Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief contestant sa rétrogradation de deux niveaux de classification et a renvoyé le grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)c) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2;la « Loi »)) – l’employeur, un organisme distinct, a soulevé une objection soutenant que la Commission n’avait pas compétence pour entendre le grief, car il s’agissait d’un grief contestant une rétrogradation pour rendement insatisfaisant – le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué que son grief alléguait une mesure disciplinaire déguisée et que le renvoi à l’arbitrage en vertu du mauvais article de la Loi constituait un vice de forme – la Commission a rejeté l’objection de l’employeur en indiquant qu’elle avait compétence pour entendre le grief en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi – elle a déterminé qu’il existait une relation conflictuelle entre le fonctionnaire s’estimant lésé et son gestionnaire – la Commission a conclu que le plan d’action n’avait pas pour objectif d’aider le fonctionnaire s’estimant lésé à améliorer son rendement et que les mesures prises par l’employeur étaient teintées d’une intention disciplinaire – la décision de rétrograder le fonctionnaire s’estimant lésé était basée sur des éléments qui ne faisaient pas partie du plan d’action et dont le fonctionnaire s’estimant lésé ignorait qu’ils serviraient à l’évaluer – le vocabulaire utilisé dans certaines des évaluations du rendement du fonctionnaire s’estimant lésé dévoilait également une intention disciplinaire – la Commission a tiré une conclusion défavorable en raison du défaut de l'employeur de conserver les documents pertinents – la Commission a conclu que le rendement du fonctionnaire s’estimant lésé avait été utilisé comme prétexte pour l’écarter de l’unité de travail en lui imposant une rétrogradation et qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire déguisée.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20240215

Dossier: 566-20-13419

 

Référence: 2024 CRTESPF 22

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

C.D.

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

SERVICE CANADIEN DU RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ

 

employeur

Répertorié

C.D. c. Service canadien du renseignement de sécurité

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le demandeur : Kim Patenaude, avocate

Pour l’employeur : Marc Séguin, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),

du 15 au 19 et le 23 janvier 2024.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief renvoyé à l’arbitrage

[1] Les attentes à l’égard du rendement de polygraphistes du Service canadien du renseignement de sécurité (le « Service » ou l’« employeur ») sont élevées. Les exigences que les polygraphistes sont tenues de respecter sont également élevées, et ce, avec raison. Le Service est un organisme de renseignement qui fut créé pour protéger la sécurité nationale du Canada et celle des Canadiens (voir le préambule de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (L.R.C. (1985), ch. C-23; la « Loi sur le SCRS »).

[2] C.D. (« le fonctionnaire s’estimant lésé » ou « le fonctionnaire ») a été à l’emploi du Service de 2001 à 2023. Il a occupé un poste de polygraphiste (classifié au niveau 9) au sein de l’Unité de polygraphie du Service (« l’Unité ») de janvier 2009 à août 2016. Le 12 août 2016, il a été rétrogradé au niveau 7 et muté à un poste au sein d’une autre direction au sein du Service. Après sa rétrogradation, et jusqu’à ce qu’il ait quitté son emploi auprès du Service en 2023, le fonctionnaire n’a pas occupé les fonctions de polygraphiste.

[3] L’employeur a invoqué le rendement du fonctionnaire comme motif pour sa rétrogradation. Le fonctionnaire a présenté un grief contestant la mesure. Après que son grief fut rejeté par l’employeur, le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)c) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la Loi). Comme il sera expliqué plus loin dans la présente décision, la Commission a instruit le grief du fonctionnaire en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. À la lecture du grief, la Commission a conclu que le fonctionnaire avait allégué que sa rétrogradation constituait une mesure disciplinaire déguisée.

[4] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la rétrogradation du fonctionnaire était effectivement une mesure disciplinaire déguisée. J’accueillerais le grief.

II. Ordonnance de mise sous scellés et d’anonymisation

[5] L’employeur a demandé l’anonymisation de ce dossier. Il a également demandé que soient mis sous scellés tous les documents qui pourraient inclure les noms d’employés du Service ou contenir des renseignements susceptibles à identifier des employés du Service, et ce, jusqu’à ce que ces documents soient remplacés par une version caviardée. Comme l’a indiqué l’employeur dans sa demande, « […] la divulgation des renseignements [qui pourraient identifier les employés du Service] met en danger les employés, et compromet également la capacité du Service à enquêter sur les menaces à la sécurité du Canada et à protéger les méthodes d’opération et les techniques d’enquêtes utilisées par le Service […] ». Le fonctionnaire ne s’est pas opposé à la demande.

[6] En avril 2023, j’ai, provisoirement et de façon interlocutoire, accédé à la demande de l’employeur. J’ai également informé les parties qu’une décision définitive quant à l’anonymisation et la mise sous scellés serait prise lorsque le grief serait tranché sur le fond. Je dois maintenant rendre une décision définitive relativement à la demande de l’employeur.

[7] Le critère à respecter pour pouvoir accorder une ordonnance de confidentialité qui restreint le principe de la publicité des débats judiciaires a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, et reformulé dans Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25. Ce critère est le suivant :

[…]

[38] […] la personne qui demande au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à limiter la présomption de publicité doit établir que :

(1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

(2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et

(3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

[…]

 

[8] J’estime que les éléments du critère décrit précédemment sont satisfaits dans le présent cas.

[9] Comme il a été mentionné précédemment, le Service a été créé pour protéger la sécurité nationale du Canada et celle des Canadiens. Le législateur a voulu protéger l’identité de ces employés. Il a prévu, à la Loi sur le SCRS, qu’il est interdit de divulguer l’identité des employés du Service qui participent, ont participé ou pourraient participer à des activités opérationnelles secrètes. Il n’est pas contesté que l’identité du fonctionnaire, celle des deux autres individus qui ont témoigné lors de l’audience ainsi que l’identité des employés dont les noms figurent dans les documents admis en preuve est visée par le paragraphe 18(1) de la Loi sur le SCRS qui prévoit :

18 (1) Sous réserve du paragraphe (2), nul ne peut sciemment communiquer des informations qu’il a acquises ou auxquelles il avait accès dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ou lors de sa participation à l’exécution ou au contrôle d’application de cette loi et qui permettraient de découvrir l’identité d’un employé qui a participé, participe ou pourrait vraisemblablement participer à des activités opérationnelles cachées du Service ou l’identité d’une personne qui était un employé et a participé à de telles activités.

 

[10] La divulgation d’information qui pourrait identifier les employés du Service pose un risque sérieux pour un intérêt public important, soit la protection des employés du Service et la capacité du Service à enquêter sur les menaces à la sécurité du Canada. J’estime que l’ordonnance demandée par l’employeur est nécessaire pour écarter ce risque. Il n’y a pas, selon moi, d’autres mesures raisonnables pouvant être prises qui permettraient d’écarter ce risque.

[11] L’incidence de l’ordonnance de confidentialité est minime pour la compréhension et l’intelligibilité de cette décision. J’estime que cela satisfait au critère de la proportionnalité énoncé dans Sherman.

[12] Une ordonnance sera émise en conséquence. Les documents non caviardés dans le dossier de la Commission seront mis sous scellés et remplacés par des versions caviardées. Le fonctionnaire sera identifié par les initiales « C.D. ».

[13] Dans la présente décision, des initiales seront utilisées pour identifier les personnes qui ont témoigné lors de l’audience. Des initiales seront également utilisées pour identifier toute autre personne travaillant pour le Service dont l’identité est pertinente au présent dossier. Les initiales qui seront utilisées dans la présente décision ne correspondent pas aux noms des personnes concernées.

III. Compétence de la Commission pour instruire le grief

[14] À quelques jours de l’audience, l’employeur a soulevé une objection relativement à la compétence de la Commission pour instruire ce grief.

[15] Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté son grief en août 2016. À la fin octobre 2016, l’employeur a rejeté le grief sans tenir d’audience ou autrement donner au fonctionnaire l’occasion d’expliquer ou clarifier, au besoin, la nature de ses allégations. En décembre 2016, le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage. L’avis de renvoi contient un texte dont le libellé est très semblable à celui du grief. Toutefois, l’avis de renvoi contient certains énoncés supplémentaires.

[16] Le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi. Cette disposition permet à un fonctionnaire travaillant au sein de l’administration publique centrale de renvoyer à l’arbitrage un grief portant, entre autres, sur une rétrogradation pour rendement insuffisant. Or, comme l’employeur l’a correctement fait valoir, le Service n’étant pas un des organismes énumérés aux annexes 1 et 4 de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11), il ne fait pas partie de l’administration publique centrale. La Commission n’a pas compétence pour instruire un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)c) lorsque le grief implique le Service à titre d’employeur.

[17] Le Service n’est également pas un organisme désigné par le gouverneur en conseil aux fins de l’application de l’alinéa 209(1)d) de la Loi qui permet à un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné de renvoyer à l’arbitrage un grief portant sur une rétrogradation « pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite ».

[18] Selon l’employeur, la Commission ne peut avoir compétence pour instruire le grief du fonctionnaire s’estimant lésé que si le grief a été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, c’est-à-dire si le grief alléguait que la rétrogradation du fonctionnaire constituait une mesure disciplinaire déguisée. L’employeur a fait valoir que le grief ne contient aucune allégation explicite ou implicite de cette nature. Selon l’employeur, les seuls indices pouvant possiblement laisser croire que le fonctionnaire alléguait qu’il avait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée se trouvent dans l’avis de renvoi à l’arbitrage et non dans le grief lui-même. Il est interdit au fonctionnaire de faire valoir un nouveau motif lors du renvoi de son grief à l’arbitrage (voir Burchill c. Procureur Général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.)). L’employeur a cité les décisions « A. » c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2013 CRTFP 3 («« A. » c. SCRS »), Caron c. Commission canadienne de sûreté nucléaire, 2021 CRTESFP 74 et Shneidman c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 192 à l’appui de sa position.

[19] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir qu’il n’était pas représenté par un agent négociateur à l’époque à laquelle il a rédigé son grief. Il a fait de son mieux pour décrire la nature de ses allégations. Bien qu’il eût coché la case sur le formulaire de renvoi de la Commission qui correspond à l’alinéa 209(1)c) de la Loi, il soutient que son grief alléguait implicitement que sa rétrogradation constituait une mesure disciplinaire déguisée. Le renvoi à l’arbitrage de son grief en vertu de l’alinéa 209(1)c) n’est, selon lui, qu’un vice de forme qui n’a pas pour effet de priver la Commission de la compétence pour instruire le présent grief.

[20] Selon le fonctionnaire, même si son grief ne contient pas les mots « discipline » ou « discipline déguisée », l’employeur pouvait comprendre, à la lecture du grief, que le fonctionnaire alléguait avoir été assujetti à une mesure disciplinaire déguisée (voir Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, aux paragraphes 68 et 69 « Parry Sound », et Canada (Procureur général) c. Heyser, 2017 CAF 113, au par. 80). Instruire le grief en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi n’aurait pas, selon lui, pour effet de modifier sa nature (voir Boudreau c. Canada (Procureur général), 2011 CF 868, au par. 18).

[21] Lors de la première journée de l’audience, j’ai entendu les plaidoiries des parties à ce sujet. Après avoir entendu les arguments des parties et avoir consulté la jurisprudence citée par chacune d’entre elles, j’ai rejeté l’objection de l’employeur, avec motifs à suivre. Les voici.

[22] Deux principes importants se dégagent de l’arrêt Parry Sound. Le premier est qu’un grief doit être interprété libéralement de sorte que le grief véritable puisse être tranché. Le deuxième principe veut qu’un grief ne soit pas rejeté pour un vice de forme, mais plutôt en raison de son bien-fondé (Parry Sound, au par. 68). En fait, le législateur a expressément prévu à l’art. 241 de la Loi qu’un vice de procédure n’invalide pas, de ce fait même, un grief. Comme il est indiqué dans Perron c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 109, au par. 18, il est impossible de conclure qu’un arbitre de grief n’aurait pas compétence de trancher un grief pour la seule raison qu’un fonctionnaire n’aurait pas rempli le formulaire de renvoi de grief comme il se devait de le faire. Les exigences procédurales ne devraient pas être rigoureusement appliquées dans les cas où l’employeur ne subirait aucun préjudice (Boudreau, au par. 18).

[23] Il ressortait des plaidoiries des parties qu’elles étaient toutes les deux d’accord que, si le grief du fonctionnaire s’estimant lésé fournissait suffisamment d’information pour soutenir une allégation de discipline déguisée, la Commission aurait la compétence requise pour instruire le grief en vertu de l’art 209(1)b) de la Loi.

[24] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que je pouvais – et que je devrais - prendre en considération le texte du grief ainsi que le texte du renvoi à l’arbitrage dans le cadre de la présente analyse. L’employeur n'était pas d'accord. Selon lui, ma décision relative à cette objection devait être fondée uniquement sur le texte du grief lui-même.

[25] L’ajout de certains énoncés supplémentaires, par le fonctionnaire, à l’avis de renvoi à l’arbitrage, rend la nature de ses allégations plus claires. Il ne s’agit pas, selon moi, d’énoncés qui constituent une modification à la véritable nature de son grief. Toutefois, j’estime qu’il n’est pas nécessaire pour moi de me prononcer sur la question à savoir si la Commission peut se fonder sur l’avis de renvoi à l’arbitrage pour tirer une conclusion quant à sa compétence. J’ai conclu que j’avais compétence pour instruire le présent grief en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi en me fondant uniquement sur le libellé du grief.

[26] Le fonctionnaire n’était pas représenté par un agent négociateur à l’époque à laquelle il a préparé son grief. Il n’était également pas représenté par un agent négociateur au moment où il a renvoyé son grief à l’arbitrage. Il n’est pas juriste. Il n’a pas d’expertise ou d’expérience significative en matière de relations de travail. Il a exposé, du mieux qu’il ne pouvait, l’historique des événements ayant mené à sa rétrogradation et les raisons pour lesquelles sa rétrogradation était, selon lui, injuste et injustifiée.

[27] Le fonctionnaire n’a pas utilisé les mots « discipline » ou « discipline déguisée » dans son grief. Toutefois, il n’était pas tenu de le faire. Le défaut d’utiliser ces mots clés n’est pas déterminant. Comme je l’ai indiqué précédemment, un grief doit être interprété libéralement afin d’identifier sa véritable nature, bien qu’il soit important de prendre garde de ne pas dénaturer le grief présenté par le fonctionnaire (voir Boudreau, au par. 18).

[28] La question que je devais trancher au début l’audience était celle à savoir si le fonctionnaire avait, dans son grief, allégué que sa rétrogradation constituait une mesure de discipline déguisée. Dit autrement, je devais décider si la véritable nature du grief du fonctionnaire en était une qui alléguait l’imposition d’une mesure disciplinaire déguisée.

[29] J’ai conclu qu’à la lecture du grief, l’employeur savait ou aurait dû savoir que le fonctionnaire alléguait que sa rétrogradation constituait une mesure disciplinaire déguisée.

[30] Dans son grief, le fonctionnaire a décrit comment l’entrée en fonction d’un nouveau gestionnaire a fait basculer sa vie professionnelle. Il a décrit comment, peu après l’entrée en fonction de ce gestionnaire, il a eu l’impression d’être passé d’un employé qui était perçu et traité comme étant compétent et professionnel à un employé perçu et traité comme étant incompétent. Il a indiqué s’être senti ciblé par le nouveau gestionnaire. Le fonctionnaire a décrit sa nette impression que ce gestionnaire « ne voulait plus/pas de moi » dans l’Unité. Il a indiqué avoir fait l’objet d’un traitement injuste comparativement à ses collègues en raison d’un conflit de personnalités avec son gestionnaire. Il a allégué avoir subi « […] les contre coups [d’un] acharnement et pression indue par une rétrogradation salariale significative […]». Il a également indiqué avoir été « pénalisé » à cause d’un individu ayant un comportement inadéquat envers lui, c’est-à-dire son gestionnaire.

[31] À la lecture du grief, je suis persuadée que l’employeur savait ou aurait dû savoir que le fonctionnaire alléguait que sa rétrogradation constituait une mesure disciplinaire déguisée. Il est manifeste que le fonctionnaire alléguait que sa rétrogradation constituait une démarche prise par un gestionnaire avec lequel il avait un conflit de personnalités. Il ressort clairement du grief une allégation selon laquelle de prétendues lacunes dans le rendement du fonctionnaire avaient été utilisées comme prétexte pour l’écarter de l’Unité. Le grief était suffisamment détaillé pour permettre à l’employeur de comprendre sa véritable nature.

[32] Le fait que le fonctionnaire n’ait pas utilisé les mots « discipline » ou « discipline déguisée », et le fait qu’il ait coché une case qui correspondait 209(1)c) de la Loi sur le formulaire de renvoi constituent des vices de forme qui, en vertu du paragraphe 241(1) de la Loi, n’ont pas pour effet d’invalider le renvoi à l’arbitrage (voir Nadeau c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 31, au par. 142).

[33] Bien que l’employeur ait soulevé une objection relativement à la compétence de la Commission, il n’a, à aucun moment, fait valoir qu’il subirait un préjudice quelconque si le grief était instruit en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

[34] Pour les raisons exposées précédemment, j’ai rejeté l’objection de l’employeur.

IV. Résumé de la preuve

A. Les témoins

[35] Trois témoins ont témoigné lors de l’audience. Deux témoins ont témoigné pour l’employeur, soit le gestionnaire du fonctionnaire qui a recommandé la rétrogradation du fonctionnaire s’estimant lésé et un polygraphiste indépendant qui, à la demande du gestionnaire, a participé à la mise en œuvre d’un plan d’action cherchant à adresser des lacunes dans le rendement du fonctionnaire. Le fonctionnaire était le troisième et dernier témoin.

[36] Dans la présente décision, j’utiliserai les initiales « E.F. » lorsque je ferai référence au gestionnaire du fonctionnaire. À l’époque pertinente au présent grief, E.F. occupait le poste d’Examinateur en chef de l’Unité de polygraphie (le « Chef de l’Unité »). J’utiliserai les initiales « G.H. » lorsque je ferai référence au polygraphiste indépendant.

