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Date: 20240405

Dossier: 561-02-39395

 

Référence: 2024 CRTESPF 51

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Chantal fortier

plaignante

 

et

 

Conseil du trésor

(Service correctionnel du Canada)

 

et

 

JOSÉE TREMBLAY

 

défendeurs

Répertorié

Fortier c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Chantal Homier-Nehmé, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Kim Patenaude, avocate

Pour les défendeurs : Andréanne Laurin, avocate

Affaire entendue par vidéoconférence,

du 6 au 8 avril 2021.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant la Commission

[1] Le 2 novembre 2018, Chantal Fortier (la « plaignante » ou la « présidente »), a déposé une plainte de pratique déloyale au sens de l’article 185 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») contre Josée Tremblay, directrice, (la « directrice ») du Service correctionnel du Canada, représenté par le Conseil du Trésor (le « défendeur » ou l’ « employeur »).

[2] Au moment du dépôt de sa plainte, la plaignante travaillait à l’Établissement Donnacona (l’« Établissement »), au Québec. Elle occupait le poste de chef d’administration et de gestion du matériel (CAGM) au groupe et au niveau AS-04 depuis 2005. Elle était présidente du Syndicat des employées de la Sécurité et de la Justice (SESJ), section locale 10003.

[3] La plaignante a allégué que le défendeur avait enfreint la Loi en menant une enquête contre elle à la suite d’une allégation de collusion et d’influence de témoins dans le cadre d’une enquête disciplinaire. Elle a maintenu que les actions de la gestion avaient pour but de l’intimider en raison de son rôle de présidente de section locale. Elle a allégué que le défendeur l’avait empêchée d’exercer ses fonctions de présidente de section locale. La plaignante a revendiqué des mesures correctives en fonctions des alinéas 186(1)a) et 186(2)c) et du sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi.

[4] Bien que l’enquête menée par la gestion avait conclu qu’il n’y avait pas de collusion ni d’influence de témoins, elle a soutenu que la conduite du défendeur avait eu un impact négatif sur sa santé, ce qui avait causé son absence d’octobre 2018 à mars 2019. De plus, cela avait eu un impact sur les relations syndicales patronales et l’avait poussée à prendre sa retraite plus tôt que prévu.

[5] La plaignante a énuméré plusieurs reproches contre la gestion, dont un problème de communication et de climat de travail toxique à l’Établissement. À l’audience, la plaignante a informé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») qu’elle retirait l’allégation de violation de l’alinéa 186(1)b) de la Loi.

[6] Le 7 février 2019, le défendeur a répondu à la plainte en indiquant qu’il était difficile de cerner le moment que le défendeur avait commis des pratiques déloyales. Il a maintenu que la plainte était non fondée et qu’elle devrait être rejetée. Il a ajouté que les allégations étaient trop générales et ne constituaient pas une infraction au sens de l’article 185 de la Loi.

[7] Le défendeur comprend que la plaignante reproche à l’employeur de ne pas prendre au sérieux les enjeux qui lui sont présentés par le SESJ, entre autres, le bien-être des employés, des cas de harcèlement et de violence en milieu de travail et qu’il encourage la mauvaise gestion. Le défendeur a soutenu que ces allégations ne constituaient pas une infraction à l’article 185 de la Loi.

[8] Le défendeur a nié avoir enfreint la Loi, d’avoir harcelé et intimidé la plaignante dans le cadre d’une enquête, et ce, à titre de présidente du SESJ. Le défendeur a nié traiter les membres du SESJ avec mépris. Selon lui, la plaignante n’a soulevé aucun élément pour démontrer qu’il y avait eu un traitement différentiel entre les employés membres du SESJ et les autres syndicats.

[9] Le défendeur a soumis qu’en septembre 2018, il avait élargi l’ordre de convocation d’une enquête disciplinaire en cours concernant les allégations d’inconduites de la directrice adjointe aux interventions (la « DAI ») de manière à y inclure des allégations de collusion et d’influence de témoins impliquant la plaignante. C’est à titre d’employée et non de représentante syndicale que la plaignante a reçu un avis selon lequel elle était visée par un mandat d’enquête. Le défendeur a maintenu qu’en agissant ainsi, il n’a pas enfreint la Loi.

[10] Pour les raisons qui suivent, la plainte est accueillie.

II. Résumé de la preuve

A. Contexte

[11] À l’audience, la présidente a précisé qu’elle était à la retraite depuis octobre 2019. Avant la retraite, elle occupait le poste de CAGM. Elle était responsable d’une équipe de 4 à 5 employés et elle s’occupait de la gestion des documents et la gestion du budget. Elle était responsable de la dotation et du support au niveau régional pour l’embauche des employés.

[12] À l’été 2017, elle s’est impliquée dans les activités syndicales de sa section locale. Elle a été élue par acclamation. Le climat de travail était difficile, il y avait beaucoup de problèmes d’embauche.

[13] Son objectif comme présidente était d’améliorer les relations de travail et de travailler avec la gestion pour trouver des solutions aux problèmes de paie liés au système Phénix. Elle était beaucoup impliquée dans la résolution de problèmes au bureau de la DAI.

[14] En tant que présidente de section locale, elle réglait les problèmes de relations de travail individuellement ou en comité patronal-syndical. À l’automne 2017, elle a eu plusieurs rencontres avec les sous-commissaires régionaux Mike Ryan et Alessandria Page. La plaignante voulait porter à leur attention les difficultés à l’Établissement. Mme Tremblay était la directrice de l’Établissement.

[15] Le défendeur a convoqué la directrice de l’Établissement à titre de témoin à l’audience. En tant que directrice de l’Établissement, elle devait interagir avec tous les syndicats; chacune de ses décisions avait un impact sur les différents syndicats. La présidente se rapportait directement à Stéphane Jaillet, directeur adjoint, et M. Jaillet se rapportait à la directrice. Avant le dépôt de la plainte, la directrice avait une bonne relation de travail avec la plaignante. Au niveau des relations de travail, les communications avec la plaignante se faisaient soit avec elle ou son équipe de gestionnaires ou encore avec la DAI et les sous-directeurs.

B. Enquête globale à l’Établissement

[16] En 2017, il y a eu une enquête globale sur les difficultés en milieu de travail (l’« enquête globale »). La directrice avait invité tous les employés à discuter de leurs problèmes. La plaignante a expliqué que les faits entourant la plainte avaient débuté dans le cadre de son premier dossier syndical. La plaignante avait accepté de représenter Josianne Bergeron, une employée à contrat déterminée qui occupait un poste d’adjointe à la gestion de cas/adjointe à l’isolement, au groupe et au niveau CR-04. Ce poste se trouvait dans le groupe de la DAI.

[17] Mme Bergeron avait sollicité l’intervention de la plaignante en lien avec le dossier de la supervision des formations en ligne des détenus. Elle se questionnait sur la légalité de lui assigner cette nouvelle tâche. La plaignante croyait que la DAI tentait d’assigner une tâche d’un poste au groupe et au niveau WP-03.

[18] La plaignante avait effectué des recherches sur le niveau et la nature de la tâche. Elle était d’avis que la tâche était supérieure à une tâche de CR-04. Mme Bergeron exprimait certaines préoccupations de se retrouver seule avec des détenus. La plaignante était en désaccord avec la DAI sur le temps que cette tâche nécessiterait et le niveau de celle-ci. Mme Bergeron ne voulait pas déposer de plainte formelle.

[19] Mme Bergeron a témoigné qu’elle avait eu une rencontre avec sa gestionnaire et la DAI à ce sujet. Elle ne se sentait pas à l’aise de se retrouver seule avec les détenus. La DAI n’était pas contente qu’elle ait consulté le syndicat. La DAI mélangeait les tâches du poste de gestion de cas avec le poste qu’elle occupait.

[20] Elle sentait de la pression de la part de la DAI, car cette dernière insistait pour qu’elle fasse la nouvelle tâche. La présidente a tenté de régler la situation avec la DAI, mais celle-ci insistait que, dans les autres régions du Québec, ce sont des CR-04 qui effectuent ce travail. La DAI s’est emportée et elle a accusé Mme Bergeron et la plaignante de mauvaise foi. Mme Bergeron ne croyait pas qu’elle avait les qualifications nécessaires pour superviser les détenus. Elle avait l’impression qu’il était impossible de communiquer avec la DAI et de trouver une solution. Elle se sentait intimidée et menacée.

[21] La présidente a annoncé qu’elle avancerait le dossier de Mme Bergeron au prochain palier avec le sous-directeur. La DAI a menacé Mme Bergeron de ne pas renouveler son contrat. Finalement, la DAI a trouvé quelqu’un d’autre pour effectuer la tâche. Par la suite, Mme Bergeron a eu plusieurs autres conflits avec la DAI, mais elle a choisi de ne pas impliquer la plaignante. À la suite d’une longue rencontre détaillant tous ses conflits à sa gestionnaire, Mme Bergeron a rencontré Jérôme Poulin, le sous-directeur, et la directrice. M. Poulin et la directrice lui ont dit qu’elle avait deux options : déposer une plainte de harcèlement ou déposer une plainte de violence en milieu de travail. Mme Bergeron a refusé de prendre action. Finalement, au début juin 2018, la directrice l’a encouragée de poursuivre ses droits et elle a décidé de déposer une plainte de harcèlement contre la DAI.

[22] La directrice se souvenait avoir rencontré Mme Bergeron et sa gestionnaire accompagnées de M. Poulin. La directrice a témoigné que Mme Bergeron avait refusé de faire la tâche liée à la surveillance de détenus. La directrice aurait demandé à Mme Bergeron ses attentes envers la gestion. Mme Bergeron lui a dit qu’elle ne voulait pas que la situation se reproduise. La directrice lui a expliqué le processus de plainte de harcèlement et de violence en milieu de travail. La directrice a reconnu avoir demandé à Mme Bergeron si elle témoignerait contre la DAI si une enquête disciplinaire était lancée.

[23] La présidente se souvenait de Laura Sablon-Rochette, une autre employée qui avait vécu des difficultés avec la DAI. Elle était une employée occasionnelle au groupe et au niveau CR-04. Elle occupait le poste d’adjointe au directeur adjoint aux Opérations. Mme Sablon Rochette était venue rencontrer la plaignante à son bureau. Elle était en colère parce que la DAI refusait de renouveler son contrat en tant que CR-04. La DAI voulait lui accorder un contrat pour un poste WP-03. À la suite de l’offre du contrat WP-03, le syndicat a fait des représentations.

