Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief pour contester sa suspension non payée - le grief a été renvoyé à l’arbitrage 17 mois après l’expiration du délai – l’employeur s’est opposé à la compétence de la Commission, affirmant que le renvoi à l’arbitrage était hors délai – le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que le retard était dû à la négligence de l’agent négociateur et aux problèmes causés par la pandémie de COVID-19 – l’employeur a soutenu que la négligence de l’agent négociateur ne constitue pas toujours un motif clair, logique et convaincant d’accorder une prorogation de délai – la Commission a appliqué les critères établis dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1 – elle a reconnu qu’une partie de sa jurisprudence avait conclu que la négligence de l’agent négociateur pouvait constituer un motif clair, logique et convaincant pour accorder une prorogation – elle a conclu que le retard était important mais non insurmontable – elle a également conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait preuve de diligence et qu’il subirait un préjudice plus important si la prorogation était refusée – elle a ajouté que l’employeur n’avait pas répondu au grief au deuxième palier – la Commission a conclu qu’il était dans l’intérêt de l’équité d’accorder la prorogation de délai.

Objection rejetée.
Prorogation de délai accordée.

Contenu de la décision

Date: 20240319

Dossier: 568-02-48540

XR: 566-02-44041

 

Référence: 2024 CRTESPF 36

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Ian Guillemette

demandeur

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Guillemette c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le demandeur : Charlie Arsenault-Jacques, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN)

Pour le défendeur : Alexandre Toso, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
les 14 et 27 novembre et le 1er décembre 2023.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant la Commission

[1] Ian Guillemette (le « demandeur ») est agent correctionnel au Service correctionnel du Canada (le « défendeur »). Il a déposé un grief pour contester sa suspension sans solde. Il a renvoyé le grief à l’arbitrage le 19 janvier 2022.

[2] Le défendeur s’est opposé au renvoi à l’arbitrage parce que hors délai. Le demandeur a concédé que le renvoi à l’arbitrage était hors délai, mais il a demandé que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») accorde une prorogation de délai.

[3] La présente décision ne porte que sur la demande de prorogation qui fait suite à l’objection du défendeur. La demande a été présentée en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »), qui se lit comme suit :

61 Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

61 Despite anything in this Part, the time prescribed by this Part or provided for in a grievance procedure contained in a collective agreement for the doing of any act, the presentation of a grievance at any level of the grievance process, the referral of a grievance to adjudication or the providing or filing of any notice, reply or document may be extended, either before or after the expiry of that time,

a) soit par une entente entre les parties;

(a) by agreement between the parties; or

b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

(b) in the interest of fairness, on the application of a party, by the Board or an adjudicator, as the case may be.

 

[4] Pour les motifs qui suivent, la demande est accordée.

II. Contexte

[5] Le demandeur est un agent correctionnel, et fait partie d’une unité de négociation représentée par l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (l’« agent négociateur »).

[6] Le 31 octobre 2019, à la suite d’une perquisition à son domicile, il a été suspendu avec solde, puis sans solde à partir du 7 novembre 2019, en attendant les résultats de l’enquête. Son salaire a été rétabli à partir du 16 mars 2020.

[7] Dès qu’il a appris qu’il était suspendu sans solde, il a communiqué avec son agent négociateur pour que celui-ci dépose un grief en son nom pour contester la suspension sans solde.

[8] Le grief a été déposé le 4 décembre 2019, et transmis au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs le 18 décembre 2019. Le 6 janvier 2020, le défendeur et l’agent négociateur ont signé une prolongation de délai pour la réponse au deuxième palier, jusqu’au 21 février 2020. Le demandeur a fourni des arguments à l’agent négociateur pour soutenir son grief, et s’est renseigné sur l’état du grief.

[9] Le défendeur n’a pas fourni de réponse au deuxième palier, et le grief a été transmis au troisième palier le 19 février 2020.

[10] La pandémie de COVID-19 a déclenché à partir de mars 2020 toute une série de mesures d’urgence dans l’ensemble du Canada, et notamment dans les milieux de travail. Le demandeur travaille à l’Établissement de La Macaza, au Québec, où les opérations ont été profondément touchées par la pandémie et les mesures sanitaires qui l’accompagnaient.

[11] L’effectif de l’agent négociateur a été fortement réduit, et son attention a été fortement mobilisée par la pandémie. Selon le demandeur, toute l’interaction entre l’agent négociateur et le défendeur ne portait, de mars 2020 à avril 2021, que sur la pandémie et les mesures sanitaires. Cette version présentée par le demandeur a été contredite par le défendeur, qui a soutenu que certaines activités dans les relations syndicales-patronales se poursuivaient, malgré la pandémie.