[37] G.H. n’est pas un employé du Service et ne l’a jamais été. Il travaille pour le Service à contrat depuis 2013. Entre autres, il est appelé à fournir une opinion indépendante quant à la qualité du travail effectué par les polygraphistes de l’Unité. Ses tâches comportent deux volets qui sont pertinents au présent grief.

[38] Il effectue des évaluations du contrôle de la qualité des examens polygraphiques effectués par les polygraphistes de l'Unité. Il effectue, de façon continue et journalière, une révision des évaluations faites par les polygraphistes des réactions psychophysiologiques d’un examiné dans le cadre d’un examen polygraphique. Cette révision est effectuée dans l’objectif de confirmer si le polygraphiste a fait une évaluation juste des réactions psychophysiologiques. G.H. effectue cette révision en examinant uniquement les données relatives aux réactions psychophysiologiques de l’examiné et l’évaluation numérique qu’en a faite le polygraphiste.

[39] Le deuxième volet des tâches de G.H. est d’effectuer une évaluation de l’entièreté de certains examens polygraphiques effectués par les polygraphistes. G.H. effectue cette révision sur la base des données relatives aux réactions psychophysiologiques de l’examiné, de l’évaluation numérique faite par le polygraphiste et des enregistrements audio et vidéo de l'examen polygraphique. Ce type d’évaluation est appelé une évaluation de l’assurance de la qualité et est à ne pas confondre aux évaluations du contrôle de la qualité décrites au paragraphe précédent. G.H. effectue une évaluation de l’assurance de la qualité d’environ quatre examens polygraphiques par année pour chacun des polygraphistes de l’Unité. Il peut également le faire à la demande du gestionnaire de l’Unité.

B. Description de la polygraphie

[40] Le rendement du fonctionnaire à titre de polygraphiste a été identifié par l’employeur comme constituant le motif administratif pour sa rétrogradation. Pour cette raison, une brève description de ce que constitue « un examen polygraphique », du rôle du polygraphiste et des exigences et normes qu'un polygraphiste doit respecter dans le cadre d’un examen polygraphique s’impose avant de décrire les faits pertinents au présent grief.

[41] La description qui suit est tirée principalement du témoignage de G.H.. Une preuve détaillée a été présentée à l’audience relativement aux méthodes et stratégies utilisées par les polygraphistes. J’en ai tenu compte dans le cadre de mon analyse, mais je n’offrirai ici qu’un bref survol des éléments nécessaires à la compréhension de la présente décision.

[42] Un polygraphiste est un individu qui effectue des examens polygraphiques. Une formation longue et intensive est requise pour devenir polygraphiste. Cette formation inclut, entre autres, une formation technique et une formation en techniques d’interrogatoire.

[43] Dans le monde de la polygraphie, un « examen polygraphique » signifie l’ensemble de la rencontre entre un polygraphiste et un examiné (l’individu qui fait l’objet de l’examen polygraphique). L’examen polygraphique comporte trois parties, soit la partie qui précède la collecte des données psychophysiologiques, la collecte de données, et la partie qui suit la collecte. La portion de l’examen polygraphique où l’examiné est branché à l’appareil qui capte et enregistre ses réactions psychophysiologiques n’est qu’une très petite partie. Le restant de l’examen polygraphique est tout aussi important.

[44] Le polygraphe est un appareil composé de plusieurs composantes, capteurs et dispositifs qui captent diverses réactions psychophysiologiques provoquées inconsciemment chez un examiné en réponse à des questions qui lui sont posées dans le cadre d’un examen polygraphique. Une réaction psychophysiologique est provoquée lorsqu’un examiné ment à une question qui lui est posée.

[45] Les réactions psychophysiologiques sont enregistrées sous la forme de données qui sont ensuite analysées et évaluées par le polygraphiste. Le polygraphiste mesure et évalue les réactions psychophysiologiques afin d’en arriver à une conclusion à savoir si l’examiné a menti à une ou plusieurs questions qui lui ont été posées. Il s’agit d’un exercice de comparaison des réactions psychophysiologiques provoquées à diverses questions sur divers thèmes.

[46] Différents formats d’examens polygraphiques sont reconnus et acceptés au Canada. Ces formats varient dans leurs complexités et certains se prêtent mieux à des examens polygraphiques plus simples et ciblés. Le Service reconnait et utilise certains de ces formats d’examens. Ce qui distingue un format d’un autre est le nombre de séquences de questions posées et le nombre de questions posées dans chacune des séquences. Dans tous les cas, l’ordre dans lequel les questions sont posées est préétabli.

[47] Pour tous les formats d’examens, il existe certains types de questions qui doivent être posées. Il existe également des méthodes reconnues qu’un polygraphiste peut utiliser pour poser certains types de questions. Au Canada, il existe deux méthodes acceptées et reconnues. Les deux méthodes ont le même objectif, soit de comparer les réactions psychophysiologiques d’un examiné lorsqu’il dit la vérité et lorsqu’il ment. Toutefois, la technique qui est utilisée par le polygraphiste est différente. Aux fins de la présente décision, il est important de retenir qu’une de ces méthodes est relativement nouvelle dans le monde de la polygraphie. Elle n’était pas couramment acceptée au Canada pour un bon nombre d’années et la méthode ne faisait pas partie du curriculum d’enseignement lorsque le fonctionnaire a suivi sa formation en polygraphie. Toutefois, à l’époque pertinente au présent grief, cette « nouvelle méthode » avait largement remplacé la méthode que le fonctionnaire avait apprise dans le cadre de sa formation de polygraphiste.

[48] Les examens polygraphiques effectués par les polygraphistes de l'Unité comprennent des séquences de questions qui abordent des thèmes qui ont été identifiés et jugés pertinents en raison du mandat du Service. Les thèmes abordés dans le cadre d’un examen polygraphique effectué à des fins opérationnelles sont différents des thèmes abordés dans le cadre d’un examen effectué à des fins administratives. Les examens à des fins opérationnels sont des examens qui impliquent des sources humaines. Il s’agit d’examens plus complexes et difficiles pour un polygraphiste à effectuer. Les enjeux sont plus grands. Les examens polygraphiques à des fins administratives n’impliquent pas des sources humaines. Au Service, il s’agit d’examens effectués dans le cadre du renouvellement des cotes de sécurité d'employés, un processus auquel tous les employés du Service doivent se soumettre.

[49] Qu’importe le format de l’examen polygraphique, des démarches et méthodologies très précises doivent être prises et respectées par un polygraphiste aux diverses étapes d'un examen polygraphique, soit avant, pendant ou après la collecte des données psychophysiologiques. Il existe des lignes directrices qui régissent les méthodologies polygraphiques utilisées par les polygraphistes de l’Unité. Selon G.H., bien qu’un polygraphiste peut utiliser son jugement professionnel pour s’écarter quelque peu des méthodologies prescrites lorsqu’il est nécessaire de le faire, la constance, la neutralité et l’uniformité sont des objectifs importants. Les méthodologies sont prescrites, entre autres, pour s’assurer que l’examiné comprend le processus et les questions qui lui sont posées, pour confirmer que l’appareil polygraphique fonctionne bien, pour donner à l’examiné l’occasion de démontrer qu’il dit la vérité et, d’abord et avant tout, pour assurer la fiabilité et l’exactitude des résultats de l’examen polygraphique.

[50] Effectuer un examen polygraphique est un travail difficile et stressant qui nécessite une préparation. Il est nécessaire pour le polygraphiste d’être à l’écoute de l’examiné et d'être attentif aux réactions psychophysiologiques afin de s’ajuster en conséquence.

[51] Le choix de mots effectué par un polygraphiste est important. Selon G.H., un polygraphiste doit utiliser un langage clair et précis pour s’assurer que l’examiné comprend comment se déroulera l’examen polygraphique, comment les réactions psychophysiologiques sont captées et comment fonctionne la polygraphie. Il y a des façons reconnues et communément acceptées pour expliquer certaines notions à un examiné, dont la notion de ce que constitue un mensonge. L’ordre dans lequel diverses explications et instructions sont fournies à l’examen ainsi que l’ordre dans lequel certaines démarches sont prises par le polygraphiste dans le cadre de l’examen sont également importants.

[52] Quatre résultats possibles peuvent découler d’un examen polygraphique. Le premier est un résultat selon lequel l’examiné n’a eu aucune réaction psychophysiologique importante pouvant indiquer que l’examiné a menti lorsqu’on lui a posé une ou plusieurs questions relativement à un ou plusieurs thèmes. Un deuxième résultat possible est lorsqu’un examiné a eu une réaction psychophysiologique importante à une ou plusieurs questions relativement à un ou plusieurs thèmes. Il est également possible d’obtenir un résultat non concluant, ce qui signifie que le polygraphiste n’est pas en mesure de conclure, sur la base de l’évaluation des réactions psychophysiologiques, si l’examiné a eu une réaction importante ou non. Le dernier des quatre résultats possibles est là un où le polygraphiste n’est pas en mesure d’exprimer une conclusion quant au résultat de l’examen polygraphique. Selon G.H., ce dernier résultat se produit généralement lorsque, pour une raison liée à la physiologie de l’examiné, la quantité de données psychophysiologiques valides captées et enregistrées est insuffisante.

[53] Certains résultats peuvent nécessiter un suivi, soit par le polygraphiste lui-même dans le cadre de l’examen ou à la suite de l’examen. Dans certaines circonstances, une entrevue de suivi ou un examen polygraphique supplémentaire peut être requis.

[54] À la suite d’un examen polygraphique, un polygraphiste de l'Unité évalue les réactions psychologiques captées et enregistrées dans le cadre de l’examen et prépare un rapport administratif qui fait état des résultats de l’examen polygraphique, du format de l’examen utilisé, des questions posées, des commentaires et observations du polygraphiste quant au déroulement de l’entrevue et de tout problème ayant eu lieu pendant l’examen. Le rapport administratif est partagé avec le Chef de l'Unité. Le polygraphiste tient également un registre dans lequel il tient compte de tous les examens qu’il effectue. Ce registre contient une entrée pour chaque examen. Pour chacun des examens, le polygraphiste indique, entre autres, le format d’examen utilisé, la raison pour laquelle l’examen a été effectué ainsi que le résultat obtenu. Le polygraphiste y ajoute également ses commentaires et observations relativement à toute question ou tout enjeu relatif au déroulement de l’examen et au résultat.

C. Chronologie des événements pertinents au présent grief

[55] Les témoignages se sont échelonnés sur quatre jours et une quantité de documents importante a été admise en preuve. J’ai tenu compte de l’ensemble de la preuve qui m'a été présentée à l'audience. Toutefois, par souci de concision, je décrirai seulement la preuve que j’estime être la plus pertinente aux questions que je dois trancher dans le cadre du présent grief.

[56] Le fonctionnaire s’estimant lésé a été embauché par le Service en 2001. Avant son entrée en fonction comme polygraphiste, le fonctionnaire avait complété une formation exigeante et intensive en polygraphie offerte par une organisation spécialisée en la matière. Il a ensuite complété un stage au sein de l’Unité.

[57] En janvier 2009, il a été nommé à un poste de polygraphiste au sein de l’Unité. Son poste était classifié au niveau 9.

[58] De 2009 à 2012, le rendement du fonctionnaire était satisfaisant. Il atteignait les objectifs de son poste. Les évaluations de son rendement pendant cette période étaient positives. Les évaluations décrivaient le fonctionnaire comme un polygraphiste compétent et professionnel qui était ouvert à la rétroaction et qui modifiait sa façon de faire en réaction à la rétroaction. Son travail était décrit comme étant un travail de qualité. Une de ces évaluations du rendement indiquait que le fonctionnaire adhérait aux normes professionnelles qui guident les polygraphistes de l’Unité, tandis qu’une autre évaluation décrivait l’habileté du fonctionnaire à s’adapter et à tolérer l’ambiguïté dans le cadre d’examens polygraphiques.

[59] Les évaluations du rendement pour cette période indiquent que, dès sa première année comme polygraphiste, le fonctionnaire effectuait déjà des examens polygraphiques complexes et il effectuait un nombre d’examens polygraphiques plus élevé que la norme. Dans ses premières années au sein de l’Unité, le fonctionnaire a participé à l’encadrement de collègues et, à la recommandation d’un gestionnaire, il fut instructeur dans le cadre d’un cours de polygraphie offert par la même organisation où il avait lui-même suivi sa formation de polygraphiste.

[60] Les évaluations du rendement qui correspondent à cette période ont été préparées par 3 différents gestionnaires. Tout indique que le rendement du fonctionnaire était entièrement satisfaisant.

[61] À cette époque, le fonctionnaire et E.F. étaient des collègues. Le fonctionnaire a été nommé à un poste de polygraphiste un peu plus d’un an après qu’E.F. eut été nommé. Le fonctionnaire était un de deux polygraphistes qui n’avaient pas auparavant occupé un poste d’agent de renseignement. Tous les autres polygraphistes, y inclut E.F., avaient été des agents de renseignement avant de devenir polygraphistes. Selon le fonctionnaire, il existait, au sein de l’Unité, une certaine tension entre les polygraphistes qui avaient et n’avaient pas d’expérience à titre d’agent de renseignement.

[62] E.F. a témoigné qu’il s’entendait bien avec le fonctionnaire à cette époque. Il a indiqué n’avoir aucun mauvais souvenir de leurs interactions. Le fonctionnaire, quant à lui, a indiqué que la relation entre lui et E.F. à l’époque où ils étaient collègues était professionnelle. Il a décrit un événement impliquant E.F. qui aurait eu lieu peu après l’entrée en fonction du fonctionnaire. Selon le fonctionnaire, E.F. l’aurait questionné, de façon brusque et très directe, quant au nombre d’examens polygraphiques que le fonctionnaire avait effectué cette semaine-là. Le fonctionnaire a indiqué avoir été surpris et perplexe quant à pourquoi E.F. avait été brusque et pourquoi un collègue s’intéressait à ce point au nombre d’examens que le fonctionnaire avait effectués. E.F. a témoigné qu’il avait un vague souvenir d’avoir posé des questions au fonctionnaire. Il ressort de la preuve du fonctionnaire et d’E.F. que, même si leur relation à l’époque où ils étaient collègues n’était pas conflictuelle, la relation n’était tout de même pas chaleureuse ou amicale.

[63] Dans l’évaluation du rendement du fonctionnaire pour l’année 2012-2013, on identifie des lacunes relatives au rendement du fonctionnaire, pour la première fois. L’évaluation du rendement a été préparée par I.J., le Chef de l’Unité à l’époque. I.J. n’a pas témoigné à l’audience.

[64] À son entrée en fonction comme Chef de l’Unité, I.J. n’était pas polygraphiste. Il n’est pas contesté que, pour une certaine période, I.J. se fiait beaucoup sur E.F. et un autre polygraphiste expérimenté. E.F. a témoigné qu’il n’a pas participé à l’évaluation du rendement du fonctionnaire pour l’année 2012-2013, mais qu’il n’aurait pas été inhabituel pour I.J. de lui avoir posé des questions au sujet du rendement du fonctionnaire dans le cadre de l’exercice d’évaluation du rendement pour l’année 2012-2013.

[65] L’évaluation pour l’année 2012-2013 indiquait que le fonctionnaire avait atteint 6 des 8 objectifs identifiés par l’employeur. Il avait partiellement atteint 2 objectifs. L’évaluation indiquait que des préoccupations quant à certains examens effectués par le fonctionnaire avaient été soulevées dans le cadre d'évaluations d’assurance de la qualité effectuées par un polygraphiste indépendant qui travaillait pour le Service à contrat. Pour éviter toute confusion, je tiens à préciser qu’à cette époque, G.H. n’agissait pas à titre de polygraphiste indépendant pour le Service. Les évaluations d’assurance de la qualité en question ont été effectuées par une autre personne. Cette personne est maintenant décédée.

[66] Le polygraphiste indépendant a effectué la révision de trois examens polygraphiques effectués par le fonctionnaire, soit deux examens effectués à des fins administratives et un examen effectué à des fins opérationnelles. L’évaluation du rendement indiquait qu’à certaines occasions, le fonctionnaire aurait eu de la difficulté à adhérer aux normes qui régissent les examens polygraphiques du Service. Il y aurait également eu des lacunes dans la structure de ses examens polygraphiques ainsi que dans l’application de méthodologies de base en matière de polygraphie. L’évaluation du rendement faisait également mention de lacunes dans les rapports administratifs préparés par le fonctionnaire, notamment en ce qui concernait la syntaxe et la cohésion du texte.

[67] Aucune preuve ne m’a été présentée pouvant m’éclairer quant aux préoccupations décrites dans l’évaluation du rendement pour l’année 2012-2013. Il n’est pas contesté qu’un polygraphiste indépendant effectuant une évaluation de l’assurance de la qualité du travail décrivait toujours, dans un bref rapport écrit, ses constats et ses conclusions. Les rapports du polygraphiste indépendant n’ont pas été présentés en preuve. L’employeur ne les a pas conservés. Les rapports administratifs du fonctionnaire qui ont été critiqués dans l’évaluation du rendement n’ont également pas été présentés en preuve. L’employeur ne les a pas conservés.

[68] À la suite de l’évaluation du rendement de 2012-2013, le fonctionnaire était seulement autorisé à effectuer des examens polygraphiques à des fins administratives. I.J. avait décidé que le fonctionnaire ne serait pas autorisé à effectuer des examens polygraphiques à des fins opérationnelles jusqu’à ce qu’il ait complété environ 30 examens à des fins administratives. Trois de ces examens seraient choisis au hasard pour une évaluation du contrôle de la qualité effectuée par un polygraphiste indépendant. Si ce dernier constatait que les examens effectués par le fonctionnaire respectaient les normes et les attentes du Service, le fonctionnaire pourrait progressivement commencer à faire des examens polygraphiques à des fins opérationnelles.

