Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20170519

Dossiers: 566‑02‑6566 et 6567

 

Référence: 2017 CRTEFP 55

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans la fonction publique et

Loi sur les relations de travail

dans la fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans la fonction publique

ENTRE

 

JANE DOE

 

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

Conseil du trésor

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

Employeur

 

Répertorié

Doe c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

 

 

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Michael F. McNamara, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Andi MacKay, avocat

Pour l’employeur : Richard Fader, avocat

Affaire entendue à Vancouver (Colombie‑Britannique),

les 17, 18 et 20 février 2015.

(Traduction de la CRTEFP)

.


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTEFP)

I. Aperçu – Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1] Le 25 mars 2010, Jane Doe, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), une agente des services frontaliers (« ASF »), a déposé deux griefs, comme suit :

[Traduction]

Grief 10‑3961‑101797 : Je dépose un grief parce que l’employeur a violé les articles 19 et 20 de ma convention collective et qu’il a omis de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement.

Mesure corrective demandée : Je demande que l’employeur fournisse un milieu de travail exempt de harcèlement et qu’une formation de sensibilisation au harcèlement ait lieu dans le milieu de travail.

Grief 10‑3961‑101798 : Je dépose un grief parce que l’employeur a omis de me fournir la protection de la Commission des accidents du travail de la Colombie‑Britannique, conformément aux lois de la Colombie‑Britannique (« C.‑B. ») et qu’il a omis de m’accorder un congé pour y remédier. Je dépose un grief parce que l’employeur n’a pris aucune mesure pour me protéger contre les préjudices émotionnels causés par le harcèlement survenu dans le milieu de travail.

Mesure corrective demandée : Je demande que les crédits de congé que j’ai utilisés soient rétablis, que je sois rémunérée pour les possibilités d’heures supplémentaires manquées, que l’employeur m’indemnise au titre de préjudice moral et d’autres dommages, et que toute autre mesure corrective appropriée soit prise dans les circonstances afin que je sois indemnisée intégralement.

 

[2] Le 9 février 2012, les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage et un avis a été donné à la Commission canadienne des droits de la personne, qui a refusé la possibilité de présenter des arguments.

[3] L’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC » ou l’« employeur ») a soulevé un certain nombre d’objections préliminaires aux griefs. L’essentiel des objections se résume à ce qui suit :

• le grief 10‑3961‑101797 (le « grief 101797 ») ne comprend aucune demande de dommages. Par conséquent, toute demande de dommages présentée à l’arbitrage constitue un élargissement de la portée de ce grief et ne peut être examinée;

 

• le grief 10‑3961‑101798 (le « grief 101798 ») comprend une demande de dommages, mais je n’ai pas compétence pour l’entendre pour divers motifs;

 

• par conséquent, le seul grief dont je suis dûment saisi est le grief 101797 et les seuls redressements que je peux prendre en considération sont ceux qui y sont demandés (lesquels ne comprennent pas de dommages).

 

[4] Je conclus qu’aucune des objections de l’employeur n’est fondée. Je conclus que j’ai compétence pour entendre les deux griefs et examiner tous les redressements demandés, y compris les dommages pour préjudice moral.

[5] Je conclus en outre que l’employeur a omis d’aborder efficacement le harcèlement verbal afin de prévenir les actes plus graves de harcèlement physique qui sont survenus le 28 août 2009. Ce faisant, l’employeur a omis de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement.

[6] Je conclus que, dans les circonstances de l’affaire, des dommages pour cette omission ne sont pas justifiés. L’allégation selon laquelle les préjudices émotionnels extrêmes subis par la fonctionnaire étaient attribuables au harcèlement sexuel en milieu de travail n’est pas étayée par les éléments de preuve.

[7] Je conclus en outre qu’il n’est pas nécessaire d’ordonner à l’employeur de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement; il est bien au courant de ses obligations.

[8] L’ASFC a offert une formation sur le harcèlement avant et après l’incident, et offre une formation continue à ce sujet. Toutefois, je suis prêt à l’ordonner pour m’assurer que la formation soit offerte régulièrement et que la formation des cadres mette l’accent plus particulièrement sur la sensibilisation et la prévention.

[9] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014‑84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2, la « LRTFP ») avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la LRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

II. Résumé de la preuve

[10] Environ 100 ASF travaillent au point d’entrée de Douglas de l’ASFC, en Colombie‑Britannique, (le « point d’entrée de Douglas »), dans 6 ou 7 équipes composées de 12 ASF chacune. Les fonctions générales du poste comprennent le contrôle des véhicules, la vérification des permis de travail, l’examen des véhicules et les arrestations. Les équipes travaillent à des comptoirs à l’intérieur ou à l’extérieur d’une station, et contrôlent les véhicules. Un surintendant est affecté à chaque équipe.

[11] Pendant toute la période visée, Chantal Boulet était la surintendante de la fonctionnaire. Derek Collins était le chef des opérations au point d’entrée de Douglas et Kathy Closter était la chef adjointe intérimaire. M. Collins relevait de M. Scoville, le directeur de district de la région du Lower Mainland de l’ASFC, qui relevait à son tour de Blake Delgaty, le directeur général régional de la région Pacifique de l’ASFC.

[12] En mai 2008, l’ASF Doe a commencé à travailler dans une équipe avec le collègue avec qui elle a ensuite éprouvé des difficultés.

[13] La fonctionnaire a indiqué qu’elle s’entendait bien avec tous les membres de son équipe, mais qu’elle est rapidement devenue préoccupée par certains propos tenus par le collègue. Il faisait habituellement des commentaires sexuels vulgaires au sujet des femmes en général et parfois plus particulièrement au sujet de la fonctionnaire. Il l’offensait parfois de différentes façons, par exemple, en lui envoyant des courriels offensants contenant des photos et des vidéos de prisonniers iraquiens à qui on mettait le feu.

[14] La fonctionnaire a indiqué que le collègue avait fait les commentaires résumés dans la pièce 1, intitulée [traduction] « Conduite ». Il n’est pas nécessaire de répéter ces commentaires dans la présente décision. Il suffit de dire qu’ils sont grossiers et à caractère sexuel et que, en général, ils indiquent en termes vulgaires ce que le collègue voudrait faire avec des femmes et à celles‑ci.

[15] Quatre ou cinq mois après le début de leur relation de travail, la fonctionnaire a commencé à dire à son collègue qu’elle trouvait certains de ses commentaires offensants. Elle lui a dit d’arrêter. Il a répondu en accusant la fonctionnaire de toujours s’acharner sur lui.

[16] La fonctionnaire a indiqué avoir toujours fait preuve de professionnalisme. Elle a dit qu’elle n’avait jamais été aguicheuse ou sexuelle envers le collègue et qu’elle n’avait participé à aucune frasque ou blague, mais que d’autres ASF se livraient à des plaisanteries et à des frasques en milieu de travail. Toutefois, un certain nombre de témoins ont indiqué que la fonctionnaire avait participé à des plaisanteries amicales, dont le contenu était parfois à caractère sexuel, avec les autres ASF, y compris le collègue. Plusieurs témoins ont indiqué que la fonctionnaire et le collègue socialisaient à l’extérieur du milieu de travail et qu’ils avaient une relation amicale. Par exemple, Mme Boulet a déclaré avoir été témoin d’une situation où la fonctionnaire était en train de masser les épaules du collègue.

[17] Tous les témoins, sauf la fonctionnaire, ont décrit un milieu de travail positif, quoique parfois stressant. Il n’existait aucun climat à caractère sexuel, de crainte ou aucun autre type de harcèlement dominant, et la relation entre la direction et les ASF était ouverte et positive.

[18] Selon le témoignage de tous les témoins, sauf la fonctionnaire, les commentaires du collègue allaient habituellement dans le sens des plaisanteries des autres ASF. Toutefois, le collègue, il allait parfois trop loin et dépassait les bornes. Dans ces cas, les autres employés lui disaient et ils partaient, ce qui mettait fin à de telles conversations.

[19] La fonctionnaire a indiqué qu’à l’automne 2008, elle a discuté avec sa surintendante, Mme Boulet. Elle l’a informée que le collègue devenait ridicule et que Mme Boulet devrait discuter avec lui au sujet de son comportement.

[20] La surintendante Boulet a indiqué qu’elle supervise entre huit et dix agents et qu’elle avait une bonne relation avec la fonctionnaire. Elles discutaient souvent, mais pas au sujet de leur vie privée.

