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Date: 20240307

Dossier: 771-02-39402

 

Référence: 2024 CRTESPF 31

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la fonction

publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Jean Donovan

plaignante

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Donovan c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir déposée aux termes de l’alinéa 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour l’intimé : Patrick Turcot, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard, analyste principale

Affaire entendue à Sydney (Nouvelle-Écosse)

du 12 au 14 avril 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 21 novembre 2018, Jean Donovan (la « plaignante ») a présenté une plainte à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu de l’alinéa 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP).

[2] La plaignante a allégué que l’administrateur général du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (l’« intimé ») avait abusé de son pouvoir en choisissant un processus de nomination non annoncé pour nommer John Hollohan (la « personne nommée ») à un poste de gestionnaire de projet classifié au groupe et au niveau PM-05. Le numéro du processus de nomination était 2018-IMC-INA-28730. Une notification de candidature retenue a été publiée le 31 octobre 2018. L’avis de nomination a été publié le 6 novembre 2018.

[3] Le ministère de l’intimé est communément appelé Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Au moment où la plainte a été déposée, la plaignante et la personne nommée travaillaient toutes deux pour IRCC à son Centre de traitement des demandes à Sydney, en Nouvelle-Écosse (« CTD-Sydney »).

[4] La personne détenant le pouvoir délégué pour ce processus de nomination était RoseAnne Poirier, qui était alors la directrice du CTD-Sydney. Elle a été la seule témoin citée à témoigner par l’intimé.

[5] L’intimé a nié avoir abusé de son pouvoir dans le cadre du processus de nomination.

[6] La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas assisté à l’audience et a présenté des arguments écrits concernant ses politiques et ses lignes directrices applicables. Elle n’a adopté aucune position quant au bien‑fondé de la plainte.

[7] Pour les motifs qui suivent, la plainte est rejetée.

II. Questions procédurales

[8] Afin de fournir un cadre pour les motifs de ma décision, je commencerai par examiner plusieurs questions procédurales qui ont été soulevées avant le début de l’audience.

[9] À l’origine, la plainte devait être entendue en février 2020. L’audience a été reportée à la demande de la plaignante pour des raisons de santé.

[10] En novembre 2020, il a été demandé à la plaignante de confirmer sa disponibilité pour un report de l’audience au plus tard le 8 décembre 2020. Aucune réponse n’a été reçue. Le 24 janvier 2022, l’intimé a demandé une confirmation que la plaignante avait l’intention de poursuivre la plainte. En réponse, elle a demandé qu’une audience soit prévue pour l’automne 2022. Une audience a été prévue les 9 et 10 novembre 2022 par vidéoconférence. Le 3 octobre 2022, la plaignante a demandé un report de l’audience et une mesure d’adaptation pour que sa plainte soit entendue au moyen d’une audience en personne. La plupart de la correspondance avec elle a été faite par courrier et par messagerie, car elle n’avait pas d’adresse électronique personnelle fonctionnelle.

[11] Une conférence de gestion de cas (CGC) a eu lieu le 9 novembre 2022. Au cours de cette conférence, la Commission a discuté avec les parties des allégations qui avaient été formulées, de la recherche de la plaignante pour obtenir une représentation juridique et des attentes concernant une audience en personne si elle se représentait elle-même.

[12] À la CGC, les allégations que la plaignante avait formulées ont été résumées comme suit :

 

1. La plaignante a allégué un abus de pouvoir dans le choix de l’intimé d’un processus de nomination non annoncé alors qu’il existait un bassin valide. Elle a également allégué que d’autres candidats et candidates qualifiés n’ont pas été pris en considération.

 

2. La plaignante a allégué qu’il y avait un [traduction] « […] conflit de personnalités au sein du comité de sélection […] ».

 

3. La plaignante a allégué [traduction] « […] le favoritisme dans le choix de la personne nommée ».

 

[13] À la suite de la CGC, le greffe de la Commission a fourni à la plaignante des renseignements sur la façon de présenter une demande de modification de ses allégations, ainsi qu’une copie du Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique (DORS/2006-6; le « Règlement ») et du Guide de procédures pour les plaintes relatives à la dotation de la Commission. La Commission a fixé au 12 décembre 2022 la date limite pour que les parties lui fournissent une liste des témoins qu’elles avaient l’intention de citer à témoigner à l’audience.

[14] L’intimé a respecté la date limite fixée par la Commission, mais la plaignante ne l’a pas respectée. À la suite d’une deuxième demande de la Commission pour les renseignements requis, le 21 février 2023, elle a présenté un mémoire de 10 pages au sujet de sa plainte. Elle n’a pas présenté une demande visant à modifier ses allégations et n’a pas fourni non plus la liste des témoins qu’elle entendait citer à témoigner.

[15] Une deuxième CGC a été tenue le 8 mars 2023 pour discuter de la préparation de l’audience en personne, prévue du 12 au 14 avril 2023 à Sydney, en Nouvelle-Écosse. Lors de cet appel, la plaignante a déclaré qu’elle espérait confirmer cet après-midi-là qu’elle avait retenu les services d’un avocat pour la représenter.

[16] Le 13 mars 2022, moins d’un mois avant l’audience, la plaignante a signalé qu’elle se représenterait elle-même à l’audience. Elle a également présenté des demandes visant à modifier ses allégations et à obtenir une ordonnance de production de renseignements (la « demande d’OPR ») énumérant 23 éléments.

