Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé 10 griefs concernant une série d’événements qui ont abouti à ce que le défendeur mette fin de façon anticipée à sa nomination intérimaire à un poste PM-03 – le défendeur a soulevé une objection préliminaire selon laquelle 8 des 10 griefs étaient hors délai, car ils ont été déposés en dehors de la période prescrite de 25 jours pour le dépôt des griefs – le défendeur a soutenu que la Commission n’avait pas compétence pour entendre les deux autres griefs, car ils ne portaient pas sur des mesures disciplinaires entraînant un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire au sens de l’article 209(1)b) – la Commission a conclu que 8 des 10 griefs étaient hors délai et les a rejetés – les deux griefs restants portaient sur une lettre d’attente et la résiliation anticipée de la nomination intérimaire – la Commission a conclu que la lettre d’attente était de nature disciplinaire, mais qu’il ne s’agissait pas d’un licenciement, d’une rétrogradation ou d’une sanction pécuniaire, et elle a donc été rejetée – la Commission a conclu que la résiliation anticipée de la nomination intérimaire était également de nature disciplinaire et qu’il s’agissait d’une sanction pécuniaire en raison de la baisse de rémunération que le fonctionnaire a subie lorsqu’il a été retourné à son poste d’attache PM-01 – la Commission a conclu que ce grief exigeait une audience pour déterminer si le défendeur avait des motifs d’imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire et de déterminer si la sanction imposée était justifiée dans les circonstances – la Commission a fait remarquer que le présent cas ne ressemblait pas à Jassar c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 54, puisque le défendeur ne « changerait pas de cap » s’il alléguait à l’audience qu’il avait des motifs d’imposer une sanction disciplinaire.

Objection accueillie en partie.
Audience à fixer.

Contenu de la décision

Date: 20240110

Dossiers: 566-02-47230 à 47239

 

Référence: 2024 CRTESPF 4

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

ENTRE

 

Harmit Singh

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTrATEUR GÉNÉRAL

(ministère de l’Emploi et du Développement social)

 

défendeur

Répertorié

Singh c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Lui-même

Pour le défendeur : Brigitte Labelle, Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 29 mai, 15 juin et 1er et 21 septembre
2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] La présente décision porte sur deux questions préliminaires, à savoir le respect des délais et la compétence.

[2] Harmit Singh, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a déposé dix griefs le 13 octobre 2022 au sujet d’une série d’événements qui ont débuté le 26 janvier 2022 et qui ont culminé le 20 septembre 2022, alors que le ministère de l’Emploi et du Développement social (le « défendeur ») a mis fin à sa nomination intérimaire et l’a renvoyé à son poste d’attache. Le défendeur soutient que huit des dix griefs ont été déposés après l’expiration de la période de 25 jours durant laquelle il pouvait les déposer. Il déclare également que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission », terme qui, dans la présente décision, renvoie également à toute entité qui l’a précédée) n’a pas compétence pour entendre ces dix griefs, car ils ne sont pas liés à une mesure disciplinaire qui a entraîné un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou l’imposition d’une sanction pécuniaire. Le fonctionnaire soutient qu’il a déposé les griefs dans le délai imparti, car il a soulevé les questions en litige (sans toutefois déposer de grief) dans le délai de 25 jours. Le fonctionnaire fait également valoir que la Commission a la compétence voulue pour entendre ces griefs.

[3] Je conclus que huit de ces dix griefs n’ont pas été déposés dans le délai imparti, car ils l’ont été après l’expiration de la période de 25 jours prévue à cet effet. J’ai donc rejeté ces huit griefs.

[4] J’ai également conclu que la Commission n’a compétence pour entendre qu’un seul des griefs, à savoir celui que le fonctionnaire a déposé à l’égard de la fin prématurée de sa nomination intérimaire. La question en litige est de savoir si la décision de mettre fin prématurément à la nomination intérimaire du fonctionnaire constituait une mesure disciplinaire ayant donné lieu au licenciement de ce dernier, à sa rétrogradation ou à l’imposition d’une sanction pécuniaire à son égard. J’ai conclu qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire qui a donné lieu à l’imposition d’une sanction pécuniaire. Par conséquent, la Commission a compétence pour entendre ce grief, mais elle n’a pas compétence pour entendre les autres griefs, que j’ai donc rejetés.

II. Nature des griefs

[5] Le poste d’attache du fonctionnaire était celui d’agent de services aux citoyens, classifié au groupe et au niveau PM-01. Le 4 août 2020, le défendeur a offert au fonctionnaire une nomination intérimaire, jusqu’au 20 novembre 2020, à titre de chef d’équipe, classifié au groupe et au niveau PM-03. Le fonctionnaire a accepté cette nomination intérimaire. Le défendeur a prolongé cette nomination intérimaire sept fois, comme l’illustre le tableau suivant :

Date de l’offre

Fin projetée de la période intérimaire

4 août 2020

20 novembre 2020

23 septembre 2020

3 décembre 2020

3 novembre 2020

31 mars 2021

4 février 2021

18 août 2021

28 juillet 2021

31 décembre 2021

22 février 2022

3 août 2022

28 juillet 2022

31 mars 2023

 

[6] Le 27 avril 2022 ou vers cette date, le fonctionnaire a reçu une entente annuelle de gestion du rendement, qu’il a refusé de signer. Par la suite, il a reçu une « lettre d’attentes » datée du 5 mai 2022 (il semble que le fonctionnaire a appris qu’il recevrait cette lettre le 4 mai 2022). Cette lettre d’attentes décrivait 11 aspects du travail du fonctionnaire que, selon le défendeur, ce dernier devait améliorer, surtout en ce qui concerne ses relations interpersonnelles au travail. Le fonctionnaire était en désaccord avec le contenu de la lettre d’attentes.

[7] Il s’en est suivi une série de discussions et de réunions au sujet de la lettre d’attentes, dont plusieurs font l’objet des dix griefs en cause dans le présent cas. Le fonctionnaire soutient que la lettre d’attentes constituait une mesure de représailles à son égard, car il avait refusé de signer l’entente annuelle de gestion du rendement qu’il avait reçue. Le fonctionnaire s’est mis à enregistrer les conversations qu’il avait avec la direction, malgré le fait qu’on lui avait interdit de le faire. Enfin, le 20 septembre 2022, le défendeur a soumis au fonctionnaire une lettre d’attentes modifiée. Cette lettre était similaire à la première lettre d’attentes, mais, contrairement à celle-ci, elle comprenait un paragraphe au sujet de l’enregistrement de conversations sans consentement et elle ne contenait plus le paragraphe sur le fait d’avoir des réunions et des discussions dans des lieux propices à cette fin. À ce moment-là, le défendeur a également mis fin à la nomination intérimaire du fonctionnaire, qui est alors retourné à son poste d’agent de services aux citoyens.

[8] Le fonctionnaire est parti en congé à un certain moment après le 20 septembre 2022 et il a remis sa démission le 2 novembre 2022.

[9] Le fonctionnaire a déposé les dix griefs le 13 octobre 2022. Chacun de ces griefs se rapporte à un événement particulier parmi l’ensemble des événements qui ont mené à la décision du défendeur de mettre fin à la nomination intérimaire du fonctionnaire le 20 septembre 2022. Le tableau qui suit fournit un résumé de chacun des griefs, qui y sont mentionnés selon la date à laquelle ils ont été déposés et l’événement sur lequel ils se rapportent. J’ai fourni une version de ce résumé aux parties lorsque je les ai invitées à me présenter des arguments écrits. Le défendeur a convenu que le tableau fournissait un résumé acceptable des dix griefs. Le fonctionnaire, pour sa part, ne m’a fait aucune remarque au sujet de ce résumé, qui provient des formulaires de grief, du renvoi à l’arbitrage et de ses arguments :

Numéro du dossier de la Commission

Événement faisant l’objet d’un grief

Date de l’événement sur le formulaire de grief

566-02-47238

Le grief contient seulement la mention « discrimination – favoritisme »; le formulaire de grief et le renvoi à l’arbitrage ne fournissent aucun autre détail.

