Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a présenté une plainte en vertu de l’al. 190(1)g) de la Loi, alléguant que le défendeur avait commis une pratique déloyale de travail au sens des sous-alinéas 186(2)a)(ii), (a)(iii), (a)(iv) et de l’alinéa 186(2)c) – le défendeur a soutenu que la plainte n’établissait pas une cause défendable – la Commission a déterminé que la participation ou le témoignage dans son propre grief ne relève pas de la portée du sous-alinéa 186(2)a)(ii) et n’a pas trouvé de cause défendable parce que les représailles alléguées contre la plaignante concernaient un grief qu’elle avait déposé – la Commission n’a trouvé aucune cause défendable de violation du sous-alinéa 186(2)a)(iv) parce qu’une plainte de harcèlement et de violence en milieu de travail n’est pas une procédure en vertu des parties 1, 2 ou 2.1 de la Loi – la Commission a conclu qu’il y avait une cause défendable en vertu du sous-alinéa 186(2)a)(iii) fondée sur le changement d’attitude de la superviseure de la plaignante après qu’elle ait déposé un grief – en vertu de l’al. 186(2)c), la Commission n’a trouvé aucune cause défendable selon laquelle le défendeur avait assigné la plaignante à des tâches administratives pour l’intimider ou la menacer de ne pas déposer un grief.

Objection accueillie en partie.

Contenu de la décision

Date: 20240213

Dossier: 561-02-47493

 

Référence: 2024 CRTESPF 17

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail dans

le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

eNTRE

 

Irowa Idahosa

plaignante

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Idahosa c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une plainte déposée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Barry Reid, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour le défendeur : Calvin Hancock, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 10 et 14 juillet,
29 septembre, 27 octobre et 9 novembre 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] La plaignante soutient que le défendeur (également désigné comme l’« employeur » dans la présente décision) s’est livré à une pratique déloyale en prenant des mesures de représailles à son égard parce qu’elle avait déposé un grief et, dans certains cas, avait envisagé de déposer un grief. Les allégations de cette nature sont examinées en deux étapes. D’abord, la plainte doit soulever une cause défendable selon laquelle le défendeur s’est livré à une pratique déloyale. Ensuite, dans le cas où la plainte présente une cause défendable, il incombe au défendeur de réfuter l’allégation et de démontrer qu’il ne s’est pas livré à une pratique déloyale.

[2] La présente décision porte uniquement sur la première étape de cette enquête. Autrement dit, la seule question à trancher est celle de savoir si la plainte soulève une cause défendable selon laquelle l’employeur s’est livré à une pratique déloyale.

[3] J’ai conclu que l’un des aspects de la plainte soulève une cause défendable. En effet, j’ai conclu que la plaignante avait soulevé une cause défendable à certains égards. D’une part, il est possible de soutenir que son superviseur a adopté ce que j’appellerai une « attitude de mutisme » à son égard après qu’elle a déposé son grief. D’autre part, il est possible de soutenir que cette attitude de mutisme constituait une forme d’intimidation ou de menace en raison du dépôt, par la plaignante, d’un grief. Cela dit, j’ai conclu que la plaignante n’avait pas soulevé une cause défendable en ce qui concerne les autres aspects de sa plainte.

[4] L’employeur a également fait valoir que le comportement sur lequel porte la plainte devrait plutôt faire l’objet d’un grief. À cet égard, j’ai conclu que le grief en cours n’empêche pas la présente plainte et ne fait pas double emploi avec celle-ci.

II. Historique de la procédure

[5] La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission », qui, dans la présente décision, désigne à la fois la présente Commission et tout prédécesseur) a le pouvoir de trancher une plainte sur la base d’arguments écrits, car elle a le pouvoir de trancher « […] toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience » en vertu de l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365); voir également Andrews c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 141, au paragraphe 3 (confirmé par 2022 CAF 159, au par. 10).

[6] La plaignante a déposé la présente plainte le 26 mai 2023. L’employeur lui a demandé d’indiquer les dispositions législatives qu’il aurait enfreintes en se livrant à une pratique déloyale. En réponse, la plaignante a énuméré six dispositions législatives. Le 10 juillet 2023, l’employeur a déposé sa réponse, dans laquelle il avance que même si les faits exposés dans la plainte étaient véridiques, ils ne constituaient pas une pratique déloyale. La plaignante a répliqué le 14 juillet 2023 en fournissant davantage de détails au sujet de la plainte et d’explications de la raison pour laquelle elle estimait que les faits allégués constituaient une pratique déloyale.

[7] Après avoir examiné la plainte, la réponse et la réplique, j’ai demandé aux parties de me communiquer leurs positions respectives sur la question de savoir s’il était approprié, dans la présente affaire, de traiter de l’étape de la « cause défendable » sur la base d’arguments écrits. L’employeur a répondu à la question par l’affirmative; la plaignante, quant à elle, n’y a pas répondu. J’ai conclu que la question préliminaire de savoir si la plaignante avait soulevé une cause défendable selon laquelle l’employeur s’était livré à une pratique déloyale pouvait être tranchée sur la base d’arguments écrits. J’ai tiré cette conclusion compte tenu du fait que, dans le cadre de l’analyse de la « cause défendable », je suis tenu de considérer les allégations de la plaignante comme avérées et que je dois m’en tenir à la question de savoir si ces dernières sont suffisantes pour satisfaire au critère juridique permettant de conclure que l’employeur s’est livré à une pratique déloyale. Étant donné que je n’ai pas besoin d’entendre de quelconques témoignages ou d’examiner de quelconques éléments de preuve prouvant ou réfutant les allégations, je suis en mesure de trancher cette pure question de droit sur la base d’arguments écrits. Cette façon de faire est conforme à d’autres décisions de la Commission, notamment Gabon c. ministère de l’Environnement, 2022 CRTESPF 6 et Andruszkiewicz c. Agence des services frontaliers du Canada, 2021 CRTESPF 72, dans lesquelles cette dernière s’est appuyée sur des arguments écrits à l’étape de la cause défendable d’une plainte de pratique déloyale.

[8] J’ai également décidé de procéder par voie d’arguments écrits afin d’accélérer le traitement de la plainte. La plainte sera soit rejetée si elle ne soulève pas une cause défendable, soit poursuivie parce que la question de l’interprétation législative au cœur de l’argument de l’employeur aura été tranchée, et les parties pourront se concentrer sur le différend qui les oppose quant aux éléments de preuve au dossier.

[9] Les parties ont déposé des arguments écrits conformément à un échéancier qui a été modifié au besoin et sur consentement de ces dernières. J’ai lu attentivement ces arguments écrits et je tiens à remercier les deux représentants des parties de m’avoir fourni des arguments détaillés et réfléchis.

III. Contexte juridique relatif à l’examen d’une plainte de pratique déloyale : le cadre d’analyse de la cause défendable

[10] La plainte fait valoir que le défendeur a enfreint six dispositions législatives, à savoir les sous-alinéas 186(2)a)(ii), 186(2)a)(iii), 186(2)a)(iv), 186(2)c)(i), 186(2)c)(ii) et 186(2)c)(iii) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Par souci de commodité, j’ai reproduit ci-dessous ces dispositions :

[…]

186(2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci ainsi qu’au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, à l’officier, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ou à la personne qui occupe un poste détenu par un tel officier, qu’ils agissent ou non pour le compte de l’employeur :

186(2) No employer, no person acting on the employer’s behalf, and, whether or not they are acting on the employer’s behalf, no person who occupies a managerial or confidential position and no person who is an officer as defined in subsection 2(1) of the Royal Canadian Mounted Police Act or who occupies a position held by such an officer, shall

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, de la licencier par mesure d’économie ou d’efficacité à la Gendarmerie royale du Canada ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(a) refuse to employ or to continue to employ, or suspend, lay off, discharge for the promotion of economy and efficiency in the Royal Canadian Mounted Police or otherwise discriminate against any person with respect to employment, pay or any other term or condition of employment, or intimidate, threaten or otherwise discipline any person, because the person

[…]

(ii) elle a participé, à titre de témoin ou autrement, à toute procédure prévue par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1, ou pourrait le faire,

(ii) has testified or otherwise participated, or may testify or otherwise participate, in a proceeding under this Part or Part 2 or 2.1,

(iii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie ou de la section 1 de la partie 2.1, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2 ou de la section 2 de la partie 2.1,