[69] Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’après que les préoccupations exprimées dans l’évaluation de son rendement eurent été discutées avec lui, il a effectué une douzaine d’examens à des fins administratives, dont deux qui ont été assujettis à une évaluation du contrôle de la qualité. Selon le fonctionnaire, le polygraphiste indépendant était satisfait de la qualité de son travail. Le fonctionnaire a, selon lui, ensuite effectué 8 autres examens administratifs qui auraient été assujettis à une évaluation du contrôle de la qualité. Le fonctionnaire a indiqué que le processus d’évaluation du contrôle de la qualité s’est arrêté avant qu’il ne se rende aux 30 examens décrits précédemment. Selon le fonctionnaire, I.J. l’aurait informé que les évaluations du contrôle de la qualité étaient favorables, que le fonctionnaire avait atteint les objectifs souhaités et que le fonctionnaire pouvait progressivement commencer à faire des examens à des fins opérationnelles.

[70] Peu après, I.J. est allé en congé pour une période prolongée. Aucune preuve documentaire ne corrobore ou ne contredit l’affirmation du fonctionnaire voulant qu’il eût satisfait aux attentes et objectifs d’I.J. et que ce dernier eût dit au fonctionnaire qu’il pouvait progressivement commencer à effectuer des examens à des fins opérationnelles.

[71] E.F. a occupé le poste de Chef de l’Unité, par intérim, pendant le congé d’I.J.. Peu après, il a écrit au fonctionnaire pour l’informer qu’il avait révisé un examen à des fins opérationnelles effectué par le fonctionnaire. E.F. a indiqué qu’il voulait savoir combien d’examens le fonctionnaire avait effectués en utilisant la nouvelle méthode pour poser des questions. Selon E.F., il se souvenait d’avoir eu connaissance d’une directive émise par I.J. le mois précédent voulant que le fonctionnaire ne devait pas faire d’examens en utilisant cette méthode jusqu’à ce que le fonctionnaire soit informé autrement. Selon E.F., il avait été surpris de constater que le fonctionnaire avait effectué un examen en utilisant cette méthode et il a voulu s’informer du pourquoi.

[72] Le fonctionnaire a répondu qu’I.J. l’avait informé que la directive en question ne s’appliquait plus étant donné que les examens polygraphiques qui avaient fait l’objet d’une évaluation du contrôle de la qualité avaient été jugés satisfaisants. Lors de l’audience, le fonctionnaire a indiqué que lorsqu’I.J. lui a dit qu’il pouvait recommencer à effectuer des examens à des fins opérationnelles, I.J. n’avait pas indiqué qu’il ne devait pas effectuer d’examens en utilisant la nouvelle méthode.

[73] E.F. a envoyé deux courriels en réponse. Dans le premier, il a indiqué ne pas avoir été informé que la directive émise par I.J. ne s’appliquait plus. Le jour suivant, il a écrit au fonctionnaire de nouveau. Cette fois, il a indiqué qu’il avait communiqué avec I.J. et avait appris que le processus d’évaluation du contrôle de la qualité mis en œuvre à la suite de l’évaluation du rendement pour l’année 2012-2013 et décrit précédemment était inachevé. Il a informé le fonctionnaire qu’il devait poursuivre le processus.

[74] Peu après, E.F. a informé le fonctionnaire qu’il devait effectuer 30 examens polygraphiques à des fins administratives, dont 3 à 5 feraient l’objet d’évaluations du contrôle de la qualité. La preuve indique que ces 30 examens s’ajoutaient aux 20 examens que le fonctionnaire avait précédemment effectués à la demande d’I.J..

[75] Le fonctionnaire a témoigné avoir eu l’impression qu’E.F. lui imposait, de nouveau, un processus de gestion du rendement auquel il s’était déjà conformé, avec succès, et qui était achevé. Il se sentait comme si on ne lui demandait de recommencer à la case de départ pour aucune raison. Le fonctionnaire avait l’impression qu’E.F. scrutait son travail et y cherchait des éléments négatifs. Il avait l’impression qu’E.F. cherchait des erreurs dans son travail afin de le discréditer à titre de polygraphiste.

[76] En août 2013, le fonctionnaire a pris un congé de maladie en raison de stress et d’anxiété.

[77] En janvier 2014, E.F. a été nommé Chef de l’Unité polygraphique et le congé de maladie du fonctionnaire a pris fin.

[78] Dans son témoignage, E.F. a indiqué que, dès son arrivée au sein de l’Unité en 2008, il avait constaté qu’il y avait, selon lui, un manque de rigueur et d’uniformité dans la façon dont les polygraphistes effectuaient les examens polygraphiques. Dès son entrée en fonction comme Chef de l’Unité en janvier 2014, il a apporté des changements importants au sein de l’Unité. Il a mis fin aux contrats de polygraphistes qui effectuaient des examens polygraphiques à la pige. Il a développé et adopté des lignes directrices détaillées relativement à la méthodologie polygraphique devant être utilisée par les polygraphistes de l’Unité. Il a amélioré les formations offertes aux polygraphistes. Selon E.F., le travail de l’Unité devait être irréprochable. Les polygraphistes devaient faire preuve d’une rigueur irréprochable. Il a indiqué qu’il était imputable et s’il percevait un problème de rendement, il se devait d’agir.

[79] En début janvier 2014 et deux jours après le retour du fonctionnaire à la suite de son congé de maladie, une rencontre a eu lieu entre E.F. et le fonctionnaire pour discuter du retour du fonctionnaire au sein de l’Unité. Lors de cette rencontre, E.F. a réitéré le fait que le fonctionnaire serait tenu d’effectuer 30 examens dont 3 à 5 seraient choisis au hasard et feraient l’objet d’une évaluation du contrôle de la qualité, comme il avait été discuté avant le congé de maladie du fonctionnaire.

[80] E.F. a également informé le fonctionnaire que, jusqu’à ce que les évaluations du contrôle de la qualité aient été effectuées et que le rendement du fonctionnaire ait été jugé satisfaisant, le fonctionnaire pourrait seulement effectuer des examens polygraphiques à des fins administratives d’un format simple, et ce uniquement en français. Le fonctionnaire devait en effectuer cinq par semaine. Un courriel envoyé au fonctionnaire par E.F. à la suite de cette rencontre indiquait que cette dernière exigence, soit celle d’effectuer tous ses examens en français, constituait une mesure pour permettre au fonctionnaire « de [se] remettre en selle » après 6 mois d’absence.

[81] Tous les témoins ont reconnu que l’anglais est la langue couramment utilisée dans le monde de la polygraphie. La formation pour devenir polygraphiste est offerte en anglais et les ressources que doivent consulter les polygraphistes sur une base quotidienne sont en anglais. La majorité des examens polygraphiques effectués par le Service sont en anglais. Le fonctionnaire et G.H. ont tous les deux indiqué, dans le cadre de leur témoignage, qu’il était plus difficile et complexe pour un polygraphiste d’effectuer un examen polygraphique en français qu’en anglais, et ce, qu’importe si la langue maternelle du polygraphiste était le français. E.F. n’a pas nié ce fait. Le fonctionnaire a accepté de faire ce qu’E.F. lui demandait, bien qu’il ait indiqué, à l’audience, avoir eu l’impression qu’E.F. cherchait à lui mettre tellement de pression que le fonctionnaire finirait par quitter l’Unité.

[82] Selon le fonctionnaire, lors de la rencontre décrite précédemment, E.F. l’aurait également informé qu’il devait réviser des examens polygraphiques qu’il avait effectués dans le passé afin de se familiariser de nouveau avec les méthodologies polygraphiques après une longue absence. Le fonctionnaire a témoigné avoir trouvé cela étrange qu’E.F. lui reprochait d’avoir un rendement insatisfaisant dans le cadre des examens polygraphiques qu’il effectuait, mais qu’il lui demandait de réviser ses propres examens pour se familiariser de nouveau avec la méthodologie à utiliser.

[83] La prochaine évaluation du rendement du fonctionnaire, soit celle pour la période de mars 2014 à juillet 2014, était très négative. Il s’agissait de la première évaluation du rendement signée par E.F. et les commentaires qui y étaient formulés portaient, en partie, sur les résultats de l’évaluation du contrôle de la qualité des 30 examens mentionnés précédemment. Les commentaires formulés relativement aux examens polygraphiques portaient sur cinq examens polygraphiques effectués par le fonctionnaire. Bien qu’il eût précédemment été indiqué que le fonctionnaire serait évalué sur la base d’examens choisis aléatoirement, trois des examens décrits dans l’évaluation sont décrits comme étant des dossiers qui avaient été portés à l’attention d’E.F., tandis que les deux autres examens sont décrits comme étant des examens choisis aléatoirement et soumis à G.H. pour révision. Toutefois, dans son témoignage, G.H. a indiqué qu’E.F. lui avait demandé de revoir quatre examens polygraphiques ainsi qu’un enregistrement audio d’une entrevue effectuée par le fonctionnaire. Selon G.H., E.F. a décrit tous ces examens comme étant problématiques et lui a demandé de confirmer s’il y avait des lacunes dans les examens et l’entrevue. Au moins deux des examens identifiés dans l’évaluation du rendement comme ayant été portés à l’attention d’E.F. faisaient partie des dossiers remis à G.H. aux fins d’une révision.

[84] Le fonctionnaire a obtenu un échec ou une réussite partielle sur 9 des 11 objectifs énumérés dans cette évaluation du rendement.

[85] Dans ses commentaires écrits dans la section de l’évaluation du rendement réservée à cette fin, E.F. a indiqué que les examens effectués par le fonctionnaire contrevenaient clairement aux normes établies, que le fonctionnaire avait démontré des « difficultés évidentes à formuler des questions adéquates » et qu’il avait démontré « de graves lacunes quant à ses capacités à mener à bien une entrevue approfondie ». E.F. a également indiqué que le fonctionnaire aurait manqué de jugement, de rigueur et de fiabilité en utilisant un format d’examen qui n’était pas reconnu par le Service. Il aurait fait preuve d’« insubordination » et de « manque de respect » envers E.F. en utilisant ce format d’examen dont l’utilisation avait interdit par E.F. quelques semaines auparavant, « démontrant ainsi [une difficulté] avec ses capacités pour les relations interpersonnelles ».

[86] À l’audience, le fonctionnaire a témoigné que le format d’examen qu’il avait utilisé était accepté par des associations nationales de polygraphistes et était enseigné dans le cadre de la formation pour devenir polygraphiste. Selon lui, il avait utilisé ce format d’examen parce que, à titre de polygraphiste expérimenté, il avait jugé qu’il était nécessaire pour lui d’employer ce format dans les circonstances particulières de l’examen en question, soit lorsque les formats d’examen approuvés par le Service avaient déjà été utilisés lors d’examens polygraphiques antérieurs avec le même examiné. Dans le cadre de son contre-interrogatoire, G.H. a reconnu que, dans des circonstances semblables à celles qui ont été décrites par le fonctionnaire à l’audience, il pouvait s’avérer nécessaire pour un polygraphiste d’utiliser un autre format d’examen. Dans le cadre de son témoignage, E.F. a indiqué que, si cela avait été le cas, il revenait au fonctionnaire de le consulter avant d’utiliser un format non approuvé.

[87] Les commentaires d’E.F. dans l’évaluation du rendement du fonctionnaire décrivaient deux autres examens en plus grands détails. Les deux examens polygraphiques ont fait l’objet des témoignages de tous les témoins. Il s’agit d’examens que G.H. a révisés à la demande d’E.F. Je les décrirai brièvement.

[88] Dans le premier examen, le fonctionnaire aurait, selon E.F., influencé le résultat d’un examen polygraphique en rappelant l’examiné à l’ordre pour assurer qu’elle se concentre sur l’examen en cours. Selon E.F., l’intervention du fonctionnaire aurait provoqué un résultat non mensonger à une question pour laquelle l’examiné avait eu des réactions physiologiques indiquant un résultat mensonger lorsqu’une question semblable lui avait été posée précédemment. Il s’agissait, selon E.F., d’un manque de jugement, de professionnalisme et d’intégrité qui aurait pu avoir des conséquences importantes pour le Service. Dans l’évaluation du rendement, E.F. a décrit le geste du fonctionnaire comme étant « déontologiquement reprochable ».

[89] À l’audience, le fonctionnaire a expliqué que la situation n’était pas comme elle l’a été décrite par E.F. dans son évaluation du rendement ou dans le cadre de son témoignage. Le fonctionnaire a expliqué que l’examiné avait fait l’objet d’examens polygraphiques précédents. Les notes inscrites au dossier relativement au comportement de l’examiné dans le cadre des examens antérieurs l’avaient porté à conclure que, dans les circonstances particulières de cet examen, une intervention verbale de sa part était requise pour éviter un faux résultat mensonger, c’est-à-dire un résultat indiquant la présence d’un mensonge lorsque cela n’était pas véritablement le cas.

[90] Le deuxième examen décrit en détail dans l’évaluation du rendement était, en fait, un deuxième examen supplémentaire, c’est-à-dire un examen polygraphique ayant pour objectif de valider des résultats mensongers lors de deux examens polygraphiques antérieurs. L’examen avait lieu en région et s’était échelonné sur deux jours. Un très long entretien entre le fonctionnaire et l’examiné avait eu lieu la première journée, et la collecte et l’enregistrement des données psychophysiologiques avaient eu lieu le jour suivant. Entre autres, l’évaluation du rendement indiquait que le fonctionnaire n’aurait pas dû avoir procédé à un examen polygraphique d’un examiné qui n’était pas dans un état physique propice à un examen polygraphique. Il était également indiqué que le fonctionnaire avait manqué de structure et de préparation dans le cadre de son examen.

[91] Le fonctionnaire avait effectué cet examen polygraphique à la demande, ou à l’invitation, d’E.F.. G.H. a témoigné qu’effectuer un examen polygraphique ayant pour objectif de valider des résultats mensongers lors de deux examens polygraphiques antérieurs constitue une tâche très complexe et difficile. Le fonctionnaire a témoigné qu’il était au courant de la complexité d’un examen de cette nature et que, comme son rendement était évalué de près, il n’aurait pas accepté de faire l’examen s’il ne s’était pas senti obligé de le faire. Il a indiqué qu’il sentait que sa situation était précaire et il ne voulait pas aggraver la situation en refusant d’effectuer l’examen.

[92] Quant à la structure et la préparation de l’examen, le fonctionnaire a témoigné qu’il avait remis son plan d’examen polygraphique à E.F. avant de s’être rendu en région pour effectuer cet examen supplémentaire. E.F. avait approuvé le plan. Dans le cadre de son contre-interrogatoire, E.F. a indiqué se souvenir qu’il avait trouvé que le plan du fonctionnaire avait été bien préparé et que le plan était structuré.

[93] Quant à sa décision de procéder à la collecte de données psychophysiologiques malgré l’état dans lequel se trouvait l’examiné, le fonctionnaire a témoigné qu’à la suite de la première journée, il avait appelé E.F. pour lui faire part de son opinion selon laquelle il ne devrait pas poursuivre l’examen polygraphique le lendemain. Il aurait informé E.F. que l’entretien avec l’examiné avait été long et infructueux et que rien n’indiquait que poursuivre l’examen le lendemain mènerait à un résultat pouvant corroborer, ou non, les résultats obtenus par l’examiné dans le passé. Selon le fonctionnaire, E.F. aurait insisté, ou aurait fortement suggéré que le fonctionnaire poursuive l’examen polygraphique le jour suivant, et ce, pour justifier la dépense encourue pour son déplacement en région. Le fonctionnaire a témoigné s’être senti obligé de procéder avec l’examen polygraphique.

[94] E.F. a indiqué se souvenir de l’appel téléphonique en question. Selon lui, il a laissé la décision de poursuivre ou non l’examen polygraphique à la discrétion du fonctionnaire. Il a témoigné que le fonctionnaire a manqué de jugement en poursuivant l’examen polygraphique.

[95] Comme il a été indiqué précédemment, dans les commentaires écrits à l’évaluation du rendement du fonctionnaire, E.F. a indiqué avoir demandé à G.H. d’évaluer d’autres examens effectués par le fonctionnaire, choisis de façon aléatoire. Les examens révisés par G.H. auraient révélé des problèmes liés à la construction de questions ainsi qu’à la structure de certaines portions des examens polygraphiques. Les rapports d’évaluation du contrôle de la qualité préparés par G.H. relativement à quatre examens effectués par le fonctionnaire ont été admis en preuve.

[96] L’évaluation du rendement pour la période de mars à juillet 2014 prévoyait qu’avant que la réintégration du fonctionnaire au sein de l’Unité puisse être envisagée, le fonctionnaire devait compléter avec succès un plan d’action ayant trois phases. La notion de « réintégration » du fonctionnaire au sein de l’Unité a été décrite, lors de l’audience, comme signifiant le moment auquel le fonctionnaire pourrait effectuer, de nouveau, toutes les tâches d’un polygraphiste.

[97] La phase 1 du plan d’action comporterait 3 jours de formation théorique offerte par G.H., suivi d’un examen écrit. La phase 2 comporterait 36 examens polygraphiques effectués sous la supervision de G.H., tandis que, pendant la phase 3, 25% des 40 premiers examens polygraphiques qui seraient effectués par le fonctionnaire seraient assujettis à une évaluation du contrôle de la qualité.

[98] À l’audience, E.F. a indiqué qu’il avait intérêt à ce que le rendement du fonctionnaire s’améliore le plus rapidement possible. L’Unité avait une grande charge de travail et si le fonctionnaire avait pu recommencer à effectuer toutes les tâches d’un polygraphiste, l’Unité en aurait bénéficié.

[99] En juin ou juillet 2014 et quelques mois avant la signature de l’évaluation du rendement décrite dans les paragraphes précédents, E.F. a demandé, et a obtenu, l’approbation de la haute gestion du Service pour mettre en œuvre un plan d’action. Dans le contexte d’échanges de courriels entre E.F. et un membre de la haute gestion du Service relativement à l’élaboration du plan d’action, le membre de la haute gestion a écrit :

[TRADUCTION] […] Nous aurons besoin de démontrer que [le fonctionnaire] avait précédemment été avisé qu’il y avait un enjeu relatif à la qualité de ses examens et qu’on lui a donné l’opportunité de corriger son comportement (coaching/mentorat – si nous pouvons en faire la preuve) et qu’il ne l’a pas fait. […] [U]ne révision de ses examens polygraphiques devra être faite […].

