Décisions de la CRTESPF

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Résumé :

En 2019, le Service correctionnel du Canada (l’« intimé ») a procédé à un processus de nomination externe pour combler un poste de consultant(e) principal(e) en gestion des conflits et en valeurs et éthique qui a eu pour résultat la nomination externe de la personne nommée pour une période déterminée – l’intimé avait soumis la personne nommée à une évaluation, qui a consisté en un examen écrit, un examen oral qui incluait un jeu de rôle, une entrevue et une évaluation juxtaposée remplie par la personne nommée – aucune plainte n’avait alors été déposée pour contester cette nomination – l’intimé a ensuite mené un processus interne de nomination non annoncé – au moment de procéder à la nomination interne de la personne nommée pour le même poste, mais pour une durée indéterminée, l’intimé a choisi de recourir aux mêmes outils d’évaluation que pour la nomination précédente – la plaignante a déposé une plainte auprès de la Commission – la plaignante a fait valoir que la personne nommée ne satisfaisait pas à la qualification essentielle liée aux études de posséder un minimum de 75 heures de formation en gestion de conflit / mode alternatif de gestion des conflits / médiation auprès d’un établissement reconnu – la personne nommée avait suivi deux formations en relations humaines de 36 heures chacune qui n’avaient qu’une composante en gestion de conflits, et non pas 36 heures consacrées uniquement à la gestion des conflits – la personne nommée avait aussi suivi une formation de médiation de six jours à raison de six heures par jour, pour un total de 36 heures – ces formations ne satisfaisaient pas au minimum de 75 heures – la Commission a conclu que l’intimé avait abusé de son pouvoir en acceptant comme équivalente une formation autre que celle spécifiquement demandée – la plaignante a soutenu que la personne nommée ne satisfaisait pas à la qualification essentielle d’expérience consistant à donner de l’assistance aux employés et aux gestionnaires dans le traitement de questions sensibles et complexes – la Commission a conclu que l’expérience de la dyade employé-gestionnaire exigée était différente de l’expérience de la dyade élève-professeur dans le milieu scolaire que possédait la personne nommée – néanmoins, la personne nommée avait maintenant occupé le poste depuis plus d’un an, et il était plausible de croire qu’elle aurait acquis l’expérience de la dyade employé-gestionnaire – cependant, l’intimé n’en a pas fait la preuve – puisque la qualification essentielle spécifiait l’assistance aux employés et aux gestionnaires, l’intimé a abusé de son pouvoir en concluant à l’équivalence entre la dyade employé-gestionnaire et la dyade élève-professeur dans le milieu scolaire – la plaignante a soutenu que le gestionnaire délégué ne possédait pas les connaissances nécessaires pour bien évaluer cette qualification essentielle, ce que la Commission a rejeté – la plaignante a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans le choix du processus – selon elle, le gestionnaire délégué ne voulait pas être retardé par des processus administratifs longs et fastidieux que constituent les processus de nomination annoncés et il n’y avait aucun motif d’urgence – la Commission a retenu de la justification de l’intimé que la personne nommée occupait le poste, qu’elle faisait du bon travail et que ce poste était critique – la preuve n’a démontré aucun impératif opérationnel, ni aucune menace organisationnelle pesant sur l’organisation si le poste n’était pas comblé rapidement et de façon indéterminée – la complaisance de l’intimé à choisir un processus plus simple et plus rapide, comme c’était pratique courante chez l’intimé, était la justification réelle de ce choix – la Commission a conclu que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans le choix du processus – la plaignante a fait valoir que le gestionnaire délégué ne détenait pas le pouvoir requis pour signer la nomination de la personne nommée, ce que la Commission a rejeté puisque le gestionnaire délégué détenait le niveau de subdélégation requis – en cours d’audience, la plaignante a voulu ajouter une allégation de favoritisme personnel de la part de l’intimé en faveur de la personne nommée – la Commission a rejeté cette allégation, qui survenait trop tardivement dans le processus pour permettre à l’intimé de bien s’y opposer – la Commission a déclaré que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite et dans le choix du processus – la Commission a ordonné à l’intimé de procéder à la révocation de la nomination de la personne nommée – la Commission a recommandé à la Commission de la fonction publique de faire enquête auprès de l’intimé pour déterminer si le recours aux nominations occasionnelles sert de prétexte pour contourner la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13) en termes de dotation externe.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20240514

Dossier: 771-02-42901

 

Référence: 2024 CRTESPF 66

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l'emploi dans la

fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Christine Martin

plaignante

 

et

 

Administrateur général

(Service correctionnel du Canada)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Martin c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique

Devant : Guy Grégoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour l’intimé : David Perron, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Maude Bissonnette Trudeau, analyste principale

Affaire entendue par vidéoconférence

les 7 et 8 décembre 2023.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

[1] Le Service correctionnel du Canada (l’« intimé » ou SCC) a mené un processus interne de nomination non annoncé pour combler un poste de consultant(e) principal(e) en gestion des conflits et en valeurs et éthique (le « poste de consultant(e) principal(e) ») au groupe et au niveau AS-06 au sein de l’Administration régionale de l’Atlantique à Moncton, au Nouveau-Brunswick, au sein du Bureau de gestion des conflits (BGC). Ce processus portait le numéro 2021-PEN-INA-ATL-166978. Le 22 avril 2021, une notification de nomination ou de proposition de nomination a été affichée spécifiant : « Changement de la durée des fonctions de déterminée à indéterminée » de Manon Porelle (la « personne nommée »).

[2] Le 23 avril 2021, Christine Martin (la « plaignante ») a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). La plainte est fondée sur les alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « Loi »). La plaignante allègue un abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite et dans le choix du processus non annoncé. En cours d’audience, elle a ajouté une allégation de favoritisme personnel de la part de l’intimé en faveur de la personne nommée.

[3] Pour les motifs qui suivent, j’accueille la plainte et je conclus, sur la prépondérance de la preuve, que l’intimé a contrevenu à la Loi en abusant de son pouvoir dans l’évaluation de la personne nommée et dans le choix du processus.

[4] Il est à noter que la Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas assisté à l’audience, mais qu’elle a soumis son argumentation écrite, générale et spécifique, concernant la politique de nomination à la CFP.

[5] L’avis d’audience a été envoyé à toutes les parties, y compris la personne nommée, le 7 novembre 2023, mais cette dernière n’a pas participé à l’audience et n’a soumis aucun argument.

II. Résumé des faits

[6] La plaignante est détentrice d’une maîtrise en psychologie. Elle a débuté son emploi chez l’intimé en 2009, au début comme stagiaire, puis elle a progressé au sein de l’organisation jusqu’au poste de cheffe du département de psychologie au groupe et au niveau PS-04 à l’Établissement de Springhill, en Nouvelle-Écosse. Son poste relevait du Sous-commissariat régional de l’Atlantique au moment des faits pertinents, mais depuis, il relève de la section de la santé du SCC et relève désormais de l’administration centrale à Ottawa.

[7] La plaignante habite à Moncton, au Nouveau-Brunswick. La distance qui sépare Moncton de Springhill est d’environ 100 km ou une heure de route. Elle a affirmé avoir voyagé cette distance, aller-retour, depuis le début de son emploi et qu’elle cherchait à réorienter sa carrière dans le bureau régional de l’intimé à Moncton. Elle était prête à subir une perte de salaire pour travailler plus près de son domicile, d’où son intérêt pour le poste. Elle a affirmé croire qu’elle satisfaisait aux critères de mérite du poste, mais sinon, à tout le moins, elle aurait mérité d’être considérée et évaluée pour le poste.

[8] La plaignante est partie en congé le 1er mai 2021 et a démissionné du SCC en mai 2023. Bien que les raisons de son congé n’aient pas été spécifiées, le congé a débuté neuf jours après la nomination et huit jours après le dépôt de la plainte.

[9] La personne nommée a débuté auprès du SCC en octobre 2019 à titre d’employée occasionnelle. Le 12 décembre 2019, sous la signature de Roger Poirier agissant pour Brian Chase, alors sous-commissaire adjoint des Services intégrés, la personne nommée a reçu une offre d’emploi pour une durée déterminée du 12 décembre 2019 au 28 octobre 2020 au poste de consultant(e) principal(e). Il est ressorti de la preuve que Brian Chase avait initié le processus de nomination à titre de sous-commissaire adjoint, mais que c’était Roger Poirier qui l’avait conclu à titre intérimaire. Subséquemment, la personne nommée a reçu une nomination pour une durée indéterminée dans le même poste, nomination qui fait l’objet de la présente plainte.

[10] L’énoncé des critères de mérite pour le poste de consultant(e) principal(e) énumère les qualifications essentielles que doit posséder la candidate ou le candidat en termes d’études, d’expérience, de connaissances, d’habilités et de compétences clés. Certains atouts en termes d’autres études, d’autres expériences et de qualités personnelles sont également énumérées.