26 janvier 2022

566-02-47230

Le grief allègue que la lettre d’attentes du 5 mai 2022 constituait du « harcèlement en milieu de travail par l’entremise de représailles ».

4 mai 2022

566-02-47239

Ce grief se rapporte au contenu de la lettre d’attentes datée du 5 mai 2022.

4 mai 2022

566-02-47235

Le signataire de la lettre d’attentes datée du 5 mai 2022 a omis, dans une correspondance datée du 2 juin 2022, de fournir des exemples des aspects du travail du fonctionnaire dont il est question dans la lettre.

2 juin 2022

566-02-47231

À l’occasion d’une réunion qui a eu lieu le 13 juillet 2022, le directeur général du fonctionnaire s’est dit d’accord avec le contenu de la lettre d’attentes datée du 5 mai 2022 et/ou il a refusé de fournir une justification à l’égard de celle-ci.

13 juillet 2022

566-02-47234

Le directeur du fonctionnaire s’est dit d’accord avec le contenu de la lettre d’attentes.

28 juillet 2022

566-02-47232

À l’occasion d’une réunion qui a eu lieu le 5 août 2022, le directeur général du fonctionnaire s’est dit d’accord avec le contenu de la lettre d’attentes datée du 5 mai 2022 et/ou il a refusé de fournir une justification à l’égard de celle-ci.

5 août 2022

566-02-47233

À l’occasion d’une réunion qui a eu lieu le 26 août 2022, le directeur général du fonctionnaire s’est dit d’accord avec le contenu de la lettre d’attentes datée du 5 mai 2022 et/ou il a refusé de fournir une justification à l’égard de celle-ci.

26 août 2022

566-02-47236

Ce grief se rapporte au contenu de la lettre d’attentes modifiée datée du 20 septembre 2022.

20 septembre 2022

566-02-47237

Fin de la nomination intérimaire du fonctionnaire au poste de chef d’équipe au groupe et au niveau PM-03 et retour de ce dernier à son poste d’attache à titre d’agent de services aux citoyens au groupe et au niveau PM-01 le 20 septembre 2022.

20 septembre 2022

 

III. Procédure suivie dans la présente décision

[10] Le défendeur a fait valoir que tous les griefs autres que les deux derniers mentionnés dans le tableau (qui se rapportent à des événements survenus le 20 septembre 2022) n’ont pas été déposés dans le délai imparti. Le fonctionnaire a soutenu le contraire.

[11] Lorsque j’ai examiné la présente affaire, j’ai constaté que, outre la question de savoir s’ils ont été déposés dans le délai imparti, ces griefs soulèvent une question concernant la compétence de la Commission pour les entendre. J’ai décidé que les deux questions préliminaires soulevées dans le présent cas (que j’appellerai la question du respect des délais et celle de la compétence) pouvaient être tranchées sur la base d’arguments écrits. La Commission peut trancher tout grief sur la base d’arguments écrits en vertu de son pouvoir de « trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience » prévu à l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365); voir également Andrews c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 141, au paragraphe 3 (confirmée dans 2022 CAF 159, au par. 10).

[12] Par conséquent, j’ai invité les parties à me présenter des arguments écrits sur les questions du respect des délais et de la compétence. En particulier, je leur ai demandé de traiter de la question de la compétence en leur demandant de me fournir [traduction] « […] des arguments écrits sur la question de savoir si ces griefs se rapportent à des mesures “disciplinaires” et s’ils se rapportent à “un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou l’imposition d’une sanction pécuniaire” ».

[13] J’ai également fait remarquer aux parties que le fonctionnaire pouvait demander une prorogation du délai applicable au dépôt de ces griefs et je les ai invitées à consulter la décision de principe Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, ainsi que la fiche de renseignements de la Commission au sujet de la prorogation des délais publiée sur le site Web de celle-ci. J’ai indiqué dans l’échéancier relatif aux arguments écrits la date limite à laquelle le fonctionnaire pouvait demander une prorogation de délai. Le défendeur a demandé une courte prorogation du délai applicable au dépôt de ses arguments et je la lui ai accordée. Les parties ont présenté des arguments écrits conformément à l’échéancier révisé. Le défendeur a eu l’occasion de présenter des arguments en réponse à ceux du fonctionnaire, mais il a choisi de ne pas y répondre.

[14] Le fonctionnaire n’a pas demandé de prorogation du délai applicable au dépôt de ces griefs. Il a plutôt fait remarquer ce qui suit dans les arguments qu’il a présentés en réponse : [traduction] « Si une prorogation du délai applicable au dépôt de ces griefs s’avère nécessaire, ma présentation devant la Commission à l’audience fournira tous les documents nécessaires pour établir que j’ai agi en temps opportun et que j’ai pris les mesures nécessaires pour régler cette question à chaque étape du processus. » Je n’ai pas examiné la question de savoir si une prorogation de délai serait justifiée dans le présent cas, car le fonctionnaire n’en a pas demandé une dans le délai que je lui avais accordé pour le faire.

[15] Enfin, le fonctionnaire a demandé que les dix griefs soient regroupés. Le défendeur a consenti à cette demande. J’aurais regroupé ces griefs, mais compte tenu de ma décision (selon laquelle un seul grief a été déposé dans le délai imparti et relève de la compétence de la Commission), il n’est pas nécessaire que je rende une ordonnance à cet effet. En effet, comme il ne reste qu’un seul grief, il n’y a rien à regrouper.

IV. Respect des délais : les huit premiers griefs n’ont pas été déposés dans le délai imparti

[16] Le fonctionnaire était membre de l’unité de négociation du groupe Services des programmes et de l’administration, représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada. La convention collective de cette unité de négociation (qui a expiré le 20 juin 2021; la « convention collective ») prévoit qu’il est possible de déposer un grief au plus tard 25 jours suivant la date à laquelle le fonctionnaire a été informé ou a pris connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief. La convention collective prévoit également que pour calculer ce délai de 25 jours, il faut exclure les fins de semaine et les jours fériés. Voici le libellé exact de cette disposition de la convention collective :

[…]

18.15 Un employé-e s’estimant lésé peut présenter un grief au premier palier de la procédure de la manière prescrite par la clause 18.08 au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est informé ou prend connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief […]

18.15 A grievor may present a grievance to the first level of the procedure in the manner prescribed in clause 18.08, not later than the twenty-fifth (25th) day after the date on which the grievor is notified or on which the grievor first becomes aware of the action or circumstances giving rise to the grievance.…

[…]

 

[17] Les formulaires qui ont été remplis relativement aux huit premiers griefs mentionnent tous que ces griefs se rapportent à des événements survenus entre le 26 janvier et le 26 août 2022, comme il est décrit dans le tableau au paragraphe 9 de la présente décision. Le fonctionnaire a déposé les griefs le 13 octobre 2022, soit plus de 25 jours ouvrables suivant la date à laquelle les événements sur lesquels ils se rapportent sont survenus.

[18] Le fonctionnaire soutient avoir tenté de déposer les griefs en temps opportun, mais que ces derniers [traduction] « […] ont été rejetés en raison de l’intervention de l’autre partie […] ». Le fonctionnaire n’a pas expliqué ce que cela signifiait. L’argument du fonctionnaire ne peut pas être retenu en l’absence de tout détail concernant le « rejet » des griefs par le défendeur, surtout étant donné le fait que le fonctionnaire est tout de même parvenu à les déposer le 13 octobre 2022.

[19] Le fonctionnaire soutient également que [traduction] « le calcul du délai était interrompu dès que je demandais une explication et que je m’efforçais de collaborer avec l’autre partie afin de résoudre le problème ». Il souligne également que le directeur général [traduction] « […] suppliait [le fonctionnaire] de lui accorder plus de temps chaque fois qu’ils se parlaient […] ».

[20] Or, contrairement à ce que le fonctionnaire fait valoir, le calcul du délai n’est pas interrompu lorsque les parties ont des discussions continues en vue de résoudre un conflit.