 

[100] Un peu plus de 30 minutes après avoir reçu le courriel décrit au paragraphe précédent, E.F. a répondu au membre de la haute gestion. Il a fait suivre un échange de courriel entre lui et le fonctionnaire décrit précédemment, soit l’échange relatif au désaccord entre eux à savoir si le processus d’amélioration du rendement imposé par I.J. était achevé ou non. En faisant suivre le courriel, E.F. a ajouté : « [TRADUCTION] Je t’invite à revoir ce courriel que j’ai trouvé […] J’étais le Chef par intérim à l’époque et j’avais surpris [le fonctionnaire] à ne pas suivre les instructions qui lui avaient été données par [I.J.] […] ».

[101] En novembre 2014 et après avoir pris connaissance de l’évaluation de son rendement qui indiquait qu’il serait assujetti à un plan d’action, le fonctionnaire a déposé une plainte de harcèlement contre E.F.. Le fonctionnaire a été retiré de l’Unité pendant que sa plainte faisait l'objet d'une enquête et jusqu’à ce que l’employeur ait rendu une décision relativement au bien-fondé de la plainte. En juillet 2015, la plainte du fonctionnaire a été jugée non fondée.

[102] En septembre 2015, le fonctionnaire est retourné au sein de l’Unité. À son retour au sein de l’Unité, E.F. lui a présenté le plan d’action. Le plan d’action devait s’échelonner sur un peu plus de trois mois, soit du 21 septembre au 31 décembre 2015.

[103] Un document décrivant le plan d’action identifie six objectifs qui « [devaient] être atteints afin que l’employé puisse réussir sa formation ». Les objectifs portaient sur les thèmes suivants : le jugement, le professionnalisme, la communication et l’habileté à favoriser de bonnes relations interpersonnelles, la rigueur et la fiabilité, les connaissances de base et le raisonnement et l’analyse. Chacun de ces objectifs était décrit en plus grand détail. Toutefois, il n’était pas indiqué quel résultat le fonctionnaire devait obtenir lors de chacune des phases du plan d’action afin qu’il soit jugé d’avoir « atteint » tous les objectifs. Si le fonctionnaire réussissait les trois phases du plan d’action, il pourrait recommencer à faire toutes les tâches requises d’un polygraphiste, plus précisément, il pourrait recommencer à effectuer des examens polygraphiques à des fins opérationnelles. Le document n’indiquait pas les conséquences possibles si le fonctionnaire était jugé ne pas avoir réussi une phase du plan ou s’il était jugé ne pas avoir atteint les objectifs du plan.

[104] Le fonctionnaire a consenti à participer au plan d’action. Il a témoigné se sentir comme s’il n’avait pas le choix de le faire. Il espérait, malgré tout, pouvoir poursuivre sa passion, la polygraphie, et il ne voyait pas d’autre option que de faire ce qu’on lui demandait. Il n’avait plus l’énergie pour résister.

[105] Dans le cadre de la phase 1, le fonctionnaire a suivi trois jours de formation théorique offerte par G.H.. Le fonctionnaire a décrit qu’il s’agissait d’une « leçon d’humilité » de devoir retourner « sur les bancs d’école » après avoir été mentor et instructeur en polygraphie. Le fonctionnaire a obtenu un résultat de 100% sur l’examen écrit. Lors de l’audience, G.H. a indiqué que le fonctionnaire saisissait très bien les principes théoriques de la polygraphie.

[106] Dans le cadre de la phase 2, le fonctionnaire a effectué 36 examens polygraphiques sous la supervision de G.H.. G.H. observait et entendait tout ce qui se passait dans la salle d’examen polygraphique, à partir d’une salle adjacente. Il avait accès aux données psychophysiologiques de l’examiné ainsi qu’aux évaluations numériques que le fonctionnaire en faisait, y inclut les conclusions tirées par le fonctionnaire quant au résultat de l’examen. La seule source d’information à laquelle G.H. n’avait pas accès dans le cadre de la phase 2 était le rapport administratif que le fonctionnaire préparait à la suite de chaque examen polygraphique. Selon E.F., seuls le fonctionnaire et E.F. avaient accès à ces rapports.

[107] Le fonctionnaire a effectué 36 examens les uns après les autres. Les examens ont été effectués entre le 28 septembre et le 21 décembre 2015. Il s’agissait des premiers examens polygraphiques que le fonctionnaire effectuait en plus de 15 mois, soit depuis qu’il avait déposé sa plainte de harcèlement et avait temporairement été retiré de l’Unité pendant le déroulement d’une enquête.

[108] À la suite de chaque examen polygraphique, G.H. fournissait une rétroaction verbale au fonctionnaire. Il évaluait 11 composantes de l’examen et indiquait si le fonctionnaire avait atteint, surpassé ou failli d’atteindre un rendement conforme aux normes de polygraphie communément acceptées et enseignées aux aspirants polygraphistes. G.H. préparait, la journée même, un rapport qui indiquait les bons coups et les points à améliorer relatifs à chaque examen. Qu’importe si l’examen effectué par le fonctionnaire avait été jugé satisfaisant ou non, les rapports de G.H. comportaient des listes de points à améliorer. Selon G.H., il identifiait ainsi des éléments qui, sans être déficients ou non conformes, pourraient être améliorés pour bonifier la qualité des examens polygraphiques.

[109] À l’audience, lorsqu’il a décrit les problèmes relatifs aux examens du fonctionnaire au début de la phase 2, G.H. a décrit le fonctionnaire comme un polygraphiste facile d’approche qui adoptait un style amical dans le cadre d’un examen. Le fonctionnaire avait une tendance de parler trop de lui-même et de raconter trop d’anecdotes pour mettre l’examiné à l’aise. Il avait une tendance de faire des commentaires non nécessaires et de ne pas se concentrer suffisamment sur l’examiné. Les questions posées par le fonctionnaire manquaient parfois de précisions ou pouvaient porter à confusion. Selon G.H., le fonctionnaire manquait de structure, c’est-à-dire qu’il n’effectuait pas suffisamment des suivis aux réponses de l’examiné, ce qui menait à un examen où le polygraphiste semblait poser ses questions, à l’aveuglette, sans objectif précis. Selon lui, le choix de mots du fonctionnaire, surtout en anglais, était parfois déficient.

[110] Les rapports d’évaluation démontrent que 27 des 36 examens effectués par le fonctionnaire avaient été jugés satisfaisants par G.H.. Neuf examens avaient été jugés insatisfaisants. Les rapports d’évaluation préparés par G.H. démontrent que pour 5 d’entre eux, le fonctionnaire avait failli atteindre un rendement conforme aux normes sur 1 des 11 composantes de l’examen. Dans 3 examens, il avait failli atteindre un rendement conforme sur 2 composantes. Dans le dernier examen jugé insatisfaisant, le fonctionnaire avait failli atteindre un rendement conforme aux normes sur 3 des 11 composantes de l’examen. Selon G.H., si une erreur commise par le fonctionnaire avait eu pour effet d’invalider le résultat d’un examen polygraphique, il l’aurait noté dans son rapport. Ses rapports ne contiennent aucune note à cet effet.

[111] La majorité des examens jugés non satisfaisants avaient été effectués au début de la phase 2. Très peu d’examens non satisfaisants ont eu lieu dans les dernières semaines de la phase 2.

[112] Selon G.H., le rendement du fonctionnaire s’était amélioré au fur et à mesure qu’il effectuait des examens, recevait la rétroaction de G.H. et mettait cette rétroaction en application. Les derniers examens effectués dans le cadre de la phase 2 étaient très satisfaisants. Selon G.H., vers la fin des 36 examens, le fonctionnaire s’était grandement amélioré et il était sur la bonne voie. Le dernier examen effectué par le fonctionnaire avait été jugé entièrement satisfaisant.

[113] À la suite de la phase 2, G.H. a préparé un rapport fournissant son évaluation globale du rendement du fonctionnaire dans le cadre des 36 examens polygraphiques. Le rapport contient l’appréciation globale de G.H. des points positifs, des points à améliorer et des points négatifs découlant de l’ensemble des examens. G.H. a indiqué que le fonctionnaire avait démontré une amélioration dans la qualité de ses examens, qu’il avait mis en application la plupart des suggestions qui lui avaient été faites. Il avait modifié sa façon d’interagir avec les examinés. Les examens étaient davantage centrés sur l’examiné. Le fonctionnaire avait amélioré la structure de ses examens, conformément à la rétroaction qu’il avait reçue.

[114] Parmi les points à améliorer, G.H. identifia l’anglais du fonctionnaire. Selon lui, le fonctionnaire utilisait parfois des « termes boiteux » pouvant miner sa crédibilité comme polygraphiste ou entraîner un manque de compréhension chez l’examiné. Selon G.H., le fonctionnaire manquait toujours de structure lui permettant de faire les suivis nécessaires à des réactions psychophysiologiques d’un examiné. La confiance du fonctionnaire a également été identifiée comme point à améliorer. Il est indiqué que le fonctionnaire démontrait une certaine insécurité et une difficulté à s'adapter aux imprévus lorsqu’un problème survenait dans le cadre d’un examen.

[115] Sur la question de la langue anglaise, j’ouvre ici une parenthèse pour indiquer que le fonctionnaire occupe un poste ayant un profil linguistique « CBC ». Le français est sa langue maternelle. Il détient une exemption relativement à la composante qui correspond à la communication orale en anglais. G.H. a fourni des exemples de « termes boiteux » utilisés par le fonctionnaire. Selon lui, le fonctionnaire aurait, entre autres, informé un examiné qu’un capteur devait être placé « in the inside of the hand » au lieu de « on the inside of the hand ». Il aurait également utilisé le verbe « cook » au lieu de « bake » en décrivant l’action de cuire un gâteau.

[116] Le seul point négatif identifié dans le rapport de G.H. à la suite de la phase 2 était l’habileté du fonctionnaire à accepter la critique. Le rapport d’évaluation globale préparé par G.H. indiquait que les « diverses réactions » du fonctionnaire en réponse à la critique créaient un « certain malaise » dans le contexte de conversations visant à lui offrir une rétroaction. Dans son témoignage, G.H. a répété ce qu’il avait écrit dans son rapport, sans y apporter plus de précision.

[117] G.H. s’attendait à ce que le fonctionnaire passe à la phase 3. Selon lui, le fonctionnaire avait réussi la phase 2. Il n’avait plus de préoccupation majeure quant aux examens effectués par le fonctionnaire.

[118] Après avoir reçu le rapport de G.H., le fonctionnaire a réagi quant au commentaire formulé au sujet de son niveau de confiance. Il a écrit à E.F. en indiquant que, dans la phase 2, il s’était conformé aux demandes d’E.F.. Selon le fonctionnaire, E.F. lui avait dit d'éviter le plus que possible d’utiliser des formats d’examens plus complexes, tandis que G.H. l'invitait à effectuer des examens plus complexes en utilisant la nouvelle méthode de poser des questions. Il déplorait que G.H. ait interprété son hésitation dans le cadre d’un examen plus complexe comme étant indicatif d’un manque de confiance. À l’audience, le fonctionnaire a indiqué qu’il avait également trouvé injuste de se faire critiquer pour un manque de confiance dans le cadre d’un processus d’évaluation du rendement dans le cadre duquel tous ses gestes et paroles étaient observés et critiqués.

[119] E.F. a décrit le rendement du fonctionnaire pendant la phase 2 comme démontrant une « légère » ou une « certaine » amélioration. Selon lui, il était important de contextualiser le progrès accompli. Il restait, selon lui, beaucoup de défis. À l’audience, il a souligné que le rapport de G.H. indiquait que le rendement du fonctionnaire comportait toujours des problèmes importants. Parmi ces problèmes, E.F. identifia l’anglais parlé du fonctionnaire qui, selon lui, n’était pas toujours au niveau qu’il devait l’être. Le fonctionnaire manquait toujours de structure dans le cadre de ses entrevues polygraphiques. Il ne faisait pas preuve de confiance et éprouvait toujours de la difficulté à accepter la rétroaction.

[120] E.F. a témoigné qu’après avoir pris connaissance du rapport d’évaluation globale de G.H. à la suite de la phase 2, il avait l’intention d’entamer la phase 3 du plan d’action. Il a informé le fonctionnaire de cette intention. Il a également informé le fonctionnaire de ses attentes relativement à la phase 3, soit que le fonctionnaire s’améliore sur les éléments à améliorer identifiés par G.H. dans son rapport d’évaluation globale.

[121] Toutefois, E.F. a changé d’idée par la suite. Selon lui, en janvier et février 2016, des lacunes dans deux examens effectués par le fonctionnaire pendant la phase 2 auraient été portées à son attention. Dans son témoignage, E.F. a indiqué que ces lacunes démontraient que le fonctionnaire avait développé de mauvaises habitudes qu’il ne réussissait pas à se défaire. Il a conclu que le fonctionnaire ne pouvait pas passer à l’étape 3 du plan d’action.

[122] Je décrirai brièvement les deux examens en question. Selon E.F., des préoccupations auraient été portées à son attention par de tierces parties au sein du Service relativement à ces examens. G.H. n’avait pas identifié ces examens comme étant problématiques ou non satisfaisants dans le cadre de la phase 2. Selon E.F., cela s’explique du fait que les lacunes dans ces examens n’étaient perceptibles qu’en lisant les rapports administratifs préparés par le fonctionnaire, en tenant compte des renseignements qu’il avait obtenus de la part de tierces parties.

[123] Dans le cas du premier examen, E.F. a indiqué qu’une tierce partie l’aurait informé que le fonctionnaire n’avait pas noté, dans son rapport administratif, des éléments d’information pertinents qui auraient été divulgués par l’examiné pendant son examen polygraphique. Le fonctionnaire n’aurait également pas posé des questions de suivi relativement à ces éléments d’information. À l’audience, E.F. a indiqué avoir accepté comme véridique ce que lui avait dit la tierce partie, soit que des informations pertinentes avaient été divulguées dans le cadre de l’examen polygraphique effectué par le fonctionnaire. Il a indiqué ne pas se souvenir s’il avait consulté les enregistrements de l’examen pour confirmer que l’examiné avait divulgué les renseignements en question. Selon le fonctionnaire, les renseignements en question n’avaient pas été divulgués dans le cadre de l’examen. Il aurait ainsi été impossible pour lui d’en faire mention dans son rapport ou poser des questions de suivi. Selon lui, si les renseignements avaient été divulgués, il aurait inscrit une note à cet effet dans son registre ainsi que dans son rapport administratif. L’employeur n’a conservé ni le registre du fonctionnaire ni son rapport administratif.

[124] E.F. a également indiqué qu’à sa lecture du rapport administratif en lien avec cet examen polygraphique, il avait constaté que le fonctionnaire avait utilisé une question d’examen qui était contraire aux lignes directrices de l’Unité. Les rapports de G.H. ne font pas mention qu’une question contraire aux lignes directrices a été posée dans le cadre de la phase 2.

[125] Quant au deuxième examen polygraphique, E.F. a indiqué qu’une tierce partie l’a informé que le fonctionnaire avait indiqué, dans son rapport administratif, que l’examiné avait fait un aveu lorsque cela n’était pas le cas. Selon E.F., après qu’il eut demandé au fonctionnaire de revoir le dossier pour confirmer si un aveu avait été fait, le fonctionnaire aurait répondu qu’il avait déduit, à partir de plusieurs réponses fournies par l’examiné qui laissait planer un doute quant à la véracité de ses, que l’examiné en connaissant plus qu’il prétendait. Selon E.F., malgré le fait que le fonctionnaire avait tenté de contextualiser le contenu de son rapport administratif dans un courriel qui a été admis en preuve, le fonctionnaire avait tout de même écrit qu’un aveu a eu lieu, ce qui était non fondé.

[126] À l’audience, le fonctionnaire a indiqué qu’il aurait inscrit à son registre et à son rapport administratif les raisons pour lesquelles il aurait décrit une série de réponses et de commentaires ambigus faits par l’examiné comme constituant un aveu. L’employeur n’a conservé ni le registre du fonctionnaire ni son rapport administratif.

[127] Selon E.F., les lacunes dans ces deux examens étaient très problématiques à l’égard de plusieurs qualités fondamentales requises chez un polygraphiste, entre autres, le jugement, la rigueur et la fiabilité. En contre-interrogatoire et lorsqu’on lui a posé une question relativement au constat de G.H. selon lequel ce dernier n’avait plus de préoccupations quant au rendement du fonctionnaire, E.F. a indiqué avoir tiré sa propre conclusion quant au rendement du fonctionnaire. Comme gestionnaire, il s’intéressait à de différents aspects du rendement du fonctionnaire.

[128] L’évaluation du rendement du fonctionnaire pour l’année 2015-2016 cite, dans son intégralité, le rapport d’évaluation globale préparé par G.H. à la suite de la phase 2. L’évaluation indique que le fonctionnaire a connu un échec à la phase 2 du plan d’action. Sur les 7 objectifs de rendement énumérés à l’évaluation, le fonctionnaire a connu un échec pour 4 d’entre eux, soit le jugement, la rigueur et la fiabilité, les connaissances de base ainsi que le raisonnement et l’analyse. Il a connu une réussite partielle relativement aux objectifs portant sur l’habileté à résoudre des problèmes, l’habileté à favoriser de bonnes relations interpersonnelles ainsi que le professionnalisme.

[129] Les commentaires d’E.F. dans l’évaluation du rendement sont semblables à son témoignage lors de l’audience. Selon lui, la phase 2 avait mené à un « léger » progrès et à des « améliorations mineures », mais certains défis majeurs étaient toujours présents. Neuf des examens effectués par le fonctionnaire lors de la phase 2 n’étaient pas conformes aux normes. Les commentaires dans l’évaluation du rendement décrivent également les deux examens qui ont été décrits dans les paragraphes précédents.