[11] Durant son témoignage, la plaignante a reconnu que la personne nommée satisfaisait à plusieurs des qualifications essentielles de l’énoncé des critères de mérite et qu’elle ne dénonçait que certaines évaluations de ceux-ci. Je n’ai pas l’intention de revenir sur ceux qu’elle concède; je m’attarderai plutôt sur les qualifications essentielles qui sont au cœur du litige et nécessaires pour l’analyse de la plainte.

[12] L’intimé a déposé en preuve un tableau intitulé « Évaluation juxtaposée du (de la) candidat(e) ». Le tableau est divisé en deux colonnes, celle de gauche identifie la qualification essentielle à évaluer et la colonne de droite constitue la réponse telle que formulée par la personne nommée pour expliquer comment elle satisfait à la qualification essentielle. Il a été admis en preuve que c’est la personne nommée elle-même qui a écrit les textes de la colonne de droite.

[13] En termes d’études, l’énoncé des critères de mérite présentait deux qualifications essentielles. La première qualification essentielle exige un diplôme universitaire dans l’une des diverses sciences énumérées, dont la psychologie. La personne nommée a inscrit [traduction] « Baccalauréat en psychologie (B.Ps.) 1998 de l’Université de Moncton »; [traduction] « Maîtrise en psychologie (M.A. (psychologie)) 2000 de l'Université de Moncton »; [traduction] « Permis d'exercer la psychologie au N.-B. (CPNB no 403) ».

[14] La seconde qualification essentielle exigée est la suivante : « Posséder un minimum de 75 heures de formation en gestion de conflit / modes alternatifs de gestion du conflit / médiation auprès d’un établissement reconnu. » La personne nommée a répondu à ce critère comme suit : [traduction] « Je suis également inscrite à une formation de 6 jours sur la médiation — A.C.E. Training (Addressing Conflict Effectively) à l’Université UNB au printemps 2020. ». La boîte de texte contenant cette réponse est située directement sous celle où la personne nommée a inscrit ses diplômes universitaires, et j’ai compris que le [traduction] « également » au début de sa réponse implique qu’en plus de ses études universitaires, elle était inscrite à un cours de gestion des conflits.

[15] La qualification essentielle d’expérience contestée est la suivante : « Une expérience récente* en donnant de l’assistance aux employés et aux gestionnaires lors du traitement de questions sensibles et complexes.** » Le premier astérisque indique ceci : « Récent est défini comme étant au cours des 5 dernières années. » Les deux astérisques indiquent ce qui suit : « Complexe est défini comme comportant de multiples parties, des questions sensibles, des conséquences financières, des questions concernant la santé mentale, etc. »

[16] La plaignante se représentait elle-même et lors de son témoignage, les faits et les arguments s’entremêlaient et l’intimé s’est opposé pour faire valoir que certains énoncés de la plaignante n’étaient pas de la preuve, mais plutôt une opinion ou un argument. De même que durant son argumentation, la plaignante a introduit des faits qui n’étaient pas établis en preuve. J’ai pris note de l’objection en reconnaissant que, pour les personnes peu habituées aux procédures quasi-judiciaires, la distinction entre la preuve, l’opinion et l’argumentation est parfois difficile. J’ai retenu l’objection de l’intimé et affirmé que je ferais la différence entre la preuve, les opinions et les arguments lors de mon analyse.

A. Pour la plaignante

[17] La plaignante a témoigné qu’elle surveillait de proche l’opportunité pour ce poste et qu’elle en avait discuté avec sa gestionnaire et avait envoyé un courriel à Brian Chase le 10 décembre 2019, de qui relevait le poste, pour lui exprimer son intérêt, mais que ce courriel est resté sans réponse.

[18] Durant son témoignage, la plaignante a affirmé avoir rencontré M. Poirier lors d’une formation en 2018 et de lui avoir exprimé son intérêt pour un poste à Moncton, bien que pas spécifiquement le poste dont il est question dans le présent cas. M. Poirier a affirmé ne pas se rappeler de cette rencontre, de ne pas l’avoir rencontré avant le dépôt de la présente plainte et d’ignorer l’intérêt exprimé par la plaignante. M. Poirier n’a jamais été le gestionnaire de la plaignante.

[19] Le lendemain de la publication de l’avis de nomination, la plaignante a exprimé son désir d’avoir une discussion informelle au sujet du poste, mais il n’y en a pas eu. L’intimé a fait valoir qu’il n’y avait pas de preuve de cette demande de discussion informelle puisqu’il n’y avait pas de courriel à cet effet. Il a soutenu que le courriel du 16 avril 2021 de la plaignante à Roger Poirier, sous-commissaire adjoint par intérim, qui concluait par la phrase [traduction] « Je voudrais contester ce processus non annoncé », ne constituait pas une demande en bonne et due forme pour une demande de discussion informelle.

[20] En cours d’audience, j’ai reconnu qu’il était possible que la demande pour une discussion informelle ait été floue. Toutefois, l’intimé, dans sa « Réponse de l’intimé aux allégations », qui est un courriel du 19 juillet 2021, l’auteure s’exprimant pour l’intimé a enlevé tout doute ou ambiguïté lorsqu’elle a écrit ce qui suit : « Bien que la plaignante a déposé une demande pour une discussion informelle le 16 avril 2021, l’intimé confirme que cette discussion n’a malheureusement pas eu lieu. » J’accepte donc le témoignage de la plaignante selon lequel elle a bel et bien fait une demande pour une discussion informelle, mais qu’elle n’a pu en bénéficier.

[21] La plaignante a fait valoir que la personne nommée a occupé le poste durant deux ans avant sa nomination pour une durée indéterminée, à titre occasionnel au début, puis pour une durée déterminée.

[22] La plaignante a affirmé que sa bonne performance au travail lui avait valu de bénéficier d’un plan de gestion des talents. Il s’agit d’un plan mis en place par l’administration en reconnaissance des bons talents à supporter dont bénéficiera l’organisation dans l’avenir. Il mène parfois à des affectations intérimaires et aide à la progression de carrière. La plaignante a affirmé que M. Poirier aurait pu y avoir accès s’il en avait fait la demande.

[23] La plaignante a affirmé que la personne nommée ne satisfaisait pas au critère d’études en ce qui a trait aux 75 heures de formation en gestion de conflit puisque, clairement, la personne nommée avait indiqué qu’elle était inscrite pour une formation de six jours au printemps 2020, soit après sa nomination.

[24] La plaignante a témoigné également que la personne nommée ne satisfaisait pas à la qualification essentielle d’expérience récente consistant à donner de l’assistance aux employés et aux gestionnaires lors du traitement de questions sensibles et complexes. Elle a affirmé, en s’appuyant sur la réponse fournie dans l’Évaluation juxtaposée du (de la) candidat(e), que son expérience vient du milieu scolaire et traitait des dyades élèves-professeurs ou élèves-parents alors que l’expérience demandée visait la dyade employés-gestionnaires. Elle a affirmé qu’il s’agit de deux groupes différents.

[25] La plaignante a fait remarquer que le document de l’Évaluation juxtaposée signé par M. Poirier n’est pas daté.

[26] La plaignante a affirmé que les postes à Moncton sont plus prisés que ceux de Springhill. Ces derniers sont plus difficiles à combler et une fois nommé dans un de ces postes, il est difficile d’en ressortir parce que l’organisation peine à trouver quelqu’un pour combler le poste laissé vacant. Elle a affirmé que la prison était devenue une véritable prison pour elle.

[27] Mme Breau est analyste principale au sein du BGC. Elle occupe le même poste que la personne nommée et que Mme Carroll, qui était la titulaire du poste à combler à son départ. Elle a témoigné avoir participé à l’entrevue d’évaluation de la personne nommée et que c’était Mme Carroll qui était la présidente du comité de sélection. Mme Breau a témoigné avoir révisé les réponses à l’examen et participé au jeu de rôle. Elle n’a pas participé à l’Évaluation juxtaposée du (de la) candidat(e). Elle a affirmé ne pas se souvenir du moment où Mme Carroll avait annoncé son départ du BGC. Elle a affirmé que c’est souvent la personne qui part qui doit trouver son remplaçant. Elle a également affirmé ignorer qui a communiqué avec la personne nommée pour le poste occasionnel.

[28] Mme Breau a témoigné qu’elle connaissait la personne nommée avant son arrivée au sein du SCC, qu’elles ont toutes deux des enfants du même âge et qu’elles s’étaient parlé dans le courant de l’été précédant son arrivée au SCC. Elle a déclaré cependant qu’elles n’étaient pas amies pour autant, qu’elles n’étaient que des connaissances. Elle savait que la personne nommée travaillait au privé et qu’elle se cherchait un poste au SCC. Mme Breau a témoigné ne pas savoir si Mme Carroll connaissait la personne nommée à l’extérieur. Elle a affirmé savoir que la personne nommée avait des discussions auprès du Service de santé du SCC, mais ne sait pas avec qui ni quand. Selon Mme Breau, la personne nommée était la seule personne considérée pour ce poste.

