Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La Commission avait d’abord rejeté la demande de l’employeur, mais cette décision a été annulée à la suite d’un contrôle judiciaire et renvoyée à la Commission pour réexamen de l’un des deux motifs sur lesquels l’employeur avait fondé sa demande, soit l’article 59(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2), et le fait que les titulaires des postes avaient des fonctions et des responsabilités qui n’étaient pas autrement décrites dans cette disposition et ne devraient pas être inclus dans une unité de négociation pour des raisons de conflit d’intérêts – l’employeur voulait présenter une preuve orale pour expliquer comment les postes avaient changé ou évolué depuis la décision initiale de la Commission – toutefois, la Commission a déterminé qu’une demande d’exclusion est décidée en fonction des fonctions à la date de la demande, et non à la date de l’audience – la preuve des fonctions exercées après la date de la demande n’est pertinente que si elle clarifie rétrospectivement la nature des fonctions du poste à la date de la demande – en fonction de la preuve présentée lors de l’audience initiale des demandes, la Commission a conclu qu’il y avait une possibilité concrète d’un conflit d’intérêts entre les fonctions de ces postes et le fait d’être représenté par un agent négociateur qui était suffisante pour justifier l’exclusion des postes – le conflit d’intérêts découle de l’obligation des titulaires de ces postes de conseiller la direction sur les plaintes de violence en milieu de travail, en particulier parce que ces fonctions comprennent le fait de conseiller la direction sur la question de savoir si un employé (le plaignant ou l’auteur présumé) devrait être retiré du milieu de travail ou de l’équipe de travail à la suite d’une telle plainte – étant donné le rôle d’un agent négociateur de représenter un employé, ou parfois les deux, qui pourraient être impliqués dans une telle décision, le fait d’être représenté par un agent négociateur donne lieu à un risque de conflit entre l’affiliation avec cet agent négociateur et le fait d’être en mesure de conseiller la direction contre les intérêts de cet agent négociateur.

Demandes accueillies.
Postes déclarés de direction ou de confiance.

Contenu de la décision

Date: 20240130

Dossiers: 572-02-03955 à 03959

 

Référence: 2024 CRTESPF 13

 

Loi sur la Commission

des relations de travail et

de l’emploi dans le secteur public

fédéral et Loi sur les relations

de travail dans le secteur

public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Conseil du Trésor

demandeur

 

et

 

Alliance de la Fonction publique du Canada

 

défenderesse

Répertorié

Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant des demandes de déclaration qu’un poste est un poste de direction ou de confiance prévues au paragraphe 71(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le demandeur : Richard Fader, avocat

Pour la défenderesse : Janson LaBond, Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),

le 9 novembre 2023.

(Arguments écrits déposés les 13, 20 et 26 janvier et les 7 et 29 septembre 2021,

ainsi que le 6 octobre et le 7 novembre 2023)

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] Le Conseil du Trésor (l’« employeur ») a demandé d’exclure cinq postes de conseillers en santé et en sécurité au travail (« conseillers en SST ») de l’unité de négociation des Services des programmes et de l’administration (PA) représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »). La Commission a d’abord rejeté la demande de l’employeur, mais cette décision a été annulée lors d’un contrôle judiciaire et renvoyée à la Commission aux fins de nouvel examen de l’un des deux motifs sur lesquels l’employeur a fondé sa demande.

[2] Ce nouvel examen soulève deux questions.

[3] Premièrement, les parties ont soulevé la question de savoir si je dois entendre des témoignages pour ce nouvel examen. J’ai décidé de ne pas entendre ces témoignages oraux. J’ai informé les parties de ma décision le 10 octobre 2023, par l’intermédiaire de ce que l’on appelle une « décision sommaire ». Comme je l’expliquerai en détail ci-dessous, la décision de la Cour d’appel fédérale m’a laissé le pouvoir discrétionnaire de décider s’il y a lieu d’entendre cette preuve. J’ai décidé de ne pas entendre cette preuve pour quatre raisons : 1) aucune des parties n’a contesté la décision initiale de la Commission au motif que la procédure par écrit était inéquitable sur le plan procédural; 2) la Cour d’appel a scindé l’affaire et renvoyé une question seulement afin que, si j’entendais de nouveaux éléments de preuve, l’affaire soit tranchée sur la base de preuves différentes pour chacun des deux motifs; 3) la Commission n’a généralement pas entendu de nouveaux éléments de preuve dans le nouvel examen d’un cas qu’un tribunal lui avait renvoyé; 4) la demande de l’employeur dans laquelle il me demandait d’entendre ces éléments de preuve était trop vague en ce qui concerne les éléments qui seraient présentés et la raison pour laquelle ils auraient une incidence sur le cas.

[4] J’ai également conclu que, si j’avais tort, je n’aurais pas admis la preuve orale parce qu’elle n’était pas pertinente pour les questions soulevées dans le présent cas. L’employeur voulait présenter une preuve orale pour expliquer comment les postes avaient changé ou évolué depuis la décision initiale de la Commission. Toutefois, une demande d’exclusion est tranchée selon les fonctions à compter de la date de la demande et non à compter de la date de l’audience. Les éléments de preuve liés aux fonctions accomplies après la date de la demande ne sont pertinents que s’ils clarifient rétrospectivement la nature des fonctions du poste à la date de la demande.

[5] L’employeur cherchait aussi à exclure ces postes parce qu’il y a un conflit entre leurs fonctions et le fait que leurs titulaires soient représentés par un agent négociateur. Il s’agit d’un cas limite; cependant, j’ai conclu qu’il existe un risque suffisamment concret de conflit d’intérêts entre les fonctions de ces postes et le fait que leurs titulaires soient représentés par un agent négociateur pour justifier l’exclusion des postes. Ce conflit d’intérêts découle de la fonction des postes de conseiller la direction au sujet des plaintes de violence en milieu de travail, et plus particulièrement parce que ces fonctions comprennent la fourniture de conseils à la direction afin de déterminer si un employé (le plaignant ou l’auteur présumé) doit être retiré du lieu de travail ou de l’équipe de travail à la suite d’une plainte de violence en milieu de travail. Étant donné le rôle de l’agent négociateur dans la représentation d’un, parfois des deux employés qui pourraient être visés par une telle décision, le fait d’être représenté par un agent négociateur donne lieu à un conflit entre l’affiliation avec cet agent négociateur et la capacité de conseiller la direction contre les intérêts de ce même agent négociateur.

[6] J’ai donc accueilli la demande et déclaré que les cinq postes sont exclus de l’unité de négociation.

II. Historique de la procédure

[7] Le 9 janvier 2018, l’employeur a déposé cette demande en vue d’obtenir une ordonnance déclarant que cinq postes de conseillers en SST sont des postes de direction ou de confiance. L’employeur a fondé sa demande sur les alinéas 59(1)g) et h) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). L’agent négociateur s’est opposé à la demande en temps opportun. La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission » qui, dans la présente décision, renvoie aussi à ses prédécesseurs) avait fixé l’audience de cette affaire au 11 janvier 2021. L’agent négociateur, cependant, a demandé à la Commission une ordonnance pour que cette demande soit tranchée par écrit. La Commission a accepté, malgré l’objection ferme et répétée de l’employeur. Les parties ont déposé des arguments écrits en janvier 2021. Les arguments écrits de l’employeur comprenaient les éléments de preuve qui ont servi de fondement à la décision de la Commission : les descriptions de travail des postes de conseiller en SST, un organigramme, une justification détaillée de leur exclusion et un sommaire de déposition du gestionnaire responsable de ces cinq postes. L’agent négociateur n’a déposé aucun élément de preuve dans cette affaire.

[8] Le 9 mars 2021, la Commission a rejeté la demande de l’employeur dans une décision portant la référence 2021 CRTESPF 24. L’employeur a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Le 1er décembre 2022, la Cour d’appel fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’employeur. La Cour d’appel a conclu que la Commission n’avait pas examiné adéquatement la demande de l’employeur en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la Loi. La Cour d’appel a donc annulé la partie de la décision de la Commission portant sur la demande de l’employeur en application de l’alinéa 59(1)g) de la Loi et a renvoyé à la Commission aux fins de réexamen « le volet […] qui porte sur l’alinéa 59(1)g) » de la Loi (voir Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CAF 204).

[9] La nomination de la commissaire qui a rendu la décision initiale était terminée. La Cour d’appel a donc ordonné que le réexamen soit effectué par un autre commissaire. J’ai été affecté en qualité de formation de la Commission pour procéder à ce réexamen de la demande de l’employeur en application de l’alinéa 59(1)g) de la Loi.

[10] Comme je vais en discuter en détail plus tard dans la présente décision, j’ai entendu le présent cas sur la base des arguments écrits et des éléments de preuve déposés auprès de la Commission en janvier 2021. J’ai autorisé les parties à déposer des arguments écrits supplémentaires. L’employeur a déposé de brefs arguments, mais pas l’agent négociateur. J’ai aussi entendu des arguments oraux des deux parties. J’ai fondé ma décision sur les arguments écrits et oraux des parties. Les parties ont soumis un certain nombre de décisions. Je n’énumérerai pas toutes les décisions citées par les parties et je ne renverrai pas à chacune, mais je les ai toutes lues en préparant ma décision.

[11] Je tiens à remercier les représentants des deux parties de leurs arguments, oraux et écrits. En particulier, les représentants des deux parties ont reconnu toute faiblesse dans leur cas (comme je l’ai parfois indiqué plus loin dans cette décision) et ont également répondu directement et clairement à mes questions. Ce n’était pas un cas facile, mais leur plaidoyer m’a aidé à trancher la tâche plus facilement. Je les en remercie.

III. Décision de ne pas entendre de nouveaux éléments de preuve

A. Processus suivi pour résoudre la question des nouveaux éléments de preuve

[12] Comme je l’ai dit plus tôt, la Commission a rendu sa décision initiale en se fondant sur des arguments écrits et, dans le cadre de ces arguments, l’employeur a déposé des documents et un sommaire de déposition sur lesquels la Commission s’est appuyée. L’agent négociateur s’est opposé à ces documents et au sommaire de déposition, en soutenant qu’ils auraient dû être étayés par des affidavits des employés occupant les postes en question. La Commission a rejeté cet argument, en s’exprimant comme suit au par. 99 :

[99] La défenderesse a porté une attention importante à l’absence de preuve dans les arguments du demandeur quant à la mesure dans laquelle la direction se fonde sur les conseils que les conseillers en SST lui fournissent. Le demandeur a soulevé une objection à cet argument, affirmant que, sans la demande de la défenderesse de procéder à cette affaire par voie d’arguments écrits, qui a été accordée par la Commission, un témoignage de vive voix de cette nature aurait été présenté. Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que le commentaire de la défenderesse était trompeur. Je n’ai tiré aucune conclusion négative du fait que le demandeur ne m’a fourni aucun affidavit ni aucun autre élément de preuve, comme l’a demandé la défenderesse. Ma décision est fondée uniquement sur les arguments devant moi.

 

[13] L’agent négociateur n’a pas contesté cette conclusion devant la Cour d’appel fédérale.

[14] Lorsque cette affaire a été renvoyée à la Commission, j’ai convoqué une conférence préparatoire à l’audience afin de discuter de la méthode appropriée pour procéder à ce réexamen. L’employeur a déclaré qu’il souhaitait présenter une preuve orale à l’appui de cette demande. L’agent négociateur a contesté cette demande. J’ai ordonné que cette question préliminaire soit traitée par écrit. J’ai expressément demandé aux parties de répondre à ces quatre questions :

1) La Commission peut-elle entendre des éléments de preuve dans la présente affaire au-delà des éléments de preuve déjà déposés par les parties lorsque la Commission a entendu ces demandes au départ?

2) Dans l’affirmative, la Commission devrait-elle entendre les éléments de preuve ou, autrement, les éléments de preuve existants sont-ils suffisants?

3) Dans l’affirmative, la Commission peut-elle entendre des éléments de preuve sur les modifications apportées aux fonctions des postes en cause après le 13 janvier 2021 (date à laquelle le demandeur a déposé sa preuve dans l’instance initiale devant la Commission)?

4) Dans l’affirmative, la Commission devrait-elle entendre cette preuve?

 

B. Arguments des parties

[15] L’employeur a soutenu que rien dans l’ordonnance de la Cour d’appel n’interdisait à la Commission d’entendre de nouveaux éléments de preuve, que la Commission est maître de ses propres procédures et qu’elle pouvait entendre ces éléments de preuve. L’employeur a ajouté que la Commission devrait entendre la preuve parce que [traduction] « dans [l]e présent cas, les fonctions et les responsabilités du poste ont considérablement changé. Le dossier actuel ne suffit pas à déterminer si les postes, sous leur forme actuelle, devraient être exclus. » La Commission devrait traiter cette demande comme si elle l’entendait pour la première fois en novembre 2023.

[16] De plus, l’employeur a soutenu que la décision de la Commission pourrait dépendre de la nature des fonctions à un moment donné, en précisant [traduction] « [l]a Commission trancherait la question avec la possibilité que les postes soient exclus pendant toute la période (et par la suite), que les postes ne soient pas exclus du tout, ou que les postes soient exclus pour une période, mais pas l’autre ». Enfin, l’employeur a cité la décision Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. Canada (Conseil du Trésor), [1977] C.R.T.F.P.C. no 1 (QL) (« Gibson ») pour la proposition selon laquelle les fonctions et les responsabilités d’un poste peuvent évoluer, ce qui aura une incidence sur la question de savoir s’il doit être exclu.

[17] L’agent négociateur n’était pas d’accord. Il a expliqué que la Cour d’appel aurait pu ordonner que les parties aient la possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve. Il s’est appuyé sur Association des juristes de justice c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 119, et Lloyd c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTEFP 33, pour étayer cet argument. Il a également soutenu que [traduction] « l’horloge ne continue pas de tourner pour permettre à un employeur d’“étoffer un dossier”, pendant qu’il interjette appel […] »; et que le fait de permettre la preuve à ce stade encouragerait un employeur à apporter des changements aux fonctions d’un poste après la demande afin de soutenir une demande visant à l’exclure. Pour ces raisons, une demande d’exclusion est évaluée à la date de la demande. L’agent négociateur a cité NAV Canada, 2000 CCRI 88, à l’appui de cette proposition.

[18] L’agent négociateur a également déclaré que le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) [traduction] « conclut régulièrement » que les demandes d’exclusion peuvent être tranchées par écrit, citant Coastal Shipping Limited, 2005 CCRI 309 et Sperry Rail Canada Limited, 2022 CCRI 1013. L’agent négociateur a soutenu que la Commission devrait faire de même. Enfin, il a indiqué que la décision Gibson était différente, car elle portait sur une autre question, à savoir si un employé demeurait exclu pendant son absence temporaire de la population active.

[19] En réponse, l’employeur a indiqué que la décision Coastal Shipping Limited était différente, en déclarant qu’il s’agissait d’une décision du CCRI qui exprimait des préoccupations au sujet du coût des ressources pour l’audition des cas d’exclusion. L’employeur a laissé entendre que la Commission dispose de plus de ressources et qu’elle est donc mieux en mesure de tenir des audiences orales. Il a clos ce point en déclarant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] En termes simples, une audience orale est largement considérée comme la norme d’excellence lorsque les tribunaux procèdent à une analyse de l’équité procédurale. Même si l’AFPC cite la décision Sperry Rail du CCRI pour l’affirmation selon laquelle le CCRI tient régulièrement des audiences par voie d’arguments écrits, l’histoire de la CRTESPF est différente.

[…]

 

[20] Le 10 octobre 2023, j’ai rendu une décision sommaire informant les parties que je ne permettrais pas à l’employeur de déposer cette nouvelle preuve. J’ai dit que je donnerais des motifs détaillés de cette décision, que voici.

C. Voie analytique permettant de décider s’il y a lieu d’entendre de nouveaux éléments de preuve dans un réexamen

[21] Comme je l’expliquerai en détail, j’ai suivi cette voie analytique pour déterminer si j’entendais ou non de nouvelles preuves au réexamen :

1) L’ordonnance du tribunal de révision répond-elle expressément à cette question? Dans l’affirmative, la Commission respectera cette ordonnance.

2) L’ordonnance du tribunal de révision répond-elle implicitement à cette question, à la lumière du jugement du tribunal et de tout autre contexte qui l’entoure? Dans l’affirmative, la Commission respectera cette ordonnance.

3) Si l’ordonnance de la cour de révision reste silencieuse sur ce point, la Commission exercera son pouvoir discrétionnaire quant à savoir si elle doit entendre la preuve à la lumière du contexte qui l’entoure, qui commence par la nature des questions soulevées par la cour de révision et sa décision et peut aussi inclure d’autres éléments pertinents de l’affaire.

 

1. Contexte de la question de savoir comment procéder à un réexamen

[22] La question de savoir comment un tribunal administratif devrait se comporter lorsqu’un cas lui est renvoyé après un contrôle judiciaire n’a reçu que peu d’attention de la part des tribunaux et dans la littérature universitaire. Les décisions et les commentaires qui existent sur ce point portent généralement sur la question de savoir si un cas qui a été renvoyé à un tribunal doit être entendu par le même membre ou un autre membre de ce tribunal. Il y a très peu de discussions sur la question de savoir si un tribunal devrait entendre de nouveaux éléments de preuve ou entendre de nouveau d’anciens éléments de preuve lorsqu’un tribunal de révision annule une décision et la renvoie au tribunal aux fins de réexamen.

[23] Toutefois, cette question deviendra plus courante à la lumière des décisions rendues dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, et Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21. Ces décisions, parmi des milliers d’autres de tribunaux de niveau inférieur, ont orienté le contrôle judiciaire vers les motifs invoqués par un tribunal plutôt que vers le résultat. Ainsi, les décisions du tribunal peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire si les motifs ne sont pas intelligibles ou transparents et si les motifs sont incompatibles avec les contraintes juridiques et factuelles imposées aux décideurs.

[24] Fait important, l’une des façons dont une décision est incompatible avec ces contraintes est de ne pas « […] s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties » (voir Vavilov, au par. 128, et Mason, au par. 74). C’est ce qui s’est passé dans ce cas. La Cour d’appel a conclu que la première décision de la Commission ne s’attaquait pas de façon significative à l’argument de l’employeur au sujet de l’alinéa 59(1)g) de la Loi. Dans de tels cas, le recours habituel est que le tribunal de révision remette l’affaire au décideur initial à moins qu’un résultat particulier du cas soit « inévitable » (voir Vavilov, au par. 142, et Mason, au par. 120).

[25] Le fondement au contrôle judiciaire qu’est le fait de « s’attaquer de façon significative » est devenu courant au cours des quatre dernières années depuis que l’arrêt Vavilov a été tranché. La Commission, à l’instar d’autres tribunaux, peut s’attendre à ce que davantage de décisions lui soient renvoyées lorsqu’une cour de révision est insatisfaite de la qualité de ses motifs. Par conséquent, j’ai pris un certain temps pour expliquer la voie analytique que j’ai empruntée pour décider d’accepter ou non de nouveaux éléments de preuve dans une décision de réexamen ordonnée par la cour.