(iii) has made an application or filed a complaint under this Part or Division 1 of Part 2.1 or presented a grievance under Part 2 or Division 2 of Part 2.1, or

(iv) elle a exercé tout droit prévu par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1;

(iv) has exercised any right under this Part or Part 2 or 2.1;

[…]

c) de chercher, notamment par intimidation, par menace de congédiement ou par l’imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger une personne soit à s’abstenir ou à cesser d’adhérer à une organisation syndicale ou d’occuper un poste de dirigeant ou de représentant syndical, soit à s’abstenir :

(c) seek, by intimidation, threat of dismissal or any other kind of threat, by the imposition of a financial or other penalty or by any other means, to compel a person to refrain from becoming or to cease to be a member, officer or representative of an employee organization or to refrain from

(i) de participer, à titre de témoin ou autrement, à une procédure prévue par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1,

(i) testifying or otherwise participating in a proceeding under this Part or Part 2 or 2.1,

(ii) de révéler des renseignements qu’elle peut être requise de communiquer dans le cadre d’une procédure prévue par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1,

(ii) making a disclosure that the person may be required to make in a proceeding under this Part or Part 2 or 2.1, or

(iii) de présenter une demande ou de déposer une plainte sous le régime de la présente partie ou de la section 1 de la partie 2.1 ou de déposer un grief sous le régime de la partie 2 ou de la section 2 de la partie 2.1.

(iii) making an application or filing a complaint under this Part or Division 1 of Part 2.1 or presenting a grievance under Part 2 or Division 2 of Part 2.1.

 

[11] Selon la Loi, la pratique déloyale s’entend de tout ce qui est interdit par ses paragraphe 186(1) et (2), ses articles 187 et 188 et son paragraphe 189(1). L’alinéa 190(1)g) de la Loi prévoit que la Commission doit instruire toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle l’employeur s’est livré à une pratique déloyale. En pratique, une telle plainte est désignée comme étant une « plainte relative à une pratique déloyale ».

[12] Le paragraphe 191(2) de la Loi prévoit une exception selon laquelle la Commission peut refuser de statuer sur une plainte relative à une pratique déloyale si elle estime que le plaignant pourrait renvoyer l’affaire à l’arbitrage sous le régime de la partie 2 de la Loi. Autrement dit, la Commission peut refuser de statuer sur une plainte si la plainte est visée par le paragraphe 209(1) de la Loi.

[13] Le paragraphe 191(3) de la Loi prévoit que toute plainte faisant état d’une contravention, par l’employeur, du paragraphe 186(2) constitue une preuve de la contravention. Il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci (en pratique, l’employeur ou la personne agissant pour son compte) de prouver le contraire. Cette inversion du fardeau de la preuve est courante dans la plupart des juridictions canadiennes et sa raison d’être est que l’employeur est celui qui sait le mieux pourquoi il s’est livré au comportement qui lui est reproché; voir Adams, Canadian Labour Law, 2e éd. (à feuillets mobiles), au chapitre 10.2.

[14] Cependant, l’inversion du fardeau de la preuve s’applique aux faits allégués et non à la question de savoir si les allégations visent une pratique déloyale, ce qui revient à dire que le traitement d’une plainte relative à une pratique déloyale se déroule en deux étapes. D’abord, la Commission examine la question de savoir si le plaignant soulève une cause défendable. Autrement dit, la Commission doit être convaincue que les faits allégués sont suffisants pour satisfaire aux exigences du paragraphe 186(2) de la Loi qui s’appliquent. Ensuite, dans le cas où la Commission conclut que le plaignant a soulevé une cause défendable, il incombe à l’employeur de présenter des éléments de preuve établissant qu’il n’a pas commis l’un des actes visés au paragraphe 186(2) de la Loi.

[15] Dans Gabon, la Commission a décrit, aux paragraphes 39 à 41, le cadre analytique applicable à la première étape :

[39] Dans Hughes c. ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2012 CRTFP 2, le plaignant a déposé des plaintes contre son employeur en alléguant plusieurs violations de l’alinéa 186(2)a) de la Loi. L’ancienne Commission s’est penchée, entre autres, sur l’objection du demandeur selon laquelle le plaignant n’a pas réussi à démontrer, au vu des plaintes, que le défendeur avait violé les dispositions législatives; en d’autres termes, les plaintes ne constituaient pas, à première vue, un cas défendable de violation des dispositions législatives. En réponse à cette objection préliminaire, l’ancienne Commission a formulé la question comme suit, au paragraphe 86 :

[86] […] On a demandé aux parties de déterminer si les trois plaintes devant moi constituaient, à première vue, un cas défendable de violation de la LRTFP. Plus particulièrement, on leur a demandé de déterminer si, supposant que la Commission établisse que toutes les allégations mises de l’avant soient fondées, les plaintes constituaient un cas défendable de violation par le défendeur des dispositions de la LRTFP sur les pratiques déloyales de travail.

[Je mets en évidence]

[40] En utilisant ce cadre d’analyse, l’ancienne Commission a conclu que les plaintes révélaient un cas défendable de violation de l’alinéa 186(2)a) de la Loi (voir les paragraphes 104 à 108). Cette approche nécessite une analyse minutieuse et rigoureuse des faits exposés par les parties, afin d’évaluer s’il existe une cause défendable.

[41] L’ancienne Commission a souligné ce qui suit dans Hughes, au paragraphe 105 :

[105] […] [s’il y a] quelque doute que ce soit sur ce que les faits révèlent – présumant que les faits sont véridiques – [la Commission doit] opter pour une conclusion de cas défendable […] [et doit] aussi conserver la possibilité pour le plaignant de faire entendre ses plaintes […]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[16] J’ai suivi cette approche dans la présente affaire. J’ai pris les faits de la plaignante tels qu’ils ont été résumés dans sa plainte et sa réplique et j’ai présumé qu’ils étaient tous véridiques. J’examinerai ces faits en suivant le cadre d’analyse de la cause défendable.

[17] La plaignante a fourni des faits supplémentaires dans ses arguments écrits, en partie pour décrire le contexte dans lequel les événements se sont produits au cours de la période de 90 jours qui a précédé le dépôt de sa plainte. L’employeur a fait valoir que ces faits outrepassent ce que la Commission devrait examiner à ce stade-ci, mais il n’a pas étayé son objection d’un point de vue juridique. J’ai pris en compte les faits qui se seraient produits avant la période de 90 jours qui a précédé le dépôt de la plainte, mais seulement dans une perspective contextuelle, comme la plaignante m’a invité à le faire. Quant aux faits qui se seraient produits au cours de cette période de 90 jours, ils ne font qu’expliquer de façon plus détaillée les faits décrits dans la plainte. Ces faits sont compatibles avec les détails que la plaignante a fournis dans ses arguments écrits.

IV. Nature de la plainte

[18] La plainte dans la présente affaire est admirablement concise. Je peux donc la citer dans son intégralité :

[Traduction]

Depuis que j’ai déposé mes griefs à l’égard de Meighan [la superviseure de la plaignante] et Brooke [la gestionnaire de Meighan], leur attitude envers moi a changé. Plus particulièrement, Meighan ne me regarde pas dans les yeux lorsqu’elle me parle. Meighan a tendance à faire comme si je n’étais pas là et elle ne me prête aucune attention lorsque je lui parle. Meighan m’adresse à peine la parole. Dans les rares occasions où je communique avec elle par courriel, c’est plutôt Brooke qui me répond. J’ai répondu au courriel de Meighan pour l’informer que je serais intéressée et disponible à travailler des heures supplémentaires. Meighan n’a jamais répondu à mon courriel. J’ai aperçu Meighan dans son bureau et lui ai alors demandé si elle avait reçu mon courriel; elle m’a répondu ce qui suit : « J’ai bien reçu votre courriel, mais nous avons déjà trouvé quelqu’un. » Meighan m’a dit que « compte tenu du travail que vous faites pour Brooke, vous ne pouvez pas faire des heures supplémentaires ». Je lui ai alors dit que rien ne dit que je ne peux pas faire des heures supplémentaires. Elle m’a répondu que « compte tenu du grief en cours, vous ne pouvez pas vous trouver ici (services de santé), vous devez rester là-bas (bureau de la santé mentale) ». Le bureau de la santé mentale est l’endroit où Meighan et Brooke m’ont isolée sans justification, et je demeure isolée, loin des autres infirmières des services de santé. J’estime que cet isolement, avec la réponse de Meighan, est une mesure de représailles.