[24] À la suite des discussions entourant l’assignation de la tâche de WP-03 à Mme Bergeron, la DAI a dit à Mme Sablon Rochette que son contrat en tant que CR-04 ne serait pas renouvelé. La DAI aurait dit à Mme Sablon Rochette que c’était de la faute de la plaignante que son contrat n’avait pas été renouvelé.

[25] Dans le cadre de sa représentation de Mme Sablon Rochette, la plaignante lui a expliqué la procédure de dotation à l’Établissement. La plaignante lui a dit que la gestion devait en premier consulter le bassin. Si les candidats refusent, ils doivent alors demander des avis d’intérêts. S’il n’y a pas d’intérêt, la gestion peut embaucher de façon occasionnelle.

[26] La présidente a soulevé ses préoccupations face à la DAI à M. Jaillet, mais celui-ci ne voulait pas s’en mêler. La présidente a donc décidé d’en discuter avec la directrice, qui lui a dit qu’elle allait régler cela directement avec Mme Sablon Rochette. En février 2018, la directrice a fait venir Mme Sablon Rochette dans son bureau pour lui demander qui lui avait dit que c’était de la faute de la présidente si son contrat n’avait pas été renouvelé. Mme Sablon Rochette a répondu qu’elle ne savait pas. La directrice a posé la même question à la DAI et celle-ci a nié avoir « crinqué » Mme Sablon Rochette.

[27] La présidente s’est souvenu que la rencontre s’était rapidement envenimée. Elle voulait que la rencontre se termine, mais la DAI s’acharnait. La plaignante a quitté la rencontre en pleurant. Elle ressentait le besoin de se protéger de la DAI.

[28] Après la rencontre, elle a envoyé un courriel à la directrice et à M. Poulin. Elle exprimait qu’elle avait été sensible aux commentaires de la DAI, qu’elle avait eu le temps de réfléchir à la situation et qu’elle désirait éviter toute confusion dans ses relations professionnelles obligatoires. La présidente a demandé que toutes les communications avec la DAI soient par courriel et à être toujours accompagnée par son gestionnaire ou toute autre personne pour éviter une interprétation contraire. Dans son rôle de présidente, la plaignante insistait à être toujours accompagnée de l’employé qui demande la représentation.

[29] Le 12 mars 2018, la plaignante a envoyé un courriel à la directrice et à M. Poulin pour les informer que la DAI s’était présentée à son bureau pour lui parler d’une situation de travail. Elle a réitéré qu’elle ne voulait pas s’exposer à un contexte de travail où la DAI pourrait interpréter négativement ce qui avait été dit. Elle était mal à l’aise et n’avait pas osé dire à la DAI de partir. Selon elle, la DAI avait un air intimidant et autoritaire. Elle craignait que la DAI lui prêterait de mauvaises intentions. M. Poulin a répondu qu’il allait avoir une conversation avec la DAI concernant les moyens de communications avec la plaignante.

[30] Le 17 avril 2018, la directrice a envoyé le rapport d’enquête à son adjointe, Joannie Laforge, pour qu’il soit partagé avec les syndicats. Le rapport tirait des conclusions de toutes les rencontres avec les membres du SESJ ainsi que des autres syndicats. À l’audience, les parties se sont entendu pour déposer en preuve une copie caviardée du rapport d’enquête, ce que j’ai accepté.

[31] Pour donner suite au rapport d’enquête, la directrice a voulu développer un plan d’action. Elle avait invité les syndicats à commenter le rapport. La section locale croyait qu’il y avait trop de généralités au lieu d’identifier et de cibler les problèmes. Les gens étaient déçus. La directrice avait mandaté la DAI afin de convoquer tous les employés pour leur offrir de la formation. Les employés étaient insultés car la DAI faisait partie des problèmes, selon eux.

[32] La présidente a appelé à témoigner Sonia Thibodeau, représentante syndicale section locale SESJ. Mme Thibodeau s’est souvenue qu’en juin 2018, Yvon Barrière, vice-président régional du SESJ, s’était rendu à Québec pour participer à la rencontre patronale-syndicale. La gestion avait permis aux employés d’assister à cette rencontre. La section locale a profité de l’occasion pour rencontrer M. Barriere pour discuter des généralités entourant les plaintes de harcèlement et de violence en milieu travail.

[33] Selon la plaignante, les employés avaient de grandes attentes face au rapport d’enquête. La section locale avait des options à proposer pour aller de l’avant. Vers la fin juin, la directrice a initié une rencontre avec le même groupe de personnes qui étaient venues pour parler des situations qu’elles avaient vécues (par ex. des situations de mauvaise gestion, de problèmes non résolus). La présidente souhaitait que la communication s’améliore. La directrice voulait une autre rencontre avec ces mêmes personnes même si elles avaient déjà donné cette information à l’enquêtrice.

[34] La directrice a organisé une rencontre avec tous les employés impliqués pour qu’ils puissent lui présenter leurs préoccupations directement sans la participation du syndicat. La plaignante était contente de voir cette rencontre entre la gestion et les employés. Les décisions revenaient à la directrice. Le message provenant de la gestion était un désir d’améliorer les relations dans le but d’améliorer le climat de travail.

[35] Mme Thibodeau a témoigné que la directrice lui avait dit qu’elle préférait rencontrer les employés directement seule, car la DAI accusait le syndicat d’être au cœur des problèmes de relations de travail. C’est la raison pour laquelle elle ne voulait pas impliquer le syndicat. C’est Mme Thibodeau qui a prêté assistance à Mme Bergeron pour la rencontre avec l’enquêteur dans le cadre de l’enquête contre la DAI.

[36] Mme Bergeron s’est souvenue de la rencontre de juin 2018 avec tous les employés qui avaient vécu des difficultés avec la DAI. La directrice savait que le climat de travail était mauvais avec la DAI. La directrice a demandé aux employés de dénoncer les conflits. Les employés étaient mal à l’aise. La directrice a expliqué les options, et elle a indiqué que s’ils désiraient y participer, c’était le moment de le faire.

C. Enquête disciplinaire contre la DAI

[37] La directrice a témoigné que c’était en juin 2018 qu’il y avait eu une enquête disciplinaire contre la DAI. C’est la plainte de Mme Bergeron qui a débuté cette enquête. Des enquêteurs de l’extérieur ont été dépêchés. Pour donner suite à la rencontre avec les autres employés, et en consultation avec les Ressources humaines, la directrice a décidé d’élargir le mandat d’enquête contre la DAI.

[38] En juillet 2018, la plaignante était en congé annuel. C’est à ce moment qu’elle a appris de Mme Thibodeau que la directrice avait mis de l’avant une enquête disciplinaire contre la DAI en raison des conflits avec Mme Bergeron. La plaignante était étonnée de cela, car il y avait plusieurs autres situations qui auraient dû être adressées en même temps. La plaignante a communiqué avec la directrice, mais cette dernière a refusé d’en discuter avec elle. La directrice lui a dit que les employés devront dorénavant porter leurs conflits directement à son attention et qu’elle déciderait de la marche à suivre.

[39] Mme Bergeron a expliqué qu’à la suite de l’annonce de l’enquête contre la DAI, elle devait témoigner et elle avait besoin de préparer son témoignage. Mme Bergeron a donc demandé la chronologie des événements à la présidente pour pouvoir mettre ses idées en ordre. La présidente, Mme Bergeron et Laurence Gauvin, représentante syndicale section locale, se sont échangé les renseignements qu’elles avaient dans une chaîne de courriels du 10 au 13 juillet 2018. La plaignante avait une signature pour son rôle de CAGM et une signature pour son rôle de présidente syndicale. Le courriel du 10 juillet 2018 incluait la signature de la plaignante à titre de présidente syndicale. Dans son courriel du 13 juillet 2018, la plaignante a indiqué ce qui suit : « […] donne ta version. L’important est d’être honnête […] »

[40] La présidente a appris par la suite que la DAI avait rencontré la directrice en crise lorsqu’elle avait appris que la présidente avait rencontré Mme Bergeron. Dans un ton sarcastique, la directrice a expliqué à la présidente que la DAI ne voulait plus que la plaignante soit la présidente de la section locale et qu’elle représente les employés. En contre-interrogatoire, la directrice a reconnu que cela n’était pas agréable, et que c’était stressant pour la plaignante. La présidente a pris des vacances et elle est retournée au travail au mois d’août.

D. Enquête disciplinaire pour allégation de collusion et influence de témoins

[41] L’enquête contre la présidente et Mme Bergeron avait débuté à la suite d’une information que la directrice avait reçue des enquêtrices de l’enquête globale. Les enquêtrices l’avaient informée qu’après avoir entendu les témoignages, elles craignaient qu’il y eût un potentiel de collusion ou d’influence de témoins contre la DAI. La directrice a consulté les Relations de travail, qui lui ont conseillé deux options : commencer une enquête disciplinaire contre la présidente et Mme Bergeron ou élargir le mandat d’enquête contre la DAI. Il n’était pas possible de conclure l’enquête en cours contre la DAI sans obtenir la validation ou la négation de l’allégation de collusion et d’influence de témoins. La directrice a affirmé qu’elle n’avait pas vu le courriel et qu’elle ne pouvait pas être impliquée dans l’enquête. Ce n’était pas sa responsabilité, car autrement, ce serait de l’ingérence dans l’enquête. Elle ne pouvait pas ignorer ce genre d’information, c’était potentiellement un manquement au Code de discipline de l’employeur.

[42] En contre-interrogatoire, la directrice a expliqué que ce n’était pas son rôle d’examiner la preuve recueillie en cours d’enquête. Il était inapproprié pour elle d’examiner l’échange de courriels au complet. Même en sachant que la plaignante jouait un rôle de support aux employés impliqués, il n’était pas possible de clarifier, étant donné l’importance des allégations de collusion et d’influence de témoins. Cela était trop important pour l’impartialité et la transparence du processus en cours. Selon elle, il devait y avoir enquête sur cette nouvelle allégation. C’est M. Poulin qui a remis la lettre d’enquête disciplinaire à la présidente et celle-ci a été traitée de la même façon que Mme Bergeron, comme une employée.

[43] En septembre, M. Poulin a demandé de rencontrer la présidente. Elle avait régulièrement des appels de M. Poulin dans le cadre de son rôle de CAGM et dans son rôle de présidente de section locale. M. Poulin lui a remis la lettre d’enquête disciplinaire pour allégation de collusion et d’influence de témoins. M. Poulin lui a expliqué que c’était en tant que CAGM qu’elle se faisait enquêter. La présidente ne comprenait pas pourquoi; il n’y avait rien d’anormal dans l’exercice de ses fonctions de CAGM.