[21] Elle s’est souvenue d’avoir eu une discussion avec la fonctionnaire à propos du collègue. La question n’a pas été présentée comme une plainte; il s’agissait d’une simple conversation sur le fait que le collègue était ridicule et qu’il formulait des commentaires inappropriés. Mme Boulet a demandé à la fonctionnaire si elle devait lui parler et la fonctionnaire a répondu par la négative. Toutefois, Mme Boulet a constaté que la fonctionnaire n’était pas contente et elle en était préoccupée. Elle a donc décidé de discuter avec le collègue, ce qu’elle a fait. Le collègue lui a dit que cela ne se reproduirait plus et, selon elle, l’affaire était close.

[22] Après la réunion avec Mme Boulet, le collègue a dit à la fonctionnaire qu’il [traduction] « devrait appliquer des filtres sinon il y aurait des conséquences ». Selon la fonctionnaire, cela s’est produit deux fois à l’automne 2008. Toutefois, les changements comportementaux subséquents du collègue ne duraient qu’environ une journée et, par la suite, il reprenait son comportement habituel.

[23] La fonctionnaire a indiqué qu’elle avait également discuté avec Mme Boulet après un événement social en dehors du milieu de travail en décembre 2008. Le collègue avait fait un commentaire et a eu un geste inapproprié à l’endroit d’une serveuse à propos de la taille de sa poitrine, ce dont la fonctionnaire et Mme Boulet ont été témoins. La fonctionnaire a affirmé que Mme Boulet lui avait dit qu’elle ne sortirait plus jamais avec le collègue puisqu’il était toujours offensant. Dave Bernard, un surintendant intérimaire à l’époque, était également présent à cet événement.

[24] Mme Boulet a reconnu qu’elle avait été témoin de l’échange inapproprié entre le collègue et la serveuse. Elle a indiqué qu’elle ne se considérait pas comme la superviseure du collègue lorsqu’ils étaient en dehors du milieu de travail dans le cadre d’un événement social.

[25] Au point d’entrée de Douglas, il y a deux comptoirs où les ASF sont affectés à travailler. Selon la fonctionnaire, au printemps 2009, Mme Boulet lui a demandé pourquoi elle ne travaillait jamais au même comptoir que le collègue. La fonctionnaire lui a répondu que lorsqu’elle est affectée à un comptoir avec le collègue, elle apporte son travail à l’autre comptoir, et ce, afin d’éviter d’être à proximité de lui. Mme Boulet a reconnu qu’elle savait que la fonctionnaire agirait ainsi.

[26] La fonctionnaire a déclaré qu’au printemps 2009, elle a dit au collègue de ne pas lui parler du tout, à moins que ce ne soit nécessaire.

[27] La fonctionnaire a indiqué qu’au milieu de 2009, elle a de nouveau discuté avec Mme Boulet au sujet du collègue, afin de lui signaler que son comportement s’aggravait et qu’il agissait de manière ridicule. Elle a indiqué que Mme Boulet avait discuté de nouveau avec le collègue. Il a une fois de plus dit à la fonctionnaire qu’il devait appliquer des filtres à défaut sinon il pourrait subir des conséquences plus graves. De plus, la fonctionnaire a affirmé qu’il avait continué à faire les commentaires et que Mme Boulet avait de nouveau discuté avec lui.

[28] Cependant, selon Mme Boulet, la fonctionnaire n’a abordé cette question avec elle qu’une seule fois. Mme Boulet a également dit en avoir parlé avec le collègue seulement à cette occasion; elle ne se souvenait pas l’avoir fait une deuxième fois. Mme Boulet a toutefois reconnu que la situation était survenue il y a cinq ans. Néanmoins, elle était d’avis que, si la fonctionnaire s’était plainte plus d’une fois au sujet du collègue, elle l’aurait mis par écrit, puisqu’elle est connue (Mme Boulet) pour agir comme tel.

[29] Selon la fonctionnaire, même si elle a demandé au collègue d’arrêter de lui parler, il ne l’a pas fait. En juillet 2009, il lui faisait des commentaires sexuellement explicites plusieurs fois par jour.

[30] Selon la fonctionnaire, à la fin de juillet 2009, elle a informé M. Bernard que la situation était ridicule et que le travail avec le collègue était épuisant. Il était offensant, grossier, dégoûtant, inapproprié et vulgaire. Elle a également informé M. Bernard que, lorsqu’elle demandait au collègue d’arrêter, il lui répondait qu’elle s’acharnait toujours sur lui.

[31] Toutefois, M. Bernard a indiqué que ni la fonctionnaire ni aucune autre personne n’avaient soulevé de problème concernant le collègue auprès de lui et que, par conséquent, il n’avait jamais eu l’occasion de discuter avec le collègue à ce sujet.

[32] La fonctionnaire a reconnu qu’elle n’avait jamais déposé une plainte écrite, mais qu’elle s’attendait à ce que le signalement de ses préoccupations auprès de son gestionnaire suffise.

[33] Mme Boulet a affirmé que l’argument de la fonctionnaire selon lequel elle avait fait l’objet de harcèlement sexuel pendant environ un an et quatre mois avant l’incident du 28 août était offensant sur le plan personnel et constituait une atteinte à son intégrité. Elle a déclaré qu’elle n’avait jamais entendu les commentaires indiqués dans la pièce 1 et qu’ils ne lui avaient jamais été signalés. Aucun autre élément de harcèlement sexuel ne lui a été signalé et elle a été troublée par ces allégations.

[34] Elle a déclaré qu’il y avait une politique de la porte ouverte. Elle a supposé que si la fonctionnaire avait voulu déposer une plainte, elle l’aurait fait.

[35] Mme Boulet a indiqué qu’il est connu qu’elle ne tolère pas le langage vulgaire dans le milieu de travail et encore moins le harcèlement sexuel. Si cette situation existait et qu’elle en avait été informée, elle aurait pris une mesure immédiate.

[36] La fonctionnaire a discuté d’un incident qui est survenu le vendredi 28 août 2009, lorsque le collègue a pris son outil à sonder en coin en plastique de son ceinturon de travail et l’a poussé dans ses fesses en disant « Wedgie ». Il a dit qu’il s’agissait d’une blague. Il a tenté de présenter ses excuses à maintes reprises. Il lui a demandé de ne pas provoquer son congédiement.

[37] Après l’incident, la fonctionnaire s’est présentée au bureau de Mme Boulet. Elle était contrariée et avait besoin de parler. Elle a raconté à Mme Boulet ce que le collègue avait fait. Mme Boulet a amené la fonctionnaire consulter Mme Closter. Elle a communiqué avec la direction des relations de travail de l’ASFC. Elle a également communiqué avec M. Scoville et M. Delgaty. Mme Boulet est allée voir le collègue et l’a amené dans un autre endroit afin de le tenir à l’écart de la fonctionnaire.

[38] Mme Closter a suspendu le collègue le même jour, en attendant l’issue d’une enquête. Elle a pris sa ceinture et ses outils et l’a renvoyé. Elle lui a ordonné de ne pas se présenter au point d’entrée de Douglas sans autorisation et de ne pas communiquer avec la fonctionnaire.

[39] Le dimanche 30 avril, le collègue a été convoqué à une réunion avec son représentant de l’agent négociateur, Dan Sullivan, afin de faire une déclaration.

[40] Trois jours après l’incident, le collègue a été affecté à des fonctions temporaires au bureau Nexus, 2,4 km plus loin, en attendant l’issue d’une enquête. Il a ensuite fait l’objet d’une suspension de cinq semaines et il a été, en dernier ressort, muté au port d’entrée de Nanaimo, en C.-B., en juin 2011. Il n’est jamais retourné travailler au point d’entrée de Douglas après l’incident.

[41] La fonctionnaire a indiqué qu’au cours des semaines suivantes, elle a discuté plusieurs fois avec Mme Boulet, ainsi qu’avec Derek Collins et Kim Scoville. Au travail, elle était émotive. Elle pleurait souvent et rentrait chez elle. Elle a envisagé de porter des accusations au criminel.

[42] Elle a été renvoyée au Programme d’aide aux employés (le « PAE ») immédiatement après l’incident, mais elle a été informée qu’elle devait appeler à un autre numéro, puisqu’elle téléphonait à partir d’un téléphone cellulaire de l’extérieur de Calgary, en Alberta. Lorsqu’il en a été informé, M. Collins a communiqué immédiatement avec les Relations de travail et a obtenu le bon numéro pour la fonctionnaire.

[43] La fonctionnaire a indiqué qu’à un moment donné, M. Collins lui a dit, au cours d’une réunion, [traduction] « [...] que la situation s’apparente à un match de hockey et qu’il fallait tourner la page ». Il a nié avoir dit cela. Elle a indiqué qu’en conséquence, elle s’est sentie comme si elle le laissait tomber en ne [traduction] « tournant pas la page ». Elle a constaté que l’ASFC n’estimait pas qu’il s’agissait d’un incident important et qu’il aurait été plus important si les événements s’étaient déroulés dans un centre commercial plutôt que dans un milieu d’application de la loi.