[17] Le 22 mars 2023, j’ai rendu une lettre de décision rejetant la demande d’OPR de la plaignante et sa demande de modification de ses allégations.

[18] En ce qui concerne la demande d’OPR, j’ai fait remarquer que l’intimé avait accepté de fournir à la plaignante des documents ou des renseignements liés à huit de ses 23 demandes. J’ai refusé de rendre une ordonnance pour produire les autres renseignements parce que la plaignante n’a fourni aucune explication quant à la raison pour laquelle les demandes étaient vraisemblablement pertinentes au regard du cas dont la Commission est saisie, ce qui est exigé par l’alinéa 17(2)d) du Règlement.

[19] La demande de modification des allégations de la plaignante comprenait quatre éléments. En premier lieu, elle a demandé à modifier son allégation selon laquelle il existait un conflit de personnalités au sein du comité de sélection afin d’y inclure une allégation selon laquelle l’intimé avait enfreint l’article 9 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP). Je l’ai rejetée, en faisant remarquer que l’article 9 de la LCDP interdit la discrimination par une organisation syndicale. L’intimé n’est pas une organisation syndicale.

[20] En deuxième lieu, elle souhaitait modifier l’allégation selon laquelle il existait un conflit de personnalités au sein du comité de sélection afin d’y inclure une allégation selon laquelle l’intimé avait enfreint l’article 147 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2; le « Code »). Je rejeté la demande, en faisant remarquer qu’une plainte selon laquelle l’intimé a enfreint le Code ne peut être déposée qu’en vertu de l’article 240 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) en ce qui concerne les articles 133 et 147 du Code, et non au moyen d’une plainte en matière de dotation présentée en vertu de la LEFP.

[21] En troisième et en quatrième lieu, la plaignante a demandé à modifier son allégation de conflit de personnalités pour y inclure une référence à l’article 10 de la LCDP et à ajouter une nouvelle allégation selon laquelle l’intimé avait fait preuve de discrimination à son égard fondée sur les caractéristiques génétiques, la déficience et le sexe.

[22] En rejetant la demande de la plaignante de modifier ses allégations, j’ai fait remarquer que le processus pour présenter une demande de modification de ses allégations avait été discuté à la CGC du 9 novembre 2022 et que des renseignements détaillés sur la façon de présenter une telle demande lui avaient été fournis. Pourtant, elle n’a fourni à la Commission aucune explication détaillée de la raison pour laquelle elle ne pouvait pas inclure les allégations de discrimination avec ses allégations initiales ou la raison pour laquelle ses allégations devraient être modifiées, comme l’exige l’alinéa 23(2)d) du Règlement. Elle a déclaré qu’elle avait reçu de nouveaux renseignements en février 2023 au moyen d’une demande d’accès à l’information (AIPRP). Toutefois, elle n’a fourni aucune explication à propos de ces renseignements, de la façon dont ils se rapportent au processus de nomination en litige ou de la façon dont ils ont donné lieu à ses demandes d’ajouter des allégations de discrimination.

[23] Le 30 mars 2023, la plaignante a présenté une autre demande d’OPR, demandant des renseignements sur la nomination intérimaire d’une autre personne nommée en 2022 à un poste de gestionnaire de projet PM-05. Le 4 avril 2023, j’ai rejeté la demande d’OPR de la plaignante parce qu’elle n’avait pas démontré la pertinence défendable entre le processus de nomination en question et une nomination subséquente à un poste semblable.

[24] Le 4 avril 2023, la plaignante a demandé à la Commission de remettre des assignations à deux témoins qu’elle souhaitait citer à témoigner, les deux étant des conseillers en ressources humaines auprès de l’intimé. Au début de l’audience, elle a dit qu’elle ne citerait aucun témoin autre qu’elle-même.

[25] Au début de l’audience, la plaignante a de nouveau déclaré qu’elle souhaitait présenter des éléments de preuve et des arguments alléguant que l’intimé avait fait preuve de discrimination à son égard dans le processus de nomination en litige. Lorsqu’elle a présenté cette demande, elle a fait référence au contenu d’un échange de courriels figurant dans son recueil de documents, qu’elle a dit avoir reçu en février 2023 au moyen d’une demande d’AIPRP.

[26] J’ai examiné l’échange de courriels qui a eu lieu entre le 27 et le 29 avril 2020. Il concernait une atteinte à la vie privée dans laquelle un courriel avait été envoyé au personnel qui travaillait à domicile pendant la pandémie de la COVID-19 d’une telle façon que certaines de leurs adresses électroniques personnelles ont été divulguées à d’autres employés. La plaignante avait déposé une plainte pour violation de la vie privée.