[44] La présidente n’a pas reçu d’avis à l’avance pour l’informer de la tenue d’une rencontre qu’elle a qualifiée de rencontre disciplinaire avec M. Poulin. Cette rencontre avait pour but de l’informer qu’il y aurait une enquête disciplinaire. Elle a dit à M. Poulin que cela était vexatoire et qu’il y avait erreur. C’était la directrice qui menait le dossier avec la région. La directrice était absente la journée de cette rencontre; M. Poulin était alors directeur intérimaire. L’avis indiquait qu’il avait obtenu des renseignements le portant à croire que la plaignante avait possiblement pris part à de la collusion ou à une influence de témoins avant et pendant l’enquête visant la DAI.

[45] Dans l’avis, M. Poulin a informé la plaignante que, si cette action était prouvée, cela constituait une infraction grave et une violation des Règles de conduite professionnelle ou du Code de discipline de l’employeur. L’avis indique qu’un mandat d’enquête disciplinaire a été confié à deux directrices de secteur. La présidente a été informée de son droit de représentation.

[46] Le 17 septembre 2018, la présidente a appris que Mme Bergeron avait aussi été convoquée pour une rencontre disciplinaire au sujet d’une allégation de collusion et d’influence de témoins. Mme Bergeron a témoigné qu’elle avait aussi été en état de choc. Mme Bergeron a témoigné qu’elle ne comprenait pas le mot « collusion »; elle sentait qu’elle s’était fait trahir par la directrice. Initialement, elle ne voulait pas faire de plainte contre la DAI. C’est la directrice qui l’avait encouragée de le faire. Maintenant qu’elle avait besoin de représentation, elle se faisait accuser de collusion. Mme Bergeron avait l’impression de subir des représailles.

[47] La présidente a choisi d’être représentée par Karine Kergoat, vice‑présidente régionale du SESJ pour la région du Québec. La vice-présidente a communiqué avec Mme Page, sous-commissaire de la région du Québec, pour obtenir des explications. Mme Page a expliqué que ce n’était pas à titre de présidente qu’elle se faisait enquêter, mais à titre d’employée. La présidente était stressée, car elle ne comprenait toujours pas comment elle faisait partie d’une enquête disciplinaire dans son rôle de CAGM.

[48] Mme Kergoat a témoigné que c’était au mois de septembre 2018 que la plaignante l’avait mise au courant de l’allégation de collusion et d’influence de témoins. Elle n’y comprenait rien et, selon elle, cela ne faisait aucun sens. Elle trouvait cela embêtant que la présidente de la section locale soit mise sous enquête à la suite de son intervention auprès d’une employée. Elle a demandé une rencontre avec Mme Page pour savoir pourquoi la présidente de la section locale se faisait enquêter. Selon elle, il n’y avait rien qui justifiait une telle enquête. La réaction de la directrice était exagérée considérant l’échange de courriels en question. Il n’y avait rien de concluant dans cet échange de courriels.

[49] Pour Mme Kergoat, c’était une forme de représailles. Elle a fait des appels pour essayer de régler la situation, sans succès. Une fois que la plaignante a été convoquée en enquête, elle a écrit à Mme Page pour l’informer que le syndicat avait complètement perdu confiance en la gestion et que les relations patronales-syndicales étaient rompues. Peu de temps avant la journée de l’enquête, elle a rencontré la directrice et M. Poulin, qui lui ont répété qu’avec l’information obtenue, ils n’avaient pas le choix d’enquêter. La directrice et M. Poulin ont répondu de ne pas s’inquiéter et que, si la présidente n’avait rien fait de mal, tout sera correct.

[50] La présidente a témoigné que, lorsqu’elle avait été convoquée en enquête disciplinaire sans préavis, le syndicat avait rédigé une lettre à la gestion indiquant que la confiance entre le syndicat et la gestion avait été rompue. Mme Kergoat a communiqué avec tous les présidents des différentes sections locales. Tous les présidents des sections locales ce sont retirés des rencontres patronales-syndicales en appui de la plaignante et pour ce qui se passait à l’Établissement. Mme Thibodeau a confirmé que c’était à la fin octobre 2018, à la suite de l’enquête pour collusion contre la plaignante et Mme Bergeron, que le syndicat avait mis fin aux rencontres patronales-syndicales car le lien de confiance avec la gestion avait été rompu.

[51] La directrice savait que le courriel du 31 octobre 2018 de Mme Thibodeau indiquant que le lien de confiance entre la direction et le SESJ avait été rompu était lié à l’enquête disciplinaire déclenchée contre la présidente et Mme Bergeron. Elle a témoigné qu’elle était au courant qu’il y avait plusieurs personnes qui étaient en désaccord avec l’enquête disciplinaire contre la présidente et Mme Bergeron.

[52] Le 2 octobre 2018, la présidente a rencontré les enquêtrices du comité disciplinaire pour l’enquête de la DAI. Elles lui ont posé des questions au sujet de son rôle syndical. Soudainement, les enquêtrices lui ont présenté une version caviardée du courriel qu’elle avait envoyé à Mme Bergeron et Mme Gauvin le 10 juillet 2018.

[53] Le courriel était partiellement caviardé et la présidente pouvait voir qu’il provenait de Mme Laforge, adjointe à la directrice. La plaignante se demandait comment et pourquoi Mme Laforge avait eu accès au courriel. Elle a expliqué aux enquêtrices les raisons pour lesquelles elle avait rédigé ce courriel. Le courriel qui lui était présenté présentait seulement la réponse de Mme Gauvin qui a indiqué que ce n’était pas comme cela que ça s’était passé. On ne voyait pas la réponse de la présidente qui indiquait aux deux l’importance d’être honnête dans leurs versions. La présidente voulait être rassurée dans toute cette histoire, et elle a demandé aux enquêtrices si elle pouvait leur faire parvenir le courriel en entier.

[54] À son retour de vacances le 25 octobre 2018, la présidente, ne sachant pas comment la directrice avait obtenu le courriel, est allée voir Mme Laforge. Lorsque la présidente est absente, Mme Laforge remplace la présidente en tant que CAGM et celle-ci s’occupe de sa boîte de courriels. La présidente avait fait transférer ses courriels à Mme Laforge pendant son absence.

[55] Mme Laforge a témoigné qu’en 2018, elle était l’adjointe de la directrice et une employée syndiquée membre du SESJ. Elle s’occupait de toute la correspondance et du soutien administratif, la circulation des employés et des gestionnaires, les enquêtes sur les incidents, les enquêtes disciplinaires, les avis et elle assistait aux rencontres patronales-syndicales.

[56] En juillet 2018, Mme Laforge a été convoquée à une enquête au sujet des allégations de harcèlement contre la DAI. À ce moment-là, Mme Laforge occupait de façon intérimaire le poste de la plaignante car elle était en vacances. Elle recevait donc les courriels à titre de CAGM intérimaire. Elle a pris connaissance de tous les courriels de la plaignante et elle devait tous les lire. Elle a vu un courriel dans lequel il était indiqué ce qui suit : « […] pour que nos versions soient les mêmes […] ». Elle s’était sentie mal à l’aise face à ce qui était indiqué. Selon elle, il n’était pas juste que la DAI soit disciplinée à cause des personnes impliquées. Elle voulait valider son impression, alors elle a demandé à un agent de sécurité de l’information. Selon ses valeurs à elle, il n’était pas acceptable qu’une personne visée par une enquête administrative soit disciplinée à cause de collusion. L’agent de sécurité a recommandé que Mme Laforge en discute avec les enquêtrices.

[57] En contre-interrogatoire Mme Laforge a confirmé qu’elle avait seulement partagé le courriel avec l’agent de sécurité et sa représentante syndicale qui avait par la suite remis le courriel aux enquêtrices. Elle n’a pas partagé le courriel avec la directrice ni la DAI. Mme Laforge a affirmé qu’elle n’avait pas vu l’échange de courriels au complet. Elle avait seulement vu l’échange de courriels au complet à la fin de l’enquête. Elle voyait seulement les courriels reçus dans la boîte de courriels. Elle ne se sentait pas à l’aise de questionner la présidente directement étant donné quelques mauvaises interactions qu’elle aurait eues avec elle par le passé.

[58] La présidente a soumis que la gestion aurait pu la questionner directement sur le courriel pour obtenir des explications sans faire une enquête. Or, la directrice a décidé d’élargir le mandat d’enquête disciplinaire contre la DAI pour inclure des allégations de collusion et d’influence de témoins contre la plaignante et Mme Bergeron. La plaignante ne comprenait pas pourquoi la directrice avait décidé de faire cela. La directrice aurait pu la rencontrer personnellement pour la questionner sur le courriel sans faire une enquête. Selon la présidente, la directrice la connaissait. Ce n’était pas sa façon de fonctionner, sa façon de faire, alors elle se demandait pourquoi toujours faire une enquête par-dessus une enquête. La présidente a appris par la suite que c’était Mme Laforge qui avait partagé le courriel avec les enquêtrices.

[59] Mme Bergeron a rencontré les enquêtrices en octobre 2018. Elle cherchait à comprendre pourquoi elle n’avait pas eu la chance de rencontrer la direction pour s’expliquer avant qu’une enquête soit déclenchée. Elle n’avait rien à faire avec l’échange de Mme Gauvin et la présidente quant à savoir de s’assurer que leurs versions soient les mêmes. La plaignante avait clairement écrit que l’essentiel était d’être honnête dans leurs versions.

[60] Pendant ce temps, l’enquête contre la DAI se poursuivait. La plaignante était en congé de maladie et la directrice rencontrait la DAI pour l’informer qu’il y avait un 2e mandat d’enquête et une 2e allégation d’une autre employée. La DAI était dans tous ses états et elle a informé la directrice qu’elle allait déposer une plainte contre la présidente.

[61] Malgré le fait que la présidente était en congé de maladie, Mme Page, responsable des plaintes de harcèlement pour la région du Québec, l’a informée qu’il y avait une plainte de harcèlement contre elle de la part de la DAI. L’avis de plainte de harcèlement est en date du 28 septembre 2018. L’avis était signé par la sous-commissaire et indiquait qu’il y avait neuf allégations contre la plaignante qui avaient été considérées comme étant recevables. La plaignante était invitée à lui faire parvenir ses commentaires par écrit.

[62] Selon la gestion, la plainte de harcèlement de la DAI contre la présidente était prétendument déposée dans le cadre de son rôle de CAGM. Elle a pris connaissance des consignes de la sous-commissaire. Elle a témoigné qu’elle avait partagé la plainte à son gestionnaire, M. Jaillet. Ce dernier a témoigné qu’il n’était pas au courant des raisons derrière le dépôt de la plainte ou des consignes imposées à la présidente à la suite du dépôt de la plainte.