 

[19] Dans sa réponse, l’employeur a décrit certains faits qui se seraient produits selon lui et nié plusieurs des faits allégués par la plaignante. Or, selon le cadre d’analyse applicable à la question de la cause défendable, je ne dois pas tenir compte des faits décrits par l’employeur à moins que la plaignante reconnaisse ceux-ci. Je ne les ai donc pas reproduits dans la présente décision.

[20] La plaignante a déposé sa réplique, dans laquelle elle a nié plusieurs des faits décrits dans la réponse de l’employeur. Il est important de noter qu’elle a également fourni les faits supplémentaires suivants pour étayer sa plainte :

[Traduction]

[…]

6. Du 26 avril 2023 au 29 juin 2023, la plaignante a été contrainte de s’acquitter de tâches administratives qui ne relevaient pas de ses fonctions, ne devaient pas nécessairement être exécutées par une personne ayant une formation en soins infirmiers ou autorisée à pratiquer la profession d’infirmière et n’étaient pas compatibles avec les tâches d’infirmière qu’elle avait exécutées pour le compte de l’employeur depuis 2018. En outre, au cours de la période d’environ deux mois pendant laquelle elle a dû s’acquitter de tâches administratives, la plaignante a perdu un revenu considérable, car l’employeur refusait d’acquiescer à ses demandes de faire des heures supplémentaires en sa qualité d’infirmière.

7. La plaignante ne conteste pas le fait qu’elle a déposé le grief no 68745, mais elle dit l’avoir fait le 5 mai 2023 et non le 6 mai 2023 comme il est mentionné au paragraphe 19. La plaignante ne conteste pas non plus le fait qu’elle affirme dans son grief avoir été victime de discrimination et de mesures disciplinaires déguisées, mais elle souhaite ajouter qu’elle estime également que des mesures disciplinaires ont été prises à son égard sans justification, en contravention du par. 12(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

8. Douze jours après avoir déposé son grief, la plaignante a reçu, le 17 mai 2023, un courriel de sa superviseure qui s’adressait à l’ensemble du personnel des services de santé et qui informait ces derniers qu’il serait possible de travailler des heures supplémentaires durant la fin de semaine à venir. Le lendemain, soit le 18 mai 2023, la plaignante a envoyé un courriel à sa superviseure pour l’informer qu’elle voudrait bien faire des heures supplémentaires. Sa superviseure n’ayant pas répondu à son courriel, la plaignante s’est adressée à elle à ce sujet. La superviseure a dit que « […] en raison du travail que vous faites présentement […] vous ne pouvez pas faire des heures supplémentaires ». Sa superviseure a ajouté que « […] compte tenu du grief en cours, vous ne pouvez pas vous trouver ici (services de santé), vous devez rester là-bas (bureau de la santé mentale) ». Le syndicat fait valoir que la conversation du 19 mai 2023 de la plaignante et sa superviseure démontre clairement que la direction prenait des mesures de représailles à l’égard de la plaignante en raison du grief qu’elle avait déposé.

9. Le 22 mai 2023, la plaignante a également déposé un avis d’incident en vertu du Règlement sur la prévention du harcèlement et de la violence dans le lieu de travail, soutenant qu’elle avait été harcelée par la direction du 30 mai 2022 jusqu’à la date du dépôt de l’avis.

10. Après que la plaignante a déposé le grief no 68745, l’employeur a exigé d’elle qu’elle continue à s’acquitter de tâches administratives durant six autres semaines, soit jusqu’au 29 juin 2023. Au cours de ces six semaines, l’employeur a continué de lui refuser des heures supplémentaires, durant lesquelles elle aurait pu exercer sa profession d’infirmière. Le syndicat fait valoir que ces six semaines, notamment la sanction pécuniaire imposée à la plaignante au cours de ces six semaines, constituaient des mesures de représailles à l’égard de cette dernière relativement au grief no 68745. Selon le syndicat, l’employeur a fait preuve de discrimination à l’égard de la plaignante parce qu’elle avait « […] déposé un grief sous le régime de la partie 2 […] » de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

11. Cependant, même avant le dépôt du grief, l’employeur savait ou aurait dû savoir que la plaignante envisageait d’exercer son droit de déposer un grief en vertu de l’art. 208 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral dès la mi-avril 2023. Le 12 avril 2023, un délégué de l’IPFPC a eu une rencontre avec la superviseure de la plaignante et le responsable des services de santé au cours de laquelle il leur a fait part des inquiétudes du syndicat quant au traitement que la direction réservait à la plaignante.

12. Le syndicat soutient qu’en raison de la rencontre du 12 avril 2023, l’employeur savait ou aurait dû savoir que la plaignante « […] pourrait témoigner dans le cadre d’une procédure ou autrement participer à une procédure […] » sous le régime de la partie 1 ou de la partie 2 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral. Le syndicat avance que l’employeur a ordonné à la plaignante de s’acquitter de tâches administratives le 26 avril 2023 afin de « […] l’intimider, la menacer ou autrement lui imposer des mesures disciplinaires […] » pour faire en sorte qu’elle ne dépose pas de grief ou qu’elle ne prenne pas d’autres mesures pour faire valoir ses droits.

[…]

14. Enfin, le syndicat fait valoir que c’est après que la plaignante a déposé le grief no 68745 qu’on a cessé de la regarder dans les yeux et de répondre à ses courriels et qu’on a commencé à faire comme si elle n’était pas là. Le comportement de la superviseure de la plaignante après le dépôt du grief empêchait en fin de compte cette dernière d’avoir des discussions informelles avec elle au sujet de ce qu’elle pensait d’elle et de son rendement au travail, ce qui a rendu nécessaires le dépôt de la présente plainte et l’intervention de la Commission. Selon le syndicat, ce type de comportement de la part de la superviseure de la plaignante est non seulement compatible avec la prise de mesures de représailles par la direction à l’égard de la plaignante pour la punir d’avoir déposé un grief, mais constitue également une preuve que de telles mesures étaient effectivement prises à son égard.

[…]

 

[21] Les arguments de la plaignante expliquent davantage le contexte dans lequel ces événements se sont produits. Ils décrivent un conflit qui oppose la plaignante et sa superviseure depuis le 9 novembre 2022. Au risque de simplifier exagérément une situation complexe et en constante évolution, je fais remarquer que la superviseure de la plaignante a accusé cette dernière de s’être endormie lors d’une réunion, de se présenter en retard au travail, de s’absenter de son poste de soins infirmiers, de commettre des erreurs au sujet des médicaments à administrer aux patients et, de façon générale, d’avoir l’air mal en point. Par conséquent, la superviseure a dit à la plaignante que son employeur ne pourrait plus lui permettre de suivre l’horaire de travail souple dont elle bénéficiait depuis le 17 juillet 2022 et qui lui permettait de prendre soit d’un membre de sa famille. Enfin, la superviseure a suggéré à la plaignante qu’elle prenne des congés et qu’à son retour, elle lui présente un billet de médecin attestant qu’elle était apte à retourner au travail. La plaignante a pris un congé de maladie qui s’est étendu jusqu’à 17 janvier 2023, le jour où elle est retournée au travail.

[22] Le 8 février 2023 ou vers cette date, la plaignante s’est présentée en retard au travail en raison d’une tempête de neige. Pour cette raison ou peut-être pour une autre raison que j’ignore, elle a reçu l’ordre de rentrer à la maison et de laisser une autre personne conduire sa voiture. Un délégué syndical a alors fait parvenir un courriel à un responsable de l’employeur pour se plaindre de la façon dont la plaignante avait été traitée. La plaignante a présenté cet extrait du courriel :

[Traduction]

[…]

[…] « […] le fait que nul autre que le gestionnaire des Services de santé mette Irowa dans une telle situation qui portait atteinte à sa dignité sans motif ou explication raisonnables trahit un grand manque d’empathie et de respect et constitue une conduite franchement irresponsable […] ». Le délégué syndical a ajouté ce qui suit : « Tout cela me rappelle des plaintes de violence en milieu de travail qui remontent à 2018/19 et qui avait déchiré le tissu sociopolitique de ce milieu de travail, ce qui avait eu pour effet de provoquer le départ en congé de maladie d’une grande partie du personnel au cours de ces années-là […] Plusieurs des causes sous-tendant les problèmes de violence en milieu de travail qui ont été identifiées se rapportaient, en définitive, à des conditions de travail similaires aux incidents décrits ci-dessus, et voilà qu’elles resurgissent en tant que problématique à régler ».