[12] Toujours est-il que ce n’est qu’en octobre 2021 qu’on s’est inquiété à la section locale de l’état du dossier du demandeur. On a retrouvé son dossier en novembre 2021, mais une erreur de formulaire a fait en sorte qu’il n’a été transmis à l’arbitrage que le 19 janvier 2022.

[13] Le défendeur n’a jamais répondu au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

[14] Pour ajouter à cette mise en contexte, je note que le demandeur a été licencié le 5 août 2021. Il a contesté son licenciement au moyen d’un grief qui a été accueilli par la Commission (voir Guillemette c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2023 CRTESPF 12). Il a été rétabli dans ses fonctions à partir de la date de son licenciement (avec une suspension de 20 jours).

III. Résumé de l’argumentation

[15] Afin de faciliter la lecture et éviter les répétitions, je résume ici les arguments des deux parties. Je reviendrai sur la jurisprudence pertinente dans mon analyse.

A. Arguments fondés sur les critères de la décision Schenkman

[16] Les deux parties invoquent les critères énoncés dans la décision Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, que la Commission applique généralement pour analyser une demande de prorogation de délai pour un grief.

1. Existe-t-il des raisons claires, logiques et convaincantes pour expliquer le retard?

[17] Le demandeur soutient que le délai est attribuable aux erreurs de l’agent négociateur. L’erreur de l’agent négociateur n’est pas toujours considérée une raison claire, logique et convaincante, mais elle peut l’être, surtout si la diligence de la personne qui dépose le grief est bien établie. Il paraît inéquitable de pénaliser l’employé alors que le retard est entièrement attribuable à l’agent négociateur.

[18] Le défendeur avance pour sa part que ni le demandeur, ni l’agent négociateur n’ont manifesté qu’ils voulaient poursuivre le grief pendant une période de 23 mois, causant ainsi un retard de 17 mois au renvoi à l’arbitrage. Des erreurs et de la négligence ne peuvent constituer des raisons claires, logiques et convaincantes pour expliquer le retard.

[19] Le défendeur cite maintes décisions de la Commission selon lesquelles les motifs du retard doivent être sérieux et convaincants. Selon certaines décisions, la négligence de l’agent négociateur ne peut suffire à expliquer le retard. En outre, les activités de représentation n’ont pas cessé pendant la période de la pandémie.

[20] Le défendeur soutient, avec jurisprudence à l’appui, qu’en l’absence de raisons claires, logiques et convaincantes, il n’est pas nécessaire de poursuivre l’analyse.

2. Quelle était la durée du retard?

[21] Le demandeur indique que la durée du retard est de 17 mois; la Commission a accordé une prorogation de délai dans Barbe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 42, malgré un retard de 20 mois.

[22] En outre, il ne s’agit pas d’un nouveau grief, puisqu’il est à l’étape du renvoi à l’arbitrage. Autrement dit, malgré le retard, le défendeur n’est pas pris par surprise.

[23] Le défendeur soutient qu’un retard de 17 mois est très significatif. La Commission a dans le passé qualifié des retards moindres (6 mois, 10 mois, 13 mois) comme étant des retards importants, qui militaient contre la prorogation.

3. Le demandeur a-t-il fait preuve de diligence raisonnable?

[24] Le demandeur admet qu’il est vrai que, pour un grief de nature disciplinaire, un fonctionnaire peut lui-même le déposer et le renvoyer à l’arbitrage, sans l’appui de l’agent négociateur. Toutefois, telle n’est pas la pratique de l’agent négociateur en cause, qui accompagne tous ses membres dans chacun de leurs griefs. Par conséquent, les membres se fient sur l’agent négociateur pour la transmission des griefs en temps opportun.

[25] Le demandeur a agi de façon diligente. Il a demandé dès que possible le dépôt d’un grief, il a signé les formulaires requis, il a communiqué à plusieurs reprises avec l’agent négociateur pour étayer son dossier en proposant des arguments et en fournissant des éléments de preuve. Comme dans les décisions Barbe et D’Alessandro c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2019 CRTESPF 79 (« D’Alessandro 2019 »), le demandeur ne devrait pas être puni pour la négligence de l’agent négociateur alors qu’il a lui-même fait preuve de diligence.

[26] Le défendeur soutient qu’il n’y a aucune indication de diligence raisonnable de la part du demandeur ou de l’agent négociateur pour faire avancer le grief entre la transmission au troisième palier et le renvoi à l’arbitrage. Selon le défendeur, il n’y a aucun élément de preuve que le demandeur s’est renseigné sur l’état de son grief entre la transmission au troisième palier et le renvoi à l’arbitrage, soit une période de 23 mois.