[27] L’un des courriels a été rédigé par Mme Poirier. Dans ce courriel, elle a expliqué ce qui suit aux dirigeants d’IRCC à Ottawa, en Ontario, au sujet de la plaignante : [traduction] « […] [elle] est bien connue de la direction et je suis disponible pour fournir des renseignements, au besoin. » Un autre dirigeant a ensuite écrit ce qui suit au sujet de la plaignante : [traduction] « L’employée en question est sur le radar de la direction locale depuis un certain temps et saisira toute occasion de soulever une question, aussi minime soit-elle. »

[28] Après avoir entendu les arguments des parties et examiné le document en question, j’ai réitéré ma décision (du 22 mars 2023) selon laquelle je n’entendrais aucun autre élément de preuve ou argument concernant une allégation de discrimination. Les courriels en question ont été échangés 17 mois après la nomination en litige et le dépôt de la présente plainte. Même si les courriels indiquent que la plaignante était connue de la direction locale et que la direction estimait qu’elle avait l’habitude de présenter des plaintes, il n’y a aucune indication dans les courriels que l’intimé faisait preuve de discrimination à son égard fondée sur des caractéristiques protégées par la LCDP. En outre, les courriels ne font aucune lumière sur la décision de l’intimé de recourir à un processus de nomination non annoncé pour nommer la personne nommée, ce qui est l’objet de la présente plainte. Ils portaient sur le sujet entièrement différent d’une atteinte à la vie privée parce qu’un courriel avait été envoyé des adresses électroniques personnelles.

[29] Par conséquent, j’ai ordonné que l’audience porte sur les trois allégations formulées à l’origine par la plaignante.

III. Éléments de preuve dont dispose la Commission

A. Pour la plaignante

[30] Voici les éléments de preuve présentés par la plaignante :

 

· la déclaration écrite de 10 pages qu’elle a fournie le 21 février 2023;

 

· un résumé écrit de son témoignage (et de ses arguments) à l’audience;

 

· son témoignage; en interrogatoire principal et en contre-interrogatoire;

 

· 10 documents qui ont été admis en tant que pièces.

 

[31] La plaignante a commencé à travailler au CTD-Sydney en 1992 au groupe et au niveau CR-02. Selon elle, la personne nommée a commencé à y travailler le même jour et aux mêmes groupe et niveau.

[32] La plaignante a occupé plusieurs postes différents au cours de sa carrière à IRCC, principalement au groupe et au niveau CR-03. Elle a témoigné qu’elle avait acquis une expérience intérimaire au sein du service des finances au groupe et au niveau CR-04. Elle a également acquis de l’expérience dans des postes classifiés aux groupes et aux niveaux PM-01 et AS-02, notamment en travaillant sur les politiques et les procédures et la mise en œuvre de nouvelles initiatives, l’installation de bureaux et d’ordinateurs, et la sécurité. Elle a dit qu’elle avait reçu de bonnes références et des encouragements pour assumer des rôles de niveaux plus élevés. Elle a dit qu’elle était [traduction] « […] probablement la seule personne au ministère qui peut faire avancer une demande de preuve ou une demande de subvention mineure dans l’immeuble ».

[33] La plaignante a témoigné qu’en 2010, elle avait présenté une candidature qui a été retenue dans un bassin aux fins d’un poste CR-05 et qu’elle avait ensuite occupé un poste par intérim à ce niveau pendant 3,5 ans. Elle a dit que lorsque ce poste a été reclassifié au groupe et au niveau PM-01, elle a dû postuler dans un autre bassin. Étant donné qu’elle n’a pas réussi la première partie du processus de nomination pour ce bassin, elle a dit qu’elle a été [traduction] « rétrogradée » à un poste CR-03.

[34] La plaignante a témoigné que plusieurs agents et gestionnaires des ressources humaines l’avaient informée qu’elle devrait postuler des postes annoncés si elle souhaitait obtenir une promotion. Elle a témoigné qu’on lui avait dit de ne pas s’attendre à être nommée dans le cadre d’un processus non annoncé, car IRCC préfère recourir aux processus annoncés. Elle a témoigné que l’intimé avait lancé un processus pour un bassin aux fins de postes au groupe et au niveau PM-05 dans le cadre d’un processus annoncé portant le numéro 2015-IMC-IA-22938. Elle n’a pas présenté sa candidature dans le cadre de ce processus de bassin. Elle n’a pas compris pourquoi l’intimé ne l’avait pas utilisé lorsqu’il a nommé la personne nommée au poste de gestionnaire de projet PM-05.

[35] Elle a également témoigné qu’elle rencontrait des membres du personnel des ressources humaines à IRCC chaque fois qu’un poste était doté dans le cadre d’un processus non annoncé, et qu’ils ne prenaient jamais des mesures d’adaptation à son égard. Elle a dit que ses gestionnaires et les agents des ressources humaines lui avaient dit que les employés doivent normalement présenter leur candidature dans le cadre d’un processus pour obtenir une promotion. Elle a fait référence à une liste de nominations, qui lui a été fournie par l’intimé, effectuées dans le cadre de processus non annoncés.

[36] Au moment où la plainte a été déposée, la plaignante était employée au groupe et au niveau CR-03.

[37] En faisant référence à des organigrammes qui démontraient que la personne nommée ne relevait pas de Mme Poirier avant sa nomination, la plaignante a témoigné qu’elle ne croyait pas que Mme Poirier aurait pu connaître suffisamment son travail pour l’évaluer aux fins du poste PM-05. En même temps, à l’appui de son argument selon lequel le favoritisme personnel a joué un rôle dans la nomination, elle a témoigné que le bureau de la personne nommée était à côté de celui de Mme Poirier et qu’ils ont assisté ensemble à de nombreuses réunions de l’équipe de direction.

