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Date: 20240228

Dossier: 561-02-48025

 

Référence: 2024 CRTESPF 26

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Stéphanie Lefebvre

plaignante

 

et

 

Institut professionnel de la fonction publique du Canada

 

défendeur

Répertorié

Lefebvre c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour le défendeur : Marie-Hélène Tougas, conseillère juridique

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
les 15 et 31 août et le 8 septembre 2023.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 15 août 2023, Stéphanie Lefebvre (la « plaignante ») a déposé une plainte contre son agent négociateur devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), pour défaut de représentation équitable. L’agent négociateur est l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « défendeur »).

[2] Le 31 août 2023, le défendeur a présenté sa réponse ainsi qu’une requête en rejet sommaire.

[3] La présente décision est rendue sur la base des documents écrits présentés par les parties, aux termes de l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365).

[4] Il s’agit de déterminer, en tenant les allégations de la plaignante pour vraies, s’il existe une cause défendable que le défendeur aurait enfreint son obligation de représentation équitable, en agissant avec mauvaise foi ou de façon arbitraire ou discriminatoire. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la plaignante n’a pas établi de cause défendable.

[5] Par conséquent, la requête en rejet sommaire est accueillie, et la plainte est rejetée.

II. Contexte

[6] La plaignante a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale à la suite d’une plainte de harcèlement que l’enquêteur mandaté par son employeur (l’Agence canadienne d’inspection des aliments) a jugé non fondée. Le défendeur a accepté de la représenter devant la Cour fédérale et a engagé un avocat à cet effet.

[7] La plaignante n’était pas d’accord avec les directives que le défendeur avait données à l’avocat, notamment, de ne pas soumettre à la Cour le mémoire modifié qu’elle souhaitait déposer. Selon elle, cette action minait ses chances de voir la Cour accueillir sa demande de contrôle judiciaire. De plus, elle a soutenu que le défendeur ne voulait pas présenter à la Cour la preuve qu’elle jugeait pertinente car cette preuve montrerait que le défendeur avait manqué à son devoir de représentation dans le cadre des plaintes contre l’employeur.

[8] La plaignante souhaitait faire cesser la représentation. L’avocat engagé par le défendeur a déposé une demande en ce sens à la Cour fédérale.

[9] Pour sa part, le défendeur a soutenu qu’il n’avait aucune obligation d’assurer la représentation de la plaignante dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire déposée à l’encontre d’une décision prise en vertu de la politique anti-harcèlement de l’employeur, puisque le recours n’était prévu ni par la convention collective pertinente ni par la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

[10] Le défendeur a engagé un avocat pour agir devant la Cour fédérale à la demande de la plaignante, et il a donné la directive à l’avocat de cesser sa représentation à la demande insistante de la plaignante. Celle-ci était libre de poursuivre son action devant la Cour fédérale. Le défendeur n’avait aucune obligation à cet égard.

[11] La plaignante a reçu une lettre le 16 décembre 2022 de la part du cabinet d’avocats la représentant qui énonçait clairement les conditions de représentation, à savoir, que les services du cabinet pour la représenter avaient été engagés par le défendeur, et qu’advenant un conflit entre la plaignante et le défendeur quant à la stratégie du litige, le cabinet serait tenu de se désister de la représentation de la plaignante, puisqu’il était engagé et payé par le défendeur.

[12] La documentation déposée à l’appui des arguments du défendeur montre une correspondance suivie entre la plaignante et l’avocat qui la représentait devant la Cour fédérale, qui lui donne aussi des avis sur la conduite qu’elle devrait adopter en milieu de travail. Visiblement, la plaignante n’était pas d’accord avec les conseils donnés. Un point de discorde était le fait que la plaignante n’acceptait pas les conclusions de l’enquête. Selon elle, le harcèlement avait amplement été prouvé. L’avocat s’est efforcé à la convaincre qu’une allégation n’est pas une preuve, et que tant que les conclusions de l’enquête n’étaient pas annulées par le contrôle judiciaire, elles pouvaient légitimement guider les actions de l’employeur.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

[13] Le devoir de représentation équitable n’exige pas qu’un agent négociateur représente un fonctionnaire dans un différend qui n’est pas régi par la Loi ou une convention collective.

[14] Par ailleurs, le défendeur a agi au-delà de ses obligations en retenant les services d’un avocat pour représenter les intérêts de la plaignante devant la Cour fédérale dans la demande de contrôle judiciaire.

[15] Il n’y a rien dans la conduite du défendeur, qui a toujours soutenu la plaignante, qui s’assimile à une conduite arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

B. Pour la plaignante

[16] La plaignante soutient que le défendeur a l’obligation de défendre ses intérêts en matière de harcèlement et de santé et sécurité au travail.

[17] L’avocat retenu par le défendeur était en conflit d’intérêts, puisque sa première loyauté était envers le défendeur. Or, selon la plaignante, il n’est pas dans l’intérêt du défendeur que la Cour fédérale fasse droit à sa demande de contrôle judiciaire. Exposer les lacunes de l’enquête sur le harcèlement exposerait en même temps les déficiences de la représentation du défendeur en ce qui a trait au harcèlement allégué et ses conditions de travail généralement.

[18] Je cite ici un passage des arguments de la plaignante qui me semble bien résumer sa position :

[…]

Les dirigeants de l’Institut qui ont nommé [l’avocat] comme représentant ont fait preuve de négligence grave et/ou de mauvaise foi en priorisant de se protéger des plaintes pour manquement dont ils font l’objet plutôt que les intérêts de la plaignante. Pourtant, les enjeux de cette demande de révision judiciaire sont importants pour la plaignante qui tente de faire reconnaître le harcèlement qu’elle subit pour le faire cesser et recouvrer un milieu de travail sain.

