Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que l’intimé avait fait preuve de partialité et qu’il avait abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite – il a indiqué qu’il a été éliminé du processus de nomination à la présélection pour avoir omis de satisfaire à deux des trois qualifications relatives à l’expérience – il a soutenu que le comité de sélection n’a pas tenu compte de tous les renseignements qu’il avait fournis dans son dossier de candidature au-delà du questionnaire – la preuve a démontré qu’une lettre de présentation a été demandée et qu’elle a été utilisée pour évaluer la compétence « Valeurs et éthique », que l’auto-évaluation figurant dans le dossier de candidature a été utilisée pour évaluer les qualifications, et que les candidats ont été expressément invités à fournir « [...] des EXEMPLES et des DÉTAILS clairs et concrets, y compris QUAND, OÙ et COMMENT vous avez acquis l'expérience » – le comité de sélection a ensuite attribué une note de passage ou d’échec fondée sur le consensus – le curriculum vitae n’a pas été utilisé pour évaluer les qualifications – le plaignant a également soutenu que l’un des membres du comité de sélection aurait dû utiliser ses connaissances personnelles pour l’évaluer – cependant, la preuve a démontré que le membre du comité de sélection n’avait aucune connaissance personnelle directe du plaignant – par conséquent, la Commission a conclu que le plaignant n’avait pas établi que l’intimé avait abusé de son pouvoir lorsqu’il l’a éliminé à l’étape de la présélection – elle a également conclu qu’il n’y avait pas de crainte raisonnable de partialité.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20240326

Dossier: 771-02-41776

 

Référence: 2024 CRTESPF 42

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la fonction

publique

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Anthony Blair

plaignant

 

et

 

Administrateur GÉNÉRAL

(ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Blair c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir déposée en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Guy Grégoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour l’intimé : Marie-France Boyer, avocate

Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard, analyste principale

Affaire entendue par vidéoconférence

le 28 août 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] En octobre 2019, Services ministériels, gestion stratégique et communication, au sein du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (l’« intimé »), a affiché une offre d’emploi, soit un processus de nomination portant le numéro 2019-SVC-ONT-IA-355666, pour doter un poste de chef régional, Logement et matériel, classifié au groupe et au niveau AS-04, à North York (Ontario), pour plusieurs mandats (le « processus de nomination »). La date de clôture de l’annonce d’offre d’emploi était le 29 octobre 2019.

[2] En juin 2020, l’intimé a affiché un « Avis de nomination intérimaire » indiquant la nomination de la personne nommée du 15 juin au 30 octobre 2020.

[3] Anthony Blair (le « plaignant ») a posé sa candidature pour le poste, mais il a été éliminé du processus de nomination à l’étape initiale de l’évaluation. Le comité de sélection a conclu qu’il ne répondait pas à deux des trois critères essentiels en matière d’expérience.

[4] Le 24 mai 2020, il a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP), alléguant un abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite. Il a également allégué que l’intimé avait un parti pris.

[5] La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas assisté à l’audience, mais a plutôt présenté des observations écrites sur ses lignes directrices et ses politiques pertinentes. Elle n’a pas pris position sur le bien-fondé de la plainte.

[6] Pour les motifs qui suivent, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, le plaignant n’a pas démontré que l’intimé a abusé de son pouvoir ou a fait preuve de partialité. Par conséquent, la plainte est rejetée.

II. Résumé des éléments de preuve

A. Le plaignant

[7] Dans sa déclaration préliminaire, le plaignant a déclaré qu’à compter d’octobre 2023, il aura travaillé pour le gouvernement fédéral pendant 25 ans. Il a commencé sa carrière dans un poste classifié au groupe et au niveau AS-01 et a fini par accéder au poste AS-04 qu’il occupe aujourd’hui. Il a affirmé qu’il se sentait exclu de tout poste disponible, même au niveau, pour une mutation, comme celui dont il est question dans le présent cas.

[8] Il a également déclaré que la personne nommée n’était pas la meilleure personne pour le poste et il a demandé pourquoi on ne l’avait pas choisi, puisqu’il était déjà au niveau.