B. Pour l’intimé

[29] M. Poirier a été appelé à témoigner par les deux parties, et j’ai choisi de mettre son témoignage dans la section réservée à l’intimé puisque l’interrogatoire principal de la plaignante a pris la forme d’un contre-interrogatoire.

[30] M. Poirier est présentement sous-commissaire adjoint des Services intégrés pour la région de l’Atlantique pour l’intimé et compte 35 années de service au SCC. Il a affirmé avoir participé à une centaine de processus de nomination durant sa carrière et une quinzaine dans les derniers quatre ans. Il a témoigné avoir suivi de la formation sur la gestion des ressources humaines et aussi collaborer avec les Services des ressources humaines dans le cadre des processus de nomination.

[31] La plaignante a questionné M. Poirier sur la réponse de l’intimé à ses allégations, spécifiquement en rapport avec la phrase suivante : « Le contexte opérationnel au moment de la dotation du poste a justifié sa décision [celle de M. Poirier]. » Elle lui a demandé d’expliquer le sens de l’expression « contexte opérationnel » dans le présent contexte. M. Poirier a témoigné qu’il devait prendre en compte divers facteurs dont le lieu éloigné du poste, considérer les besoins en matière d’équité de l’emploi, viser à accroître l’inclusivité et respecter les principes généraux en matière de dotation. Dans le cas présent, il a affirmé que l’expérience de la personne nommée justifiait sa nomination. Il a ajouté que le Bureau de gestion des conflits avait besoin de stabilité. Il a précisé que ce bureau était responsable de la gestion des conflits entre les employés et les gestionnaires.

[32] M. Poirier a précisé que la titulaire du poste, Tammy Carroll, était partie en affectation durant un an et que c’est son départ définitif qui a créé la vacance permettant de doter le poste pour une durée indéterminée. Il a confirmé que la personne nommée occupait le poste de Mme Carroll durant son affectation. Il a affirmé qu’il ne savait pas si elle reviendrait à son poste après son affectation et c’est pourquoi il a nommé pour une période déterminée la personne nommée avant de la nommer pour une durée indéterminée.

[33] M. Poirier a affirmé qu’il avait mené plusieurs processus de nomination par le passé, mais que personne ne s’était manifesté. Son expérience lui a démontré qu’il y avait de grandes difficultés à recruter du personnel. Il a soutenu que pour des postes administratifs, la création de bassins de candidats préqualifiés fonctionne, mais qu’il en va autrement pour des postes nécessitant des qualifications plus spécialisées, comme dans le présent cas ou celui d’agents financiers principaux. Il a affirmé que le bureau régional de Moncton compte environ 300 employés.

[34] M. Poirier a renvoyé au document justifiant le choix du processus de nomination non annoncé intitulé « Articulation of Selection Decision » pour expliquer le choix du processus :

[Traduction]

Mme Porelle travaille avec le SCC depuis plus d'un an et a été en mesure de faire avancer le programme OCM grâce à de nouvelles initiatives/ateliers et en aidant les sites à améliorer le bien-être sur le lieu de travail. Ce poste est essentiel pour s'assurer que les responsabilités du SCC en matière de gestion des personnes sont respectées.

 

[35] M. Poirier a confirmé que le Bureau de gestion des conflits a payé la formation de médiation de six jours [traduction] « au printemps 2020 » de la personne nommée à laquelle elle fait référence dans l’Évaluation juxtaposée, dans le but de développer ses compétences personnelles. Il a témoigné que la formation a duré six heures par jour durant six jours. Il a affirmé que la personne nommée avait démontré qu’elle satisfaisait à la qualification essentielle de formation quant aux 75 heures de formation en gestion des conflits par l’énumération des cours qu’elle a suivi dans le cadre de ses études universitaires. Il a renvoyé particulièrement au cours PS 2800 — Relations humaines 1 que la personne nommée a décrit comme suit : « Stratégies et attitudes de communication favorisant la relation avec l’autre dont la conscience de soi et d’autrui, écoute, affirmation de soi, collaboration et résolution de conflits. » Elle y avait indiqué 36 heures de formation.

[36] M. Poirier a affirmé que la réponse proposée à l’« expérience récente* dans la conception et en dirigeant des sessions de formation et de sensibilisation dans un environnement d’apprentissage pour adultes », où elle démontre son expérience en facilitation à laquelle s’ajoutent les autres cours universitaires énumérés, permettait de satisfaire à la qualification essentielle exigée des 75 heures de formation en gestion des conflits.

[37] Dans l’Évaluation juxtaposée de la personne nommée, M. Poirier a reconnu que la réponse à l’« expérience récente* en donnant de l’assistance aux employés et aux gestionnaires lors du traitement de questions sensibles et complexes » proposée par la personne nommée ne démontre pas qu’elle satisfait à ce critère, mais il a rajouté qu’il avait pris en compte son curriculum vitae et aussi sa connaissance personnelle de la personne nommée. Il a témoigné avoir retenu la candidature de la personne nommée selon sa propre expérience personnelle pour répondre aux besoins opérationnels et de stabilité. Il a aussi affirmé, selon son expérience de la dotation et de celle de Mme Carroll, que les possibilités de dotation n’étaient pas bonnes. Il a reconnu qu’il ne se souvient pas qu’il y ait eu dans le passé un processus improductif à doter ce poste. Il avait aussi consulté Mme Breau, également consultante principale, pour confirmer que la personne nommée satisfaisait aux qualifications essentielles de l’énoncé des critères de mérite.

[38] M. Poirier a témoigné que les [traduction] « qualifications constituant un atout » ne sont pas obligatoires, mais qu’elles servent à choisir un candidat en particulier lorsqu’il y a plusieurs candidats qualifiés. Dans le présent cas, les atouts en matière d’études étaient une maîtrise en psychologie et un certificat en gestion de conflit. La personne nommée satisfaisait à deux des trois expériences nommées dans les atouts.

[39] M. Poirier a témoigné qu’avant 2019, il ne connaissait pas la personne nommée, mais que depuis sa nomination elle a fait avancer plusieurs dossiers. Elle avait été nommée à titre occasionnelle en octobre 2019 avant de voir son poste converti en une nomination à durée déterminée. M. Poirier a témoigné qu’il ne pouvait pas parler de népotisme, mais qu’il s’agissait d’une pratique courante chez l’intimé de nommer une personne à titre occasionnel avant de convertir ce poste en un poste à durée déterminée et indéterminé par la suite. Il a témoigné savoir que les postes occasionnels sont d’une durée de 90 jours et devraient servir pour combler des postes temporaires, voire de remplacement. Il a cité comme exemple des postes de nettoyeur. Il a affirmé que cette façon de faire est permise s’il y a un poste vacant et financé au sein de l’organisation; on pouvait dans ces circonstances transformer un poste occasionnel en un poste à durée indéterminée. Il a affirmé que cette façon de procéder permettait de doter des postes plus rapidement que de faire des processus longs de trois ou quatre mois sans peut-être obtenir de résultat.

[40] M. Poirier a témoigné qu’il n’y avait pas eu d’évaluation formelle lors du recrutement de la personne nommée dans le poste occasionnel, mais qu’il y en avait eu une lors de la nomination au poste pour une durée déterminée. Il a affirmé que l’énoncé des critères de mérite était le même pour le poste à durée déterminée que celui à durée indéterminée. Il n’y avait pas eu non plus de coupure de service entre le poste occasionnel et celui à durée déterminée. Il a affirmé que la nomination de la personne nommée au poste à durée déterminée constituait une nomination de l’externe.

[41] M. Poirier a répliqué qu’il ne voyait aucun inconvénient à nommer quelqu’un déjà au ministère, à l’extérieur de Moncton, comme dans le cas de la plaignante, à un poste de l’administration régionale, comme l’avait suggéré la plaignante.

[42] M. Poirier a affirmé ne pas avoir vu le courriel que la plaignante avait fait parvenir à son prédécesseur concernant son expression d’intérêt pour un poste à Moncton; il a affirmé recevoir 200 courriels par jour, alors il est possible qu’il ne l’ait pas vu.

[43] M. Poirier a renvoyé au courriel de la plaignante du 16 avril 2021 dans lequel elle exprimait sa déception à la vue de l’avis de nomination de la personne nommée et concluait en disant qu’elle voulait déposer un grief contre la nomination. Il a affirmé qu’après considération, son courriel du 20 avril 2021 n’était pas le bon choix de réponse. Il y avait écrit ce qui suit [traduction] : « Christine, Merci pour votre message. Votre curriculum vitae sera conservé pour toute opportunité future. Roger J Poirier CPA, CGA. »

[44] M. Poirier a affirmé qu’il ne connaissait pas la plaignante avant ce processus et n’avoir jamais communiqué avec ses supérieurs à son égard.