2. Nature du réexamen : faut-il réécrire, recommencer ou continuer?

[26] Tout d’abord, j’ai examiné la nature du réexamen après qu’une cour de révision a renvoyé un cas devant un tribunal. Il y a trois approches conceptuelles à ce réexamen, ce que j’appellerai les approches « réécrire », « recommencer » et « continuer ».

a. Rejeter l’approche « réécrire »

[27] L’agent négociateur dans le présent cas a laissé entendre que le rôle de la Commission ici était simplement de fournir des motifs réactifs [traduction] « […] afin que l’employeur puisse comprendre pourquoi il a également perdu cette partie de sa demande ». C’est ce que j’appelle l’approche de réécriture.

[28] Je ne saurais être d’accord avec l’approche de réécriture, car elle est incompatible avec l’objet des motifs et avec le sens du terme « réexamen ».

[29] Les motifs ont deux objectifs. Premièrement, les motifs expliquent le résultat à d’autres personnes — les parties, les professionnels du droit et des relations de travail, et le public. Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, au par. 79 :

[79] […] Les motifs donnés par les décideurs administratifs servent à expliquer le processus décisionnel et la raison d’être de la décision en cause. Ils permettent de montrer aux parties concernées que leurs arguments ont été pris en compte et démontrent que la décision a été rendue de manière équitable et licite. Les motifs servent de bouclier contre l’arbitraire et la perception d’arbitraire dans l’exercice d’un pouvoir public : Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine, par. 12-13. Comme l’a fait remarquer la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Baker, « [i]l est plus probable que les personnes touchées ont l’impression d’être traitées avec équité et de façon appropriée si des motifs sont fournis » : par. 39, citant S. A. de Smith, J. Jowell et lord Woolf, Judicial Review of Administrative Action (5e éd. 1995), p. 459‑460. Et comme l’écrivent de manière convaincante Jocelyn Stacey et l’honorable Alice Woolley, [traduction] « les décisions rendues par les pouvoirs publics acquièrent leur autorité sur le plan juridique et démocratique par le biais d’un processus de justification publique » au moyen duquel les décideurs « motivent leurs décisions en tenant compte du contexte constitutionnel, législatif et de common law dans lequel ils œuvrent » : « Can Pragmatism Function in Administrative Law? » (2016), 74 S.C.L.R. (2d) 211, p. 220.

 

[30] Deuxièmement, la préparation des motifs aide le décideur à atteindre le bon résultat. Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, au par. 80 :

[80] Qui plus est, le processus de rédaction des motifs incite nécessairement le décideur administratif à étudier soigneusement son propre raisonnement et à mieux formuler son analyse : Baker, par. 39). C’est ce que le juge Sharpe désignait — quoique dans le contexte judiciaire — comme [traduction] « la discipline de motiver une décision » : Good Judgment : Making Judicial Decisions (2018), p. 134; voir aussi Sheppard, par. 23.

 

[31] Le défaut d’exposer des motifs qui permettent de s’attaquer à une question de manière significative n’est pas inadéquat simplement parce que les parties, la profession ou le public sont confus ou déçus. Il l’est également parce que des motifs insuffisants peuvent refléter un raisonnement flou, une réaction instinctive à un cas, ou même un préjugé inconscient. Ce deuxième méfait ne peut être résolu en fournissant simplement une explication plus détaillée pour le même résultat — il exige que le décideur examine la question à neuf. La rédaction de motifs oblige un décideur à ne pas arriver au mauvais résultat en lui demandant de réfléchir attentivement à un cas et d’en articuler ensuite le résultat.

[32] Je m’arrête pour reconnaître l’ironie, ou peut-être l’hypocrisie, de mon ode aux motifs, moi qui ai rendu une décision sommaire sur ce point. Malgré cela, ce cas est un exemple des avantages qu’offrent les motifs. Au cours de la conférence préparatoire à l’audience que j’ai tenue au début de la présente instance, j’ai exprimé mon scepticisme quant à la position de l’agent négociateur selon laquelle je ne devrais pas entendre de nouveaux éléments de preuve à ce stade. Ma réaction instinctive était d’admettre la preuve. Toutefois, après avoir lu les arguments des parties et commencé à exposer mes motifs sur cette question, ma vision de la question s’est affinée. Même si ma décision a été rendue avant que les motifs ne soient fournis aux parties, le processus de rédaction des motifs a aiguisé ma pensée.

[33] De plus, la Cour d’appel a ordonné que ce cas soit renvoyé aux fins de « réexamen ». Un réexamen signifie un réexamen, pas une réécriture. Il est loisible à un tribunal [traduction] « […] dans un réexamen, de procéder à une évaluation complète et de parvenir à une conclusion différente […] » (voir Patricks v. Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 745, au par. 18, et Dobson c. Canada (Procureur général), 2007 CF 565, au par. 25). Comme je l’ai mentionné plus tôt, si le résultat du cas était inévitablement en faveur de l’agent négociateur, la Cour d’appel aurait pu rejeter la demande de contrôle judiciaire. En renvoyant l’affaire à la Commission, la Cour d’appel a indiqué qu’il y avait un doute quant à la décision finale de ce cas.

[34] Par conséquent, un réexamen m’oblige à réévaluer ce cas, et non à simplement réécrire les motifs de la décision initiale de la Commission.

b. Rejeter l’approche « recommencer »

[35] En ce qui concerne l’approche de recommencement (ou, si vous préférez le latin, l’approche de novo), on suggère que lorsqu’une affaire est réexaminée par un autre membre d’un tribunal, elle [traduction] « doit être entendue dans son intégralité » en raison du principe « celui qui entend [doit décider] »; voir Macaulay, Sprague et Sossin, Practice and Procedure Before Administrative Tribunals (feuilles mobiles) (1988), au chapitre 35.12, et Brown et Evans, Judiciaire Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles) (1998), au chapitre 12.62. Toutefois, à mon avis, le principe n’est pas qu’un réexamen signifie que le tribunal recommence; le principe est qu’un réexamen doit être équitable sur le plan de la procédure. Un tribunal peut décider qu’il doit recommencer parce que c’est la seule façon équitable sur le plan de la procédure de procéder à un réexamen. Cela ne veut pas dire qu’un recommencement à zéro est une partie inhérente d’un réexamen.

[36] Les deux cas cités par les auteurs de Judicial Review of Administrative Action in Canada pour la proposition de recommencement comprenaient une cour de révision ordonnant expressément que le tribunal fasse son réexamen à partir de zéro en raison de graves failles de procédure dans la décision initiale.

[37] Dans Floris v. Director of Livestock Services (1986), 76 N.S.R. (2e) 320 (T. D.), la cour de révision a annulé la décision d’un tribunal administratif parce qu’il avait outrepassé sa compétence en interprétant mal une loi. La Cour a renvoyé l’affaire au directeur des Livestock Services aux fins d’un [traduction] « examen approprié » après avoir entendu [traduction] « de nouvelles observations finales », mais a déclaré qu’elle n’exigerait pas qu’une preuve supplémentaire soit présentée. Un problème est apparu : le mandat du directeur du Livestock Services était arrivé à échéance entre-temps et un nouveau directeur avait été nommé. La cour de révision a modifié son ordonnance (voir (1987), 77 N.S.R. (2e) 419 (T. D.)) pour exiger expressément une audience de novo parce que le cas initial reposait sur un témoignage oral. Le présent cas confirme la proposition selon laquelle une nouvelle audience est nécessaire seulement pour protéger l’équité procédurale, et non pas qu’elle est toujours nécessaire.

[38] Dans le deuxième cas, Johannessen v. Alberta (Workers’ Compensation Board Appeals Commission), 1998 ABQB 72, au par. 14, la Cour a déclaré expressément qu’un réexamen n’était pas une nouvelle audience et que le tribunal avait agi de façon appropriée en s’appuyant sur la preuve qui lui avait été présentée pour la première fois, étayée par des arguments supplémentaires fournis par l’avocat du demandeur. Avec tout le respect que je dois aux auteurs savants de ce texte, le cas cité n’appuie pas la proposition de recommencement.

[39] Par conséquent, je rejette la proposition selon laquelle un tribunal doit repartir de zéro chaque fois qu’un réexamen est ordonné. Il peut être nécessaire de recommencer pour assurer l’équité procédurale, mais ce n’est pas automatique.

c. Adopter l’approche « poursuivre »

[40] Je préfère les décisions qui soutiennent l’approche de la poursuite. Ces décisions font valoir qu’une ordonnance d’annulation d’une décision et de renvoi de l’affaire devant un tribunal en vue d’une nouvelle décision signifie que la nouvelle décision est une continuation de l’affaire initiale, mais qu’elle commence par l’erreur. Cela signifie à son tour qu’un tribunal n’a pas à entendre de nouveaux éléments de preuve, mais il peut le faire s’il y a lieu de statuer correctement sur l’affaire du point de vue de l’erreur.

[41] Dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Air Canada, [1994] 1 C. F. 154 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a décrit ce qui suit au paragraphe 33 :

33 Le Tribunal, tel qu’il était constitué pour l’audition de l’affaire, a entendu de nombreux témoignages et arguments. On n’aurait pas à ajouter beaucoup de documents au dossier en vue d’une décision judicieuse. Puisqu’une nouvelle instruction conforme à une ordonnance de cette Cour est, à mon avis, la continuation de la même « question » au sens du paragraphe 5(4) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, le Tribunal pourra juger commode de confier à la même formation la tâche de poursuivre et de mener à terme l’audition.

 

[42] Même si ce cas a été un appel légal et non un contrôle judiciaire, le principe s’applique également aux ordonnances rendues lors d’un contrôle judiciaire. De plus, la Cour fédérale dans Laroche c. Canada (Procureur général), 2013 CF 797, a cité avec approbation le passage suivant de la Judicial Review of Administrative Action in Canada au paragraphe 12:6320 (tel qu’il était lu en 2013; il est maintenant le chapitre 12.61 dans la présente édition actuelle) :

[Traduction]

En général, un décideur peut réexaminer une affaire après que sa décision initiale a été annulée ou déclarée invalide sur une demande de contrôle judiciaire. Ainsi, un tribunal peut trancher un différend pour une deuxième fois lorsque sa première décision a été annulée pour violation de l’obligation d’équité ou d’une exigence de procédure légale. Et malgré certaines décisions antérieures à l’effet contraire, il semble maintenant clair qu’un tribunal peut prendre une nouvelle décision même si, lorsqu’il a annulé la décision initiale, le tribunal de révision n’a pas ordonné que l’affaire soit renvoyée. En effet, techniquement, l’effet de l’annulation d’une décision sur une déclaration d’invalidité est de laisser les parties, et le tribunal, dans la position qu’elles occupaient avant de rendre la décision invalide.

[Je mets en évidence]

 

[43] Lorsqu’une demande de contrôle judiciaire est fondée sur des motifs de fond (plutôt que sur des motifs de procédure), le tribunal a admis des éléments de preuve « […] avant de rendre une décision invalide ». Par conséquent, le tribunal peut revenir à ce point et statuer sur le cas sur la base de la preuve déjà admise avant le moment où il a rendu la décision invalide.

[44] Je préfère cette approche pour deux raisons, à part la courtoisie à l’égard des cas énumérés précédemment. Premièrement, cette approche est plus conforme au principe selon lequel une cour de révision dispose d’un large éventail de recours en matière de contrôle judiciaire. Si un réexamen exigeait toujours qu’un tribunal recommence, cela limiterait la capacité d’une cour de révision d’adapter soigneusement son recours. Deuxièmement, cette approche a l’avantage pragmatique de réduire le temps d’audience, ce qui est conforme au « changement de culture » plus large vers des processus décisionnels proportionnés chaque fois que possible; voir Saskatchewan (Procureur général) c. Première nation de Witchekan Lake, 2023 CAF 105 au par. 52. Dans ce cas, le processus décisionnel proportionnel se déroulait par voie de jugement sommaire; dans le présent cas, il se déroule par écrit et n’a qu’une seule occasion de présenter des preuves écrites.

[45] En conclusion, si un réexamen signifie une réécriture, de nouveaux éléments de preuve ne seraient jamais recevables. Si un nouveau réexamen signifie de repartir de zéro, il faudra présenter de nouveaux éléments de preuve. Toutefois, comme un réexamen signifie que le tribunal poursuit après le moment où l’erreur a été commise, de nouveaux éléments de preuve ne seront pas nécessairement déposés. Étant donné que le caractère du réexamen n’est pas défavorable à la question de savoir quand entendre de nouvelles preuves, une autre voie analytique est nécessaire.

3. Suivre la voie analytique
a. Aucune disposition expresse dans l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale

[46] La voie analytique que j’ai présentée précédemment commence par les termes exprès de l’ordonnance de la cour de révision. Cela suit ce qui devrait être un principe non controversé selon lequel les tribunaux devraient suivre les ordonnances judiciaires. Comme l’a clairement dit la Cour d’appel fédérale dans Canada (commissaire de la concurrence) c. Supérieur Propane Inc., 2003 CAF 53 au par. 54, « [l]ors du réexamen, le tribunal administratif a l’obligation de suivre les directives de la cour de révision ». Si une cour de révision ordonne à un tribunal d’accepter ou de refuser de nouveaux éléments de preuve, le tribunal doit respecter cette ordonnance. La Commission a suivi cette règle dans Chopra c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2016 CRTEFP 89 (dans laquelle la cour de révision a limité la Commission aux faits déjà consignés au dossier).

[47] Dans le présent cas, la Cour d’appel n’a émis aucune directive expresse au sujet de nouveaux éléments de preuve. Je passe donc à la deuxième étape sur la voie de l’analyse.

b. Aucune instruction implicite dans l’ordonnance ou le jugement de la Cour d’appel fédérale

[48] À cette deuxième étape, on examine ensemble le jugement et l’ordonnance afin de déterminer s’ils contiennent des instructions implicites. J’admets que je me sens un peu inquiet de me plonger dans l’esprit d’une cour de révision pour découvrir des termes implicites dans une ordonnance judiciaire. Toutefois, les règles juridiques relatives à l’interprétation des ordonnances judiciaires sont semblables aux règles relatives à l’interprétation d’autres documents : elles doivent être interprétées dans le contexte. Cela signifie qu’un jugement ou une ordonnance doit être interprété selon son sens ordinaire, mais qu’il doit être lu dans son ensemble, en utilisant une interprétation large et libérale pour atteindre l’objectif du tribunal de rendre l’ordonnance et en tenant compte du contexte dans lequel l’ordonnance a été rendue et des circonstances particulières du cas; voir Royal Bank of Canada v. 1542563 Ontario Inc., 2006 CanLII 32639 (CS ON) au par. 4, Alberta Health Services v. Alberta (Information and Privacy Commissioner), 2020 ABQB 263 aux paragraphes 29 à 32, et John Tarrant, « Construing entreprises and court orders » (2008), Australian Law Journal 82, à la page 91.

[49] Les deux parties dans le présent cas ont soutenu que la Cour d’appel avait implicitement ordonné que la preuve pouvait ou ne pouvait pas être acceptée. Elles ont souligné qu’il y a d’autres cas où une cour de révision a donné des instructions explicites à un tribunal sur le réexamen. Les deux parties ont fait valoir que le silence de la Cour dans ce cas avait un sens. L’employeur a dit que cela signifiait que la Cour n’interdisait pas de nouveaux éléments de preuve (parce qu’elle aurait pu le faire), et l’agent négociateur a dit que cela signifiait que la Cour n’autorisait pas de nouveaux éléments de preuve (parce qu’elle aurait pu le faire).

[50] Bien que les parties ne les aient pas invoquées, deux décisions de la Commission des relations de travail de la Saskatchewan illustrent leurs arguments.

[51] Dans Retail, Wholesale and Department Store Union, Local 568 v. Saskatchewan Association of Health Organizations Inc., 2016 CanLII 30539 (SK LRB), la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan (telle qu’elle était à l’époque) a remis une partie d’une décision de la Saskatchewan Labour Relations Board pour réexamen. La Cour de révision l’a fait parce que la commission des relations de travail n’avait pas tenu compte de l’un des arguments avancés par une partie. L’ordonnance de la Cour de révision était la suivante :

[Traduction]

[…]

[…] La seule exception [au caractère raisonnable de la décision de la commission] est le défaut de la Commission d’expliquer comment elle s’est attaquée à la question de savoir si K-Bro était un employeur commun ou un employeur apparenté avec l’un des autres défendeurs. Étant donné qu’il s’agissait d’une question centrale de la demande, je renvoie cette question à la Commission pour lui permettre de prendre cette décision […]

[…]

 

[52] Le syndicat a demandé à la commission des relations de travail l’autorisation de présenter de nouvelles preuves ou de rouvrir son dossier. La commission des relations de travail a refusé, en se fondant sur le silence de l’ordonnance de la Cour de révision, et a déclaré ce qui suit (aux paragraphes 17 à 19 et 23) :

[Traduction]

[17] En toute déférence, nous sommes d’accord avec la position des défendeurs à cet égard. Notre compétence pour réexaminer cette affaire découle de l’ordonnance du juge Barrington-Foote, découlant des motifs de la décision rendue le 23 septembre 2015. Dans sa décision, il est clair, selon nous, qu’il a conclu que la Commission n’avait pas suffisamment tenu compte des questions entourant l’employeur commun ou lié. Même s’il soupçonne que la Commission a conclu qu’il n’y avait pas de relation de ce genre, il n’a pas été en mesure, comme il l’a dit, de « relier les points » pour voir que la conclusion était justifiée, transparente ou intelligente comme l’exige Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick.

[18] Selon nous, le juge Barrington-Foote aurait utilisé des mots différents et plus forts s’il voulait que la Commission, comme l’a suggéré le Syndicat, procède à une nouvelle audience et détermine l’affaire de nouveau. Dans sa décision, il a clairement indiqué que la seule question qu’il a jugée entachée d’une erreur était le raisonnement suivi par la Commission pour arriver à sa conclusion.

[19] On peut soutenir que la Commission ne serait pas tenue de consulter davantage les parties au sujet de son raisonnement, comme l’a suggéré K-bro dans ses arguments. Toutefois, la Commission a souhaité donner aux parties la possibilité de présenter des arguments à l’appui de leurs positions afin que le raisonnement de la Commission soit pleinement éclairé.

[…]

[23] Nous ne pouvons rien trouver dans les directives données par le juge Barrington-Foote ou dans les arguments avancés pour soutenir la demande du Syndicat. Elle est donc rejetée. Une ordonnance appropriée accompagnera ces motifs.

[Je mets en évidence]

 

[53] Les motifs exposés dans ce cas sont semblables à l’argument de l’agent négociateur dans celui-ci.

[54] Par ailleurs, dans SEIU-West, Saskatchewan Government and General Employees’ Union and Canadian Union of Public Employees v. Saskatchewan Association of Health Organizations and Saskatchewan Health Authority, 2019 CanLII 120617 (SK LRB), la Saskatchewan Labour Relations Board a accueilli la demande du syndicat visant à présenter de nouvelles preuves. Dans ce cas, la Cour d’appel de la Saskatchewan a annulé la décision initiale de la commission des relations de travail parce qu’elle n’avait pas tenu compte de la preuve pertinente à la question dont elle était saisie à la lumière du critère juridique approprié (comme énoncé par la Cour d’appel). Dans son jugement, la Cour d’appel de la Saskatchewan a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Cette omission de la part de la Commission m’amène à conclure que la façon appropriée de procéder est d’annuler sa décision dans la mesure où elle porte sur la négociation directe et de renvoyer cette question aux fins de réexamen à la lumière des éléments de preuve pertinents et des principes juridiques directeurs expliqués dans la présente décision. Ce faisant, je ne prétends pas suggérer comment la Commission pourrait résoudre le problème lié à l’alinéa 11(1)c) […]

[…]

 

[55] L’ordonnance précise que l’affaire doit être renvoyée à la commission des relations de travail aux fins de réexamen. La commission des relations de travail a conclu que la seule interprétation raisonnable du silence de la cour sur la question de savoir si ou comment traiter de nouveaux éléments de preuve consistait à exiger la tenue d’une audience de novo. Les motifs exposés dans ce cas sont semblables à l’argument de l’agent négociateur dans la présente décision.