[63] Mme Page a indiqué à la présidente que, lorsqu’elle avait rencontré les employés qui avaient porté plainte contre la DAI, elle devait suivre certaines consignes. Mme Page a dit à la présidente que la directrice lui avait dit d’un ton sarcastique que la DAI ne voulait plus que la plaignante soit présidente, et que la DAI ne voulait pas qu’elle représente les employés. La plaignante ne savait pas que cela était une mesure qu’elle devait respecter.

[64] La directrice a témoigné avoir dit à la présidente de ne pas se présenter au bureau de la DAI ou de lui parler, et que si elle devait le faire, elle devait s’adresser à une autre personne pour ne pas envenimer les choses. La présidente avait compris qu’elle ne devait avoir aucun contact avec la DAI. La directrice a expliqué que c’était la sous-commissaire régionale qui prenait la décision si une plainte de harcèlement allait faire l’objet d’une enquête ou si celle-ci allait être adressée en gestion informelle des conflits. Son seul rôle en tant que directrice était de séparer les personnes concernées.

[65] Le 7 novembre 2018, la plaignante a écrit un courriel à Mme Page pour lui demander des précisions quant aux mesures et consignes qu’elle devait observer pendant l’enquête de la plainte de harcèlement déposée contre elle par la DAI. Le courriel a été déposé en preuve. La plaignante a indiqué qu’elle était toujours présidente de la section locale, que certains employés de la DAI demandaient toujours de la rencontrer pour des conseils et son appui, et qu’elle croisait contre son gré la DAI dans les corridors puisqu’elles travaillaient dans le même secteur. La plaignante a demandé des précisions pour éviter une mauvaise interprétation de ses actions et causer du tort.

[66] Mme Page lui a tout simplement dit de limiter ses contacts avec la DAI. Pour ce qui était de son rôle de présidente de section locale, bien que le courriel ne l’indique pas explicitement, la plaignante a témoigné qu’elle comprenait qu’elle ne pouvait plus représenter les employés impliqués dans l’enquête contre la DAI.

[67] Lorsque la plaignante a rencontré son gestionnaire pour l’informer de la plainte de harcèlement déposée contre elle, il a ajouté dans son entente de rendement qu’elle devra mieux gérer sa dualité du rôle syndical et de son emploi. L’entente de rendement est un bilan de ses capacités et de sa performance. La plaignante voulait en discuter avec lui, mais il lui avait dit de laisser faire cela, qu’ils allaient en reparler. La plaignante a été affectée, elle vivait difficilement qu’on lui prête des intentions de collusion et d’influence de témoins et de harcèlement alors que M. Jaillet la connaissait très bien depuis longtemps.

E. Entente de rendement

[68] À la suite de tous ces évènements, la plaignante a fait face à une plainte de harcèlement contre elle. Elle allègue également s’être retrouvée avec un objectif de mieux gérer son rôle syndical et d’employée dans son entente de rendement pour l’année financière 2018-2019. La plaignante a souffert d’insomnie et de palpitations. Elle devait prendre des médicaments et elle faisait de plus en plus d’erreurs au travail. Finalement, elle a quitté en congé de maladie en novembre 2018.

[69] M. Poulin a demandé à Mme Thibodeau d’informer la plaignante et Mme Bergeron du résultat de l’enquête pour collusion. C’est au cours de la première semaine de décembre 2018 qu’on l’a informée que l’enquête avait révélé qu’il n’y avait pas de collusion ni d’influence de témoins. La plaignante a témoigné que le stress et l’angoisse vécus l’avaient poussée à prendre un congé de maladie. Elle a demandé à Mme Kergoat une rencontre avec Mme Page pour demander que la plainte de harcèlement mensongère faite par la DAI soit retirée, qu’il y ait une enquête pour savoir comment le courriel était sorti de la boîte de courriels de la plaignante et que ses congés de maladie soient remboursés.

[70] Le 5 décembre 2018, Mme Kergoat a envoyé un courriel à Mme Page pour discuter des conclusions du rapport d’enquête. Son courriel avait pour but de demander que certaines mesures soient prises pour que la plaignante puisse discuter des résultats du rapport d’enquête et blanchir sa réputation. Elle voulait une réparation des torts allégués contre elle. Mme Kergoat et la plaignante voulaient savoir ce qui avait déclenché l’enquête.

[71] Les demandes de réparation avaient été présentées par courriel le 14 janvier 2019, sans réponse de la gestion. Le 15 février 2019, la plaignante a fait une relance des demandes. Elle devait revenir de congé de maladie et elle voulait des réponses à ses questions. Mme Page a répondu que les enquêtes demeurent confidentielles et que la plaignante ne pouvait pas discuter des résultats. Le 8 mars 2019, Mme Kergoat avait écrit à la directrice pour l’informer que, même si l’enquête avait prouvé hors de tout doute qu’il n’y avait pas eu de collusion et ou d’influence de témoins, la réputation des personnes visées s’en était trouvée entachée et les répercussions tant au niveau personnel qu’au niveau professionnel étaient énormes.

[72] Mme Kergoat a demandé une lettre d’excuses de la part de la direction, la permission écrite que la plaignante et Mme Bergeron puissent parler ouvertement de l’enquête car cela faisait partie du processus de guérison, le remboursement de tous les congés utilisés à la suite du déclenchement de l’enquête et le remboursement de toutes les pertes salariales à la suite du déclenchement de l’enquête. Le 13 mars 2019, la directrice a accusé réception de leurs demandes et a poursuivi son explication en écrivant que, compte tenu des informations qui avaient été portées à son attention, l’élargissement du mandat d’enquête était nécessaire afin de clarifier la situation, et ce, pour toutes les personnes impliquées. L’objectif premier d’une enquête est d’établir le contexte et les faits entourant les allégations d’inconduite. La directrice a indiqué que, pour ces motifs, elle ne pourra pas donner suite à leurs demandes.

[73] En contre-interrogatoire, Mme Kergoat a indiqué que la directrice lui avait dit qu’elle devait élargir l’enquête impliquant la DAI étant donné la nouvelle information qui avait été portée à son attention. Selon Mme Kergoat, cela aurait été plus simple de demander à la plaignante et à Mme Bergeron la suite du courriel au lieu de déclencher une enquête ou d’élargir l’enquête.

[74] En mars 2019, la plaignante n’était pas encore rétablie. Elle devait utiliser ses crédits de congé annuel car elle avait épuisé ses crédits de congé de maladie. Mme Kergoat a écrit à Mme Page pour faire un suivi au sujet des demandes de réparations formulées en janvier et en février. Mme Page a communiqué avec la directrice qui avait refusé catégoriquement toutes les demandes de la plaignante. Outre les explications de la directrice mentionnées précédemment, la plaignante a indiqué n’avoir jamais obtenu les raisons du déclenchement de l’enquête.

[75] Le 20 mars 2019, la plaignante a envoyé un courriel à la directrice pour lui dire qu’elle ne voulait pas se retrouver seule avec la directrice ni la DAI, et que toutes les rencontres devront se faire en présence d’un tiers. La plaignante voulait faciliter son retour au travail. Elle avait utilisé tous ses congés de maladie et ses vacances. Elle avait soumis un billet médical pour limiter ses contacts avec les personnes concernées. De plus, elle avait demandé d’être accompagnée pour rencontrer son gestionnaire.

[76] En avril 2019, M. Jaillet a demandé à la plaignante de fermer son entente de rendement de mi-exercice. Il savait que la plaignante n’était pas d’accord avec l’ajout de l’objectif concernant la différenciation à établir entre ses fonctions de CAGM et son rôle de présidente de section locale. C’est pourquoi elle avait demandé que son entente de rendement demeure en attente puisque ceci faisait partie de la plainte devant la Commission.

[77] Plus tard, la plaignante a appris que son gestionnaire avait fait fermer son entente de rendement de façon intégrale, sans avoir eu la chance de discuter de son reproche de mieux gérer son rôle de présidente syndicale et d’employée CAGM. Elle ne savait pas de quoi il parlait. À sa connaissance, il n’y avait jamais eu de plainte dans ses échanges en milieu de travail. Elle utilisait toujours deux signatures et elle clarifiait son rôle de façon très précise dans ses interactions avec la gestion.

[78] Le 8 mai 2019, M. Poulin, directeur intérimaire, a envoyé une lettre à la plaignante l’informant du rapport d’enquête des allégations de collusion et d’influence de témoins. Il a informé la plaignante de la nature confidentielle du rapport d’enquête et du fait qu’elle disposait de sept jours ouvrables pour formuler des commentaires écrits ou verbaux à l’enquêtrice.

[79] La plaignante a su par le rapport d’enquête que c’est l’agent de renseignement de la sécurité à l’Établissement qui avait reçu une copie du courriel initial qui avait mené à l’enquête de collusion et d’influence de témoin. Le rôle de l’agent de renseignement de la sécurité à l’Établissement est de gérer l’information des délinquants. Ce n’est pas de gérer les courriels du syndicat ou ceux des employés de l’Établissement. À l’audience, la plaignante ne comprenait toujours pas pourquoi Mme Laforge avait fait cela. Selon elle, cela avait porté atteinte à sa crédibilité. Mme Laforge aurait pu tout simplement lui poser la question, ou encore, par prudence, repérer le courriel que la plaignante avait envoyé en réponse au courriel de Mme Gauvin, soulignant l’importance d’être honnête.

[80] Le rapport d’enquête reprenait la déclaration de Mme Laforge indiquant que la plaignante n’avait jamais sollicité Mme Laforge en lien avec le processus d’enquête visant la DAI, et que la plaignante n’avait jamais verbalisé d’animosité spécifique envers la DAI. Selon l’enquêtrice, les allégations de collusion et d’influence de témoins n’étaient pas fondées et il s’agissait d’un conflit de relations de travail.

[81] Tous ces évènements avaient eu un effet important sur la plaignante, qui avait eu un temps difficile physiquement, souffrant d’insomnie, en plus de l’impact psychologique. Sa crédibilité avait pris un coup par le jugement de ses collègues à son égard. La plaignante n’avait pas eu de possibilité de discuter de sa position face aux accusations de collusion et d’influence de témoins parce qu’elle avait été informée de ne pas en parler. Elle avait été privée de représenter ses membres en tant que présidente de section locale et le lien de confiance de toute la section locale avec la gestion avait été affecté. Cela avait été un moment très difficile dans sa vie. Selon la plaignante, ses collègues de travail et la gestion l’avaient trahie. Toute cette situation aurait pu être évitée. Elle a été médicamentée pour insomnie et anxiété, et elle a eu six consultations psychologiques.