[130] Quant à la communication orale du fonctionnaire, E.F. a indiqué, dans l'évaluation du rendement, que 18 des 36 rapports d’évaluation préparés par G.H. contenaient des commentaires quant à la communication orale du fonctionnaire en anglais. L’évaluation du rendement indique également que le fonctionnaire devait considérablement améliorer son habileté à accepter la rétroaction. Il est indiqué que le fonctionnaire avait de la difficulté à accepter de la rétroaction de la part de G.H., dans le cadre du plan d’action, et de la part de E.F., en général.

[131] L’évaluation du rendement pour l’année 2015-2016 se termine en indiquant qu’E.F. avait conclu que la poursuite de la phase 3 du plan d’action ne pouvait pas prendre place, que le fonctionnaire ne répondait plus à certaines exigences du poste de polygraphiste et que le Service « n’[avait] plus confiance en la capacité [du fonctionnaire] d’agir en tant que polygraphiste ». L’évaluation indique que des recherches seraient effectuées pour trouver un nouveau poste pour le fonctionnaire.

[132] Le 12 août 2016, le fonctionnaire a été rétrogradé de deux niveaux de classification. Il a été muté à un poste de préposé aux entrevues où il effectuait dorénavant des entrevues de sécurité impliquant des fournisseurs de services.

[133] Les évaluations du rendement du fonctionnaire à la suite de sa rétrogradation étaient positives. Le fonctionnaire était de nouveau décrit comme une personne compétente et professionnelle. Les évaluations faisaient mention de son habileté à entretenir de bonnes relations interpersonnelles et de son ouverture d’esprit quant à la rétroaction. Elles décrivaient une personne qui, à la suite de sa rétrogradation, avait très peu de confiance en lui-même, mais qui, au fil du temps, avait eu un regain de confiance. Il était redevenu un mentor et un leader.

V. Arguments des parties

[134] L’employeur fait valoir que le fonctionnaire a été rétrogradé pour un motif lié à l’emploi, soit en raison de son rendement insatisfaisant. En imposant le plan d’action qui a mené à la rétrogradation du fonctionnaire, E.F. ne cherchait pas à punir le fonctionnaire ou à corriger son comportement. Il poursuivait des mesures de gestion du rendement que son prédécesseur, I.J., avait mis en œuvre, en y ajoutant un plan d’action dans l’objectif de permettre au fonctionnaire d’améliorer son rendement.

[135] L’employeur soutient que la preuve n’appuie pas une conclusion selon laquelle le fonctionnaire aurait été rétrogradé pour corriger son comportement ou pour le punir. E.F. n’avait pas de mauvais souvenirs de sa relation avec le fonctionnaire et il avait intérêt à ce que le fonctionnaire réussisse toutes les étapes du plan d’action.

[136] L’employeur soutient que la preuve démontre qu’à la suite de la phase 2 du plan d’action, E.F. avait commencé la planification de la phase 3, comme prévu. Toutefois des enjeux importants de rendement ont été révélés et E.F. a dû revoir sa décision. En raison du mandat du Service, E.F. a décidé – en se fondant sur l’ensemble du rendement du fonctionnaire, et non uniquement son rendement au cours de la phase 2 – que les enjeux de rendement toujours présents faisaient en sorte qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la phase 3. La décision d’E.F. était raisonnable et justifiée. Le sentiment du fonctionnaire d’avoir été traité injustement n’a pas pour effet de transformer la mesure administrative prise par l’employeur pour répondre à un enjeu de rendement en une mesure disciplinaire. Selon l’employeur, le fonctionnaire ne s’est pas acquitté de son fardeau de faire la preuve que sa rétrogradation constituait une mesure disciplinaire déguisée.

[137] Le fonctionnaire s’estimant lésé fait valoir que l’ensemble des circonstances de cette affaire démontrent que le processus qui a mené à sa rétrogradation constituait une mesure disciplinaire déguisée teintée de mauvaise foi.

[138] Le fonctionnaire soutient que son rendement était satisfaisant avant et après la période pendant laquelle E.F. était responsable de, ou avait la capacité d’influencer, ses évaluations du rendement. E.F. est le dénominateur commun dans les problèmes de rendement allégués. Selon le fonctionnaire, E.F. cherchait à utiliser des allégations de rendement insatisfaisant pour l’écarter de l’Unité en raison d’un conflit de personnalités entre eux. Il l’a fait en imposant une série de mesures de gestion du rendement qui avait pour objectif d’assurer l’échec du fonctionnaire.

[139] Le fonctionnaire a fait valoir que, lorsqu’E.F. est devenu Chef par intérim de l’Unité, il lui imposa des mesures de gestion du rendement supplémentaires significatives qui s’ajoutaient aux mesures imposées par I.J., et complétées avec succès. Les évaluations du travail du fonctionnaire qui ont été faites par la suite n’ont pas été effectuées de façon aléatoire et les commentaires d’E.F. qui en ont suivi étaient très critiques. E.F. aurait, selon le fonctionnaire, utilisé un langage qui révèle une intention disciplinaire. La nature des commentaires démontre qu’E.F. avait l’esprit fermé et qu’il était impossible pour le fonctionnaire de réussir les mesures de rendement imposées.

[140] Le fonctionnaire soutient que l’intention disciplinaire d’E.F. ne s’est pas arrêtée là. Au retour du fonctionnaire de son congé de maladie, E.F. lui imposa une mesure de gestion du rendement qui n’a fait qu’augmenter le niveau de complexité et de difficulté du travail du fonctionnaire, sans lui offrir de soutien ou de formation. Un plan d’action comportant trois phases s’ajouta peu après. Après qu’il eût déposé une plainte contre E.F. et après une absence de 15 mois, E.F. lui imposa immédiatement un plan d’action exigeant et intensif, sans indicateurs de rendement ou renseignements quant à ce que constituerait une réussite ou un échec. Selon le fonctionnaire, la nature très critique et pointilleuse des évaluations effectuées dans le cadre de ces deux mesures de gestion du rendement démontre qu’il ne s’agissait pas d’une mesure prise de bonne foi, mais plutôt d’une mesure pour faire en sorte que le fonctionnaire puisse être écarté de l’Unité.

[141] Selon le fonctionnaire, le point culminant des efforts d’E.F. en vue de l’écarter de l’Unité fut la rétrogradation du fonctionnaire après qu’il eut satisfait aux exigences des phases 1 et 2 du plan d’action. E.F. s’est fondé sur deux examens polygraphiques qui avaient été jugés satisfaisants par G.H. pour prétendre que le rendement du fonctionnaire comportait des lacunes ne pouvant pas être remédié. Le fonctionnaire fait valoir que l’employeur n’a présenté aucune preuve pouvant démontrer que son rendement était véritablement insatisfaisant. De plus, il soutient que l’employeur n’a présenté aucune preuve voulant que l’employeur ait fait des efforts pour minimiser l’impact de sa décision sur le fonctionnaire, ce qui vient appuyer une conclusion voulant que l’employeur avait des intentions disciplinaires.

[142] Le fonctionnaire a demandé à la Commission de tirer une conclusion défavorable en raison du fait que l’employeur n’a appelé pas I.J. comme témoin et n’a pas conservé de nombreux documents pertinents au présent cas. Je reviendrai à cette demande plus loin dans mes motifs.

VI. Motifs

[143] La Commission tire sa compétence uniquement de la Loi. Elle n’a pas de compétence inhérente. Pour que le présent grief soit admissible à l’arbitrage, je dois conclure que la rétrogradation du fonctionnaire constituait une mesure disciplinaire déguisée. Si je conclus que la rétrogradation constituait une mesure administrative, la Commission n’a pas compétence pour trancher le grief et celui-ci devra être rejeté.

[144] Dans le cadre de cette analyse, je dois m’appuyer sur la preuve au dossier. La façon dont l’employeur qualifie la rétrogradation n’est pas en soi un facteur déterminant. Les sentiments d’un employé qui estime avoir été traité injustement n’ont pas pour effet de convertir une mesure administrative en mesure disciplinaire (voir Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, aux paragraphes 21 et 23).

[145] Un employeur qui fait valoir qu’une mesure contestée prise par lui constitue une mesure administrative doit, en premier lieu, présenter un minimum de preuve pouvant démontrer que la mesure était liée à l’emploi et non à un autre motif (voir Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529; voir également « A. » c. SCRS, au par. 187, et Kashala Tshishimbi c. Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, 2020 CRTESPF 83, au par. 241). Dans le présent cas, l’employeur doit produire un minimum de preuve pouvant démontrer que la rétrogradation était liée au rendement du fonctionnaire. Une fois cette preuve faite par l’employeur, le fardeau de la preuve incombe ensuite au fonctionnaire s’estimant lésé de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire, soit une rétrogradation. Autrement dit, le fonctionnaire doit prouver que l’employeur lui a imposé une mesure disciplinaire déguisée ayant entraîné sa rétrogradation.

[146] Les parties ont identifié plusieurs décisions de la Commission et des cours fédérales à l’appui de leurs arguments. Je ne mentionnerai que celles qui, selon moi, sont les plus pertinentes à mon analyse et mes conclusions.

A. Motif administratif invoqué pour la rétrogradation

[147] Comme il a été indiqué précédemment, l’employeur se doit, dans un premier temps, de démontrer que la rétrogradation du fonctionnaire était pour un motif lié à l’emploi. À ce stade, le rôle de la Commission n’est pas de juger l’employeur quant à la suffisance de ce motif (voir Rukavina c. Conseil du Trésor (ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest), 2023 CRTESPF 4, au par. 50).

[148] Je m’attarderai uniquement à la question de savoir si l’employeur a présenté un minimum de preuve pouvant démontrer que la mesure contestée était liée à l’emploi.

[149] Je conclus que l’employeur a présenté un minimum de preuve voulant que la rétrogradation était liée au rendement du fonctionnaire s’estimant lésé. Un rendement insatisfaisant, plus précisément le droit d’un employeur de prendre des mesures administratives pour adresser un rendement insatisfaisant, constitue un motif lié à l’emploi.

[150] L’employeur a présenté en preuve des évaluations du rendement du fonctionnaire, dont certaines qui font état de lacunes dans le rendement du fonctionnaire. Une évaluation du rendement qui a fait état de problèmes de rendement avait été complétée par I.J. lorsqu’il était le gestionnaire du fonctionnaire. Cette évaluation du rendement peut servir, à première vue, à démontrer qu’E.F. n’est pas le seul à avoir constaté l’existence de certains problèmes de rendement.

[151] L’employeur a également présenté une preuve selon laquelle les polygraphistes du Service sont tenus de respecter de nombreuses exigences lorsqu’ils effectuent des examens polygraphiques. Le non-respect de ces exigences peut entraîner des conséquences importantes pour les examinés, mais également, entre autres, pour la réputation du Service au Canada et à l’étranger. Certaines lacunes qui ont été identifiées par G.H. dans le cadre de ses évaluations de contrôle de la qualité étaient, à première vue, liées au rendement du fonctionnaire. Les lacunes qui auraient été identifiées par E.F. dans deux examens polygraphiques effectués par le fonctionnaire pendant la phase 2 du plan d’action étaient également, à première vue, liées au rendement du fonctionnaire.

[152] L’employeur a cité « A. » c. SCRS en appui à son argument voulant qu’il eût fait la preuve d’un motif lié à l’emploi. Dans « A. » c. SCRS, la Commission a conclu que le Service avait démontré qu’il avait mis fin à l’emploi d’une fonctionnaire pour un motif lié à l’emploi, soit un rendement insatisfaisant. La Commission n’a pas retenu les allégations de discrimination et de harcèlement formulées par la fonctionnaire à l’appui de sa position voulant qu’elle eût fait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée.

[153] Il existe, selon moi, plusieurs différences importantes entre « A. » c. SCRS et le présent cas qui méritent d’être soulignées. Toutefois, j’estime qu’il est préférable de faire état de ces différences dans le cadre de mon analyse qui cherche à déterminer si le fonctionnaire a démontré que sa rétrogradation constituait une mesure disciplinaire déguisée. Je reviendrai à « A. » c. SCRS plus loin dans mes motifs.

B. Allégation de discipline déguisée

[154] Comme il a été indiqué précédemment, afin d’établir la compétence de la Commission pour trancher le présent grief, le fonctionnaire doit prouver que l’employeur lui a imposé une mesure disciplinaire déguisée ayant entraîné sa rétrogradation (voir Wong c. Administrateur général (Service canadien du renseignement de sécurité), 2010 CRTFP 18, au par. 34).

[155] À ce stade de son analyse, la Commission doit examiner l’ensemble des critères énoncés dans Frazee et synthétisés dans Bergey c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 30. Bergey enseigne que, pour distinguer entre une mesure disciplinaire et une mesure non disciplinaire, il est nécessaire de tenir compte à la fois de l’intention réelle – par opposition à l’intention déclarée - de l’employeur qui a pris la mesure et des répercussions de la mesure sur la carrière de l’employé (Bergey, au par. 37). Il s’agit d’une analyse axée sur les faits.

[156] Dans le cadre de son analyse des critères énoncés dans Frazee, la Commission doit notamment chercher à identifier l’intention réelle de l’employeur en imposant la mesure contestée, plus précisément si l’employeur avait l’intention de corriger la conduite du fonctionnaire ou de le punir. La Commission doit examiner les répercussions de la mesure sur les perspectives de carrière du fonctionnaire. Elle doit également se demander si la rétrogradation a eu un effet défavorable immédiat sur le fonctionnaire s’estimant lésé et si l’effet de la rétrogradation était sensiblement disproportionné par rapport au motif administratif invoqué par l’employeur. En dernier lieu, la Commission doit se demander si la rétrogradation était susceptible d’être invoquée dans le cadre d’une mesure disciplinaire future (voir Frazee, aux paragraphes 22 à 25).

[157] Un examen de ces critères sert à outiller la Commission pour répondre à la question suivante : est-il plus probable ou moins probable que la rétrogradation du fonctionnaire constituait une mesure disciplinaire déguisée?

[158] Comme il est indiqué dans Lemieux c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 20, au par. 154, il y a trois moyens d’identifier si une mesure décrite par l’employeur comme étant administrative est vraiment une mesure disciplinaire : « elle vise à modifier un comportement de l’employé; elle vise à punir l’employé et dénote donc une motivation réellement disciplinaire; ou ses répercussions sur l’employé sont disproportionnées ».

[159] Avant d’examiner plus attentivement les critères énoncés dans la jurisprudence, je tiens à apporter deux précisions.

[160] La première précision est que, pour trancher le présent grief, il n’est pas nécessaire pour moi de tirer une conclusion quant au rendement du fonctionnaire. J’accepte que le Service ait un mandat important. J’accepte également que la qualité du travail effectué par ses polygraphistes puisse avoir un impact sur les activités du Service en appui à ce mandat ainsi que sur la réputation du Service. Toutefois, je n’ai pas à décider si le rendement du fonctionnaire était satisfaisant ou non sur la base de lacunes perçues dans son rendement. Ce que je dois déterminer est s’il est plus probable ou moins probable que la rétrogradation du fonctionnaire constituait une mesure disciplinaire déguisée.

[161] La deuxième précision que je tiens à apporter est une précision quant aux contraintes relatives à la preuve dans le présent dossier. Le fardeau incombe au fonctionnaire de faire la preuve que sa rétrogradation constituait une mesure disciplinaire déguisée. Toutefois, dans le cadre d’un grief renvoyé à l’arbitrage qui implique le Service, comme est le cas ici, la preuve documentaire pertinente est majoritairement sinon entièrement dans la possession ou sous le contrôle de l’employeur. Les contraintes en mesure de sécurité d’information dans un environnement de travail comme le Service font en sorte qu’un fonctionnaire n’est pas en mesure de conserver lui-même la preuve documentaire pertinente et nécessaire à l’arbitrage de son grief. Dans de telles circonstances, les mesures prises – ou pas prises – par l’employeur pour conserver la preuve documentaire peuvent avoir une incidence non négligeable sur l’habileté d’un fonctionnaire à présenter une preuve voulant démontrer la présence d’une mesure disciplinaire déguisée.

[162] Comme il a été indiqué précédemment, lors de l’audience, le fonctionnaire s’estimant lésé m’a demandé de tirer une conclusion défavorable contre l’employeur en raison du défaut de ce dernier de conserver la preuve et d’appeler I.J. à titre de témoin. Dans le cadre de sa plaidoirie orale, l’employeur n’a pas abordé ce sujet, laissant la demande formulée par le fonctionnaire sans réponse.

[163] L’employeur n’était pas tenu d’appeler I.J. à titre de témoin. Il a choisi de ne pas le faire. Toutefois, rien n’empêchait le fonctionnaire d’appeler I.J. à témoigner. Il ne l’a pas fait. Dans de pareilles circonstances, je ne tirerai pas une conclusion défavorable du fait que l’employeur n’a pas appelé I.J. à titre de témoin.

[164] Je trouve le défaut de l’employeur de conserver la preuve documentaire beaucoup plus préoccupante.

[165] Le grief du fonctionnaire, présenté à l’employeur en août 2016, indique qu’à cette date, le fonctionnaire s’estimant lésé avait déjà demandé une copie de certains documents pertinents au présent cas. Il n’a jamais reçu les documents en question. En 2016, l’employeur savait que le grief du fonctionnaire avait été renvoyé à l’arbitrage.