[56] Dans les deux cas, la Saskatchewan Labour Relations Board a compris quelque chose dans le silence de la cour. Dans un cas, le silence indiquait qu’il ne devrait pas y avoir de nouvelles preuves, mais dans l’autre, le silence indiquait qu’il devrait y avoir de nouvelles preuves.

[57] En toute déférence pour les parties dans ce cas et pour la Saskatchewan Labour Relations Board, le silence n’est parfois qu’un silence.

[58] C’est le cas ici.

[59] J’ai examiné attentivement le jugement de la Cour d’appel, ainsi que la décision initiale de la Commission, afin de comprendre le contexte de cet arrêt. Rien dans le jugement de la Cour d’appel n’indique qu’elle s’est penchée sur cette question d’une façon ou d’une autre. Rien dans le contexte de ce cas, surtout dans les motifs du jugement, n’indique une ordonnance implicite d’une manière ou d’une autre.

c. Exercice du pouvoir discrétionnaire de ne pas entendre de nouveaux éléments de preuve

[60] Cela m’amène à la troisième étape de la voie analytique. En l’absence d’une directive d’une cour de révision, un tribunal — comme l’employeur le dit — « contrôle sa procédure »; voir aussi Gal c. Agence du revenu du Canada, 2015 CAF 188 au par. 5. Cela répond à la première question que j’ai posée aux parties : je peux entendre de nouveaux éléments de preuve, en ce sens que l’ordonnance de la Cour d’appel ne m’interdit pas expressément ou implicitement de le faire.

[61] Toutefois, le devrais-je? J’ai conclu que je ne devrais pas le faire, pour quatre raisons.

[62] Premièrement, aucune des parties n’a contesté la décision initiale de la Commission pour des motifs d’équité procédurale. L’employeur souligne à juste titre qu’il a demandé une audience orale avec témoignage oral la première fois que la Commission a entendu ce cas, de sorte que sa demande n’est pas nouvelle. Toutefois, il a également eu l’occasion de faire valoir devant la Cour d’appel que la décision d’entendre ce cas par écrit constituait une violation de l’équité procédurale ou que le dossier de preuve était incomplet. Il ne l’a pas fait.

[63] La plupart des autres décisions exigeant une audience de novo ou une audience avec de nouveaux éléments de preuve après la remise de l’affaire à un tribunal à la suite d’un contrôle judiciaire comportaient une violation de l’équité procédurale; voir, par exemple, Saskatchewan Joint Board, Retail, Wholesale and Department Store Union v. Saskatoon Co-operative Association Limited, 2017 CanLII 20059 (SK LRB), dans laquelle la Saskatchewan Labour Relations Board a tenu une audience de novo parce que la cour de révision avait annulé sa décision initiale pour des motifs d’équité procédurale, et Benjamin’s Park Memorial Chapel v. Bereavement Authority of Ontario, 2023 ONSC 3281 au par. 18, dans laquelle la cour de révision a ordonné une audience de novo parce que le tribunal avait convenu qu’il y avait eu violation de l’équité procédurale.

[64] Deuxièmement, la Cour d’appel n’a pas renvoyé l’ensemble du cas à la Commission. La Cour a tranché une question (à savoir, si les postes entrent dans le champ d’application de l’alinéa 59(1)g) de la Loi) et n’a renvoyé que cette question à la Commission. Dans le passé, la Cour d’appel a clairement indiqué qu’« il faut faire preuve de prudence lorsqu’on envisage une instruction distincte »; lorsqu’il s’agit de renvoyer une affaire devant un tribunal; voir Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44, au par. 43. Je suppose que la Cour d’appel a fait preuve de prudence avant de scinder la question liée à l’alinéa 59(1)g) dans ce cas aussi.

[65] Je crains que la Commission ne détermine s’il y a lieu d’exclure ces postes en vertu de l’alinéa 59(1)h) de la Loi selon un ensemble de faits, puis de déterminer ensuite s’il y a lieu de les exclure en application de l’alinéa 59(1)g) selon un ensemble de faits différent. L’employeur veut présenter de nouvelles preuves concernant le changement des fonctions de ces postes depuis 2021, probablement en vue de démontrer pourquoi les nouvelles fonctions étayent son argument selon lequel les postes relèvent de l’alinéa 59(1)g) de la Loi. Toutefois, ces nouveaux éléments de preuve peuvent avoir une incidence sur la question de savoir si les postes relèvent de l’alinéa 59(1)g) de la Loi aussi. Cela pourrait entraîner le résultat bizarre que la décision initiale de la Commission liée à l’alinéa 59(1)h) se fonderait sur un ensemble de faits, mais que la décision relative à l’alinéa 59(1)g) soit réexaminée à la lumière d’un ensemble de faits différent. La décision de la Cour d’appel fédérale de scinder la question en deux et de ne m’en remettre qu’une seule pourrait donner un résultat absurde si j’acceptais cette nouvelle preuve.

[66] Troisièmement, la Commission a été assez cohérente dans son refus d’accepter de nouveaux éléments de preuve lorsqu’elle a réexaminé un cas qu’un tribunal de révision lui a remise. L’agent négociateur a cité les décisions Association des juristes de justice et Lloyd comme deux exemples de cette approche. Dans le premier cas, un arbitre de grief de la Commission a rejeté la preuve parce qu’elle « […] constitue un nouvel élément de preuve […], que [le décideur n’a pas accepté] […] » (au par. 32). Dans Lloyd, la Commission a rejeté la preuve en raison du libellé du jugement de la Cour d’appel, qui visait à réexaminer l’affaire à la lumière de constatations de fait particulières que la Commission avait établies la première fois. Bien que les raisons de chaque cas soient différentes, le résultat est le même.

[67] À ces deux cas, j’ajoute que dans Stringer c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2014 CRTFP 5, un arbitre de grief de la Commission n’a pas entendu de nouveaux éléments de preuve lorsqu’il a réexaminé un cas que la Cour fédérale lui a renvoyé sans directives précises. Aucune des parties n’a demandé d’admettre de nouveaux éléments de preuve, mais le résultat de ce cas est conforme à la façon dont la Commission redéfinit les cas qui lui ont été remis sans rouvrir la preuve, dans la mesure du possible. J’ajoute également que, dans Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 131, un arbitre de grief de la Commission a également refusé d’entendre de nouveaux éléments de preuve même si l’ordonnance de la Cour d’appel permettait de tels éléments de preuve.

[68] L’employeur n’a fourni aucun exemple de la réouverture de la preuve par la Commission après qu’un tribunal de révision lui ait remis une affaire. En effectuant ma propre recherche, j’ai trouvé un cas dans lequel la Commission avait examiné de nouveaux éléments de preuve lorsque le tribunal de révision l’avait expressément ordonné (Gale c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 88; confirmée dans 2006 CAF 117), dans laquelle le Tribunal de la dotation de la fonction publique (un prédécesseur de la Commission) a tenu une audience de novo après une demande de contrôle judiciaire accueillie sans expliquer pourquoi (Brown c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 12), et une demande dans laquelle la Commission a accueilli de nouveaux éléments de preuve après qu’une ordonnance lui a été remise parce qu’il n’y avait aucune preuve au dossier puisque l’ordonnance initiale était en consentement (Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2011 CRTFP 34; confirmée dans 2012 CAF 92).

[69] À l’exception de Brown, la Commission n’a pas entendu de nouveaux éléments de preuve au moment du réexamen après une demande de contrôle judiciaire accueillie, à moins que la Cour ne le lui ordonnance ou qu’une absence de preuve ne le justifie. À mon avis, Brown est un cas particulier. Même si un consensus général à la Commission n’est pas déterminant, l’uniformité au sein de celle-ci demeure un facteur qui joue en faveur du refus d’écouter de nouveaux éléments de preuve.

[70] Quatrièmement, la demande de l’employeur de présenter cette preuve était trop vague quant à sa nature. Les arguments de l’employeur sont [traduction] « […] les fonctions et les responsabilités des postes en question ont évolué de telle sorte que les arguments initiaux de l’employeur du 13 janvier 2021 ne sont plus actuels » et que « […] les fonctions et les responsabilités du poste ont considérablement changé ». Toutefois, il n’a pas expliqué comment ces fonctions ont changé et comment le changement pourrait avoir une incidence sur son cas. En fait, l’employeur a fait valoir que [traduction] « [l]’employeur soutiendrait que les deux ensembles de droits justifient l’exclusion […] », de sorte qu’il me reste à spéculer sur l’influence des éléments de preuve liés aux nouvelles fonctions sur ma décision.

[71] Pour ces quatre raisons, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas entendre ces nouveaux éléments de preuve.

D. Les nouveaux éléments de preuve proposés ne sont pas pertinents parce que les fonctions sont évaluées à la date de la demande et non à la date de l’audience

[72] La décision que je viens de rendre repose sur le principe selon lequel les éléments de preuve que l’employeur cherchait à présenter seraient pertinents, ce que les parties contestaient également. Leur différend sur la pertinence de ces nouveaux éléments de preuve porte sur la question de savoir si une demande d’exclusion d’un poste d’une unité de négociation doit être tranchée selon les fonctions du poste au moment de la demande ou au moment de l’audience.

[73] J’ai décidé de trancher cette question pour deux raisons. Tout d’abord, je l’ai tranchée par précaution au cas où ma décision de ne pas entendre de nouveaux éléments de preuve (même si elle est pertinente) serait erronée. Ensuite, cette question se posera de nouveau dans d’autres procédures. Lorsque l’employeur et l’agent négociateur les plus importants régis par la Loi ne s’entendent pas sur une question de droit, il y a un avantage plus large à résoudre cette question, afin de fournir des conseils à ces parties dans des cas futurs. Puisque les deux parties ont examiné cette question, je le ferai également.

[74] J’ai conclu que la question de savoir si la décision d’exclure un poste d’une unité de négociation doit être prise selon les fonctions du poste au moment de la demande. Tout élément de preuve concernant les fonctions que l’occupant de ce poste a exercées après la date de la demande n’est pertinent que si elle aide à clarifier rétrospectivement la nature du poste à la date de la demande.

[75] Pour arriver à ce résultat, j’ai commencé par examiner la jurisprudence de la Commission, qui s’est révélée peu utile pour résoudre cette question. Je me suis ensuite penché sur la jurisprudence d’autres juridictions, qui sont généralement cohérentes quant au fait que les fonctions sont évaluées à la date de la demande. Même si je ne suis pas obligé de suivre l’approche des autres commissions du travail, cette tendance est convaincante. Enfin, j’ai examiné les conséquences de la position de chaque partie. En fin de compte, je suis d’accord avec l’agent négociateur (et les raisons fournies par d’autres commissions du travail) pour dire qu’il vaut mieux tenir compte des fonctions à la date de la demande.

1. La jurisprudence de la Commission est inutile

[76] Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’employeur a invoqué Gibson pour appuyer la proposition selon laquelle les fonctions du poste devraient être examinées à la date de l’audience. Toutefois, Gibson ne corrobore pas cette proposition.

[77] Pour comprendre Gibson, il faut tenir compte de son contexte législatif. Lorsque la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-35; la « LRTFP ») a été adoptée en 1967, les exclusions des postes de direction étaient rattachées aux personnes et non aux postes. La LRTFP a défini le terme « fonctionnaire » de façon à exclure toute personne « […] occupant un poste de direction ou de confiance ». Cette expression est également un terme défini qui signifiait « toute personne » qui exerce certaines fonctions. À la lecture stricte de la loi, une fois qu’une personne était exclue par une ordonnance de la Commission, elle le demeurait jusqu’à ce qu’une nouvelle ordonnance de la Commission soit rendue, même lorsque la personne a été mutée à un poste différent avec des fonctions différentes.

[78] L’affaire Gibson a été un cas où la Commission a dû s’attaquer à l’une des conséquences les plus absurdes de cette approche fondée sur l’employé en ce qui concerne les exclusions des postes de direction. L’employé a été nommé à un poste qui avait des fonctions de gestion. Par conséquent, la Commission a exclu cet employé de l’unité de négociation, avec le consentement de l’agent négociateur. Toutefois, l’employé a été envoyé en formation en langue française pendant plusieurs mois. L’agent négociateur a demandé à la Commission d’inclure de nouveau l’employé dans l’unité de négociation pendant sa formation en français, au motif que les cours de langue française ne sont pas une obligation de gestion. La Commission a rejeté la proposition de l’agent négociateur, expliquant ce qui suit (dans le passage cité par l’employeur) :

[Traduction]

[…]

De toute évidence, la base de l’exclusion d’une personne dépend de la question de savoir si ses fonctions et ses responsabilités satisfont ou non aux critères énoncés aux points c) à g) de la définition de « personne occupant un poste de direction ou de confiance », à l’article 2 de la Loi. Toutefois, une personne ne perd pas son statut de « personne exclue » simplement parce qu’elle ne remplit pas temporairement les fonctions et les responsabilités de son poste en raison d’une maladie, d’une formation linguistique ou d’une autre forme de congé temporaire. Si la personne concernée est le titulaire du poste dont les fonctions et les responsabilités sont à l’origine de son exclusion, elle demeure exclue de l’unité de négociation pendant de telles absences temporaires. En revanche, si la personne concernée cesse d’être titulaire de ce poste ou cesse, sauf pour une période temporaire, d’exercer les fonctions sur lesquelles son exclusion était fondée, à notre avis, elle ne conserverait pas son statut de personne exclue. En outre, si l’employeur propose un nouvel occupant pour le poste à exclure, il serait alors loisible à l’agent négociateur de formuler une objection. S’il en était autrement et qu’une personne exclue d’une unité de négociation conservait irrévocablement son statut de personne exclue simplement parce qu’il existait des motifs de son exclusion, indépendamment des fonctions qui lui ont été attribuées ultérieurement, il y aurait inévitablement au bout d’une certaine période, un nombre important de personnes, sans fonctions de gestion ou de nature confidentielle, qui seraient néanmoins exclues des unités de négociation. Ce n’était certainement pas l’intention législative des dispositions de la Loi relatives aux exclusions des postes de direction ou de confiance

[…]

[Je mets en évidence]

 

[79] Tout ce que la Commission a dit dans cet extrait, c’est qu’un fonctionnaire n’avait pas perdu son statut de personne exclue parce qu’il n’avait pas exercé temporairement ses fonctions de gestion en raison d’une absence.

[80] L’agent négociateur a demandé un réexamen de Gibson, et la Commission a confirmé sa décision (Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. Canada (Conseil du Trésor), [1977] C.R.T.F.P.C. no 5 (QL)). Dans cette décision de réexamen, la Commission a examiné le point soulevé plus tard dans l’extrait qui vient d’être cité, c’est-à-dire ce qui se passe lorsqu’un employé est transféré à un poste sans fonctions de gestion. La Commission a déclaré qu’il n’existait aucun mécanisme en vertu de la LRTFP pour permettre à un agent négociateur de demander la révocation de l’exclusion d’un employé. La Commission a laissé entendre que l’employeur pourrait avoir l’obligation de présenter cette demande (ou du moins que les agents négociateurs disposent d’outils pour irriter l’employeur au point celui-ci voudrait le faire), mais qu’il n’y avait aucun mécanisme juridique permettant à un agent négociateur d’annuler une exclusion, même si l’employé est transféré à un nouveau poste.

[81] Le législateur a résolu ce problème dans la Loi sur la réforme de la fonction publique (L.C. 1992, ch. 54, art. 32) en passant de l’exclusion des employés au libellé actuel de l’exclusion des occupants de certains postes. La Loi exclut également les occupants des postes de direction, ce qui signifie que lorsqu’un employé quitte un poste exclu, son exclusion ne l’accompagne pas.

[82] Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’employeur a invoqué Gibson pour appuyer la proposition selon laquelle les fonctions du poste devraient être examinées à la date de l’audience. La Commission traitait d’une question très différente, dans un régime juridique différent.

[83] D’autres décisions de la Commission portent sur la question de savoir à quelle date les fonctions devraient être examinées. En guise de contexte, la Commission avait l’habitude de nommer des agents appelés « examinateurs » pour exercer certaines fonctions en son nom. L’une de ces fonctions était d’examiner les demandes d’employeurs visant à exclure les employés (ou, après 1992, les postes) d’unités de négociation. Comme l’indique le texte principal de l’époque, Collective Bargaining in the Public Service : The Federal Experience in Canada (1983), de Finkelman et Goldenberg, à la page 47 :

[Traduction]

Si les parties sont incapables de résoudre la question […] la Commission nomme un examinateur, un fonctionnaire de la Commission, pour enquêter sur les fonctions et les responsabilités de la personne concernée et en faire rapport à la Commission. L’examinateur tente habituellement de servir de médiateur entre les parties. S’il n’est pas en mesure d’amener les parties à une entente, il tient une audience en présence des deux parties et prépare un rapport. Le rapport ne fait que présenter des faits; il ne contient ni conclusions ni recommandations. Le registraire en fait parvenir une copie à chacune des parties et leur donne l’occasion de faire des observations sur l’exactitude du rapport ou sur les conclusions que la Commission devrait tirer à la lumière du rapport. Ils peuvent le faire par écrit, ou l’une ou l’autre des parties peut demander une audience devant la Commission relativement au rapport.

 

[84] L’approche de la Commission consistait à examiner les fonctions exercées [traduction] « au moment de l’examen »; voir Conseil national de recherches du Canada c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, non publiée (11 février 1977; dossier de la Commission 172-09-238) à l’alinéa 5 et Conseil du Trésor c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, non publiée (le 20 juillet 1978; dossier de la Commission 172-02-262), au par. 38.

[85] Toutefois, dans ces cas, la question n’était pas de savoir s’il y avait eu un changement dans les fonctions entre la date de la demande, la date de l’examen ou la date de l’audience. La question était de savoir si les fonctions du poste étaient telles qu’elles étaient énoncées dans la description de travail. La Commission a adopté l’approche commune à l’ensemble des commissions des relations de travail canadiennes, qui consiste en l’examen des fonctions réelles exercées et non des fonctions qui pourraient être exécutées en fonction d’une description de travail. Même si l’utilisation des fonctions à la date de l’examen était analogue à l’utilisation des fonctions à la date de l’audience (ce dont je ne suis pas convaincu), la Commission n’a pas examiné spécifiquement la question soulevée dans le présent cas. En outre, la Commission a cessé de faire appel à des examinateurs il y a plus de 20 ans. Je ne crois pas pouvoir tirer de conclusions de l’approche adoptée par la Commission dans les années 1970, étant donné qu’elle n’utilise plus d’examinateurs.

[86] Enfin, je fais remarquer que, dans Conseil du Trésor c. Association des juristes de justice, 2020 CRTESPF 3, l’employeur a déposé sa demande d’exclusion en 2015 et que la Commission a entendu l’affaire pendant deux jours en juillet et septembre 2017. La Commission a examiné les éléments de preuve d’une réorganisation effectuée en avril 2017 pour trancher cette affaire. Aucune des parties n’a contesté ces éléments de preuve postérieurs à la demande, et la Commission n’a pas précisé s’ils étaient pertinents. Étant donné que la Commission n’a pas expressément examiné cette question, je ne peux en tirer aucune conclusion.