[45] M. Poirier a témoigné qu’au moment de procéder à la nomination de la personne nommée pour le poste à durée déterminée, cette dernière a été soumise à une évaluation de ses qualifications. Elle avait subi un examen écrit, une entrevue et avait rempli le formulaire de l’Évaluation juxtaposée. Les résultats qu’elle a obtenus dans le cadre du processus de nomination pour le poste à durée déterminée ont également servi pour son évaluation pour le poste à durée indéterminée. Il a affirmé qu’il possédait la subdélégation requise pour procéder à la nomination de la personne nommée.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

[46] La plaignante a soutenu qu’il y avait eu abus de pouvoir de la part de l’intimé dans l’évaluation de la personne nommée et aussi dans le choix du processus de nomination. Elle a aussi soutenu que la nomination est empreinte de favoritisme, de partialité et de mauvaise foi, en contravention des valeurs de la fonction publique canadienne.

[47] Dans le cadre de son argumentation, la plaignante a fait valoir que M. Poirier avait été aveuglé par la candidature de la personne nommée, du fait qu’elle se présente bien, qu’elle soit une personne connue dans la région et qu’il a accepté, à première vue, ses qualifications. Elle a soutenu que M. Poirier, à la lecture de l’Évaluation juxtaposée du (de la) candidat(e), aurait dû voir que la personne nommée ne satisfaisait pas à toutes les qualifications essentielles pour le poste. La plaignante a affirmé que l’expérience de la personne nommée émanait du milieu de l’éducation et que les dyades élèves-professeurs étaient très différentes des dyades employés-gestionnaires. Elle a soutenu que M. Poirier aurait dû le savoir et reconnaître qu’elles n’étaient pas équivalentes ou interchangeables.

[48] La plaignante a affirmé que M. Poirier n’avait pas les connaissances nécessaires pour valider et bien évaluer la personne nommée en regard des exigences requises dans le monde de la psychologie. Elle a avancé que le Collège des psychologues du Nouveau-Brunswick exige une formation particulière lorsqu’une ou un psychologue passe d’une clientèle à une autre.

[49] La plaignante a soutenu que le fait que la personne nommée ait occupé le poste durant deux ans a permis à la gestion de la préparer et que cela lui a permis d’acquérir les expériences pour satisfaire aux critères de mérite. Elle a fait valoir aussi que le fait qu’on lui ait refusé une discussion informelle démontre le manque de transparence de la part de la gestion.

[50] La plaignante a fait remarquer que le document de l’Évaluation juxtaposée signé par M. Poirier n’est pas daté et que cela constitue la démonstration de la pratique de laissez-faire et du manque de rigueur de la part de la gestion en rapport avec la gestion des ressources humaines. Elle se demande même si quelqu’un a lu l’évaluation de la personne nommée ou si on ne s’est fié qu’à la connaissance personnelle qu’avait M. Poirier de la personne nommée.

[51] La plaignante a soutenu que la personne nommée n’aurait pas dû accéder au poste en vertu de son statut d’employée occasionnelle et qu’il s’agit d’une contravention à l’article 50 de la Loi. Elle a affirmé que la personne nommée avait travaillé en continu, sans interruption de service, entre son emploi occasionnel et sa nomination à durée indéterminée.

[52] La plaignante a fait valoir que M. Poirier avait démontré qu’il était très occupé, qu’il n’aimait pas être retardé par des processus administratifs et que le processus de nomination constitue une barrière à la rapidité de doter un poste. Elle a fait valoir qu’il n’y avait aucun motif d’urgence qui pouvait justifier de procéder par processus non annoncé, puisque le départ de la titulaire du poste était prévisible et qu’il y avait amplement le temps de procéder à un processus de nomination annoncé et ainsi donner l’opportunité à toutes et tous d’exprimer leur intérêt. Elle a soutenu que le recours à un processus de nomination non annoncé, dans les circonstances, constitue la démonstration de favoritisme personnel de M. Poirier à l’égard de la personne nommée.

[53] La plaignante a soutenu que la justification du choix du processus nomination est empreinte de mauvaise foi et constitue une erreur grave de l’intimé, puisque la personne nommée était en poste depuis seulement un an et demi et qu’il n’y avait aucun risque pour la stabilité organisationnelle. Elle a affirmé que M. Poirier avait signé sa propre évaluation de la personne nommée et sa propre justification du choix du processus de nomination et qu’il n’avait d’ailleurs pas la subdélégation requise pour signer l’action de dotation. Il avait le niveau trois alors qu’il aurait dû avoir le niveau deux. Elle a invoqué Morris c. Le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2009 TDFP 9, au paragraphe 14, pour étayer son argument. Il y est écrit que l’instrument de délégation faisait partie de la preuve documentaire et que :

[14] […] La plaignante a déclaré que, selon ce document, les pouvoirs attribués à un sous-directeur d’établissement correspondaient au niveau de délégation 4, et qu’un délégataire de niveau 2 devait « [f]aire des nominations externes à la fonction publique selon des processus de nomination non annoncés ».

 

[54] Cela démontre un conflit d’intérêt de partialité du fait que M. Poirier ait approuvé sa propre demande sans avoir la délégation appropriée.

[55] La plaignante a fait valoir qu’aucun des motifs de justification du choix du processus invoqués dans Morris n’a été cité dans la justification du recours au processus non annoncé, et que cela démontre un abus de pouvoir. Entre autres, l’intimé n’a pas démontré ses tentatives infructueuses antérieures à doter le poste.

[56] La plaignante a soutenu qu’il s’agissait d’une pratique commune de l’intimé de faire des nominations externes non annoncées, et elle a affirmé que cela constituait un manque de transparence. Elle a fait valoir que M. Poirier lui-même avait recruté 15 personnes de cette façon au cours des quatre dernières années, parce que ce processus est plus simple; il simplifie le travail des gestionnaire et est moins fastidieux. La plaignante a soutenu que cette pratique ne respecte pas les principes de la fonction publique, qu’elle n’est ni transparente ni équitable.

[57] La plaignante a fait valoir que l’intimé doit chercher à développer le talent de ses employés en accord avec la Politique sur la gestion des personnes, section 4.1.23, intitulée « Rendement des employés, apprentissage et gestion des talents », pour optimiser les performances des organisations. Selon Morris, les nominations intérimaires devraient être l’exception.

[58] La plaignante a fait valoir que l’absence d’une discussion informelle est la représentation du manque de transparence de la gestion dans son processus de nomination et l’illustration de l’indifférence du gestionnaire. Elle a soutenu que de lui avoir refusé la discussion informelle et de ne pas avoir arrêté le processus de nomination pour une durée indéterminée lorsqu’elle a manifesté son intention de porter plainte démontre que le gestionnaire a agi pour son propre bénéfice.

[59] La plaignante a soutenu que l’intimé lui avait divulgué trois versions différentes de l’Évaluation juxtaposée du (de la) candidat(e), une signée par M. Chase, une autre signée par M. Poirier et une troisième non signée. Elle a fait valoir que cela illustre le manque de transparence de l’intimé, qui agit de la sorte pour confondre quiconque s’intéresse au processus de nomination. Ces trois versions sont le reflet d’un manque de clarté et de mauvaise foi. Il est à noter que la Commission n’a reçu que deux versions de ce document, l’une signée par M. Poirier et l’autre non signée, et que ni l’une ni l’autre n’était datée.

[60] Par ailleurs, la plaignante a soutenu que l’intimé s’était opposé à ce que Mme Breau vienne témoigner. La plaignante a prétendu que c’était pour maintenir une ligne de temps floue sur les événements. Elle a renforcé ce point en notant que M. Poirier et Mme Breau avaient des mémoires défaillantes et avaient affirmé à maintes reprises durant leur témoignage ne pas se souvenir d’événements lorsqu’ils avaient été interrogés par elle.

[61] La plaignante a fait valoir que, dans la réponse de l’intimé à ses allégations, l’intimé avait affirmé que la nomination de la personne nommée s’avérait être la meilleure option dans les circonstances. Elle a avancé que c’est la seule option que l’intimé a considérée.

[62] En réplique aux arguments de l’intimé, la plaignante a fait valoir que si l’intimé ne voulait pas que la Commission considère le processus de nomination de 2019, il n’aurait pas dû utiliser l’évaluation de 2019 pour la nomination de 2021. L’intimé aurait dû refaire l’évaluation de la personne nommée. D’ailleurs, elle a affirmé qu’il n’y avait pas eu de publication d’avis pour la nomination de 2019. Elle a affirmé que l’intimé cherchait à créer de la confusion dans la gestion de ce processus de nomination pour camoufler les valeurs de la fonction publique.