[9] Le plaignant a témoigné qu’il avait présenté sa candidature dans le cadre du processus de nomination, mais qu’elle avait été rejetée à l’étape de la présélection parce qu’il ne répondait pas à deux des trois critères relatifs à l’expérience. Il a témoigné qu’il n’y avait pas eu de discussion informelle, mais que le 11 septembre 2020, il avait rencontré le gestionnaire de la dotation.

[10] Il a soutenu que le comité de sélection n’avait pas examiné son curriculum vitae, qu’il aurait dû l’examiner et qu’il aurait conclu qu’il satisfaisait aux exigences en matière d’expérience. Il a témoigné que son curriculum vitae démontre qu’il satisfaisait à toutes les exigences relatives à l’expérience. Il a affirmé qu’il était injuste de ne pas examiner son curriculum vitae.

[11] Il a ajouté que Campbell Halliday, un membre du comité de sélection, le connaissait et qu’il aurait dû se servir de ses connaissances personnelles pour confirmer qu’il possédait l’expérience requise.

[12] Il a témoigné que, dans le rapport de présélection, il avait satisfait à l’expérience 2, mais que, dans un courriel subséquent, il était indiqué qu’il n’avait pas satisfait aux expériences 2 et 3.

[13] Il a affirmé que la personne nommée était déjà membre du ministère et qu’il aurait dû recevoir la nomination puisqu’il était déjà au niveau.

[14] Il a témoigné que le rapport de présélection n’était pas signé par tous les membres du comité et qu’il aurait dû l’être.

[15] Il a soutenu qu’un courriel daté du 7 mai 2020, qui portait sur la possibilité de nommer une personne d’un autre ministère et qui s’est conclu par la nomination d’une personne de l’intérieur, démontrait un parti pris. Il a déclaré que l’intimé avait conclu que la première proposition de nomination aurait entraîné un processus administratif plus complexe, c’est-à-dire qu’il aurait fallu soumettre cette personne à une procédure d’habilitation de sécurité, de sorte qu’il a donc préféré nommer quelqu’un au sein du ministère, d’où un parti pris en faveur de la personne nommée.

[16] Voici les qualifications relatives à l’expérience indiquées dans l’Énoncé des critères de mérite :

[Traduction]

[...]

Expérience :

1. Expérience de la prestation de *conseils et d’orientations stratégiques à divers intervenants dans l’administration des achats, des locaux/des services aux locataires ou de la gestion du matériel.

2. Expérience de la prestation de *conseils et orientations stratégiques en administration financière, notamment en matière de planification et de suivi, de prévisions budgétaires et de dépenses.

3. Expérience de la supervision de personnel de la fonction publique fédérale.

Note : Les *conseils stratégiques concernent l’identification des objectifs futurs et des moyens pour les atteindre.

[...]

 

B. L’intimé

[17] L’intimé a cité à témoigner M. Halliday, qui est un agent principal de la santé et de la sécurité au travail au sein du ministère et qui était membre du comité de sélection. Il a témoigné qu’on avait demandé aux candidats de fournir un curriculum vitae et une lettre d’accompagnement. La lettre d’accompagnement devait contenir un maximum de 2 000 mots expliquant comment ils répondaient à la compétence « Valeurs et éthique ». Ils ont également été informés qu’il y aurait une auto-évaluation.

[18] Le témoin a témoigné que l’auto-évaluation se faisait sous la forme de questions auxquelles les candidats devaient répondre et qui portaient sur les qualifications essentielles. Dans le présent cas, les questions concernant les qualifications essentielles relatives à l’expérience sont intéressantes. Dans ses réponses, les membres du comité de sélection ont conclu que le plaignant n’avait pas démontré qu’il possédait ces qualifications. Les deux premières questions portaient sur les deux premières qualifications relatives à l’expérience. Le formulaire comportait une erreur en ce sens que ces deux questions étaient identiques et exigeaient de toute évidence la même réponse. Le comité de sélection a corrigé l’erreur et a envoyé un courriel à tous les candidats pour les informer de l’erreur. Le comité de sélection a corrigé la deuxième question pour tenir compte de la deuxième qualification essentielle relative à l’expérience. Les candidats ont alors dû répondre comme indiqué à l’origine avec 400 mots ou moins.