[87] Pour ces motifs, je conclus que les décisions antérieures de la Commission sont inutiles pour résoudre cette question.

2. D’autres commissions des relations de travail examinent les fonctions à la date de la demande

[88] D’autres commissions des relations de travail du Canada ont examiné cette question de façon plus explicite. Il existe une tendance selon laquelle les commissions des relations de travail examinent les fonctions d’un poste à la date de la demande de leur exclusion d’une unité de négociation et non à la date de l’audience. Même si certains cas font exception à cette approche, ce sont des cas particuliers et d’autres commissions des relations de travail les considèrent comme tels.

a. Le CCRI

[89] L’agent négociateur a cité la décision NAV Canada du CCRI à l’appui de cette proposition. Cette décision était un réexamen d’une décision antérieure du CCRI, dans laquelle le Conseil a examiné les fonctions du poste au moment de la demande. L’employeur a demandé un réexamen, alléguant que le CCRI a agi sur la base d’hypothèses et non d’éléments de preuve. Dans sa décision de réexamen, le CCRI a exposé sa façon d’aborder cette question de la façon suivante :

[…]

37 Le banc de révision n’accepte toutefois pas l’allégation de l’employeur selon laquelle le banc initial s’est appuyé sur des hypothèses. Le banc initial a conclu, après avoir examiné les tâches qui étaient exécutées à l’époque où il a rendu sa décision et les observations reçues, que les tâches principales des deux postes en cause ne comportaient pas suffisamment de fonctions de gestion pour justifier leur exclusion de l’unité de négociation. Il s’agit d’une question de fait que le banc de révision ne réexaminera pas.

38 Cette conclusion est compatible avec la politique du Conseil, qui est d’évaluer les tâches à la date à laquelle la demande a été présentée (voir Direction de l’Aéroport du Grand Moncton Inc., [1999] CCRI no 20, page 7). En fait, le banc initial a conclu que les postes correspondaient aux postes de l’unité de négociation qui avaient été éliminés dans le cadre de la restructuration de l’employeur. Il a fait observer que, si les tâches principales de gestion des deux postes devenaient plus importantes à l’avenir, il pourrait se pencher à nouveau sur la question de leur exclusion. Le fait que le banc initial a envisagé une situation hypothétique future au moyen d’une remarque incidente n’altère d’aucune façon sa conclusion sur les faits qui constituent le fondement de sa décision. […]

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[90] L’agent négociateur a également cité Swan River - The Pas Transfer Ltd., [1974] 1 Can L.R.B.R. 254 (CLRB), à l’appui de cette proposition. Toutefois, il s’agissait de déterminer si un syndicat devait être jugé sur la question de savoir s’il bénéficie du soutien majoritaire des employés qui travaillent à la date de la demande d’accréditation ou à la date de l’audience du CCRI. Cette question n’est pas la même que celle qui a été soulevée dans le présent cas, et la réponse à cette question implique des considérations très différentes. Je n’ai pas tenu compte de Swan River dans cette décision.

b. La British Columbia Labour Relations Board

[91] La British Columbia Labour Relations Board (« BCLRB ») a déclaré ce qui suit dans Saanich (District) v. Saanich Fire Fighters’ Association, Local No. 967, 2016 CanLII 66946 (BC LRB), au par. 57 : [traduction] […] j’ai conclu que l’inclusion en réponse de documents relatifs à l’exercice des fonctions par les titulaires depuis le dépôt de la demande n’était pas une réponse appropriée et que ces documents ne seraient pas examinés ».

[92] Le résultat dans ce cas a été annulé et renvoyé aux fins de réexamen pour des motifs d’équité procédurale non liés (voir Corporation of The District of Saanich v. Saanich Fire Fighters’ Association, Local No. 967, 2017 CanLII 846 (BC LRB)), et le cas a finalement été tranché par arbitrage (voir Corporation of The District of Saanich v. Saanich Fire Fighters’ Association, Local No. 967, 2017 CanLII 14032 (BC LRB)). Néanmoins, la BCLRB n’a pas fait de commentaires sur cette question en réexamen, et cela reflète l’approche de cette commission, à savoir qu’une demande d’exclusion est tranchée en fonction des tâches accomplies jusqu’à la date de la demande : voir aussi Vantageone Credit Union v. Canadian Office and Professional Employees Union, Local 378, 2017 CanLII 32145 (BC LRB) au par. 72 (les fonctions doivent avoir été [traduction] « cristallisées » avant la date de la demande) et Watson and Ash Transportation Co. and CBRT&GW, Local 100, 1987 CarswellBC 3828, au par. 26 (la BCLRB a examiné les responsabilités de l’employé [traduction] « jusqu’à la date de la présente demande »).

c. L’Alberta Labour Relations Board

[93] L’Alberta Labour Relations Board (ALRB) [traduction] « […] examine généralement les fonctions que la personne a accomplies à la date de la demande ou vers celle-ci »; voir Canadian Union of Public Employees, Local 1099 v. Bike Edmonton Society, 2022 CanLII 30338 (AB LRB), au par. 88. Dans ce cas, l’expression [traduction] « où vers celle-ci » dont il est question était de savoir s’il fallait tenir compte des fonctions seulement au moment où la demande a été présentée ou plusieurs mois avant cette date. L’ALRB a décidé de ne revenir qu’à quelques semaines (de [traduction] « fin janvier » au 7 février) pour examiner les fonctions de l’employé. Il est important de noter que l’ALRB a refusé d’examiner les fonctions à partir de la date de la demande.

d. La Commission du Travail du Manitoba

[94] La Commission du Travail du Manitoba a déclaré que [traduction] « [l]a date limite pour les éléments de preuve est la date à laquelle la demande a été déposée […] » (voir Manitoba Government and General Employees’ Union v. Southern Health - Santé Sud, 2015 CanLII 37991 (MB LB) au par. 13) et que [traduction] « la Commission a toujours utilisé la date de la demande comme date limite pour les éléments de preuve » (voir Seven Oaks General Hospital v. Manitoba Nurses’ Union, Local 72, [1995] M.L.B.D. No. 10 (QL) au par. 55). Je reviendrai plus tard à l’exception de cette approche lorsque j’aborderai Flin Flon General Hospital v. Flin Flon Nurses, Local 14 of the Manitoba Nurses’ Union (1992), 18 C.L.R.B.R. (2e) 218 (MB LB) plus tard dans la présente décision.

e. Commission du travail et de l’emploi du Nouveau-Brunswick

[95] La Commission du travail et de l’emploi du Nouveau-Brunswick a déclaré que [traduction] « […] la question critique pour l’évaluation de leurs responsabilités […] [est] la date du dépôt de la présente demande » (voir United Food and Commercial Workers of Canada, Local 1288P v. Covered Bridge Potato Chip Company, 2013 CanLII 86976 (NB LEB) au par. 15).

f. La Newfoundland and Labrador Labour Relations Board

[96] Dans I.U.O.E., Local 904 v. OIS-Fisher Inc., [2004] N.L.L.R.B.D. No 4 (QL), au par. 43, la Newfoundland and Labrador Labour Relations Board a indiqué qu’elle [traduction] « […] examinera les fonctions, les responsabilités et les activités des employés pendant la période pertinente ». Dans ce cas, la période pertinente pour deux des postes était la date de la demande de certification et la période immédiatement avant et après cette date. Pour un autre poste, la Commission a examiné les fonctions bien avant la date de l’accréditation parce que l’employé avait déménagé dans une autre usine à l’extérieur de l’unité de négociation des mois avant la demande d’accréditation, et la question de ce poste n’était pertinente qu’aux fins d’une plainte de pratique déloyale de travail et non pour savoir si le poste devait être exclu de l’unité de négociation.

g. L’approche principale de la Commission des relations de travail de l’Ontario

[97] L’approche prédominante de la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO), telle que décrite dans le texte de référence sur cette commission (Sack, Mitchell et Price, Ontario Labour Relations Board Law and Practice, 3e éd. (1997), au paragraphe 2.111), est la suivante :

[Traduction]

2.111 La politique de la Commission, qui est de déterminer si des personnes occupent des postes de direction, est d’examiner leurs fonctions et leurs responsabilités à la date de la demande et non les fonctions qu’elle avait l’intention d’accomplir à l’avenir; et la preuve des faits avant et après cette date n’est admissible que dans la mesure où elle est pertinente à cette détermination.

 

[98] La CRTO a également résumé succinctement son approche comme suit : [traduction] « Lorsqu’il s’agit d’analyser les fonctions d’une personne, la règle générale est que la Commission doit mettre l’accent sur les fonctions et les responsabilités d’une personne telles qu’elles existaient au moment de la demande »; voir Nipissing‑Parry Sound Catholic District School Board v. Canadian Office & Professional Employees Union, Local 529, 2016 CanLII 28985 (ON LRB) au par. 17.

h. Whitby General Hospital — un cas particulier de la Commission des relations de travail de l’Ontario

[99] La CRTO a modifié son approche dans un cas, Ontario Nurses' Association v. Whitby General Hospital, 1989 CanLII 3264 (ON LRB) (« Whitby »). Dans cette décision, la CRTO a reconnu que sa politique était de n’examiner les fonctions qu’à la date de la demande. Toutefois, elle a fait état de certaines préoccupations à l’égard de cette approche. J’ai cité comme suit d’importants extraits des paragraphes 18 à 25 de la décision de la CRTO, en partie parce que ses préoccupations étaient similaires aux arguments de l’employeur dans ce cas :

[Traduction]

18. Même si elle conserve de la date de présentation de la demande, la Commission reconnaît depuis longtemps les difficultés qu’elle a engendrées. En d’autres termes, la Commission doit se prononcer sur les meilleures preuves disponibles, même si elles sont peu détaillées et incomplètes : […] C’est particulièrement important lorsque la demande porte sur des postes individuels, des postes nouvellement créés ou des structures organisationnelles nouvellement réorganisées. Une conséquence très réelle est qu’il ne faut pas accorder plus de poids à de réels exemples d’exercice du pouvoir de « gestion », mais aux pouvoirs théoriques énoncés dans une affectation ou une description d’emploi […]

[…]

19. Le cas en l’espèce illustre de façon spectaculaire les problèmes qui viennent d’être signalés. La date de la demande suivie d’une période de neuf jours à peine après la création du poste d’infirmière gestionnaire, de quart et de fin de semaine. À cette date, il n’y avait pas de preuve inattendue de l’exercice de « fonctions de gestion ». Bien que la description de travail confère un pouvoir de « gestion » apparent, la preuve de l’exécution réelle des fonctions et des responsabilités à ce moment-là ne permettrait pas de justifier leur exclusion. À la date de l’examen, quatre mois plus tard, cependant, on avait eu amplement l’occasion de déterminer si de simples pouvoirs sur papier ou si le pouvoir réel avaient été conférés aux infirmières gestionnaires de quart ou de fin de semaine. La preuve a établi de façon concluante que le pouvoir était réel et qu’il avait été exercé.

20. Au moment de déterminer s’il fallait s’écarter de son utilisation antérieure à la date de la demande, la Commission doit tenir compte des divers arguments en faveur du maintien de cette date. Les observations portaient sur la certitude et la prévention des abus. La certitude quant au point auquel les éléments de preuve et les questions doivent se cristalliser n’est pas une vertu absolue et ne reflète pas l’emplacement du fardeau de la preuve. En temps normal, c’est au demandeur qu’incombe la responsabilité (sauf indication contraire de la Loi) et, par conséquent, il est habituellement indiqué de laisser au demandeur le choix de la date à laquelle la question est jointe et la preuve à produire. Toutefois, dans les demandes présentées en vertu du paragraphe 106(2), c’est la partie qui demande l’exclusion qui porte la responsabilité, quelle que soit l’identité du demandeur. De plus, si une autre date était choisie au lieu de la date de demande, cette date deviendrait « certaine » et, quel que soit le fond, l’argument de « certitude » s’appliquerait également à cette date« certaine ». Le libellé du paragraphe 106(2) n’exige pas que l’on se fie à la date de la demande; le choix, bien qu’il doive refléter les réalités des relations de travail et permettre à la Commission de s’acquitter de son obligation statutaire de déterminer le statut d’« employé » (ou de « garde ») de la ou des personne(s) en litige, incombe à la Commission. Par conséquent, les demandes présentées en vertu du paragraphe 106(2) diffèrent des demandes d’accréditation dans lesquelles la Loi stipule que la date de la demande doit être utilisée pour déterminer le nombre d’employés dans l’unité de négociation (paragraphe 7(1)). À cet égard, lorsque la détermination du statut d’employé d’une personne est essentielle au processus d’accréditation (c.-à-d. en ce qui a trait à la description de l’unité de négociation ou à la détermination du résultat de la demande compte tenu du niveau de soutien accordé aux employés), la Commission doit trancher cette question et le faire à la date de la demande d’accréditation. Toutefois, lorsque cette décision n’est pas essentielle au résultat de la demande d’accréditation, la Commission délivre un certificat final et permet de présenter une demande en vertu du paragraphe 106(2) si les parties ne peuvent pas régler leur différend par voie de négociation : Robin Hood Multi Foods Inc., [1985] Rép. OLRB, juillet 1159. L’une des conséquences pratiques de cette évolution dans la jurisprudence est que les questions de statut d’« employé », sauf dans les cas où cela est inévitable, sont dissociées de la demande d’accréditation (lorsque la date pertinente est dictée par la loi) à un point plus approprié dans la relation de négociation des parties. Cette évolution de la jurisprudence renforce les arguments à l’appui d’une date qui est appropriée pour déterminer les questions de statut d’« employé » en ce qui concerne la relation des parties, plutôt qu’un point choisi par une partie sans tenir compte de ce qui donne un sens aux relations de travail.

21. Le deuxième argument en faveur du maintien de la date de demande est que l’abus éventuel du processus sera évité si les employeurs n’ont pas la possibilité de « gonfler » les fonctions professionnelles de la ou des personne(s) en litige entre la demande et la date de l’examen afin d’assurer leur exclusion. De l’avis de la Commission, cette préoccupation ne peut résister à un examen minutieux. Comme les cas l’ont indiqué, lorsqu’il est peu possible de prouver que les fonctions sont effectivement remplies parce que la date de la demande suit de près la création d’un poste, la Commission doit davantage se fier à la description d’emploi. Pourtant, la Commission a été à juste titre réticente à considérer le pouvoir apparent décrit dans une description d’emploi comme déterminant, et la jurisprudence souligne que la détermination du statut devrait refléter l’exercice réel du pouvoir, et non les pouvoirs sur papier. Toutefois, le gel des éléments de preuve à la date de la demande réduit la probabilité d’une décision qui soit conforme à l’autorisation d’emploi réelle. Il ne faut pas se féliciter d’une telle approche. En outre, étant donné que la description d’emploi peut revêtir une importance critique dans de tels cas, l’utilisation de la date de demande peut encourager l’abus des employeurs, car il est beaucoup plus facile de concevoir une description d’emploi sur papier qui entraînerait l’exclusion de la ou des personne(s) en litige que de manipuler l’exercice effectif des fonctions de gestion suffisante pour justifier l’exclusion. Il est également beaucoup plus facile de détecter (dans le cadre du processus de preuve) un poste fictif si la Commission est en mesure de se concentrer sur l’exercice réel des fonctions de travail.

22. Dans l’ensemble, la Commission a fait référence à la date d’« interrogatoire » comme solution de rechange. En fait, l’avocat du défendeur a affirmé que la date à laquelle l’interrogatoire de chaque témoin a commencé était la plus appropriée. Vu uniquement du point de vue de l’« élément de preuve le plus récent », d’autres dates pourraient également être envisagées, comme la fin de l’enquête menée en application paragraphe 106(2) ou la fin de l’interrogatoire de chaque témoin. La Commission n’est pas convaincue qu’il soit faisable ou souhaitable d’adopter la date de fin de l’enquête en application du paragraphe 106(2) ou la conclusion (ou même la date de début) de l’interrogatoire de chaque personne contestée et/ou d’autres témoins. De l’avis de la Commission, même si l’élément de preuve le plus récent des fonctions et des responsabilités pouvait bien être le « meilleur élément de preuve » dans un sens, ces solutions de rechange soulèveraient de nombreux problèmes de procédure et de fond. Par exemple, les parties souhaiteraient sans doute rappeler les témoins précédents afin de contrebalancer les éléments de preuve présentés à l’égard d’un moment donné après le témoignage des témoins précédents. Les procédures deviendraient interminables, car l’une ou l’autre partie chercherait à prolonger les questions afin de présenter des preuves encore plus récentes à l’appui de leurs positions respectives. Ainsi, les solutions de rechange mentionnées sont peut-être des modèles purement théoriques, mais présentent des difficultés de fond et pratiques et créent une incertitude procédurale.

23. La Commission considère la date du début effectif de l’interrogatoire du premier témoin comme une solution de rechange réalisable qui permet d’équilibrer les divers intérêts concurrents. Cette date serait fixée par la Commission dans les cas où elle procède elle-même à l’interrogatoire ou par l’agent de la Commission nommé pour l’effectuer. Habituellement, les interrogatoires commencent quelques mois après la date de la demande, compte tenu des exigences du calendrier de la Commission et de celles des parties, mais ils sont terminés relativement peu de temps après. Le recours à la première date d’examen comme limite aux fins de preuve permettrait de répondre adéquatement aux problèmes de « prématurité » dont il a été question plus tôt en prévoyant une période suffisante pour laquelle évaluer les fonctions et les responsabilités réelles de la ou des personne(s) en litige. [La « prématurité » ne désigne pas seulement la difficulté créée par la dépendance forcée à l’égard du pouvoir sur papier plutôt que la preuve de l’exercice effectif des fonctions, mais aussi la perspective d’une nouvelle demande en vertu du paragraphe 106(2) une fois qu’il y aurait eu une occasion suffisante d’exercer des fonctions professionnelles. Autrement dit, la décision initiale de la Commission ne réglerait pas définitivement le différend entre les parties.] En même temps, on répondrait aux préoccupations découlant de l’emplacement du fardeau de la preuve et de l’identité du demandeur. Étant donné que la Commission fixerait la première date d’examen, les parties ne seraient pas tentées de positionner pour que les dates soient vues comme avantageuses (bien que, de l’avis de la Commission, ce genre de comportement n’aurait qu’un « avantage » minime). Toutefois, lorsque les parties veulent un ajournement du consentement à d’autres dates précises ou sur une base sine die afin de chercher à régler le différend sans litige, l’utilisation de la date à laquelle le premier interrogatoire a effectivement commencé garantirait que la Commission dispose d’éléments de preuves à jour sur lesquelles fonder sa décision sur le statut de la ou des personnes en litige sans pénaliser les accords des parties ou les efforts de règlement. La Commission n’a pas besoin de réitérer son évaluation du risque relatif d’abus entre la date de la demande et la date de l’interrogatoire; cette question a été tranchée ci-dessus.