[63] La plaignante a soutenu que la partialité et l’absence de transparence n’ont été mentionnées que par après pour démontrer les caractéristiques d’abus de pouvoir. Elle a soutenu que l’intention n’est pas requise pour commettre un abus de pouvoir. Elle a affirmé qu’un pouvoir discrétionnaire ne donne pas le droit de ne pas respecter la Loi.

[64] La plaignante demande que sa plainte soit accueillie, que la Commission émette une déclaration d’abus de pouvoir et contraigne l’intimé à recourir à des processus de nominations annoncés, et elle demande la révocation de la nomination de la personne nommée.

B. Pour l’intimé

[65] L’intimé a fait valoir que la plainte ne visait que la nomination de la personne nommée pour le poste à durée indéterminée du 22 avril 2021. Il a affirmé qu’il n’y avait eu aucune plainte pour la nomination de la personne nommée au poste à durée déterminée survenue le 12 décembre 2019. Il s’est appuyé sur Canada (Procureur général) c. Cameron, 2009 CF 618, (aux par. 13 à 21) pour affirmer que je suis limité à la plainte contre la nomination qui est devant moi, et non les nominations antérieures.

[66] L’intimé a d’ailleurs fait valoir que la nomination de la personne nommée à son poste à durée déterminée était une nomination externe et portait le numéro 2019-PEN-ENA-ATL-159262. Le code ENA signifie « External Non Advertised ». Il a affirmé qu’il ne pouvait en être autrement puisque l’article 50(4) de la Loi spécifie qu’on ne peut pas nommer un employé occasionnel dans un processus de nomination interne. Pour soutenir l’argument selon lequel la nomination était externe, il a fait valoir que la personne nommée était assujettie à une période de stage de 12 mois et il a renvoyé à l’annexe de la lettre d’offre du 12 décembre 2019 qui le confirme en vertu de l’article 61 de la Loi.

[67] L’intimé a soutenu que la plaignante avait déposé sa plainte en alléguant un abus de pouvoir dans l’évaluation de la personne nommée, un abus de pouvoir dans le choix du processus et l’absence d’une discussion informelle. Il a fait valoir que les allégations de favoritisme personnel, de partialité et de manque de transparence constituent de nouvelles allégations et qu’elles ne devraient pas être considérées dans la présente plainte. Il a invoqué Cyr c. Président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, 2007 TDFP 37 (aux par. 8 à 11), pour étayer son argument qui précise que la plaignante doit obtenir l’approbation de la Commission pour amender ses allégations.

[68] L’intimé a fait valoir que le fardeau de la preuve incombait à la plaignante et qu’il lui appartenait d’établir, sur la prépondérance de la preuve, ses allégations. Il a invoqué Portree c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14, et Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8.

[69] Il a invoqué Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684 (aux par. 53 à 55 et 60 à 62), qui reconnaît que l’abus de pouvoir n’est pas défini dans la Loi et qui statue qu’une plainte d’abus de pouvoir sera jugée fondée lorsque la mauvaise foi ou le favoritisme personnel sera établi. L’intimé a soutenu que dans le présent cas, il n’y a aucune intention de mauvaise foi puisque M. Poirier ne connaissait pas la plaignante, alors il ne peut pas résulter de mauvaise foi à son égard.

[70] L’intimé a fait valoir que la plaignante n’a pas prouvé qu’elle avait demandé une discussion informelle avec la gestion. Il a soutenu qu’il est de sa responsabilité de faire expressément une telle demande. Il a soutenu que la discussion n’aurait rien changé à la décision de nomination. Il a cité Henry c. Administrateur général de Service Canada, 2008 TDFP 10 (au par. 60), qui statue que la discussion informelle ne constitue pas une étape obligatoire dans le processus de plainte.

[71] En ce qui concerne la qualification essentielle d’études exigeant de posséder un minimum de 75 heures de formation en gestion des conflits, l’intimé a fait valoir que M. Poirier avait lui-même vérifié l’Évaluation juxtaposée du (de la) candidat(e) et a estimé qu’elle satisfaisait à cette qualification essentielle. Puisque la formation devait avoir été dispensé par un établissement reconnu, il a conclu que l’université était un établissement reconnu. M. Poirier a d’ailleurs consulté Tammy Carroll, la titulaire du poste à remplacer, qui a validé la qualification essentielle d’études de la personne nommée en ce qui concerne la formation en gestion des conflits. Il a soutenu que l’ajout des heures de formation dans le cadre des études de la personne nommée démontre qu’elle satisfait aisément à la qualification essentielle des 75 heures de formation en gestion des conflits. Par ailleurs, il a fait remarquer que la personne nommée indiquait qu’elle était inscrite à une telle formation au « printemps 2020 ».

[72] En ce qui a trait au pouvoir de délégation, l’intimé a soutenu que Morris était valide en 2019 et qu’il n’y a pas de preuve que les règles et politiques qui y sont énoncées en ce qui concerne la subdélégation sont applicables au présent cas. Le bulletin auquel fait référence Morris ne fait pas partie de la preuve, il n’a aucun impact et je ne devrais lui accorder aucun poids dans la présente analyse.

[73] L’intimé a soutenu que M. Poirier était un témoin crédible. Il a bien évalué la personne nommée et a signé l’Évaluation juxtaposée de la personne nommée. M. Poirier ne savait pas si la titulaire du poste, partie en affectation, allait revenir ou non. Ce n’est que lorsqu’il a reçu la confirmation du départ définitif de la titulaire du poste qu’il a demandé et reçu l’approbation pour initier le processus de nomination. L’intimé a indiqué que la justification à l’appui du choix du processus de nomination non annoncé supporte la décision de procéder ainsi.

[74] L’intimé a affirmé qu’il n’y avait aucune preuve de favoritisme personnel et que les allégations de la plaignante relevaient plutôt de conjectures et de présomptions. Bien que Mme Breau ait témoigné avoir connu la personne nommée avant sa nomination, cela ne constitue pas pour autant une preuve de favoritisme personnel en faveur de la personne nommée, d’autant plus que ce n’était pas elle qui avait pris la décision de nommer la personne nommée. L’intimé s’est appuyé sur De Souza c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2023 CRTESPF 114 (au par. 47), qui présente le critère pour conclure à la présence de favoritisme personnel, et il a affirmé que la plaignante ne l’a pas satisfait.

[75] L’intimé a fait un survol de l’énoncé des critères de mérite et des qualifications de la personne nommée. Il a soutenu que tous les critères de mérite avaient été évalués par M. Poirier lors de l’évaluation de la personne nommée pour le poste à durée déterminé en octobre 2019 et que cette dernière satisfaisait à toutes les qualifications essentielles. Il a soutenu que puisque la personne nommée satisfaisait à toutes les qualifications essentielles et qu’il n’y a pas eu d’abus de pouvoir, il ne devrait pas y avoir de révocation de la nomination, d’autant plus que la plaignante est passée à autre chose en ayant quitté la fonction publique.

C. Pour la Commission de la fonction publique

[76] Tel que mentionné plus haut, la CFP n’a pas participé à l’audience, mais elle a déposé ses « Observations générales et spécifiques à la Politique de nomination de la Commission de la fonction publique ». La CFP a revu son mandat, a expliqué son rôle dans le cadre d’une plainte en dotation devant la Commission et a rappelé que l’objet de ses observations est d’examiner les questions découlant de l’application du paragraphe 77(1) de la Loi. Elle a fait une brève analyse de la Politique de nomination de la CFP. La Politique énonce les obligations des administrateurs généraux dans le cadre des processus de nomination et rappelle l’exigence légale énoncée au paragraphe 30(1) de la Loi, soit que les décisions de nomination soient fondées sur le mérite et conformes à l’esprit de la Loi. Elle a procédé à l’énumération des points importants de l’esprit de la Loi, dont des processus de nomination menés de manière juste, transparente et de bonne foi, et la correction, en temps opportun, des erreurs et des omissions.

[77] La CFP a rappelé que les administrateurs généraux et toutes personnes investies du pouvoir de délégation sont tenus de se conformer aux lignes directrices de la CFP. Elle a fait remarquer que quand une exigence de la Politique de la CFP n’est pas respectée, cela pose un problème, mais ne signifie pas automatiquement qu’il y a abus de pouvoir. Elle a précisé que les administrateurs généraux doivent s’assurer que les personnes à nommer possèdent chacune des qualifications essentielles identifiées. Elle a également précisé que l’article 47 de la Loi traite des discussions informelles.

IV. Motifs

[78] C’est en vertu des alinéas 77(1)a) et 77(1)b) de la Loi que la plaignante a déposé sa plainte à l’encontre de la nomination de la personne nommée. L’alinéa 77(1)a) concerne l’abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite à l’égard de la personne nommée et l’alinéa 77(1)b) concerne l’abus de pouvoir dans le choix du processus de nomination.

[79] La jurisprudence a établi qu’il appartient au plaignant de démontrer, sur la prépondérance de la preuve, que l’administrateur général a abusé de son pouvoir. C’est à la plaignante qu’il incombe de s’acquitter du fardeau de la preuve.