[21] L’alinéa 61a) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement ») prévoit que le délai pour déposer un grief peut être prolongé « par une entente entre les parties ». Or, cela exige que le fonctionnaire et le défendeur parviennent à une entente au sujet de la prorogation du délai pour déposer un grief. Les parties ne sont pas parvenues à une telle entente dans le présent cas — au mieux, elles avaient des discussions continues au sujet des questions litigieuses qui avaient été soulevées. En l’absence de toute entente de suspension du délai, « [l]es discussions en cours entre un agent négociateur et l’employeur ne suspendent pas le délai à moins que les parties n’aient accepté de le suspendre » (voir Tuplin c. Agence du revenu du Canada, 2021 CRTESPF 29, au par. 49). Cette règle s’applique également aux discussions en cours entre un fonctionnaire et son employeur. De la même façon, la Commission a conclu que « le délai pour le dépôt d’un grief n’est pas unilatéralement prolongé par les tentatives de l’employé pour convaincre l’employeur de revenir sur sa décision ou de la modifier » et que « [d]es discussions continues à propos de la décision de l’employeur » n’ont pas pour effet de prolonger le délai dans lequel un grief peut être déposé (voir Mark c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 34, aux par. 22 et 27).

[22] Par conséquent, les huit premiers griefs ont été déposés après l’expiration du délai imparti et c’est pour cette raison que je les rejette. Les deux autres griefs se rapportent à des événements survenus le 20 septembre 2022 et ils ont donc été déposés dans les 25 jours ouvrables suivant ces événements. Les parties s’entendent sur le fait que ces deux griefs ont été déposés dans le délai imparti.

[23] La présente décision n’empêche aucunement le fonctionnaire de présenter des éléments de preuve au sujet des événements survenus de janvier à septembre 2022 en vue d’étayer les allégations contenues dans le grief qui subsiste. Par exemple, le fonctionnaire peut toujours contester ce que mentionne la lettre d’attentes du 5 mai 2022 au sujet de son comportement. Autrement dit, ma décision ne signifie pas que la Commission ne doit pas tenir compte des faits qui ont donné lieu aux lettres d’attentes ou des lettres elles-mêmes en tranchant le grief qui subsiste. Ma décision signifie simplement que la Commission n’a pas compétence pour entendre les griefs qui n’ont pas été déposés dans le délai imparti (voir Teti c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 112, au par. 100).

V. Compétence

[24] Le fonctionnaire a renvoyé ces griefs devant la Commission en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Cette disposition confère à la Commission la compétence voulue pour entendre des griefs portant sur « une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ». Comme le laisse entendre le libellé de cette disposition, la Commission doit trancher la question de savoir si l’affaire qui fait l’objet du grief était de nature disciplinaire et, dans l’affirmative, si la mesure a entraîné le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire.

[25] Le défendeur soutient que huit des dix griefs (à savoir ceux dont les numéros de dossier sont autres que 566-02-47237 et 47238) se rapportent aux deux lettres d’attentes. Selon lui, les lettres sont de nature administrative et non disciplinaire. Je partage le point de vue du défendeur à cet égard et je traiterai donc de ces huit griefs en même temps. Le défendeur affirme également, en se fondant sur Association des pilotes fédéraux du Canada c. Conseil du Trésor, 2019 CRTESPF 41, que les lettres d’attentes n’appartiennent pas à une catégorie de nature disciplinaire. Le paragraphe 35 de cette décision mentionne ce qui suit :

[35] […] Les lettres d’attente sont clairement une façon permettant à l’employeur d’évaluer un employé par rapport à des normes établies. Bien que les employés qui reçoivent des lettres d’attente aient probablement des problèmes de rendement ou de comportement, ce n’est pas du tout certain ni même probable que ces problèmes nécessiteront l’imposition de mesures disciplinaires. En d’autres termes, on ne peut pas supposer que les mesures disciplinaires sont un élément nécessaire de la correction de problèmes de rendement ou de comportement.

 

[26] Le défendeur fait également valoir que la décision de mettre fin à une nomination intérimaire (dossier 566-02-47237) et l’allégation générale selon laquelle il y a eu de la discrimination ou du favoritisme (dossier 566-02-47238) ne sont pas des questions de nature disciplinaire visées par l’alinéa 209(1)b) de la Loi. Le défendeur n’a pas présenté d’arguments sur la question de savoir si l’une ou l’autre de ces mesures constituait un licenciement, une rétrogradation ou une sanction pécuniaire, et ce malgré le fait que j’ai demandé aux deux parties de traiter de cette question.

[27] Le fonctionnaire soutient qu’il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire et que la fin prématurée de sa nomination intérimaire constituait une rétrogradation.

[28] Le fonctionnaire soutient également que la Commission a compétence pour entendre les autres griefs, car ils [traduction] « […] se rapportent à du harcèlement et de la discrimination, à savoir des questions en matière de droits de la personne ». Je peux rejeter cet argument rapidement. La Commission n’a pas la compétence voulue pour se pencher sur des questions de droits de la personne, sauf si elle a compétence pour entendre le grief dans le cadre duquel elles sont soulevées; voir Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2015 CF 50, aux paragraphes 39 à 41; et Caron c. Commission canadienne de sûreté nucléaire, 2021 CRTESPF 74, au paragraphe 85, confirmée dans 2022 CAF 196. Or, étant donné que le fonctionnaire ne soutient pas que le défendeur a contrevenu à une disposition d’une convention collective interdisant la discrimination (ce qu’il ne peut pas faire, car il n’a pas le soutien nécessaire d’un agent de négociation), la Commission n’a pas compétence pour entendre ce grief en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

[29] Je traiterai maintenant de la question de savoir si les griefs se rapportent à une mesure disciplinaire. Par la suite, je me pencherai sur la question de savoir s’ils se rapportent à un licenciement, une suspension, une rétrogradation ou une sanction pécuniaire. Je le ferai pour l’ensemble des griefs, malgré le fait que huit de ces derniers n’ont pas été déposés dans le délai imparti, et ce au cas où je me serais trompé en évaluant la question de savoir si les griefs ont été déposés en temps opportun.

A. Neuf des dix griefs se rapportent à une mesure disciplinaire

[30] La question de savoir si une mesure est de nature disciplinaire porte directement sur les faits et elle fait intervenir de nombreuses considérations, notamment la nature du comportement de l’employé qui a donné lieu à la mesure prise par l’employeur (souvent, il s’agit de savoir si l’action était volontaire), la nature de la mesure qui a été prise, l’objectif que l’employeur disait vouloir atteindre, le véritable objectif que l’employeur cherchait à atteindre (s’il diffère de ce que ce dernier a déclaré), et l’incidence de la mesure sur l’employé; voir Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1027, au paragraphe 56 et Caron c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 196, au paragraphe 52. Ces considérations peuvent se résumer en deux principales questions : (1) quel est l’objectif visé et (2) quel est l’effet des mesures prises par l’employeur; voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e éd., à 7:56. Il est utile de se rappeler que l’objectif d’une mesure disciplinaire ne vise pas à punir l’employé; il s’agit plutôt de corriger un mauvais comportement, ce qui signifie que l’objectif principal d’une mesure disciplinaire est de remédier à une situation et non de punir — il s’agit de [traduction] « […] faire comprendre à l’employé que ce qu’il fait n’est pas acceptable » (Ottawa-Carleton District School Board v. Ontario Secondary School Teachers’ Federation, 2022 CanLII 116044 (ON LA), à la page 75).

[31] Il incombe au fonctionnaire de présenter, conformément à l’alinéa 209(1)b) de la Loi, des éléments de preuve établissant qu’il s’est vu imposer une mesure disciplinaire; voir Alexander c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada), 2015 CRTEFP 64, aux paragraphes 45 et 46.

[32] Je ne souscris pas à l’avis du défendeur selon lequel les lettres d’attentes sont d’emblée de nature non disciplinaire. La description ou le titre d’un document ne détermine pas si le document était disciplinaire sur le plan de son objet ou de son effet; ce qui compte, c’est le contenu du document et pas son nom.