24. Un autre argument à l’appui de la date d’interrogatoire n’a pas encore été examiné. La date de la demande est un moment tout à fait artificiel qui ne tient pas compte de la relation de négociation collective des parties ou des emplois de la ou des personnes en litige. Étant donné les faiblesses de la mémoire humaine, il est pratiquement impossible pour un individu de se rappeler avec une certaine précision quelles fonctions ont pu être exercées quelques mois plus tôt lorsque le moment pertinent est si arbitraire (du point de vue des témoins). En revanche, la date d’interrogatoire est beaucoup plus immédiate et, par conséquent, on s’attend à ce que la Commission dispose d’éléments de preuve plus fiables qui lui permettent de s’acquitter de son mandat prévu par la loi. Dans la présente décision, par exemple, la transcription est remplie de réponses qui révèlent l’incertitude considérable des témoins (qui ont témoigné à la fin de mars 1988) quant à savoir si des fonctions particulières avaient été exercées avant le 4 novembre 1987 (comme la demande a été déposée le 3 novembre), alors que les témoins étaient certains que les fonctions particulières avaient été exercées.

25. En résumé, aux fins de la preuve, la Commission estime que la date d’interrogatoire (c.-à-d. le jour où commence effectivement l’interrogatoire du premier témoin) est le point optimal qui permet d’établir un équilibre entre les diverses considérations liées aux relations de travail. Cette date fournit une mesure de certitude sans créer de ce fait un problème de prématurité. Toute dissonance entre l’emplacement du fardeau de la preuve et l’identité du demandeur est atténuée. La décision de la Commission sur la question du statut peut refléter l’exercice réel des responsabilités professionnelles plutôt que le pouvoir évident et, par conséquent, réduire la probabilité d’abus de la part des employeurs. L’utilisation d’une date plus proche que la date de la demande élimine l’incidence de cette dernière date arbitraire sur la mémoire des témoins et, par conséquent, génère des éléments de preuve plus fiables. Le fait d’utiliser la date d’interrogatoire comme date limite permet aussi facilement aux parties d’ajourner leur consentement et d’effectuer des efforts de règlement et fournit toujours des éléments de preuve à jour sur lesquelles la Commission peut évaluer la situation. L’avocat du défendeur a soutenu que la date d’interrogatoire devrait être adoptée comme point limite de preuve pour toutes les demandes présentées en vertu du paragraphe 106(2). De l’avis de la Commission, la présente demande porte sur un poste nouvellement créé et l’analyse de la Commission porte sur ces circonstances. Il n’est pas nécessaire de résoudre la question plus vaste dans le contexte de la présente demande.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[100] Je répondrai aux préoccupations pratiques ou stratégiques soulevées par la CRTO dans ce passage quant au fait qu’un employeur puisse « gonfler » les fonctions plus tard dans ma décision. Mais à ce stade, je vais souligner trois choses au sujet de Whitby.

[101] Premièrement, la CRTO n’a pas admis d’éléments de preuve à la date de l’audience, mais à la date de l’interrogatoire. Cette approche est la même que celle adoptée par la Commission avant qu’elle cesse de faire appel aux interrogateurs il y a plus de 20 ans. Comme je l’ai déjà expliqué, un interrogatoire n’est pas la même chose qu’une audience, et j’ai de la difficulté à comparer un interrogatoire à une audience — surtout qu’un interrogatoire a lieu très peu de temps après une demande (dans Whitby, environ quatre mois), alors qu’une audience peut avoir lieu des années après la présentation d’une demande.

[102] Deuxièmement, la CRTO a déclaré qu’elle n’avait modifié son approche que lorsque le poste a été créé. Dans ce cas, le syndicat a déposé une demande d’accréditation, ce qui a déclenché la nécessité de décider immédiatement quels postes devraient être exclus de l’unité de négociation. Les auteurs d’Ontario Labour Relations Board Law and Practice confinent Whitby à des postes nouvellement créés.

[103] D’autres commissions du travail ont examiné les cas où un employeur a demandé d’exclure un nouveau poste d’une unité de négociation déjà existante en exigeant de l’employeur qu’il attende un certain temps (comme six mois) avant de présenter sa demande, à ce moment où la preuve est gelée; voir Health Sciences Association of Alberta v. Misericordia Hospital, [1995] Alta. L.R.B.R. 533 au par. 26, et Flin Flon General Hospital v. Flin Flon Nurses, Local 14 (1992), 18 C.L.R.B.R. (2e) 218 (MB LB) – bien que dans Flin Flon, comme c’était la première fois que la Commission du Travail du Manitoba formulait cette règle, elle a permis les éléments de preuve pour une période de six mois à compter de la date de création du poste (c’est-à-dire quatre mois avant la demande et deux mois après).

[104] Le présent cas ne porte pas sur des postes nouvellement créés; même si c’était le cas, il existe des moyens de régler ce problème autrement que de permettre des éléments de preuve postérieurs à la demande.

[105] Troisièmement, Whitby est un cas particulier. Je n’ai connaissance que de sept cas où il est cité, et la plupart d’entre eux ne le suivent pas. Par exemple, l’ALRB l’a cité dans Misericordia Hospital et ne l’a pas suivi. Comme autre exemple, la CRTO l’a cité dans Canadian Blood Services v. Ontario Nurses’ Association, Local 074, 2013 CanLII 28255 (ON LRB), mais seulement pour justifier la présentation, par un employeur d’une deuxième demande d’exclusion d’un poste environ six mois après la création du poste (après une demande immédiatement après sa création), sans quoi l’agent négociateur aurait pu faire valoir que les éléments de preuve devraient être gelés à la date de la première demande.

[106] En Ontario, l’approche prédominante demeure d’utiliser la date de la demande comme seuil pour la présentation d’éléments de preuve sur les fonctions d’un poste.

i. Approche des commissions des relations de travail de la Nouvelle-Écosse et de la Saskatchewan

[107] L’approche adoptée en Nouvelle-Écosse et en Saskatchewan a été exposée plus clairement dans Canadian Union of Public Employees, Local 4406 v. Board of Governors of Saint Mary’s University, 2001 CanLII 59708 (NS LRB) (« Saint Mary’s University »), au par. 6, comme suit :

[Traduction]

6 […] Nous serons clairs : la Commission souhaite en principe déterminer la nature du poste à la date de la demande, mais dans des circonstances exceptionnelles, elle peut être disposée à entendre des éléments de preuve sur ce que les titulaires ont fait après la date de la demande si elle aide rétrospectivement à clarifier la nature du poste (comme définie au départ). Il s’agit là d’un cas exceptionnel, mais les exceptions ne doivent pas être autorisées à avaler la règle à l’avenir, et la Commission sera sans doute vigilante dans cette affaire.

[Je mets en évidence]

 

[108] La Saskatchewan Labour Relations Board a récemment adopté cette approche dans United Steel, Paper and Forestry, Rubber, Manufacturing, Energy, Allied Industrial and Service Workers International Union v. Davidson (Town), 2023 CanLII 62778 (SK LRB), dans laquelle elle a cité ce passage avec approbation et a ensuite déterminé qu’il n’était pas nécessaire d’avoir des éléments de preuve postérieurs à la demande pour clarifier rétroactivement les fonctions du poste en question (dans ce cas, le poste de contremaître de ville).

j. Conclusion sur l’approche adoptée dans d’autres administrations : les éléments de preuve postérieurs à la demande ne sont admissibles que s’ils clarifient rétrospectivement la nature du poste

[109] À mon avis, l’approche de la Nouvelle-Écosse et de la Saskatchewan résume le mieux l’approche prédominante adoptée par les commissions des relations de travail à cet égard. Dans toute demande d’exclusion, il s’agit de déterminer si le poste comportait des fonctions de gestion à la date de la demande. Les éléments de preuve postérieurs à la demande sont pertinents pour déterminer cette question seulement lorsque quelque chose qui se produit après la demande aide à éclairer les fonctions exercées au moment de la demande.

[110] Cette approche est utilement démontrée dans Saint Mary’s University. Au moment de la demande d’accréditation, les employés qui occupaient les postes proposés aux fins d’exclusion n’occupaient leur emploi que depuis peu. Dans les mois qui ont suivi la demande, ils se sont développés dans leurs emplois. Par conséquent, les éléments de preuve postérieurs à la demande ont été utiles pour éclairer rétrospectivement les véritables fonctions du poste : les fonctions n’ont pas changé, mais la confiance des employés dans l’exercice de toutes leurs fonctions a augmenté.

3. Autres raisons d’adopter l’approche selon laquelle les éléments de preuve postérieurs à la demande ne sont admissibles que s’ils clarifient rétrospectivement la nature du poste

[111] J’ai quatre autres raisons d’adopter l’approche selon laquelle les éléments de preuve postérieurs à la demande ne sont admissibles que s’ils clarifient rétrospectivement la nature du poste.

[112] Premièrement, j’ai examiné la Loi et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »). La Loi n’est pas utile pour décider de cette approche. La Loi utilise l’indicatif présent pour décrire les exclusions de gestion : l’employeur peut demander une ordonnance selon laquelle un poste « est un poste » (par. 71(1)) qui devrait être exclu, et la Commission doit décider si le poste « est un poste » (par. 74(1)) qui devrait être exclu, mais l’utilisation de l’indicatif présent est simplement une convention de rédaction; ce temps de verbe peut faire référence au passé ou au futur, et je ne peux attacher aucune importance à son utilisation : voir la Loi d’interprétation (L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 10), et Sullivan, The Construction of Statutes, 7e éd. (2022), à la section 25.09[6].

[113] Le Règlement, en revanche, est utile. L’article 33 exige que l’employeur fournisse des détails sur les postes qu’il cherche à exclure, y compris (pour les postes exclus en vertu de l’al. 59(1)h) de la Loi) les postes pour lesquels les fonctions et les responsabilités de l’occupant sont censées être de confiance. L’article 34 exige alors que l’agent négociateur expose les motifs de son objection s’il s’oppose à la demande de l’employeur. Il serait impossible pour un agent négociateur de déposer de façon utile les motifs de ses objections si les éléments de preuve qui constituent le fondement de la demande de l’employeur changent après le dépôt de la demande. Le refus de l’admission d’éléments de preuve postérieurs à la demande (autres que des éléments de preuve rétrospectifs) est plus conforme au Règlement.

[114] Deuxièmement, cette approche découragera les parties de déposer des demandes spéculatives dans l’espoir que les fonctions d’un poste changent entre la date du dépôt et l’audience éventuelle. Cette approche évite également qu’une demande soit tranchée différemment en fonction des caprices des horaires de la Commission et des parties uniquement.

[115] Troisièmement, je suis d’accord avec l’agent négociateur pour dire que cette approche élimine la tentation pour un employeur de modifier les fonctions d’un poste avant une audience afin d’obtenir un avantage tactique lors de cette audience. D’autres commissions des relations de travail ont fait part de leur inquiétude quant au fait qu’un employeur « gonfle » les fonctions d’un emploi peu avant l’audience afin de l’exclure de l’unité de négociation. Je ne suis pas d’accord avec la conclusion de la majorité des membres de la CRTO dans Whitby selon laquelle ces préoccupations ne peuvent résister à l’examen minutieux — à mon avis, la préoccupation est évidente.

[116] Dans Whitby, la CRTO s’inquiétait particulièrement de la trop grande dépendance à l’égard des descriptions de travail pour les nouveaux postes. La plupart des demandes dans cette administration ne portent pas sur de nouveaux postes; cependant, même si c’était le cas, on peut surmonter la dépendance excessive à l’égard des descriptions de travail si un employeur attend simplement quelques mois avant de déposer sa demande (comme c’est le cas en Alberta et au Manitoba).

[117] Un grand nombre des autres cas de commissions des relations de travail qui parlent de l’inquiétude quant aux fonctions « gonflées » concernent une demande d’exclusion d’un poste dans une unité de négociation en même temps qu’une demande d’accréditation. Dans les cas d’accréditation, il y a un autre méfait dont les commissions des relations de travail ont dû se méfier, à savoir la réduction des fonctions après la demande d’accréditation, de sorte qu’un employé du côté de la direction soit dans l’unité de négociation pour voter contre l’accréditation du syndicat.

[118] Je reconnais que la réduction des fonctions d’emploi pour priver un groupe d’employés de leurs droits prévus par la loi et de leur droit d’association garanti par la Charte canadienne des droits et libertés (adoptée en tant qu’annexe B de la Loi canadienne de 1982, 1982, ch. 11 (Royaume-Uni); la « Charte ») est pire que de gonfler les fonctions d’un emploi pour priver un seul employé de son droit d’association garanti par la loi et par la Charte. Néanmoins, le risque de gonflement demeure préoccupant et peut toujours priver un (ou, dans ce cas, cinq) employé de son droit d’association garanti par la loi et par la Charte.

[119] Je veux qu’il soit bien clair que rien dans le présent cas ne porte à croire que l’employeur a « gonflé » les fonctions de ces postes pour l’aider à gagner cette demande. Je ne sous-entends pas que l’employeur l’ait fait, pas plus que l’agent négociateur. Je ne m’inquiète pas du fait que l’employeur ait gonflé les fonctions dans ce cas-ci. Je crains qu’un employeur ne soit tenté de gonfler des fonctions à l’avenir. Adopter l’approche selon laquelle les éléments de preuve postérieurs à la demande ne sont admissibles que s’ils clarifient rétrospectivement la nature du poste élimine cette tentation.

[120] Quatrièmement, l’examen des éléments de preuve postérieurs à la demande pourrait nuire à l’employeur, et pas seulement à l’agent négociateur. Comme l’a dit le Conseil des normes de travail de la Nouvelle-Écosse dans Canadian Union of Public Employees, Local 1082 v. Saint Vincent’s Nursing Home, 2008 CanLII 92039 (LRB NS) aux paragraphes 38 et 39 :

[Traduction]

[38] […] Le Conseil, dans Re St Mary’s University, supra, a fait remarquer au par. 4 qu’il craignait que les employeurs ne soient pas en mesure « gonfler« ou « réduire » les fonctions d’emploi à la suite d’une demande afin de « fausser ou de manipuler les éléments de preuve aux fins de l’instance pour obtenir le résultat souhaité ». Même si ce commentaire s’adresse à un employeur, le même type de préoccupation peut exister dans le cas des employés occupant des postes de direction qui cherchent (avec l’aide du syndicat) à être inclus dans une unité de négociation. Autrement dit, le fait qu’un employé occupant un poste de direction n’exerce pas souvent une fonction de gestion particulière, ou encore néglige ou refuse d’exercer cette fonction ne justifie pas à lui seul une conclusion selon laquelle l’employé ne peut plus occuper un poste de direction.

39. Nous faisons cette observation parce qu’il y a des éléments de preuve, que le Conseil accepte, selon lesquels depuis l’arrivée de Mme Psiuk et plus particulièrement depuis le dépôt de la présente demande, les superviseurs ont « reculé » devant certaines de leurs responsabilités traditionnelles. […] La preuve de telles actions a fait en sorte que le Conseil devait équilibrer soigneusement les éléments de preuve du Syndicat pour s’assurer que les responsabilités de travail des superviseurs étaient ce qu’elles étaient réellement, plutôt que ce que les superviseurs auraient pu les laisser devenir.

 

[121] Ces quatre motifs appuient l’approche énoncée en Nouvelle-Écosse et en Saskatchewan selon laquelle les éléments de preuve postérieurs à la demande ne sont admissibles que s’ils clarifient rétrospectivement la nature du poste.

[122] Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’employeur n’a pas expliqué ce que serait la preuve d’un changement dans les fonctions depuis la décision antérieure de la Commission ni s’il s’agissait de nouvelles fonctions ou simplement d’une chose qui clarifiait rétrospectivement les fonctions existantes des postes. Par conséquent, j’aurais refusé d’admettre les éléments de preuve, car il s’agissait d’éléments de preuve postérieurs à la demande qui ne clarifiaient pas rétrospectivement la nature du poste avant la demande.

[123] Je fais remarquer que rien n’indique que les éléments de preuve que l’employeur a déposés à la première audience étaient postérieurs à sa demande d’exclusion de ces postes. Étant donné que l’agent négociateur n’a pas contesté ces éléments de preuve sur cette base à l’époque, j’ai continué de me fonder sur eux dans cette instance. Il ne faut pas croire qu’il s’agit d’un écart par rapport à ma conclusion selon laquelle les éléments de preuve des fonctions postérieures à la demande ne sont pertinents que dans la mesure où ils expliquent rétrospectivement la nature des fonctions d’un poste préalables à la demande.

[124] En résumé, les éléments de preuve proposés par l’employeur n’auraient pas été pertinents même si j’avais exercé mon pouvoir discrétionnaire pour les entendre. Les éléments de preuve portent sur un changement de fonctions postérieur à la demande et ils ne sont pas présentés afin de clarifier rétrospectivement les fonctions qui existaient à la date de la demande.

IV. Décision d’exclure les postes

[125] Comme je l’ai dit plus tôt dans l’aperçu de cette décision, j’ai décidé d’exclure les cinq postes de conseillers en SST. J’ai divisé les raisons qui m’ont poussé à le faire en trois parties. Premièrement, j’examinerai une question soulevée par les parties au sujet de l’effet de la Charte sur cette demande. Deuxièmement, j’énoncerai les principes dans l’application de l’al. 59(1)g) de la Loi. Finalement, j’appliquerai ces principes aux faits du présent cas et expliquerai pourquoi j’ai décidé d’exclure ces postes.

A. Le rôle de la Charte dans cette demande

[126] L’employeur a passé un certain temps, dans ses arguments oraux et dans la majeure partie de ses arguments écrits supplémentaires, à expliquer la mesure dans laquelle la Charte joue un rôle dans cette instance.

[127] L’argument de l’employeur est que le régime d’exclusion de la Loi est conforme aux valeurs énoncées dans la Charte. À des fins de mise en contexte, la décision initiale de la Commission (dans 2021, CRTESPF 24) cite Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, pour cette proposition :

[…]

[85] Lorsque j’exerce ce pouvoir discrétionnaire dans les affaires protégées par la Charte, en tant que décideur, je dois tenir compte des objectifs que vise la Loi. Je dois me demander comment protéger au mieux les valeurs en jeu consacrées par la Charte compte tenu des objectifs visés par la loi et mettre en balance la gravité de l’atteinte à la valeur protégée par la Charte et les objectifs que vise la loi […]

[…]

 

[128] Au contrôle judiciaire, l’employeur a soutenu que la Commission avait incorrectement appliqué les valeurs de la Charte pour rejeter les précédents pertinents. La Cour d’appel a décidé de ne pas traiter de cet argument, affirmant seulement que « […] il n’était pas clair que la manière dont la Commission a traité la question des valeurs protégées par la Charte avait eu quelque incidence sur sa décision […] (2022 CAF 204, au paragraphe 13).

[129] Au cours de sa plaidoirie, l’employeur a présenté d’autres arguments selon lesquels les exclusions des postes de direction sont conformes à la Charte. Mais, en fin de compte, il a reconnu que je n’avais pas besoin de déterminer ce point parce que son principal argument était que je devais fonder ma décision sur la jurisprudence existante de la Commission. L’agent négociateur n’était pas en désaccord avec cette approche lorsque j’ai posé des questions à ce sujet au cours de la plaidoirie.