[82] La plaignante a pris sa retraite de façon prématurée à un jeune âge. Elle aimait encore son travail et elle aimait son rôle de présidente de section locale. Elle n’anticipait pas prendre sa retraite à un si jeune âge. Elle n’a jamais subi de baisse de travail et n’a jamais été suspendue. Elle a été empêchée de représenter les membres impliqués dans l’enquête contre la DAI. Par contre, en contre-interrogatoire elle était d’accord pour dire que la directrice ne l’avait jamais empêchée de présenter un grief ou une plainte.

[83] La plaignante a refusé une résolution informelle avec la DAI, car elle avait perdu confiance. Elle n’a jamais reçu de précisions par rapport à la plainte de harcèlement déposée contre elle par la DAI. La plainte de la DAI a été faite sans lui en parler avant.

[84] Bien que la lettre du 16 novembre 2018 de Mme Page indiquait que la plaignante continuait d’assumer ses responsabilités de présidente syndicale « selon les règles de l’art », elle n’était pas d’accord que le défendeur ne l’avait pas empêchée d’exercer ses fonctions syndicales. Mme Page a ordonné à la plaignante de communiquer avec M. Poulin pour tout dossier qui nécessiterait de la représentation dans le cadre de l’enquête impliquant la DAI.

[85] Le représentant du défendeur a indiqué à la plaignante que la directrice témoignerait qu’elle aurait averti la plaignante que la DAI avait l’intention de déposer une plainte de harcèlement contre elle. La plaignante a répondu que cela était faux. Selon son souvenir, il s’agissait d’une demande de mettre en place des mesures pour limiter les interactions avec la DAI. Même avant la rencontre du 12 juillet 2018, il y avait des mesures en place qui avaient été prises à sa demande.

[86] Le courriel qui a mené à l’enquête de collusion et d’influence de témoins a été divulgué par Mme Laforge à partir de la boîte de courriels de la plaignante. Mme Laforge a reçu le courriel en raison du transfert de la boîte de courriels de la plaignante. La plaignante avait été absente pendant environ trois semaines en juillet. Le transfert de courriels était automatique à Mme Laforge, mais n’incluait pas les messages que la plaignante avait envoyés en réponse aux courriels reçus.

[87] Le défendeur a indiqué à la plaignante que M. Jaillet aurait ajouté cet objectif en raison du fait que certains employés et autres gestionnaires se seraient plaints, car ils ne savaient pas quel chapeau la plaignante portait. La plaignante a répondu que les ententes de rendement ne devraient pas être utilisées pour prendre un employé par surprise. Selon elle, elle avait droit d’être informée de ces commentaires et de se voir offrir la possibilité de corriger ses gestes avant d’en faire mention dans l’entente de rendement. La plaignante n’a jamais eu la chance d’en discuter, et M. Jaillet a fermé l’entente de rendement sans lui donner cette occasion.

[88] Le défendeur a appelé M. Jaillet pour témoigner. La directrice était sa superviseure immédiate. M. Jaillet avait une bonne relation avec la plaignante. Toutefois, c’était plus complexe lorsqu’ils discutaient du travail. Ils arrivaient généralement difficilement à s’entendre sur les points de gestion. Il avait l’impression que la plaignante prenait tout contre elle. Lorsqu’il prenait une décision qu’elle n’aimait pas, elle allait voir directement la directrice.

[89] M. Jaillet a témoigné au sujet de l’entente de rendement de la plaignante. En général, il avait des bons commentaires au sujet du rendement de la plaignante. Il a reconnu que, malgré les difficultés à s’entendre, la plaignante avait beaucoup d’expérience et effectuait bien son travail. Elle avait réussi toutes les compétences. Il s’est souvenu que la plaignante avait refusé de signer l’entente de rendement à la mi-exercice, et au cours de l’année suivante, l’entente de rendement a été fermée. La plaignante et M. Jaillet avaient une divergence d’opinion sur l’ajout à la mi-année de l’objectif de préciser ses rôles dans ses interactions et de créer une distinction nette entre son rôle de CAGM et celui de présidente de section locale. M. Jaillet a reconnu que ce n’était pas facile pour elle, mais que ce n’était pas facile pour lui non plus.

[90] M. Jaillet a demandé à la plaignante de préciser son rôle dans ses interactions. Il a donné l’exemple d’une occasion où la plaignante était allée voir M. Poulin pour lui dire qu’il n’avait pas enregistré le congé de son adjointe dans le système. Selon lui, il n’était pas clair si elle agissait en tant que CAGM ou présidente de section locale. De plus, la plaignante devait consacrer du temps à ses dossiers syndicaux. En tant que gestionnaire, M. Jaillet n’y avait pas accès. La plaignante devait aussi traiter ses dossiers liés au travail en temps compensatoire. Cela créait une certaine difficulté à séparer le travail en tant que CAGM et son travail syndical. M. Jaillet avait de la difficulté à composer avec la situation. Selon lui, le travail syndical était une chose complexe, mais il y avait aussi le travail quotidien à livrer. M. Jaillet aurait voulu une distinction plus claire entre les deux rôles. Ce n’était pas du tout dans le but d’empêcher la plaignante d’accomplir ses fonctions syndicales. La plaignante se déplaçait dans l’Établissement pour voir les employés qui avaient besoin d’elle. M. Jaillet ne savait pas si la plaignante s’était prévalue de son droit de contester son entente de rendement.

[91] En contre-interrogatoire, M. Jaillet a indiqué que la plaignante effectuait bien son travail de CAGM pour la gestion de son secteur pendant 80 % du temps. Elle avait toute la latitude et elle était capable de diriger son secteur. Ils avaient une bonne relation de travail. La plaignante avait sa façon de voir les choses, et si cela ne concordait pas avec sa vision, à ce moment-là cela ne fonctionnait pas. Le 20 % du temps était assez pour gâcher le 80 % et toute sa confiance pour sa capacité d’effectuer son travail. Lorsque la plaignante est revenue de son congé, ils ne pouvaient plus avoir de conversation face-à-face. La plaignante préférait communiquer avec M. Jaillet par courriel ou encore avec un témoin présent. M. Jaillet avait déjà tenté d’avoir des discussions avec elle pour corriger la situation avant de mettre l’objectif par écrit. La DAI s’était plainte à M. Jaillet de la plaignante, car la plaignante insistait d’être accompagnée en tout temps lorsqu’elle devait être en présence de la DAI.

[92] Toujours en contre-interrogatoire, M. Jaillet a expliqué qu’à partir de ce moment il devait consulter les Ressources humaines pour mettre les choses au clair. C’était son quotidien avec la plaignante. Selon lui, c’était le pire moment de gestion de toutes ses 29 années de service. Il a indiqué devoir marcher sur des œufs comme il ne l’avait jamais fait par le passé avec toute l’histoire de la DAI. Il comprenait pourquoi la plaignante demandait d’être accompagnée d’un témoin. Il ne se souvenait pas d’une demande de rencontre de la part de la plaignante pour discuter des consignes de communiquer par écrit.

III. Motifs et résumé de l’argumentation

[93] La plaignante a déposé la plainte en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi. Cette disposition prévoit que la Commission doit instruire toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle l’employeur, une organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’art. 185.

[94] Dans un courriel en date du 1er novembre 2019, la plaignante a précisé qu’elle revendiquait des mesures correctives en lien avec les alinéas 186(1)a) et 186(2)c) et le sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi. Je note que la plainte initiale ne faisait aucune mention de violation de l’alinéa 186(1)a) de la Loi. C’est dans ce courriel que la plaignante a indiqué qu’elle recherchait une déclaration selon laquelle le défendeur aurait enfreint l’alinéa 186(1)a) de la Loi. Le défendeur ne s’est pas opposé à cette revendication.

[95] Les dispositions pertinentes de la Loi se lisent comme suit :

[…]

5 Le fonctionnaire est libre d’adhérer à l’organisation syndicale de son choix et de participer à toute activité licite de celle-ci.

5 Every employee is free to join the employee organization of his or her choice and to participate in its lawful activities.

[…]

186 (1) Il est interdit à l’employeur ainsi qu’au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, à l’officier, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, ou à la personne qui occupe un poste détenu par un tel officier, qu’ils agissent ou non pour le compte de l’employeur :

186 (1) No employer, and, whether or not they are acting on the employer’s behalf, no person who occupies a managerial or confidential position and no person who is an officer as defined in subsection 2(1) of the Royal Canadian Mounted Police Act or who occupies a position held by such an officer, shall

a) de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci;

(a) participate in or interfere with the formation or administration of an employee organization or the representation of employees by an employee organization; or

[…]

186 (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci ainsi qu’au titulaire d’un poste de direction ou de confiance […] agissent ou non pour le compte de l’employeur :

186 (2) No employer, no person acting on the employer’s behalf, and, whether or not they are acting on the employer’s behalf, no person who occupies a managerial or confidential position … who occupies a position held by such an officer, shall

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, de la licencier par mesure d’économie ou d’efficacité à la Gendarmerie royale du Canada ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(a) refuse to employ or to continue to employ, or suspend, lay off, discharge for the promotion of economy and efficiency in the Royal Canadian Mounted Police or otherwise discriminate against any person with respect to employment, pay or any other term or condition of employment, or intimidate, threaten or otherwise discipline any person, because the person

(i) elle adhère à une organisation syndicale ou en est un dirigeant ou représentant — ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir —, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’une telle organisation,

(i) is or proposes to become, or seeks to induce any other person to become, a member, officer or representative of an employee organization, or participates in the promotion, formation or administration of an employee organization,

[…]

c) de chercher, notamment par intimidation, par menace de congédiement ou par l’imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger une personne soit à s’abstenir ou à cesser d’adhérer à une organisation syndicale ou d’occuper un poste de dirigeant ou de représentant syndical, soit à s’abstenir :

(c) seek, by intimidation, threat of dismissal or any other kind of threat, by the imposition of a financial or other penalty or by any other means, to compel a person to refrain from becoming or to cease to be a member, officer or representative of an employee organization or to refrain from

[…]

[Je mets en évidence]

 

[96] Le paragraphe 190(2) de la Loi prévoit comme suit qu’une plainte alléguant une pratique déloyale de la part d’un employeur doit être déposée dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu, ou, selon la Commission, aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu :

190(1) […]

190(1)

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

(2) Subject to subsections (3) and (4), a complaint under subsection (1) must be made to the Board not later than 90 days after the date on which the complainant knew, or in the Board’s opinion ought to have known, of the action or circumstances giving rise to the complaint.