[33] La décision que la Commission a rendue dans Association des pilotes fédéraux du Canada c. Conseil du Trésor et sur laquelle le défendeur s’est fondé doit être interprétée dans le contexte de la question que la Commission était appelée à trancher dans ce cas. Il s’agissait de savoir si une disposition proposée d’une convention collective selon laquelle il fallait détruire les lettres d’attentes à l’expiration d’un délai de deux ans se rapportait « […] direct[ement] ou indirect[ement] [à] des normes, procédures ou méthodes régissant […] l’évaluation [d’employés] » au titre de l’alinéa 150(1)c) de la Loi. Cet alinéa empêche une formation arbitrale d’inclure dans une convention collective une proposition qui se rapporte à l’évaluation du rendement « […] même si le lien n’est qu’accessoire par rapport à […] » une telle évaluation; voir Association des juristes du ministère de la Justice c. Conseil du Trésor, 2009 CRTFP 20, au paragraphe 28. Or, le fait que les lettres d’attentes « portent sur » l’évaluation des employés, même si ce n’est que de façon accessoire, ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas être également de nature « disciplinaire ».

[34] Les lettres d’attentes dans le présent cas comprenaient un avertissement au sujet d’éventuelles mesures disciplinaires. J’y reviendrai plus en détail. Certains arbitres ont déjà conclu que des avertissements similaires selon lesquels le maintien de certains comportements pourrait avoir des conséquences disciplinaires constituaient des mesures de nature disciplinaire lorsqu’ils portaient sur une mauvaise conduite et qu’ils étaient la première étape d’un processus de prise de mesures disciplinaires progressives; voir, par exemple, Canadian Merchant Service Guild v. Desgagnés Marine Petro Inc., 2017 CanLII 59151, au paragraphe 106; et Rocmaura Inc. v. C.U.P.E., Local 1603 (2016), 268 L.A.C. (4e) 348, aux paragraphes 100 et 101. D’autres arbitres ont rejeté cette idée. Ils ont plutôt conclu que des avertissements au sujet d’éventuelles mesures disciplinaires en cas de maintien d’un certain comportement ne constituaient pas à eux seuls des mesures disciplinaires, car cela signifierait que tout avertissement de cette nature serait forcément qualifié de mesure disciplinaire; voir District School Board of Niagara v. ETFO (2016), 127 C.L.A.S. 245, au paragraphe 18.

[35] Je n’ai pas l’intention de trancher la question de savoir si la seule mention d’éventuelles mesures disciplinaires dans une lettre fait en sorte que cette dernière est forcément de nature disciplinaire. À mon avis, la question de savoir si les mesures prises par le défendeur dans le présent cas étaient de nature disciplinaire peut être tranchée par l’examen de l’ensemble du texte des lettres d’attentes et de celui de la lettre informant le fonctionnaire de la fin prématurée de sa nomination intérimaire, afin d’en déterminer l’objet et l’effet.

[36] Les deux lettres d’attentes comprenaient une liste de 11 mesures que le fonctionnaire devait prendre. Dans les deux lettres, l’une de ces mesures est décrite de la façon suivante : [traduction] « Nous nous attendons à ce que vous contribuiez à la création et au maintien d’un environnement de travail sécuritaire et sain, libre de toute forme de harcèlement ou de discrimination. » Cette mesure laisse certainement entendre, voire indique que le fonctionnaire avait été coupable de harcèlement à un certain moment. Les deux lettres comprenaient également la mention suivante : [traduction] « Nous nous attendons à ce que vous adhériez aux décisions prises par la direction à tout moment […] » Cette mention laisse certainement entendre, voire indique que le fonctionnaire avait été coupable d’insubordination. Enfin, les deux lettres se terminent comme suit :

[Traduction]

[…]

Vous devez immédiatement améliorer votre conduite sur le plan professionnel. Nous nous engageons à collaborer avec vous afin de résoudre ce problème et de veiller à ce que nos relations soient harmonieuses à l’avenir. Cependant, nous vous avisons que si les problèmes persistent, nous devrons prendre d’autres mesures, qui peuvent inclure des mesures disciplinaires […]

[…]

 

[37] Il ressort de ces lettres d’attentes que, selon le défendeur, le fonctionnaire avait sciemment eu un mauvais comportement. Les lettres mentionnent expressément que si le fonctionnaire continue de se comporter comme il le fait, l’employeur prendra d’autres mesures, qui pourraient comprendre des mesures disciplinaires; cela constituerait la première étape d’un processus de prise de mesures disciplinaires progressives en cas de maintien du mauvais comportement.

[38] Je reviens maintenant aux quatre facteurs que j’ai mentionnés précédemment et qui permettent habituellement de faire la distinction entre des mesures disciplinaires et des mesures non disciplinaires :

a) Les lettres d’attentes mentionnent que le fonctionnaire avait sciemment (et non involontairement) eu un mauvais comportement.

 

b) J’analyserai la nature des actions plus tard; cela dit, les lettres d’attentes s’apparentent à une réprimande écrite. Les lettres d’attentes énumèrent 11 comportements que le fonctionnaire devait adopter. Comme je viens de le dire, cela laisse entendre, voire indique que le fonctionnaire n’avait toujours pas adopté ces comportements et que l’employeur le critiquait à cet égard.

 

c) Les lettres d’attentes ne mentionnent pas l’intention de l’employeur, qui fait maintenant valoir que son intention était d’améliorer la situation et de continuer de collaborer avec le fonctionnaire. Or, cela n’est pas incompatible avec une intention de prendre des mesures de nature disciplinaire. Comme je l’ai déjà mentionné, l’objectif de la prise de mesures disciplinaires progressives vise à améliorer la situation et à maintenir la collaboration.

 

d) L’incidence des lettres d’attentes en elles-mêmes sur le fonctionnaire était relativement mineure.

 

[39] Or, malgré l’incidence relativement mineure des lettres d’attentes sur le fonctionnaire, j’ai conclu qu’elles constituaient des mesures de nature disciplinaire compte tenu des autres facteurs que j’ai pris en considération. L’incidence mineure des lettres d’attentes sur le fonctionnaire redeviendra pertinente plus tard lorsque j’examinerai la question de savoir si elles constituent un licenciement, une rétrogradation ou une sanction pécuniaire. Selon moi, les lettres ne font pas que mentionner d’éventuelles mesures disciplinaires : leur objet et leur effet mêmes sont de nature disciplinaire.

[40] La décision de mettre fin à la nomination intérimaire du fonctionnaire constituait également une mesure de nature disciplinaire dans le présent cas. La lettre informant le fonctionnaire que sa nomination intérimaire prenait fin indique ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Malgré les nombreux rappels de la direction au cours des derniers mois et la lettre d’attentes qui vous a été adressée au sujet de l’exigence d’avoir des rapports professionnels et respectueux, vous continuez à vous adresser à des gestionnaires de tous les niveaux de manière inconvenante et non conforme aux compétences essentielles d’une personne qui occupe le poste de chef d’équipe. Plus particulièrement, nous faisons référence aux valeurs, à l’éthique, à la communication et à l’excellence en matière de gestion. Par ailleurs, vous continuez à faire fi des attentes clairement définies concernant le milieu de travail. Par conséquent, je suis dans l’impossibilité de maintenir votre nomination intérimaire.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[41] Le défendeur n’a pas mis fin prématurément à la nomination intérimaire du fonctionnaire pour la seule raison que ce dernier avait un rendement insatisfaisant indépendamment de sa volonté : le défendeur a lui-même dit qu’il avait mis fin à la nomination intérimaire du fonctionnaire parce que ce dernier agissait [traduction] « de manière inconvenante ». Comme je le mentionnerai plus loin, cela a eu une incidence importante sur le fonctionnaire du point de vue financier.

[42] Je tiens à préciser que la Commission n’a pas compétence pour agir au titre de l’alinéa 209(1)b) de la Loi si un employeur met fin à une nomination intérimaire en raison d’un rendement insatisfaisant de l’employé pour des raisons indépendantes de sa volonté. Cependant, le harcèlement et l’insubordination ne sont pas des problèmes de rendement indépendants de la volonté de l’employé — il s’agit de questions de nature disciplinaire.