[130] La jurisprudence actuelle de la Commission et d’autres commissions des relations de travail est que les exclusions des postes de direction devraient être traitées avec prudence parce que « […] les droits d’un employé à la représentation collective ne devraient pas être retirés inconsidérément »; voir Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2012 CRTFP 46, au par. 78 (« Agents de renseignements de sécurité »). Voir aussi Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2016 CRTEFP 84, au par. 29 (« […]l’exclusion est étroite, elle vise à protéger les droits et libertés rattachés à la convention collective pour un nombre maximal d’employés »; Centre des opérations frontalières); Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1997] C.R.T.F.P.C. no 143 (QL) au par. 28 « […] le droit d’adhésion à une unité de négociation (syndicalisation) ne devrait pas être enlevé à la légère »); Conseil du Trésor c. Association des juristes de justice, 2020 CRTESPF 3, au par. 37 (« […] je commence par la prémisse que, comme l’a soutenu l’AJJ, le droit d’adhérer à une organisation syndicale et de participer à ses affaires est non seulement protégé par la Loi (art. 5), mais aussi par la Constitution […] », confirmé dans 2021 CAF 37).

[131] Même si, pour des raisons évidentes, l’agent négociateur s’est appuyé davantage sur ce principe que l’employeur, les deux parties s’entendaient sur le fait que le principe continue de s’appliquer aux cas d’exclusion. Aucune des deux parties n’a fait état d’une différence concrète dans ce cas entre le traitement du droit à la représentation collective comme un droit garanti par la Charte plutôt qu’un droit garanti par la loi.

[132] Les parties ont présenté leur mémoire devant la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31, qui traitait du cadre Doré et a déclaré (au par. 64) que ce cadre s’applique lorsqu’une décision administrative porte atteinte de manière directe aux droits garantis par la Charte, mais aussi, dans les cas où la décision administrative ne fait que mettre en jeu une valeur sous‑tendant un ou plusieurs droits de la Charte. Toutefois, la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 66 de cette décision, que l’un des cas où un décideur doit examiner la Charte ou les valeurs qui la sous-tendent est lorsque les parties ont soulevé la question devant lui. Dans le présent cas, les deux parties ont expressément rejeté la nécessité d’examiner les droits ou les valeurs garantis par la Charte pour résoudre ce as. J’ai conclu que la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest ne m’oblige pas à traiter explicitement de la Charte face aux arguments des deux parties selon lesquels la Charte n’entre pas en jeu dans ce cas. Rien dans la présente décision ne devrait être considéré comme déterminant du rôle de la Charte dans d’autres cas d’exclusion d’une manière ou d’une autre — je refuse expressément de statuer sur ce point à la lumière de l’accord des parties selon lequel ce cas devrait être tranché selon les principes existants énoncés dans la jurisprudence antérieure, et étant donné que les parties ne sont pas en mesure de cerner une différence concrète entre le droit à la représentation collective garanti par la Charte et celui garanti par la loi dans ce cas.

[133] Enfin, la Cour suprême du Canada a entendu un appel de la décision Association des cadres de la société des casinos du Québec c. Société des casinos du Québec, 2022 CAQC 180 concernant la question de savoir si le régime d’exclusion au Québec viole la Charte. J’ai demandé aux deux parties si je devais attendre la décision de la Cour suprême du Canada avant de rendre la mienne, et les deux parties s’entendaient pour dire que je ne devrais pas le faire.

B. Principes d’application de l’alinéa 59(1)g) de la Loi

[134] L’alinéa 59(1)g) de la Loi permet à l’employeur de demander à la Commission de déclarer qu’un poste est un poste de direction ou de confiance parce que « […] le titulaire, bien que ses attributions ne soient pas mentionnées au présent paragraphe, ne doit pas faire partie d’une unité de négociation pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de ses fonctions auprès de l’employeur […] ». Ainsi, l’alinéa 59(1)g) comporte les trois éléments suivants :

1) les attributions ne doivent pas être mentionnées au par. 59(1); et

2) les attributions doivent donner lieu à un conflit d’intérêts; ou

3) il y a d’autres raisons d’exclure le poste en fonction de ses fonctions et de ses responsabilités.

 

1. Premier élément : les attributions ne doivent pas être mentionnées au paragraphe 59(1)

[135] Le premier élément de l’alinéa 59(1)g) signifie que cette disposition est une clause résiduelle. Avant de revenir à l’alinéa 59(1)g), la Commission doit être convaincue que le poste ne devrait pas être exclu en application d’un autre alinéa de la Loi. Comme l’a dit la Commission au paragraphe 76 de la décision Agents des renseignements de sécurité, « [l]e but manifeste de cet alinéa est de permettre à la CRTFP de prendre en compte des situations qui ne correspondent à aucune des justifications habituelles pour exclure un poste d’une unité de négociation ».

[136] Les parties ont fourni deux exemples de cette approche. Premièrement, dans Régie de l’énergie du Canada c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2020 CRTESPF 120, au par. 132, la Commission rejeté une demande d’exclusion de plusieurs postes en application de l’alinéa 59(1)g) de la Loi parce que « [l]a preuve présentée n’a révélé aucune situation qui ne pouvait être prise en compte selon les critères d’exclusion habituels prévus au par. 59(1)g) de la Loi. Par conséquent, les demandes ne peuvent être accueillies en vertu de cette disposition ». Deuxièmement, et en comparaison, dans Conseil du Trésor (ministère de la Justice) c. Association des Juristes de Justice, 2020 CRTESPF 59 (confirmée dans 2021 CAF 87; « Centre du droit à l’information et à la protection des renseignements personnels »), la Commission a exclu un poste de conseiller juridique puisqu’il ne fournissait pas de conseils sur les « relations de travail » (et n’était donc pas exclu en application de l’alinéa 59(1)c) de la Loi), mais a exclu le poste en application de l’alinéa 59(1)g) parce que les conseils sur le droit à la protection des renseignements personnels « touchent les relations de travail » (paragraphes 39 et 43), ce qui justifiait l’exclusion de l’avocat le plus haut placé de cette unité.

[137] L’agent négociateur dans le présent cas a soutenu que ce premier principe signifie que l’alinéa 59(1)g) doit être lu de façon étroite pour ne pas saisir les postes dont les fonctions sont semblables aux types de fonctions exclus en vertu des autres alinéas du paragraphe 59(1). Je suis favorable à cet argument, de façon purement textuelle, pour interpréter le paragraphe 59(1) suivant la règle expressio unius est exclusio alterius (la mention de l’un implique l’exclusion de l’autre). Toutefois, la Cour d’appel fédérale a expressément examiné et rejeté cet argument aux paragraphes 8 et 9 de la décision Centre pour l’information et la protection des renseignements personnels. Même si, techniquement, tout ce que la Cour d’appel fédérale a fait dans ce cas était d’affirmer que la décision de la Commission de rejeter cet argument était raisonnable (et, parfois, il y a deux façons raisonnables d’interpréter une loi), je n’ai pas été convaincu que je devrais m’écarter de cette récente décision de la Cour d’appel fédérale directement sur cette question. Comme je l’ai dit à l’agent négociateur au cours de l’argumentation orale, j’aime l’argument, mais j’aime mieux le stare decisis.

[138] Même si l’employeur avait initialement proposé d’exclure ces postes en vertu de l’alinéa 59(1)h), la Commission a rejeté cette demande et cette décision n’a pas été perturbée lors du contrôle judiciaire. Les attributions de ces postes ne sont donc pas mentionnées au paragraphe 59(1), et je me pencherai donc sur les autres aspects de l’alinéa 59(1)g).

2. Conflit d’intérêts ou autres motifs fondés sur les fonctions du poste

[139] Les deuxième et troisième éléments sont deux façons dont un poste peut relever de la portée de l’alinéa 59(1)g). Dans Agents des renseignements de sécurité, la Commission a expliqué en détail ces deux éléments comme suit :

[…]

67 Comme l’avocat du demandeur l’a reconnu lorsqu’il m’a soumis un grand nombre de décisions interprétant des variantes de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP, apparues successivement dans la législation, ces décisions fournissent peu d’indications quant aux critères à utiliser pour déterminer si un poste relève de cet alinéa.

[…]

69 L’alinéa 59(1)g) de la LRTFP est une disposition générique qui semble destinée à englober les situations pour lesquelles exclure un employé peut être justifié par un motif, parmi un large éventail, qui ne figure pas dans les descriptions plus précises des autres alinéas. Le terme « conflit d’intérêts » peut signifier soit que le conflit doit être constaté en examinant les fonctions et les obligations dont s’acquitte l’employé de façon générale (plutôt qu’en se référant à l’exercice précis de tout pouvoir de direction ou de décision ou d’une fonction reliée aux relations de travail) ou que la caractéristique particulière du poste qui donne lieu au conflit d’intérêts n’est pas visée par les autres alinéas parce qu’il est impossible de prévoir tous les cas où un conflit peut survenir au moment de rédiger une loi.

70 Le deuxième motif d’exclusion du poste d’un titulaire en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP – « […] ses fonctions auprès de l’employeur […] » – est encore moins limitatif. Cette description confère à la CRTFP un pouvoir discrétionnaire très large pour exclure un employé sur la base d’aspects de ses fonctions et de ses responsabilités et pour demander aux arbitres de grief de considérer avec soin, en vertu de cet alinéa, les relations globales entre le poste et les intérêts du demandeur. Dans ce contexte, il n’est peut-être pas surprenant que la jurisprudence ne soit pas parvenue à articuler un ensemble de critères clairs pour l’application de cette disposition. Dans Gestrin et Sunga, l’ancienne Commission avait émis l’hypothèse que l’ancienne version de cette disposition devait exiger que l’on détermine si un employé faisait partie de l’équipe de gestion. Dans des cas ultérieurs, comme Andres et Webb, on avait conclu que le concept d’équipe de gestion ne pouvait rendre compte de tous les conflits d’intérêts pouvant justifier l’exclusion en vertu de cette disposition et que les arbitres de grief devraient examiner la question de manière plus générale. Bien que les décisions qui m’ont été soumises traitent souvent des concepts d’« équipe de gestion » et de « conflit d’intérêts », qui sont considérés comme étant étroitement reliés et comme faisant partie d’une approche globale pour évaluer un poste, elles apportent peu d’éclaircissements en matière de définition ou de critères pour effectuer une telle évaluation. À dire vrai, puisque cette disposition semble avoir été conçue pour servir de clause passe-partout conférant à la CRTFP un champ d’application étendu pour considérer l’exclusion de postes peu communs et qui ne peuvent être prévus, on ne devrait pas attendre de la CRTFP qu’elle entrave son pouvoir discrétionnaire en tentant de fournir une définition plus restrictive de sa tâche.

71 À de nombreuses occasions, les arbitres de grief ont conseillé la prudence lorsqu’il s’agit de déterminer si un poste devrait être exclu d’une unité de négociation. La perte de la protection de l’agent négociateur et des bénéfices découlant d’une convention collective peut avoir des répercussions importantes sur un employé. Ces avantages ne devraient pas être retirés inconsidérément ».

72 D’un autre côté, dans certaines circonstances, inclure un employé dans une unité de négociation peut compromettre l’efficacité de cet employé dans l’exercice de fonctions essentielles pour le demandeur. Il ressort de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP que les raisons permettant de conclure à l’existence de ce risque peuvent comprendre des facteurs qui ne sont pas pris en compte d’ordinaire. S’il est conclu qu’il y a une incompatibilité fondamentale entre les fonctions d’un employé et son inclusion dans une unité de négociation, le poste de l’employé peut légitimement être exclu.

[…]

76 L’alinéa 59(1)g) de la LRTFP m’accorde un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer si un poste devrait être exclu. Bien entendu, je ne peux tout bonnement retirer le poste de l’unité de négociation sans justification. Je partage l’avis de l’avocat du demandeur à savoir que la jurisprudence invoquant cet alinéa ou les dispositions qui l’ont précédé n’a pas apporté de définition claire de l’éventail de circonstances dans lesquelles il peut s’appliquer. Le but manifeste de cet alinéa est de permettre à la CRTFP de prendre en compte des situations qui ne correspondent à aucune des justifications habituelles pour exclure un poste d’une unité de négociation. Par conséquent, il n’est pas surprenant qu’aucune description précise des circonstances visées par cet alinéa n’ait été produite. Normalement, le recours à cette disposition législative devrait être restreint, et elle ne devrait être jugée applicable que dans des situations inhabituelles.

[…]

79 L’emploi du mot « ou » à l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP donne à penser qu’il y a une distinction entre les circonstances qui seraient considérées comme donnant lieu à un conflit d’intérêts et celles qui justifieraient l’exclusion du poste d’un titulaire « […] en raison de ses fonctions auprès de l’employeur […] ». Il est plutôt difficile d’analyser le genre d’incompatibilité que je perçois entre les fonctions de l’ARS et son appartenance à l’unité de négociation sans la qualifier de conflit d’intérêts, mais je pense que le poste d’ARS pourrait être exclu en vertu de l’une ou l’autre de ces descriptions. […]

[…]

 

[140] Comme on peut le voir d’après le texte immédiatement cité, il n’y a pas de critère clair que je puisse appliquer pour décider de ce cas. J’ai « un pouvoir discrétionnaire très large » (paragraphe 70) ou « un pouvoir discrétionnaire considérable » (paragraphe 76), et il n’y a pas de « […] définition ou de critères pour effectuer une telle évaluation » (paragraphe 70).

[141] En ce qui a trait à la section des conflits d’intérêts de l’alinéa 59(1)g), l’employeur s’est fondé sur Atkins c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), dossier de la Commission 166-02-889 (19740321) et Assh c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 358, pour faire valoir qu’un conflit d’intérêts survient lorsqu’une personne raisonnable estimerait qu’il existe une possibilité réaliste que l’inclusion du poste dans l’unité de négociation puisse influer sur l’exécution de ses fonctions officielles de l’employé. L’agent négociateur a plutôt soutenu qu’il devait y avoir des preuves d’un conflit d’intérêts réel. L’agent négociateur a établi une analogie avec la catégorie de cas liés aux « pouvoirs de direction » d’autres commission des relations de travail dans le traitement des exclusions, citant en particulier NorthwesTel Inc., 2007 CCRI 377 au par. 15. Ces cas stipulent que, pour exclure un poste parce qu’il est « de direction », il faut prouver que le poste a effectivement exercé un véritable pouvoir de gestion. L’agent négociateur a soutenu que, de même, il doit y avoir des preuves d’un conflit d’intérêts réel et pas seulement le potentiel d’un conflit d’intérêts.

[142] Je n’ai adopté aucun de ces deux critères proposés.

[143] J’ai rejeté l’argument de l’agent négociateur selon lequel il doit y avoir un conflit d’intérêts réel parce que cette Commission a déjà accepté qu’un conflit d’intérêts potentiel soit suffisant pour exclure un poste de l’unité de négociation; voir Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1997] C.R.T.F.P.C no 143 (QL) (« Andres et Webb ») au par. 28. Récemment, dans Conseil du Trésor c. Fédération de la police nationale, 2023 CRTESPF 110, la Commission a également cité avec approbation la décision dans Cowichan Home Support Society v. U.F.C.W., Local 1518, [1997] B.C.L.R.B. No 2. 8 (QL), indiquant :

115. Ces facteurs sous-tendent la raison d’être de l’exclusion, soit le conflit d’intérêts. Conformément à ce qui a été indiqué à l’origine dans Burnaby […] le conflit d’intérêts qui est au cœur du système de négociation collective est « un conflit d’intérêts potentiel ». Il n’est pas nécessaire d’établir un conflit réel. Ce conflit d’intérêts découle directement d’un examen objectif des responsabilités et du pouvoir réels de la personne concernée. […]

 

[144] J’ai aussi deux préoccupations pratiques concernant l’approche de l’agent négociateur. Premièrement, les cas exigeant une preuve claire de l’exercice du pouvoir de direction portent sur le fait qu’un employeur chercherait à exclure un poste de l’unité de négociation en accordant un pouvoir de direction à un employé sur papier, mais que ce pouvoir n’est jamais exercé en pratique. Si un employé a un véritable pouvoir de direction, on s’attendrait à ce qu’il soit exercé régulièrement. Les conflits d’intérêts, en revanche, peuvent être moins fréquents et on peut facilement voir comment le potentiel d’un conflit ne se manifeste pas de façon régulière dans un conflit réel.

[145] Deuxièmement, je suis aussi préoccupé par les répercussions pratiques de l’adoption de la position de l’agent négociateur selon laquelle un conflit d’intérêts exige la preuve d’un conflit d’intérêts réel par opposition au risque d’un conflit d’intérêts réel. L’agent négociateur a fait valoir qu’il n’y avait aucune preuve et même aucune probabilité qu’un employé compromette sa carrière en donnant de mauvais conseils à la direction. Cependant, le problème n’est pas seulement de donner de mauvais conseils, mais de donner des conseils dans les cas où deux approches raisonnables d’une question sont utilisées. Le souci est que dans ces cas, un employé peut « ménager l’adversaire » — ce que, comme l’agent négociateur a dû admettre lors de la plaidoirie, l’employeur ne pourrait jamais réussir à prouver.

[146] Toutefois, j’ai également rejeté la qualification par l’employeur du critère approprié — en particulier, j’ai rejeté le critère de crainte raisonnable de conflit d’intérêts.

[147] Le critère de crainte raisonnable d’un conflit d’intérêts découle de la décision Threader c. Canada (Conseil du Trésor), 1986 CanLII 6861 (CAF), citée dans Assh, au par. 31. Il s’agissait de savoir si un fonctionnaire pouvait être sanctionné pour avoir semblé être en conflit d’intérêts. La Cour d’appel fédérale a tranché cette question par l’affirmative. Toutefois, les motifs de cette décision avaient deux volets. Premièrement, les lignes directrices sur les conflits d’intérêts en vigueur à l’époque interdisaient expressément l’apparence d’un conflit d’intérêts (et non pas seulement d’un conflit d’intérêts réel), et la Cour a conclu que ces lignes directrices avaient [traduction] « force de loi » (à la page 48). Deuxièmement, la Cour a conclu qu’il était nécessaire d’autoriser les fonctionnaires à comparaître en cas de conflit d’intérêts pour maintenir la confiance du public dans une fonction publique impartiale et efficace (à la page 53).

[148] En revanche, la Loi n’utilise pas l’expression « crainte de conflit d’intérêts » ou toute expression similaire. De plus, l’alinéa 59(1)g) de la Loi ne vise pas à préserver la confiance du public dans une fonction publique juste et impartiale. Il s’agit de préserver l’équilibre approprié entre la partie patronale et la partie syndicale. Comme l’a dit récemment la Commission dans Fédération de la police nationale, au par. 198, « [l]’objet relatif aux conflits d’intérêts des exclusions doit être situé dans le contexte de l’objet global de la négociation collective ».

[149] Enfin, le critère de crainte raisonnable tel qu’il est énoncé dans Threader a été emprunté au critère pour déterminer la partialité d’un décideur administratif dans Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 SCR 369, qui décrivait le critère à la page 394 comme suit : « […] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet ». Le but de ce critère de partialité est d’assurer la confiance du public dans le système de justice. Comme je l’ai dit plus tôt, le régime d’exclusion de la Loi sert un autre but. J’ai donc choisi de ne pas orienter ce critère vers les opinions exprimées par des « personnes sensées et raisonnables ».

[150] La Commission, dans Alliance de la Fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor (Commission de la fonction publique), [1985] C.R.T.F.P.C no 51 (QL) a fait un point similaire lorsqu’elle a refusé d’exclure certains vérificateurs de l’unité de négociation, en précisant ce qui suit au par. 36 : « Il s’agit ici de déterminer le risque de conflit d’intérêts, non pas en se fondant sur l’opinion d’un vérifié, mais sur celle que se fait la Commission à partir de tous les faits pertinents. ». Autrement dit, le risque de conflit d’intérêts n’est pas jugé par une « personne raisonnable et sensée », mais par la Commission qui utilise son expertise en relations de travail.

