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Date: 20240320

Dossier: 561-32-46039

 

Référence: 2024 CRTESPF 38

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Vilan Gonzague

plaignant

 

et

 

Institut professionnel de la fonction publique du Canada

 

défendeur

Répertorié

Gonzague c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Pierre Marc Champagne, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour le défendeur : Marie-Hélène Tougas, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés le 8 novembre et les 2 et 9 décembre 2022,

et le 3 janvier et les 1er et 19 mai 2023.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Vilan Gonzague (le « plaignant ») a déposé la présente plainte en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), alléguant que l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « défendeur » ou l’« agent négociateur ») a manqué à son devoir de représentation équitable dans le contexte d’un grief qu’il a déposé en juin 2022. Il conteste surtout le fait que l’agent négociateur a mis son grief en suspens sans son consentement, qu’il n’a pas fourni de renseignements utiles et qu’il n’a pas tenu compte des renseignements médicaux qu’il a soumis.

[2] Le défendeur nie les allégations et demande que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») rejette sommairement la plainte au motif qu’elle est prématurée et qu’elle n’a aucune chance raisonnable de succès.

[3] L’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C., 2013, ch. 40, art. 365) autorise la Commission à trancher toute question dont elle est saisie sans tenir d’audience. Étant donné que les parties ont eu l’occasion de déposer des arguments supplémentaires, je suis convaincu qu’il est possible de trancher le présent cas sur la base des documents versés au dossier, ainsi que de leurs arguments écrits.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la plainte ne démontre pas une cause défendable selon laquelle le défendeur a contrevenu à l’article 187 de la Loi.

II. Demande de modification de la plainte initiale

[5] Après avoir déposé sa réponse à la position du défendeur relative à sa plainte, le plaignant a envoyé à la Commission un autre document afin de fournir des éléments supplémentaires pour étayer davantage sa plainte. Il a également demandé que deux des mesures correctives qu’il avait demandées à l’origine soient modifiées aux fins de clarification et qu’une nouvelle mesure corrective soit ajoutée à sa plainte.

[6] Les parties ont été informées que ces demandes seraient traitées comme une demande du plaignant de modifier sa plainte initiale. Par conséquent, elles ont été invitées à présenter leurs positions relatives à cette demande.

[7] Dans les documents supplémentaires que le plaignant a soumis, il explique qu’après avoir déposé la présente plainte, le défendeur l’a informé qu’il ne lui fournirait plus son appui à un autre grief qu’il avait déposé plus tôt cette année-là. Les documents supplémentaires fournissent également des renseignements sur cet autre grief et sur certains échanges connexes qui ont eu lieu avec le défendeur au sujet de son appui et de sa représentation.

[8] Le plaignant soutient qu’il considère cela comme des représailles de la part du défendeur en raison de la présente plainte et que la Commission devrait la considérer comme corroborant ses allégations initiales. Par conséquent, il demande à la Commission de tenir compte de ces nouveaux éléments dans son analyse de la présente plainte.

[9] Le défendeur s’oppose à la demande du plaignant et suggère qu’il s’agit d’une tentative de présenter des documents liés à une autre question qui n’est pas utile à la présente plainte.

[10] Comme la Commission l’a expliqué récemment dans Abi-Mansour c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 48, au paragraphe 9 :

[9] Les modifications apportées à une plainte peuvent être acceptées si elles élargissent, clarifient ou corrigent l’objet essentiel des allégations dans la plainte initiale : voir Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 100 (confirmée pour d’autres motifs dans 2011 CAF 98). Toutefois, si les modifications ajoutent une nouvelle dimension à la plainte, elles constitueront une nouvelle plainte […]

 

[11] Dans le présent cas, les nouveaux renseignements que le plaignant a soumis portent sur une question différente du grief qui se trouve au bas de la présente plainte devant la Commission. De plus, ils font référence à des actions, des décisions et des comportements du défendeur qui se sont produits après le dépôt de la plainte. Ces éléments subséquents ne peuvent pas faire partie de la présente plainte (voir Musolino c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 46, au par. 38).

[12] Ces faits subséquents pourraient quand même être pris en considération dans mon analyse s’ils étaient liés directement aux allégations formulées dans la présente plainte (voir Hancock c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 51, au par. 80). Toutefois, je conclus que ce n’est pas le cas. Même si les deux griefs concernaient les mêmes parties et que des arguments semblables pourraient être en jeu, je conclus que les deux contextes sont trop différents et éloignés pour être utiles à ma détermination du présent cas.

[13] En ce qui concerne les mesures correctives que le plaignant souhaite ajouter, modifier ou clarifier, voici les changements qu’il souhaite apporter à son formulaire de plainte initial. Les modifications sont en caractères gras :

[Traduction]

[…]

Éclaircissements :

· Le grief no 39712 devrait être renvoyé à l’arbitrage sans plus tarder.

· L’IPFPC doit couvrir les frais de représentation externe pour toute autre représentation dont j’aurais besoin. Vilan Gonzague choisira le représentant externe.

De plus :

· Dans les cas où l’approbation et la représentation de l’IPFPC sont nécessaires pour déposer un grief, la Commission me permettra de soulever la question sans l’appui de l’Institut, mais avec l’appui d’un représentant juridique externe de mon choix.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[14] Je considère que les éclaircissements demandés sont admissibles, car ils ne font que clarifier les mesures demandées à l’origine, sans élargir la portée de la plainte. Pour ce qui est de la mesure corrective supplémentaire que le plaignant souhaite ajouter, il semble que l’on spécule sur les questions futures qui surviendraient entre les parties et il demande de lui accorder un droit général de choisir son représentant juridique dans tous les cas éventuels. De plus, il semble avoir l’intention d’obtenir de la Commission la permission de contourner certaines dispositions précises de la Loi relatives à la représentation de l’agent négociateur. La Commission ne peut certainement pas accepter cette mesure et, de toute façon, elle outrepasse la portée du présent cas.