[…]

 

[19] Comme mesure de redressement, outre des dommages de 2 000 $ (le montant n’est pas expliqué), la plaignante demande que la Commission ordonne au défendeur de payer la représentation par un avocat de son choix dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire.

IV. Analyse

[20] La présente décision tranche la requête en rejet sommaire. Essentiellement, la question en litige est de décider, en tenant toutes les allégations de la plaignante pour vraies, s’il existe une cause défendable qui pourrait mener à la conclusion que le défendeur a enfreint l’article 187 de la Loi, qui se lit comme suit :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

 

[21] Un des points litigieux dans le présent dossier est l’ampleur de la « représentation » que doit assurer l’agent négociateur. La plaignante soutient que le défendeur a l’obligation d’assurer sa représentation dans le cadre du contrôle judiciaire.

[22] L’obligation de représenter équitablement les membres de l’unité de négociation ne signifie pas que l’agent négociateur doit prendre les démarches que voudrait le fonctionnaire représenté. La jurisprudence constante de la Commission établit clairement qu’il n’y a pas une obligation pour un agent négociateur de déposer un grief, de renvoyer un grief à l’arbitrage, et à plus forte raison, de renvoyer une plainte en contrôle judiciaire, simplement parce que tel est le souhait d’un fonctionnaire.

[23] L’obligation de l’agent négociateur est d’étudier avec diligence la situation d’un fonctionnaire en conflit avec l’employeur et de traiter le dossier avec sérieux.

[24] L’agent négociateur a d’abord appuyé la plaignante dans sa démarche de demande de contrôle judiciaire et a engagé un avocat pour la représenter. La plaignante était insatisfaite de la représentation. En raison de l’insistance de la plaignante que l’avocat ne devrait plus la représenter, celui-ci a cessé sa représentation.

[25] Au vu des échanges entre les parties, force est de constater que l’avocat a considéré sérieusement la situation de la plaignante et lui a donné les conseils qu’il jugeait les plus utiles pour sa situation. Il n’y a aucune trace de discrimination ou de mauvaise foi, ni aucun caractère arbitraire.

[26] La plaignante souhaitait poursuivre le dossier d’une certaine façon; l’avocat a modifié le mémoire à la suite des suggestions de la plaignante, mais insuffisamment selon celle-ci. Il est clair que la plaignante et l’avocat ne voyaient pas le dossier du même œil. Il n’y a rien dans les échanges entre l’avocat et la plaignante qui indique une faute professionnelle de la part de l’avocat.

[27] La question qui se pose ici est assez étroite : l’agent négociateur a-t-il l’obligation d’assurer la représentation de la plaignante par un avocat devant la Cour fédérale?

[28] Pour toutes sortes de raisons, la réponse est négative.

[29] D’abord, comme la Commission l’a maintes fois exprimé (voir, par exemple, Hancock c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 51), le devoir de représentation équitable se limite aux questions découlant de la Loi ou de la convention collective pertinente. La demande de contrôle judiciaire porte sur une enquête instituée en vertu de la politique anti-harcèlement de l’employeur. L’enquête ne relève ni de la Loi ni de la convention collective pertinente.

[30] Ensuite, comme le souligne la décision Hancock, un désaccord de stratégie ne signifie pas que l’agent négociateur a failli à son devoir.

[31] Finalement, les allégations doivent montrer, du moins à première vue, qu’il peut y avoir eu violation de l’article 187 de la Loi (voir Hancock et Therrien c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CRTFP 118).

[32] Or, les allégations ne révèlent à première vue aucune indication d’agissement arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. La plaignante reproche au défendeur d’avoir engagé un avocat qui ne suivait pas ses directives, et qui pouvait être en conflit d’intérêts par rapport à sa cause. Selon elle, l’avocat avait intérêt à ne pas avoir gain de cause car les lacunes de l’enquête, si elles étaient avérées par la Cour fédérale, mettraient en lumière les déficiences de représentation par le défendeur dans le dossier de plainte de harcèlement.

[33] La plaignante a d’autres plaintes contre le défendeur. Ce n’est pas dans le cadre d’un contrôle judiciaire contre l’employeur qu’on fait la lumière sur les agissements d’un tiers qui n’est pas une partie dans la cause. Le jugement de la Cour fédérale ne peut avoir aucune incidence sur les plaintes contre le défendeur, puisque la Cour se prononce sur l’enquête, mandatée par l’employeur. Je ne vois rien qui permettrait de mettre en doute l’intégrité de l’avocat, qui tâche de monter une cause gagnante pour la plaignante. Encore une fois, le désaccord de la plaignante ne suffit pas pour entacher la qualité de la représentation.

[34] Pour conclure, je ne vois aucune obligation du défendeur d’assurer la représentation de la plaignante devant la Cour fédérale. Le désaccord de la plaignante avec la stratégie de l’avocat ou les directives du défendeur ne constitue pas une allégation que la représentation du défendeur était arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. L’agent négociateur peut choisir d’aider un fonctionnaire au-delà de l’obligation faite par la Loi en déposant en son nom une demande de contrôle judiciaire. On ne peut en vertu de la Loi lui tenir rigueur de l’insatisfaction du fonctionnaire quant à la stratégie de litige, alors que la Loi ne lui a créé aucune obligation.

[35] Je suis d’accord avec le défendeur que les allégations de la plaignante ne révèlent aucune violation de la Loi. Par conséquent, la plainte n’aurait aucune chance de succès devant la Commission. Pour cette raison, la requête en rejet sommaire est accordée.

[36] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[37] La requête en rejet sommaire est accordée.

[38] La plainte est rejetée.

Le 28 février 2024.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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