[…]

 

[23] La plaignante déclare que le 14 avril 2023, elle avait oublié ses lunettes de vue à la maison et qu’elle avait donc eu du mal à lire les ordonnances de médicaments. Elle dit avoir alors reçu l’ordre de rentrer à la maison, et ce même si elle n’avait commis aucune erreur ce jour-là. Elle s’est absentée durant trois quarts de travail et a obtenu une note de son médecin, le 20 avril 2023, selon laquelle elle était apte à travailler. Néanmoins, le 26 avril 2023, l’employeur l’a affectée à un projet spécial qui l’empêchait d’exercer ses tâches d’infirmière. Tout au long de ce projet spécial, elle a travaillé 7,5 heures par jour, du lundi au vendredi, au lieu de son régime de travail habituel, qui consistait en des quarts de travail de douze heures. Cela l’empêchait d’être payée pour les heures supplémentaires qu’elle travaillait sous son régime de travail habituel.

[24] Le 5 mai 2023, la plaignante a déposé un grief pour s’opposer à cette affectation. Le 22 mai 2023, elle a également déposé un avis d’incident, en vertu de la partie II du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2), dans lequel elle disait être victime de harcèlement et de violence sur le lieu de travail.

V. Cadre de la décision

[25] Comme je l’ai déjà indiqué, la présente décision porte sur la question de savoir si la plainte soulève une cause défendable selon laquelle l’employeur se serait livré à une pratique déloyale. J’ai divisé les présents motifs en deux grandes parties. D’abord, j’examinerai la question de savoir s’il existe une cause défendable selon laquelle l’employeur a contrevenu à l’alinéa 186(2)a) de la Loi ou s’il existe une cause défendable selon laquelle il a contrevenu à l’alinéa 186(2)c) de cette loi. Pour conclure, j’analyserai la défense fondée sur le paragraphe 191(2) de la Loi invoquée par le défendeur.

VI. La cause défendable en rapport avec l’alinéa 186(2)a) de la Loi

A. La plaignante doit soulever une cause défendable établissant un lien de causalité entre le comportement de l’employeur et le dépôt d’un grief

[26] L’alinéa 186(2)a) de la Loi interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci ainsi qu’au titulaire d’un poste de direction ou de confiance de prendre toute une série de mesures « pour l’un ou l’autre des motifs » visés aux sous-alinéas 186(2)a)(i) à (iv) de la Loi, qui se rapportent à des mesures pouvant être prises par un plaignant. L’utilisation de l’expression « pour l’un ou l’autre des motifs » signifie qu’il doit y avoir un lien de causalité entre la mesure reprochée à l’employeur ou au titulaire d’un poste de direction et la mesure prise par la plaignante. Cela signifie donc qu’il faut que l’employeur ou le titulaire d’un poste de direction ait pris la mesure reprochée après que la plaignante a pris l’une des mesures mentionnées aux sous-alinéas 186(2)a)(i) à (iv) de la Loi.

[27] Le sous-alinéa 186(2)a)(iii) de la Loi mentionne le fait de « [déposer] un grief sous le régime de la partie 2 […] ». Ce sous-alinéa est très clair : la plaignante doit soulever une cause défendable selon laquelle l’employeur a pris les mesures qui lui sont reprochées au motif qu’elle a déposé un grief, ce qui exige que les mesures aient été prises après le dépôt du grief.

[28] Par ailleurs, le sous-alinéa 186(2)a)(ii) de la Loi prévoit que l’une de ces mesures est que le plaignant « a participé, à titre de témoin ou autrement, à toute procédure prévue par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1, ou pourrait le faire ». La plaignante fait valoir que comme elle sera inévitablement un témoin relativement à son grief, elle est également visée par ce sous-alinéa. De plus, elle soutient que les mots « pourrait le faire » [je mets en évidence] à ce sous-alinéa s’appliquent à une action qui lui est reprochée et qu’elle a prise avant le dépôt de son grief le 5 mai 2023. Elle fait valoir que, dès le 8 février 2023, ses gestionnaires auraient dû savoir que le dépôt d’un grief était [traduction] « une possibilité bien réelle ».

[29] J’ai conclu que la possibilité de participer, à titre de témoin ou autrement, à son propre grief n’est pas visée par le sous-alinéa 186(2)a)(ii) de la Loi, sinon le sous-alinéa 186(2)a)(iii) de la Loi serait superflu. Avoir une interprétation contraire irait à l’encontre de la présomption d’absence de tautologie dans la législation. Comme l’explique Ruth Sullivan à la page 211 de son ouvrage intitulé The Construction of Statutes (7éd.) :

[Traduction]

On doit présumer que le législateur évite d’utiliser des mots superflus ou sans signification, qu’il ne se répète pas et qu’il ne parle pas inutilement. On doit présumer que chaque mot dans une loi est porteur de sens et joue un rôle bien précis dans la réalisation de l’objet de la loi.

 

[30] Si le sous-alinéa 186(2)a)(ii) de la Loi visait la participation d’un plaignant à la procédure qu’il a lui-même lancée, le sous-alinéa 186(2)a)(iii) de cette loi serait vidé de son sens parce que la présentation d’une demande, le dépôt d’une plainte ou le dépôt d’un grief inclut le fait de participer à la procédure. Autrement dit, si le sous‑alinéa 186(2)a)(ii) de la Loi visait également le fait de témoigner ou d’autrement participer à la procédure que l’on a soi-même lancée, tout ce qui est visé par le sous-alinéa 186(2)a)(iii) de la Loi serait également visé par le sous-alinéa 186(2)(a)(ii). C’est pour cette raison que le sous-alinéa 186(2)a)(ii) de la Loi vise le fait de participer à toute procédure se rapportant à autrui et non celui de lancer sa propre procédure. Or, comme la plainte vise des mesures de représailles que l’employeur aurait prises relativement au dépôt d’un grief par la plaignante, le sous-alinéa 186(2)a)(ii) de la Loi ne s’applique pas. Aucune cause défendable selon laquelle l’employeur aurait contrevenu au sous-alinéa 186(2)a)(ii) de la Loi ne peut donc être soulevée.

[31] Pour ce qui est du sous-alinéa 186(2)a)(iv) de la Loi, la plainte ne mentionne pas quel « droit prévu par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1 » la plaignante a exercé, sauf le fait de déposer un grief, ce qui est plutôt visé par le sous-alinéa 186(2)a)(iii) de la Loi. La plainte fait bien référence à du harcèlement et de la violence en milieu de travail. Cependant, le sous-alinéa 186(2)a)(iv) de la Loi interdit seulement la prise d’une mesure visant à faire en sorte que le plaignant s’abstienne de participer à une procédure sous le régime des parties 1, 2 ou 2.1 de la Loi. Toute plainte de harcèlement ou de violence en milieu de travail doit être faite sous le régime du Code canadien du travail. Les seuls pouvoirs que le Code canadien du travail confère à la Commission sont énumérés à la partie 3 de la Loi. Par conséquent, ils ne s’appliquent pas relativement à une plainte faite au titre du paragraphe 186(2) de la Loi.

[32] J’examinerai maintenant les deux mesures qui, selon la plaignante, contrevenaient au sous-alinéa 186(2)a)(iii) de la Loi, à savoir le refus des heures supplémentaires et l’attitude de sa gestionnaire. Comme je l’ai déjà indiqué, cela signifie que la plaignante doit soulever une cause défendable selon laquelle le comportement reproché s’est produit après qu’elle a déposé son grief et parce qu’elle l’a déposé.

B. Aucune cause défendable n’a été soulevée selon laquelle il existe un lien de causalité entre le refus des heures supplémentaires et le dépôt d’un grief

[33] J’ai conclu qu’aucune cause défendable n’a été soulevée selon laquelle il existe un lien de causalité entre le refus des heures supplémentaires et le dépôt d’un grief.

[34] Comme il a déjà été mentionné, la plaignante s’est vue confier des tâches administratives le 26 avril 2023, ce qui l’a incitée à déposer un grief le 5 mai 2023. L’une des conséquences pour la plaignante de se voir confier des tâches administratives est qu’à partir du 26 avril 2023, elle ne pouvait plus faire des heures supplémentaires et, pour reprendre ses propos dans ses arguments, elle [traduction] « […] ne pourrait plus gagner des heures supplémentaires ».