[15] Pour ces motifs, la demande du plaignant de modifier sa plainte initiale est accueillie en partie. La demande de tenir compte de nouveaux faits et de nouvelles allégations concernant le retrait par le défendeur de son appui à un grief différent de celui qui a été présenté dans la présente plainte est rejetée. Les éclaircissements apportés à deux des mesures correctives demandées à l’origine sont accueillis. L’ajout d’une nouvelle mesure corrective est rejeté.

III. Faits pertinents à la plainte

[16] Pendant toute la période visée, le plaignant a travaillé comme agent des politiques dans un poste classifié au groupe et au niveau ES-02 auprès de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’« employeur »). Il a déposé un grief en juin 2022, contestant l’exactitude et l’exhaustivité de sa description de travail. Par conséquent, il a allégué dans son grief que l’employeur avait contrevenu à la convention collective conclue avec l’agent négociateur pour le groupe Scientifique et Analytique (S&A), qui a expiré le 30 septembre 2022 (la « convention collective »).

[17] Le plaignant conteste la date à laquelle le grief a été déposé et le fait qu’il n’a pas demandé une reclassification, mais plutôt d’être payé rétroactivement pour la période pendant laquelle il a exercé les fonctions d’une classification supérieure. Étant donné que ces deux points ne sont pas décisifs ou importants pour la décision à rendre dans le présent cas, il n’est pas nécessaire que je règle ces incohérences relatives à la façon dont les parties ont présenté les faits.

[18] En septembre 2022, l’employeur a accueilli le grief en partie. Il a reconnu que la description de travail actuelle du plaignant n’était pas exacte. Par conséquent, il a entrepris un examen de la description de travail qui lui était applicable et l’a informé que l’examen pourrait ou non avoir une incidence sur sa classification actuelle à son groupe et niveau actuels.

[19] Avec le consentement de l’employeur, le défendeur a décidé de mettre le grief du plaignant en suspens pendant que l’employeur menait son processus d’examen de la description de travail. Toutefois, le plaignant souhaitait poursuivre son grief au palier suivant de la procédure de règlement des griefs, malgré la décision favorable de l’employeur, au moins en partie, au deuxième palier.

[20] Le plaignant a tenté à maintes reprises de transmettre son grief au troisième palier sans l’appui du défendeur. L’employeur n’a jamais accusé réception des formulaires de transmission au troisième palier, car le grief était déjà en suspens.

[21] Du 3 octobre au 8 novembre 2022, le plaignant et différents représentants du défendeur ont reçu une longue série de courriels et de communications. En fin de compte, le plaignant a compris que son grief demeurerait en suspens et que l’agent négociateur ne le transmettrait pas à l’arbitrage à ce moment-là. Par conséquent, il a déposé la présente plainte dans laquelle il allègue que le défendeur a manqué à son devoir de représentation équitable dans le cadre de sa procédure de règlement des griefs.

IV. Allégations

[22] Le plaignant allègue que, dès le début, les actions du défendeur concernant la décision de l’employeur relative au grief au deuxième palier étaient frivoles parce que cette décision n’était pas valide, pour les raisons suivantes :

· En premier lieu, elle était hors délai, car elle a été rendue après la période de 30 jours prévue dans la convention collective. À ce moment-là, le plaignant avait déjà porté son grief au troisième palier, même si le défendeur n’avait pas encore accepté de le faire.

 

· La décision officielle au deuxième palier qui a été fournie au plaignant, ainsi que les communications connexes, mentionnent un numéro de dossier de grief erroné et invalide. Elles contiennent également des renseignements généraux inexacts.

 

[23] De plus, dans sa plainte initiale, le plaignant a soulevé de nombreuses allégations qui se résument comme suit :

· Les représentants du défendeur ont convenu de proroger les délais de la procédure de règlement des griefs à l’insu du plaignant et sans son consentement.

 

· Les représentants du défendeur ont fourni au plaignant des renseignements inexacts sur certaines dispositions de règlements ou de la convention collective applicables à la présentation d’un grief. Le défendeur aurait également omis de lui fournir, ou lui a fourni, des renseignements inopportuns sur les questions urgentes qu’il avait posées dès le début de la procédure de règlement des griefs.

 

· Les représentants du défendeur ont exigé que le plaignant soit représenté par l’agent négociateur lors de la présentation du grief au troisième palier et ont rejeté sa demande de porter son grief au palier suivant.

 

· Le défendeur n’a pas précisé ou assuré la sécurité d’emploi du plaignant dans l’éventualité où son grief n’aurait pas été réglé avant l’expiration de la convention collective. Le plaignant ne savait pas s’il pouvait être considéré comme ayant abandonné ses fonctions en vertu de la convention collective puisqu’il n’exerçait qu’une seule série d’activités sous une direction de l’employeur et non l’autre.

 

· Le représentant du défendeur n’a pas tenu compte de ses documents médicaux, qui indiquaient à son employeur et au défendeur de traiter son grief sans tarder parce que cela constituait la cause aggravante de son état de santé.

 

[24] Le plaignant a également formulé quelques allégations contre l’employeur. Je ne les examinerai pas, car la présente plainte vise l’agent négociateur et, par conséquent, ces allégations ne sont pas pertinentes ou ne sont pas utiles pour trancher le présent cas (voir Burns c. Section locale no 2182 d’Unifor, 2020 CRTESPF 119, aux par. 81 et 164; Archer c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 105, aux par. 14 et 61; et Hancock, au par. 6).

V. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

[25] L’agent négociateur répond à ces allégations en indiquant qu’il a agi raisonnablement lorsqu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire d’accepter de mettre le grief du plaignant en suspens à la suite de l’entente conclue avec l’employeur de réécrire sa description de travail, en collaboration avec lui et le défendeur.