[43] En ce qui concerne le dernier dossier de la Commission (dossier 566‑02‑47238), je ne dispose pas de suffisamment de renseignements sur la nature de la mesure qui fait l’objet du grief pour déterminer s’il s’agissait d’une mesure de nature disciplinaire. Étant donné que le fardeau de la preuve incombe au fonctionnaire, je dois conclure que le grief dans ce dossier ne se rapporte pas à une mesure de nature disciplinaire.

[44] En résumé, l’ensemble des griefs, sauf celui dans le dossier 566-02-47238, se rapportent à des mesures disciplinaires.

B. Les griefs se rapportent-ils à un licenciement, une rétrogradation ou une sanction pécuniaire?

[45] La question la plus complexe à trancher dans le présent cas est celle de savoir si les griefs se rapportent à un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire. Par souci de commodité, j’ai reproduit ci-dessous les libellés de l’alinéa 209(1)b) et du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi :

(1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire qui n’est pas un membre, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

(1) An employee who is not a member as defined in subsection 2(1) of the Royal Canadian Mounted Police Act may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction if the grievance is related to

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

(b) a disciplinary action resulting in termination, demotion, suspension or financial penalty;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(c) in the case of an employee in the core public administration,

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite […]

(i) demotion or termination under paragraph 12(1)(d) of the Financial Administration Act for unsatisfactory performance or under paragraph 12(1)(e) of that Act for any other reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct ….

 

[46] J’ai inclus le sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi même si le fonctionnaire n’a cité que l’alinéa 209(1)b) dans les renvois à l’arbitrage de ces griefs, car le fait d’invoquer la mauvaise disposition de la Loi à titre de fondement d’un renvoi à l’arbitrage peut simplement constituer un « vice de forme ou de procédure » que je suis tenu de pardonner en vertu du paragraphe 241(1) de la Loi.

[47] De plus, il se peut que tout examen de la question de savoir si la fin prématurée de la nomination intérimaire était de nature disciplinaire revête un caractère théorique en raison du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi. En effet, si la décision de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire constitue un licenciement ou une rétrogradation, la Commission a donc compétence pour se pencher sur la question de savoir si une telle fin prématurée était appropriée, peu importe que la décision fût disciplinaire ou non. Si un licenciement ou une rétrogradation est de nature disciplinaire, la Commission a compétence en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi; dans le cas contraire, la Commission a compétence en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i).

[48] Dans le cas où la mesure en cause est l’imposition d’une sanction pécuniaire, mais pas un licenciement ou une rétrogradation, la mesure doit être de nature disciplinaire pour que la Commission ait la compétence voulue étant donné que la « sanction pécuniaire » n’est pas mentionnée au sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi.

[49] Comme je l’expliquerai plus loin, quoi qu’il en soit, les griefs ne sont pas visés par le sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi. Je ne renvoie à ce sous-alinéa que par souci d’exhaustivité.

[50] Enfin, le fait que le fonctionnaire n’a pas été suspendu n’est pas contesté et je n’ai donc pas besoin de me pencher sur cette question.

1. Les lettres d’attentes et les discussions entourant celles-ci ne constituent pas un licenciement, une rétrogradation ou une sanction pécuniaire

[51] Les lettres d’attentes ne peuvent pas être qualifiées de licenciement, de rétrogradation ou de sanction pécuniaire. Elles s’apparentent davantage à une lettre de réprimande. Or, « [u]ne réprimande écrite, quoiqu’une mesure disciplinaire, n’entraîne pas les conséquences énumérées à l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP et par conséquent, un grief portant sur une réprimande écrite ne peut être renvoyé à l’arbitrage »; voir Canada (Procureur général) c. Robitaille, 2011 CF 1218, au paragraphe 28. Par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour entendre les griefs déposés à l’égard des lettres d’attentes. Cela signifie que la Commission n’a pas compétence pour entendre les griefs dans les dossiers 566-02-47239 et 566-02-47236.

[52] Par ailleurs, si une lettre d’attentes n’est pas un licenciement, une rétrogradation ou une sanction pécuniaire, les discussions entourant la lettre ne peuvent pas l’être non plus. Cette conclusion permet de trancher les autres griefs, sauf celui qui se rapporte à la fin prématurée de la nomination intérimaire du fonctionnaire.

2. La question de savoir si la fin prématurée d’une nomination intérimaire constitue un licenciement, une rétrogradation ou une sanction pécuniaire

[53] Il reste donc à trancher le dossier 566-02-47237, qui se rapporte à la fin prématurée de la nomination intérimaire du fonctionnaire. La fin prématurée d’une nomination intérimaire constitue-t-elle un licenciement, une rétrogradation ou une sanction pécuniaire?

a. La jurisprudence ne tranche pas la question de façon définitive

[54] Selon ce que j’en sais, la Commission a été saisie de cinq cas portant sur la fin prématurée d’une nomination ou d’une affectation intérimaire. Par ailleurs, une décision de la Cour fédérale aborde brièvement une question similaire.

i. Cas dans lesquels la Commission a conclu à l’absence de compétence

 

[55] Les trois cas dans lesquels la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence sont les suivants : Whyte c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), [1999] C.R.T.F.P.C. n27 (QL), Smith c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel du Canada), [1997] C.R.T.F.P.C. no 89 (QL), et Stead c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 87. Dans ces trois cas, la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre les griefs déposés à l’égard de la fin prématurée de nominations ou d’affectations intérimaires. Cependant, dans chaque cas, la Commission est parvenue à ce résultat après avoir conclu que la décision n’était pas de nature disciplinaire, car, selon elle, il s’agissait plutôt d’une décision de nature administrative qui découlait de ce qui suit : (1) dans Whyte, le fait que la fonctionnaire s’estimant lésée n’exécutait plus les tâches liées au poste de classification supérieure; (2) dans Smith, le fait qu’il s’agissait d’une réponse nécessaire à des menaces de mort que des détenus avaient faites à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé (un agent correctionnel); et (3) dans Stead, la prise d’une mesure administrative dans l’attente d’une enquête en matière de sécurité et concernant des actes répréhensibles commis par deux agents correctionnels.

[56] La Commission n’a pas examiné la question de savoir si la fin prématurée d’une nomination intérimaire constituait un licenciement (comme il a été soutenu dans Whyte) ou une sanction pécuniaire (comme il a été soutenu dans Smith). Les fonctionnaire s’estimant lésés dans Stead n’ont pas mentionné si la fin de leur nomination intérimaire (ils disaient avoir été « stepped down » dans la version originale) constituait un licenciement, une rétrogradation ou une sanction pécuniaire.

[57] La Commission a également conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre un grief dans Peters c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CRTFP 7. Les faits de ce cas sont complexes. Essentiellement, la fonctionnaire s’estimant lésée dans cette affaire avait été embauchée initialement dans un poste classifié au groupe et au niveau ES-05 en janvier 2001. Le 1er novembre 2001, on lui a confié sur une base intérimaire les tâches liées à un poste de groupe et de niveau ES-06 et elle était rémunérée à ce titre jusqu’à ce qu’on lui demande de recommencer à exécuter les tâches liées à son poste d’attache le 28 juin 2002. Elle n’a jamais officiellement obtenu une nomination intérimaire. Le 22 avril 2004, son poste d’attache ES-05 est devenu un poste de groupe et de niveau ES-06, mais l’employeur a décidé qu’elle n’avait pas les compétences nécessaires pour occuper un tel poste et, par l’entremise d’une série complexe de mesures de dotation qui n’ont aucune importance pour les fins du présent cas, il l’a placée dans un poste de groupe et de niveau ES-05. La fonctionnaire s’estimant lésée a fait valoir que ces mesures, entre autres choses, étaient de nature disciplinaire. Or, la Commission a conclu qu’aucune des mesures prises par l’employeur n’était de nature disciplinaire. La Commission a également conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas été rétrogradée et qu’elle ne s’était pas vue imposer une sanction pécuniaire.