 

[97] Dans les circonstances de cette plainte, il n’y a eu aucune objection présentée par le défendeur quant au non-respect de ce délai. La plainte a été déposée le 2 novembre 2018, et l’enquête disciplinaire pour l’allégation de collusion et d’influence de témoins a débuté le 17 septembre 2018. Entre autres, la présidente allègue avoir été affectée dans son rôle de représentante syndicale. Elle soumet que le défendeur a commis une pratique déloyale en enquêtant sur les agissements de la présidente de la section locale dans son accompagnement d’un membre. Ce sont notamment les faits sous-jacents à l’enquête disciplinaire contre la DAI qui sont pertinents à la détermination de la plainte devant la Commission.

[98] Quant à l’alinéa 186(1)a) de la Loi, la Commission a constamment interprété cette disposition voulant qu’une plainte formulée au titre de cette disposition ne peut être présentée que par un agent négociateur ou un représentant dûment autorisé (voir Gabon c. ministère de l’Environnement, 2022 CRTESPF 6). La plaignante était présidente de section locale et c’est l’agent négociateur qui a déposé la plainte. Elle était représentée par une avocate du secteur privé mandatée par l’agent négociateur. La plaignante avait donc la qualité pour agir pour présenter une plainte en vertu du paragraphe 186(1) de la Loi.

[99] Pour les raisons qui suivent, la preuve a clairement établi que le défendeur avait enfreint l’alinéa 186(1)a) de la Loi en intervenant dans la représentation de Mme Bergeron. La plaignante était la présidente de la section locale du SESJ et Mme Bergeron était un membre du SESJ. Mme Bergeron a demandé à la présidente de la section locale pour de l’assistance dans sa préparation pour sa rencontre avec les enquêteurs. Le défendeur a été négligeant lorsqu’il a décidé de débuter une enquête disciplinaire contre la présidente de la section locale sans faire une enquête sur les faits sous-jacents les allégations de collusion et d’influence. À partir de ce moment, la présidente de la section locale ne pouvait plus fournir de l’assistance à Mme Bergeron dans le cadre de l’enquête contre la DAI. Ceci constitue de l’ingérence dans le rôle de présidente de section locale et donc la représentation d’un membre du SESJ.

[100] Pour ce qui est des plaintes fondées sur le sous-alinéa 186(2)a)(i) et l’alinéa 186(2)c) de la Loi, le défendeur soumet qu’il faut établir l’existence d’une cause défendable avant que puisse s’appliquer l’inversion du fardeau de la preuve prévue au paragraphe 191(3) (voir Joe c. Marshall, 2021 CRTESPF 27 (« Joe »), au par. 107). Je suis d’accord.

[101] Comme la Commission des relations de travail dans la fonction publique (un prédécesseur de la Commission) l’a déterminé dans Laplante c. Conseil du Trésor (Industrie Canada et le Centre de recherches sur les communications), 2007 CRTFP 95; Quadrini c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 37; et Manella c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, 2010 CRTFP 128, une plainte de pratique déloyale de travail peut être rejetée si, à première vue, elle ne démontre pas un lien raisonnable avec les interdictions prévues par la Loi.

[102] Le paragraphe 191(3) de la Loi prévoit en fait que la présentation d’une plainte écrite faisant état d’une contravention du paragraphe 186(2) constitue une preuve de la contravention et que le fardeau de prouver qu’elle n’a pas eu lieu incombe à la partie qui allègue qu’elle n’a pas eu lieu. Je dois évaluer si, en tenant tous les faits allégués par la plaignante comme avérés, il est possible de soutenir que le défendeur a contrevenu aux dispositions en cause prévues au sous-alinéa 186(2)a)(i) et à l’alinéa 186(2)c) de la Loi.

[103] La plaignante a soutenu que l’enquête administrative dans l’allégation de collusion et d’influence de témoins était le résultat direct de l’exercice de ses fonctions de présidente de la section locale du syndicat. Elle a allégué que le défendeur avait enfreint les dispositions de la Loi mentionnées précédemment lorsqu’il avait lancé une enquête disciplinaire contre elle et un membre du SESJ à la suite d’une allégation de collusion et d’influence de témoins dans l’exercice de son rôle de représentation. Elle a soutenu que l’allégation de collusion et d’influence de témoins, et l’enquête disciplinaire contre elle avaient pour but de l’intimider en raison de son rôle de présidente de section locale. De plus, l’ajout de l’objectif de mieux différencier ses rôles en milieu de travail dans son entente de rendement constituait une distinction illicite en matière d’emploi.

[104] Considérant les faits allégués dans la plainte comme avérés, je conclus que la plaignante a présenté une cause défendable et j’accepte que les faits puissent être soutenus au regard du sous-alinéa 186(2)a)(i) et de l’alinéa 186(2)c) de la Loi. Il reste à déterminer s’il y a eu manquement à ces dispositions. Or, comme il est mentionné précédemment, le paragraphe 191(3) prévoit que le fardeau de prouver qu’il n’y a pas eu manquement incombe au défendeur.

[105] La plaignante a soutenu que la question en litige que je devais déterminer était la suivante : est-ce que la directrice a enfreint la Loi en se livrant à une pratique déloyale en enquêtant sur les agissements de la présidente de la section locale dans le cadre de sa représentation de Mme Bergeron? Selon la plaignante, la directrice a commis une distinction illicite en matière d’emploi en tentant de l’intimider et en la menaçant d’imposer une mesure disciplinaire dans le cadre de son rôle de présidente de section locale dans sa représentation de Mme Bergeron. La plaignante soumet que son accompagnement de Mme Bergeron constitue une activité licite protégé par l’article 5 de la Loi. De plus, à la suite de l’avis d’enquête disciplinaire, la présidente a été empêchée de porter assistance à Mme Bergeron dans le cadre de l’enquête impliquant la DAI et elle a été assujettie à des mesures de représailles quant à son entente de rendement à la suite de l’exercice de ses activités syndicales.

[106] La plaignante a soumis que les représentants syndicaux jouissent de toutes les protections prévues par la Loi et doivent pouvoir agir en toute impunité dans l’exercice de ces droits lorsqu’ils agissent de bonne foi. Les représentants syndicaux doivent pouvoir s’acquitter de leurs responsabilités avec rigueur et franchise sans intervention de la gestion dans la représentation syndicale. Il s’agit d’un rôle difficile et il y a un prix à payer. Il y a des risques inhérents au rôle qui sont protégés par la Loi. À l’appui de ses prétentions, la plaignante m’a référée à la jurisprudence suivante : Shaw c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2006 CRTFP 125, aux paragraphes 50 et 51; Quadrini, aux paragraphes 45 à 47; Choinière Lapointe c. Service correctionnel du Canada, 2019 CRTESPF 68, aux paragraphes 194 à 199 et 237; Joe, au par. 126.

[107] Le défendeur a maintenu qu’il aurait agi avec la même objectivité et la même promptitude peu importe le statut ou le rôle des personnes visées par ces allégations. Le défendeur a pris les allégations au sérieux. Il n’y avait aucune malice ou sentiment antisyndical de sa part. L’information reçue laissait croire qu’il y avait collusion et influence de témoins dans l’enquête impliquant la DAI. C’est pourquoi l’employeur a exercé son droit de gestion de bonne foi. Le défendeur est d’avis que lors d’une enquête, peu importe le motif, la gestion ne peut pas faire fi des informations qui lui sont transmises et se doit de les traiter de façon diligente. Le défendeur a demandé le rejet de la plainte. Il m’a référée aux décisions suivantes : Quadrini; Hager c. Opérations des enquêtes statistiques (Statistique Canada), 2011 CRTFP 79, aux paragraphes 75, 112, 113, 118, 124, 131 et 137; Joe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 10, aux paragraphes 39 à 42.

[108] Le défendeur a soumis que la directrice avait fait preuve d’écoute auprès des employés et qu’elle avait tenté d’adresser la problématique du climat de travail à l’Établissement. La plaignante n’a jamais subi de perte pécuniaire. Le défendeur ne l’a jamais empêchée d’exercer ses activités syndicales. On ne l’a jamais empêchée de communiquer avec les membres dans le cadre de la procédure de règlement des griefs ou de présenter une plainte ou on ne lui a pas imposé une mesure disciplinaire. Il n’y a donc aucun fondement à la plainte. Le simple fait de déposer la plainte ne constitue pas une preuve en soi. La plaignante n’a pas reçu de mesure disciplinaire et il n’y a aucune preuve d’intimidation. Le défendeur n’avait aucun contrôle sur la plainte de harcèlement déposée par la DAI contre la plaignante. Parfois, la plaignante signait ses courriels en tant que présidente de section locale et CAGM. Cela pouvait porter à confusion. L’ajout de cet objectif dans son entente de rendement était donc justifié et n’était aucunement une mesure de représailles. Ce n’était pas dans le but de l’empêcher d’exercer ses fonctions, mais plutôt pour comprendre dans quel rôle elle agissait. La plainte de harcèlement de la DAI contre la plaignante n’a pas été déposée dans son rôle de présidente de section locale, mais dans son rôle de CAGM.

[109] Le défendeur a soumis que la DAI avait dit à la directrice qu’elle voulait que la plaignante arrête d’exercer ses activités syndicales. La directrice a répondu que non, ce n’était pas possible et qu’il n’était pas question qu’elle soit empêchée d’exercer ses activités syndicales.

[110] Avec respect, je ne suis pas d’accord. Ce n’est pas ce que j’ai entendu en preuve dans le témoignage de la directrice. À l’audience, la directrice a tout simplement indiqué qu’elle se souvenait que la DAI était venue la rencontrer pour lui dire qu’elle ne voulait plus que la plaignante représente les employés. La directrice aurait répété cette information à la plaignante. Je conclus que c’est la raison principale derrière la plainte de harcèlement que la DAI avait déposée contre la plaignante. La DAI ne voulait plus que la plaignante soit présidente de section locale et qu’elle représente les employés dans le cadre de l’enquête disciplinaire portée contre elle. La directrice était au courant de ce sentiment antisyndical provenant de la DAI et n’a rien fait pour rectifier la situation.