[35] La plaignante fait valoir que le refus de lui permettre de faire des heures supplémentaires à partir du 18 mai 2023 était lié au fait qu’elle avait déposé un grief. Cependant, voici comment elle a décrit la discussion qu’elle a eue avec sa superviseure :

[Traduction]

[…]

[…] Sa superviseure a dit que « […] compte tenu du travail que vous faites […] vous ne pouvez pas faire des heures supplémentaires ». Sa superviseure a ajouté que « […] compte tenu du grief en cours, vous ne pouvez pas vous trouver ici (services de santé), vous devez rester là-bas (bureau de la santé mentale) ».

[…]

 

[36] Dans ses arguments écrits, la plaignante confirme cette version des événements dans les termes suivants :

[Traduction]

[…]

29. Certains des incidents à l’origine de cette plainte se sont produits les 17, 18 et 19 mai 2023 et sont décrits dans le document de plainte original de la plaignante. Ces incidents comprennent notamment une déclaration de Mme Jones selon laquelle « compte tenu du travail que vous faites pour Brooke, vous ne pouvez pas faire des heures supplémentaires ». Lorsque la plaignante a fait remarquer à Mme Jones que la convention collective ne contenait pas une telle règle, cette dernière lui a répondu que « compte tenu du grief en cours, vous ne pouvez pas vous trouver ici (services de santé), vous devez rester là-bas (bureau de la santé mentale) ».

[…]

 

[37] La plaignante confirme elle-même qu’on lui refusait des heures supplémentaires parce qu’on lui avait confié des tâches administratives. Sa plainte ne soulève pas de cause défendable selon laquelle il existe un lien de causalité entre le dépôt de son grief et le fait qu’on lui a refusé de faire des heures supplémentaires. Ce refus est survenu avant que la plaignante ne dépose son grief et il a perduré après le dépôt du grief, pour les mêmes raisons.

C. Il existe une cause défendable selon laquelle le changement d’attitude de la superviseure après le dépôt du grief pourrait constituer une pratique déloyale

1. Il existe une cause défendable selon laquelle le changement d’attitude est survenu après que la plaignante a déposé son grief

[38] En ce qui concerne le changement d’attitude, la plaignante a dit qu’en résumé, le fondement de la plainte était que sa superviseure [traduction] « ne la regarde pas dans les yeux, a tendance à faire comme si elle n’était pas là, ne lui prête aucune attention, lui adresse rarement la parole et ne répond pas à ses courriels […] ». Elle ajoute que cela constituait [traduction] « davantage de harcèlement et de violence en milieu de travail » [le passage en évidence l’est dans l’original].

[39] En réponse à cette version des événements de la plaignante, l’employeur soutient que ce soi-disant changement d’attitude n’en était pas un; cette attitude était plutôt la manifestation d’un comportement qui avait commencé avant le dépôt du grief. Par conséquent, il n’y a pas de lien entre le comportement reproché et le dépôt d’un grief par la plaignante.

[40] Cependant, la plaignante ne se contente pas d’alléguer la poursuite du même type de comportement qui avait commencé avant le 5 mai 2023. Plus précisément, elle soutient avoir été victime de harcèlement avant et après le 5 mai 2023. Cependant, elle avance également que le comportement de sa superviseure a changé après le dépôt du grief, mentionnant que c’est après qu’elle a déposé le grief [traduction] « qu’on a cessé de la regarder dans les yeux et de répondre à ses courriels et qu’on a commencé à faire comme si elle n’était pas là […] ».

[41] Plus particulièrement, pour ce qui est de son allégation selon laquelle on ne répondait plus à ses courriels, la plaignante n’a donné qu’un seul exemple de ce comportement, à savoir l’omission de sa superviseure de répondre au courriel dans lequel elle lui avait demandé de faire des heures supplémentaires le 17 mai 2023 (la superviseure lui ayant plutôt répondu verbalement le 18 mai 2023 en lui disant qu’elle ne pourrait pas faire des heures supplémentaires). En outre, la plaignante ne soutient pas qu’on ne répondait pas à ses courriels; elle fait plutôt valoir que sa superviseure n’y répondait pas directement et que c’est la gestionnaire de cette dernière qui le faisait. Étant donné que le fait de ne pas répondre à ses courriels est survenu après la date du dépôt du grief, il existe une cause défendable selon laquelle ce comportement est survenu parce que la plaignante avait déposé son grief.

2. L’attitude de mutisme est assez grave pour être visée par les activités que l’alinéa 182(2)a) de la Loi interdit

[42] Par conséquent, la question est de savoir si le fait qu’un superviseur [traduction] « […] a cessé de la regarder dans les yeux et de répondre à ses courriels et a commencé à faire comme si elle n’était pas là […] » est un comportement que l’alinéa 186(2)a) de la Loi interdit.

[43] Au risque de simplifier exagérément la situation, je fais remarquer que, selon la plaignante, sa superviseure a adopté une attitude de mutisme à son égard. L’employeur fait valoir que ce comportement n’est pas assez grave pour contrevenir à l’alinéa 186(2)a) de la Loi. La plaignante soutient le contraire.

[44] L’alinéa 186(2)a) de la Loi interdit les actions suivantes :

· refuser d’employer ou de continuer à employer une personne;

· la suspendre;

· la mettre en disponibilité;

· la licencier par mesure d’économie ou d’efficacité à la Gendarmerie royale du Canada;

· faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi;

· l’intimider;

· la menacer;

· prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard.

 

[45] Lorsque j’ai demandé aux parties de me fournir des arguments écrits dans la présente affaire, je leur ai demandé de me fournir des arguments portant précisément sur la question de savoir lesquelles de ces actions, le cas échéant, visaient le changement d’attitude. La plaignante soutient que l’attitude et le comportement que j’ai déjà analysés (c.-à-d. le refus de la regarder dans les yeux, le fait d’agir comme si elle n’était pas là, le fait de rarement lui adresser la parole et l’omission de répondre à ses courriels) sont visés par les interdictions suivantes : l’intimidation et la menace. L’employeur, quant à lui, fait valoir que l’attitude et le comportement reprochés ne sont visés par aucune de ces interdictions; plus précisément, il soutient que ce comportement ne peut pas raisonnablement être perçu comme étant de l’intimidation ou une menace à l’égard de la plaignante.

[46] La question en litige qui oppose les parties est la suivante : à quel point la conduite reprochée doit-elle être grave pour être visée par les éléments suivants de l’alinéa 186(2)a) de la Loi : « l’intimider, la menacer ou prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard »? La plaignante avance que la conduite reprochée serait visée par la définition de « harcèlement » contenue dans le Code canadien du travail, telle que décrite plus en détail dans le document intitulé « Obligations des employeurs pour prévenir le harcèlement et la violence en milieu de travail sous réglementation fédérale », publié par Emploi et Développement social Canada, qui précise ce qui constitue du harcèlement au sens du Code canadien du travail et ce qui n’en constitue pas. La plaignante soutient que le harcèlement en milieu de travail est nécessairement visé par « l’intimider, la menacer ou prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard ». Pour étayer son argument, elle cite Joe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 10, dans laquelle la Commission a dit ce qui suit, au paragraphe 46, en interprétant l’alinéa 186(2)c) de la Loi :

[…]

[…] L’alinéa 186(2)c) comprend l’expression « ou autres ». Les règles d’interprétation de la loi exigent que cette expression soit interprétée comme [traduction] « ou autres moyens du même genre » (Manella, au par. 24, le passage en évidence l’est dans l’original). À mon avis « un moyen du même genre » comprendrait, sans toutefois s’y limiter, la mauvaise volonté, la tromperie, la fraude et l’exercice déraisonnable du pouvoir de la direction.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[47] Bien qu’elle ne le dise pas expressément, la plaignante soutient que ce harcèlement reproché serait une manifestation de « mauvaise volonté » et que la mauvaise volonté est visée par l’alinéa 186(2)a) de la Loi ainsi que l’alinéa 186(2)c) de celle‑ci.

a. Il n’est pas nécessaire que les actions reprochées soient accompagnées d’un usage de la force ou d’une menace d’usage de la force

[48] En revanche, l’employeur soutient que l’alinéa 186(2)a) de la Loi exige qu’un comportement plus grave ait été adopté. Pour étayer cet argument, il se fonde sur des décisions de la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) selon lesquelles pour conclure à l’existence d’une pratique déloyale, il doit y avoir [traduction] « […] un quelconque usage de la force ou une menace d’usage de la force, peu importe que la force soit de nature physique ou non »; voir C.A.W. v. Atlas Specialty Steels, [1991] O.L.R.B. Rep. June 728, au paragraphe 12. La CRTO a également déclaré que pour qu’une activité constitue une pratique déloyale, il doit y avoir [traduction] « […] une menace d’usage de la force (peu importe qu’elle soit de nature physique ou non) […] »; voir Labourers’ International Union of North America, Local 183 v. Turnkey Site Solutions Ltd. (2019), 36 C.L.R.B.R. (3d) 306, au paragraphe 22.