[26] Le défendeur fait valoir qu’il a expliqué à maintes reprises au plaignant qu’il continuait de le représenter et que si, en fin de compte, la nouvelle description de travail de l’employeur ne lui est pas acceptable, il envisagerait alors de mettre fin à la suspension du grief et de le porter au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

[27] Le défendeur soutient que la plainte est fondée sur un malentendu fondamental de la convention collective. Conformément aux dispositions de cette convention, l’employé n’a pas le droit de déposer un grief relatif à l’interprétation ou à l’application de la convention collective à moins d’avoir l’approbation de l’agent négociateur et d’être représenté par lui. Par conséquent, il appartient au défendeur de décider s’il doit déposer un grief alléguant une violation de la convention collective et s’il doit le porter à chaque palier de la procédure de règlement des griefs, y compris la décision finale de le renvoyer ou non à l’arbitrage.

[28] Le défendeur interprète ces dispositions comme lui donnant le pouvoir d’accepter de proroger un délai dans la procédure de règlement des griefs s’il a la seule charge du grief, comme dans le présent cas. Il considère que cette interprétation de la convention collective est à la fois logique et téléologique. Il serait insensé de donner à l’agent négociateur la responsabilité intégrale de tous les griefs liés à des violations présumées de la convention collective tout en accordant à un fonctionnaire s’estimant lésé à titre individuel un droit de veto sur la question de savoir s’il peut accepter de proroger un délai dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.

[29] Le défendeur nie avoir agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi lorsqu’il a conclu qu’il avait le pouvoir exclusif de mettre le grief du plaignant en suspens pendant que l’employeur collaborait avec lui et son représentant à l’élaboration d’une description de travail complète et à jour, comme il le demandait dans son grief. Le fait que le défendeur ait compris qu’il pouvait unilatéralement mettre le grief en suspens sans le consentement du plaignant, découlait d’une interprétation raisonnable de la convention collective et ne peut pas être considéré comme arbitraire au sens de l’article 187 de la Loi.

[30] Le défendeur a communiqué à maintes reprises avec le plaignant pour lui expliquer sa position et lui assurer que si, en fin de compte, il n’est pas satisfait de la nouvelle description de travail et du règlement de ses préoccupations, il pourrait envisager de porter son grief au troisième et dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Sa plainte est prématurée, car le défendeur continue de le représenter dans le cadre de son grief. Une fois qu’une nouvelle description de travail aura été mise au point avec sa collaboration et celle des représentants du défendeur, il examinera s’il y a lieu de procéder au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Quoi qu’il en soit, la plainte n’a aucune chance raisonnable de succès, car le défendeur a agi de manière raisonnable et non de manière arbitraire ou discriminatoire; il n’a pas non plus agi de mauvaise foi.

[31] Voici les décisions auxquelles le défendeur m’a renvoyé : Tench c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 154; Reid c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2001 CRTFP 48; Brown c. Association des juristes de justice, 2015 CRTEFP 76; Shouldice c. Ouellet, 2011 CRTFP 41; Tibilla c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 118; Musolino; et Corneau c. Association des juristes de Justice, 2023 CRTESPF 16.

B. Pour le plaignant

[32] Selon la position générale du plaignant, si la Commission reconnaît les faits, ainsi que les actions et omissions du défendeur qu’il a allégués dans sa plainte comme étant vrais, elle conclura que les allégations révèlent une cause défendable de violation de l’article 187 de la Loi. Selon lui, il y a une perspective de succès élevée si le cas est entendu sur le fond.

[33] La décision de l’employeur au deuxième palier n’était pas à sa satisfaction et ne porte pas sur toutes les mesures correctives qu’il a demandées. Il insiste sur le fait qu’il n’a jamais accepté de collaborer avec l’employeur et de poursuivre le processus d’examen de sa description de travail. Il a plutôt proposé ce qu’il croit être un énoncé complet et actuel de ses fonctions et responsabilités. Pour lui, le défendeur n’avait donc pas le droit d’accepter la décision de l’employeur et de mettre son grief en suspens.

[34] En se fondant sur son interprétation de la convention collective, le plaignant soutient que la décision de porter ou non le grief à un palier supérieur appartient à l’employé et non à l’agent négociateur. Pour lui, l’agent négociateur n’a pas le droit complet et exclusif de la charge d’un grief lié à la convention collective. Il n’a ce droit que dans la mesure où un membre doit obtenir son consentement et sa représentation pour déposer un tel grief ou le renvoyer à l’arbitrage. Les prétentions contraires de l’agent négociateur sont extrêmement négligentes ou lui ont été délibérément données de mauvaise foi, afin de subvertir la procédure de règlement des griefs.

[35] Le plaignant suggère que la Commission devrait également tenir compte du fait que, lorsque l’employeur a demandé antérieurement une prorogation du délai entre le premier et le deuxième palier, le défendeur a respecté sa décision de rejeter cette demande. Toutefois, entre les deuxième et troisième paliers, il n’a pas tenu compte de son objection à une prorogation et lui a dit qu’une prorogation serait accordée sans son consentement. Il suggère qu’un droit de veto existe en sa faveur lorsque l’agent négociateur envisage de proroger les délais de la procédure de règlement des griefs. Par conséquent, la décision unilatérale du défendeur d’accepter la décision de l’employeur d’accueillir en partie le grief contrevenait à la convention collective et était arbitraire.

[36] Le plaignant soutient également que le défendeur n’a jamais apporté de clarifications ni répondu à aucune de ses questions au sujet des délais de présentation des griefs ou de renvoi à un palier supérieur. Il devrait être au courant des dispositions relatives aux délais, et son incapacité ou son omission à fournir de tels renseignements essentiels était due soit à l’incompétence, soit à la mauvaise foi, soit à la discrimination, soit à la négligence grave et constituait une violation de [traduction] « l’obligation de confiance » entre lui et le défendeur. Cette situation soulève également de nombreuses questions et préoccupations au sujet des intentions du défendeur et pourrait être considérée comme une autre tentative de subvertir la procédure de règlement des griefs et de faire considérer son grief comme abandonné.