[151] Pour ces motifs, le critère du volet lié au conflit d’intérêts de l’alinéa 59(1)g) de la Loi est de savoir si l’employeur a démontré un conflit d’intérêts suffisamment concret, réel ou potentiel, pour justifier la limitation du droit d’un employé à la négociation collective.

[152] J’ai examiné la décision de ma collègue dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2024 CRTESPF 10 (« Enquêteurs ASS ») rendue peu avant cette décision. Je suis entièrement d’accord avec les principes énoncés aux paragraphes 88 à 93 de cette décision, et le critère que j’ai exposé tout de suite ci-dessus est compatible avec cette décision. Je suis également d’accord avec ce que ma collègue a dit au paragraphe 97 de cette décision, à savoir que le raisonnement inférentiel pour démontrer un conflit d’intérêts potentiel doit être fondé sur des faits objectifs.

[153] Dans le deuxième volet du critère, bon nombre de cas à ce jour appliquent une approche appelée « équipe de direction » à cette question, c’est-à-dire si l’employé est intégré à l’équipe de direction de sorte que, même s’il n’exerce pas lui-même des fonctions de gestion, il doit encore être exclu. Par exemple, dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2020 CRTESPF 41, la Commission a exclu deux coordonnateurs du soutien juridique relativement subalternes parce qu’ils assistaient aux réunions hebdomadaires de l’équipe de gestion, et formulaient des conseils, faisant en sorte qu’ils étaient membres de l’équipe de direction. L’employeur ne s’appuie pas sur l’approche de l’« équipe de direction » et ne laisse pas entendre que les conseillers en SST font partie de l’équipe de direction; je n’en dirai donc pas plus sur ce terme. Au lieu de cela, l’employeur a soutenu que, indépendamment d’une constatation de conflit d’intérêts, l’inclusion des conseillers en SST dans l’unité de négociation pourrait nuire à l’efficacité de la capacité des titulaires de fournir des conseils et des directives à la direction.

[154] Outre l’approche de l’« équipe de direction », les parties ne m’ont donné aucune autre orientation quant à la façon d’aborder cet élément de l’alinéa 59(1)g). De même, la jurisprudence de la Commission sur ce point met l’accent sur mon pouvoir discrétionnaire sans préciser les limites de ce pouvoir discrétionnaire. Comme je l’indiquerai plus loin, j’ai résolu ce cas en utilisant la partie relative aux conflits d’intérêts de l’alinéa 59(1)g), ce qui signifie que je ne parlerai donc plus du volet lié à l’équipe de direction de cette disposition.

3. Autres principes

[155] En plus d’établir la voie analytique en trois parties que je devrais suivre, la jurisprudence de la Commission énonce quatre autres principes qui sont pertinents dans le présent cas.

a. Utiliser l’alinéa 59(1)g) avec parcimonie

[156] Premièrement, je dois utiliser l’alinéa 59(1)g) « avec parcimonie » (voir Agents des renseignements de sécurité, au par. 76).

b. La demande doit être étayée par des preuves convaincantes

[157] Deuxièmement, les exclusions aux termes de cet alinéa « […] doivent être étayées d’une preuve forte selon laquelle il y a risque de conflit ou association avec la direction en raison des fonctions du poste »; voir Andres et Webb, au par. 28. Le fardeau de la preuve incombe à l’employeur de fournir cette preuve convaincante; voir Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2000 CRTFP 46, au par. 34 (« Agence spatiale canadienne »); voir aussi le paragraphe 62(3) de la Loi.

c. La fréquence des fonctions en litige est pertinente

[158] Troisièmement, je peux examiner la fréquence à laquelle les fonctions pertinentes sont exercées.

[159] Les parties ont contesté la pertinence de la fréquence à laquelle les postes exerçaient les fonctions qui ont donné lieu à un conflit d’intérêts. L’employeur a soutenu que la fréquence n’avait pas d’importance et a fait une analogie avec l’exclusion pour les employés qui décident des griefs pour l’employeur. Dans ces cas, un poste est exclu même si le titulaire n’a jamais été appelé à entendre un grief réel; son autorité en la matière est suffisante (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, [1995] C.R.T.F.P.C. no 41 (QL) aux pages 6 à 8 (confirmée dans [1996] A.C.F. no 159 (QL)(C.A.)); Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada) c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, [1998] C.R.T.F.P.C. no 61 (QL), aux paragraphes 16 à 18; La Reine du chef du Canada c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1984] 2 C.F. 998 (C.A.)). L’employeur a fait valoir que la même logique devrait s’appliquer dans le présent cas.

[160] L’agent négociateur a soutenu que la fréquence importe. L’agent négociateur a invoqué Agence spatiale canadienne, qui indique, au par. 31, qu’« […] il incombe à l’employeur d’organiser ses affaires de façon à ce que ses employés ne soient pas à l’occasion placés dans une situation de conflit d’intérêts ».

[161] J’ai conclu que la fréquence à laquelle les fonctions sont exercées peut avoir de l’importance à l’alinéa 59(1)g) de la Loi. Comme je l’ai dit plus tôt à plusieurs reprises, l’alinéa 59(1)g) confère à la Commission un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer si un poste doit être exclu. Le libellé de l’alinéa 59(1)g) accorde ce pouvoir discrétionnaire en indiquant que la Commission doit déterminer si le poste « […] ne devrait pas être inclus dans une unité de négociation […] [je mets en évidence] en raison d’un conflit d’intérêts ou pour d’autres raisons. Cela contraste avec l’alinéa 59(1)e), qui oblige la Commission à exclure tout poste dans lequel le titulaire « […] exerce des attributions l’amenant à s’occuper officiellement, pour le compte de l’employeur, de griefs […] » [je mets en évidence]. Mon rôle n’est pas simplement de déterminer s’il y a conflit d’intérêts ou s’il est possible qu’il y en ait un, mais aussi de déterminer si ce conflit d’intérêts devrait entraîner l’exclusion du poste de l’unité de négociation. La fréquence à laquelle ce conflit d’intérêts se manifeste est l’un des facteurs que la Commission peut prendre en considération.

[162] Cela est également conforme à la décision de la Commission dans Centre des opérations frontalières au par. 63, où il est dit que « […] je prends à la fois une vue quantitative et qualitative du travail effectué par le personnel en cause […] », en réponse au même argument sur l’importance de la fréquence. Pour avoir une vue quantitative, la Commission doit évaluer la fréquence à laquelle les fonctions donnant lieu au conflit d’intérêts appréhendé sont exécutées.

d. Un demandeur n’a pas besoin de démontrer un changement de circonstances comme seuil d’une demande

[163] Enfin, l’agent négociateur a soutenu que le fardeau de l’employeur comprenait l’obligation d’expliquer un changement dans les circonstances justifiant l’exclusion au moment de la demande puisque les postes n’étaient pas exclus auparavant. L’agent négociateur s’est fondé sur Thunder Bay (City) v. Canadian Union of Public Employees, Local 87, 1981 CanLII 861 (ON LRB) aux paragraphes 6 et 7, pour cette proposition. L’employeur a déclaré qu’il n’y avait pas de fardeau spécial pour démontrer un changement de circonstances parce qu’il n’y a pas de délai de prescription dans la Loi pour ces demandes. Il a également cité Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2016 CRTFP 80 (« Enquêteurs principaux ») aux paragraphes 103 et 104, où la Commission a critiqué le retard de l’employeur à présenter sa demande, mais a déclaré ce qui suit : « Néanmoins, il est de ma responsabilité d’appliquer l’article 59 de la Loi […] » sans référence au délai.

[164] J’ai conclu que l’employeur n’a pas de fardeau supplémentaire de démontrer un changement dans les circonstances pour justifier cette demande. Comme l’a dit l’employeur, le paragraphe 71(1) de la Loi permet à un employeur de demander à la Commission une ordonnance déclarant que tout poste dans l’unité de négociation est un poste de direction ou de confiance. Cette disposition ne prévoit pas de délai pour le faire.

[165] Certaines commissions du travail du Canada ont adopté une pratique qui est d’exiger que la partie qui cherche à modifier le statu quo par une demande d’inclusion ou d’exclusion d’un poste de l’unité de négociation démontre un [traduction] « […] changement important dans les attributions de l’individu ou du poste qui font que les perceptions, les compréhensions et des décisions antérieures sur ce poste sont maintenant obsolètes »; voir Adams, Canadian Labour Law, 2e éd. (1993) au chapitre 6.4. Ce texte cite des décisions de l’Ontario, du Manitoba, de la Saskatchewan et de Terre-Neuve qui adoptent cette proposition, y compris Thunder Bay (City). Aucune de ces administrations n’a de dispositions semblables aux articles 71 et 77 de la Loi qui prévoient expressément des demandes visant à modifier le statu quo. Au lieu de cela, ces commissions du travail ont invoqué leur pouvoir général d’examiner les ordonnances antérieures (comme en Ontario et en Saskatchewan) ou ont exprimé des pouvoirs d’examiner les unités de négociation (comme à Terre-Neuve et au Manitoba). Je fais aussi remarquer que toutes les administrations ne semblent pas exiger un changement important à un poste existant avant d’examiner s’il devrait être exclu d’une unité de négociation.

[166] En outre, l’exigence d’un changement important dans les fonctions d’un poste dans ces administrations est une décision de principe de ces commissions pour promouvoir [traduction] « […] la paix et la stabilité entre les parties sur une question qui semblait depuis longtemps être en litige entre elles (voir Dominion Stores Limited v. Retail Clerks, L409, [1983] O.L.R.B. 2006, à la page 2007; voir aussi Association of Employees Support Education Services v. University of Manitoba, (2007), 139 C.L.R.B.R. (2e) 210 au par. 34). Je comprends la valeur de la paix et de la stabilité dans les relations de travail. Toutefois, étant donné l’énormité de l’administration publique centrale, il est impossible pour les parties d’avoir décidé s’il fallait exclure chaque poste lorsque l’agent négociateur a été accrédité ou lorsqu’un poste est créé. Le groupe PA dans lequel ces postes sont situés comprend environ 97 000 postes; il n’est pas surprenant qu’une poignée d’entre eux soient « passés à travers les mailles ». L’agent négociateur n’a pas non plus fourni d’éléments de preuve selon lesquels il s’est appuyé sur le statu quo d’une certaine façon. Dans un autre cas (comme une nouvelle demande d’exclusion qui suit le lendemain d’une autre demande rejetée), ce motif de principe peut amener la Commission à exiger d’une partie qu’elle prouve que les circonstances ont considérablement changé; ce n’est toutefois pas le cas ici.

[167] Pour ces raisons, l’employeur n’assume pas un fardeau supplémentaire dans le présent cas afin de démontrer un changement important dans les fonctions de ces postes. Son fardeau demeure le même que dans d’autres cas — fournir des preuves convaincantes selon lesquelles ces postes relèvent de l’alinéa 59(1)g) de la Loi.

C. Application aux faits

[168] La Commission a résumé les fonctions des conseillers en SST aux paragraphes 6 à 22 de sa décision initiale, et je ne le ferai pas de nouveau. Je me concentrerai plutôt sur les principaux arguments avancés par l’employeur pour expliquer pourquoi ces postes devraient être exclus.

1. Les décisions de référence diffèrent de ce poste

[169] Premièrement, l’employeur s’est appuyé sur un certain nombre de décisions antérieures de la Commission excluant les postes visés à l’alinéa 59(1)g) de la Loi ou à la disposition équivalente de la LRTFP. L’employeur les a appelés des [traduction] « repères » que je dois suivre. L’employeur s’est notamment appuyé sur huit décisions. Six d’entre elles peuvent être résumées rapidement comme suit :

· Un vérificateur du Bureau du vérificateur général : Bureau du vérificateur général du Canada c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1980] C.R.T.F.P.C. no 2 (QL). L’employeur a reconnu que cette décision n’était pas aussi claire qu’elle aurait pu l’être et qu’elle n’était pas très semblable aux postes de conseillers en SST.

· Le chef de la section de l’aide de l’Agence canadienne de développement international : Canada (Conseil du Trésor) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1982] C.R.T.F.P.C. no 148 (QL). L’employeur a reconnu que ce cas était [traduction] « un peu exagéré » de deux façons — qu’il n’est pas très semblable aux postes de conseillers en SST et que la Commission n’a peut-être pas atteint le même résultat aujourd’hui.

· Une infirmière de la division du personnel de l’Office national du film : Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Office national du film du Canada, [1990] C.R.T.F.P.C. no 78 (QL). L’employeur a accordé une importance considérable à ce cas, dans lequel une infirmière qui présentait des recommandations quant à la justification médicale des absences des employés a été exclue. L’employeur a soutenu qu’il y a un conflit d’intérêts encore plus direct dans ce cas. Toutefois, l’infirmière faisait partie de l’équipe qui décidait si les employés avaient droit à un congé de maladie — ce qui touche plus directement les conditions d’emploi des employés que le travail des conseillers en SST.

· Agents des renseignements de sécurité au Service correctionnel du Canada : Agents des renseignements de sécurité. L’employeur a mis l’accent sur ce cas, en grande partie à cause des extraits que j’ai cités plus tôt. Je suis d’accord pour dire que ces principes sont importants, mais j’ai trouvé que les fonctions dans ce cas-là étaient différentes de celles des conseillers en SST. Ce n’est pas surprenant puisque les parties dans Agents des renseignements de sécurité ont convenu que ces employés jouaient un « rôle […] unique » (par. 74). En outre, les employés dans ce cas avaient des fonctions « […] fortement liées au processus de prise de décisions en matière de sécurité aux échelons supérieurs de l’établissement » (paragraphe 77), alors qu’il n’y a aucune preuve que les conseillers en SST sont fortement liés à la prise de décisions aux plus hauts échelons.

· Employés du Centre national des opérations frontalières : Centre des opérations frontalières. Dans ce cas, la Commission se préoccupait davantage du travail accompli par ces employés dans la planification de grèves. Même si les postes étaient exclus en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la Loi, la Commission a déclaré, au paragraphe 63, que « […] même une quantité infime de travail en matière de relations de travail qui est d’une importance cruciale pour le bon fonctionnement de l’ASFC peut justifier l’octroi d’une demande d’exclusion ». Dans le présent cas, par contre, les employés de SST ne travaillent pas dans le domaine des relations de travail.

· Un directeur du ministère de la Défense nationale; voir Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2000 CRTFP 85. Ce poste a été exclu parce qu’il fournissait des conseils sur les relations de travail, la dotation et la classification. L’employeur n’a présenté aucuns arguments oraux sur ce cas, et je ne le considère aucunement comme analogue aux postes de SST.

 

[170] La septième décision est Centre du droit à l’accès à l’information et à la protection des renseignements personnels. L’employeur a invoqué cette décision à l’appui de son argumentation sur le contexte contradictoire de la santé et de la sécurité au travail, et je traiterai donc de ce cas au moment d’aborder cet argument.

[171] La huitième et dernière décision est Enquêteurs principaux. Parmi les décisions citées par l’employeur, celle-ci semblait la plus analogue aux conseillers en SST dans la nature du conflit d’intérêts possible. Les employés dans la décision Enquêteurs principaux étaient chargés d’enquêter sur les allégations d’inconduite d’autres employés en milieu de travail. Même s’ils ne participaient pas à la prise de décisions de la direction quant à l’imposition de mesures disciplinaires, ils recommandaient un examen de la cause de la fiabilité de l’employé (ce qui entraînerait la cessation de son emploi). La Commission a conclu qu’il y avait conflit d’intérêts entre la conduite d’enquêtes en milieu de travail et la représentation par un agent négociateur (qui représente lui-même les travailleurs faisant l’objet d’une enquête).

[172] Toutefois, l’agent négociateur fait remarquer que, contrairement aux enquêteurs supérieurs en milieu de travail, les conseillers en SST ne sont pas responsables de déterminer la culpabilité ou d’attribuer le blâme — ce qui est l’essence d’une enquête sur l’inconduite en milieu de travail. Même si la décision Enquêteurs principaux est celle qui ressemble le plus aux conseillers en SST, elle demeure une référence imparfaite.

[173] Les cas de référence soumis par l’employeur ont été utiles pour déterminer les principes que j’ai énoncés plus tôt, mais en fin de compte, les postes dans ces cas de référence étaient trop différents de ceux des conseillers en SST pour déterminer l’issue de ce cas.

[174] L’agent négociateur a présenté sa propre référence (bien qu’il ne l’ait pas décrite comme telle) dans British Columbia Telephone Co. (1979), décision du CCRT no 221 (QL) (« BC Tel »). Le Conseil canadien des relations du travail (CCRT, tel qu’il était à l’époque) a inclus du personnel de sécurité dans l’unité de négociation. Le personnel de sécurité dans ce cas a participé en tant que représentant de la direction à des comités mixtes de santé et de sécurité. L’employeur a fait valoir que les questions de sécurité, y compris les questions soumises aux comités mixtes de santé et de sécurité, constituaient des procédures contradictoires entre l’employeur et l’employé. Dans ce cas, le CCRT a rejeté cet argument, affirmant ce qui suit :

[…]

Nous ne sommes pas d’accord. D’abord, il est clair que le service de la sécurité ne prend pas de mesures disciplinaires et ne s’occupe pas de relations industrielles […]

Ce qui est plus important, c’est notre interprétation de l’objet de la loi. La sécurité n’est pas une question contradictoire. La vie et les membres ne sont pas destinés à être des objets négociables. L’environnement, l’équipement, les procédures et les habitudes de travail peuvent faire l’objet d’un débat vigoureux, mais personne n’est destiné à défendre des conditions dangereuses ou à chercher à les faire respecter. Les employés ont un intérêt immédiat et personnel pour la sécurité. Les employeurs ont un autre intérêt et des intérêts qui peuvent entrer en conflit avec le strict respect de la sécurité. La réalisation de ces deux intérêts a suscité la nécessité d’une consultation. Le Comité et ses procès-verbaux sont destinés à être le mécanisme. La génération de différends et la prise de décisions en matière de sécurité relèvent de l’employé et de l’employeur, peu importe ce que fait le Comité. Une personne peut être en désaccord avec le Comité. Il peut agir selon sa conviction. L’employeur aussi. Le Comité ne peut prendre aucune décision contraignante. Les candidats des employés ou de l’employeur peuvent être en désaccord entre eux. Les questions de conscience et de connaissance du lieu de travail, et non les questions d’économie, doivent guider l’expression des points de vue du Comité, indépendamment de la personne qui a désigné le membre […] tous les membres du Comité, indépendamment de la personne qui les a désignés, ont un intérêt commun. Si, comme nous le pensons, la Partie IV n’exclut aucune personne de sa protection (sauf les employeurs), qu’elle soit au sommet ou au pied « une organisation, les comités ne doivent pas être considérés comme des instances de procédure contradictoire.

[…]

 

[175] L’employeur a fait valoir que BC Tel se distingue du présent cas parce que le personnel de sécurité participait au comité mixte (non contradictoire) de santé et de sécurité, tandis que les conseillers en SST fournissent des conseils à la direction dans des contextes conflictuels. Leur avis n’est pas seulement fourni au comité, mais aussi à la direction en privé. Je suis d’accord pour dire qu’il s’agit d’une caractéristique importante, bien qu’elle ne soit pas déterminante. Si je ne comptais que sur des postes de référence, je préférerais me fier à BC Tel avant les autres cas.