[49] La difficulté que soulève le fait que l’employeur invoque de la jurisprudence ontarienne est que le libellé de la loi ontarienne n’est pas le même que celui de la Loi. Ces deux décisions portent sur l’interprétation des articles 70 et 76 de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario (L.O. 1995, chap. 1, annexe A). L’article 70 de cette loi interdit à l’employeur de s’ingérer dans les activités d’un syndicat, sauf s’il ne fait qu’« exprimer son point de vue » et « pourvu qu’il ne recoure pas à la contrainte, à l’intimidation, à la menace, à une promesse ni n’abuse de son influence ». L’article 70 de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario équivaut, sur le plan fonctionnel, aux paragraphes 186(1) et (5) de la Loi, et non au paragraphe 186(2) de celle-ci. L’article 76 de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario équivaut, sur le plan fonctionnel, au paragraphe 186(2) de la Loi. Cependant, son libellé diffère grandement de celui de la Loi. L’article 76 de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario interdit d’empêcher l’exercice de tout droit que confère cette loi « par la menace » (« by intimidation or coercion » dans la version anglaise). En revanche, le terme « coercion » ne figure pas dans (la version anglaise de) la Loi. Je n’ai donc pas suivi ces décisions ontariennes.

[50] L’employeur se fonde également sur des décisions de la British Columbia Labour Relations Board [Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique] dans lesquelles cette dernière est parvenue à la même conclusion que les décisions ontariennes, à savoir qu’il doit y avoir un usage de la force, de menaces, de la crainte ou de contrainte. L’employeur soutient que le Labour Relations Code (RSBC 1996, c. 244) [Code des relations de travail] de la Colombie-Britannique est pratiquement identique à la Loi et que, par conséquent, les décisions de cette commission à cet égard sont plus convaincantes. Il est vrai que le paragraphe 6(3) du Code des relations de travail de la Colombie-Britannique est pratiquement identique au paragraphe 186(2) de la Loi. Cependant, la décision invoquée par l’employeur (à savoir Certain Employees of RJ Healthlink Ltd v. RJ Healthlink Ltd, 2011 CanLII 47715 (BC LRB), aux par. 30 à 35 et les décisions qui y sont citées) porte sur l’interprétation de l’article 9 de ce code, qui prévoit ce qui suit : [traduction] « Il est interdit d’utiliser quelque forme de coercition ou d’intimidation que ce soit qui pourrait raisonnablement avoir pour effet de contraindre ou d’amener une personne à devenir ou s’abstenir de devenir membre d’un syndicat ou de continuer ou de cesser de continuer d’appartenir à un syndicat » [je mets en évidence]. Comme je l’ai indiqué précédemment, le terme « coercion » ne figure pas dans (la version anglaise de) la Loi. Je n’ai donc pas non plus suivi ces décisions de la Colombie-Britannique.

[51] L’employeur se fonde également sur Walenius c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2020 CRTESPF 48, dans laquelle la Commission a rejeté une plainte présentée au titre du paragraphe 186(1) de la Loi au motif que la plaignante n’était pas représentée par un agent négociateur et que, par conséquent, elle n’avait pas qualité pour présenter la plainte. La Commission a également souligné au passage que la source sous-jacente du conflit (qui portait sur un laissez-passer) était liée à d’autres conflits et non au fait que la plaignante voulait assister à un déjeuner organisé par son syndicat. L’employeur soutient qu’il ressort de cette décision que le conflit subjectif et personnel n’est pas visé par l’alinéa 186(2)a) de la Loi. Cependant, Walenius portait sur le paragraphe 186(1) de la Loi, dont l’objectif est de protéger les droits des agents négociateurs. Tout ce que la Commission a dit dans Walenius, c’est que le conflit personnel qui opposait l’employé et l’employeur dans cette affaire ne concernait pas l’agent négociateur pour la simple raison qu’il portait sur un déjeuner organisé par le syndicat. Cette décision n’a aucune incidence sur l’interprétation ou l’application du paragraphe 186(2) de la Loi.

[52] L’employeur s’est également fondé sur Laplante c. Conseil du Trésor (Industrie Canada et le Centre de recherches sur les communications), 2007 CRTFP 95, dans laquelle la Commission a rejeté une plainte présentée au titre du paragraphe 186(2) de la Loi au motif que la plaignante n’avait pas fait valoir que le comportement de son employeur, qui équivalait à du harcèlement selon elle, visait à la punir parce qu’elle avait déposé un grief. La Commission s’est grandement appuyée sur le fait que la plaignante avait déposé sa plainte et son grief en même temps. Or, dans la présente affaire, la plaignante dit clairement que ce que j’ai appelé l’« attitude de mutisme » visait à la punir pour avoir déposé un grief.

b. Il ne faut pas interpréter les mots « l’intimider, la menacer ou prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard » dans le contexte des autres éléments énumérés à l’alinéa 186(2)a) de la Loi, car ces derniers n’ont pas de caractéristique commune

[53] Enfin, l’employeur soutient qu’il convient d’interpréter les mots « faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi » et les mots « l’intimider, la menacer ou prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard » dans le contexte des autres éléments énumérés à l’alinéa 186(2)a) de la Loi, à savoir refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donné, ou encore de la suspendre ou de la mettre en disponibilité. Selon lui, il convient donc de conclure que les mots « faire à son égard des distinctions illicites » et « l’intimider, la menacer ou prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard » désignent des actions similaires aux autres actions interdites par cet alinéa.

[54] Selon l’argument de l’employeur, il convient d’interpréter les mots ou expressions en tenant compte des autres mots à proximité. Selon lui, le sens des mots qui figurent dans une loi peut se déduire par rapport aux autres mots. L’expression latine pour désigner cette approche est noscitur a sociis. L’un des aspects de cette méthode d’interprétation est que la signification d’un mot ou d’un terme de nature générale dans une énumération est restreinte par celle des éléments qui appartiennent à la même catégorie. L’expression latine pour désigner cette règle est ejusdem generis; il s’agit de la règle que l’employeur m’invite à suivre.

[55] Cependant, l’une des exigences de la règle ejusdem generis est qu’il doit exister un certain élément commun dans la liste des termes employés. Par exemple, dans Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, la Cour suprême du Canada devait interpréter ce qui était alors le paragraphe 61.5(9) (maintenant le par. 242(4)) du Code canadien du travail, selon lequel lorsque l’arbitre décide que le congédiement d’une personne était injuste, il peut requérir de l’employeur « de payer à cette personne une indemnité », « de réintégrer la personne dans son emploi » et « de faire toute autre chose qu’il juge équitable d’ordonner afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d’y remédier ». L’arbitre dans cette affaire avait ordonné à l’employeur de remettre à l’employé une lettre de recommandation. L’employeur s’y était opposé en faisant valoir que l’arbitre n’avait pas le pouvoir de rendre une telle ordonnance parce que le pouvoir d’ordonner « de faire toute autre chose » devrait se limiter à celui de trouver des réparations similaires au paiement d’une indemnité et à la réintégration de la personne dans son emploi. La Cour suprême du Canada ne souscrivait pas à cet argument, car les deux premiers éléments de la liste n’avaient pas de « caractéristique commune » (à la page 1072) qui aurait pour effet de restreindre la portée du troisième élément. Je fais remarquer que bien que le juge qui ait rédigé cette partie de la décision était dissident en partie quant au résultat, l’ensemble des juges souscrivaient à son interprétation de la loi.