[58] Je fais remarquer deux choses au sujet de Peters. D’abord, la Commission a fortement insisté sur le fait qu’aucune lettre de nomination n’indiquait que la fonctionnaire s’estimant lésée avait été promue au niveau ES-06 pour conclure que cette dernière n’avait pas été rétrogradée et ne s’était pas vue imposer une sanction pécuniaire; voir, en particulier, les paragraphes 269, 273, 276, 285 et 291. En revanche, plusieurs lettres de cette nature ont été envoyées au fonctionnaire dans le présent cas. Ensuite, lorsqu’elle a examiné, dans la décision qu’elle a rendue dans Peters, la question de savoir si la fonctionnaire s’estimant lésée s’était vue imposer une sanction pécuniaire, la Commission a conclu, dans la phrase suivante du paragraphe 291, que ce n’était pas le cas : « Le fait d’être rémunéré au niveau habituel établi pour le poste et la classification d’un employé ne peut pas, par définition, constituer une sanction pécuniaire. » Dans les 43 paragraphes suivants, la Commission poursuit son analyse de la question de savoir si la décision était de nature disciplinaire, notamment au paragraphe 311, dans lequel elle contredit la conclusion qu’elle venait de tirer en déclarant que la réimposition du taux de rémunération ES-05 à la fonctionnaire s’estimant lésée « […] pourrait en théorie [constituer] une sanction pécuniaire […] ». La décision de la Commission dans Peters portait principalement sur la question de savoir si une mesure disciplinaire avait été imposée à la fonctionnaire s’estimant lésée. Je ne peux donc pas accorder trop de poids à une seule phrase sur la question de savoir si la fonctionnaire s’estimant lésée s’était également vue imposer une sanction pécuniaire.

ii. Cas dans lequel la Cour fédérale a convenu que la Commission n’avait pas compétence

 

[59] Dans Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2010 CRTFP 130, la fonctionnaire s’estimant lésée avait fait valoir que la décision de ne pas prolonger sa nomination intérimaire à l’expiration de celle-ci constituait une mesure disciplinaire qui avait donné lieu à l’imposition d’une sanction pécuniaire. Dans ce cas, la Commission a conclu que la décision de ne pas prolonger la nomination intérimaire de la fonctionnaire s’estimant lésée ne constituait pas une mesure disciplinaire. La Cour fédérale a confirmé cette décision de la Commission dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire déposée à l’égard de celle-ci (voir 2012 CF 1027, au par. 58). Ni la Commission ni la Cour ne se sont expressément penchées sur la question de savoir si une telle mesure pouvait faire l’objet d’un arbitrage même s’il s’agissait d’une mesure disciplinaire. Cependant, la Cour fédérale a fait la remarque suivante au paragraphe 55 de sa décision :

[55] Pour ce qui est du premier argument, on se souviendra que l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP prévoit que, pour pouvoir être renvoyé à l’arbitrage, un grief doit porter sur une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire. Compte tenu de la situation de Mme Chamberlain, seules une rétrogradation ou une sanction pécuniaire pourraient s’appliquer. Pour que sa situation tombe sous le coup de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, il ne suffit cependant pas que Mme Chamberlain ait été affectée à un poste moins bien rémunéré ou qu’elle ait subi une perte pécuniaire. Ainsi que l’arbitre l’a fait observer à juste titre, il faut que la raison qui a motivé la rétrogradation ou la perte pécuniaire soit également d’ordre disciplinaire.

 

[60] La Cour n’a pas dit que la décision de ne pas renouveler une nomination intérimaire constituait une rétrogradation ou une sanction pécuniaire — elle s’est contentée d’affirmer que s’il s’agissait d’un licenciement, d’une rétrogradation, d’une suspension ou d’une sanction pécuniaire, elle constituait fort probablement une rétrogradation ou une sanction pécuniaire. Cependant, la Cour n’avait pas à trancher cette question, car elle avait conclu que la décision n’était pas de nature disciplinaire. Par ailleurs, la décision de ne pas renouveler une nomination intérimaire n’équivaut pas à celle de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire. Cela dit, la décision de la Cour mérite d’être mentionnée.

iii. Affaire dans laquelle la Commission a déclaré avoir compétence

 

[61] La décision Thibault c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), [1996] C.R.T.F.P.C. no 68 (QL) est celle dans laquelle la Commission est venue le plus près de trancher cette question. Dans ce cas, l’employeur avait mis fin à la nomination intérimaire d’un employé en raison d’allégations selon lesquelles ce dernier buvait de l’alcool au travail. À l’audience du grief, l’employeur avait refusé de présenter des éléments de preuve pour étayer ses allégations au motif qu’il voulait éviter de révéler l’identité des autres employés qui auraient vu le fonctionnaire s’estimant lésé en train de boire de l’alcool. La Commission a conclu que l’employeur avait agi de mauvaise foi parce qu’il « [avait camouflé] la nature exacte des accusations qui pesaient contre lui ainsi que l’identité de ses accusateurs ». La Commission a conclu que l’employé avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire et que, par conséquent, elle avait compétence pour entendre le grief. Étant donné que l’employeur n’avait pas établi qu’il avait un motif valable de mettre fin prématurément à la nomination intérimaire de l’employé, la Commission a ordonné que l’employeur verse à ce dernier l’équivalent du taux de rémunération auquel il aurait eu droit à titre intérimaire, et ce jusqu’à la fin de sa nomination intérimaire, qui, de toute façon, était déjà prévue.

[62] Comme elle l’a fait dans les autres cas que j’ai invoqués, la Commission s’est principalement penchée dans Thibault sur la question de savoir si la mesure prise par l’employeur était de nature disciplinaire ou administrative. Cependant, le résultat dans ce cas a été que la Commission a déclaré avoir compétence pour entendre l’affaire, laissant entendre, mais sans le dire expressément, que la fin prématurée de la nomination intérimaire de l’employé constituait un licenciement, une rétrogradation ou encore une sanction pécuniaire.

[63] De plus, les motifs exposés par la Commission dans ce cas étaient fondés en grande partie sur une interprétation de la Loi conforme à sa politique, selon laquelle il ne fallait pas priver les employés de leur droit de déposer des griefs à l’égard de mesures disciplinaires ayant des conséquences sur le plan financier. Cette interprétation de la Loi fondée sur la politique de la Commission s’appliquerait également au sens à accorder aux mots « licenciement », « rétrogradation » et « sanction pécuniaire » ainsi qu’au terme « disciplinaire ». La Commission a déclaré ce qui suit aux pages 16 et 17 de la décision qu’elle a rendue dans cette affaire :

[…]

Or, en faisant cela, l’employeur tente de priver cet employé du droit que lui accorde la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique de déposer un grief à l’encontre d’une mesure disciplinaire et de renvoyer ce grief à l’arbitrage. Je suis d’avis que l’intention du législateur en promulguant l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique [maintenant l’art. 209 de la Loi], était de permettre aux employés de se protéger des mesures disciplinaires injustifiées, soient-elles prises ouvertement ou soient-elles prises sous le couvert de différents noms, tels « mesure administrative, etc. » Dans les deux cas, il appartient à l’arbitre de décider de la véritable nature de la décision. Il me semble qu’il n’est pas déraisonnable de penser que la protection accordée par le législateur s’étend aux cas où un employeur a recours à un subterfuge ou, pour des raisons que lui seul connaît, aux cas où un employeur manque de transparence sur la nature disciplinaire d’une décision.

Il convient de rappeler que les fonctionnaires qui, pour un certain laps de temps, occupent des fonctions intérimaires, ont les mêmes droits à l’encontre de mesures disciplinaires que leurs collègues qui occupent un poste d’attache. Or, si le procédé utilisé par l’employeur dans la présente affaire devait être entériné, cela entraînerait, à l’avenir, le résultat suivant: dans les cas où un employeur soupçonne un écart de conduite et veut sévir, en l’absence de preuve, l’employeur pourrait sévir impunément contre un employé en le retirant de ses fonctions intérimaires sans avoir à s’en expliquer devant un arbitre alors que l’employeur aurait été astreint à ne sévir contre lui que pour cause et avec preuve à l’appui si ce même employé à qui l’on reproche un écart de conduite était demeuré à son poste d’attache. Bref, certains fonctionnaires seraient plus vulnérables que d’autres en matière disciplinaire du simple fait d’avoir accepté des fonctions intérimaires et leurs droits de se défendre contre des mesures disciplinaires injustifiées seraient à la remorque de la qualification choisie par l’employeur pour définir sa décision.