[44] À un moment donné, la fonctionnaire a pris connaissance qu’une vidéo de l’incident avait été enregistrée sur un disque compact comportant son nom. Elle a indiqué qu’il avait été mis à la disposition de la surintendante, des chefs, du directeur et du surintendant intérimaire. Lorsqu’elle a été informée que d’autres avaient visionné la vidéo, elle a été vraiment dégoûtée et a eu l’impression qu’ils se moquaient de sa vie. Sa demande visant à en obtenir une copie a été refusée.

[45] Les éléments de preuve sur la question de savoir s’il existait plus d’une copie du disque compact et si une copie avait été envoyée à la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC ») sont contradictoires. Toutefois, tous les témoins qui ont présenté un témoignage à ce sujet ont indiqué que la vidéo était protégée par un mot de passe et qu’il fallait une autorisation pour la visionner. Rien dans la preuve n’indique qu’elle avait été manipulée de façon téméraire ou que quiconque l’avait visionnée de manière inappropriée.

[46] M. Collins a déclaré que l’employeur avait déposé un rapport auprès de la GRC et que de nombreux employés avaient fait des déclarations à la police. La GRC a fait la recommandation qu’il n’était pas dans l’intérêt public de porter des accusations contre le collègue et la Couronne en a convenu.

[47] Selon la preuve présentée, l’employeur n’a pas réalisé immédiatement que la fonctionnaire avait subi un préjudice au travail qui était indemnisable, et la fonctionnaire n’en a pas informé l’employeur. À l’origine, aucune discussion n’a eu lieu au sujet de la Commission des accidents du travail de la C.-B. L’employeur lui a plutôt permis d’utiliser ses crédits de congé pour ses absences de plus en plus fréquentes et, ensuite, pour son absence de longue durée du milieu de travail.

[48] Mme Boulet a appelé la fonctionnaire pour l’informer du moment où ses crédits de congé seraient presque épuisés. Ce n’est qu’à ce moment que la fonctionnaire et son représentant de l’agent négociateur ont rencontré l’employeur et l’ont informé qu’elle avait subi un accident du travail.

[49] En mars 2010, les formulaires de la Commission des accidents du travail de la C.-B. ont été remplis et présentés avec l’aide de M. Collins et du représentant de l’agent négociateur de la fonctionnaire, M. Sullivan. Sa demande a été acceptée le 8 avril 2010 et, à la fin de mai 2010, elle a commencé à toucher des indemnités rétroactives à août 2009.

[50] Lorsque la Commission des accidents du travail de la C.-B. a accepté sa demande, le congé de la fonctionnaire a été converti en un congé pour accident du travail et ses crédits de congés ont été rétablis. Par conséquent, elle a fait l’objet d’une réparation intégrale en ce qui concerne le retard du dépôt de la demande et elle a touché la totalité de son salaire depuis qu’elle a quitté le milieu de travail. Une fois que la demande a été déposée et acceptée, elle a également bénéficié des services de consultation de la Commission des accidents du travail de la C.-B.

[51] Mme Boulet, Mme Closter et M. Collins ont indiqué que, peu après l’incident, ils avaient discuté avec la fonctionnaire à maintes reprises en vue de l’encourager à revenir au travail. Mme Boulet l’a informée que plus elle s’absenterait longtemps, plus le retour serait difficile. En ce qui concerne le collègue, Mme Boulet lui a dit [traduction] « de ne pas le laisser détruire sa carrière ». Toutefois, Mme Boulet a également fait valoir qu’il incombait à la fonctionnaire de prendre cette décision. Mme Closter a informé la fonctionnaire de [traduction] « utiliser ses muscles de courage », de retourner au travail et de prendre le contrôle de sa carrière. M. Collins l’a également informée qu’il était important qu’elle revienne au milieu de travail.

[52] Cependant, la fonctionnaire estimait qu’elle ne pouvait pas retourner au point d’entrée de Douglas, et ce, malgré l’absence du collègue depuis le jour de l’incident. Elle a demandé à être mutée ailleurs. L’employeur a fait des efforts, bien qu’infructueux jusqu’à maintenant, pour lui trouver un poste ailleurs.

[53] La fonctionnaire a indiqué que M. Delgaty l’avait informée que le collègue avait déposé une plainte de harcèlement contre elle en raison des commentaires qu’elle avait faits de vive voix au 7 Seas Fish Market, le 25 septembre 2010. La fonctionnaire aurait pointé du doigt le collègue et elle aurait crié qu’il était l’homme qui l’avait agressée sexuellement. Elle a indiqué qu’elle avait agi ainsi uniquement en réponse à la provocation du collègue. L’incident est survenu en dehors du milieu de travail et n’était pas en conflit avec le « Code de conduite » de l’ASFC; par conséquent, l’employeur n’a pris aucune mesure.

[54] La fonctionnaire a déclaré qu’elle essayait de ne pas se trouver au même endroit que le collègue, que ce dernier n’avait pas pris au sérieux sa plainte contre lui et qu’il lui faisait souvent des blagues à ce sujet. Il s’agissait d’un témoignage curieux étant donné que, selon les éléments de preuve, elle ne communiquait plus avec le collègue depuis l’incident. Les occasions où il aurait été bien placé pour faire une blague à son égard à propos de cette plainte ne sont pas claires.

[55] La fonctionnaire a mentionné un document intitulé [traduction] « Coupures de presse du matin », qui a été envoyé à la région Pacifique de l’ASFC le 8 septembre 2011. Il s’agissait d’une coupure d’un article du Vancouver Sun qui mentionnait la fonctionnaire et son action en justice contre l’ASFC et le collègue (qui a été retirée ultérieurement).

[56] Selon la fonctionnaire, la coupure a été envoyée délibérément et de manière inconsidérée en vue de se moquer d’elle et de porter atteinte à sa vie privée. Cependant, M. Collins a affirmé que les coupures de presse qui sont d’intérêts pour l’ASFC étaient recueillies par un service automatisé. Il s’agissait d’un incident regrettable, mais puisque l’article a été publié dans le Vancouver Sun, le système automatisé l’a simplement ajouté aux autres coupures de presse.

[57] En mai 2014, l’ASFC a envoyé des renseignements à la fonctionnaire au sujet de la possibilité d’une offre de mutation à un poste au point d’entrée de Sidney. Un courriel dans lequel elle rejette l’offre a été déposé en preuve. Selon la fonctionnaire, il s’agissait d’une option inappropriée pour elle et il était injuste de lui demander d’assumer des frais de logement en double, en plus de ne toucher aucune rémunération pendant plusieurs mois. Elle a dit que l’offre était délibérée et insouciante de la part de l’employeur. Selon elle, l’offre démontrait que l’ASFC ne prenait pas au sérieux sa situation puisqu’il s’agissait d’une [traduction] « [...] offre d’un poste au même endroit où travaillait [le collègue] ».

[58] Des éléments de preuve supplémentaires ont été déposés selon lesquels il ne s’agissait pas d’une offre de mutation, mais plutôt d’une invitation à présenter une candidature. Bien que la fonctionnaire ait souligné qu’il s’agissait du même lieu de travail que le collègue, le point d’entrée de Sidney est situé à deux heures du point d’entrée de Nanaimo, quoique les deux points d’entrée soient dans la même région.

[59] La fonctionnaire a mentionné la façon dont sa vie avait changé. Avant l’incident, elle n’avait aucune crainte et elle était concentrée sur sa carrière; elle aimait l’aventure et les voyages. Depuis l’incident, elle éprouve des difficultés à exercer ses activités quotidiennes et, en général, à les gérer. Elle a décrit un certain nombre de ses symptômes et de ses sentiments. Elle a pris du poids et n’est plus sociable. Elle ne sort que pour prendre un café de temps à autre. Elle n’est plus heureuse et sa vie sentimentale a changé.

[60] Le partenaire de la fonctionnaire a également présenté un témoignage au sujet du fait que la fonctionnaire avait changé. Il est un surintendant à l’ASFC, ainsi que le fiancé et partenaire de la fonctionnaire. Il n’était pas présent lors de l’incident du 28 août.

[61] Il a expliqué qu’avant l’incident, la fonctionnaire avait de nombreux amis et sortait souvent. Elle était sociable et n’avait aucune crainte. Elle avait des aspirations professionnelles en gestion de carrière, avait une bonne vision de la vie, était heureuse, avait toujours un sourire, pouvait faire facilement son travail et aimait voyager et faire des activités amusantes.

[62] Son partenaire a indiqué que la fonctionnaire avait changé sur le plan social. Elle s’inquiète maintenant au sujet de sa carrière et elle est réservée quant à sa vision de la vie. Il a décrit certains de ses symptômes. Elle a besoin de soins médicaux. Ses activités quotidiennes depuis l’incident sont exercées à proximité de son domicile et elle évite de sortir en raison de la possibilité de rencontrer le collègue.