[19] Il a déclaré que le comité de sélection avait présélectionné les candidatures en fonction des qualifications essentielles. Les candidats devaient démontrer, en 400 mots, qu’ils possédaient les qualifications essentielles relatives à l’expérience.

[20] Le témoin a témoigné que le comité de sélection n’avait pas de guide de cotation pour évaluer ces qualifications. Il a affirmé que le comité de sélection avait évalué les réponses des candidats et avait déterminé si chaque candidat [traduction] « satisfaisait » ou [traduction] « ne satisfaisait pas » aux qualifications relatives à l’expérience; il s’agissait d’une évaluation de type « réussite ou échec ». Les candidats devaient démontrer clairement qu’ils satisfaisaient aux critères en fournissant des exemples et en précisant quand, comment et où. Le témoin a déclaré que c’est sur cette base que l’évaluation a été effectuée.

[21] Il a indiqué que les candidats devaient poser leur candidature et qu’elles étaient examinées en fonction des qualifications essentielles. Les candidats qui avaient réussi la présélection initiale ont ensuite passé un test normalisé de la CFP et ont été interviewés. La lettre d’accompagnement a ensuite servi à évaluer les compétences des candidats en matière de valeurs et d’éthique. Il a témoigné que la lettre n’a pas été utilisée pour évaluer les qualifications relatives à l’expérience. Un bassin de candidats qualifiés a été créé, et la meilleure personne pour le poste a été nommée (la personne nommée).

[22] M. Halliday a témoigné qu’à l’étape de la présélection, les membres du comité de sélection ont examiné les réponses de chaque candidat et sont parvenus à un consensus quant à savoir si le candidat serait présélectionné.

[23] Il a témoigné qu’il ne connaissait le plaignant qu’en ce qui concerne l’endroit où il travaillait, mais qu’il ne connaissait rien des qualifications ou des compétences du plaignant. Il a soutenu que les réponses du plaignant ne contenaient pas suffisamment de détails concrets pour établir clairement que le plaignant satisfaisait aux qualifications en matière d’expérience. Le comité de sélection cherchait des détails concrets au sujet de l’expérience, notamment le type d’expérience, la manière dont elle a été acquise ainsi que le moment où elle l’a été. Il a confirmé que le comité de sélection n’avait pas examiné le curriculum vitae ou la lettre d’accompagnement du plaignant lors de la phase de présélection de l’évaluation. Le comité de sélection n’a tenu compte que des réponses fournies dans l’auto-évaluation en ce qui concerne les qualifications essentielles pour cette phase particulière de l’évaluation, pour tous les candidats.

III. Résumé de l’argumentation

[24] Le plaignant a soutenu qu’il avait répondu aux questions telles qu’elles étaient formulées, mais que le comité de sélection n’avait pas pris en compte tous les renseignements qu’il avait fournis dans sa candidature au-delà du questionnaire. Le comité a exclu les renseignements contenus dans son curriculum vitae et sa lettre d’accompagnement.

[25] Il a soutenu que le comité de sélection n’avait pas de guide de cotation ou de critères pour évaluer les trois qualifications essentielles relatives à l’expérience et que l’absence de ces critères était source de partialité et signifiait qu’il n’avait pas été évalué équitablement.

[26] Le plaignant s’est fondé sur la décision rendue dans Snelgrove c. Sous-ministre des Pêches et des Océans, 2013 TDFP 35, en soutenant que tous les membres du comité de sélection doivent être indépendants les uns des autres. Il a affirmé que, dans le présent cas, les membres du comité de sélection en sont venus à un consensus; par conséquent, ils n’étaient pas indépendants, ce qui a mené à un parti pris de la part du comité de sélection.

[27] Il a soutenu que, comme M. Halliday n’était pas en mesure de se rappeler quand la deuxième question modifiée a été évaluée, le comité de sélection avait tenté de revenir sur sa décision initiale, afin de rendre la deuxième évaluation cohérente avec la première.

