé parce que le SATJ faisait face à des postes de niveau supérieur vacants dans l’ensemble de son organisation et qu’il voulait créer un bassin de candidats possibles. Il a dit que l’avis d’offre d’emploi était plus vaste parce qu’il demandait des candidatures pour trois niveaux et volets de postes différents et reflétait les commentaires de l’ensemble de l’organisation. Il a témoigné qu’il avait participé à l’élaboration de l’annonce du processus de nomination de 2020 et que l’ECM reflétait les exigences des postes énumérés.

[23] Lorsqu’on lui a demandé, en contre-interrogatoire, pourquoi le processus de 2019 n’avait pas évalué les candidats en fonction des mêmes compétences que le processus de 2020, M. Rajab a témoigné qu’en 2019, la personne nommée avait déjà été qualifiée dans un bassin de candidats pour des nominations à ce niveau. Il a dit que la liste des compétences de 2019 était plus courte parce que la personne nommée faisait déjà partie d’un bassin et parce qu’un processus non annoncé avait été choisi.

[24] M. Rajab a déclaré que, comme le processus de nomination de 2020 était de portée nationale, il avait fallu beaucoup de temps avant que des nominations ne soient faites à d’autres postes vacants au bureau de Toronto du SATJ. Il a d’abord témoigné qu’il se rappelait que le plaignant avait présenté sa candidature dans le cadre du processus de nomination de 2020 et qu’il avait été éliminé à la présélection, mais au cours du contre-interrogatoire, il a reconnu que le plaignant avait peut-être été retenu à la présélection et qu’il avait ensuite été jugé non reçu dans la partie écrite du processus.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

[25] Le plaignant a soutenu que le choix d’un processus non annoncé pour cette nomination n’était pas conforme à la politique de dotation du SATJ. Il a soutenu que le témoin de l’intimé a témoigné que la personne nommée était la seule candidate possédant les [traduction] « qualifications minimales », mais que d’autres candidats satisfaisaient également aux critères minimums. Le plaignant a soutenu que le recours à un processus non annoncé n’était ni équitable ni transparent.

[26] Dans la LEFP, l’alinéa 30(2)a) stipule que la CFP doit être convaincue que les qualifications essentielles du poste sont satisfaites. Le plaignant a soutenu que la preuve soumise à la Commission démontre que les critères de mérite essentiels ont été dilués pour cette nomination. L’ECM utilisé pour faire la nomination énumérait seulement cinq compétences, soit beaucoup moins que le nombre utilisé dans les processus de nomination de 2010 et de 2020, ce qui ne reflétait pas la description du poste.

[27] Le plaignant a soutenu que le témoin de l’intimé a admis que l’ECM utilisé dans le processus de nomination de 2020 reflétait les besoins du poste. Par conséquent, le plaignant a soutenu que l’évaluation de la personne nommée dans le cadre du processus de nomination de 2019 aurait dû tenir compte de tous ces mêmes critères. Il a fait valoir plus précisément que le processus de nomination de 2019 aurait dû évaluer les compétences suivantes : vision et stratégie, mobilisation des personnes, maintien de l’intégrité et du respect, promotion de l’innovation et du changement, et obtention de résultats.

[28] Le plaignant a soutenu que l’atténuation des critères de mérite de la nomination démontrait un favoritisme personnel, en se fondant sur Beyak c. Sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 35, au paragraphe 185, qui se lit comme suit :

[185] Comme l’a affirmé le Tribunal dans la décision Glasgow, des intérêts personnels indus ne devraient jamais constituer le motif d’une nomination, car il s’agit là de favoritisme personnel. Nommer une personne pour lui faire une faveur personnelle ou nommer quelqu’un de manière à obtenir la faveur personnelle d’un gestionnaire sont des exemples de favoritisme personnel. Préparer une description de travail qui ne correspond pas aux fonctions réelles d’un poste pour assurer une classification supérieure et, donc, une rémunération plus élevée, dans le but de récompenser un employé, est du favoritisme personnel. Établir des qualifications essentielles pour un poste et évaluer un employé afin d’assurer sa nomination sans égard pour les exigences réelles du poste en question est aussi du favoritisme personnel. Nommer un employé qui ne possède pas les qualifications essentielles d’un poste parce que le gestionnaire désire récompenser celui‑ci constitue aussi du favoritisme personnel.