[…]

 

[64] J’hésite à accepter ces paragraphes dans leur intégralité, et ce pour deux raisons. D’abord, l’article 209 de la Loi ne vise pas à « […] permettre aux employés de se protéger des mesures disciplinaires injustifiées […] ». Il vise plutôt à permettre aux employés de se protéger de certaines mesures disciplinaires injustifiées. Comme je l’ai déjà mentionné, l’article 209 de la Loi, par exemple, ne permet pas aux employés de se protéger de réprimandes non justifiées. L’un des objectifs de la Loi vise à protéger les employés de mesures disciplinaires, mais un autre de ses objectifs vise à limiter la compétence de la Commission aux mesures disciplinaires qui sont importantes ou graves.

[65] Ensuite, j’hésite à rejeter la façon dont le défendeur interprète l’article 209 de la Loi, car cela voudrait dire que « […] certains fonctionnaires seraient plus vulnérables que d’autres […] ». Or, le fait est que certains employés sont effectivement plus vulnérables que d’autres, par exemple, les employés en période de stage. En effet, il est beaucoup plus facile de licencier un tel employé qu’un employé qui n’est plus en période de stage. Cette vulnérabilité est un élément pris en considération dans la Loi.

[66] De la même façon, les nominations intérimaires sont, de par leur nature même, plus précaires que les nominations permanentes. Il peut être mis fin à une nomination intérimaire de manière soudaine et sans préavis à l’employé. Par exemple, l’employé qui en remplace un autre qui est parti en congé de maladie retournera à son poste d’attache dès le retour de ce dernier; de la même façon, l’employé qui en remplace un autre qui est parti en congé parental retournera à son poste d’attache dès le retour de ce dernier, et ce même s’il s’agit d’un retour anticipé. Or, cette réalité est reflétée dans la première lettre de nomination intérimaire du fonctionnaire, laquelle précisait que la nomination intérimaire [traduction] « peut prendre fin à n’importe quel moment ». Bien que les lettres de prolongation de la nomination intérimaire du fonctionnaire ne contenaient pas le même libellé, il n’en demeure pas moins que tous les emplois ne sont pas identiques à cet égard — certains emplois sont, sur le plan juridique, plus précaires que d’autres. Les nominations intérimaires ne sont qu’un exemple d’emplois plus précaires.

[67] Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu qu’il soit très utile de s’en remettre à l’objectif de la Loi pour trancher la question de savoir si la décision de mettre fin à une nomination intérimaire constitue un « licenciement », une « rétrogradation » ou une « sanction pécuniaire ». La Loi vise à atteindre des objectifs contradictoires susceptibles de justifier l’une ou l’autre de ces interprétations.

[68] Cela dit, même en ayant ces réserves à l’esprit, je ne peux pas ignorer les cas que j’ai mentionnés dans la présente décision. La Commission n’a jamais conclu que la décision de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire ne constituait pas un licenciement, une rétrogradation ou une sanction pécuniaire, sauf peut-être dans Peters, décision à laquelle je n’accorde que peu de poids pour les motifs que j’ai déjà exposés. Même si elle ne l’a pas dit expressément, la Commission a conclu, à tout le moins de façon implicite, dans Thibault que la décision de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire pour des motifs de nature disciplinaire était visée par l’article 209 de la Loi. Autrement dit, ces décisions ne permettent pas en elles-mêmes de trancher l’affaire, mais elles tendent sans aucun doute à démontrer que la Commission a compétence pour se pencher sur les affaires dans lesquelles l’employeur a prématurément mis fin à la nomination intérimaire de l’employé pour des motifs de nature disciplinaire.

[69] Ayant cela à l’esprit, je me pencherai maintenant sur le sens à accorder aux mots « licenciement », « rétrogradation » et « sanction pécuniaire » afin de déterminer lequel de ceux-ci, le cas échéant, décrit la décision de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire.

b. La décision de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire ne constitue pas un « licenciement »

[70] C’est le mot « termination » qui est utilisé dans la version anglaise de l’article 209 de la Loi et non le mot « termination of employment ». Néanmoins, j’ai conclu que le législateur voulait bien dire que le mot « termination » désignait le fait de congédier une personne. (Ce problème ne se pose pas en français.)

[71] Cette conclusion est conforme à des décisions antérieures de la Commission selon lesquelles le mot « licenciement » désigne la décision unilatérale d’un employeur de mettre fin à un contrat d’emploi qui, autrement, perdurerait; voir Monteiro c. Conseil du Trésor (Agence spatiale canadienne), 2005 CRTFP 27, au paragraphe 12. La Commission a également conclu que le licenciement « présuppose la fin de [la] relation [d’emploi] »; voir Hassard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 32, au paragraphe 170.

[72] Une telle interprétation de l’article 209 de la Loi est conforme à l’article 12 de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11). L’alinéa 12(1)c) de cette loi prévoit que chaque administrateur général peut prescrire des mesures disciplinaires y compris « […] le licenciement, la suspension, la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et les sanctions pécuniaires […] ». Cet alinéa vise à correspondre à l’alinéa 209(1)b) de la Loi. La Loi sur la gestion des finances publiques confère à l’employeur le pouvoir d’imposer certaines mesures disciplinaires et la Loi accorde à la Commission le pouvoir de réviser ces mesures disciplinaires. Par conséquent, il ne fait aucun doute que le mot « termination » dans la version anglaise de l’article 209 de la Loi a le même sens que le terme « termination of employment » dans la version anglaise de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques de telle sorte que l’une et l’autre loi disent la même chose. (Ce problème ne se pose pas en français, car l’une et l’autre loi utilisent le mot « licenciement ».)

[73] La décision de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire n’est pas un licenciement, car elle ne constitue pas une décision de mettre fin à la relation d’emploi. En effet, l’employé visé par une telle décision ne fait que retourner à son poste d’attache à la fin de sa nomination intérimaire. La Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13) codifie cette règle, car elle prévoit que le fonctionnaire nommé pour une durée déterminée perd sa qualité de fonctionnaire à l’expiration de la période fixée (par. 58(1)), à moins qu’il s’agisse d’une nomination intérimaire (par. 58(3)), auquel cas la relation d’emploi est maintenue.

[74] Pour ces motifs, je conclus que la décision de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire ne constitue pas un « licenciement » pour les fins de l’article 209 de la Loi.

c. La décision de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire ne constitue pas une « rétrogradation »

[75] La rétrogradation est un changement négatif dans un emploi ou un poste qui présuppose le maintien de la relation d’emploi; voir Hassard, au paragraphe 170. Dans la plupart des cas, ce changement négatif est une nomination à un poste dont le taux de rémunération maximum est inférieur; voir la section 2.2.2.7 de la Directive sur les conditions d’emploi du Conseil du Trésor, qui est incorporée par renvoi au sous-alinéa 66.03b)(iv) de la convention collective. C’est le sens que la Commission a donné au mot « rétrogradation » au paragraphe 265 de Peters. Cependant, il ressort de décisions plus récentes que le changement négatif peut se produire même dans les cas où l’employé conserve sa classification, mais doit s’acquitter de tâches « dévalorisantes »; voir Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports), 2010 CRTFP 70, au paragraphe 229 (confirmée dans 2011 CF 1218 et 2012 CAF 270).

[76] La décision de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire et la rétrogradation ont certaines caractéristiques en commun, car l’une et l’autre constituent un changement négatif dans un emploi ou un poste, tout en maintenant la relation d’emploi. Néanmoins, j’ai conclu qu’elles ne sont pas la même chose, et ce pour deux raisons.