[111] Le défendeur a soutenu que ce n’était pas le rôle de la directrice de décider de faire témoigner la plaignante et Mme Bergeron dans le cadre de l’enquête. La directrice a exercé son droit de gestion face à des allégations sérieuses, et elle a décidé d’élargir le mandat d’enquête. Cela ne peut constituer une pratique déloyale au sens de la Loi. De plus, la directrice n’a pas joué un rôle dans la plainte de harcèlement déposée contre la plaignante et de l’ajout de l’objectif dans l’entente de rendement.

[112] Comme mentionné dans Choinière Lapointe, compte tenu du paragraphe 191(3) de la Loi, ma tâche consiste à déterminer si le défendeur a prouvé, selon une prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas eu de violation du sous-alinéa 186(2)a)(i) et de l’alinéa 186(2)c). Dans l’ensemble, je conclus que le défendeur n’a pas déchargé le fardeau qui lui incombait de prouver que la plainte n’était pas fondée.

[113] Je conclus que les actions du défendeur ont été prises pour intimider et menacer la présidente en raison de son rôle de présidente de section locale et que l’enquête disciplinaire dans les allégations de collusion et d’influence de témoins et l’avertissement qu’une mesure disciplinaire pouvait lui être imposée constituent une menace qui avaient pour but de dissuader la présidente de porter assistance à Mme Bergeron. Je ne suis pas d’accord avec le défendeur qui affirme que leurs actions constituaient un exercice raisonnable des droits de la direction. L’exercice raisonnable des droits de la direction exigeait une enquête sur les faits sous-jacents aux allégations de collusion et d’influence de témoins avant de lancer une enquête disciplinaire.

[114] La présidente a été empêchée de représenter Mme Bergeron pendant l’enquête contre la DAI et une enquête disciplinaire a été lancée à son égard lorsque Mme Bergeron lui a demandé de l’aide dans la préparation de sa rencontre avec les enquêteurs. Je suis satisfaite que ces mesures ont été prises pour l’intimider et la menacer parce qu’elle accompagnait Mme Bergeron dans ses allégations d’intimidation contre la DAI.

[115] Elle a subi des représailles par rapport à son entente de rendement. Elle s’est retrouvée avec des commentaires négatifs insinuant qu’elle éprouvait de la difficulté à gérer son rôle de présidente de section locale et CAGM. Le sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi prévoit une interdiction de distinctions illicites en matière d’emploi ou d’autres conditions d’emploi si cela est notamment motivé parce que la personne est un représentant ou dirigeant d’une organisation syndicale. Dans le présent cas, l’ajout de ces commentaires constitue une distinction illicite. M. Jaillet n’a pas pu donner aucune précision par rapport aux difficultés que la plaignante avait au niveau de la dualité de ses rôles. Le défendeur était au courant. M. Jaillet se rapportait directement à la directrice. Lors de son témoignage, M. Jaillet était visiblement dérangé par le fait que la plaignante exerçait le rôle de présidente de section locale en se plaignant du fait qu’elle devait souvent accomplir des heures supplémentaires pour compléter son travail. Les relations de travail en entier avec la gestion en ont souffert. Les différentes sections locales se sont retiré des rencontres patronales-syndicales, et cela a créé un froid. Cette preuve est incontestée.

[116] Tout comme je l’ai décidé dans Joe, le fait d’être un dirigeant syndical élu comporte un ensemble d’obligations et de responsabilités accrues. C’est pourquoi il existe une loi qui protège les activités syndicales licites. Entre autres, la Commission doit veiller à ce que les libertés syndicales énoncées dans la Loi puissent être exercées en toute impunité.

[117] Comme déterminé dans Quadrini, au par. 45, il est essentiel, pour assurer l’intégrité du régime de relations de travail, que les personnes aient la possibilité d’exercer les droits qui leur ont été accordés par ces lois, sans avoir à craindre de représailles. S’il en était autrement, étant donné la possibilité qu’il y ait abus de pouvoir dans le cadre de la relation employeur-employé, « […] l’effet dissuasif qu’aurait la menace de représailles pour qui exerce ses droits acquis découlant de la loi pourrait faire en sorte d’atténuer la force réelle de ces droits ». Dans le cas de cette plainte, le défendeur a lancé une enquête contre la présidente de la section locale dans son accompagnement d’un membre sans faire de vérifications des faits sous-jacents aux allégations de collusion et d’influence de témoins. Bien que le défendeur maintienne qu’il n’avait pas l’intention de menacer la plaignante, la plaignante a témoigné de façon convaincante qu’elle se sentait menacée lorsqu’elle a reçu l’avis d’enquête disciplinaire. Je conclus que l’enquête disciplinaire constitue une tentative d’intimider et une menace d’imposition de mesure disciplinaire en raison de son rôle de présidente. L’avis d’enquête disciplinaire était sans fondement.

[118] Tout comme je l’ai déterminé dans Joe, les représentants syndicaux doivent être en mesure d’exercer leurs activités légales sans crainte de réprimande, d’ingérence ou d’intimidation de la part de l’employeur. Les faits de cette plainte ressemblent aux faits dans Joe. Étant donné que les relations de travail peuvent être de nature conflictuelle, les arbitres de différends et les arbitres de grief accordent généralement aux représentants syndicaux une certaine latitude dans la façon dont ils exercent leurs fonctions et dans la façon dont ils remettent la direction en question, sans craindre de faire l’objet de mesures disciplinaires. Même si un représentant syndical exerce ses fonctions de manière manipulatrice, une telle conduite ne peut justifier une mesure disciplinaire, à moins que cela ne soit fait de façon malveillante ou mensongère, que ce soit sciemment ou par insouciance, ou d’une manière qui menace, intimide ou attaque publiquement l’employeur ou un membre de la direction.

[119] La protection ne s’étendrait pas non plus aux actes extérieurs au domaine normal des attributions syndicales, comme répandre, sciemment ou de façon malveillante, des mensonges sur un membre de la direction ou d’autres employés. Cette protection ne s’appliquerait pas non plus à la personne qui a instigué une chasse aux sorcières contre un membre de la direction à la suite de plaintes, que ce soit sciemment ou par insouciance, ou par vengeance personnelle. Il n'y aurait aucune protection accordée à un dirigeant d’un syndicat qui inciterait la violation d’une loi.

[120] Dans le cas de la plaignante, c’est tout à fait le contraire. Le courriel qui a mené la directrice à ordonner une enquête disciplinaire contre la plaignante et Mme Bergeron indiquait clairement qu’il provenait de la présidente, et celle-ci indique explicitement la nécessité d’être honnête dans les versions. Pour cette raison, je conclus qu’il a été négligent pour la directrice de ne pas avoir fait preuve de diligence raisonnable et de ne pas avoir demandé aux enquêtrices d’obtenir la version complète du courriel avant d’accuser la présidente et Mme Bergeron de collusion et d’influence de témoins et de poursuivre une enquête disciplinaire contre elles. Ce geste a eu un impact énorme sur la plaignante personnellement et sur Mme Bergeron ainsi que sur les relations patronales-syndicales. La directrice aurait pu tout simplement ordonner aux enquêtrices de les convoquer comme témoin et leur poser les questions qu’elles avaient par rapport au courriel sans entamer une enquête disciplinaire. Je conclus que le défendeur n’a pas déchargé le fardeau qui lui incombait de prouver que l’enquête disciplinaire lancée contre la plaignante n’avait pas pour but de l’intimider en raison de son rôle de présidente.

[121] Dans le présent cas, une recherche des faits avant d’ouvrir une enquête disciplinaire aurait révélé que la plaignante avait signé le courriel en question en tant que présidente et qu’elle portait assistance à Mme Bergeron. De plus, le courriel au complet indiquait un rappel à Mme Bergeron la nécessité d’être honnête dans leurs versions. La directrice était au courant du sentiment d’animosité antisyndicale de la DAI envers la plaignante. Lorsqu’elle administre un processus disciplinaire qui met en cause un représentant syndical, la directrice aurait dû faire preuve de diligence et effectuer une enquête sur les faits avant d’entamer une enquête disciplinaire. Elle se devait de tenir compte du fait que les accusations visaient la présidente syndicale qui assume des responsabilités accrues et doit veiller à ce qu’elle soit en mesure de poursuivre ses activités syndicales pendant que sa conduite fait l’objet d’une enquête.

[122] Dans les circonstances entourant la présente plainte, je conclus que ce n’est pas ce qui s’est passé. Pour toutes les raisons susmentionnées, je conclus que le défendeur s’est livré à des pratiques de travail déloyales interdites par le sous-alinéa 186(2)a)(i) et l’alinéa 186(2)c) de la Loi en interdisant à la présidente de prêter assistance à Mme Bergeron dans le cadre de l’enquête contre la DAI, en lançant une enquête disciplinaire contre la présidente avant de faire une vérification des faits sous-jacents aux allégations de collusion et d’influence de témoins, en menaçant la présidente qu’une mesure disciplinaire pourrait lui être imposée, et en permettant à M. Jaillet d’ajouter comme objectif la nécessité d’identifier la dualité de ses rôles dans ses interactions en milieu de travail.

[123] Je suis d’accord avec la plaignante que le courriel qui a mené à l’enquête est signé par elle en tant que présidente de la section locale. On voit clairement la chronologie du courriel envoyé par la plaignante à Mme Bergeron qui indique que c’est Mme Gauvin qui suggère de changer les versions alors que c’est la présidente et Mme Bergeron qui font l’objet d’une enquête. La directrice a manqué à son devoir d’obtenir l’information pertinente avant de procéder à l’enquête disciplinaire. Je partage l’avis de la plaignante à savoir qu’on aurait pu tout simplement questionner Mme Bergeron et la plaignante dans le cadre de l’enquête en cours et ensuite déterminer si une enquête disciplinaire était nécessaire.

[124] Je ne partage pas l’opinion de la directrice à savoir que les allégations étaient tellement importantes que c’était la seule façon de procéder. Étant donné le rôle de la plaignante de présidente de section locale, il aurait été plus prudent de procéder de cette façon et d’éviter les répercussions sur elle, le syndicat et les relations de travail. La décision d’enquêter revenait à la directrice. La directrice n’a jamais pu expliquer comment le courriel pouvait porter à croire qu’il y avait eu collusion et influence de témoins. La directrice aurait pu tout simplement demander la chaîne de courriels au complet. Le défendeur n’a pas réussi à démontrer qu’il n’y avait pas eu de contraventions au sous-alinéa 186(2)a)(i) et à l’alinéa 186(2)c) de la Loi.