[Je mets en évidence]

 

[29] Pour cet argument, le plaignant s’est également fondé sur Ayotte c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 21, au paragraphe 124, qui se lit comme suit :

124 Toujours dans la décision Glasgow, le Tribunal a établi que des intérêts personnels indus, comme une relation personnelle entre la personne chargée de la sélection et la personne nommée, ne devraient jamais constituer le motif d’une nomination. La modification des qualifications essentielles liées à un poste pour assurer la nomination d’un employé sans égard aux exigences réelles d’un poste constitue un autre exemple de favoritisme personnel. La nomination d’un employé qui ne possède pas les qualifications essentielles liées à un poste en vue de donner à cet employé un poste à durée indéterminée est assimilable à du favoritisme personnel.

[Je mets en évidence]

 

[30] En résumé, le plaignant a soutenu que l’intimé avait dilué les critères de mérite essentiels du poste. Ce faisant, il a fait preuve de favoritisme personnel. Selon le plaignant, la personne nommée n’a pas été évaluée en fonction de tous les critères essentiels du poste. Il a soutenu que la Commission devrait révoquer la nomination.

B. Pour l’intimé

[31] L’intimé a soutenu qu’il avait appliqué correctement sa politique de nomination, qui stipule clairement qu’il peut choisir un processus non annoncé pour pourvoir des postes vacants. La politique exige qu’une justification soit documentée pour l’utilisation d’un processus non annoncé. Cela a été fait dans le présent cas. La justification écrite indiquait que des personnes clés étaient parties, que le SATJ devait répondre à des besoins opérationnels urgents, que la personne nommée avait une vaste expérience et avait été préqualifiée dans un bassin de candidats, et qu’elle satisfaisait aux exigences du poste. L’intimé a soutenu qu’en vertu de leur politique, toutes ces raisons sont légitimes pour utiliser un processus non annoncé.

[32] L’intimé a également soutenu que l’article 33 de la LEFP permet à l’administrateur général de choisir entre un processus annoncé et un processus non annoncé. Un plaignant ne peut pas alléguer un abus de pouvoir simplement parce qu’un processus non annoncé a été choisi; voir Robbins c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 17, au paragraphe 36. Tel qu’énoncé au paragraphe 30(4) de la LEFP, l’intimé n’est pas tenu de considérer plus d’une personne pour effectuer une nomination fondée sur le mérite; voir Robbins, aux paragraphes 42 à 45, faisant référence à Aucoin c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2006 TDFP 12, aux paragraphes 42 et 43, et Thompson c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2017 CRTEFP 22, au paragraphe 54.

[33] L’intimé a soutenu que le paragraphe 30(2) de la LEFP permet aux gestionnaires de déterminer les qualifications essentielles d’un poste et que la Commission et ses prédécesseurs ont conclu que les gestionnaires disposent d’un large pouvoir discrétionnaire à cet égard; voir Thompson, au paragraphe 71, et Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24, au paragraphe 42. Le plaignant n’a pas établi que l’intimé avait abusé de son pouvoir en établissant les qualifications requises pour ce poste. Son argument portait sur le fait que le processus de nomination de 2020 comportait des exigences supplémentaires, mais les gestionnaires ont le pouvoir discrétionnaire de modifier ces exigences. L’intimé a soutenu que le processus de nomination de 2020 visait un plus grand nombre de postes et de régions. De plus, une comparaison entre les ECM utilisés dans les processus de nomination de 2010, de 2019 et de 2020 démontre qu’ils possèdent de nombreuses qualifications identiques ou similaires, comme l’expérience de la prestation de conseils à la direction, l’expérience de la gestion d’une unité de travail, la fiabilité et l’esprit d’initiative.