[28] Il s’est ensuite appuyé sur Brookfield c. Sous-ministre des Affaires étrangères et du Commerce international, 2011 TDFP 25, au paragraphe 37, qui a indiqué que « [...] c’était un abus de pouvoir de la part de l’intimé que de ne pas évaluer tous les documents contenus dans le dossier de candidature de M. Brookfield ». Il a également cité un passage de l’un des plaignants de Brookfield qui disait ce qui suit, en accord avec son argument : « M. Moore affirme que l'intimé aurait dû fournir le barème de corrections, et la CFP mentionne que le fait d'indiquer la note de passage pour chaque question d'examen permet aux candidats de gérer leur temps et assure la transparence. » (au par. 53) Il a soutenu que le comité de sélection aurait dû examiner l’ensemble de sa candidature et qu’en omettant de le faire, il n’a pas pleinement examiné sa candidature et a donc abusé de son pouvoir. De plus, il a soutenu que le comité de sélection aurait dû avoir un système de notation, mais qu’il n’en avait pas, ce qui a fait perdre toute transparence au processus d’évaluation. Finalement, il a prétendu qu’il avait été évalué trop sévèrement.

[29] Il s’est ensuite appuyé sur Payne c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2013 TDFP 15, dans laquelle le Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP) a conclu que le comité de sélection avait abusé de son pouvoir lorsqu’il n’a pas tenu compte du fait qu’un des membres du comité de sélection « savait pertinemment » que le plaignant possédait les qualifications. Le plaignant a soutenu que cela s’appliquait dans le présent cas puisque M. Halliday le connaissait et aurait pu utiliser ces connaissances pour évaluer la candidature du plaignant. Il a soutenu que sa candidature aurait dû bénéficier d’une marge de manœuvre et que le comité de sélection aurait dû l’examiner dans son ensemble et conclure qu’il satisfaisait aux exigences en matière d’expérience. Il a ajouté que sa lettre d’accompagnement n’a même pas été prise en considération, alors qu’elle était requise selon l’affiche. Il a souligné que tout aurait dû être pris en considération.

[30] Il a également soutenu qu’il avait été éliminé à l’étape de la présélection d’un autre processus de sélection dans le cadre duquel M. Halliday était membre du comité de sélection; par conséquent, M. Halliday aurait dû le connaître. Il a soutenu qu’en choisissant une personne qui faisait déjà partie du ministère concerné, le comité de sélection a fait preuve de partialité en faveur de cette personne, abusant ainsi de son pouvoir. Il a soutenu que le comité de sélection avait également un parti pris contre lui parce qu’il était déjà au niveau et qu’il aurait donc dû être choisi pour le poste.

[31] L’avocat de l’intimé a soutenu qu’il incombait au plaignant de fournir des renseignements clairs et convaincants pour démontrer qu’il possédait les qualifications essentielles requises en matière d’expérience. Elle a soutenu que, dans de nombreux processus de nomination, les membres du comité de sélection et les candidats se connaissent, et qu’aucune conclusion ne devrait en être tirée. Elle a invoqué Portree c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14, pour appuyer son argument selon lequel je ne peux pas substituer mon opinion à l’évaluation du comité de sélection. Elle a soutenu que cette affaire indique en outre que le comité de sélection n’était pas tenu d’effectuer des recherches au-delà des réponses fournies par le plaignant dans son auto-évaluation.

[32] L’avocate a également soutenu que le témoignage de M. Halliday a établi que les compétences ont été évaluées par des moyens différents et que la lettre d’accompagnement a été utilisée plus tard dans le processus de sélection pour évaluer la compétence « Valeurs et éthique » et non à l’étape de la présélection.

[33] Citant Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24, elle a également soutenu que le plaignant n’avait présenté aucune preuve établissant que la personne nommée ne possédait pas les qualifications requises.

[34] Elle a cité Gignac c. Sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10, citant le critère d’une crainte raisonnable de partialité, et a soutenu qu’il n’y a pas une telle crainte de partialité dans le présent cas.