[63] La fonctionnaire et son partenaire ont commencé à travailler à l’ASFC environ en même temps. Il est maintenant un surintendant et bénéficie de nombreuses possibilités – la fonctionnaire ne bénéficie d’aucune de ces possibilités.

[64] Son partenaire était au courant du harcèlement à l’époque et en a discuté avec elle, mais il ne lui a pas conseillé de déposer une plainte.

[65] Une preuve médicale a été fournie en guise de témoignage du médecin de famille de la fonctionnaire, le Dr Icton, et de son psychologue, le Dr Bannerman. Les rapports médicaux ont été déposés en preuve en tant que pièces. Il ressort de la preuve médicale que la personnalité de la fonctionnaire a changé de manière importante, ainsi que sa vision de la vie. Toutefois, les rapports n’indiquent pas que ce changement découle nécessairement uniquement de l’incident survenu en milieu de travail.

[66] Il ressort de la preuve médicale que la fonctionnaire avait des problèmes liés à l’anxiété avant l’incident. De plus, elle a commencé à éprouver des problèmes dans sa vie personnelle dans les mois précédant l’incident. Par hasard, peu après l’incident, ses problèmes se sont aggravés considérablement et sont devenus très sérieux.

[67] Les rapports médicaux indiquent également que les symptômes de la fonctionnaire ne se sont pas améliorés malgré le temps écoulé depuis l’incident; au contraire, il semble qu’ils se soient aggravés. Les premiers rapports comportant des diagnostics positifs d’un rétablissement rapide sont devenus de moins en moins positifs au fil du temps.

III. Motifs

A. Portée du grief 101797

[68] L’employeur a soutenu que je n’ai pas compétence pour accorder des dommages relativement au grief 101797, au motif qu’aucune demande en ce sens n’a été formulée dans la formule de grief initiale.

[69] L’employeur a adopté la position selon laquelle [traduction] « [...] toute demande visant à élargir la portée de ce grief en vue d’inclure des dommages ou une indemnité pécuniaire serait contraire au principe établi dans Burchill. » Il a invoqué Burchill v. Canada (Attorney General), [1981] 1 F.C. 109 (C.A.), Boudreau c. Canada (Procureur général), 2011 CF 868, Babiuk c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CRTFP 51 et Chase c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 9, à l’appui de sa proposition.

[70] Je ne vois pas comment le fait de demander des dommages à l’arbitrage élargit la portée du grief.

[71] La portée d’un grief est définie par la ou les questions qu’il soulève. Le principe Burchill a pour objet de s’assurer que les fonctionnaires s’estimant lésés ne tentent pas de renvoyer à l’arbitrage des questions qui n’ont pas été soulevées dans le cadre de la procédure de règlement de griefs, prenant ainsi la partie défenderesse par surprise. Il permet de veiller à ce que la partie défenderesse connaisse toujours la preuve à réfuter, ce qui est un principe bien connu d’équité et de justice naturelle.

[72] Un changement aux redressements demandés ne change pas nécessairement la nature du litige soulevé par le grief. L’employeur connaissait la preuve à réfuter. L’allégation était clairement énoncée dans le grief. L’employeur a omis de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement. Il s’agit de la même question qui a été présentée et débattue à l’arbitrage. La position adoptée n’a pas été modifiée et il n’y avait aucune surprise.

[73] En conséquence, je conclus que le principe Burchill ne m’empêche pas d’examiner une demande de dommages relativement au grief 101797, et ce, même si la demande a été soulevée pour la première fois à l’étape de l’arbitrage.

B. Compétence exclusive du régime d’indemnisation des accidents du travail – grief 101798

[74] Selon le grief 101798, l’employeur aurait omis de fournir la protection de la Commission des accidents du travail de la C.-B. ou de fournir un congé tenant lieu d’indemnité. Cette allégation est fondée sur l’omission de l’employeur d’informer immédiatement la Commission des accidents du travail de la C.-B. et sur l’utilisation, par la fonctionnaire, de ses crédits de congé en attendant que la demande d’indemnité pour accident du travail soit présentée et acceptée.

[75] L’employeur a fait valoir que je n’ai pas compétence pour entendre ce grief puisqu’il vise les indemnités pour accident du travail. Je ne vois pas comment ces questions ne relèveraient pas de ma compétence. La question ne porte pas sur le calcul des indemnités, mais sur l’omission de l’employeur à remplir les formulaires et à les présenter en temps opportun.

[76] L’allégation que l’employeur a omis de fournir à la fonctionnaire la protection de la Commission des accidents du travail de la C.-B. est dénuée de fondement. J’accepte la preuve de l’employeur que, dans le cas de préjudices psychologiques, il n’est pas toujours immédiatement évident qu’un préjudice a été subi. Daniela Evans, une gestionnaire des relations de travail, a indiqué qu’il est parfois difficile pour les employeurs de spéculer sur la question de savoir si l’état mental d’un employé franchit la ligne entre le stress et un accident du travail. M. Collins a affirmé qu’à l’origine, il n’a pas jugé qu’il s’agissait d’un accident du travail parce que, très tôt dans le cadre du processus, la fonctionnaire a indiqué qu’elle était apte à travailler dans une autre région, mais qu’elle préférait ne pas travailler au point d’entrée de Douglas. En effet, elle n’a jamais indiqué qu’elle ne pouvait pas travailler.

[77] Les employeurs et les employés sont tous les deux tenus de fournir des rapports à la Commission des accidents du travail de la C.-B. dans le cas d’un accident du travail. La fonctionnaire avait l’appui du président de son agent négociateur. Toutefois, ni elle ni son représentant de l’agent négociateur n’ont rempli les formulaires ou n’ont demandé à l’employeur de le faire. Elle était mieux placée que l’employeur pour savoir qu’un accident du travail avait eu lieu.

[78] Le fait que la fonctionnaire et son agent négociateur aient informé l’employeur qu’ils estimaient que les répercussions de l’incident sur la fonctionnaire constituaient un accident du travail seulement lorsque la plaignante a été informée que son congé payé serait bientôt épuisé est révélateur.

[79] La fonctionnaire a soutenu que, puisque l’employeur a omis de présenter les formulaires de demande d’indemnités pour accident du travail en temps opportun, elle n’a pas eu accès aux services de consultation en temps opportun. Toutefois, elle avait accès au PAE, un service d’orientation confidentiel disponible tous les jours, 24 heures sur 24, qui comprend des services de consultation. Ce service a été porté à son attention immédiatement après l’incident et on lui a donné le numéro de téléphone à appeler. Elle n’a jamais informé l’employeur qu’elle avait éprouvé des difficultés à accéder au PAE à l’origine.

[80] À compter de la date de l’incident, la fonctionnaire a utilisé ses crédits de congé pour s’absenter du travail et, par conséquent, elle a continué de toucher son salaire intégral. Une fois que la Commission des accidents du travail de la C.-B. a accepté sa demande, son statut a été modifié en un congé pour accident du travail rétroactif au lendemain de l’accident. Ses crédits de congé ont été entièrement rétablis.

[81] À compter de la date de l’audience, la fonctionnaire a touché une rémunération intégrale, en plus de l’accumulation d’indemnités de vacances et de congés. Par conséquent, cet aspect du grief est théorique.

[82] De plus, l’employeur a soutenu que je n’avais pas compétence pour accorder des dommages relativement au grief 101798, au motif que toute indemnité pour accident du travail doit être déterminée exclusivement par le régime d’indemnisation des accidents du travail.

[83] L’employeur a souligné que la fonctionnaire avait subi un accident du travail et qu’elle avait déposé une demande à cet égard. La demande a été acceptée et elle a touché une indemnité pour ce préjudice.

[84] Le paragraphe 208(2) de la LRTFP interdit le dépôt d’un grief si un recours administratif de réparation est ouvert au fonctionnaire sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C., 1985, ch. H-6; la « LCDP »).

[85] La Loi sur l’indemnisation des agents de l’État (L.R.C., 1985, ch. G‑5; la « LIAE ») prévoit un « recours administratif de réparation » au sens de la LRTFP, qui porte précisément sur les indemnités pour accident du travail. La LIAE prévoit qu’un employé qui subit un accident du travail a le droit de recevoir une indemnité au taux prévu par les lois de la province où l’employé travaille. L’indemnité à payer est déterminée par la commission provinciale des accidents du travail.

[86] L’article 12 de la LIAE prévoit ce qui suit :

12 L’agent de l’État ou les personnes à sa charge qui, par suite d’un accident du travail, ont droit à l’indemnité prévue par la présente loi ne peuvent exercer d’autre recours contre Sa Majesté ou un fonctionnaire, préposé ou mandataire de celle-ci pour cet accident.