[37] Le plaignant affirme en outre que l’interprétation erronée de la procédure de règlement des griefs par les représentants du défendeur a des conséquences énormes puisqu’il pourrait être réputé avoir abandonné son grief s’il ne le présente pas au palier suivant dans les délais prescrits. Le grief est l’une des causes aggravantes de son état de santé, et son médecin a demandé de traiter le grief sans tarder, afin de prévenir une aggravation supplémentaire. Selon le plaignant, le défendeur n’a pas tenu compte de cette demande.

[38] Le plaignant conclut que l’interprétation et l’application illogiques de la convention collective par le défendeur, en plus de lui fournir des renseignements manifestement inexacts, équivalaient à une négligence grave, à de l’incompétence ou à une mauvaise foi intentionnelle. Ses violations de huit articles de la convention collective ont été commises pour retarder intentionnellement la procédure, pour faire en sorte que le grief soit considéré comme abandonné et pour l’obliger à accepter une décision de règlement de grief qu’il a le droit de ne pas accepter. Son comportement et ses omissions, qui ont eu pour but de subvertir délibérément le grief du plaignant, mettent en évidence ses actions discriminatoires, arbitraires et de mauvaise foi qui étaient contraires à l’article 187 de la Loi.

[39] De plus, le plaignant suggère que les éléments de preuve mettent également en évidence un complot avec l’employeur visant à subvertir et à saboter son grief. Il admet que le gain du défendeur n’est pas clair, mais il estime toujours qu’il gagne sans aucun doute la faveur de l’employeur en faisant clore ou rejeter les griefs. Ses actions et ses interprétations erronées semblent malveillantes, calculées et hautement discriminatoires, car la seule autre raison expliquant la négligence grave dans le traitement de son grief ou la fourniture de renseignements inexacts est une forme de discrimination fondée sur des caractéristiques génétiques.

VI. Motifs

[40] La présente plainte a été présentée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi et elle comprend une allégation de manquement au devoir de représentation équitable de l’agent négociateur. L’article 187 énonce qu’un agent négociateur ne doit pas agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

[41] L’essence même de la présente plainte est liée à la représentation du défendeur dans le contexte d’un grief lié à la convention collective que le plaignant a déposé. En ce qui concerne les questions liées à la convention collective, l’agent négociateur dispose du pouvoir exclusif en matière de représentation. Toutefois, ses actions et ses comportements sont assujettis à l’analyse de la Commission afin de déterminer si l’article 187 a été respecté (voir Serediuk c. Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO‑SACC‑CSN), 2023 CRTESPF 71, aux par. 21 et 22; Jutras Otto c. Brossard, 2011 CRTFP 107, au par. 62; et Lessard-Gauvin c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 4, aux par. 42 à 44).

[42] Le plaignant conteste le fait que le défendeur réduit ses allégations pour proposer que l’objet principal de la plainte est qu’il a mis son grief en suspens sans son consentement. Toutefois, il faut admettre que, même si la plainte contient plusieurs autres allégations, la plupart d’entre elles sont liées d’une façon ou d’une autre à cette décision, que le défendeur a prise unilatéralement.

[43] Par exemple, le plaignant allègue qu’il a reçu du défendeur des renseignements inexacts ou inopportuns. D’après les documents versés au dossier, je crois comprendre qu’il s’agit du calcul du délai pour présenter un grief, recevoir une réponse à ce grief ou le transmettre au palier suivant de la procédure de règlement des griefs. Aucune de ces questions n’était réellement en jeu ou n’avait fait l’objet de discussions avant que le grief ne soit mis en suspens.

[44] Le plaignant allègue également qu’il n’a pas reçu d’éclaircissements ou d’assurance au sujet de sa sécurité d’emploi. Je crois comprendre qu’il a formulé cette allégation parce qu’il croyait que le fait que son grief ait été mis en suspens pouvait avoir des conséquences sur son emploi. Il a décrit ces préoccupations comme étant sa conviction que son grief pourrait être considéré comme abandonné ou qu’il pourrait être considéré comme ayant abandonné son poste puisqu’il n’exerce qu’une partie de ses fonctions. Il craint également que l’expiration de la convention collective en vertu de laquelle il a déposé son grief puisse avoir une incidence sur le grief.

[45] Enfin, le plaignant allègue que le défendeur n’a pas tenu compte de ses renseignements médicaux. Je comprends que cette allégation est liée à son souhait de procéder le plus rapidement possible à la procédure de règlement des griefs, de sorte que ses symptômes ne soient pas exacerbés par les retards. Encore une fois, cette allégation ne serait pas en jeu si le grief n’avait pas été mis en suspens.

[46] Par conséquent, il est raisonnable de conclure que l’allégation principale de la présente plainte porte sur la décision unilatérale du défendeur de mettre le grief du plaignant en suspens, sans son consentement. J’aborderai donc cet élément en premier.

C. Le pouvoir de l’agent négociateur sur un grief lié à la convention collective

[47] Selon l’interprétation du plaignant de la convention collective, un agent négociateur n’a aucun pouvoir à l’égard d’un grief lié à la convention collective, sauf celui de l’approuver au moment où il est déposé et celui de le représenter pour le renvoyer à l’arbitrage. Selon son interprétation très étroite et sélective, un employé aurait le pouvoir exclusif sur un grief lié à la convention collective en tout temps entre ces deux points. Je ne suis pas du tout du même avis.

[48] La jurisprudence de la Commission comporte des décisions contradictoires lorsqu’il s’agit de déterminer qui, en vertu de la législation sur le secteur public fédéral, [traduction] « possède » sémantiquement un grief lié à la convention collective : le fonctionnaire s’estimant lésé ou l’agent négociateur. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas à trancher cette question aux fins du présent cas, car tout le monde convient qu’un grief lié à la convention collective ne peut pas exister ou survivre sans l’appui de l’agent négociateur (voir Tibilla, au par. 39; et Farhan c. Agence du revenu du Canada, 2021 CRTESPF 48, au par. 82).