[80] La décision Tibbs a statué qu’il incombe au plaignant de prouver qu’il y a eu abus de pouvoir. De plus, la Loi dans son ensemble et son préambule font ressortir clairement qu’il faut plus que de simples erreurs ou omissions pour constituer un abus de pouvoir. « L’abus de pouvoir constitue plus qu’une simple erreur ou omission » et il comprendra toujours une conduite irrégulière (voir Tibbs, aux par. 65 et 66).

A. Y a-t-il eu abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite?

[81] Le paragraphe 30(1) et les articles 33 et 36 de la Loi définissent l’application du principe du mérite dans le cadre de nominations. Selon ces dispositions, l’intimé peut choisir le type de processus de nomination et déterminer la méthode d’évaluation du candidat ou de la candidate.

[82] L’article 36 prévoit que l’intimé peut recourir à toute méthode pour évaluer les candidatures par rapport à l’énoncé des critères de mérite. Il est aussi établi que je ne peux pas substituer mon évaluation des critères de mérite à celle de l’intimé. Mon rôle est plutôt de déterminer si l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’évaluation des critères de mérite.

[83] Dans le présent cas, l’intimé avait procédé à une nomination externe pour une période déterminée en octobre 2019 pour nommer la personne nommée. Il avait soumis la candidate à un processus de nomination qui a consisté en un examen écrit, un examen oral qui incluait un jeu de rôle, une entrevue et une évaluation juxtaposée remplie par la candidate. Tout ce processus avait pour but d’évaluer que cette dernière satisfaisait à toutes les qualifications essentielles pour le poste de consultant(e) principal(e). Au terme de l’exercice, l’intimé a jugé que la candidate satisfaisait à toutes les qualifications essentielles et l’a nommée dans le poste. La plaignante a témoigné qu’il n’y avait pas eu d’affichage de notification de candidature retenue. Aucune plainte n’a été déposée pour contester cette nomination. Je qualifierai cette nomination de « première nomination ».

[84] Au moment de procéder à la nomination interne de la personne nommée pour le même poste, mais pour une durée indéterminée, l’intimé a choisi de recourir aux mêmes outils d’évaluation que pour la nomination précédente. Il a conclu encore une fois que la candidate satisfaisait à toutes les qualifications essentielles et il a procédé à sa nomination. Je qualifierai cette nomination de « seconde nomination ».

[85] La plaignante a fait valoir dans sa plainte que la personne nommée ne satisfaisait pas à deux des qualifications essentielles lors de la première nomination : celle liée aux études, où il est indiqué que le candidat ou la candidate doit « posséder un minimum de 75 heures de formation en gestion de conflit / mode alternatif de gestion des conflits / médiation auprès d’un établissement reconnu »; et celle liée à l’expérience, qui exige « une expérience récente en donnant de l’assistance aux employés et aux gestionnaires lors du traitement de questions sensibles et complexes ».

[86] Dans l’Évaluation juxtaposée au moment de la première nomination, pour la qualification essentielle d’études, la personne nommée avait écrit qu’elle était inscrite à une formation de six jours en gestion des conflits au printemps 2020. M. Poirier, quant à lui, a témoigné que la formation universitaire de la personne nommée démontrait qu’elle satisfaisait à cette qualification essentielle. Il avait d’ailleurs renvoyé au cours PS 2800 Relations humaines 1 de 36 heures où l’on peut lire ce qui suit : « Stratégies et attitudes de communication favorisant la relation avec l’autre dont la conscience de soi et d’autrui, écoute, affirmation de soi, collaboration et résolution de conflit [je mets en évidence] ». Bien qu’il n’y ait pas référé spécifiquement, la personne nommée avait aussi suivi le cours PS 3820 Relations humaines 2 que l’on décrit comme suit : « Approfondissement des stratégies et attitudes de communication favorisant la relation avec l’autre dont la conscience de soi et d’autrui, écoute, affirmation de soi, collaboration et résolution de conflits [je mets en évidence] ».

[87] Lorsque l’on regarde la liste des cours suivis par la personne nommée, qui a été déposée en preuve, il ressort que tous ces cours s’adressaient à sa formation universitaire liée à la psychologie. La formation identifiée à la qualification essentielle d’études visait spécifiquement l’un des différents modes de résolution des conflits et s’ajoutait à une des formations universitaires requises. On considérait un diplôme de maîtrise en psychologie (entre autres) et plus particulièrement un « Certificat en gestion de conflits d’un établissement d’enseignement reconnu » comme des atouts.

[88] La personne nommée avait indiqué dans son évaluation juxtaposée qu’elle était inscrite à une formation de six jours sur la médiation « au printemps 2020 ». M. Poirier a témoigné que la formation était de six jours à raison de six heures par jour.

[89] La plaignante a aussi soutenu que, lors de la première nomination, la personne nommée ne satisfaisait pas à la qualification essentielle d’expérience consistant à donner de l’assistance aux employés et aux gestionnaires dans le traitement de questions sensibles et complexes. La plaignante, dans son argumentation, a fait valoir que la dyade employé-gestionnaire était très différente de la dyade élève-professeur que l’on retrouve dans le milieu scolaire. Elle a même affirmé que le Collège des psychologues du Nouveau-Brunswick exigeait une formation particulière pour pouvoir changer de clientèle. Aucune preuve n’est venue supporter cette affirmation et l’intimé a affirmé que la plaignante n'avait pas été qualifiée de témoin expert.

[90] La personne nommée avait indiqué pour cette qualification essentielle liée à l’expérience qu’à titre de psychologue, la plupart de ses relations avec ses clients traitent de questions sensibles et complexes. Elle avait indiqué également que dans sa pratique, elle avait aidé plusieurs clients adultes à gérer le stress lié au travail et à l’équilibre travail-famille. M. Poirier avait jugé que cette réponse satisfaisait à la qualification recherchée.

[91] Or, la plainte ne vise pas la première nomination, mais bien la seconde, celle pour le poste à durée indéterminée. Je n’ai pas le pouvoir d’intervenir dans cette première nomination. Comme l’a indiqué l’intimé en citant Cameron, je ne peux pas considérer les nominations à titre occasionnel ni celle pour une durée déterminée qui ne font pas l’objet d’une plainte devant moi.

[92] Pour la seconde nomination au poste pour une durée indéterminée, soit celle sur laquelle porte la plainte devant moi, l’intimé s’est servi essentiellement des mêmes outils d’évaluation que pour la première nomination. La même Évaluation juxtaposée bonifiée par les observations personnelles de M. Poirier de la personne nommée dans le cadre de son travail a servi pour l’évaluation. De plus, dans un échange de courriels avec le Service des ressources humaines, on a demandé à M. Poirier s’il voulait rajouter des commentaires en lien avec l’énoncé des critères de mérite. M. Poirier écrit ce qui suit :

[…]

Selon son CV, Manon a été capable de parfaire ses compétences de médiatrice, de facilitatrice et de coach par l’entremise dans son rôle de consultante principale en gestion de conflits et valeurs et éthique. Elle rencontyre les exigences de ce poste tel qu’indique dans l’énoncé de mérite.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[93] La plaignante a offert les mêmes allégations que mentionnées précédemment.

[94] En rapport avec la qualification essentielle d’études, l’intimé a offert la même preuve, c’est-à-dire que la personne nommée allait suivre la formation de six jours en gestion des conflits, et j’accepte le témoignage de M. Poirier selon lequel elle a bel et bien suivi la formation en gestion des conflits au printemps 2020. De plus, il a maintenu que la formation universitaire continuait à servir d’équivalence. M. Poirier a aussi témoigné que Mme Carroll avait accepté que la formation universitaire, au baccalauréat ou à la maîtrise, constituait une équivalence à l’exigence des 75 heures en gestion de conflits.

[95] Dans les circonstances, bien que M. Poirier et Mme Carroll s’entendent à reconnaître l’équivalence entre la formation universitaire de la personne nommée et le critère essentiel exigé de 75 heures de formation en gestion de conflits, ma conclusion est toute autre.

[96] L’énoncé des critères de mérite demande clairement une formation spécifique en gestion des conflits / mode alternatif de gestion des conflits / médiation, une formation distincte de celle obtenue dans un programme universitaire. Les deux formations en Relations humaines de 36 heures chacune n’avait qu’une composante en gestion de conflits et non pas 36 heures dédiées uniquement à la gestion de conflits.

[97] Le fait que l’on désigne comme atout un certificat en gestion des conflits d’un établissement reconnu fait en sorte que l’intimé voulait réellement distinguer la formation en gestion des conflits de la formation universitaire formelle menant à une maîtrise. Sinon, je suis d’avis qu’il l’aurait inclus dans la même catégorie que celle des diplômes universitaires. J’en viens à la conclusion que les 75 heures de formation en gestion des conflits visaient cette spécialité spécifiquement. En outre, la preuve testimoniale de M. Poirier indique que la personne nommée a suivi une formation de six jours à raison de six heures par jour, ce qui fait un total de 36 heures, alors que la qualification essentielle en exigeait un minimum de 75 heures.