[38] La plaignante a également témoigné qu’elle croyait que Mme Poirier avait choisi la personne nommée parce qu’elle souhaitait avoir une relation avec un homme plus jeune. Elle a également témoigné que la personne nommée avait été licenciée et avait embauché un avocat spécialisé en droit du travail et qu’en guise de règlement de ce différend, il avait reçu la nomination en litige.

[39] La plaignante a témoigné qu’après que l’intimé a affiché la notification de candidature retenue concernant la nomination de la personne nommée, elle a envoyé un courriel à Mme Poirier qui indiquait ceci : [traduction] « J’aimerais avoir une réunion pour discuter de la façon dont une personne pourrait être nommée à un niveau aussi élevé (PM-05) sans avoir à participer à processus de sélection? Je tiens à exprimer mon intérêt à être nommée également à un niveau plus élevé dans le cadre d’un processus non annoncé. »

[40] La plaignante a témoigné que, lors de la réunion de discussion informelle, Mme Poirier a déclaré qu’elle [traduction] « pouvait faire ce qu’elle voulait ». La plaignante a témoigné que la réunion l’avait bouleversée et qu’elle était en larmes.

[41] La plaignante a témoigné qu’en 2018, elle a été en congé de maladie pour une période de 8 à 12 semaines. En juin ou juillet 2019, elle a commencé un congé de maladie de longue durée. En décembre 2022, elle a pris sa retraite d’IRCC pour des raisons médicales.

B. Pour l’intimé

[42] En plus de citer Mme Poirier comme témoin, l’intimé a présenté un recueil de documents comprenant sept onglets, qui ont tous été admis en tant que pièces.

[43] Au moment du processus de nomination en question, Mme Poirier était la directrice du CTD-Sydney. Elle a témoigné qu’il s’agissait du plus grand centre de traitement d’IRCC, avec un effectif total de 800 à 1 000 employés. Au moment de l’audience, Mme Poirier était à la retraite depuis environ deux mois.

[44] Mme Poirier est l’auteure d’un courriel daté du 19 octobre 2018 qui expliquait le recours à un processus non annoncé pour nommer la personne nommée. Dans ce courriel, elle a expliqué que le poste de gestionnaire de projet avait pour but de prendre en charge les modifications apportées aux politiques et aux procédures et la mise en œuvre de nouvelles initiatives, afin que les gestionnaires opérationnels puissent se concentrer sur les responsabilités quotidiennes dans un environnement de production important. Elle a expliqué qu’elle avait besoin d’une personne ayant l’habitude de collaborer avec l’équipe de direction et ayant de l’expérience en finances, en locaux, en sécurité et en administration. Un « énoncé des critères de mérite » a été élaboré, en fonction de la description de travail créée pour le poste.

[45] Mme Poirier a évalué la personne nommée en fonction de l’énoncé des critères de mérite pour le poste. Elle a documenté que la personne nommée avait de l’expérience en tant que superviseur de la gestion du matériel au groupe et au niveau AS-04, en finances et en sécurité ainsi qu’en gestion des finances au groupe et au niveau FI-01. Elle a affirmé qu’au moment de la nomination, la personne nommée ne relevait pas d’elle, mais qu’elle offrait un soutien à l’équipe de direction dans le domaine de la gestion des finances et participait aux réunions bimensuelles de la direction. Elle a témoigné qu’elle avait également discuté avec le superviseur de la personne nommée à Ottawa avant d’achever l’évaluation. L’évaluation faisait état de la façon dont la personne nommée satisfaisait à chacune des 14 exigences du poste.

[46] Mme Poirier a affirmé qu’elle n’avait aucune relation avec la personne nommée à l’extérieur du travail. Contrairement à l’allégation de la plaignante, elle a nié que la nomination ait été effectuée en raison d’un favoritisme personnel. Elle a souligné que la personne nommée est plus âgée qu’elle. Elle a témoigné que la personne nommée n’avait pas été licenciée et qu’elle ne connaissait pas l’avocat spécialisé en droit du travail mentionné par la plaignante et a nié que la nomination ait été effectuée pour une raison autre que le mérite.

[47] Mme Poirier a également témoigné au sujet de la discussion informelle qu’elle a eue avec la plaignante à la suite de la publication de la notification de candidature retenue. Elle a nié avoir dit qu’elle pouvait faire ce qu’elle voulait. Elle a témoigné que la délégation de la dotation est très réglementée et que ses options de dotation étaient limitées à celles prévues par la loi et la politique ministérielle. À titre de directrice, son travail consistait à évaluer les besoins de l’organisation. Le CTD-Sydney est une organisation importante, comptant 800 personnes. C’est dans ce contexte qu’elle a choisi de procéder à une nomination non annoncée.

[48] Mme Poirier a témoigné qu’elle se rappelait que la plaignante avait été bouleversée et avait pleuré à la discussion informelle. Ce résultat n’était pas son intention; elle a dit qu’elle avait tenté de donner à la plaignante des renseignements clairs sur le processus et des renseignements sur la façon dont elle pourrait postuler des postes. Elle a témoigné que la plaignante avait qualifié les gestionnaires locaux qui siégeaient aux comités de sélection [traduction] d’« incompétents ». Elle a affirmé que puisque la plaignante avait pleuré, elle estimait qu’elle n’avait pas fait un bon travail dans le cadre de la discussion. Elle s’est souvenue avoir dit que la prochaine fois qu’elles auraient une conversation, elles devraient inviter un représentant syndical et un conseiller en ressources humaines.