 

[87] Il s’agit du compromis historique du régime d’indemnité pour accident du travail. Les travailleurs ne peuvent pas poursuivre leur employeur pour obtenir des dommages liés aux accidents du travail. En échange de cette perte, les travailleurs ont accès à un régime très vaste de règlement des demandes fondé ni sur la responsabilité de l’employeur ni sur sa capacité à payer.

[88] Toutefois, cela ne signifie pas que je n’ai pas compétence pour examiner un recours en dommages relativement à un grief portant sur l’omission d’un employeur de fournir un milieu de travail sécuritaire. Il s’agit d’une proposition très différente. La fonctionnaire a invoqué la jurisprudence suivante relativement à cette question : Eyerley v. Seaspan International Ltd., [2000] C.H.R.D. No. 14 (QL); Franke v. Canada (Canadian Armed Forces), [1998] C.H.R.D. No. 3 (QL); Cyr c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 35; Charlton v. Ontario (Ministry of Community Safety and Correctional Services), [2007] O.P.S.G.B.A. No. 4 (QL).

[89] Charlton porte sur un grief de harcèlement en raison de la race au Service correctionnel de l’Ontario. Les paragraphes 20 à 24 établissent les faits relatifs à la demande d’indemnité pour accident du travail de la fonctionnaire s’estimant lésée. De façon semblable aux faits en l’espèce, peu après l’incident de harcèlement en raison de la race, la fonctionnaire s’estimant lésée dans Charlton est demeurée en congé de manière continue; elle avait des documents médicaux pour étayer son absence. La Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail a versé des indemnités à la fonctionnaire s’estimant lésée après avoir conclu qu’elle avait subi un stress mental en raison de l’incident. Tout comme en l’espèce, la fonctionnaire s’estimant lésée dans Charlton a reçu son salaire intégral.

[90] Dans Charlton, le défendeur a soutenu que la compétence exclusive du régime d’indemnités pour accident du travail empêchait toute demande pour perte de revenu, mais a reconnu la possibilité d’une demande pour dommages en ce qui concerne les vexations ou la perte de dignité.

[91] Au paragraphe 14, la Commission des griefs de la fonction publique de l’Ontario, présidé par Donald Carter, a fait les commentaires suivants :

[Traduction]

En l’espèce, la demande vise un manquement à la garantie contractuelle de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement en raison de la race. Ce qui s’est produit ici était beaucoup plus qu’un « accident » au sens de la définition prévue par la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail. Il s’agissait d’une insulte raciale vicieuse et blessante qui a touché non seulement la santé de la fonctionnaire s’estimant lésée, mais qui a également causé un préjudice important à la dignité de la fonctionnaire s’estimant lésée. Même si le régime d’indemnités pour accident du travail de la fonctionnaire s’estimant lésée avait compétence exclusive sur cet aspect de son préjudice concernant sa santé, cette compétence exclusive sur ce seul aspect de son préjudice n’empêche pas la Commission de traiter un préjudice très important à sa dignité. En effet, l’avocat de l’employeur a reconnu cette distinction, mais il a soutenu que toute indemnité pour perte de revenu était liée uniquement au préjudice à sa santé et relevait donc de la compétence exclusive du régime d’indemnités pour accident du travail.

La Commission n’accepte pas l’argument selon lequel, lorsqu’il y a un manquement à la garantie contractuelle de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement en raison de la race dans le milieu de travail, ces indemnités pour perte de revenu concernent seulement le préjudice à la santé de la victime. La compétence de cette Commission vise à indemniser la fonctionnaire s’estimant lésée pour un dommage à ses intérêts relatifs à la dignité sous forme d’indemnité pécuniaire. [...]

 

[92] Je souscris à ce raisonnement et je conclus que la demande d’indemnité pour accident du travail de la fonctionnaire ne me prive pas de ma compétence d’examiner sa demande de dommages pour préjudice moral fondé sur le dommage à ses intérêts relatifs à sa dignité.

C. Le grief 101798 ne peut faire l’objet d’un arbitrage en vertu du par. 209(1) de la LRTFP

[93] L’employeur a également fait valoir que le grief 101798 ne m’a pas été adéquatement présenté parce qu’il renvoie uniquement à l’obligation de l’employeur de fournir une indemnité pour accident du travail et ne comporte aucune allégation de mesure disciplinaire déguisée ou une violation de la convention collective. Par conséquent, l’employeur a soutenu que le grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’art. 209 de la LRTFP. Je ne suis pas d’accord.

[94] Même si le grief n’invoque aucun article de la convention collective, il renvoie aux obligations de l’employeur relativement aux indemnités pour accident du travail, au congé tenant lieu d’indemnité, aux occasions d’heures supplémentaires manquées et aux indemnités de la fonctionnaire pour dommages émotionnels. Il est implicite, mais très clair, que les fondements du grief sont les obligations de l’employeur envers la fonctionnaire. La source de ces obligations est clairement la convention collective, plus particulièrement les articles 19 et 20 de cette convention. En outre, la fonctionnaire a également fourni un exposé complet des informations. La forme ne doit pas l’emporter sur le fond.

[95] Ce grief a été déposé et débattu conjointement avec le grief 101797, qui précise qu’il est fondé sur les articles 19 et 20 de la convention collective. L’employeur a répondu aux deux griefs simultanément et a clairement été informé des fondements des allégations. L’employeur a renoncé à son droit de présenter cette objection.

D. Griefs 101797 et 798 : Conduite et caractère opportun préalable à l’incident

[96] L’employeur s’est opposé à l’examen de la période avant l’incident dans le cadre du grief, puisqu’elle n’est pas visée par la période indiquée dans la formule de grief. La conduite de l’employeur avant l’incident fait partie du critère juridique pour déterminer s’il a omis de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement. Logiquement, il est nécessaire d’examiner les événements qui ont eu lieu avant l’incident afin de déterminer si l’employeur a fait preuve de toute la diligence raisonnable requise en vue de prévenir le harcèlement. Je souligne également que l’employeur n’a pas soulevé cette question avant l’audience.

E. Omission de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement

[97] L’employeur a reconnu que les agissements du collègue le 28 août 2009 constituaient un acte de harcèlement sexuel et que, par conséquent, il y a eu omission de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement. Toutefois, en ce qui concerne la question de savoir s’il devrait y avoir une réparation, l’employeur a fait valoir qu’il ne devrait pas être tenu responsable des actions du collègue de la fonctionnaire. L’employeur invoque la défense de la diligence raisonnable prévue au par. 65(2) de la LCDP.

[98] Selon le paragraphe 65(2) de la LCDP, tout acte commis par un employé dans le cadre de son emploi est réputé être un acte commis par l’employeur, sauf si l’employeur n’y a pas consenti, s’il a fait preuve de toute la diligence raisonnable requise pour le prévenir, et s’il a fait preuve de toute la diligence raisonnable requise pour en atténuer les conséquences.

[99] Clairement, l’employeur n’a pas consenti aux actes du collègue de la fonctionnaire, le 28 août 2009, et ne les a pas tolérés. Tous les témoins ont indiqué que les actes du collègue étaient répréhensibles et qu’ils n’avaient pas été tolérés de quelque façon que ce soit. La fonctionnaire n’a fourni aucune preuve crédible du contraire.

[100] Afin de déterminer si l’employeur a fait preuve de toute la diligence raisonnable requise en vue de prévenir le harcèlement dans le milieu de travail, je dois examiner l’ambiance du milieu de travail et ce qui s’est produit avant l’incident.

[101] Il ressort de la preuve que la convention collective prévoit une clause de non‑discrimination et de harcèlement sexuel, qu’il y a des politiques de non‑discrimination et de harcèlement sur les sites intranet de l’ASFC et du Conseil du Trésor, et qu’une formation obligatoire a été donnée sur ces politiques. Il a été énoncé que le syndicat et l’employeur ont collaboré relativement à ces questions; par exemple, ils ont créé conjointement un modèle pour les ateliers contre le harcèlement au niveau national.

[102] Aucune plainte ou grief de harcèlement en milieu de travail n’a été déposé par le passé. De plus, l’agent négociateur n’a jamais soulevé le harcèlement en tant que préoccupation devant faire l’objet de discussion, officiellement ou officieusement.

[103] La fonctionnaire n’a pas déposé de plainte de harcèlement. Elle a dit qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait en déposer une. Cet élément de preuve a été contredit par son fiancé, qui a souligné qu’ils avaient discuté de la possibilité de déposer une plainte. Elle n’a pas non plus demandé de changer d’équipe ou de modifier ses heures de travail afin d’éviter le collègue, et elle n’a pas demandé l’aide de son agent négociateur.