4. Qui subit le pire préjudice? Le défendeur si la demande est accordée, ou le demandeur si elle est refusée?

[27] Le demandeur soutient que le préjudice est clairement plus grave pour lui, puisque sans grief, il est privé de tout recours.

[28] Le demandeur soulève aussi que, comme dans la décision Zeleke c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2023 CRTESPF 76, le défendeur n’a toujours pas rendu de décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Autrement dit, le délai dépend au moins partiellement de lui. S’il rendait une décision au dernier palier, le demandeur disposerait des 40 jours suivants pour renvoyer le grief à l’arbitrage.

[29] Selon le demandeur, il pourrait demander à la Commission une ordonnance aux termes de l’article 12 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) qui exigerait du défendeur de rendre une décision au dernier palier, après quoi le grief pourrait être renvoyé à l’arbitrage.

[30] Le défendeur est d’avis que dans les circonstances, c’est lui qui subit le pire préjudice, parce qu’il pensait depuis longtemps que le demandeur avait renoncé à son grief.

[31] De plus, accorder une prorogation alors que le retard est si considérable mine sérieusement la confiance dans le respect des délais. La prorogation devrait être une exception, et non la règle, pour que les délais impartis aient un sens.

5. Quelles sont les chances de succès du grief?

[32] Le demandeur indique qu’il s’agit de déterminer si la prorogation serait inutile parce que le grief n’a aucune chance de succès. Or, à cette étape, la Commission ne peut juger du bien-fondé du grief, parce qu’elle n’a reçu aucun élément de preuve. Il n’est pas frivole pour un fonctionnaire de contester une mesure qui le prive de son salaire pendant une longue période.

[33] Le défendeur s’oppose en faisant valoir que certains faits sont déjà connus, en raison de l’audience tenue sur le licenciement. Ainsi, on sait que le demandeur, pendant cette période, faisait l’objet d’une enquête à la suite d’une plainte de harcèlement, et qu’il a été suspendu à la suite d’une perquisition à son domicile, où des armes et certains dispositifs prohibés ont été saisis. La suspension est justifiée par les préoccupations légitimes du défendeur à ce moment-là. Par conséquent, ce critère n’est pas favorable au demandeur.

B. Autres arguments fondés sur les faits et la jurisprudence

[34] Le demandeur soutient que le défendeur s’appuie à tort sur le paragraphe 90(2) du Règlement pour s’opposer au renvoi à l’arbitrage. L’article 90 prévoit que le renvoi à l’arbitrage doit se faire dans les 40 jours de la réception de la décision au palier final de la procédure applicable au grief (par. 90(1)). Le paragraphe 90(2) précise qu’à défaut de recevoir cette réponse au palier final, un fonctionnaire peut renvoyer le grief à l’arbitrage dans un délai de 40 jours qui suit la date à laquelle la réponse aurait dû être donnée.

[35] Cette disposition vise à protéger un fonctionnaire qui ne reçoit pas de réponse, pour empêcher l’employeur de profiter de sa propre inaction. Sinon, l’employeur pourrait retarder indéfiniment le processus. Le demandeur soutient que le défendeur tente précisément de profiter de son propre défaut de répondre. Il attend pour répondre, puis blâme le demandeur d’avoir tardé à renvoyer le grief à l’arbitrage.

[36] Selon le demandeur, bien que le paragraphe 90(2) du Règlement offre une possibilité au demandeur de renvoyer son grief en l’absence d’une réponse, le fonctionnaire est en droit d’attendre la réponse au dernier palier, que le défendeur n’a toujours pas fournie.

[37] Le demandeur soutient que la situation est fort semblable à celle dans la décision Barbe : les faits se produisent dans le même bureau, avec les mêmes acteurs. Dans cette affaire, la Commission a jugé qu’il serait inéquitable de pénaliser les fonctionnaires s’estimant lésés alors qu’ils n’étaient aucunement responsables du retard. Le demandeur s’appuie également sur une décision récente, Mercier c. Service correctionnel du Canada, 2023 CRTESPF 113, dans laquelle la Commission a aussi accordé la prorogation de délai pour le renvoi à l’arbitrage, dans un souci d’équité.

[38] Le défendeur fait remarquer que le retard dans l’affaire Mercier était beaucoup moins long, soit de 2 mois contre les 17 mois dans le cas présent. En outre, le demandeur dans l’affaire Mercier avait participé activement à toutes les étapes de la procédure interne, contrairement au cas présent, où il n’y a eu ni arguments écrits ni audience dans le processus de règlement des griefs devant le défendeur.