[49] La convention collective appartient à l’agent négociateur et à l’employeur. Le législateur, comme l’a reconnu à l’unanimité la jurisprudence, a conféré à l’agent négociateur le pouvoir exclusif de décider de représenter ou non un employé lorsqu’il s’agit d’un grief lié à son interprétation ou à son application. Le pouvoir exclusif peut être exercé pendant toute l’existence du grief (voir Reid, au par. 58; et Jakutavicius c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2005 CRTFP 70, au par. 126). Selon moi, cela signifie que l’agent négociateur a la seule charge d’un tel grief.

[50] Par conséquent, le pouvoir complet et exclusif doit inclure des questions telles que les prorogations de délai. L’agent négociateur doit avoir le pouvoir de les proroger ou de les suspendre, comme dans le présent cas, à condition qu’il le fasse dans les limites de la Loi ou du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »).

[51] La Loi est tout simplement silencieuse en ce qui concerne les délais de la procédure de règlement des griefs. En ce qui a trait au Règlement, il précise à l’article 61 qu’en ce qui concerne la présentation d’un grief à un palier quelconque de la procédure de règlement des griefs, le délai prescrit prévu par cette disposition du Règlement ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective peut être prorogé par entente entre les parties, avant ou après l’expiration de ce délai.

[52] Par conséquent, rien n’empêche ou ne restreint l’agent négociateur de mettre un grief lié à la convention collective en suspens, comme il l’a fait dans le présent cas, avec l’accord de l’employeur. Toutefois, cette décision peut faire l’objet d’une analyse de la Commission afin de s’assurer qu’elle respecte les critères acceptés du devoir de représentation équitable de l’agent négociateur énoncés à l’article 187 de la Loi.

[53] Dans ses arguments, le plaignant adopte la position selon laquelle la décision du défendeur de mettre son grief en suspens a contrevenu à de multiples dispositions de la convention collective.

[54] Dans les affaires renvoyées à la Commission, les allégations de violations de la convention collective, comme les nombreuses allégations que le plaignant a formulées contre le défendeur dans sa plainte, concernent habituellement un employeur et un agent négociateur. Une plainte relative au devoir de représentation équitable ne constitue pas un moyen pour les employés de soulever ce qu’ils considèrent comme des violations de la convention collective de la part de leurs agents négociateurs. Une telle chose n’est pas vraiment importante et n’aide guère à déterminer si l’agent négociateur a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi dans le cadre de sa représentation du plaignant. Comme il est indiqué dans Brown, le devoir de représentation équitable ne porte pas sur mérite de l’interprétation de la convention collective par un agent négociateur, mais plutôt sur la question de savoir si cette interprétation et les décisions subséquentes de l’agent négociateur sont raisonnables.

[55] Dans ses arguments écrits, le plaignant cite le paragraphe 22 de Brown, qui cite Hotel Employees Restaurant Employees Union, Local 75 v. The Delta Chelsea Inn, Delta Chelsea Hotels & Resorts, [1996] O.L.R.D. No. 452 (QL; « Delta »), au paragraphe 23. Il invoque cette citation pour étayer son argument selon lequel si l’interprétation de la convention collective par un agent négociateur est absolument illogique, elle pourrait être considérée comme arbitraire.

[56] Toutefois, il n’a reproduit que la moitié de la citation dans ses arguments. Le reste de la citation indique que l’arbitre dans Delta a conclu que si deux interprétations de la convention collective sont concurrentes, la Commission ne favorisera pas l’interprétation du plaignant tant que celle de l’agent négociateur est raisonnable. Dans le présent cas, je conclus non seulement que l’interprétation de l’agent négociateur est raisonnable, mais je soutiens également respectueusement que l’interprétation du plaignant est tout simplement intenable.

[57] Le plaignant allègue également que la position du défendeur contreviendrait à l’article 67 du Règlement. Cette disposition ne confère pas à l’employé le droit de déposer un grief à son gré, comme semble le proposer le plaignant, mais indique plutôt à l’employé comment procéder s’il souhaite en déposer un. En outre, l’article 67 ne peut pas être interprété isolément des autres dispositions du Règlement ou des dispositions de la loi dont il découle, en l’occurrence la Loi.

[58] Le paragraphe 208(4) de la Loi énonce clairement qu’un fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel portant sur l’interprétation ou l’application de toute disposition d’une convention collective qu’à la condition d’avoir obtenu l’approbation de l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle s’applique la convention collective et d’être représenté par cet agent.

[59] Pour ces motifs, je conclus que le défendeur avait le contrôle total des délais du grief du plaignant dans le présent cas, y compris le pouvoir unilatéral de le mettre en suspens, avec le consentement de l’employeur. Je dois maintenant déterminer si la décision de l’agent négociateur de mettre le grief en suspens, ou toute autre de ses actions ou omissions, constitue une violation du devoir de représentation équitable.

D. Existe-t-il une cause défendable selon laquelle les décisions, les actions ou les omissions du défendeur constituent un manquement au devoir de représentation équitable?

1. Le cadre d’analyse applicable

[60] La Commission applique systématiquement ce que l’on appelle communément une « analyse de la cause défendable », qui est bien établie dans sa jurisprudence et qui a été résumée récemment dans Corneau, au paragraphe 17, comme suit :

[17] […] Lorsqu’elle applique une analyse de la cause défendable, la Commission doit considérer tous les faits allégués par le plaignant comme vrais, puis déterminer si ce dernier a établi une cause défendable selon laquelle il a eu violation de la Loi (voir aussi Hughes c. ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2012 CRTFP 2, au par. 86).

 

[61] Pour démontrer avec succès une cause défendable, les allégations factuelles du plaignant doivent suggérer que les décisions, les actions ou les omissions du défendeur pourraient être considérées comme arbitraires ou discriminatoires ou découlant de mauvaise foi (voir Tibilla, au par. 26; et Andrews c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 141, au par. 28).

[62] Dans ses analyses, la Commission a systématiquement conclu que le mécontentement ou le désaccord d’un plaignant quant à la façon dont l’agent négociateur a traité un grief ne suffit pas à démontrer qu’il a contrevenu à l’article 187 de la Loi (voir Sganos c. Association canadienne des agents financiers, 2022 CRTESPF 30, au par. 102; et Berberi c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2017 CRTEFP 49, au par. 48).