[104] Tous les témoins ont nié avoir constaté un comportement de harcèlement dans le milieu de travail, dont la moitié était des femmes, et ont fait valoir l’équilibre de genre au sein des équipes et la présence féminine positive au sein de la direction.

[105] Toutefois, il ressort également de la preuve que tous les ASF ont participé aux plaisanteries, lesquelles étaient parfois de nature sexuelle, y compris la fonctionnaire. Il ressort également clairement que, parfois, les commentaires du collègue étaient parfois non conformes au type de plaisanteries auxquelles participaient les autres et que ses commentaires dépassaient les bornes.

[106] Selon les témoignages, la tendance du collègue à faire des plaisanteries sexuelles vulgaires était bien connue par les autres ASF en milieu de travail. Comme James Ewing, un délégué syndical, l’a exprimé, les membres de l’unité de négociation ont été surpris d’entendre qu’une plainte de harcèlement en milieu de travail avait été déposée. Cependant, ils n’étaient pas surpris d’entendre qu’elle concernait le collègue.

[107] La direction en avait moins eu connaissance, mais je suis d’avis qu’elle le savait ou aurait dû en savoir assez au sujet de la conduite du collègue dans le milieu de travail pour amorcer une réponse plus proactive.

[108] La fonctionnaire a indiqué qu’elle s’était plainte plusieurs fois à Mme Boulet et à M. Bernard au sujet des commentaires vulgaires du collègue avant l’incident du 28 août, et que les deux gestionnaires avaient discuté avec le collègue à maintes reprises. Toutefois, ces témoins ont affirmé le contraire. Mme Boulet a déclaré que la fonctionnaire ne lui en avait parlé qu’une seule fois. M. Bernard a affirmé qu’il n’avait jamais reçu de plainte et qu’il n’avait jamais parlé au collègue.

[109] Cependant, Mme Boulet a reconnu qu’une période de cinq ans s’était écoulée. Elle n’était pas certaine si elles s’étaient parlé une fois seulement. Elle a plutôt indiqué que si elles s’étaient parlé plus d’une fois, elle aurait produit un rapport. Comme il n’y avait aucun rapport écrit, elle a déduit qu’une seule plainte avait été faite.

[110] Dans son témoignage, la fonctionnaire a indiqué avoir informé Mme Boulet qu’elle changeait de comptoir afin d’éviter d’être à proximité du collègue lorsqu’ils travaillaient au même comptoir. Mme Boulet a reconnu qu’elle savait que la fonctionnaire changeait de comptoir afin d’éviter d’avoir à travailler près du collègue.

[111] Mme Boulet était présente au restaurant et a été témoin du geste et des commentaires du collègue relativement à la poitrine d’une serveuse. Même s’il s’agissait d’une rencontre sociale en dehors du milieu de travail, ce comportement fournissait tout de même à Mme Boulet des renseignements permettant de corroborer les préoccupations de la fonctionnaire selon lesquelles les conversations inappropriées et vulgaires du collègue en milieu de travail pourraient faire l’objet d’une enquête plus approfondie, surtout étant donné la réaction très forte de Mme Boulet à ce comportement. M. Bernard était également présent.

[112] La preuve est contradictoire en ce qui concerne ce que la fonctionnaire a dit ou non à M. Bernard. Néanmoins, puisqu’il était un ASF lorsqu’il n’agissait pas à titre de surintendant intérimaire, je crois que, vraisemblablement, il a été plus souvent témoin des commentaires du collègue que les autres membres de la direction. De plus, selon les témoignages, M. Bernard a entendu certains des commentaires figurant à la pièce 1.

[113] Selon la preuve présentée par M. Bernard, il n’avait reçu aucune plainte de quiconque à l’égard du collègue. La mise en place d’un milieu de travail exempt de harcèlement ne doit pas consister uniquement en un processus fondé sur des plaintes.

[114] Mme Boulet a indiqué qu’une politique de la porte ouverte s’appliquait. Par conséquent, elle a supposé que si la fonctionnaire avait souhaité déposer une plainte, elle l’aurait fait. Encore une fois, la mise en place d’un milieu de travail exempt de harcèlement ne doit pas consister uniquement en un processus fondé sur des plaintes.

[115] La fonctionnaire a soulevé à au moins une reprise une préoccupation auprès de la direction. Tous les témoins en ont convenu. De plus, Mme Boulet avait alors discuté immédiatement avec le collègue, ce qui constituait une réponse appropriée. Malheureusement, cette mesure n’a pas été efficace et aucun suivi n’a été fait.

[116] Mme Boulet a accepté la déclaration du collègue selon laquelle il ne le ferait plus. Elle croyait que l’affaire était fermée. Aucune personne n’a vérifié auprès de la fonctionnaire ou d’autres membres de l’unité de négociation afin de déterminer si les commentaires de collègue avaient cessé. Un suivi aurait permis à la direction d’apprendre que le collègue n’avait pas cessé de formuler les commentaires. Selon le témoignage de la fonctionnaire, le collègue a continué de faire les commentaires, et ce, de plus en plus fréquemment.

[117] Je n’ai aucun doute que la direction aurait reconnu ce comportement comme une mise en garde et qu’elle aurait réagi. Le témoignage de Mme Boulet était très clair à ce sujet. Toutefois, le manque de suivi signifiait que la direction n’était pas au courant de l’intensification de la conduite. Elle aurait dû être au courant.

[118] En conséquence, je conclus que l’employeur n’a pas fait preuve de toute la diligence raisonnable requise en vue de prévenir le harcèlement sexuel et qu’il a donc omis de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement.

[119] Afin de déterminer si l’employeur a fait preuve de toute la diligence raisonnable requise pour atténuer les répercussions des actes du collègue, je dois examiner les éléments de preuve relatifs à la réponse de l’employeur quant à l’incident concernant un outil à sonder en coin. Je mentionne ce qui suit.

[120] Dès que l’employeur a pris connaissance des actes du collègue, le jour de l’incident, ce dernier a été suspendu et on lui a ordonné de ne pas se présenter au milieu de travail sans autorisation et de ne pas communiquer avec la fonctionnaire. Il a été muté à un endroit situé à quelques kilomètres. En dernier ressort, il a été suspendu pendant cinq semaines et, en juin 2011, il a été muté à l’île de Vancouver. Il n’est jamais retourné travailler au point d’entrée de Douglas.

[121] L’employeur a déposé un rapport auprès de la GRC et plusieurs employés ont fait des déclarations à la police. Cependant, la GRC a fait la recommandation selon laquelle il n’était pas dans l’intérêt public de porter des accusations contre le collègue et la Couronne en a convenu.

[122] Je souligne les réponses immédiates et continues de Chantal Boulet, de Kathy Closter, de Derek Collins, de Kim Scoville et de Blake Delgaty, qui démontrent toutes que la direction prenait très au sérieux cet incident de harcèlement.

[123] Je souligne également la réponse initiale de l’agent négociateur, selon laquelle la direction avait adopté une approche trop stricte et que l’incident aurait dû être traité à l’échelle locale, plutôt qu’à l’échelle nationale.

[124] La direction a veillé à ce que la fonctionnaire soit appuyée et que le numéro du PAE lui soit donné immédiatement; le PAE est disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, aux fins de consultation et d’aide. Lorsque la direction a été informée que la fonctionnaire avait besoin d’un autre numéro pour communiquer avec le PAE en raison de son numéro de téléphone de Calgary, M. Collins a communiqué immédiatement avec les Relations de travail régionales pour lui donner le bon numéro.

[125] La fonctionnaire n’a jamais indiqué avoir éprouvé d’autres difficultés ultérieures à accéder au PAE. Par conséquent, si elle a éprouvé d’autres difficultés, celles‑ci ne découlent pas de la responsabilité de l’employeur. Conformément à ce que M. Collins a expliqué dans le cadre de son témoignage, le PAE offre aux employés un accès entièrement confidentiel. Après avoir fourni les coordonnées, l’employeur n’est plus et ne devrait plus être concerné.

[126] Je conclus que l’accès aux services de consultation a été donné à la fonctionnaire immédiatement après l’incident, et ce, au moyen du PAE. Par conséquent, son affirmation selon laquelle elle a subi des dommages parce qu’elle n’avait pas accès à des services de consultation par l’intermédiaire de la Commission des accidents du travail de la C.-B. avant plusieurs mois plus tard n’est pas étayée par la preuve.

[127] Les numéros de téléphone cellulaire de Mme Boulet, de Mme Closter et de M. Collins ont été donnés à la fonctionnaire. La fonctionnaire a indiqué qu’elle a discuté avec Mme Boulet, M. Collins et M. Scoville plusieurs fois au cours des semaines suivant l’incident.