IV. Motifs

[35] La plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP, qui se lit comme suit :

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

77 (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Board’s regulations — make a complaint to the Board that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of:

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

 

[36] Le présent cas soulève deux questions : le plaignant a-t-il établi, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a éliminé le plaignant du processus de nomination, et y avait-il une crainte raisonnable de partialité de la part du comité de sélection lorsqu’il a procédé à la nomination?

[37] L’alinéa 30(2)a) de la LEFP prévoit qu’une nomination est fondée sur le mérite. Il se lit comme suit :

Définition du mérite

Meaning of merit

30 (2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

30 (2) An appointment is made on the basis of merit when

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

a) the Commission is satisfied that the person to be appointed meets the essential qualifications for the work to be performed, as established by the deputy head, including official language proficiency; and;

 

A. L’évaluation des qualifications essentielles

[38] Le plaignant n’a pas contesté la validité des qualifications essentielles, mais plutôt son évaluation à leur égard. Il a affirmé les avoir satisfaites et a soutenu devant moi que les réponses qu’il avait fournies, ainsi que son curriculum vitae, démontraient qu’il les avait satisfaites. Mon rôle n’est pas de substituer mon évaluation de la candidature d’un plaignant à celle d’un comité de sélection. Toutefois, le plaignant n’a pas expliqué à l’audience comment ses réponses répondaient aux questions « quand, où et comment » que le comité de sélection recherchait. Il incombe au plaignant d’établir selon la prépondérance des probabilités que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a évalué sa candidature et lorsqu’il a conclu qu’il ne possédait pas deux qualifications essentielles en matière d’expérience.

[39] Je conclus que la preuve soumise ne démontre aucun abus de pouvoir de la part de l’intimé. Bien au contraire, la preuve a démontré que le comité de sélection s’est réuni, a examiné la candidature et a conclu par consensus que le plaignant ne satisfaisait pas à deux des trois qualifications essentielles relatives à l’expérience.

[40] Le plaignant a soutenu qu’il n’y avait pas de guide de cotation pour évaluer les qualifications relatives à l’expérience, ce qui constituait un abus de pouvoir. Il a également soutenu qu’en procédant par consensus, les membres du comité de sélection ont renoncé à leur pouvoir d’évaluer les qualifications des candidats de façon indépendante. Il s’est appuyé sur Snelgrove pour étayer cet argument. Je conclus que les faits de cette affaire diffèrent sensiblement du présent cas puisque, dans cette affaire, un membre du comité de sélection a témoigné avoir été intimidé par un autre membre du comité de sélection, ce qui a rendu le processus de sélection imparfait et a mené à une conclusion d’abus de pouvoir. Rien de tel ne s’est produit dans le présent cas. M. Halliday a témoigné que les membres du comité de sélection avaient examiné les candidatures et étaient parvenus à un consensus. Aucune preuve n’a été présentée à l’appui de cette allégation et je conclus qu’à aucun moment il n’y a eu la moindre indication d’irrégularité par laquelle un membre du comité a exercé des pressions indues pour influencer un autre membre. Quoi qu’il en soit, le plaignant ne m’a aucunement convaincu qu’en parvenant à un consensus, le comité de sélection avait abusé de son pouvoir.

[41] Une évaluation par consensus n’est pas un obstacle à l’évaluation indépendante de chaque membre du comité de sélection. Il s’agit d’une manière par laquelle les membres peuvent discuter de leur évaluation individuelle avec leurs collègues et parvenir à une décision cohérente sur l’évaluation d’un candidat. Dans Akhtar c. Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2013 TDFP 19, une conclusion semblable a été tirée :

[...]

83 Ainsi, la décision du comité d’évaluation d’utiliser une notation établie par consensus pour les candidats, plutôt que de suivre la recommandation de la CFP, ne signifie pas en soi que les outils d’évaluation étaient contraires à l’équité ou qu’il y a eu abus de pouvoir. (Voir, par exemple, la décision Sproule c. le sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2011 TDFP 34 (CanLII), 2011 TDFP 0034, para. 33.) De plus, le RI confirme qu’il y a eu consensus sur l’évaluation des candidats. Par conséquent, en l’espèce, les éléments de preuve n’établissent pas qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’utilisation par le comité d’évaluation d’une méthode fondée sur le consensus pour évaluer les candidats.