[34] L’intimé a soutenu que la Commission devrait accorder une attention limitée aux processus de nomination antérieurs lorsqu’elle détermine s’il y a eu abus de pouvoir, citant Brown c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2011 TDFP 15, au paragraphe 28, qui se lit comme suit :

28 Le Tribunal juge qu’il est habilité à examiner des incidents et des événements qui ont eu lieu dans le cadre de processus de nomination antérieurs, dans la mesure où ces incidents peuvent s’inscrire dans le contexte d’une plainte et apporter un éclairage sur le processus de nomination actuel. Le Tribunal peut, par exemple, prendre en considération une remarque raciste formulée dans un processus de nomination précédent et déterminer si cette remarque s’inscrit dans des tendances discriminatoires. Toutefois, si aux termes des articles 77 et 81 de la LEFP le Tribunal peut examiner des éléments de preuve présentés par le plaignant au sujet de son expérience dans des processus de nomination antérieurs afin de décider si la plainte d’abus de pouvoir est fondée, sa compétence porte sur le seul processus de nomination faisant l’objet de la plainte et non pas sur des nominations effectuées à l’issue de processus antérieurs.

[Je mets en évidence]

 

[35] L’intimé a fait valoir que le même principe devrait s’appliquer aux processus de nomination futurs, comme le processus de nomination de 2020. Selon lui, il faudrait accorder une importance limitée aux critères de mérite utilisés dans ce processus.

[36] En ce qui concerne l’allégation de favoritisme personnel, l’intimé a soutenu que le mot « personnel » précède le mot « favoritisme » et qu’il n’y avait aucune preuve de relation personnelle entre M. Rajab et la personne nommée; voir Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 7, aux paragraphes 39 et 41. L’intimé a fait valoir qu’aucun des éléments de favoritisme personnel relevés dans Beyak ou Ayotte n’est présent dans le présent cas.

[37] L’intimé a soutenu que la présente plainte devrait être rejetée puisque le plaignant ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve; voir Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, au paragraphe 50. Une allégation d’abus de pouvoir est une affaire grave, et aucun acte répréhensible de la part de l’intimé ne saurait justifier l’intervention de la Commission; voir Portree c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14, au paragraphe 47. L’intimé a fait valoir que le choix du processus était approprié, que le processus était transparent et que la personne nommée satisfaisait à toutes les exigences essentielles établies pour la nomination, et même plus.

IV. Motifs

[38] Le paragraphe 77(1) de la LEFP prévoit qu’une personne peut déposer une plainte au motif qu’elle n’a pas été nommée parce que la CFP ou un administrateur général a abusé de son pouvoir en procédant à une nomination. Au paragraphe 2(4), la LEFP indique ce qui suit : « […] on entend notamment par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel. »

[39] Je conviens avec l’intimé qu’il incombait au plaignant de démontrer qu’il y avait eu abus de pouvoir; voir Tibbs, au paragraphe 50. Je suis également d’accord avec l’intimé pour dire que les allégations d’abus de pouvoir sont une affaire grave et ne doivent pas être faites à la légère; voir Portree, au paragraphe 47.

[40] Tel qu’énoncé à l’article 30 de la LEFP, les nominations à la fonction publique doivent être fondées sur le mérite. La personne nommée doit, au minimum, posséder les qualifications essentielles pour le poste.

[41] La preuve dans le présent cas démontre que l’intimé avait un poste vacant clé à combler; il avait une personne qui occupait le poste par intérim et qui avait été jugée qualifiée pour des nominations à ce niveau dans le cadre d’un bassin précédent. Cette personne avait la vaste expérience en gestion dont l’intimé avait besoin. Il a appliqué la politique ministérielle et a choisi d’utiliser un processus non annoncé parce que la candidate potentielle était suffisamment connue, qu’elle possédait des compétences hautement spécialisées et qu’elle faisait partie d’un bassin établi de candidats qualifiés pour un poste possédant des compétences similaires au même groupe et niveau professionnels ou à un niveau équivalent. Le gestionnaire d’embauche a élaboré une justification conforme à cette politique et l’a fait approuver par l’intimé. La façon dont la personne nommée a satisfait aux qualifications a été documentée de façon détaillée, et il a été conclu qu’elle avait satisfait à tous les critères de mérite essentiels.