[56] De la même façon, dans le présent cas, les autres éléments de l’alinéa 186(2)a) de la Loi n’ont pas de « caractéristique commune ». Par souci de commodité, j’ai reproduit la liste en entier :

186(2)a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, de la licencier par mesure d’économie ou d’efficacité à la Gendarmerie royale du Canada ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs […]

186(2)(a) refuse to employ or to continue to employ, or suspend, lay off, discharge for the promotion of economy and efficiency in the Royal Canadian Mounted Police or otherwise discriminate against any person with respect to employment, pay or any other term or condition of employment, or intimidate, threaten or otherwise discipline any person….

 

[57] Selon l’employeur, je devrais extirper les éléments « ou de faire à son égard des distinctions illicites » et « l’intimider » et « la menacer » et les interpréter de façon compatible avec les autres éléments compris dans la liste. La façon la plus courante d’appliquer la règle ejusdem generis survient lorsqu’une liste de termes précis précède un seul terme général – et non lorsque certains des termes sont précis et d’autres, plus généraux. Je connais au moins un cas dans lequel une cour a appliqué la règle ejusdem generis pour interpréter deux éléments d’une liste qui en comprenait quatre (2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, aux par. 195 à 197). Or, même dans ce cas, le juge était minoritaire. Cela dit, je ne connais aucun cas dans lequel trois éléments d’une liste ont été interprétés en fonction des quatre autres éléments contenus dans celle-ci.

[58] Or, même si j’acceptais que la règle ejusdem generis puisse s’appliquer de façon à restreindre le sens de trois éléments généraux dans une liste qui en contient sept, la difficulté à laquelle je serais confronté est que les quatre autres éléments n’ont aucune caractéristique commune. Les mots « […] refuser d’employer ou de continuer à employer […] », « licencier » et « mettre en disponibilité » se rapportent tous à la cessation d’emploi, contrairement au mot « suspendre ». Les mots « refuser […] de continuer à employer » et « suspendre » pourraient être interprétés, compte tenu du dernier élément de la liste, à savoir « prendre d’autres mesures disciplinaires », comme signifiant que la caractéristique commune des éléments est qu’ils sont tous des mesures disciplinaires, mais « mettre en disponibilité » et « licencier par mesure d’économie ou d’efficacité à la Gendarmerie royale du Canada » n’en sont pas.

[59] Pour conclure, je fais remarquer que contrairement aux dispositions des lois de l’Ontario et de la Colombie-Britannique que j’ai déjà analysées, l’alinéa 186(2)a) de la Loi s’applique même si l’employeur ou le titulaire d’un poste de direction n’utilisent pas la force ou ne font aucune menace physique pour parvenir à leurs fins. Comme la Commission l’a dit récemment dans Coupal c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2021 CRTESPF 124, au paragraphe 233 (dans un extrait cité par l’employeur), « [e]n vertu de l’alinéa 186(2)a) […], il est interdit à l’employeur de prendre des mesures punitives contre des employés qui cherchent à exercer leurs droits ». Par ailleurs, la Commission a déjà déclaré que l’alinéa 186(2)a) de la Loi interdit la prise de « mesures de représailles » à l’égard de toute personne qui a exercé les droits qui y sont énumérés; voir Quadrini c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 37, aux paragraphes 45 à 47.

[60] Le harcèlement peut certainement constituer une mesure punitive. Il peut également constituer une mesure de représailles. Adopter une attitude de mutisme à l’égard d’une personne peut être du harcèlement, selon les circonstances; voir, par exemple, Lemay c. Canada (Procureur général), 2019 CF 608, aux paragraphes 32 à 35, Loyer c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 16, aux paragraphes 21 à 32, Hertz Canada Limited v. Canadian Office and Professional Employees’ Union, Local 378, [2011] B.C.W.L.D. 6915, au paragraphe 20, et United Nurses of Alberta v. Alberta Health Services, 2019 CanLII 4278 (AB GAA), au paragraphe 20. Par conséquent, l’attitude de mutisme peut être une mesure punitive ou encore une mesure de représailles et elle peut constituer une menace ou de l’intimidation.

[61] Par conséquent, j’ai conclu que la plaignante a soulevé une cause défendable selon laquelle l’adoption d’une attitude de mutisme à son égard après qu’elle a déposé son grief contrevenait au sous-alinéa 186(2)a)(iii) de la Loi.

[62] Je tiens à souligner que cela ne veut pas dire que la plainte sera nécessairement accueillie. Il se peut que l’employeur s’acquitte du fardeau qui lui incombe d’établir qu’aucune attitude de mutisme n’a été adoptée, que ses actions et celles de ses gestionnaires étaient appropriées ou que l’attitude de mutisme ne revêtait pas une importance telle qu’elle justifie l’octroi d’une réparation en application du sous-alinéa 186(2)a)(iii) de la Loi. Cependant, ces questions nécessiteront une audience devant la Commission. La plaignante a soulevé une cause défendable.

VII. Absence de cause défendable selon laquelle il y aurait eu contravention de l’alinéa 186(2)c) de la Loi

[63] Comme je l’ai déjà mentionné, la raison d’être de l’alinéa 186(2)a) de la Loi est d’interdire à l’employeur ou à ses gestionnaires de prendre des mesures punitives ou de représailles à l’égard des employés qui exercent leurs droits. L’alinéa 186(2)c) de la Loi, quant à lui, « interdit toute mesure pouvant empêcher l’accès aux recours en vertu de la Loi. Il n’est pas nécessaire que la mesure soit punitive; l’empêchement lui‑même est interdit »; voir Coupal, au paragraphe 233.

[64] Cependant, l’alinéa 186(2)c) de la Loi prévoit qu’il est interdit à l’employeur ou au titulaire d’un poste de direction « de chercher […] à obliger une personne […] à s’abstenir […] » de déposer un grief ou de participer à toute procédure sous le régime de la Loi. Lorsque j’ai demandé aux parties de me fournir des arguments écrits dans la présente affaire, je leur ai demandé de préciser le comportement de la plaignante qu’on cherchait à faire cesser. Voici ce que la plaignante a dit à ce sujet :

[Traduction]

[…]

53. Le syndicat fait valoir qu’il ne fait pas de doute qu’il s’agit d’un cas visé par l’alinéa 186(2)c) de la Loi. Encore une fois, le syndicat soutient que si l’on tient pour acquis que les allégations de la plaignante sont véridiques, le lien entre le dépôt d’un grief par cette dernière et la mesure punitive prise à son égard en l’empêchant de faire des heures supplémentaires tant et aussi longtemps que le grief n’était pas réglé est clair, direct et évident.

54. Le syndicat fait valoir qu’en faisant du cas de la plaignante un cas exemplaire en l’isolant de ses collègues, en insistant pour qu’elle se trouve dans un autre service et en l’empêchant d’accomplir ses tâches habituelles d’infirmière, l’employeur a envoyé un message clair à la plaignante et peut-être aussi à d’autres membres du personnel que l’exercice, par cette dernière, des droits que lui confèrent la convention collective ou la loi l’exposerait à d’autres sanctions. Selon les arguments que la plaignante a présentés, ces sanctions supplémentaires consistaient notamment en l’interdiction qui lui était faite de travailler des heures supplémentaires tant et aussi longtemps qu’elle maintenait son grief. Le syndicat soutient que l’employeur a tenté d’intimider, de menacer et de pénaliser la plaignante afin qu’elle s’abstienne (i) de témoigner ou autrement participer à un grief ou toute autre procédure (ii) de faire une divulgation qu’elle pourrait se voir dans l’obligation de faire dans le cadre d’un grief ou d’une autre procédure et (iii) de présenter un grief ou une plainte.

[…]

 

[65] Selon ma compréhension des arguments de la plaignante, elle soutient que l’employeur souhaitait faire en sorte qu’elle s’abstienne de déposer un grief et de participer à ce dernier. Elle avance également que le comportement allégué par lequel on cherchait à l’empêcher de déposer son grief était la décision de lui faire occuper un poste de nature administrative (c.-à-d. « […] en l’isolant de ses collègues, en insistant pour qu’elle se trouve dans un autre service et en l’empêchant d’accomplir ses tâches habituelles d’infirmière […] »). C’est le 26 avril 2023 qu’elle a commencé à occuper le poste de nature administrative. La plaignante est plus vague au sujet du grief à l’égard duquel on exerçait une pression sur elle afin qu’elle s’abstienne de le déposer.