[49] Mme Poirier a témoigné qu’au début de 2019, après quelques mois au poste de gestionnaire de programme PM-05, la personne nommée a été réaffectée pour doter un poste vacant, soit le poste de gestionnaire des opérations, afin de répondre à un besoin opérationnel urgent, mais qu’à ce titre, elle a continué d’exercer un certain nombre de fonctions du poste de gestionnaire de programme. Elle a témoigné que la personne nommée a pris sa retraite d’IRCC en 2021.

IV. Analyse et motifs

[50] Il est bien établi que dans une plainte déposée en vertu de l’article 77 de la LEFP, il incombe à la plaignante d’établir que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a effectué une nomination; voir Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, aux paragraphes 48 à 55. Il est également bien établi qu’une allégation d’abus de pouvoir est une question grave qui ne devrait pas être formulée à la légère; voir Portree c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14, aux paragraphes 47 et 50. Il faut plus que de simples omissions, erreurs ou comportements inappropriés pour établir qu’un abus de pouvoir a eu lieu; voir Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684, aux paragraphes 53 à 62 et 81.

[51] Comme l’a déclaré l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP) dans Portree, au paragraphe 50 :

50 L’employé doit comprendre qu’il ne suffit pas d’exposer ce que l’on considère comme une injustice. La plainte doit établir les faits sur lesquels le plaignant se base pour prouver le bien-fondé de sa cause devant le Tribunal. La présentation d’une plainte dépasse la simple allégation voulant que l’intimé a abusé de son pouvoir. Les allégations doivent porter sur des faits graves et présenter une chronologie des événements, les dates et heures, ainsi que les témoins, s’il y a lieu.

 

[52] Dans le présent cas, pour les motifs exposés dans les paragraphes qui suivent, la plaignante n’a pas établi que l’intimé a abusé de son pouvoir. Son allégation selon laquelle il l’a fait en choisissant un processus non annoncé ne constitue rien d’autre qu’un souhait qu’elle ait été prise en considération pour le poste. Son allégation selon laquelle il existait un conflit de personnalités au sein du comité de sélection n’était pas du tout fondée. Son allégation selon laquelle l’intimé a fait preuve de favoritisme personnel n’était pas du tout fondée non plus.

A. Le choix d’un processus non annoncé

[53] La plaignante a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi un processus non annoncé alors qu’il existait un bassin valide de candidats à partir duquel une nomination aurait pu être faite. Elle a allégué que d’autres candidats et candidates qualifiés n’ont pas été pris en considération.

[54] Toutefois, l’article 33 de la LEFP énonce que la CFP (et donc la personne à qui le pouvoir de dotation est délégué) peut avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé. Le choix de recourir à un processus non annoncé ne constitue pas en soi un abus de pouvoir; voir Robbins c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 17, aux paragraphes 36 et 41. En vertu du paragraphe 30(4) de la LEFP, rien n’oblige la CFP, ou la personne qui détient son pouvoir délégué en vertu du paragraphe 15(1) de la LEFP, comme l’administrateur général dans le présent cas, à prendre en considération plus d’une personne pour procéder à une nomination fondée sur le mérite. Les fonctionnaires n’ont pas un droit d’accès garanti à chaque nomination qui pourrait survenir, et le fait que d’autres personnes puissent être qualifiées ne permet pas d’établir qu’un intimé a abusé de son pouvoir; voir Thompson c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2017 CRTEFP 22, au paragraphe 54.

[55] Le témoignage de la plaignante sur le recours du ministère aux processus annoncés et non annoncés était contradictoire. D’une part, elle a témoigné qu’elle avait été informée que si elle voulait avancer, elle devait présenter une candidature et se qualifier dans le cadre d’un processus annoncé. Elle a soutenu que, puisqu’on le lui avait dit à maintes reprises, l’intimé aurait dû être cohérent et effectuer cette nomination dans le cadre d’un processus annoncé. D’autre part, elle a présenté et mentionné une liste de nominations non annoncées effectuées par l’intimé et a soutenu que l’intimé avait modifié son approche en matière de dotation pour répondre à ses besoins.

[56] La plaignante ne comprend pas que le pouvoir discrétionnaire de choisir un processus plutôt qu’un autre est précisément ce qui est permis en vertu de la LEFP.

[57] La plaignante a invoqué Hunter c. Sous-ministre de l’Industrie, 2019 CRTESPF 83, à l’appui de son allégation selon laquelle l’intimé avait abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi de recourir à un processus non annoncé, ainsi que de son argument selon lequel il avait fait preuve de favoritisme personnel envers la personne nommée. À ma connaissance, Hunter est l’un des rares cas dans lesquels la Commission et ses prédécesseurs ont conclu qu’une plainte au sujet du choix du processus était fondée.

[58] Toutefois, les paragraphes de la décision cités par la plaignante (les par. 99 à 101) étaient un résumé des arguments du plaignant, et non la décision de la Commission.

[59] Dans Hunter, la Commission a conclu que le choix de l’intimé de recourir à un processus non annoncé manquait de transparence, était mal documenté et comportait de graves omissions et erreurs, ce qui équivalait à de la mauvaise foi (voir les par. 89 à 91).

[60] Dans le présent cas, la plaignante n’a présenté aucun fait ou argument susceptible de mener à la conclusion que le processus de nomination était en quelque sorte semblable à celui qui a été tenu dans Hunter.