IV. Analyse

A. Critères de Schenkman

[39] Selon le défendeur, en l’absence de raisons claires, logiques et convaincantes, il n’est pas nécessaire de poursuivre l’analyse. C’est la conclusion dans la décision Bertrand c. Conseil du Trésor, 2011 CRTFP 92. Dans cette affaire, la demande de prorogation était pour le dépôt du grief, six mois après les événements donnant lieu au grief.

[40] Dans d’autres décisions citées par le défendeur, la négligence de l’agent négociateur est en cause, et jugée insuffisante comme raison claire, logique et convaincante (voir par exemple la décision Callegaro c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 110).

[41] Toutefois, selon un certain courant de jurisprudence, l’erreur de l’agent négociateur peut en fait constituer une raison claire, logique et convaincante (voir les décisions D’Alessandro 2019 et Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 144); tout dépend des faits et des circonstances.

[42] La négligence avouée de l’agent négociateur n’est pas une explication très satisfaisante; une inaction générale due à la pandémie, sans plus de détails, n’est pas entièrement convaincante. La pandémie a forcé une hausse subite des communications électroniques plutôt que présentielles; elle n’empêchait pas la progression des dossiers et des litiges.

[43] S’il s’agissait d’un grief syndical plutôt qu’individuel, l’absence d’une explication satisfaisante serait fatale. Toutefois, en poursuivant l’analyse, il reste des facteurs qui penchent en faveur du demandeur.

[44] Le retard est considérable, mais compte tenu de la jurisprudence, il n’est pas insurmontable.

[45] Il ne fait aucun doute que le grief a été déposé aussi tôt que possible, et d’abord poursuivi avec diligence. Compte tenu du retard du défendeur à répondre, il est compréhensible que le demandeur ait d’abord attendu. Compte tenu également du fait que l’agent négociateur se charge des griefs, le demandeur pouvait s’attendre à ce que le grief franchisse les étapes nécessaires. Si la diligence de l’agent négociateur est un peu douteuse, celle du demandeur ne l’est pas.

[46] Il ne fait pas de doute que de refuser la prorogation cause un plus grand tort au demandeur, en le privant de son recours. Le défendeur, bien que le renvoi ait tardé, n’est pas pris par surprise. Apparemment, il réfléchit encore à la réponse au dernier palier.

[47] Le défendeur prétend que le demandeur peut toujours avoir un recours contre l’agent négociateur. Toutefois, ce recours ne pourrait correspondre au fond du grief, soit la suspension sans solde. Le défendeur donne comme exemple la décision D’Alessandro c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2018 CRTESPF 90, où le plaignant a porté plainte contre son syndicat pour ne pas avoir déposé de griefs. La plainte a entraîné le dépôt de griefs par le syndicat – avec objection quant au délai, et une décision de la Commission (voir la décision D’Alessandro 2019, mentionnée précédemment) qui a accordé la prorogation puisque le plaignant n’était pas responsable du retard. La Commission, dans cette affaire, ne voulait pas pénaliser le plaignant pour l’omission de son syndicat.

[48] Enfin, reste le dernier critère, qui porte sur le mérite du grief. Je suis d’accord avec le demandeur qu’en l’absence d’une preuve complète, la Commission ne peut se prononcer sur ce critère. Il faudrait que le grief ne soit absolument pas une cause défendable, ce qui n’est pas le cas ici.

[49] Le défendeur a présenté des arguments pour démontrer la faiblesse du grief, mais ces arguments devraient être soutenus au moment où le grief est entendu sur le fond.

B. Autres critères tirés de la jurisprudence

[50] L’inaction de l’agent négociateur est seule en cause ici. Dans le même sens que les décisions Barbe, Mercier et D’Alessandro 2019, j’éprouve une forte réticence à priver le demandeur de son recours alors qu’il a agi avec diligence pour faire déposer le grief et pour fournir sa preuve et ses arguments. Selon moi, le souci d’équité doit l’emporter ici encore.

[51] Le défendeur semble reprocher au demandeur son inaction, en comparant sa situation à celle dans l’affaire Mercier et en soulignant qu’il n’y a pas eu d’audience dans le cadre du processus de règlement des griefs devant le défendeur. Il me semble que l’inaction dans ce cas est aussi le fait du défendeur. Pas d’audience, et pas de réponse au grief, voilà deux actions manquantes de la part du défendeur.

[52] Je suis d’accord que le défaut de renvoyer à l’arbitrage, une fois passé le délai réglementaire de 40 jours, est une faute imputable à l’agent négociateur. Toutefois, il semble inéquitable de pénaliser le demandeur pour l’inaction générale qui entoure son grief.

[53] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[54] La demande de prorogation est accordée. Le grief portant le numéro 566‑02‑44041 sera mis au calendrier des audiences de la Commission.

Le 19 mars 2024.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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