[166] La preuve présentée à l’audience démontre que l’employeur a conservé certains documents, notamment les registres du fonctionnaire pour les années avant la période pertinente au grief du fonctionnaire ainsi que les rapports d’évaluation de contrôle de la qualité préparés par G.H. dans le cadre de la phase 2 du plan. Toutefois, il n’a pas conservé d’autres documents d’une grande pertinence, notamment les registres du fonctionnaire pour l’ensemble de la période pertinente au présent grief ainsi que les rapports administratifs préparés par le fonctionnaire, notamment les rapports qui, selon E.F., auraient mis en lumière des lacunes d’une telle importance que la rétrogradation du fonctionnaire en découla. Les registres et les rapports administratifs préparés par le fonctionnaire sont les documents qui auraient inclus les commentaires et observations du fonctionnaire relativement aux examens dans le cadre desquels son rendement a été critiqué par l’employeur. L’employeur n’a fourni aucune explication pouvant éclairer la Commission quant à pourquoi les documents en question n’ont pas été conservés, ou pourquoi certains documents ont été conservés tandis que d’autres ne l’ont pas été.

[167] Il est curieux que les seuls registres du fonctionnaire qui ont été conservés par l’employeur soient ceux pour la période de 2009 à 2011, soit la période avant que l’employeur ait commencé à reprocher au fonctionnaire des problèmes de rendement. De plus, les registres qui ont été divulgués et admis en preuve sont incomplets ou auraient été modifiés.

[168] Tous les témoins ont indiqué qu’à l’époque pertinente au présent grief, un registre de polygraphiste aurait inclus une colonne dans laquelle un polygraphiste pouvait inscrire ses commentaires et observations au sujet du déroulement d’un examen polygraphique. Certaines colonnes des registres qui ont été admis en preuve, notamment la colonne dans laquelle le fonctionnaire aurait inscrit ses commentaires et observations relativement au déroulement de chacun des examens polygraphiques qu’il effectuait, n’y apparaissent plus.

[169] Selon le fonctionnaire, il avait l’habitude d’inscrire à ses registres tout renseignement pertinent pouvant lui servir d’aide-mémoire quant à l’examen, son déroulement et le résultat atteint. Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait l’habitude d’inscrire à son registre tout événement hors de l’ordinaire étant survenu pendant un examen ainsi que toute instance dans laquelle il se fiait à son jugement professionnel à titre de polygraphiste pour dévier des lignes directrices de l’Unité. Cette preuve n’a pas été contredite.

[170] L’employeur n’a fourni aucune explication pouvant aider la Commission à comprendre pourquoi des colonnes auraient été supprimées – par inadvertance ou autre – des registres du fonctionnaire.

[171] Après avoir évalué l’ensemble des circonstances, je considère qu’une conclusion défavorable doit être retenue contre l’employeur qui, malgré le fait qu’il savait que le grief du fonctionnaire avait été renvoyé à l’arbitrage, a détruit une preuve d’une quantité et d’une pertinence significatives. L’employeur n’a fourni aucune explication pour son défaut de conserver la preuve. Le défaut de fournir une explication adéquate en des circonstances suspectes peut justifier une conclusion défavorable. En de telles circonstances, je dois en déduire que si cette preuve avait été déposée auprès de la Commission, elle aurait été défavorable à l’employeur (voir Arena c. Conseil du Trésor (ministère des Finances), 2006 CRTFP 105, au par. 104; voir également Gagné c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESFP 114, au par. 148).

[172] Mon analyse ne peut toutefois pas s’arrêter là. Je dois tout de même examiner les critères énoncés dans Frazee afin de conclure si le fonctionnaire a satisfait à son fardeau.

[173] Je n’aborderai pas les critères énoncés dans Frazee dans l’ordre dans lequel ils ont précédemment été énumérés étant donné que certains critères n’ont pas fait l’objet d’un véritable débat dans le cadre de l’audience. J’aborderai les critères n’ayant pas été véritablement contestés en premier lieu.

[174] La rétrogradation du fonctionnaire a eu un effet immédiat sur lui. À la suite de la mesure imposée par l’employeur, le fonctionnaire n’occupait plus un poste de polygraphiste. Il ne travaillait plus au sein de l’Unité. Il a été rétrogradé d’un poste classifié au niveau 9 à un poste classifié au niveau 7, sans protection salariale. Son salaire annuel a diminué de façon importante, soit d’environ 25 000 $. Le fonctionnaire est père d’une famille monoparentale. Il a trois enfants. La diminution de son salaire a eu un effet important sur lui et sa famille.

[175] Les parties n’ont pas fourni d’arguments quant à savoir si la rétrogradation du fonctionnaire était une mesure qui pourrait servir de fondement à une mesure disciplinaire future. J’accorderai ainsi très peu de poids à ce critère dans le cadre de mon analyse.

[176] Une rétrogradation est une mesure qui peut manifestement entraîner des répercussions sur les perspectives de carrière de la personne visée. L’employeur n’a pas prétendu autrement. Ici, le fonctionnaire a été rétrogradé de deux niveaux de classification. Il a été muté à un poste de préposé aux entrevues. Il effectuait dorénavant des entrevues de sécurité impliquant des fournisseurs de services.

[177] Bien que, dans sa lettre rejetant le grief du fonctionnaire, l’employeur a indiqué avoir examiné la démarche prise par les Ressources humaines pour muter le fonctionnaire à un poste pour lequel il était qualifié et avoir conclu que le Service avait effectué une recherche approfondie, aucune preuve à cet effet n’a été présentée à l’audience. Sur la base de la preuve présentée, je conclus que la rétrogradation a eu un impact sur les perspectives de carrière du fonctionnaire et que les mesures pour en minimiser l’effet n’ont pas été prises.

[178] J’aborderai maintenant le critère qui cherche à savoir si l’effet de la rétrogradation du fonctionnaire s’estimant lésé était nettement disproportionné au motif administratif invoqué par l’employeur.

[179] Les reproches formulés relatifs au rendement du fonctionnaire portaient sur l’administration d’examens polygraphiques. La preuve documentaire et les témoignages de G.H. et E.F. n’indiquent pas que les problèmes de rendement allégués étaient d’une nature ou d’une ampleur pouvant laisser croire que le fonctionnaire n’aurait pas pu occuper un poste classifié au niveau 8 ailleurs au Service. L’employeur a démontré qu’il n’y avait pas de poste classifié au niveau 8 au sein de l’Unité. Toutefois, il n’a pas présenté de preuve pouvant expliquer pourquoi il lui aurait été impossible de trouver, pour le fonctionnaire, un poste classifié au niveau 8 au sein du Service. S’il n’existait pas de poste classifié au niveau 8 pour lequel le fonctionnaire était qualifié, l’employeur aurait pu en faire la preuve. Il ne l’a pas fait. Rien n’explique pourquoi le fonctionnaire a été rétrogradé de deux niveaux au lieu d’un.

[180] De plus, bien que l’avocat de l’employeur ait fait valoir qu’E.F. aurait décidé de mettre fin au plan d’action et de recommander la rétrogradation du fonctionnaire sur la base de l’ensemble du dossier de rendement du fonctionnaire, cela n’est pas ce qui se dégage de la preuve documentaire et du témoignage d’E.F.. Le témoignage d’E.F. démontre plutôt que les deux examens identifiés par lui comme étant problématiques ont été les éléments déclencheurs qui ont fait en sorte que le plan d’action ait été soudainement abandonné et que la rétrogradation du fonctionnaire ait été recommandée. Si la rétrogradation du fonctionnaire était, comme le fait valoir l’employeur, une mesure administrative prise en raison d’un rendement insatisfaisant, une rétrogradation de deux niveaux de classification en raison d’un rendement insatisfaisant dans le cadre de deux examens polygraphiques constituerait, selon moi, une mesure dont l’effet est disproportionné au motif invoqué.

[181] En l’absence de preuve ou d’explication de la part de l’employeur, j’accepte l’argument du fonctionnaire, présenté à l’audience, voulant qu’une rétrogradation de deux niveaux de classification puisse révéler une intention punitive. Je dois conclure qu’une rétrogradation de deux niveaux de classification constituait une mesure ayant un impact disproportionné par rapport au motif administratif invoqué.

[182] Lorsque l’incidence de la mesure imposée par l’employeur est grandement disproportionnée par rapport au motif qui est invoqué, la décision de l’employeur peut être considérée comme disciplinaire. Toutefois, comme il est indiqué dans Frazee (au par. 24), cette norme ne sera pas atteinte si la rétrogradation du fonctionnaire est jugée comme étant une réaction raisonnable à des considérations opérationnelles honnêtes. Un examen de l’intention réelle de l’employeur s’impose.

[183] D’après la jurisprudence, la caractéristique essentielle d’une mesure disciplinaire est une intention de corriger la mauvaise conduite d’un employé en le disciplinant ou en le punissant d’une certaine façon. Le fonctionnaire doit démontrer que l’employeur avait l’intention de lui imposer une mesure disciplinaire pour le punir ou pour corriger sa conduite, mais que l’employeur a déguisé la mesure disciplinaire en lui donnant une forme différente (voir Peters c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord), 2007 CRTFP 7).

[184] Dans certains cas, il est possible de conclure qu’un employeur avait une intention disciplinaire à partir de l’ensemble des circonstances, c’est-à-dire, à partir de plusieurs indices qui, réunis ensemble, démontrent qu’il est plus probable que moins probable que la véritable intention de l’employeur était de corriger le comportement du fonctionnaire ou de le punir.

[185] Je reviens maintenant à « A. » c. SCRS. Comme il a été indiqué précédemment, dans cette décision, la Commission a conclu que le Service avait démontré qu’il avait mis fin à l’emploi d’une fonctionnaire en raison du rendement insatisfaisant de la fonctionnaire. La Commission n’a pas retenu les allégations de la fonctionnaire voulant qu’elle eût fait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée.

[186] Dans « A. » c. SCRS, la Commission a indiqué que l’employeur avait présenté sept témoins qui étaient unanimes dans leurs évaluations du travail de la fonctionnaire. Elle a également indiqué que la preuve de l’employeur à ce sujet avait été abondamment appuyée par de nombreux rapports, courriels et autres documents.

[187] Contrairement à « A. » c. SCRS, la preuve présentée à l’audience n’était pas unanime relativement au rendement du fonctionnaire.

[188] Bien que G.H. a témoigné qu’il y avait des lacunes parfois importantes dans certains examens polygraphiques effectués par le fonctionnaire avant la mise en œuvre du plan d’action, il a également indiqué que le fonctionnaire avait réussi la phase 1 du plan d’action avec un résultat de 100%. G.H. a également indiqué que le rendement du fonctionnaire s’était amélioré graduellement au courant de la phase 2 du plan d’action. La preuve démontre que le fonctionnaire acceptait la rétroaction de G.H. et apportait les correctifs qui lui étaient proposés. Son rendement s’est amélioré. Par la fin de la phase 2 du plan d’action, G.H. n’avait plus de préoccupations relativement aux examens polygraphiques effectués par le fonctionnaire. Selon lui, le fonctionnaire avait réussi les deux premières phases du plan d’action et passerait à la troisième phase du plan d’action. Si le fonctionnaire avait eu des problèmes de rendement avant la mise en œuvre du plan d’action, G.H. était d’avis que le rendement du fonctionnaire n’était plus problématique.

[189] E.F. est le seul témoin à avoir décrit des problèmes de rendement pouvant, selon lui, justifier une rétrogradation malgré les réussites du fonctionnaire aux phases 1 et 2 du plan d’action. E.F. a témoigné qu’il a décidé de rétrograder le fonctionnaire en raison de lacunes importantes dans deux examens polygraphiques effectués par le fonctionnaire pendant la phase 2 du plan d’action. Les deux examens en question avaient été effectués sous la supervision de G.H.. Les rapports de G.H. relativement aux deux examens polygraphiques ne font pas mention de ces lacunes et G.H. a indiqué ignorer pourquoi le plan d’action avait été abandonné entre les phases 2 et 3.

[190] Selon E.F., ces lacunes ont été identifiées par lui à la lecture des rapports administratifs préparés par le fonctionnaire à la suite des deux examens polygraphiques. Il a indiqué que G.H. n’aurait pas pu identifier les lacunes parce que G.H. n’avait pas accès aux rapports administratifs préparés par le fonctionnaire. Toutefois, les rapports administratifs préparés par le fonctionnaire n’ont pas été conservés par l’employeur. La preuve d’E.F. quant à la nature et l’importance des erreurs reprochées au fonctionnaire ne peut pas être corroborée à l’aide des rapports.

[191] E.F. a témoigné que la nature et l’importance des lacunes qu’il a identifiées dans ces deux examens polygraphiques l’ont porté à conclure que le fonctionnaire ne pourrait jamais réintégrer toutes les fonctions d’un polygraphiste. Les lacunes démontraient, selon lui, un manque de jugement et de rigueur important de la part du fonctionnaire.

[192] Le fonctionnaire a expliqué que, dans le cadre du premier examen, les renseignements qu’on lui reprochait de ne pas avoir inscrits à son rapport administratif n’avaient pas été divulgués dans le cadre de l’examen polygraphique. Il n’aurait pas pu noter à son rapport administratif des renseignements qui ne lui avaient pas été divulgués. En ce qui a trait au deuxième examen, le fonctionnaire a expliqué avoir exercé son jugement et avoir déduit, à partir de réponses et commentaires ambigus de la part d’un examiné, que ce dernier avait connaissance d’information qu’il tentait de dissimuler. La preuve documentaire contient un courriel de la part du fonctionnaire, rédigé à l’époque pertinente au présent grief, qui fait état de cette explication et qui est conforme au témoignage du fonctionnaire.

[193] Non seulement est-ce que les rapports administratifs sur lesquels E.F. a fondé cette conclusion n’ont pas été conservés par l’employeur, mais l’employeur n’a également pas conservé les registres du fonctionnaire pour la période en cause, c’est-à-dire qu’il n’a pas conservé les tableaux dans lesquels le fonctionnaire aurait inscrit ses notes, commentaires et observations relativement au déroulement des deux examens polygraphiques en question.

[194] L’employeur a fait valoir qu’I.J. avait également constaté des problèmes de rendement chez le fonctionnaire. Selon l’employeur, E.F. ne faisait que poursuivre les démarches de gestion du rendement entamées par son prédécesseur. Il n’avait pas l’intention de punir ou corriger le comportement du fonctionnaire.

[195] Bien qu’une évaluation du rendement du fonctionnaire indique qu’I.J. avait identifié certains problèmes de rendement, des mesures avaient été prises pour donner au fonctionnaire l’occasion d’améliorer son rendement. Le fonctionnaire a indiqué qu’il s’était conformé aux mesures qui lui avaient été imposées par I.J.. Il avait participé à un processus d’évaluation du contrôle de la qualité mené par un polygraphiste indépendant et il avait apporté les correctifs nécessaires. Il avait amélioré son rendement à la satisfaction d’I.J.. I.J. lui aurait dit que le processus d’évaluation du contrôle de la qualité était terminé et que le fonctionnaire pouvait commencer de nouveau à effectuer des examens polygraphiques à des fins opérationnelles. E.F., quant à lui, a indiqué que cela n’était pas le cas, qu’il avait communiqué avec I.J. qui lui aurait dit que les démarches cherchant à améliorer le rendement du fonctionnaire étaient toujours inachevées. Les témoignages du fonctionnaire et E.F. se contredisent.

[196] Comme il a été indiqué précédemment, I.J. n’a pas témoigné à l’audience. La preuve documentaire ne contient pas d’écrits d’I.J. pouvant corroborer ou contredire les témoignages du fonctionnaire et d’E.F.. L’employeur n’a pas conservé les rapports d’évaluation de contrôle de la qualité préparés par le polygraphiste indépendant qui a revu le travail du fonctionnaire à la demande d’I.J., c’est-à-dire les rapports sur lesquels I.J. aurait vraisemblablement fondé son évaluation du rendement du fonctionnaire.

[197] Les parties ont mis beaucoup d’emphase sur les mesures de gestion du rendement mise en œuvre par I.J.. Le fonctionnaire a décrit les mesures prises par I.J. comme ayant vraisemblablement été influencées d’une façon ou d’une autre par E.F.. Selon lui, il s’agirait de la première mesure dans une plus longue série de mesures par le biais desquelles E.F. cherchait à utiliser des allégations de rendement insatisfaisant pour écarter le fonctionnaire de l’Unité. La preuve est insuffisante pour me permettre de tirer une telle conclusion.

[198] L’employeur a, quant à lui, décrit les mesures de gestion du rendement prises par I.J. comme constituant une preuve pouvant démontrer qu’E.F. n’avait pas une intention disciplinaire, et qu’il ne faisait que poursuivre les démarches initiées par I.J.. Même si j’acceptais que le fonctionnaire eût des problèmes de rendement à l’époque à laquelle I.J. était son gestionnaire et que les mesures prises par ce dernier étaient de nature administrative, cela ne voudrait pas pour autant dire que toute mesure en découlant ou ayant été imposée par E.F. par la suite constituerait également une mesure administrative. Je suis d’avis que les constats d’I.J. quant au rendement du fonctionnaire dans l’évaluation du rendement pour l’année 2012-2013 ne sont pas déterminants.

[199] Le fonctionnaire a cité la décision Kashala Tshishimbi à l’appui de sa position. À mon avis, les faits du présent cas ressemblent grandement aux faits dans Kashala Tshishimbi. Il s’agit, selon moi, d’une décision d’une plus grande pertinence au présent cas que la décision « A. » c. SCRS citée par l’employeur.