[42] Le plaignant a démontré que certaines des qualifications essentielles que l’intimé a utilisées dans le processus de nomination précédent de 2010 pour le même poste, et certaines des qualifications essentielles que l’intimé a utilisées quelques mois plus tard dans le processus de nomination de 2020, n’ont pas été utilisées dans le processus de nomination de 2019. Les différences les plus notables ont été plusieurs compétences utilisées dans les processus de nomination de 2010 et de 2020 qui ne figuraient pas dans les critères de mérite du processus de 2019, à savoir celles liées à la pensée stratégique, à l’innovation, à l’intégrité, à la mobilisation des personnes et à la gestion du changement.

[43] Toutefois, je constate qu’il y avait beaucoup plus de similitudes entre les ECM utilisés dans les trois processus de nomination que de différences. Tous trois avaient besoin d’une expérience semblable en matière d’études. Tous trois avaient besoin d’une expérience dans l’interprétation et l’application des lois, des règlements et des politiques. Le libellé utilisé variait quelque peu, mais les exigences essentielles étaient uniformes pour les trois processus. Les ECM de 2010 et de 2019 exigeaient de l’expérience dans la prestation de conseils à la direction et de l’expérience dans la gestion d’une unité de travail. Les mêmes exigences étaient énumérées dans les ECM de 2020, mais étaient énumérées comme [traduction] « [d’]autres qualifications », en d’autres termes, comme des qualifications constituant un atout. D’une certaine manière, on peut dire que la direction a établi des qualifications moins strictes en 2020 qu’en 2019, car plusieurs des critères énumérés comme essentiels en 2019 n’ont été inscrits que comme des qualifications constituant un atout en 2020.

[44] Le plaignant avait tort lorsqu’il a dit que le processus de nomination de 2010 exigeait [traduction] « une expérience récente de la gestion d’une grande unité de travail par l’entremise de superviseurs subalternes ». En fait, cette exigence a été inscrite comme une [traduction] « qualification constituant un atout » dans le processus de 2010.

[45] De plus, les cinq compétences qui ont été évaluées dans le cadre du processus de 2019 (la capacité à communiquer efficacement à l’oral et par écrit, les relations interpersonnelles efficaces, le jugement, l’esprit d’initiative et la fiabilité) ont également été énumérées dans les processus de nomination de 2010 et de 2020.

[46] Il n’appartient pas à la Commission de déterminer si l’intimé aurait dû inclure dans le processus de nomination de 2019 les mêmes compétences qu’il a utilisées dans les processus de nomination de 2010 ou de 2020. La LEFP prévoit que la CFP et les administrateurs généraux établissent les qualifications essentielles pour un poste. Il est bien établi qu’ils ont un large pouvoir discrétionnaire pour établir ces qualifications; voir Thompson, au paragraphe 71, et Visca, au paragraphe 42. Il n’appartient pas à la Commission d’évaluer si les gestionnaires en cause auraient pu mieux établir les critères de mérite.

[47] La seule raison pour laquelle la Commission examine les qualifications essentielles que l’intimé a incluses dans l’ECM est de déterminer si l’intimé a abusé de son pouvoir, pour des raisons telles que le favoritisme personnel (comme c’est le cas dans Beyak) ou la mauvaise foi et le favoritisme personnel (comme c’est le cas dans Ayotte).

[48] Il est facile de distinguer le présent cas de Beyak et d’Ayotte.

[49] Dans Beyak, après un examen approfondi de la preuve dont il était saisi, l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP), l’un des prédécesseurs de la Commission, a conclu que la personne nommée n’effectuait pas le travail correspondant au poste, qu’elle avait reçu la nomination à titre de récompense et qu’il y avait eu du favoritisme personnel lors de la nomination; voir les paragraphes 173, 177 à 179 et 183 à 188. Aucune preuve semblable n’a été présentée dans le présent cas. De plus, dans cette affaire, le TDFP a conclu que la « tenue de dossiers » de l’intimé était en désordre (au par. 175). Ce n’est certainement pas le cas en l’espèce, car l’intimé a clairement documenté la raison pour laquelle il a décidé d’utiliser un processus non annoncé et a documenté en détail la façon dont la personne nommée répondait aux exigences du poste.