[128] On a permis à la fonctionnaire de prendre un congé, au besoin, mais son retour au travail a également été fortement encouragé et appuyé par M. Collins, Mme Closter et Mme Boulet. Mme Boulet et Mme Closter en particulier ont offert beaucoup de soutien et ont donné d’excellents conseils biens intentionnés, notamment que plus vite elle reviendrait au travail, mieux ce serait pour elle et qu’elle ne devrait pas laisser le collègue et ses actions avoir une incidence négative sur sa carrière.

[129] Ainsi, un ton positif a été créé dans le milieu de travail en ce qui concerne le retour au travail de la fonctionnaire dans un milieu de travail favorable. Selon le témoignage de nombreux témoins de l’unité de négociation, ils ont également offert un soutien à la fonctionnaire en lui disant que tout le monde l’aimait et souhaitait qu’elle revienne au travail.

[130] En ce qui concerne la réception par la fonctionnaire d’une offre de dotation au point d’entrée de Sidney en mai 2014, M. Collins a indiqué que l’offre lui avait été envoyée de la part d’une unité de dotation centralisée par Carla Clifford. Mme Clifford, à des fins de protection de la vie privée, n’avait aucune connaissance des circonstances entre la fonctionnaire et le collègue. L’offre n’a pas été envoyée par Mme Evans, la gestionnaire des relations de travail locales, ou par quiconque de l’ASFC qui traitait le retour au travail de la fonctionnaire. Mme Evans a été chargée de s’assurer qu’aucun renvoi provenant de la région du Pacifique ne soit envoyé à la fonctionnaire. Il ressort de la preuve que plus de 80 renvois possibles ont été constatés avant d’être envoyés.

[131] Le courriel ne constituait pas une offre de mutation; il s’agissait simplement d’une invitation à exprimer un intérêt, soit une pratique normalisée de l’ASFC visant à faciliter les nominations prioritaires à l’échelle nationale. L’offre ne visait pas le même endroit où travaillait le collègue, comme l’a allégué la fonctionnaire, mais plutôt un point d’entrée situé à environ deux heures de distance.

[132] Le courriel relatif à cette offre a été envoyé à la fonctionnaire presque cinq ans après l’incident par une personne qui n’avait aucune connaissance de sa situation et qui ne devait en avoir aucune connaissance aux fins de la protection de la vie privée.

[133] Si l’offre n’était d’aucun intérêt pour la fonctionnaire, elle n’avait qu’à ne pas en tenir compte. Aucun élément de preuve n’a étayé l’allégation selon laquelle l’employeur avait agi de manière délibérée et inconsidérée au moment de lui envoyer l’offre en question.

[134] La fonctionnaire a également laissé entendre que l’employeur lui avait causé un préjudice lorsqu’il a envoyé la coupure de presse du matin. On peut comprendre qu’elle ne souhaitait pas que cet article soit lu dans l’ensemble du milieu de travail. Toutefois, elle a intenté une action en justice. Les documents judiciaires sont publics et l’article a été publié dans le Vancouver Sun. Il est malheureux que l’article ait été sélectionné par le service automatisé, mais l’allégation qu’il s’agissait d’un acte délibéré et inconsidéré de l’employeur n’est pas étayée par la preuve.

[135] En appliquant le critère à trois volets prévus au par. 65(2) de la LCDP, je conclus que l’employeur n’a pas toléré les actes du collègue et qu’il a fait preuve de toute la diligence raisonnable requise pour atténuer les répercussions de ces actes. Cependant, je suis d’avis qu’il n’a pas fait preuve de toute la diligence raisonnable requise pour prévenir le harcèlement dans le milieu de travail.

IV. Redressements demandés

[136] Tel qu’il a été indiqué, je conclus que j’ai compétence pour accorder des dommages dans cette affaire, que ce soit en vertu du grief 101797 ou du grief 101798. Toutefois, je conclus qu’aucun dommage n’est justifié.

[137] La fonctionnaire m’a renvoyé à plusieurs décisions de tribunaux qui recommandent le type d’analyse requise pour déterminer le caractère approprié de l’octroi de dommages.

[138] L’arbitre de grief Pineau a établi certains facteurs à prendre en considération comme suit dans Pepper c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 71, au par. 21 :

[21] La décision de l’arbitre de grief d’en arriver à un redressement approprié est une décision discrétionnaire. Il est laissé à l’arbitre de grief le soin de trouver un équilibre, en tenant compte du caractère de la violation des droits du fonctionnaire s’estimant lésé et de ses autres circonstances particulières au moment de cette violation.

 

[139] Au paragraphe 30, l’arbitre de grief cite l’article 54 de la LCDP, qui prévoit un certain nombre de facteurs à prendre en considération pour déterminer le montant approprié de dédommagement – la nature, les circonstances, la gravité et le caractère délibéré ou intentionnel de l’acte discriminatoire ainsi que les antécédents discriminatoires de son auteur.

[140] L’arbitre de grief Paquet, dans Stringer c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale) et Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2011 CRTFP 110, a examiné des décisions dans lesquelles des dommages ont été accordés. Il a énoncé ce qui suit au paragraphe 36 :

[36] Lors de mon analyse des huit décisions pertinentes auxquelles les parties m’ont renvoyé [...] il m’est apparu que la plupart d’entre elles ne proposaient pas de raisonnement détaillé pour arriver à un montant précis à accorder à titre d’indemnité pour préjudice moral ou d’indemnité spéciale, selon le cas. Il m’apparaît toutefois évident que la gravité des répercussions psychologiques subies par les plaignants ou les fonctionnaires s’estimant lésés, selon le cas, et occasionnées par la discrimination à leur égard ou le manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est le principal facteur invoqué pour justifier leur décision. Il ressort également que c’était plutôt la façon inconsidérée de traiter les fonctionnaires s’estimant lésés [...] qui était invoquée pour justifier l’imposition d’une indemnité spéciale [...].

[Je souligne]

[141] Le Tribunal canadien des droits de la personne, dans Bouvier c. Métro Express, [1992] D.C.D.P. no 8 (QL), a indiqué ce qui suit au deuxième paragraphe de la page 17 :

Pour ce qui est des dommages moraux découlant du préjudice psychologique infligé à une victime de harcèlement sexuel et qui sont prévus à l’al. 53(3)b) L.c.d.p., les critères à appliquer pour évaluer lesdits dommages ont été énoncés en 1982 par Peter A. Cumming dans une affaire ontarienne qui fait autorité depuis : Torres c. Royalty Kitchenware Ltd, (1982) 3 C.H.R.R. D/858, par. 7758. Il faut tenir compte de la nature du harcèlement (verbal ou physique), du degré d’insistance ou de contacts physiques, de la durée du harcèlement, de la fréquence des gestes posés, de l’âge de la victime, de sa vulnérabilité ainsi que de l’impact psychologique du harcèlement sur elle.

[Je souligne]

 

[142] De toute évidence, la fonctionnaire était une employée confiante qui exécutait facilement son travail et dont les aspirations étaient de devenir membre de l’équipe de direction. Elle était bien aimée par tous les autres ASF et elle participait aux plaisanteries amicales avec eux, y compris le collègue. Les plaisanteries avaient parfois un caractère sexuel. Elle était sociable et elle socialisait en dehors du milieu de travail avec le collègue et d’autres. Elle travaillait dans un milieu où la moitié des employés étaient des femmes et qui comportait une présence féminine positive au sein de la direction. Elle aimait et respectait sa surintendante. Elle n’était pas une employée vulnérable et le collègue n’était pas une personne qui exerçait un pouvoir sur elle dans son milieu de travail.

[143] Il y avait des mesures qu’une employée confiante comme la fonctionnaire auraient pu prendre, telles que demander de changer d’équipe et décrire clairement ses préoccupations à la direction ou déposer une plainte officielle. Son défaut de prendre de telles mesures m’amène à penser que les commentaires avant l’incident, même s’ils étaient grossiers, n’ont pas créé un environnement de travail aussi difficile à gérer que ce que la fonctionnaire décrit maintenant.

[144] L’incident concernant l’outil à sonder en coin constituait une farce vulgaire et sans doute humiliante sur le moment. Cependant, il semble improbable, à tout le moins, qu’il ait causé le préjudice émotionnel extrême décrit par la fonctionnaire et son partenaire.

[145] Le collègue a présenté à maintes reprises ses excuses immédiatement après l’acte lorsqu’il a vu la réaction de la fonctionnaire et lui a demandé plusieurs fois de ne pas provoquer son congédiement. Évidemment, le collègue a constaté rapidement qu’il avait dépassé les bornes et qu’il perdrait probablement son emploi si la fonctionnaire en informait la direction. Ce fait est révélateur en soi quant à la mesure dans laquelle le harcèlement sexuel n’était pas toléré délibérément en milieu de travail. Le collègue n’est évidemment pas une personne qui a fait preuve d’un bon jugement, mais après avoir fait impulsivement une frasque manifestement immature et horrible, il a constaté rapidement que les conséquences seraient graves.