[200] Dans Kashala Tshishimbi, la Commission a accueilli le grief d’un fonctionnaire qui alléguait que sa rétrogradation de deux niveaux de classification constituait une mesure disciplinaire déguisée et non une réaction raisonnable à des considérations opérationnelles honnêtes. L’employeur avait invoqué un rendement insatisfaisant comme motif pour la rétrogradation du fonctionnaire. Comme le Service dans le présent grief, l’employeur dans Kashala Tshishimbi n’était pas visé par les alinéas 209(1)c) et 209(1)d) de la Loi. Le grief a été instruit en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

[201] La situation de fait dans Kashala Tshishimbi se décrit de la façon suivante. Le fonctionnaire avait un rendement qui était entièrement satisfaisant jusqu’à ce qu’il ait commencé à travailler pour une nouvelle gestionnaire. Cette nouvelle gestionnaire n’était pas satisfaite du rendement du fonctionnaire. Elle lui communiquait principalement de mauvaises nouvelles concernant ses lacunes au travail. La prochaine évaluation du rendement du fonctionnaire faisait état, pour la première fois, de problèmes de rendement. Une tension s’est graduellement installée entre le fonctionnaire et sa gestionnaire. Le fonctionnaire se sentait comme si son emploi était menacé. Il croyait que sa gestionnaire avait comme objectif de l’évaluer négativement dans le but de lui faire perdre son emploi. Il se sentait harcelé. La gestionnaire a ensuite décidé de mettre en œuvre un plan d’amélioration du rendement pour le fonctionnaire. Peu après avoir appris cette nouvelle, le fonctionnaire est allé en congé de maladie. À son retour de congé, le fonctionnaire a été assujetti au plan d’amélioration du rendement. Le fonctionnaire se sentait piégé. Il avait l’impression que le plan mènerait à un échec assuré. Le plan comportait une mesure d’évaluation entièrement subjective ainsi qu’une exigence que le fonctionnaire obtienne 100% pour chaque objectif. Le fonctionnaire avait la nette impression que le plan ne servait qu’à documenter ses supposés échecs et ne comptabilisait pas ses améliorations. À la suite du plan, le fonctionnaire a été rétrogradé de deux niveaux de classification.

[202] Dans Kashala Tshishimbi, la Commission a conclu, entre autres, que la preuve démontrait qu’il y avait des incohérences dans les évaluations du rendement du fonctionnaire ainsi qu’une non-reconnaissance des progrès observés chez le fonctionnaire. La preuve indiquait également la présence de lacunes importantes dans le plan d’amélioration du rendement, notamment sa durée, la courte période accordée au fonctionnaire pour appliquer les notions reçues par le biais de la rétroaction ainsi que les normes de rendement arbitraire qui y étaient prévues. Selon la Commission, l’employeur n’avait pas un intérêt authentique d’aider le fonctionnaire et lui permettre de s’adapter aux nouvelles attentes de sa gestionnaire à son égard. L’employeur percevait les réactions et les désaccords du fonctionnaire comme une inconduite qu’il désirait corriger. La Commission a conclu que la décision d’instaurer le plan d’amélioration et, plus tard, rétrograder le fonctionnaire pour des motifs de rendement cachait des intentions disciplinaires.

[203] Comme dans Kashala Tshishimbi, le rendement du fonctionnaire s’estimant lésé était entièrement satisfaisant pour plusieurs années. Les évaluations de son rendement de 2009 à 2012 étaient très positives. Les évaluations du rendement du fonctionnaire s’estimant lésé à la suite de sa rétrogradation étaient également très positives. Le fonctionnaire a, sans exception, atteint ou surpassé les objectifs prévus. Il faisait preuve d’un esprit de collaboration. Il était ouvert à la rétroaction et il entretenait de bonnes relations interpersonnelles. À l’exception des évaluations du rendement préparées par E.F., le fonctionnaire était décrit comme étant compétent et professionnel.

[204] Bien que certains problèmes de rendement aient été identifiés par I.J. relativement à la structure des examens polygraphiques et dans la mise en application de certaines méthodologies de base, l’évaluation de son rendement pour l’année 2012-2013 indiquait tout de même que le fonctionnaire avait atteint 6 des 8 objectifs et qu’il avait partiellement atteint les deux autres objectifs. Il était indiqué que le fonctionnaire avait la difficulté à adhérer aux normes qui régissent les examens polygraphiques du Service et que des lacunes dans la mise en application de méthodologies de base en matière de polygraphie et dans la structure de certains examens polygraphiques avaient été identifiées. Les commentaires quant aux besoins d’amélioration étaient constructifs et d’un ton neutre. L’évaluation du rendement ne suggère aucunement que le fonctionnaire avait de la difficulté à accepter la critique ou qu’il avait des difficultés à entretenir de bonnes relations interpersonnelles.

[205] Bien que la preuve soit insuffisante pour me permettre de conclure qu’E.F. aurait influencé le contenu de l’évaluation du rendement de 2012-2013 d’une façon quelconque, et que je sois d’avis que les constats d’I.J. quant au rendement du fonctionnaire ne sont pas déterminants, je suis tout de même d’accord avec la suggestion du fonctionnaire, faite à l’audience, que la relation conflictuelle entre le fonctionnaire et E.F. semble constituer un fil conducteur dans les allégations de rendement insatisfaisant et les mesures qui ont menées à la rétrogradation du fonctionnaire.

[206] Dès son entrée en fonction comme Chef de l’Unité, E.F. a apporté des changements importants au sein de l’Unité. Il voulait s’assurer que le travail de l’Unité soit irréprochable. Plus précisément, il voulait que les polygraphistes fassent preuve d’une rigueur irréprochable. Il a immédiatement pris des démarches pour adresser ce qu’il a décrit comme étant un manque de rigueur et d’uniformité au sein de l’Unité. Il n’était pas satisfait du rendement du fonctionnaire. Il ressort de l’ensemble de la preuve que le fonctionnaire ne faisait pas preuve d’une rigueur suffisamment élevée pour satisfaire aux attentes d’E.F..

[207] L’évaluation du rendement du fonctionnaire pour la période de mars à juillet 2014 est la première évaluation effectuée par E.F.. L’évaluation indique que le fonctionnaire avait connu un échec en lien avec 8 des 11 objectifs énumérés à l’évaluation.

[208] Le ton utilisé par E.F. dans son évaluation du rendement du fonctionnaire est très négatif. La description du rendement du fonctionnaire ne ressemble aucunement aux évaluations du passé. L’évaluation indique que le fonctionnaire avait fait preuve « d’insubordination » et avait « manqué de respect » envers son gestionnaire en utilisant un format d’examen polygraphique qu’E.F. avait interdit au Service quelques semaines auparavant. Il est indiqué que le fonctionnaire avait manqué de jugement, de rigueur et de fiabilité en utilisant un format d’examen polygraphique non reconnu au sein du Service, et qu’il avait démontré des difficultés à entretenir de bonnes relations interpersonnelles.

[209] L’évaluation indique également que le fonctionnaire avait manqué d’intégrité et de professionnalisme. Il est indiqué que le fonctionnaire avait démontré un manque de connaissances de base entourant la polygraphie, ainsi qu’un manque de raisonnement et d’analyse « criant et inquiétant ». E.F. a reproché au fonctionnaire d’avoir posé un geste « déontologiquement reprochable ». L’évaluation mentionne, pour la première fois, une problématique relative à la communication orale du fonctionnaire dans le cadre d’examens polygraphiques effectués en anglais. Les commentaires formulés à l’égard du rendement du fonctionnaire ne sont pas constructifs. Ils ne visent pas à aider le fonctionnaire à améliorer son rendement.

[210] De plus, l’évaluation du rendement du fonctionnaire devait être effectuée sur la base d’examens polygraphiques choisis aléatoirement. La preuve indique que cela ne fut pas le cas. Dans le cadre de son contre-interrogatoire, G.H. a indiqué qu’on lui avait demandé d’évaluer des examens ayant déjà été identifiés, par E.F., comme problématiques. Ce sont ces examens polygraphiques qui ont été discutés et critiqués dans l’évaluation du rendement.

[211] Je suis d’accord avec le fonctionnaire que le langage utilisé par E.F. dans cette évaluation du rendement démontre une frustration et une impatience à l’égard du fonctionnaire. Le langage utilisé suggère la présence d’une intention disciplinaire.

[212] À une période qui coïncide généralement avec l’élaboration du plan d’action, E.F. a fait suivre un courriel à un membre de la haute gestion, en indiquant qu’il avait « surpris le fonctionnaire à ne pas suivre [des] instructions » qui lui avaient été données. Je tiens à souligner que ce courriel a été envoyé quelques minutes après qu’E.F. ait reçu un courriel de la part d’un membre de la haute gestion. Il répondait à un courriel qui indiquait qu’il était nécessaire - pour une raison qui n’est pas indiquée dans le courriel - de démontrer que le fonctionnaire avait précédemment été avisé qu’il y avait un enjeu relatif à son rendement, qu’on lui avait donné l’opportunité de « corriger son comportement » et qu’il ne l’avait pas fait. Bien que ces deux courriels ne soient pas déterminants en soi, les mentions d’avoir « surpris » le fonctionnaire et de devoir lui accorder l’opportunité de « corriger son comportement » peuvent constituer des indices additionnels d’une intention disciplinaire de la part de l’employeur.

[213] De novembre 2014 à avril 2015, le fonctionnaire s’estimant lésé a été retiré de l’Unité pendant que sa plainte de harcèlement faisait l'objet d'une enquête. Il a travaillé dans un autre secteur du Service. L’évaluation de son rendement pour cette période est positive. L’évaluation indique que le fonctionnaire acceptait la rétroaction et apportait les correctifs nécessaires. L’évaluation fait état de l’habileté du fonctionnaire à entretenir de bonnes relations interpersonnelles.

[214] À son retour au sein de l’Unité, le fonctionnaire a reçu, de nouveau, une évaluation de rendement très négative. L’évaluation du rendement du fonctionnaire pour la période de septembre 2015 à février 2016, soit l’évaluation qui fait état de l’intention d’E.F. de recommander la rétrogradation du fonctionnaire, est également très critique. Les commentaires formulés à l’égard du fonctionnaire ne sont pas constructifs.

[215] L’évaluation comportait 9 objectifs, dont deux correspondaient aux phases 1 et 2 du plan d’action. Il est indiqué que le fonctionnaire avait réussi la phase 1, mais qu’il avait connu un échec dans le cadre de la phase 2. En ce qui a trait aux 7 autres objectifs, le fonctionnaire avait connu un échec sur quatre d’entre eux, soit le jugement, la rigueur et la fiabilité, les connaissances de base et le raisonnement et l’analyse. L’évaluation indique que le fonctionnaire avait partiellement atteint des objectifs en lien avec la résolution de problèmes, les habiletés à communiquer et à entretenir de bonnes relations interpersonnelles ainsi que le professionnalisme.

[216] Encore une fois, le ton utilisé par E.F. dans son évaluation du rendement du fonctionnaire est négatif. Dans son témoignage, comme dans cette évaluation du rendement du fonctionnaire, E.F. minimisait les progrès accomplis par le fonctionnaire. Malgré le fait que G.H. avait conclu que le rendement du fonctionnaire s’était grandement amélioré et qu’après la phase 2, il n’avait plus de préoccupations relativement aux examens du fonctionnaire, E.F. caractérisait les améliorations du fonctionnaire dans la phase 2 comme étant des améliorations « mineures » ou « légères » qui laissaient des défis majeurs toujours non adressés.

[217] Comme dans Kashala Tshishimbi et contrairement à « A. » c. SCRS, j’estime que la preuve présentée à l’audience ne démontre pas que l’employeur a véritablement cherché à aider le fonctionnaire à améliorer son rendement. Plutôt, je suis d’avis que le fonctionnaire avait raison de craindre que les mesures d’amélioration du rendement qui lui étaient imposées par E.F. étaient vouées à l’échec.

[218] Bien qu’E.F. ait imposé des mesures de gestion du rendement au fonctionnaire à trois reprises, je vais m’attarder plus particulièrement à deux de ces mesures.

[219] Deux jours après le retour du fonctionnaire à la suite d’un congé de maladie de 6 mois, E.F. l’informa que, jusqu’à ce que le plan d’action ait été mis en œuvre et achevé, le fonctionnaire devait uniquement effectuer des examens polygraphiques d’un format simple, et ce, uniquement en français. Le fonctionnaire devait en effectuer un minimum de 5 par semaine. Les examens polygraphiques qu’il effectuait seraient évaluées par E.F. qui jugerait si le rendement du fonctionnaire était suffisant pour permettre au fonctionnaire d’effectuer des examens plus complexes.

[220] E.F. a décrit cette démarche comme ayant l’objectif de permettre au fonctionnaire de se « remettre en selle » après une longue absence. Toutefois, G.H. et le fonctionnaire ont témoigné qu’un polygraphiste qui a été absent pour une période prolongée peut avoir besoin d’une certaine période d’adaptation avant de retrouver son rythme et ses réflexes de polygraphiste. Aucune période de la sorte n’a été offerte au fonctionnaire. Aucun encadrement ou formation ne lui a été offert. De plus, la preuve est unanime voulant que le travail d’un polygraphiste s’effectue majoritairement en anglais et qu’effectuer des examens polygraphiques en français est une tâche plus complexe et difficile. Bien qu’E.F. a indiqué avoir voulu rendre la vie du fonctionnaire plus facile en lui demandant d’effectuer des examens dans sa langue maternelle, le témoignage de G.H. indiquait clairement que l’effet aurait été le contraire. De plus, il est curieux qu’E.F., qui était si critique du rendement du fonctionnaire dans une évaluation du rendement effectuée quelques mois auparavant, aurait demandé au fonctionnaire de revoir ses propres examens polygraphiques pour se familiariser de nouveau avec la méthodologie à suivre. À mon avis, la preuve n’indique pas que ces mesures cherchaient véritablement à aider le fonctionnaire à réintégrer ses fonctions et améliorer son rendement.

[221] Passons maintenant au plan d’action à trois phases. Comme je l’ai précédemment indiqué, E.F. a indiqué que le plan d’action n’était que la continuation des mesures de gestion du rendement initiées par son prédécesseur I.J.. Qu’importe si le plan d’action constituait une nouvelle mesure imposée par E.F. ou qu’il s’agissait d’une continuation de mesures initiées par I.J., il m’est impossible de décrire le plan d’action comme une démarche visant à véritablement aider le fonctionnaire à améliorer son rendement et réintégrer toutes les fonctions d’un polygraphiste.

[222] Les trois phases devaient être complétées dans un peu plus de 3 mois. La phase 1 était d’une durée de 3 jours. La phase 2 comportait 36 examens polygraphiques effectués sous la supervision de G.H., en direct. Tout indique que le fonctionnaire a effectué ces 36 examens les uns après les autres immédiatement après une absence de l’Unité d’une durée de 15 mois. Le fonctionnaire ne disposait pas de beaucoup de temps pour prendre connaissance de la rétroaction de G.H. et modifier son approche de façon à mettre cette rétroaction en application avant de passer au prochain examen polygraphique.

[223] Le plan d’action comportait des objectifs spécifiques. Seule la phase 1 comportait une méthode d’évaluation pouvant être décrite comme objective. Toutefois, aucune note de passage n’avait été établie. Les phases 2 et 3 comportaient des méthodes et des mesures d’évaluation subjectives. Encore une fois, aucun barème ou indicateur de rendement n’avait été établi pour permettre au fonctionnaire de comprendre ce qui constituerait une réussite ou échec.

[224] La description du plan d’action qui a été admis en preuve n’indique pas la ou les conséquences pouvant découler d’un échec. Ce qui ressort de la preuve présentée à l’audience est qu’on avait communiqué au fonctionnaire que s’il satisfaisait aux exigences des 3 phases, il pourrait reprendre toutes les fonctions d’un polygraphiste.

[225] Il est vrai que 9 des 36 examens polygraphiques que le fonctionnaire a effectués dans le cadre de la phase 2 ont été jugés non conformes par G.H.. Toutefois, en raison de l’amélioration progressive du rendement du fonctionnaire au cours de la phase 2 et les résultats satisfaisants du fonctionnaire lors des derniers examens polygraphiques de la série de 36 examens, G.H. était d’avis que le fonctionnaire avait réussi la phase 2. E.F. n’était pas du même avis.

[226] Ce qui constituait une réussite dans le cadre du plan d’action était, en réalité, une cible mouvante. La preuve démontre qu’E.F. a recommandé la rétrogradation du fonctionnaire non pas sur le rendement du fonctionnaire dans le cadre du plan d’action, mais sur deux examens jugés satisfaisant dans le cadre de ce plan. Il n’était pas prévu, dans le cadre du plan d’action, que le rendement du fonctionnaire serait évalué sur la base de ses rapports administratifs. Il n’était certainement pas prévu – ou envisageable – que des examens jugés satisfaisants par le polygraphiste indépendant chargé de l’évaluation du rendement du fonctionnaire dans le cadre du plan d’action puissent être invoqués pour recommander sa rétrogradation.

[227] Il existe une dernière similitude entre le présent cas et Kashala Tshishimbi qu’il est nécessaire de discuter davantage. Dans Kashala Tshishimbi, le fonctionnaire s’estimant lésé faisait valoir son désaccord avec les commentaires de sa gestionnaire quant à son rendement. Il résistait quelque peu de se conformer aux demandes de sa gestionnaire lorsque celle-ci lui demandait de modifier sa façon de faire. Il avait critiqué la nature du plan d’amélioration du rendement, plus précisément la nature subjective de l’évaluation ainsi que l’exigence qu’il obtienne 100% pour chaque objectif. La Commission a indiqué que les réactions et les désaccords du fonctionnaire étaient perçus par l’employeur comme constituant une inconduite qu’il désirait corriger.

[228] Dans le présent cas, le fonctionnaire s’estimant lésé a fait connaître son désaccord avec les critiques et les commentaires d’E.F.. Il a reproché à E.F. de choisir des mots et des adjectifs qui avaient pour effet d’exagérer des prétendus problèmes de rendement et de laisser passer sous le silence ses réussites. Il a décrit une communication écrite d’E.F. comme comportant un vocabulaire « incendiaire ». Il contestait les décisions prises par E.F.. Il a exprimé son désarroi face à des critiques qui lui étaient formulées par G.H. au sujet de sa confiance dans le cadre de la phase 2 du plan d’action alors que le fonctionnaire effectuait des examens polygraphiques en respectant les consignes qui lui étaient données par E.F. Il a cherché à expliquer pourquoi, selon lui, les lacunes dans les deux examens polygraphiques sur lesquelles E.F. s’est appuyé pour conclure que le fonctionnaire avait échoué la phase 2 constituaient plutôt des exemples de l’exercice de son jugement professionnel dans des circonstances très particulières. La preuve documentaire indique qu’il a refusé de signer les deux évaluations du rendement rédigées par E.F.. Il a présenté une plainte de harcèlement contre E.F., une plainte qui était basée en grande partie sur les démarches prises par E.F. dans le cadre de sa gestion du rendement du fonctionnaire.