[63] La Commission doit plutôt appliquer la norme énoncée dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509, afin de déterminer si les décisions, les actions ou les omissions de l’agent négociateur peuvent être considérées comme une représentation qui est juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié (voir Andrews, au par. 29).

[64] Le rôle de la Commission n’est pas de remettre en question l’agent négociateur en évaluant le bien-fondé de ses actions ou de ses décisions, afin de déterminer si elles étaient appropriées et bonnes (voir Jutras Otto, au par. 61). De plus, le mécanisme de plainte relative au devoir de représentation équitable ne devrait pas être utilisé comme une tentative de régler des différends entre un plaignant et un employeur (voir Burns, au par. 164) ou pour régler des questions internes concernant l’agent négociateur (voir Serediuk, au par. 25; et Hancock, aux par. 84 à 86).

[65] Dans ses arguments, le plaignant souligne que, dans son analyse, la Commission doit appliquer le critère de manière à autoriser que la plainte soit entendue sur le fond et que tout ce qui est nécessaire, ce sont des faits suffisants pour établir un [traduction] « lien » défendable. Il suggère en outre qu’il n’est certainement pas approprié de l’obliger à révéler tous les faits sur lesquels son cas est fondé comme condition préalable pour franchir le seuil. Que l’argument soit la meilleure interprétation des faits ou même une bonne interprétation, il n’est pas pertinent. Il suffit de satisfaire au critère prima facie selon lequel il existe au moins une cause défendable. Afin d’étayer ses affirmations, le plaignant fait référence à Hager c. Opérations des enquêtes statistiques et ministre responsable de Statistique Canada, 2009 CRTFP 80, aux paragraphes 35 et 41.

[66] Hager portait sur une plainte pour pratique déloyale de travail concernant une prétendue discrimination de la part de l’employeur fondée sur les activités syndicales des plaignantes. Le raisonnement que la Commission a appliqué dans ce contexte, même s’il est semblable, diffère légèrement de l’analyse dans le présent cas. Dans le cas d’une plainte comme celle dans Hager, la Loi prévoit un fardeau de la preuve inversé et exige que le défendeur démontre qu’il n’a pas contrevenu à la Loi sur la seule base des allégations écrites contenues dans la plainte. Afin d’éviter une utilisation abusive possible de ce recours, la Commission applique un critère prima facie pour déterminer qu’il existe au moins un lien défendable entre les allégations et l’action contestée du défendeur.

[67] Le paragraphe de Hager auquel le plaignant me renvoie indique clairement qu’il est formulé de manière à ne pas contrecarrer l’intention du législateur d’imposer un fardeau inversé en faveur des plaignants. Un tel contexte de fardeau inversé n’existe pas dans le présent cas et, comme je l’ai mentionné précédemment, le critère pour les plaintes présentées en vertu de l’article 187 de la Loi est déjà bien établi dans la jurisprudence de la Commission. Même si le cadre de la cause défendable s’applique dans les deux situations, je ne vois aucune raison de m’écarter de l’approche généralement appliquée qui est reflétée dans cette jurisprudence, qui se rapporte particulièrement aux plaintes relatives au devoir de représentation équitable, pour réduire davantage le seuil que le plaignant doit respecter, comme il semble le proposer.

[68] Même si Hager ne peut pas vraiment aider le plaignant comme il le souhaiterait, je comprends sa position quant à la quantité et au type d’allégations factuelles qu’il croit devoir présenter pour obtenir gain de cause. Toutefois, il doit comprendre qu’il a eu l’occasion de déposer des arguments plus d’une fois et qu’il devait présenter tous les faits à l’appui de sa position sans présumer qu’il pourrait compléter sa position plus tard.

[69] De plus, comme il a été indiqué dans des décisions antérieures de la Commission, même si le fardeau dont le plaignant doit s’acquitter dans un contexte d’analyse de la cause défendable comme celui-ci est assez faible, les allégations factuelles qu’il présente doivent sembler réalistes et ne doivent pas être de simples allégations ou arguments (voir Payne c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 58, au par. 60; Sganos, aux par. 80 et 81; et Joe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 10, au par. 42).

[70] En ce qui concerne le présent cas, dans son ensemble et en résumé, le plaignant suggère qu’il lui est clair que la violation de la convention collective par le défendeur, fondée sur son interprétation, et la totalité de ses décisions, actions et omissions constituent une conduite discriminatoire, arbitraire, insouciante, illogique et équivalente à une négligence grave. Pour lui, cela illustre une représentation malhonnête, malveillante, fautive, non réelle, de mauvaise foi et simplement apparente.

[71] Le plaignant conclut que la conduite du défendeur était délibérée et qu’elle met en évidence tous les attributs que la Cour suprême du Canada a décrits comme étant révélateurs d’une pratique déloyale de travail. Par conséquent, je me pencherai sur les allégations factuelles qu’il a présentées pour déterminer si les prétendues décisions, actions ou omissions du défendeur pourraient être considérées comme arbitraires, discriminatoires ou de mauvaise foi.

2. Arbitraire

[72] Le plaignant fait référence à Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, au paragraphe 50, à l’appui du principe selon lequel la conduite arbitraire et la négligence grave sont étroitement liées. Même lorsqu’il n’y a aucune intention de nuire, un syndicat ne saurait traiter la plainte d’un employé de façon superficielle ou négligente. Il doit effectuer une enquête.

[73] Le plaignant fait également référence à McRaeJackson c. Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada), 2004 CCRI 290, au paragraphe 27, pour des exemples de conduite et de comportements arbitraires de la part d’un syndicat. Il renvoie également au paragraphe 29, qui énonce que le caractère arbitraire signifie que le syndicat ne doit pas agir sans être capable d’expliquer ce qu’il a fait de façon objective ou raisonnable, en croyant aveuglément les arguments de l’employeur. Enfin, il fait référence au paragraphe 30 à l’appui du principe qu’il est arbitraire pour un syndicat de prendre une décision en faisant fi des intérêts légitimes de l’employé. On peut aussi considérer comme arbitraire une attitude d’indifférence quant aux intérêts de l’employé, de même qu’une négligence grave et un mépris inconsidéré à cet égard.