IV. Mesures correctives

[125] Comme pour donner suite à la demande de la Commission à la conférence préparatoire à l’audience, le 1er novembre 2019, la plaignante a précisé les mesures correctives qu’elle recherche comme suit :

[…]

1. Une déclaration selon laquelle le Service correctionnel du Canada a contrevenu aux interdictions énoncées aux articles 186(1) a), 186(2)a)(i) et 186(2)c) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22, art 2 (la « Loi »);

2. Le remboursement des congés de maladie, de vacances et autres congés pris en raison de la contravention à la Loi;

3. Le remboursement des frais médicaux (psychologue et médicaments) non remboursés par Sun Life;

4. Le retrait du commentaire à la section C de l’entente de rendement mi-exercice préparé par Stéphane Jaillet le 6 décembre 2018;

5. La modification de la déclaration de l’employeur à la CSST signée le 17 décembre 2018 rectifiant les déclarations inexactes;

6. La tenue d’une enquête sur le partage non autorisé d’informations confidentielles, soit le partage du courriel syndical provenant de la boîte de courriel […]

7. Des dommages généraux pour le préjudice vécu du fait de la contravention à la Loi;

[…]

 

[126] À l’audience, la plaignante a demandé des dommages au montant de 5 000 $ pour l’impact qu’elle a subi. La plaignante a avancé que le paragraphe 192(1) de la Loi permettait à la Commission d’ordonner toute ordonnance et toute réparation pour dommages subis. La plaignante a témoigné à savoir que le déclenchement de l’enquête lui avait causé un profond sentiment de trahison. Cela a eu un impact sur sa santé au point où elle a dû prendre des congés de maladie et des congés annuels à partir du mois d’octobre 2018 jusqu’au mois de mars 2019. Cela a eu un impact sur elle physiquement et psychologiquement. Elle a été médicamentée et elle a dû consulter le Programme d’aide aux employés. Le tout a eu un impact sur sa réputation en milieu de travail et sur ses relations avec ses collègues. Elle a témoigné que pendant l’enquête, elle voyait le jugement de ses collègues et se sentait bâillonnée, car elle ne pouvait pas parler de ce qui lui arrivait. Elle n’était pas en mesure de représenter les membres du SESJ et d’être une présidente syndicale efficace. Elle sentait que les membres avaient perdu confiance en elle et elle a quitté son poste de présidente de section locale avant la fin de son mandat. Son retour de congé de maladie a été difficile et l’ambiance n’était pas supportable. Elle a pris sa retraite de façon prématurée. Pour toutes ces raisons, elle a demandé des dommages au montant de 5 000 $.

[127] Le défendeur a soumis qu’il était tout à fait normal qu’une enquête disciplinaire engendre du stress. Cependant, cela est normal dans le cadre du travail. La plaignante a eu accès au Programme d’aide aux employés. Il n’y a aucune raison d’accorder une forme de dommages quelconque. Un employeur doit pouvoir prendre toutes les mesures nécessaires lorsqu’il y a des allégations sérieuses qui sont portées à son attention sans craindre d’être obligé de rémunérer. L’enquête disciplinaire et la plainte de harcèlement ont conclu qu’il n’y avait eu aucune inconduite de la part de la plaignante. La plaignante a été blanchie de toutes les allégations.

[128] Le paragraphe 192(1) de la Loi me donne le pouvoir de rendre toute ordonnance que j’estime nécessaire dans les circonstances à l’encontre de la partie visée par la plainte. Le paragraphe 192(1) de la Loi prévoit ce qui suit :

192 (1) Si elle décide que la plainte présentée au titre du paragraphe 190(1) est fondée, la Commission peut, par ordonnance, rendre à l’égard de la partie visée par la plainte toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances et, notamment :

192 (1) If the Board determines that a complaint referred to in subsection 190(1) is well founded, the Board may make any order that it considers necessary in the circumstances against the party complained of, including any of the following orders:

a) en cas de contravention par l’employeur des articles 107 ou 132, lui enjoindre de payer à un fonctionnaire donné une indemnité équivalant au plus, à son avis, à la rémunération qui aurait été payée par l’employeur au fonctionnaire s’il n’y avait pas eu contravention;

(a) if the employer has failed to comply with section 107 or 132, an order requiring the employer to pay to any employee compensation that is not more than the amount that, in the Board’s opinion, is equivalent to the remuneration that would, but for that failure, have been paid by the employer to the employee;

b) en cas de contravention par l’employeur de l’alinéa 186(2)a), lui enjoindre :

(b) if the employer has failed to comply with paragraph 186(2)(a), an order requiring the employer to

(i) d’engager, de continuer à employer ou de reprendre à son service le fonctionnaire ou toute autre personne, selon le cas, qui a fait l’objet d’une mesure interdite par cet alinéa,

(i) employ, continue to employ or permit to return to the duties of their employment any person whom the employer or any person acting on the employer’s behalf has refused to employ or continue to employ, has suspended, transferred, laid off, discharged for the promotion of economy and efficiency in the Royal Canadian Mounted Police or otherwise discriminated against, or discharged contrary to that paragraph,

(ii) de payer à toute personne touchée par la contravention une indemnité équivalant au plus, à son avis, à la rémunération qui lui aurait été payée par l’employeur s’il n’y avait pas eu contravention,

(ii) pay to any person affected by that failure compensation in an amount that is not more than, in the Board’s opinion, the remuneration that would, but for that failure, have been paid by the employer to that person, and

(iii) d’annuler toute mesure disciplinaire prise et de payer au fonctionnaire touché une indemnité équivalant au plus, à son avis, à toute sanction pécuniaire ou autre imposée au fonctionnaire par l’employeur;

(iii) rescind any disciplinary action taken in respect of any person affected by that failure and pay compensation in an amount that is not more than, in the Board’s opinion, any financial or other penalty imposed on the person by the employer;

c) en cas de contravention par l’employeur de l’alinéa 186(2)c), lui enjoindre d’annuler toute mesure prise et de payer au fonctionnaire touché une indemnité équivalant au plus, à son avis, à toute sanction pécuniaire ou autre imposée au fonctionnaire par l’employeur;

(c) if the employer has failed to comply with paragraph 186(2)(c), an order requiring the employer to rescind any action taken in respect of any employee affected by the failure and pay compensation in an amount that is not more than, in the Board’s opinion, any financial or other penalty imposed on the employee by the employer;

[…]

[Je mets en évidence]

 

[129] Pour les raisons mentionnées plus haut, je ne suis pas d’accord pour dire qu’il n’y a pas eu de conséquences sur la présidente. Je conclus que la plaignante et Mme Bergeron ont été touchés. La plaignante s’est sentie intimidée et menacée lorsqu’elle a reçu l’avis d’enquête disciplinaire. On ne lui a pas donné l’occasion de s’expliquer avant d’entamer l’enquête. L’enquête disciplinaire a eu un impact sur elle dans le milieu de travail et elle a pris sa retraite plus tôt que prévu. J’ai trouvé particulièrement convaincants les témoignages de la plaignante, de Mme Bergeron et de Mme Kergoat sur ce point. Je note que la souffrance psychologique et la retraite prématurée de la plaignante en raison de la contravention de l’interdiction énoncée au sous-alinéa 186(2)a)(i) et à l’alinéa 186(2)c) est difficile à évaluer objectivement et à quantifier. Cependant, cette souffrance, comme l’a témoigné la plaignante, comprend un sentiment profond de trahison de la part du défendeur, l’humiliation en milieu de travail de se faire enquêter et le fait de se sentir bâillonnée. Pour toutes ces raisons, je conclus que 5 000 $ est le montant des dommages qui convient dans les circonstances pour adresser l’impact que ces événements ont eu sur la plaignante personnellement.

[130] De plus, je conclus que la raison pour laquelle la présidente a pris des congés annuels et des congés de maladie était l’enquête disciplinaire menée à son égard en raison de l’exercice de ses fonctions syndicales, à savoir de prêter assistance à Mme Bergeron dans l’enquête contre la DAI. Cette activité est une activité licite protégée par la Loi. Le défendeur a été négligent dans son approche et sa décision de poursuivre une enquête disciplinaire contre la plaignante alors qu’il savait qu’elle agissait dans son rôle de présidente de section locale et il aurait pu tout simplement valider les allégations avant de procéder à une telle enquête. Je ne suis pas d’accord avec le défendeur pour dire qu’une enquête disciplinaire engendre un stress normal. Toute enquête disciplinaire peut avoir des effets dévastateurs dans un milieu de travail, surtout lorsque c’est la présidente de la section locale qui se fait enquêter. Avant d’entreprendre une enquête disciplinaire, le défendeur aurait pu faire preuve d’objectivité et de prudence et obtenir la chaîne de courriels au complet. J’accepte comme véridique le témoignage de la plaignante que l’enquête a eu un effet destructeur sur elle personnellement en milieu de travail et sur les relations de travail, et que c’est la raison pour laquelle elle a décidé de prendre sa retraite plus tôt que prévu.

[131] Comme elle l’a demandé, j’accorde la mesure de redressement quant à une déclaration, la remise des crédits de congés de maladie et de congés annuels pris en raison de la contravention à la Loi et 5 000 $ en dommages généraux pour le préjudice vécu du fait de la contravention à la Loi.

[132] La plaignante n’a pas précisé quels étaient les « […] autres congés pris en raison de la contravention à la Loi » de sorte qu’aucune ordonnance ne sera rendue à cet égard.

[133] La demande de la plaignante pour « [l]a tenue d’une enquête sur le partage non autorisé d’informations confidentielles, soit le partage du courriel syndical provenant de la boîte de courriel […] » est refusée. La plaignante n’a pas présenté de preuve à cet égard, ni aucun argument en quoi cette mesure corrective serait justifiée dans les circonstances.

[134] En ce qui concerne les autres mesures correctives demandées, je laisse aux parties le soin de s’entendre sur la réparation appropriée ou de demander l’aide de la Commission si elles ne parviennent pas à s’entendre.

[135] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[136] La plainte est accueillie.

[137] Le défendeur a contrevenu aux interdictions prévues aux alinéas 186(1)a) et 186(2)c) et au sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi.

[138] J’ordonne à l’employeur de verser à la plaignante des dommages généraux au montant de 5 000 $.

[139] J’ordonne que les crédits de congé de maladie et les congés annuels pris par la plaignante entre octobre 2018 et mars 2019 à cause de l’enquête disciplinaire lui soient remis au complet.

[140] Dans l’éventualité où les parties ne peuvent pas s’entendre sur une réparation, la Commission demeure saisie pour en décider. Dans les 60 jours suivant la réception de la présente décision, les parties doivent aviser la Commission par écrit que l’aide de la Commission est requise pour trancher cette question.

Le 5 avril 2024.

Chantal Homier-Nehmé,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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