[98] Le court texte proposé par M. Poirier aux ressources humaines constitue une affirmation gratuite qui n’ajoute rien pour supporter la prétention de l’intimé selon laquelle la personne nommée satisfait au principe du mérite en rapport avec l’énoncé des critères de mérite. La simple mention du fait que quelqu’un satisfait à une qualification essentielle ne suffit pas. Il faut l’appuyer de faits, au moins pour l’établir selon la prépondérance de la preuve. Dans les circonstances, l’intimé n’a pas établi que la personne nommée satisfaisait à la qualification essentielle d’études exigeant 75 heures de formation en gestion des conflits/ mode alternatif de gestion des conflits / médiation.

[99] Je conclus dans le présent cas, en me fondant sur la prépondérance de la preuve, que le fait d’accepter comme équivalente une formation universitaire générale autre que celle spécifiquement demandée, en gestion de conflits, dans l’énoncé des critères de mérite, constitue un abus de pouvoir de la part de l’intimé.

[100] La plaignante a allégué que la personne nommée ne satisfaisait pas à la qualification essentielle d’expérience visant à donner de l’assistance aux employés et aux gestionnaires lors du traitement de questions sensibles et complexes. Elle a soutenu que M. Poirier ne possédait pas les connaissances nécessaires pour bien évaluer cette qualification essentielle.

[101] Lorsque je lis le critère, il est effectivement indiqué l’assistance aux employés et aux gestionnaires, le contexte du poste étant directement lié aux relations employés-gestionnaires. Je retiens l’argument de la plaignante qui, même si elle n’a pas été qualifiée d’experte, a fait valoir qu’il s’agissait de deux dyades différentes et que l’expérience de vécu en milieu scolaire est très différente de celle rencontrée en milieu de travail et de surcroît, en milieu carcéral.

[102] Néanmoins, la personne nommée a maintenant occupé le poste depuis plus d’un an et il serait plausible de croire qu’elle aurait acquis cette expérience. Le témoignage de M. Poirier sur ce sujet est que la personne nommée a fait avancer le programme et qu’elle a fait des présentations. Il n’a pas spécifié de quelles présentations il s’agissait ou à qui s’adressaient ces présentations. Il n’a pas indiqué de liens entre les présentations et l’expérience visée par cette qualification essentielle. Si le fait de préparer et faire des présentations permettait de conclure qu’elle a acquis cette expérience de donner de l’assistance aux employés et gestionnaires lors du traitement de questions sensibles et complexes, il ne l’a pas démontré.

[103] Je ne retiens pas l’argument de la plaignante selon lequel M. Poirier manquait de connaissances pour évaluer cette qualification essentielle. En effet, l’expérience visée était celle d’assister des employés et des gestionnaires, établissant une classe de personnes en particulier. La qualification essentielle aurait tout aussi pu être d’assister des personnes sans préciser le milieu, cela aurait alors inclus le milieu scolaire. Je ne crois pas que cette distinction relève d’une expertise particulière de la science de la psychologie, mais bien du sens ordinaire à donner aux mots. Mais, puisque la qualification essentielle spécifiait l’assistance aux employés et aux gestionnaires, l’intimé a abusé de son pouvoir en concluant à l’équivalence entre la dyade employé-gestionnaire et la dyade élève-professeur dans le milieu scolaire.

[104] J’en viens à la conclusion que l’expérience en milieu scolaire est différente de celle recherchée en milieu de travail. L’intimé n’a pas cru bon de refaire l’évaluation de la personne nommée pour cette seconde nomination, croyant erronément que la première évaluation suffirait à satisfaire l’évaluation de la personne nommée. Le passage du temps entre la première nomination et la seconde a assurément donné l’opportunité à la personne nommée d’acquérir de nouvelles expériences, mais celles-ci n’ont pas été déposées en preuve. Le témoignage de M. Poirier ne suffit pas à me convaincre, selon la prépondérance de la preuve, que la personne nommée satisfaisait à cette qualification essentielle au moment de la deuxième nomination. Dans les circonstances, étant donné mes conclusions, je considère que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite à l’égard de la personne nommée, en contravention de l’alinéa 77(1)a) de la Loi, dans le cadre d’un processus de nomination non annoncé.

B. Y a-t-il eu abus de pouvoir dans le choix du processus?

[105] L’article 33 de la Loi énonce que l’intimé peut avoir recours à un processus de nomination annoncé ou non annoncé. Ainsi, un plaignant ne peut pas simplement alléguer qu’il y a eu abus de pouvoir du fait que l’intimé a choisi un processus non annoncé. Il doit prouver que la décision de l’intimé de choisir un tel processus constituait un abus de pouvoir.

[106] La décision Tibbs a statué (aux par. 61 à 63) que le préambule de la Loi énonce les principaux objectifs législatifs de la Loi. Il comprend une reconnaissance que le pouvoir de dotation devrait être délégué à l’échelon le plus bas possible « […] pour que les gestionnaires disposent de la marge de manœuvre dont ils ont besoin pour effectuer la dotation, et pour gérer et diriger leur personnel de manière à obtenir des résultats pour les Canadiens ». En tant qu’un des moyens d’exercer cette marge de manœuvre, le législateur a adopté l’article 33. Tibbs énonce en outre que les gestionnaires disposent d’une discrétion considérable lorsque vient le moment de choisir le type de processus de nomination à retenir.

[107] Le paragraphe 30(4) de la Loi stipule que, dans le cas d’un processus de nomination non annoncé, la direction n’est pas tenue de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite. Ainsi, il n’y avait aucun besoin d’effectuer une évaluation comparative entre la plaignante et la personne nommée. Par ailleurs, le déni d’une opportunité d’être considéré pour un poste ne constitue pas en soi un abus de pouvoir.

[108] La CFP a soumis dans ses observations que sa Politique de nomination énonce les obligations en ce qui concerne les « points de décision clés » dans le cadre des processus de nomination. Elle énonce que les résultats attendus se conforment à l’esprit de la Loi. Parmi ces résultats attendus, elle nomme « [d]es processus de nomination menés de manière juste, transparente et de bonne foi » et la correction en temps opportun d’erreurs et d’omissions. Elle a également affirmé qu’en vertu de l’article 16 de la Loi, les administrateurs généraux sont tenus de se conformer aux lignes directrices de la CFP dans l’exercice de leurs pouvoirs délégués. Elle a conclu que lorsqu’une exigence de la Politique n’est pas respectée cela pose un problème, mais ne constitue pas automatiquement un abus de pouvoir.

[109] D’entrée de jeu, l’intimé a soutenu que je ne peux pas considérer les nominations faites antérieurement et que seule la seconde nomination fait l’objet de la présente plainte. Il n’en demeure pas moins que l’ultime nomination s’inscrit dans une chaîne de nominations effectuées dans un cours laps de temps, concernant le même poste et la même personne. Ce sont des faits qui font partie du contexte général pertinent à la question à savoir s’il y a eu abus de pouvoir dans le choix du processus.

[110] La preuve a démontré que la personne nommée a été nommée à un poste occasionnel, ensuite au même poste pour une durée déterminée et enfin, toujours dans le même poste, pour une durée indéterminée.

[111] M. Poirier a témoigné que les postes occasionnels sont d’une durée de 90 jours et devraient servir pour combler des postes temporaires, voire de remplacement. Il a cité comme exemple des postes de nettoyeur. Il a affirmé que cette façon de faire est permise s’il y a un poste vacant et financé au sein de l’organisation; on pouvait dans ces circonstances transformer un poste occasionnel en un poste à durée indéterminée. Il a affirmé que cette façon de procéder permettait de doter des postes plus rapidement que de faire des processus longs de trois ou quatre mois sans peut-être obtenir de résultat. Il a aussi témoigné qu’il ne voulait pas parler de népotisme, mais qu’il s’agissait d’une façon de faire courante chez l’intimé.

[112] La plaignante a soutenu que M. Poirier était une personne très occupée qui ne voulait pas être retardé par des processus administratifs longs et fastidieux que constituent les processus de nomination annoncés. Elle a également soutenu qu’il n’y avait aucun motif d’urgence qui aurait supporté le choix du processus. Enfin, elle a fait valoir que le choix du processus de nomination était motivé par le favoritisme personnel de M. Poirier à l’égard de la personne nommée. L’intimé possède une grande discrétion dans le choix du processus.