2. La possibilité d’un contexte contradictoire ne justifie pas l’exclusion de ces postes à la lumière des éléments de preuve concernant leurs fonctions
a. Arguments des parties sur cette question

[176] Cela m’amène au deuxième argument principal de l’employeur, à savoir que les questions de santé et de sécurité au travail peuvent être contradictoires et qu’elles peuvent entraîner des litiges dans lesquels les intérêts de l’employeur et de l’agent négociateur sont opposés. L’employeur a fourni huit exemples de cas dans lesquels cet agent négociateur représentait un employé d’un côté du différend et un employeur de l’autre. De ces cas, trois concernaient un employeur différent (soit l’Agence canadienne d’inspection des aliments ou l’Agence du revenu du Canada), et tous comportaient des circonstances assez particulières. Mais l’argument plus général de l’employeur demeure que les questions de santé et de sécurité peuvent être litigieuses et que, comme elles le peuvent, les conseillers en SST sont en conflit d’intérêts.

[177] L’employeur a également cité la décision de la Cour d’appel fédérale dans Centre du droit à l’accès à l’information et à la protection des renseignements personnels, dans laquelle la Cour d’appel a confirmé la décision de la Commission excluant en partie l’avocat principal du centre du droit à l’information et de la protection des renseignements personnels parce que :

[…]

[12] À de nombreuses reprises dans la décision, l’arbitre souligne les fonctions attribuées au titulaire du poste LP-04 qui ont donné lieu à un conflit d’intérêts, comme la prestation de conseils sur des questions de protection des renseignements personnels ou d’accès à l’information en lien avec le litige entre l’employeur et les agents négociateurs. […]

[…]

 

[178] L’agent négociateur a répondu que les questions de santé et de sécurité ne sont pas de nature contradictoire et qu’elles relèvent de la responsabilité partagée de la direction et des employés. En plus de BC Tel, l’agent négociateur a cité Lamoureux (1993), décision du CCRT no 1033 (QL) et Montani v. Canadian National Railway Company (1994), décision du CCRT n1089 (QL), pour la proposition selon laquelle les relations de travail sont distinctes pour ce qui est de la santé et de la sécurité, l’un étant contradictoire, l’autre non.

[179] Je suis d’accord avec l’agent négociateur pour dire que la santé et la sécurité ne sont pas censées être contradictoires, mais je suis également d’accord avec l’employeur pour dire qu’elles peuvent parfois l’être. À mon avis, ce cas ne doit pas être tranché selon des points de vue divergents sur la mesure dans laquelle la santé et la sécurité sont ou devraient être contradictoires, mais plutôt sur la preuve des fonctions réelles de ces postes.

b. L’accent est mis sur la preuve des fonctions réelles du poste

[180] Comme je l’ai dit plus tôt, il incombe à l’employeur de fournir des preuves convaincantes d’un conflit d’intérêts réel ou potentiel. L’employeur affirme qu’il y a conflit d’intérêts parce que les conseillers en SST fournissent des conseils à la direction dans les différends en matière de santé et de sécurité qui sont contradictoires. J’ai examiné attentivement les éléments de preuve de l’employeur et celui-ci n’a pas prouvé que l’avis dans les procédures contradictoires justifiait l’exclusion de ces postes.

[181] La preuve de l’employeur dans le présent cas est fondée sur une justification détaillée de cette exclusion, les descriptions de travail pour les postes de SST (qui sont tous identiques) et un énoncé de volonté fourni avec ses arguments écrits initiaux. J’ai examiné attentivement tous ces documents.

[182] La justification détaillée est axée sur l’interrelation entre les conseillers en SST et les questions de relations de travail — une question que la Commission a abordée dans sa décision initiale et dont je ne suis pas saisi. L’employeur a aussi utilement confirmé dans sa plaidoirie que les références au travail sur les griefs dans la justification et d’autres documents faisaient partie de son argumentation en application de l’alinéa 59(1)h) et n’est pas pertinent à l’alinéa 59(1)g). La justification consacre également beaucoup de temps à la gestion du risque si l’on ne suit pas les conseils d’un conseiller en SST. Je suis d’accord pour dire que la direction devrait généralement suivre les conseils qui lui sont donnés par des experts en la matière. Toutefois, cela ne signifie pas que les postes doivent être exclus. L’argument de l’employeur était que la direction ne ferait pas confiance aux conseils donnés par un employé syndiqué. La justification se lit comme suit :

[Traduction]

La direction doit être en mesure de parler librement aux conseillers en SST sans doute qu’un conseiller donné représente uniquement ses intérêts. Si la direction n’a pas cette confiance, elle pourrait limiter sa consultation avec le conseiller en SST ou ne pas être réceptive à ses orientations, ce qui pourrait réduire les efforts déployés par EDSC pour créer des environnements de travail sains et des milieux de travail sûrs.

 

[183] Je n’accepte pas que ce soit nécessairement le cas. Autrement dit, étant donné la dynamique largement non conflictuelle des questions de santé et de sécurité, l’employeur ne m’a pas convaincu qu’un gestionnaire ne pouvait pas faire confiance au conseil simplement parce qu’il a été donné par une personne syndiquée et qu’il peut mener à un litige. Je n’ai aucune preuve directe à l’appui de cette supposition, et on ne m’a donné aucun fait objectif sur lequel tirer une telle conclusion.

[184] J’ai également mentionné plus tôt que l’employeur n’a pas besoin de prouver un changement important dans les circonstances comme une exigence seuil pour exclure un poste. Toutefois, ces postes sont inclus dans l’unité de négociation depuis des décennies. J’ai lu attentivement le sommaire de déposition et je n’y ai rien vu qui laisse entendre que la direction n’a pas fait confiance aux conseillers en SST pendant les décennies où ils étaient représentés par un agent négociateur. Si la crainte de l’employeur s’était concrétisée, je m’attendais à ce que le sommaire de déposition l’indique ou fournisse un exemple d’une situation dans laquelle un gestionnaire se méfiait du conseil qui lui avait été fourni. L’absence de telles preuves dans le sommaire de déposition est révélatrice.

[185] La description de travail ne dit rien non plus sur la participation des conseillers en SST dans des affaires litigieuses ou contradictoires. Ce qu’elle indique qui s’en rapproche le plus, c’est qu’ils fournissent [traduction] « […] des conseils stratégiques, des conseils et des recommandations à la direction régionale […] concernant des questions simples à complexes liées à la santé et à la sécurité au travail et aux cas des commissions provinciales des accidents du travail » [je mets en évidence], mais encore une fois, ce n’est pas assez concret pour conclure que les conseillers en SST participent activement à des procédures accusatoires ou contentieuses — on dit simplement qu’ils fournissent des conseils sur des cas, ce qui peut être presque n’importe quoi, depuis l’analyse après coup jusqu’à des conseils sur un cas qui devient plus tard litigieux.

[186] Enfin, le sommaire de déposition passe près de fournir la preuve convaincante nécessaire des fonctions de SST dans un contexte contradictoire. Ce sommaire de déposition indique que les conseillers en SST sont appelés à fournir [traduction] « […] des conseils et des directives complets et ouverts à la direction en matière de : Plaintes liées à la SST (dans lesquelles un employé croit qu’il y a eu infraction au Code canadien du travail); et refus de travail […] ». Toutefois, cela ne suffit pas à me convaincre que les conseillers en SST travaillent dans un contexte contradictoire ou litigieux. Ils donnent des conseils après qu’il y a eu plainte. Toutefois, cela ne me dit pas qu’ils donnent des conseils sur des processus contradictoires. Lorsqu’un employé dépose une plainte, la question doit d’abord être réglée entre l’employé et son superviseur (voir le Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 à l’article 127.1). Si l’employé n’est pas satisfait, l’affaire est renvoyée au comité de santé et sécurité au travail, qui est un comité mixte avec une représentation égale des employés et de la direction. Si le comité enquête et que l’employé ou l’employeur veut transmettre la question aux échelons, celle-ci est soumise à un agent de santé et sécurité neutre. Enfin, un employeur, un employé ou un syndicat peut interjeter appel de la décision d’un agent de santé et sécurité. L’employeur invoque cette dernière étape, qui est l’étape contradictoire ou litigieuse. Toutefois, le sommaire de déposition n’indique pas clairement que les conseils fournis sont liés à cette dernière étape contradictoire ou si les conseils se concentrent sur les étapes initiales, non contradictoires.

[187] L’employeur a cité huit cas dans lesquels l’agent négociateur avait participé à un litige portant sur une question de santé et sécurité; cependant, l’employeur n’a pas fourni de preuve selon laquelle des conseillers en SST ont participé dans l’un ou l’autre de ces cas. Même si c’était le cas, la faible fréquence de tels cas (huit sur cinq ans, de 2013 à 2017 inclusivement) serait un facteur contre l’exclusion de ces postes. L’employeur a également énuméré cinq cas dans une note de bas de page, mais il a reconnu que ces cas ne portaient pas toujours directement sur le genre de questions gérées par les conseillers en SST et qu’il s’agissait plutôt d’exemples de questions de santé et de sécurité plus généralement au ministère.

[188] L’employeur a cité le président de l’agent négociateur qui a déclaré en 2007 que [traduction] « […] l’action légale est une autre voie que nous utilisons pour promouvoir les questions de santé et sécurité ». Cependant, l’exemple donné était une contestation juridique de l’ensemble de la structure de la façon dont les appels sont traités, et non pas de conseils particuliers donnés par un conseiller en SST. Je n’ai pas accordé d’importance à cette remarque, car elle ne m’aide pas à déterminer la nature des fonctions des conseillers en SST.

[189] Si tel était le degré de l’affaire, je conclurais que l’employeur n’a pas fourni de preuve convaincante démontrant un conflit d’intérêts réel ou potentiel.

3. Il y a conflit d’intérêts à fournir des conseils sur ce qu’il faut faire après qu’un employé a déposé une plainte de violence en milieu de travail

[190] Toutefois, il y a plus.

[191] En plus de fournir des conseils sur les questions traditionnelles de sécurité en milieu de travail, les conseillers en SST fournissent également des conseils sur les cas de violence en milieu de travail. Leur description de travail (préparée en 2016) exige la compétence [traduction] « […] d’enquêter sur les incidents de violence au travail et de les régler […] » [je mets en évidence]. La justification de l’exclusion est la suivante :

[Traduction]

[…]

Par exemple, dans le cas d’une plainte de violence en milieu de travail, le conseiller en SST examinera les allégations fournies par l’employé ou le syndicat, puis guidera la direction tout au long du processus de règlement. Il s’agit d’élaborer des stratégies avec la direction et de l’orienter dans le cadre de la procédure de recherche des faits afin de s’assurer que la question est réglée de manière efficace et au palier le plus bas possible. Si la plainte ne peut être réglée à l’interne, le mandat de l’enquête peut être attribué à une personne compétente. Le conseiller en SST offrira ensuite un soutien à la direction en ce qui a trait à l’identification d’une personne compétente et à la rédaction du contrat en vue d’embaucher cette personne aux fins de l’enquête.

[…]

Même s’il n’y a aucun droit de représentation syndicale lorsqu’il s’agit du règlement des plaintes en matière de SST, comme celles concernant la violence en milieu de travail, selon le demandeur, dans la plupart des cas, l’employé demandera le soutien et les conseils de son syndicat. Les conseillers en SST sont mis dans une situation délicate vis-à-vis les employés concernés par une plainte (comme les plaignants, les défendeurs et les témoins) et le représentant syndical qui les représentent; qui appartiennent parfois à la même unité de négociation qu’eux. Qui plus est, la procédure de règlement des plaintes de violence en milieu de travail exige souvent que les conseillers en SST collaborent étroitement avec les consultants en relations de travail, car il est courant que le plaignant dépose simultanément un grief et une plainte de harcèlement portant sur la même question. Cette collaboration est importante, car le consultant en RT guidera la direction tout au long de la procédure de règlement de la plainte, tandis que le conseiller en SST la guidera tout au long de la procédure de règlement de la plainte de violence en milieu de travail simultanément.

[…]

 

[192] Plus important encore, le sommaire de déposition déposé par l’employeur se lit en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] Plus précisément, dans ces cas de violence au travail, les conseillers régionaux en SST ont fourni les conseils suivants à la direction, au directeur et au directeur général […] :

· Si un employé doit être renvoyé d’un lieu de travail ou d’une équipe de travail comme mesure d’atténuation à un danger psychologique en milieu de travail […]

[…]

 

[193] Lorsqu’un employé dépose une plainte pour violence au travail alléguant un harcèlement d’un autre employé, l’employeur est souvent tenu de décider s’il faut séparer les employés et, dans l’affirmative, lequel est déplacé. Habituellement, l’auteur présumé est déplacé, mais pas toujours. Selon les éléments de preuve déposés dans la présente demande, les conseillers en SST conseillent la direction sur la nécessité de déplacer un employé et, s’il y a lieu, lequel. Les intérêts des deux employés sont évidemment en conflit; cependant, les intérêts de la direction vont également entrer en conflit avec l’un ou l’autre de ces employés ou les deux. L’un ou l’autre de ces employés ou les deux pourraient être représentés par un agent négociateur dans cette plainte précise. Un agent négociateur a également intérêt à négocier des modalités de convention collective afin de limiter la discrétion de la direction lorsqu’il s’agit de plaintes de harcèlement et de violence au travail; voir le Rapport de la Commission de l’intérêt public - le groupe PA et des questions communes à d’autres unités de négociation, 2023 CanLII 11003, au par. 37, Alliance de la Fonction publique du Canada c. Chambre des communes, 2016 CRTEFP 120, au par. 24 et Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2005 CanLII 24003 aux paragraphes 16 à 18 comme trois exemples d’agents négociateurs tentant de négocier un tel libellé de convention collective.

[194] En ce qui concerne les plaintes de violence et de harcèlement en milieu de travail, le plaignant, le défendeur, la direction et l’agent négociateur ont des intérêts différents et veulent des choses différentes.

[195] Au cours des plaidoiries, j’ai présenté la puce du sommaire de déposition directement à l’agent négociateur. J’ai dit à l’agent négociateur qu’un conseiller en SST serait en conflit d’intérêts lorsqu’il devait décider lequel des deux employés devait déménager quand un employé était représenté par son agent négociateur et que l’autre ne l’était pas. L’agent négociateur a admis que cela pouvait raisonnablement être perçu comme un conflit d’intérêts, mais il a soutenu que le conflit n’atteint pas le niveau exigeant l’exclusion de l’unité de négociation. L’agent négociateur a soutenu que les conseillers en SST doivent être des [traduction] « tireurs d’élite » (pour emprunter la métaphore de l’agent négociateur) qui ne doivent pas « ménager l’adversaire » (pour reprendre ma métaphore cette fois) et qu’ils peuvent prendre la décision difficile tout en faisant partie de l’unité de négociation.

[196] L’agent négociateur a fait valoir cet argument avec succès dans la décision Enquêteurs ASS, comme indiqué aux paragraphes 143 à 146 de cette décision. Toutefois, les tâches dans ces deux cas sont différentes. Les postes dans Enquêteurs des OSS devaient faire une enquête neutre sur les questions de santé et de sécurité — ils n’étaient pas censés relever de la direction. Dans ce cas, la Commission a conclu que le fait d’être dans une unité de négociation représentée par un agent négociateur n’empêche pas un employé d’être « neutre » (au paragraphe 143). Les conseillers en SST, en revanche, ne sont pas des enquêteurs neutres sur les plaintes de violence en milieu de travail; leur travail est de conseiller la direction.

[197] L’agent négociateur a également laissé entendre que la préoccupation pourrait être hypothétique. Toutefois, comme je l’ai fait remarquer à l’agent négociateur au cours de la plaidoirie, il est clair que les conseillers en SST « ont fourni » ce conseil, et non pas qu’ils pourraient fournir ce conseil. Le représentant de l’agent négociateur a reconnu à juste titre que, sur la base de ce dossier factuel, la préoccupation était plus qu’hypothétique. Cela distingue encore le présent cas de la décision Enquêteurs ASS dans laquelle la Commission a conclu que les préoccupations étaient « entièrement spéculatives » (au par. 149).

[198] Je n’ai aucune information sur la fréquence à laquelle les conseillers en SST s’acquittent de cette tâche particulière; comme je l’ai dit plus tôt, la fréquence peut parfois avoir de l’importance. Cependant, je n’ai aucune preuve, ni l’une ni l’autre, rien qui laisse entendre que ces tâches sont fréquentes ou peu fréquentes. En outre, le recours aux plaintes pour violence en milieu de travail pour résoudre des problèmes de harcèlement en milieu de travail était relativement nouveau au moment où la demande a été déposée, de plusieurs façons, à commencer par Tench v. National Defence – Maritime Forces Atlantic, Nova Scotia, 2009 OHSTC 01, qui a conclu que le harcèlement aggravant une maladie mentale pouvait être un « danger » en vertu du Code canadien du travail. Il est devenu plus répandu à la suite des modifications apportées en 2017 au Code canadien du travail qui ont reçu la sanction royale en 2018 et qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2021, ainsi que d’autres modifications réglementaires; par conséquent, je ne suis pas surpris de constater que la fréquence de ces fonctions était limitée au moment où la demande a été déposée. Comme je l’ai mentionné beaucoup plus tôt dans la présente décision, j’ai présumé que la preuve présentée dans le sommaire de déposition portait sur la nature des postes à la date de la demande de l’employeur puisque l’agent négociateur ne s’y opposait pas à l’époque. Toutefois, même si les éléments de preuve indiqués dans le sommaire de déposition sont postérieurs à la date de la demande, j’estime qu’ils sont pertinents puisqu’ils clarifient rétrospectivement les tâches relatives au harcèlement en milieu de travail qui étaient relativement nouvelles au moment où l’employeur a déposé la présente demande.

[199] J’ai conclu que l’employeur a fourni une preuve convaincante et objective de la nature des fonctions des conseillers en SST qui les place dans un conflit d’intérêts lorsqu’ils sont représentés par un agent négociateur. Leur obligation de conseiller la direction au sujet des plaintes de violence au travail — en particulier leur obligation de conseiller la direction sur la question de savoir si un employé doit être déplacé à la suite d’une telle plainte et, dans l’affirmative, lequel — les places dans un conflit d’intérêts. Étant donné le rôle de l’agent négociateur dans la représentation d’un ou des deux employés qui pourraient être impliqués dans une telle décision et le rôle de l’agent négociateur dans les questions de négociation collective entourant le harcèlement en milieu de travail, le fait d’être représenté par un agent négociateur donne lieu à un conflit entre son affiliation avec cet agent négociateur et sa capacité de conseiller la direction à l’encontre des intérêts de ce même agent négociateur. Cette fonction change ce qui, autrement, serait un cas sans limite qui ne justifie pas l’exclusion en une qui m’oblige à exclure les postes de l’unité de négociation. Il ne suffit pas d’espérer ou de croire que les conseillers en SST sont des « tireurs francs »; le risque de conflit d’intérêts est trop élevé.

[200] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[201] La demande est accueillie.

[202] Je déclare que les postes numérotés 78754, 102859, 102860, 102861 et 102865, intitulés « conseiller en santé et sécurité au travail » et classés au groupe et au niveau AS-04, à la Direction générale des services des ressources humaines d’Emploi et Développement social Canada, sont des postes exclus en date du 9 janvier 2018.

Le 30 janvier 2024.

Traduction de la CRTESPF

 

Christopher Rootham,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

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