[...]

 

[42] Lorsqu’il gère un processus de nomination, le paragraphe 36(1) de la LEFP permet à un gestionnaire d’embauche d’utiliser la méthode d’évaluation qu’il juge appropriée pour déterminer qu’une personne possède les qualifications requises. Le paragraphe se lit comme suit :

36 (1) […] la Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation — notamment la prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues — qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

36 (1) In making an appointment, the Commission may … use any assessment method, such as a review of past performance and accomplishments, interviews and examinations, that it considers appropriate to determine whether a person meets the qualifications referred to in paragraph 30(2)(a) and subparagraph 30(2)(b)(i).

 

[43] Le plaignant a soutenu que le comité de sélection aurait dû tenir compte de tous les renseignements dont il disposait, y compris le curriculum vitae, la lettre d’accompagnement et les réponses aux questions d’auto-évaluation. Il s’est appuyé sur Brookfield. Dans cette affaire, le plaignant avait joint un document distinct à sa candidature, mais le comité de sélection ne l’avait pas intégré dans son évaluation de sa candidature, et celle-ci a été rejetée à l’étape de la présélection au motif que son expérience en matière de contentieux n’avait pas été établie. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Bien qu’une lettre d’accompagnement ait été demandée dans le présent cas, le comité de sélection s’en est servi pour évaluer la compétence « Valeurs et éthique », tel qu’indiqué dans l’annonce de possibilité d’emploi. Même si l’annonce demandait qu’un curriculum vitae soit soumis, le comité de sélection ne l’a pas utilisé dans l’évaluation des candidats en ce qui a trait aux qualifications essentielles. Le témoignage de M. Halliday, qui est étayé par la preuve documentaire, a indiqué que les questions visant à évaluer les qualifications demandaient spécifiquement aux candidats de fournir [traduction] « [...] des EXEMPLES et des DÉTAILS clairs et concrets, y compris QUAND, OÙ et COMMENT vous avez acquis l’expérience ».

[44] De plus, dans Brookfield, un coplaignant a déclaré qu’un système de cotation était nécessaire, car il aurait amélioré la transparence (au par. 53), ce avec quoi le plaignant était d’accord. Le TDFP a toutefois conclu qu’il n’y avait aucune obligation pour le comité de sélection d’avoir un tel système de cotation. Je suis d’accord avec cette conclusion. L’article 36 de la LEFP stipule que l’intimé peut utiliser n’importe quelle méthode d’évaluation pour évaluer les candidats. Dans le présent cas, pour la partie de l’évaluation relative à la présélection, le comité de sélection a attribué une note de passage ou d’échec en fonction du consensus et les notes ont été attribuées en fonction des réponses fournies par les candidats. M. Halliday a témoigné qu’il fallait des exemples concrets plutôt que des déclarations générales comme celles que le plaignant a fournies. Je conclus donc qu’il n’y avait rien de mal à utiliser la méthode d’évaluation « réussite ou échec ».

[45] Le plaignant, s’appuyant sur Payne, a soutenu que M. Halliday le connaissait et connaissait ses qualifications et qu’à ce titre, M. Halliday aurait dû utiliser ces connaissances lorsqu’il a évalué sa candidature. Encore une fois, les circonstances de Payne diffèrent de celles du présent cas. Bien que le plaignant ait témoigné que M. Halliday le connaissait et qu’il aurait dû se servir du fait qu’il « savait pertinemment » ses qualifications, j’ai également entendu qu’il ne connaissait le plaignant que superficiellement et pas dans la mesure considérée dans Payne. Par conséquent, il n’y a aucune preuve indiquant que M. Halliday avait une connaissance personnelle de l’expérience du plaignant. Il incombe au candidat de démontrer clairement qu’il possède les qualifications essentielles.