[61] Le témoignage de Mme Poirier l’a rendu plus évident. Elle a témoigné que l’énoncé des critères de mérite utilisé aux fins du poste PM-05 de 2015 ne tenait pas compte des besoins requis pour le poste de gestionnaire de projet PM-05. Par conséquent, elle n’a pas choisi d’utiliser ce bassin pour doter le poste. Elle a élaboré des critères de mérite applicables aux exigences du poste et a déterminé qu’une évaluation narrative par rapport à ces critères constituait la méthode d’évaluation appropriée. Elle a procédé à cette évaluation. Elle a choisi de recourir à un processus non annoncé pour effectuer la nomination et a conclu que la personne nommée satisfaisait à toutes les qualifications établies pour le poste. Ses documents étaient clairs, complets et opportuns.

[62] La plaignante a également cité Marin-Lazarescu c. Président de Services partagés Canada, 2020 CRTESPF 52, à l’appui de son allégation selon laquelle le recours à un processus non annoncé constituait un abus de pouvoir. Encore une fois, les paragraphes qu’elle a cités (les par. 77 à 89) provenaient du résumé de la Commission des arguments de la plaignante. Les paragraphes pertinents de la décision de la Commission (les par. 106 à 123) renforcent le pouvoir discrétionnaire de l’intimé de recourir à un processus non annoncé. La plainte dans Marin-Lazarescu a été rejetée, et les motifs de cette décision de la Commission appuient les arguments de l’intimé dans le présent cas.

[63] La plaignante a cité Cameron c. Administrateur général de Service Canada, 2008 TDFP 16, comme un autre cas dans lequel la Commission ou ses prédécesseurs ont conclu à l’existence d’un abus de pouvoir dans le recours à un processus non annoncé. Toutefois, dans ce cas, le TDFP a conclu que les circonstances relatives à la nomination en litige étaient « inexplicables et même incompréhensibles »; voir le paragraphe 71. Je ne considère pas que les actions de l’intimé dans la présente plainte soient inexplicables ou incompréhensibles. Quoi qu’il en soit, comme l’a souligné l’intimé, la réparation que le TDFP avait ordonnée dans Cameron a été annulée en grande partie dans le cadre d’un contrôle judiciaire (voir Canada (Procureur général) c. Cameron, 2009 CF 618).

[64] J’ai fait remarquer que le processus décisionnel de l’intimé pour cette nomination était clairement décrit dans sa réponse aux allégations de la plaignante, qui a été présentée à la Commission le 4 février 2019. Le témoignage et les documents de Mme Poirier ont ajouté des détails aux renseignements de base, mais après réflexion, j’ai conclu que son témoignage n’était pas nécessaire pour conclure que cette allégation n’était pas fondée. Selon les arguments de la plaignante, elle était tout simplement contrariée par le fait de ne pas avoir été prise en considération pour la possibilité. Elle n’a pas démontré que l’intimé avait abusé de son pouvoir.

B. Un conflit de personnalités au sein du comité de sélection

[65] La plaignante a allégué qu’il y avait un conflit de personnalités au sein du comité de sélection. Toutefois, ni son allégation, ni ses éléments de preuve, ni ses arguments n’ont indiqué exactement ce qu’elle entendait par cela.

[66] Rien dans les éléments de preuve n’indique que Mme Poirier ait même pris en considération la plaignante pour le poste PM-05 avant que la nomination ne soit faite. Il s’agissait d’un processus non annoncé dans un milieu de travail comptant environ 800 employés. La plaignante était une CR-03 qui pouvait ou non avoir eu une certaine expérience pertinente au poste, mais elle n’a pas été prise en considération. Elle avait une certaine expérience à occuper des postes intérimaires à un niveau plus élevé que celui de son poste d’attache, mais, de son propre aveu, elle n’avait pas présenté sa candidature aux fins du bassin PM-05 de 2015. Rien dans les éléments de preuve n’indique qu’elle avait informé la direction locale qu’elle souhaitait occuper un tel poste. De son propre aveu, vers environ 2014 ou 2015, elle avait été jugée non qualifiée pour un bassin PM-01. Il n’est tout simplement pas logique, compte tenu de ces faits, de s’attendre à ce qu’elle soit activement prise en considération en vue d’une nomination au groupe et au niveau PM-05.

[67] Il n’est pas clair comment un conflit de personnalités allégué entre la plaignante et Mme Poirier aurait pu influencer Mme Poirier en sa défaveur, alors qu’il n’y avait aucune indication que la plaignante était prise en considération pour le poste.

[68] Après que l’intimé a publié la notification de candidature retenue aux fins de cette nomination (le 31 octobre 2018), la plaignante a demandé une discussion informelle, qui lui a été accordée. Selon les deux témoignages, ce fut une réunion difficile, durant laquelle la plaignante a pleuré. Toutefois, cela ne constitue pas une preuve d’un conflit de personnalités. En outre, la réunion a eu lieu après que la décision de procéder au moyen d’un processus non annoncé a été prise.