[66] Dans ses arguments écrits, la plaignante soutient que, dès le 8 février 2023, l’employeur savait que son agent négociateur était d’avis que ce dernier s’était comporté de manière [traduction] « irrespectueuse, insensible et irresponsable » et que son comportement s’apparentait à un comportement qui avait été la source de plaintes de harcèlement et de violence en milieu de travail en 2018 et 2019. La plaignante avance en outre que [traduction] « […] l’employeur savait ou aurait dû savoir, dès le 8 février 2023, qu’il y avait une possibilité bien réelle qu’elle dépose un ou plusieurs griefs en raison de la façon dont elle avait été traitée ».

[67] J’ai lu attentivement les arguments de la plaignante, notamment le résumé qu’elle a fait du contexte dans lequel elle a déposé la présente plainte. Il ressort de ces arguments que trois événements pouvant faire l’objet d’un grief se sont produits : la rencontre du 9 novembre 2022 avec la direction, le fait qu’on l’a renvoyée à la maison le 8 février 2023 et le transfert qui a eu lieu le 26 avril 2023.

[68] La plaignante ne fait pas valoir que l’employeur aurait dû savoir qu’il était possible qu’elle dépose un grief en raison de la rencontre du 9 novembre 2022. En outre, le transfert du 26 avril 2023 est la mesure qui, selon elle, a contrevenu à l’alinéa 186(2)c) de la Loi. Elle ne peut donc pas soutenir que l’employeur a pris cette mesure pour l’empêcher de déposer un grief au sujet de cette mesure. Il me reste donc à examiner l’allégation selon laquelle l’employeur aurait pris cette mesure le 26 avril 2023 pour intimider ou menacer la plaignante de sorte qu’elle s’abstienne de déposer un grief au motif que, le 8 février 2023, on lui a ordonné à rester à la maison pendant toute une semaine.

[69] La plaignante soutient que, comme l’employeur savait que le syndicat estimait que la façon dont cette dernière avait été traitée le 8 février 2023 était [traduction] « irrespectueuse, insensible et irresponsable », il aurait dû savoir qu’elle déposerait un grief relativement à ces événements. Cependant, comme l’employeur le fait valoir, la [traduction] « simple possibilité » que la plaignante dépose un grief ou une plainte n’entraîne pas l’application de l’alinéa 186(2)c) de la Loi; voir Construction Labour Relations Assn. of British Columbia v. I.U.P.A.T., District Council 38, [2004] B.C.L.R.B.D. No. 361 (QL), au paragraphe 17, qui applique une disposition de l’article 5 du Code des relations de travail de la Colombie-Britannique dont le libellé est très similaire. Le fait de prétendre qu’une mesure est [traduction] « irrespectueuse, insensible et irresponsable » n’est pas suffisant pour faire savoir à l’employeur qu’un grief sera déposé. L’employé peut se sentir lésé et dire qu’on a manqué de respect à son égard sans pour autant déposer un grief.

[70] La plaignante n’explique pas non plus pourquoi elle n’a rien fait entre le jour où elle estime avoir été maltraitée, le 8 février 2023, et celui où l’employeur lui a confié des tâches administratives, le 26 avril 2023. L’article 34.12 de la convention collective conclue à l’égard des Services de santé entre le Conseil du Trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, qui a expiré le 30 septembre 2022, fixe à 25 jours le délai pour déposer un grief, soit le délai habituel. Or, la plaignante s’est vue confier des tâches administratives bien après l’expiration de ce délai. La plaignante fait essentiellement valoir que l’employeur lui a confié des tâches administratives pour l’intimider afin qu’elle s’abstienne de déposer le grief qu’elle n’avait pas annoncé et qu’elle déposerait éventuellement plus d’un mois en retard. J’ai conclu à l’absence de toute cause défendable selon laquelle l’employeur savait qu’il était possible que la plaignante dépose un grief à l’égard des événements du 8 février 2023, étant donné qu’elle n’a jamais dit qu’elle envisageait de déposer un tel grief et que, de toute façon, un tel grief aurait été déposé hors délai.

[71] J’ai également lu la réponse écrite que la plaignante a préparée à la suite de l’objection initiale de l’employeur et dans laquelle elle déclare que [traduction] « le 12 avril 2023, un représentant de l’IPFPC a eu une rencontre avec la superviseure de la plaignante et le directeur des Services de santé, afin de communiquer à ces derniers l’inquiétude que suscitait, au syndicat, la façon dont la direction traitait la plaignante ». Je ne dispose pas de suffisamment de renseignements pour conclure qu’une cause défendable a été soulevée selon laquelle cette rencontre aurait pu alerter l’employeur que la plaignante déposerait un grief. Je fais remarquer que les arguments écrits de la plaignante, qui sont plus complets et détaillés, ne mentionnent pas cette rencontre.

[72] La plaignante laisse également entendre que le message de son syndicat à son employeur était suffisant pour alerter ce dernier qu’elle déposerait une plainte de harcèlement et de violence en milieu de travail. Cependant, comme je l’ai dit précédemment dans les présents motifs, la violence et le harcèlement en milieu de travail ne relèvent pas des parties 1, 2 et 2.1 de la Loi. Par conséquent, cela ne saurait entraîner l’application de l’alinéa 186(2)c) de la Loi.

[73] Par conséquent, j’ai conclu que la plainte ne soulève pas une cause défendable selon laquelle l’employeur aurait contrevenu à l’alinéa 186(2)c) de la Loi, vu l’absence d’une cause défendable selon laquelle le transfert du 26 avril 2023 visait à intimider ou menacer la plaignante pour faire en sorte qu’elle ne dépose pas de grief à l’égard des événements du 8 février 2023.

VIII. La plainte ne devrait pas être rejetée en raison de l’existence du grief

[74] Le paragraphe 191(2) de la Loi prévoit que la Commission peut refuser de statuer sur la plainte si elle estime que l’affaire pourrait être renvoyée à l’arbitrage sous le régime de la partie 2 de la Loi. Ce pouvoir est discrétionnaire de la part de la Commission.

[75] L’employeur soutient que je devrais appliquer cette disposition [traduction] « dans la mesure où les allégations contenues dans la plainte se rapportent au refus relatif aux heures supplémentaires […] » parce que [traduction] « il est possible de soutenir que la Commission a la compétence pour trancher l’affaire » [je mets en évidence]. Il ne fait pas valoir que ce que j’ai appelé les allégations relatives à l’« attitude de mutisme » devraient être examinées dans le cadre d’un grief. En fait, il soutient que la Commission n’aurait pas compétence pour trancher l’affaire (au paragraphe 74 de ses arguments écrits). Je ne peux donc pas exercer le pouvoir prévu au paragraphe 191(2) de la Loi pour rejeter la plainte.

[76] En outre, l’employeur n’accepte pas sans équivoque que la Commission a compétence pour entendre le grief en arbitrage; il se contente de dire que c’est [traduction] « vraisemblablement » le cas. Or, cela n’est pas suffisant pour entraîner l’application du paragraphe 191(2) de la Loi. Je dois être convaincu que le grief peut être renvoyé à l’arbitrage – pas seulement qu’il pourrait [traduction] « vraisemblablement » l’être. Même si j’étais d’avis que l’affaire pourrait être renvoyée à l’arbitrage, j’exercerais le pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 191(2) de la Loi me confère de ne pas refuser de statuer sur la plainte en l’absence d’une déclaration sans équivoque de l’employeur selon laquelle il ne contesterait pas la compétence de la Commission de régler le grief dans le cadre d’un arbitrage.

[77] L’employeur soutient que toute conclusion tirée au terme de l’enquête sur le harcèlement pourrait faire de la présente plainte un abus de procédure. Or, je ne suis pas saisi de cette question au présent stade, qui vise à déterminer si une cause défendable a été soulevée, et tout ce que je dirais à ce sujet ne serait que de pures hypothèses. Par conséquent, je ne traiterai pas de l’argument de l’employeur au sujet de l’abus de procédure.

[78] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IX. Ordonnance

[79] L’objection préliminaire de l’employeur est accueillie en partie.

[80] Il n’existe pas de cause défendable selon laquelle il y a eu contravention des sous-alinéa 186(2)a)(ii) et 186(2)a)(iv) ou de l’alinéa 186(2)c) de la Loi. Il existe une cause défendable selon laquelle il y a eu contravention du sous-alinéa 186(2)a)(iii) de la Loi.

[81] La plainte sera renvoyée au greffe de la Commission pour être mise au rôle selon la pratique normale.

Le 13 février 2024.

Traduction de la CRTESPF

Christopher Rootham,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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