[146] Il n’y a aucun doute que la fonctionnaire était contrariée et qu’elle se sentait dévalorisée. Toutefois, étant donné tous les éléments de preuve dont je suis saisi, je ne peux conclure que cette seule expérience désagréable a causé un changement radical dans la personnalité et le mode de vie de la fonctionnaire, passant d’une personne confiante, de bonne humeur et sociable à une personne timide, anxieuse et craintive.

[147] Je ne peux pas non plus conclure que cette expérience a rendu la fonctionnaire inapte à travailler au point d’entrée de Douglas pendant cinq ans et demi, en date de l’audience, puisque le collègue n’y était pas depuis la date de l’incident et qu’il était à l’île de Vancouver depuis juin 2011. La fonctionnaire a indiqué, d’un bout à l’autre, qu’elle était en mesure de travailler, mais pas au point d’entrée de Douglas, et ce, malgré l’absence du collègue depuis la date de l’incident et malgré le soutien et l’encouragement offert par la direction et ses collègues de l’unité de négociation.

[148] J’estime que la réaction de la fonctionnaire était extrême et que le préjudice moral qu’elle croit avoir subi en raison de l’acte du collègue est nettement exagéré. La preuve médicale indique qu’elle vivait une situation personnelle grave comportant un traumatisme émotif, laquelle a commencé dans les mois avant l’incident et qui s’est aggravée considérablement peu après l’incident. Dans certains des rapports médicaux, elle a attribué la grande partie de son anxiété continue à d’autres questions liées à sa vie personnelle.

[149] Toutefois, à l’audience, la fonctionnaire a choisi d’attribuer tous ses préjudices émotionnels continus à ce seul acte du collègue, qui a été effectué il y a plus de cinq ans. Le bon sens et les rapports médicaux suggèrent tous les deux autrement.

[150] La fonctionnaire a cherché à renforcer ses arguments liés aux dommages en soulignant certains actes de l’employeur après l’incident et en alléguant qu’il s’agissait d’actes délibérés et inconsidérés qui lui ont causé davantage de préjudices; par exemple, les allégations concernant la vidéo de l’incident, la coupure de presse du matin et l’offre de dotation au point d’entrée de Sidney. Tel qu’il a été indiqué, la preuve n’établit pas que l’employeur a agi de manière délibérée ou inconsidérée relativement à ces questions. Au contraire, je suis d’avis que ses actes après l’incident étaient exemplaires.

[151] Il est malheureux que l’employeur n’ait pas agi de manière plus proactive aux signes d’avertissement, puisqu’il semble probable que cet incident aurait pu être évité si une mesure efficace avait été prise plus tôt à l’égard du collègue.

[152] Cependant, je suis d’avis qu’il n’a pas été démontré que l’octroi de dommages en raison de cette omission est justifié. La réaction extrême de la fonctionnaire, qui s’est poursuivie et qui s’est aggravée au fil des ans, ne peut simplement pas, selon la preuve, être attribuée à l’acte du collègue ou à la réponse de l’employeur après l’incident.

[153] Je conclus en outre que l’employeur avait des politiques en place et qu’il est au courant de ses obligations. Même s’il aurait dû traiter les commentaires verbaux du collègue de manière plus efficace, la réponse rapide et déterminante à l’incident physique, ainsi que le soutien qu’il a offert à la fonctionnaire, m’a convaincu qu’aucune autre ordonnance n’est requise relativement à la nécessité de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement.

[154] De plus, l’employeur offre déjà une formation en matière de harcèlement en milieu de travail. Cependant, étant donné le manque de prévention démontrée en l’espèce, je suis prêt à ordonner à l’employeur de s’assurer qu’une formation soit offerte régulièrement et que la formation des cadres porte plus particulièrement sur la sensibilisation, l’intervention proactive et la prévention.

V. Ordonnance de confidentialité

[155] La Commission a publié sa « Politique sur la transparence et la protection de la vie privée » sur son site Web. Elle reconnaît que les audiences devant la Commission sont ouvertes au public. Elle énonce ce qui suit :

[…]

Le principe de transparence judiciaire occupe une place importante dans notre système de justice. Suivant ce principe, garanti par la Constitution, la Commission tient ses audiences en public, sauf dans des circonstances exceptionnelles. De par son mandat et la nature des affaires qu’elle entend, la Commission pratique une politique d’ouverture qui favorise la transparence de ses procédures, la responsabilisation et l’équité dans la conduite de ses audiences.[...] Les parties qui ont recours aux services de la Commission doivent savoir qu’elles s’engagent dans un processus où il est entendu que le différend qui les oppose sera débattu en public et que les décisions rendues par la Commission seront elles aussi publiques. Les parties et leurs témoins sont soumis à l’examen du public lorsqu’ils témoignent devant la Commission; ils sont donc plus enclins à dire la vérité si leur identité est connue. Les décisions de la Commission indiquent le nom des parties et des témoins et fournissent toute information à leur sujet qui est pertinente et nécessaire pour décider du différend.

[…]

 

[156] Toutefois, la Politique reconnaît comme suit que, dans certaines circonstances, la mention des renseignements personnels d’une personne pendant une audience ou dans une décision écrite peut toucher la vie de ce particulier :

[…]

Dans des circonstances exceptionnelles, la Commission déroge à son principe de transparence judiciaire pour accéder à des demandes de protection de la confidentialité d’éléments spécifiques de la preuve et adapter ses décisions au besoin pour protéger la vie privée d’une personne (notamment en tenant une audience à huis clos, en scellant des pièces présentées en preuve qui contiennent des renseignements médicaux ou personnels de nature délicate ou en protégeant l’identité de témoins ou de tierces parties). La Commission peut accorder de telles demandes lorsqu’elles respectent les normes applicables reconnues dans la jurisprudence.

[…]

 

[157] Le critère Dagenais/Mentuck est le critère pertinent à examiner en ce qui concerne la protection des renseignements ou des pièces; voir Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835. Le critère consiste, essentiellement, à savoir si l’ordonnance est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important dans le cadre d’un litige en l’absence d’autres options raisonnables pouvant écarter le risque. Il consiste également à savoir si les effets bénéfiques de l’ordonnance, y compris les effets sur le droit des parties civiles à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur le droit à la liberté d’expression et de l’intérêt du public dans des procédures judiciaires ouvertes et accessibles.

[158] À la lumière de ce critère, je conclus que les renseignements figurant dans certaines pièces déposées en preuve ne sont pas pertinents à la compréhension de cette décision de manière transparente. Les intérêts quant à la vie privée de la fonctionnaire, du collègue et de plusieurs tiers mentionnés dans ces pièces l’emportent sur la valeur que l’exposition de ces renseignements apporterait au principe de transparence judiciaire.

[159] J’ordonne aux parties de caviarder des pièces les renseignements personnels ou médicaux de nature très délicate de la fonctionnaire, du collègue et de tout tiers qui ne sont pas pertinents à la compréhension de cette décision de manière transparente. J’ordonne en outre aux parties de remettre les versions caviardées des pièces à la Commission dans les deux semaines suivant la date de la présente décision. Afin de permettre aux parties d’effectuer ce processus, la Commission scellera temporairement les dossiers pendant une période d’un mois.

[160] Je suis d’avis que cette ordonnance constitue la mesure la moins intrusive pour établir un équilibre entre la protection du droit du public à des procédures ouvertes et accessibles et la protection de la vie privée des personnes qui sont directement ou indirectement impliquées dans la procédure.

[161] Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[162] Le grief 101797 est accueilli en partie.

[163] Le grief 101798 est rejeté.

A. Ordonnance de confidentialité

[164] Les parties doivent préparer des copies des pièces dans lesquelles tous les renseignements personnels ou médicaux de la fonctionnaire, du collègue et de tout tiers qui ne sont pas essentiels à la transparence de la décision ont été caviardés. Les parties doivent fournir à la Commission les versions caviardées des pièces dans les deux semaines suivant la date de la présente décision.

[165] Lorsque les parties fourniront à la Commission les versions caviardées, son greffe communiquera avec l’avocat et déterminera si les versions de ces documents déjà en la possession de la Commission devraient être retournées aux parties ou détruites.

[166] Les dossiers et les pièces doivent être scellés pendant une période d’un mois à compter de la date de la décision.

Le 19 mai 2017.

Traduction de la CRTEFP

Michael F. McNamara

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans

la fonction publique

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.