[69] La plaignante a fait valoir que les courriels échangés en avril 2020 à la suite de l’atteinte à la vie privée constituaient la preuve que l’intimé avait un parti pris contre elle. D’après elle, il était clair, selon ces courriels, qu’elle était sur le radar de la direction locale. Toutefois, comme je l’ai déjà fait remarquer, ces courriels ont été échangés 17 mois après la nomination en litige et le dépôt de la présente plainte. Rien dans les éléments de preuve n’indique que la direction locale ait formulé une opinion à l’égard de la plaignante avant la nomination en litige et aucun élément de preuve quelconque indique qu’une telle opinion ait été prise en compte dans la décision de nommer la personne nommée. Encore une fois, la plaignante n’a pas été prise en considération pour le poste.

[70] La plaignante a cité la décision de la Commission dans Ghafari c. Administrateur général (Statistique Canada), 2022 CRTESPF 77, au paragraphe 66, et a soutenu que la définition d’abus de pouvoir dans la LEFP peut inclure d’autres formes de comportement inapproprié, comme les courriels qui laissent entendre qu’elle était connue de la direction locale. Je conviens que des comportements inappropriés pourraient donner lieu à une plainte fondée. Toutefois, la Commission a rejeté la plainte dans Ghafari, estimant que le plaignant ne disposait pas des éléments de preuve nécessaires pour établir que l’intimé avait abusé de son pouvoir (confirmé dans Ghafari v. Canada (Attorney General), 2023 FCA 206). De même, dans le présent cas, la plaignante n’a présenté aucun élément de preuve nécessaire pour étayer son argument selon lequel l’intimé a abusé de son pouvoir.

C. Favoritisme personnel

[71] La plaignante a allégué que Mme Poirier avait fait preuve de favoritisme personnel à l’égard de la personne nommée. Elle a soutenu que, puisque la personne nommée ne relevait pas de Mme Poirier avant la nomination, Mme Poirier n’aurait pas pu l’évaluer correctement aux fins du poste. Elle a également soutenu que, puisque leurs bureaux étaient proches l’un de l’autre, que la personne nommée avait participé à l’approbation des préparatifs de voyage de Mme Poirier et qu’elles avaient participé toutes deux à des réunions de la direction, il existait un favoritisme personnel.

[72] La plaignante a cité Hunter en tant que jurisprudence, mais, une fois de plus, elle a cité les paragraphes qui résumaient les arguments formulés par ce plaignant. En fait, dans Hunter, la Commission a rejeté l’allégation de favoritisme personnel. Au paragraphe 112, la Commission a souligné expressément la contradiction entre l’argument d’un plaignant selon lequel un gestionnaire responsable de l’embauche ne pouvait pas évaluer un employé qui ne relevait pas de lui (parce qu’il ne pouvait pas connaître son travail) et l’allégation selon laquelle un gestionnaire responsable de l’embauche avait fait preuve de favoritisme personnel (parce qu’il connaissait trop bien la personne nommée). Dans le présent cas, la plaignante présente le même argument.

[73] Comme il est indiqué clairement au paragraphe 39 de Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 7, la loi souligne qu’il doit y avoir favoritisme personnel pour démontrer un abus de pouvoir :

39 De plus, l’expression « il est entendu » au début du paragraphe 2(4) est employé pour une raison. En effet, le législateur fait précisément référence à la mauvaise foi et au favoritisme personnel pour s’assurer que nul ne conteste le fait que ces formes d’inconduite constituent un abus de pouvoir. Il convient de noter que le mot « favoritisme » est qualifié par l’adjectif « personnel », ce qui met en évidence l’intention du législateur de faire en sorte que les deux mots soient lus ensemble, et que c’est le favoritisme personnel, non pas tout autre type de favoritisme, qui constitue un abus de pouvoir.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[74] Le témoignage de la plaignante (et son contre-interrogatoire de Mme Poirier) au sujet de l’emplacement du bureau de la personne nommée par rapport à celui de Mme Poirier n’était franchement pas pertinent à la question de savoir s’il y avait eu favoritisme personnel. Même si la proximité du bureau permettait d’établir un favoritisme personnel, après que la personne nommée a commencé à occuper le poste PM-05, elle a été relocalisée dans un autre bâtiment éloigné de celui où Mme Poirier travaillait.

[75] L’allégation de la plaignante selon laquelle la personne nommée avait été retirée ou licenciée de son poste FI-01, avait un avocat qui la représentait et avait reçu la nomination au poste PM-05 dans le cadre d’un règlement n’est étayée par aucun fait présenté à la Commission.

[76] Selon l’allégation la plus grave de la plaignante, Mme Poirier avait effectué la nomination parce qu’elle souhaitait avoir une relation avec un homme plus jeune. Il s’agit d’une allégation grave parce que l’existence d’un favoritisme personnel peut constituer un abus de pouvoir.

[77] En même temps, de telles allégations ne sont pas sans incidence sur les personnes qui en sont les sujets, c'est-ç-dire, dans le présent cas, la personne nommée et Mme Poirier en tant que gestionnaire responsable de l’embauche et directrice du CTD-Sydney.

[78] Cette allégation de la plaignante n’était pas du tout étayée. Aucun élément de preuve quelconque n’a été présenté pour étayer cette allégation. Au mieux, l’allégation ne représente rien de plus que des commérages de bureau, qui semblent avoir été initiés par la plaignante elle-même. J’ai hésité à même signaler l’allégation en détail à raison du préjudice que cela pourrait causer. Je salue Mme Poirier pour avoir calmement nié l’allégation et avoir eu la patience et le courage de souligner que la personne nommée est plus âgée qu’elle.