[77] D’abord, les rétrogradations sont censées être « […] temporaires, sauf dans les circonstances les plus exceptionnelles »; voir MacArthur c. Administrateur général (Agences des services frontaliers du Canada), 2010 CRTFP 90, au paragraphe 123. En revanche, la décision de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire fait en sorte que l’employé retourne à son poste d’attache pour une période indéterminée. Les rétrogradations sont (presque toujours) temporaires, alors que la décision de mettre fin à une nomination temporaire a un effet pendant une période indéterminée.

[78] Ensuite, la rétrogradation suppose que le changement doit être assez important de sorte qu’il est contraire à un élément fondamental du contrat d’emploi; voir Stewart v. MacMillan Bloedel Ltd. (1991), 37 C.C.E.L. 292 (BC SC), au paragraphe 44 (confirmée dans (1992), 42 C.C.E.L. 225 (BC CA)); et Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846, au paragraphe 46. Même si ces affaires portaient également sur la question de savoir si la rétrogradation constituait un congédiement déguisé en droit civil ou en common law, les cours dans l’une et l’autre de ces affaires se sont penchées sur la question de savoir si la violation du contrat d’emploi était une condition nécessaire pour conclure à la rétrogradation. En revanche, dans le cas d’une décision de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire, la nomination intérimaire prévoit expressément (du moins c’est le cas dans la présente affaire) que l’employeur peut y mettre fin prématurément. Autrement dit, il n’a été porté atteinte à aucun aspect fondamental de la nomination intérimaire du fonctionnaire; le défendeur a plutôt exercé un droit contractuel.

[79] Pour ces motifs, je conclus que, bien que la décision de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire ressemble à une rétrogradation, elle n’est pas visée par ce terme au sens de l’article 209 de la Loi.

[80] Par souci de clarté, je fais remarquer que la compétence de la Commission au titre du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi ne s’étend pas à la décision de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire. Autrement dit, la compétence de la Commission ne s’étend pas à la décision de mettre prématurément fin à une nomination intérimaire pour des motifs non disciplinaires.

d. La fin prématurée d’une nomination intérimaire est une « sanction pécuniaire », car la nomination se rapportait à un poste de classification supérieure

[81] Enfin, l’article 209 de la Loi confère à la Commission la compétence voulue pour se pencher sur les mesures disciplinaires « entraînant […] une sanction pécuniaire ». Je suis conscient du fait que le fonctionnaire n’a pas fait valoir qu’il s’était vu imposer une sanction pécuniaire — il a plutôt soutenu qu’il avait été licencié ou rétrogradé. Cela dit, je peux tout de même examiner cette question, car j’ai pris la peine d’informer explicitement les parties que je me pencherais sur la question de savoir si la décision de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire constituait une « sanction pécuniaire ». Je fais également remarquer que le défendeur n’a présenté aucun argument sur la question de savoir si la décision de mettre fin prématurément à une nomination intérimaire constitue un licenciement, une rétrogradation ou une sanction pécuniaire. Ainsi, le fait que j’examine cette question ne peut pas avoir d’effet préjudiciable pour le défendeur étant donné que ce dernier a refusé de traiter de l’une ou l’autre de ces trois possibilités suite à mes directives très claires à cet égard.

[82] L’arrêt de principe sur le sens de l’expression « sanction pécuniaire » demeure Rogers c. Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 116. Dans ce cas, l’employeur avait suspendu un employé pour une période de cinq jours. Par la suite, l’employeur a remplacé cette suspension par une réprimande. L’employé est parti trois fois en congé de maladie pour cause de stress : une première fois pendant l’enquête au sujet de son inconduite, une deuxième fois après qu’il a eu une rencontre avec les enquêteurs, puis une troisième fois après avoir été suspendu. L’employé a fait valoir que les congés de maladie étaient la conséquence prévisible de la mesure disciplinaire prise à son égard et que, par conséquent, la perte de congés de maladie constituait une « sanction pécuniaire » pour l’application de ce qui était alors l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-35). La Cour d’appel n’a pas souscrit à ce point de vue. Elle a plutôt conclu que la sanction pécuniaire supposait une perte financière à laquelle la mesure disciplinaire donnait inévitablement lieu (que ce soit directement ou indirectement). La Cour d’appel a utilisé des termes tels que « immédiatement et inévitablement » (au par. 17, citant Massip c. Canada (1985), 61 N.R. 114 (CA), au par. 8) et « implicitement » (au par. 18) pour décrire le lien qu’il doit nécessairement exister entre la mesure disciplinaire et la perte financière.

[83] La Commission a également confirmé à un certain nombre de reprises que la sanction pécuniaire suppose davantage qu’une simple perte financière — il doit exister un lien quelconque entre la mesure disciplinaire et la perte financière; voir Green c. Administrateur général (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2017 CRTEFP 17, aux paragraphes 346 à 348. Comme la Commission l’a affirmé dans McMullen c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 64, au paragraphe 124, la perte financière est une sanction pécuniaire de nature disciplinaire si elle est « […] inextricablement lié[e] et motivé[e] par [l’]inconduite présumée [de la fonctionnaire] ».

[84] Dans le présent cas, il existait un lien direct entre la fin prématurée de la nomination intérimaire du fonctionnaire et la perte financière subie par ce dernier (c.-à-d. la diminution de son taux de rémunération pour la durée restante de sa nomination intérimaire, qui est passé de celui lié à un poste de groupe et de niveau PM-03 à celui lié à un poste de groupe et de niveau PM-01). La perte financière était davantage que la conséquence raisonnablement prévisible de la fin de la nomination intérimaire du fonctionnaire — la perte était inextricablement liée à cette décision de nature disciplinaire.

[85] Je me garde de trancher la question de savoir si la compétence de la Commission s’étend à la fin prématurée d’une nomination intérimaire à un poste « de même niveau ». Dans le présent cas, la décision de mettre fin prématurément à la nomination intérimaire du fonctionnaire constituait une décision de nature disciplinaire qui a donné lieu à une sanction pécuniaire, à savoir la diminution du taux de rémunération du fonctionnaire, qui est passé de celui lié à un poste de groupe et de niveau PM-03 à celui lié à un poste de groupe et de niveau PM-01.

[86] La présente décision ne tranche pas entièrement le grief en cause. En effet, la lettre par laquelle le défendeur a mis fin à la nomination intérimaire du fonctionnaire ne mentionne pas qu’il s’agissait d’une mesure strictement administrative. Les réponses au grief ne mentionnent pas non plus que les mesures prises par le défendeur étaient de nature administrative. Par conséquent, la présente affaire ne s’apparente pas à Jassar c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 54, dans laquelle l’employeur n’a pas pu faire valoir qu’il avait un motif pour imposer une mesure disciplinaire étant donné qu’il avait, depuis le tout début, qualifié la sanction de mesure strictement administrative. Pour emprunter la métaphore utilisée par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Heyser, 2017 CAF 113, au paragraphe 78, il n’est pas loisible à l’employeur de modifier sa thèse et d’affirmer qu’il avait un motif pour imposer une sanction pécuniaire. La modification de la thèse de l’employeur, si tel est le cas, est survenue au moment où il a présenté ses arguments en réponse à ma directive à cet égard. Le défendeur a maintenu depuis le tout début que sa décision était appropriée. Il faudra tenir une audience pour déterminer si le défendeur avait un motif pour imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire et si la sanction qu’il a imposée à ce dernier (à savoir la fin prématurée de sa nomination intérimaire) était justifiée dans les circonstances.

[87] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[88] Les griefs dans les dossiers 566-02-47230, 566-02-47231, 566-02-47232, 566‑02‑47233, 566-02-47234, 566-02-47235, 566-02-47236, 566-02-47238 et 566‑02‑47239 sont rejetés.

[89] Le grief dans le dossier 566-02-47237 sera renvoyé au greffe de la Commission pour être mis au rôle selon la pratique normale.

Le 10 janvier 2024.

 

Traduction de la CRTESPF

 

Christopher Rootham,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 

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