[74] À cet égard, le plaignant me renvoie à Manella c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 7, aux paragraphes 68 à 70 (faisant référence à Gagnon), pour un résumé des cinq principes qui régissent le devoir de représentation équitable. Dans Manella, la Commission a conclu que l’agent négociateur avait agi arbitrairement parce qu’il n’avait pas étudié de manière approfondie le cas ni tenu compte de l’importance des préoccupations de l’employé. Le plaignant suggère que la même conclusion peut être tirée dans le présent cas. Pour lui, même si le défendeur semble offrir une représentation, son interprétation biaisée et illogique de la convention collective discrédite son authenticité à l’égard du règlement de la question.

[75] Voici mon analyse de ces propositions du plaignant. Les faits qu’il présente dans ses arguments, même s’ils sont considérés comme vrais, ne confirment en aucune façon les conclusions qu’il me demande de tirer en fonction des décisions auxquelles il m’a renvoyé et que j’ai indiquées précédemment dans la présente décision.

[76] Le défendeur a reçu et a examiné attentivement la réponse de l’employeur au deuxième palier. Il a conclu que l’employeur avait reconnu l’essence du recours que le plaignant avait entrepris, avec l’appui du défendeur. L’un des principaux objectifs d’un grief relatif à une description de travail, comme celui que le plaignant a déposé avec l’appui du défendeur, est de faire comprendre à l’employeur qu’il pourrait y avoir une divergence ou un décalage entre la description de travail en place et les fonctions que les employés exercent qui sont supposément visés par celle-ci.

[77] Dans le présent cas, l’employeur a accepté d’examiner et de modifier, au besoin, la description de travail contestée par le plaignant. Il a également reconnu que ses avantages pourraient éventuellement être rajustés, selon les résultats de l’exercice d’examen de la description de travail. Pour l’instant, le défendeur a conclu qu’il s’agissait là d’une réponse adéquate au grief du plaignant. Par conséquent, il a convenu, comme il avait le droit de le faire pour les raisons que j’ai expliquées précédemment dans la présente décision, de mettre le grief en suspens afin de laisser l’employeur terminer l’examen de la description de travail du plaignant.

[78] Le comportement, le raisonnement et la gestion du défendeur du dossier du plaignant ne peuvent en aucun cas être qualifiés d’arbitraires par rapport aux exemples et aux critères énoncés dans Noël, McRaeJackson et Manella qu’il a cités. Ils ne peuvent pas non plus être décrits comme une [traduction] « approche attendre et voir » insouciante, comme il l’a présentée dans ses arguments écrits.

[79] Le plaignant doit également comprendre que le défendeur est responsable de l’application de la convention collective pour tous les autres employés de la même unité de négociation. L’examen par l’employeur de la description de travail applicable au plaignant pourrait s’appliquer à un certain nombre d’autres employés du même niveau et de la même classification et avoir des répercussions sur ceux-ci. Le défendeur a tout à fait le droit de tenir compte de ces éléments lorsqu’il décide de la stratégie qu’il estime appropriée en ce qui concerne l’objectif poursuivi dans un grief, même un grief individuel (voir Manstan c. Union canadienne des employés des transports, 2023 CRTESPF 43, aux par. 71 à 74).

[80] Les arguments du plaignant selon lesquels le traitement de son cas par le défendeur pourrait faire en sorte que son grief soit considéré comme abandonné sont illogiques, puisque l’essentiel du présent cas est fondé sur le fait que le défendeur et l’employeur ont convenu d’un commun accord de mettre son grief en suspens.

[81] Les préoccupations du plaignant selon lesquelles les autres mesures correctives demandées dans son grief pourraient ne pas être examinées plus tard sont également sans fondement, compte tenu des faits qui m’ont été présentés. L’employeur a clairement déclaré qu’il avait l’intention de réexaminer cet aspect du grief après l’exercice d’examen, et le défendeur a très clairement indiqué, et ce, à maintes reprises, qu’il réactiverait le grief, au besoin, afin de poursuivre cet objectif. Ce fait est très étayé par les documents versés au dossier, qui confirment que toutes les communications entre le défendeur et le plaignant ont eu lieu avant le dépôt de sa plainte.

[82] Il est également difficile de conclure que le défendeur a manqué à son devoir de représentation équitable, étant donné qu’il continue de surveiller le cas du plaignant et que, ce faisant, il le représente toujours activement. Le fait qu’il a décidé d’attendre que la nouvelle description de travail soit mise au point avant de porter le grief au palier suivant semble non seulement raisonnable, mais aussi quelque peu essentiel pour atteindre cet objectif de la procédure de règlement des griefs. Ce type d’approche a été jugé acceptable dans la jurisprudence (voir Tibilla, aux par. 39 et 40).

[83] Les allégations selon lesquelles les renseignements que le défendeur a fournis au plaignant étaient insuffisants ou inexacts sont formulées en fonction de son interprétation de la convention collective ou des dispositions législatives. Quant à la proposition selon laquelle ils auraient pu être inopportuns, les renseignements versés au dossier ne précisent pas ce à quoi le plaignant fait référence exactement. Quoi qu’il en soit, le fait est qu’aucun de ces éléments ne l’a empêché de déposer un grief et de finalement le porter au deuxième palier, où il a été accueilli en partie. Par conséquent, il n’a subi aucune incidence réelle, peu importe ce qu’il a fait ou ce à quoi il pourrait faire référence.