[113] Le texte de la justification est cité plus haut et on peut y lire que la personne nommée travaille au SCC depuis plus d’an, qu’elle a permis de faire avancer l’« agenda » du BGC grâce à de nouvelles initiatives et ateliers et a contribué au mieux-être du milieu de travail. M. Poirier a terminé en affirmant que ce poste est critique pour s’assurer que les objectifs de responsabilité de la gestion des personnes soient atteints. M. Poirier a aussi témoigné à l’appui de son choix de processus, que le BGC avait besoin de stabilité et que cette nomination permettait d’atteindre cette stabilité. L’intimé, dans sa réplique aux allégations de la plaignante, a fait référence aux contexte opérationnel à l’appui de son choix de processus. Lorsque questionné par la plaignante à savoir quel était le sens à donner à l’expression « contexte opérationnel », M. Poirier a été plutôt évasif pour conclure que l’expérience de la personne nommée justifiait sa nomination.

[114] Ce que je retiens de la justification proposée par l’intimé, c’est qu’il y a déjà quelqu’un dans le poste, qu’elle fait du bon travail et que ce poste est critique au sein du BGC. De plus, le témoignage de M. Poirier concernant le besoin de stabilité de l’organisation et le contexte opérationnel n’a pas été expliqué ou supporté par aucun élément de preuve.

[115] Ce qui ressort de l’allégation de la plaignante et du témoignage de M. Poirier, toutefois, c’est l’importance qu’a prise la nécessité de nommer rapidement la personne nommée. La preuve n’a démontré aucun impératif opérationnel ni aucune menace organisationnelle pesant sur l’organisation si le poste n’était pas comblé de façon indéterminée et rapidement. Ces éléments ne sont pas spécialement requis lorsque vient le temps de choisir un processus de nomination non annoncé. Ils constituent cependant certains éléments à prendre en compte dans la justification du choix. Dans le présent cas, je conclus que la justification ne supporte pas objectivement la décision de procéder par nomination non annoncée. Il m’apparaît que la complaisance de l’intimé à choisir un processus plus simple et plus rapide, comme c’est pratique courante chez l’intimé, est la justification réelle de ce choix.

[116] Les administrateurs généraux jouissent d’une grande discrétion dans le choix du processus de nomination, qu’il soit annoncé ou non. Cependant, lorsqu’une allégation d’abus de pouvoir est formulée, ces derniers doivent être en mesure de justifier leur choix pour convaincre la Commission que la prépondérance de la preuve appuie leur décision voulant que ce choix ne constitue pas un abus de pouvoir.

[117] Dans le présent cas, c’est le choix du processus non annoncé ayant mené à la nomination au poste à durée indéterminée de la personne nommée qui constitue l’abus de pouvoir. Il ne fait aucun doute que cette ultime nomination est l’aboutissement logique de la personne nommée entre le moment de sa nomination à titre occasionnel et sa nomination ultime à un poste pour une durée indéterminée. M. Poirier a affirmé qu’il ne voulait pas parler de népotisme, mais il n’en demeure pas moins que cette façon de procéder s’y apparente beaucoup.

[118] Dans le présent cas, la prépondérance de la preuve indique que l’intimé a abusé de son pouvoir dans le choix du processus, en contravention de l’alinéa 77(1)b).

C. Favoritisme personnel et absence de discussion informelle

[119] La plaignante a formulé, en cours d’audience, une allégation de favoritisme personnel de M. Poirier à l’égard de la personne nommée. L’intimé s’est opposé à l’introduction tardive de cette allégation en s’appuyant sur Cyr. L’article 23(1) du Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique (DORS/2006-6) établit que la Commission peut, sur demande, autoriser à la plaignante de modifier ou de présenter une nouvelle allégation et fonde sa décision sur un souci d’équité. Dans le présent cas, l’ajout de cette allégation n’a pas obtenu l’autorisation préalable de la Commission et survient trop tardivement dans le processus pour permettre à l’intimé de bien s’y opposer. Dans ces circonstances, cette allégation est rejetée.

[120] La plaignante a fait valoir que l’absence de discussion informelle a contribué à établir le manque de transparence dans le cadre de cette nomination. L’intimé s’y est opposé en citant Henry. Je souscris au principe qui y est énoncé selon lequel la discussion informelle n’est pas une étape obligatoire du processus de plainte. Je supporte également l’idée « […] que les discussions informelles fournissent l’occasion au comité d’évaluation de corriger des erreurs […] ». J’irai même plus loin : les discussions informelles, prévues à l’article 47 de la Loi, sont l’occasion pour l’employé et le gestionnaire de se rencontrer et de discuter de l’évaluation de l’employé déçu, mais aussi de ses aspirations et des possibilités que peut lui offrir l’organisation. M. Poirier a reconnu durant son témoignage que son choix de réponse n’était pas le bon lorsqu’il avait répondu à la plaignante le 20 avril 2021. L’absence de discussion informelle ne constitue pas en soi un abus de pouvoir de l’intimé.

D. Délégation du pouvoir de signature

[121] La plaignante a fait valoir que M. Poirier ne détenait pas le pouvoir requis pour signer la nomination de la personne nommée. Selon elle, cela démontre un conflit d’intérêt de partialité du fait que M. Poirier ait approuvé sa propre demande sans avoir la délégation appropriée. Dans les circonstances, il lui appartenait d’en faire la démonstration par la prépondérance de la preuve. Elle s’est appuyée sur Morris pour le faire. Le recours à la jurisprudence sert à démontrer l’interprétation qu’a donné un tribunal dans des circonstances données. Les faits relevés dans la jurisprudence ne sont pas automatiquement avérés devant un autre tribunal. Il aurait fallu faire cette preuve en introduisant peut-être l’instrument de délégation du gestionnaire et tout autre document appuyant cette allégation.

[122] La prépondérance de la preuve dans les circonstances et le témoignage de M. Poirier indiquent qu’il détenait le niveau 3, soit le niveau de subdélégation requis pour signer la nomination. Cette allégation est donc rejetée.

E. Conclusion

[123] L’intimé a abusé de son pouvoir en évaluant la qualification essentielle d’études qui exigeait du candidat ou de la candidate de « Posséder un minimum de 75 heures de formation en gestion de conflit / modes alternatifs de gestion de conflit / médiation auprès d’un établissement reconnu ». Il en a été de même dans l’évaluation de la qualification essentielle: « Une expérience récente en donnant de l’assistance aux employés et aux gestionnaires lors du traitement de questions sensibles et complexes. »

[124] Pour toutes les raisons qui précèdent, je conclus que la plainte est fondée et que l’intimé a contrevenu aux alinéas 77(1)a) et 77(1)b) de la Loi.

F. Mesures correctives

[125] Les articles 81 et 82 fixent l’étendue de mon pouvoir en pareilles circonstances. Je peux effectivement ordonner à l’intimé de révoquer la nomination et, selon le cas, prendre les mesures correctives que j’estimerais indiquées.

[126] À la conclusion de son argumentation, la plaignante a demandé, en termes de mesures correctives, une déclaration d’abus de pouvoir, que l’intimé recourt à des processus de nomination annoncés à l’avenir et la révocation de la nomination de la personne nommée.

[127] Étant donné mes conclusions, je déclare que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite en procédant à la nomination de la personne nommée. Je déclare également que l’intimé a abusé de son pouvoir dans le choix du processus.

[128] La plaignante a demandé que j’ordonne à l’intimé de procéder à des processus de nomination annoncés à l’avenir. L’article 33 de Loi permet à l’intimé, en vue d’une nomination, d’avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé. Par conséquent, je ne peux pas ordonner une telle façon de faire.

[129] Je ne peux pas me prononcer sur le bien-fondé de toute autre nomination, passée ou future, effectuée par l’intimé. Toutefois, la preuve a démontré qu’il est pratique courante chez l’intimé de nommer des personnes de l’extérieur de la fonction publique à des postes occasionnels et ensuite de convertir ces nominations en postes à durée déterminée et subséquemment en postes à durée indéterminée. Cette pratique risque de donner lieu à des nominations entachées de népotisme et de favoritisme personnel. Je recommande à la CFP de faire enquête auprès de la direction régionale de l’intimé pour déterminer si le recours aux nominations occasionnelles sert de prétexte pour contourner la Loi en termes de dotation externe.

[130] La plaignante a aussi demandé la révocation de la nomination de la personne nommée. L’intimé a fait valoir que la nomination de la personne nommée ne devrait pas être révoquée, puisqu’elle satisfaisait à l’énoncé des critères de mérite. D’ailleurs, il a affirmé que la plaignante était passée à autre chose puisqu’elle a quitté la fonction publique.

[131] J’ai conclu que l’intimé a abusé de son pouvoir dans le traitement du mérite de la personne nommée et que cette dernière ne satisfaisait pas à toutes les qualifications essentielles de l’énoncé des critères de mérite au moment de la seconde nomination. Dans ces circonstances, je me dois d’ordonner à l’intimé de procéder à la révocation de la nomination de la personne nommée.

[132] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[133] La plainte est accueillie.

Le 14 mai 2024.

Guy Grégoire,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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