[50] Dans Ayotte, la preuve a démontré que les qualifications essentielles avaient été modifiées « [...] sans égard aux exigences réelles [du] poste [...] » (au par. 124). Plus précisément, l’intimé dans ce cas avait retiré « l’expérience de l’enseignement » d’un poste qui impliquait l’élaboration d’un programme d’études, et ce, après avoir reçu une indication que des plaintes pourraient être déposées au sujet du processus. De plus, le TDFP a conclu que l’intimé avait invoqué l’« urgence » comme justification pour combler le poste, alors que la preuve démontrait qu’il n’y avait pas d’urgence, que la décision de nommer la personne nommée avait été prédéterminée et qu’il y avait des preuves de mauvaise foi et de favoritisme personnel. Aucun de ces éléments d’Ayotte ne figure dans la présente plainte.

[51] Je conclus que les qualifications essentielles que l’intimé a utilisées dans le processus de nomination de 2019 étaient très semblables à celles qu’il a utilisées dans les processus de nomination de 2010 et de 2020 pour le même poste. Je suis convaincu que l’ECM utilisé dans le processus de nomination de 2019 était raisonnable et approprié au poste. Le plaignant n’a fourni aucune preuve que l’intimé a fait preuve de mauvaise foi ou qu’il a été motivé par du favoritisme personnel en procédant à la nomination.

[52] La jurisprudence relative à des plaintes comme la présente est extrêmement claire. Comme l’a clairement indiqué le TDFP dans Thompson, au paragraphe 54, il n’est pas nécessaire qu’un administrateur général tienne compte de plus d’une personne, et « [l]e fait qu’un plaignant affirme que d’autres personnes et lui-même pourraient être qualifiés ne démontre pas qu’un intimé a abusé de son pouvoir en décidant de nommer une autre personne »; voir aussi Aucoin, aux paragraphes 42 à 43, et Robbins, aux paragraphes 42 à 45.

[53] La LEFP accorde clairement aux administrateurs généraux un pouvoir discrétionnaire considérable dans le choix entre un processus annoncé et un processus non annoncé et dans l’établissement des qualifications essentielles auxquelles une personne nommée doit satisfaire. La jurisprudence est également très claire : la Commission n’interviendra que si un plaignant est en mesure de prouver qu’il y a eu abus de pouvoir, par exemple en raison de mauvaise foi ou de favoritisme personnel.

[54] Compte tenu de la loi et de la jurisprudence, il est difficile de comprendre pourquoi un plaignant présenterait des allégations qui ne comportent rien de plus qu’un désaccord avec un choix fait par l’administrateur général, ou un désir qu’il ait été considéré pour une nomination, en l’absence de toute preuve que la nomination a été faite de mauvaise foi, en raison d’un favoritisme personnel ou d’un autre comportement qui équivaut à un abus de pouvoir. Je ne pense pas qu’il soit utile aux plaignants ou aux intimés (ni d’ailleurs à la Commission) de tenir des audiences dans des situations où la preuve ne permet pas de conclure que l’intimé a abusé de son pouvoir.

[55] La preuve qui m’a été présentée est que moins de deux mois après la nomination de la personne nommée, l’intimé a annoncé le processus de nomination de 2020, devant être utilisé pour combler le même type de postes que celui en litige. Selon son propre témoignage, le plaignant a présenté sa candidature dans le cadre de ce processus et a été présélectionné. Cependant, il n’a pas réussi l’examen écrit et n’a donc pas été pris en considération. Rien n’indique qu’il a déposé une plainte au sujet de ce processus.

[56] Je n’ai pas accordé d’importance au témoignage du plaignant concernant l’environnement de travail au SATJ. Ce témoignage était bref et dépassait largement la portée des allégations formulées dans la présente plainte.

[57] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[58] La plainte est rejetée.

Le 16 février 2024.

David Orfald,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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