[46] Enfin, le plaignant a allégué que, comme M. Halliday ne se souvenait pas du moment où la deuxième évaluation a été faite, à la suite du courriel qui corrigeait l’erreur, cela indiquait que le comité de sélection avait essayé de revenir sur sa décision initiale, afin de rendre la deuxième évaluation cohérente avec la première. M. Halliday a témoigné qu’il ne se rappelait pas quand la deuxième évaluation avait été faite, mais que le comité de sélection s’était réuni de nouveau pour évaluer toutes les demandes et qu’il était parvenu à un consensus. À mon avis, cela démontre que le comité de sélection s’est effectivement réuni et a évalué les candidatures. En fin de compte, les candidats devaient posséder les trois qualifications essentielles en matière d’expérience pour pouvoir participer au processus de nomination, et le plaignant n’a pas réussi à démontrer qu’il possédait deux des trois qualifications.

[47] Par conséquent, je conclus que le plaignant n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il l’a éliminé du processus de nomination.

[48] Le plaignant a soulevé des allégations de partialité contre l’intimé dans quatre cas.

[49] Le critère applicable pour déterminer s’il y a une crainte raisonnable de partialité en matière de dotation est le suivant, qui est une adaptation du critère énoncé dans Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978], 1 R.C.S. 369, à la p. 394 : « Si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’une ou plusieurs personnes chargées de l’évaluation, le Tribunal pourra conclure qu’il y a abus de pouvoir. » (voir Gignac et Denny c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29)

[50] De plus, dans Gignac, le Tribunal a déclaré au paragraphe 72 qu’« il ne suffit pas de soupçonner ou de supposer qu’il y a eu partialité, celle-ci doit être réelle, probable ou raisonnablement évidente ».

[51] Le plaignant a soutenu que la discussion qui a permis de déterminer que quelqu’un au sein du ministère serait mieux placé était une preuve de partialité à son encontre et en faveur de la personne nommée. Le plaignant n’a présenté aucune preuve à l’appui de son affirmation. Je suis d’avis qu’un observateur relativement informé ne percevrait pas de partialité, mais plutôt une discussion sérieuse sur les considérations pertinentes pour déterminer lequel des candidats qualifiés serait la meilleure personne pour le poste.

[52] Il a également soutenu que l’absence d’un guide de cotation l’avait désavantagé. J’ai discuté plus haut de la validité de l’absence d’un guide de cotation en ce qui concerne la présente affaire et j’ai conclu qu’il n’y avait rien de mal à cette méthode d’évaluation. De même, je suis d’avis que, compte tenu de ma conclusion, un observateur relativement informé ne considérerait pas l’absence d’un guide de cotation comme conduisant à une crainte raisonnable de partialité.

[53] Le plaignant a de plus soutenu que les membres du comité de sélection n’étaient pas indépendants dans leur décision d’évaluation puisqu’ils en étaient arrivés à un consensus. L’argument contre l’utilisation du consensus est également discuté ci-dessus et rejeté. Là encore, je suis d’avis que, compte tenu de ma conclusion, un observateur relativement informé ne considérerait pas que l’évaluation du plaignant fondée sur un consensus des membres du comité de sélection constitue une crainte raisonnable de partialité.

[54] Enfin, le plaignant a fait valoir que M. Halliday avait fait preuve de partialité à son endroit en refusant d’utiliser ses connaissances personnelles pour l’évaluer et que le comité de sélection avait refusé de le nommer parce qu’il était déjà au niveau.

[55] J’ai abordé ces questions ci-dessus. La preuve a établi que M. Halliday n’avait aucune connaissance personnelle directe du plaignant, contrairement à ce que ce dernier a laissé entendre. Le plaignant n’a présenté aucune preuve à l’appui de son allégation selon laquelle les membres du comité de sélection ont refusé de le nommer au poste parce qu’il était déjà au niveau. La preuve montre qu’il n’a pas démontré qu’il possédait les qualifications requises en matière d’expérience dans le questionnaire d’auto-évaluation. Là encore, je suis convaincu qu’un observateur relativement informé ne conclurait pas à une crainte raisonnable de partialité.

[56] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[57] La plainte est rejetée.

Le 26 mars 2024.

Traduction de la CRTESPF

Guy Grégoire,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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