[79] Dans les mains d’un plaignant plus habile dans sa représentation de lui-même, j’aurais peut-être déclaré cette allégation vexatoire. En fin de compte, je crois que la plaignante n’a pas bien compris la gravité de la présentation de ces allégations lors d’une audience publique. Quoi qu’il en soit, je conclus que cette allégation n’est pas du tout fondée.

D. Observations finales

[80] J’ai conclu que la plaignante n’a pas réussi à établir que l’intimé avait abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi de recourir à un processus de nomination non annoncé pour effectuer la nomination en litige. J’ai conclu que les allégations de conflit de personnalités dans le processus de nomination et de favoritisme personnel ne sont pas du tout étayées par des éléments de preuve. Par conséquent, la plainte est rejetée.

[81] De plus, je tiens à faire quelques observations finales.

[82] La plaignante s’est représentée elle-même dans le présent cas et la Commission a entrepris un arbitrage actif. Deux longs appels de CGC ont été organisés pour préparer l’audience. La Commission a pris des mesures pour s’assurer que son greffe donne à la plaignante accès au Règlement et au Guide de procédures pour les plaintes relatives à la dotation de la Commission. Elle a eu accès aux formulaires nécessaires pour présenter une demande d’OPR et pour demander une modification de ses allégations. Des documents lui ont été envoyés par la poste ou par messagerie, qui auraient normalement été envoyés par courriel ou par un lien vers le site Web de la Commission. La Commission a accordé sa demande d’une audience en personne.

[83] Malgré toute cette aide, la plaignante a rarement respecté les délais fixés par la Commission. Les documents qu’elle a préparés pour l’audience étaient très difficiles à consulter.

[84] Je conclus que le fond de cette plainte est axé sur une question que la plaignante a posée au cours du contre-interrogatoire de Mme Poirier : [traduction] « Pourquoi ne m’avez-vous pas choisie pour ce poste? » Il s’agit là de la raison d’être de la plainte. La plaignante estimait qu’il était injuste que la personne nommée – qui avait commencé à travailler à IRCC le même jour et au même niveau qu’elle – ait reçu une promotion à un poste de niveau plus élevé, alors qu’elle n’avait pas reçu une telle promotion.

[85] Il s’agit peut-être d’une raison parfaitement valable de présenter une plainte, mais il ne s’agit pas d’une raison suffisante pour poursuivre une plainte jusqu’à une audience, en l’absence de tout élément de preuve fiable qu’il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination.

[86] Avec le recul, je pense qu’il aurait été préférable d’utiliser les ressources de tous en adoptant une approche différente de celle d’une audience en personne. Plus particulièrement, cette question aurait pu être tranchée de façon plus appropriée sur la base d’arguments écrits en vertu de l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), qui autorise la Commission à trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience. Je décrirai brièvement comment cela aurait pu se dérouler.

[87] Une fois qu’une notification de candidature retenue est publiée, la LEFP et le Règlement établissent un processus par lequel un employé peut demander une discussion informelle, afin de pouvoir poser des questions avant de déposer une plainte. Une fois qu’une plainte est déposée, il faut échanger des renseignements bien avant que des allégations détaillées ne soient formulées.

[88] Les plaintes doivent être composées de plus que des allégations non fondées formulées en fonction d’hypothèses ou de perceptions. Comme cela est précisé clairement au paragraphe 22(2) du Règlement, les allégations d’un plaignant doivent comporter « […] d) une description détaillée des allégations sur lesquelles le plaignant entend se fonder et un exposé complet des faits pertinents […] ».

[89] Une fois que le plaignant a présenté des allégations détaillées, l’intimé et la CFP ont tous les deux la possibilité de fournir une réponse. Après le dépôt de ces réponses, la plainte attend d’être mise au rôle aux fins d’une audience. Dans la présente plainte, la réponse de l’administrateur général était rigoureuse et exhaustive.

[90] Après réflexion, dans le présent cas, il aurait été approprié d’exiger que la plaignante réponde à la réponse de l’administrateur général et de l’inviter à démontrer qu’elle avait une cause défendable. En fait, la plaignante a présenté des arguments écrits supplémentaires au sujet de sa plainte, sous la forme de son mémoire de 10 pages du 21 février 2023, fourni en réponse à la demande de la Commission de renseignements sur les témoins que la plaignante avait l’intention de citer à témoigner. Le mémoire ne répondait pas à cette demande, mais il n’a pas établi non plus que la plaignante disposait d’éléments de preuve à l’appui de ses allégations. À l’étape de la réception de son mémoire, j’ai décidé que la meilleure façon de procéder était de tenir une audience en personne. Une demande ciblée pour les arguments écrits de la plaignante l’invitant à fournir des renseignements supplémentaires sur ses allégations et les faits pertinents qu’elle entendait invoquer, présentés à un stade précoce de la procédure, aurait pu permettre à la Commission de trancher la plainte sans tenir d’audience.

[91] Les décisions de la Commission sur les plaintes en matière de dotation sont rendues selon la prépondérance des probabilités, après un examen minutieux des éléments de preuve. Dans le présent cas, aucun des éléments de preuve ou des arguments fournis par la plaignante ne donne lieu à une conclusion factuelle selon laquelle sa plainte devrait être accueillie.

[92] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[93] La plainte est rejetée.

Le 7 mars 2024.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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