[229] Le fonctionnaire s’est toutefois conformé aux demandes d’E.F. lorsque ce dernier a insisté, en janvier 2015 et dès le retour du fonctionnaire d’un congé de maladie, sur le fait que le fonctionnaire cesse d’effectuer des examens polygraphiques en anglais. Il n’a également pas résisté lorsqu’E.F. lui a imposé le plan d’action dès son retour au sein de l’Unité à la suite d’une absence de plus d’un an. Le fonctionnaire a indiqué, dans le cadre de son témoignage, qu’il était épuisé, qu’il n’avait plus l’énergie pour « se battre » et qu’il ne voyait aucun issu possible autre que de se conformer aux demandes d’E.F.. Il avait, d’abord et avant tout, peur d’aggraver la situation davantage en exprimant son désaccord avec les mesures proposées par son gestionnaire.

[230] Le fonctionnaire fait valoir qu’il y avait un conflit de personnalités entre lui et E.F. et qu’il aurait été assujetti aux mesures de gestion du rendement qui ont mené à sa rétrogradation en raison de ce conflit de personnalités. Selon lui, la véritable intention de l’employeur était de le punir et de l’écarter de l’Unité.

[231] La preuve présentée à l’audience démontre que, peu après l’entrée en fonction du fonctionnaire, la relation entre le fonctionnaire et E.F. était professionnelle. Je ne décrirais pas la relation comme étant chaleureuse ou amicale, mais elle n’était pas conflictuelle ou tendue à cette époque.

[232] Bien qu’il puisse être difficile de définir ou caractériser avec précision une relation interpersonnelle en fondant sur des témoignages fournis plusieurs années après les faits à l’origine du grief et sur des courriels et des documents échangés dans le cadre du travail, j’accepte la preuve du fonctionnaire présentée à l’audience voulant que la relation entre eux se soit empirée après qu’E.F. devint Chef par intérim, et surtout après qu’il eut été nommé Chef de façon indéterminée. Le ton et la teneur des courriels et des documents rédigés par E.F. à l’époque pertinente au grief sont compatibles avec la preuve du fonctionnaire voulant que leur relation était devenue tendue. Il ressort également d’au moins une des évaluations du rendement du fonctionnaire préparées par E.F. que les lacunes alléguées quant à l’habileté du fonctionnaire à maintenir de bonnes relations interpersonnelles cherchaient principalement à décrire la relation interpersonnelle entre le fonctionnaire et son gestionnaire.

[233] La preuve du fonctionnaire voulant que sa relation avec E.F. était devenue tendue n’a pas été contredite par E.F.. Bien qu’à l’audience, E.F. ait indiqué ne pas avoir de mauvais souvenirs de ses interactions avec le fonctionnaire, il a dit cela en réponse à une question qui s’inscrivait dans le cadre d’un échange entre E.F. et l’avocat de l’employeur relativement à la période où E.F. et le fonctionnaire étaient collègues. E.F. n’a pas témoigné quant à la nature de sa relation avec le fonctionnaire pendant la période où il était le gestionnaire du fonctionnaire. À la lumière de l’ensemble de la preuve qui m’a été présentée, je conclus qu’il existait – entre le fonctionnaire et son gestionnaire – une relation conflictuelle.

[234] Le fonctionnaire fait également valoir qu’en raison de cette relation conflictuelle, son gestionnaire se serait acharné à trouver des lacunes dans son rendement et à lui imposer les mesures de gestion du rendement qui ont mené à sa rétrogradation. Il soutient que son rendement n’était qu’un prétexte masquant une intention de l’écarter de l’Unité de polygraphie.

[235] Comme je l’ai indiqué précédemment, je n’ai pas à décider si le rendement du fonctionnaire était satisfaisant ou non sur la base de lacunes perçues dans son rendement. Mon analyse doit chercher à conclure si le fonctionnaire a, selon la prépondérance des probabilités, démontré que les motifs de rendement invoqués par l’employeur masquaient une autre intention, en l’occurrence l’intention d’écarter le fonctionnaire de l’Unité en raison d’un conflit de personnalités.

[236] La question à trancher dans un cas comme celui-ci n’est pas celle de savoir si la mesure imposée par l’employeur était exclusivement disciplinaire ou s’il s’agissait exclusivement d’une question de gestion du rendement. Il est possible qu’une mesure prise par un employeur soit teintée par des motivations disciplinaires et donc, qu’il ne s’agisse pas d’une mesure purement administrative fondée sur le rendement (voir Sproule c. Conseil du Trésor (ministère de la Consommation et des Corporations), dossier de la CRTFP 166-02-250 (19710520), à la page 14; voir également Valadares et le Conseil du Trésor (Santé et Bien-être social Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-19596 et 19597 (19910312)).

[237] Comme je l’ai indiqué précédemment, dans certains cas, il est possible de déduire qu’un employeur avait une intention disciplinaire à partir de plusieurs indices qui, réunis ensemble, démontrent qu’il est plus probable que moins probable que la véritable intention de l’employeur était de corriger le comportement d’un fonctionnaire ou de le punir. C’était le cas dans Kashala Tshishimbi, et c’est également le cas dans le présent grief.

[238] Dans le présent cas, les indices sont nombreux. Plusieurs d’entre eux ont été décrits dans le cadre de mon analyse. Je ne le répéterai pas tous. J’énumérerai de nouveau seulement certains d’entre eux.

[239] Parmi ces indices, je retiens, entre autres, le fait que le fonctionnaire a été rétrogradé alors qu’il avait complété les deux premières phases du plan d’action à la satisfaction de G.H., la personne chargée d’évaluer le rendement du fonctionnaire dans le cadre du plan d’action. La rétrogradation du fonctionnaire a eu lieu sur la base d’examens polygraphiques qui avaient été jugés satisfaisants par G.H. et sur la base de lacunes alléguées dans les rapports administratifs préparés par le fonctionnaire. Or, le plan d’action ne prévoyait pas que le rendement du fonctionnaire pourrait être évalué sur la base de ses rapports administratifs.

[240] Je retiens également l’écart significatif entre les évaluations du rendement du fonctionnaire alors qu’E.F. était son gestionnaire et les évaluations du rendement du fonctionnaire avant et après cette période, le ton négatif et non constructif du vocabulaire utilisé par E.F. dans ses évaluations du rendement du fonctionnaire, et l’utilisation par E.F. d’un vocabulaire pouvant dévoiler une intention disciplinaire (entre autres, des mentions d’insubordination, de manque de respect, de comportement reprochable et d’avoir « surpris [le fonctionnaire] à ne pas respecter [des] instructions »).

[241] À ces indices s’ajoute l’imposition d’une mesure de gestion du rendement qui aurait eu pour effet d’augmenter la complexité et le niveau de difficulté du travail du fonctionnaire. L’employeur a également élaboré et mis en œuvre un plan d’action très exigeant qui comportait des méthodes et mesures d’évaluation subjectives sans indications de ce que le fonctionnaire devait faire afin de satisfaire aux attentes de l’employeur. L’impression qui se dégage du plan d’action et de l’évaluation du rendement qui en a suivi en est une selon laquelle le plan n’avait pas véritablement comme objectif d’aider le fonctionnaire à améliorer son rendement. L’employeur cherchait les erreurs que le fonctionnaire faisait et cherchait des exemples de lacunes. Il n’accordait que très peu de poids aux aspects positifs du rendement du fonctionnaire. Les évaluations effectuées par G.H. dans le cadre du plan d’action sont d’une minutie surprenante. Un examen jugé entièrement satisfaisant faisait généralement tout de même l’objet de nombreuses suggestions de points à améliorer.

[242] L’évaluation du rendement qui en a suivi démontre également, selon moi, que le fonctionnaire avait raison de craindre que, qu’importe ce qu’il ferait, il lui aurait été impossible de satisfaire aux exigences de l’employeur. Le fonctionnaire était critiqué lorsqu’il exerçait son jugement. Il était également critiqué lorsqu’il n’exerçait pas son jugement, de peur d’être critiqué. On le critiquait pour un manque de confiance dans le cadre d’examens effectués dans des circonstances où tous ses gestes et toutes ses paroles étaient scrutés. Ses réussites étaient minimisées de façon significative.

[243] Les choix de mots, et plus particulièrement la communication orale du fonctionnaire lorsqu’il s’exprimait en anglais, faisaient l’objet d’une attention et d’une emphase surprenante. Je reconnais que le choix des mots utilisés par une polygraphiste puisse être important et qu’il soit important pour un polygraphiste de communiquer clairement. Toutefois, les témoins de l’employeur n’ont démontré en quoi les exemples de « termes boiteux » fournis par G.H. à l’audience auraient pu avoir une incidence sur l’exactitude ou la fiabilité des résultats d’examens polygraphiques, sur la compréhension d’un examiné ou sur le mandat du Service.

[244] Les indices énumérés – s’ils étaient examinés individuellement et hors contexte – seraient vraisemblablement insuffisants pour fonder une conclusion voulant que l’employeur avait une intention disciplinaire. Toutefois, lorsque ces indices sont examinés ensemble et dans le contexte d’une relation conflictuelle entre le fonctionnaire et son gestionnaire, un portrait préoccupant se forme. L’ensemble de la preuve démontre qu’il est plus probable que moins probable que les mesures qui ont mené à la rétrogradation du fonctionnaire étaient teintées d’une intention disciplinaire et ne constituait pas une réaction raisonnable à des considérations opérationnelles honnêtes.

[245] À la lumière de l'ensemble de la preuve au dossier, j’estime que le fonctionnaire a satisfait à son fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée.

[246] À la lumière de la conclusion défavorable décrite précédemment et de mes conclusions voulant que le rendement du fonctionnaire a été utilisé comme prétexte pour l’écarter de l’Unité en lui imposant une rétrogradation, j’estime qu’il n’est pas nécessaire pour moi de m’éterniser sur la question à savoir si la mesure disciplinaire imposée pouvait tout de même être motivée (voir Bergey, au par. 36). L’employeur n’a pas fait valoir d’arguments relatifs à cette question. J’en conclus de l’ensemble de la preuve que l’employeur a agi de mauvaise foi en utilisant le rendement du fonctionnaire comme prétexte. Dans les circonstances et à la lumière des lacunes importantes dans la preuve, il m’est impossible de conclure que la mesure prise par l’employeur, soit la rétrogradation du fonctionnaire, pouvait tout de même être motivée.

VII. Réparation

[247] Le fonctionnaire s’estimant lésé ne cherche pas à être réintégré. Il demande à ce que l’employeur soit tenu de lui verser le salaire et la pension auxquels il aurait eu droit, n’eût été sa rétrogradation d’un poste classifié au niveau 9 à un poste classifié au niveau 7. Comme il a été indiqué précédemment, l’écart salarial entre ces deux niveaux est d’environ 25 000 $ annuellement.

[248] À la lumière de ma conclusion voulant que le présent grief soit fondé, l’employeur devra verser au fonctionnaire toute la rémunération, les avantages sociaux et les prestations non versées auxquels le fonctionnaire aurait eu droit n’eût été sa rétrogradation, et ce de la date de sa rétrogradation jusqu’à la date à laquelle il a quitté l’emploi du Service. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas demandé à la Commission de lui accorder des intérêts sur la somme qui lui est due à titre de salaire perdu.

[249] Le fonctionnaire réclame également des dommages moraux en raison de la détresse psychologique qu’il a subie en raison de la mesure disciplinaire déguisée qui lui a été imposée. Dans le cadre de son témoignage, il a indiqué avoir souffert en raison du stress et de l’anxiété causés par les mesures prises l’employeur à son égard et des critiques incessantes à son égard. Il avait des palpitations cardiaques. Il est allé en congé de maladie. Il se sentait menacé. J’accepte la preuve du fonctionnaire selon laquelle les diverses mesures de gestion du rendement qui ont mené à sa rétrogradation ont eu pour effet de rendre un travail déjà exigeant et stressant encore plus difficile sur le plan émotionnel. Il a décrit la pression qu’il a subie comme étant énorme.

[250] Le fonctionnaire a demandé à la Commission de lui octroyer 20 000 $ en dommages moraux ou de donner aux parties l’occasion de tenter de s’entendre quant à un montant approprié.

[251] Le fonctionnaire demande également des dommages pour entrave à la justice. Il a cité Tipple c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 158, en appui à sa demande. Il fait valoir que l’audience devait initialement avoir lieu en juillet 2023, mais qu’elle a dû être reportée en raison du défaut du Service de procéder à la divulgation des documents requis pour l’audition du grief en temps opportun. Selon lui, le report de l’audience a fait en sorte qu’il a engagé des frais additionnels. Le fonctionnaire soutient également que la divulgation des documents pertinents à l’audience n’a pas été complétée par l’employeur jusqu’à ce que la Commission rende une ordonnance de divulgation en novembre 2023. En dernier lieu, le fonctionnaire fait valoir que le versement par l’employeur de dommages pour entrave à la justice devrait également être ordonné pour dénoncer le défaut de la part de l’employeur de conserver de nombreux documents pertinents au présent grief.

[252] L’employeur n’a pas présenté d’arguments relatifs à la demande du fonctionnaire pour des dommages moraux. Il a, toutefois, fait valoir que le fait que l’employeur n’ait pas conservé des documents pertinents à l’instance ne satisfait pas au seuil très élevé pour l’octroi de dommages pour entrave à la justice. Il a également indiqué que l’employeur avait fourni des mises à jour relativement aux délais dans le processus de divulgation et il a divulgué des documents à la suite de l’ordonnance de la Commission émise en novembre 2023.

[253] Je traiterai en premier lieu de la demande du fonctionnaire pour des dommages moraux. Dans Mattalah c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2018 CRTESPF 13, la Commission a fait référence à la décision Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39 en précisant que les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans cette décision étaient également utiles pour déterminer si les dommages moraux devaient être accordés dans le contexte de griefs ne portant pas sur un congédiement. La Commission a précisé qu’il fallait prendre en considération « toute conduite injuste, de mauvaise foi, menteuse, trompeuse ou trop implacable de la part de l’employeur ».

[254] Le fonctionnaire a subi une détresse psychologique en raison des agissements de l’employeur et de son impuissance face aux critiques incessantes de son gestionnaire. La preuve présentée à l’audience voulant qu’il ait souffert de stress et d’anxiété n’a pas été contestée. Il a vécu dans l’incertitude pendant de nombreux mois. Il avait toujours l’impression qu’il serait impossible, malgré tous ses efforts, de satisfaire aux exigences de son employeur. Je ne doute aucunement que la situation décrite dans les présents motifs a été très difficile à vivre. Je conclus que le fonctionnaire a droit à des dommages moraux en raison de la conduite de mauvaise foi de l’employeur et des effets qui en découlés pour le fonctionnaire.

[255] Comme le fonctionnaire a demandé à la Commission de donner aux parties l’occasion de tenter de s’entendre sur un montant approprié, et que l’employeur ne s’est pas opposé à la demande, c’est ce que je ferai. Je demeurerai toutefois saisie de la question de dommages moraux pour une période de 90 jours, advenant l’absence d’une entente.

[256] Quant à la demande du fonctionnaire pour des dommages pour entrave à la justice, il m’est impossible de conclure que l’employeur a délibérément entravé ou retardé le processus d’arbitrage. La conduite de l’employeur ne peut pas être décrite comme étant abusive ou cherchant à faire obstruction de la partie adverse (voir Tipple, au par. 29). Bien que l’employeur n’ait pas fourni d’explication pour son défaut de conserver des documents, la preuve est insuffisante pour me permettre de conclure qu’il a délibérément détruit ou altéré la preuve en cherchant à faire obstruction à la partie adverse. Quant au délai dans le processus d’arbitrage, l’employeur a informé la partie adverse et la Commission de délais dans la divulgation, bien que tardivement. Il est malheureux qu’il fût nécessaire que la Commission émette une ordonnance de divulgation pour s’assurer que la divulgation ait lieu en temps opportun pour éviter un deuxième report de l’audience. Toutefois, lorsqu’une ordonnance de divulgation a été émise, l’employeur s’y est conformé et a divulgué certains documents. J’accepte que l’audience ait dû être reportée une fois en raison de délais de la part de l’employeur de divulguer des documents. Toutefois, il m’est impossible de conclure que le report fut nécessaire en raison d’un comportement délibéré de la part de l’employeur. De plus, aucune preuve n’a été présentée à l’audience pouvant démontrer que le fonctionnaire a engagé des frais juridiques additionnels en raison du report de l’audience.

[257] Dans les circonstances du présent cas, j’estime que la conduite de l’employeur n'atteint pas le seuil élevé établi dans Tipple.

[258] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VIII. Ordonnance

[259] Le grief est accueilli.

[260] J’ordonne à l’employeur de verser au fonctionnaire toute la rémunération, les avantages sociaux et les prestations non versées en raison de sa rétrogradation, moins les déductions exigées par la loi, et ce, pour la période allant de la date de la rétrogradation du fonctionnaire à la date à laquelle son emploi auprès du Service a pris fin.

[261] Le fonctionnaire a droit à des dommages moraux pour pallier la détresse psychologique qu’il a subie. J’invite les parties à s’entendre sur un montant approprié en l’espèce, à défaut de quoi je pourrai trancher la question sur la base d’arguments écrits.

[262] La demande de l’employeur pour anonymiser le dossier 566-20-13419 est accordée.

[263] Il est ordonné au Service canadien d’appui aux tribunaux administratifs de mettre sous scellés tous les documents non caviardés de ce dossier et de les remplacer par des copies caviardées (ne contenant aucun renseignement susceptible d’identifier les personnes concernées, y compris les noms et les coordonnées d’employés du Service) qui seront fournies par le Service.

[264] Je demeure saisie pour 90 jours pour toute question relative à la mise en œuvre de la présente ordonnance.

Le 15 février 2024.

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission

des relations de travail et de

l’emploi dans le secteur public fédéral

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