[84] En ce qui concerne les renseignements médicaux, il est inexact de dire que le défendeur n’en a pas tenu compte. Il a tenu compte de ces renseignements lorsqu’il a prévu l’audience au deuxième palier. Lorsqu’il a mis le grief en suspens, rien dans les renseignements médicaux ne laissait entendre que le grief devait être renvoyé au troisième palier ou à l’arbitrage. Quoi qu’il en soit, il incombait au défendeur de prendre cette décision. De plus, on pourrait penser que le fait d’accueillir le grief, du moins en partie, aurait dû être bénéfique pour le plaignant. Les autres allégations tirées de son grief sont assujetties à un exercice que l’employeur doit achever, en collaboration avec l’agent négociateur. Il serait injuste et irréaliste de demander à l’employeur de décider de ces mesures correctives avant la fin de l’examen de la description de travail.

3. Mauvaise foi

[85] En ce qui concerne la mauvaise foi, le plaignant fait référence à Sganos, au paragraphe 97. Ce paragraphe énonce que, pour obtenir gain de cause à l’aide d’une telle allégation, le plaignant doit présenter des faits suffisants pour révéler une forme d’hostilité personnelle envers lui ou un comportement oppressif, malhonnête, malicieux et rancunier de la part du défendeur. Il fait également référence à Jackson c. Syndicat des douanes et de l’immigration, 2013 CRTFP 31, au paragraphe 66, qui a reconnu que le manque de communication d’un agent négociateur avec un membre pourrait être considéré comme une preuve d’un comportement arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi.

[86] Enfin, le plaignant fait référence à McRaeJackson, au paragraphe 27, pour les trois exemples qu’il décrit et qui pourraient être considérés comme de la mauvaise foi de la part d’un agent négociateur. Selon ce paragraphe, il s’agit des sentiments d’un représentant syndical qui influent sur la décision de poursuivre ou non un grief, du syndicat qui conspire avec l’employeur pour prendre des mesures disciplinaires à l’égard d’un employé ou pour le licencier, et du fait de favoriser l’ambition d’un groupe d’employés qui soutiennent un représentant syndical avant les intérêts d’un employé individuel.

[87] Encore une fois, je ne vois nulle part dans les faits et les documents qui m’ont été présentés l’expression d’une quelconque hostilité de la part du défendeur, encore moins de toute action ou tout comportement qui pourrait être considéré comme oppressif, malhonnête, malicieux ou rancunier.

[88] Le défendeur a soutenu le plaignant lorsqu’il a déposé son grief. Il l’a représenté et a obtenu un résultat satisfaisant au deuxième palier puisque l’employeur a accueilli le grief, au moins en partie. Il a raisonnablement et légitimement mis le grief en suspens pour permettre à l’employeur d’effectuer, avec sa collaboration, un processus d’examen qui pourrait entraîner une solution définitive au grief et les mesures correctives souhaitées.

[89] Le défendeur a communiqué son raisonnement et sa justification clairement et à maintes reprises au plaignant entre le 3 octobre et le 8 novembre 2022. Même si le plaignant allègue que le défendeur a démontré un manque de communication ou que les renseignements qu’il a fournis étaient incomplets, erronés ou tout simplement absents, les documents indiquent le contraire. Il se peut qu’il ne souscrive pas à la justification figurant dans les communications du défendeur ou à sa stratégie choisie, mais cela est loin de faire en sorte que les actions, les décisions et les comportements du défendeur dans le présent cas constituent de l’arbitraire ou de la mauvaise foi (voir Corneau, au par. 110).

[90] S’il y a un signe d’hostilité dans le présent cas, il provient du plaignant. Ses propositions répétées selon lesquelles le défendeur aurait pu conspirer avec l’employeur, délibérément retarder son cas, tenter de forcer un règlement ou un abandon, faire partie d’une forme de collusion ou de corruption, ou tenter de saboter ou de subvertir la procédure de règlement des griefs, non seulement ne sont pas étayées par les faits allégués et les documents versés au dossier, mais elles sont également très préoccupantes. Il s’agit d’allégations graves qui ne devraient pas être formulées à la légère comme l’a fait le plaignant.

4. Discrimination

[91] En ce qui concerne l’aspect discriminatoire de sa plainte, le plaignant renvoie aux alinéas 9(1)c), 10a) et 10b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP). Il soutient également que le paragraphe 226(2) et l’article 13 de la Loi autorise la Commission à interpréter et à appliquer la LCDP. Enfin, il fait référence à A.B. c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 53, aux paragraphes 64 à 66 et 75, concernant le critère prima facie qui, selon lui, devrait être appliqué dans son cas. Il invite la Commission à l’appliquer dans son analyse des actions, de la conduite et des omissions du défendeur.

[92] Récemment, la Commission a rappelé qu’il ne s’agit pas du critère retenu dans sa jurisprudence pour analyser des allégations de discrimination dans le contexte d’une plainte déposée en vertu de l’article 187 de la Loi (voir Payne, aux par. 85 et 86). Tel qu’il est proposé dans Noël, au paragraphe 49, la Commission devrait examiner les tentatives du défendeur de désavantager un individu ou un groupe sans que le contexte des relations de travail ne le justifie par ailleurs (voir également Beniey c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2020 CRTESPF 32, au par. 69).

[93] Dans le présent cas, le plaignant n’a pas présenté un seul fait qui me permettrait de conclure que le défendeur a agi d’une telle manière. Il limite ses arguments en matière de discrimination à de simples affirmations exprimant sa conviction que les actions du défendeur étaient discriminatoires. Par exemple, il affirme qu’il ne croit pas qu’il s’agisse d’une question d’incompétence, car les actions et les domaines d’interprétation erronée semblent calculés. Il propose donc que la seule autre raison pour laquelle les représentants du défendeur auraient fait preuve d’une négligence grave dans le traitement de son grief ou dans la fourniture de renseignements inexacts découle d’une forme quelconque de discrimination. Cela ne suffit manifestement pas à étayer une conclusion de discrimination en vertu de l’article 187 de la Loi et, par conséquent, ne démontre pas une cause défendable sur cette base.

5. Autres allégations

[94] Enfin, j’aborderai deux des allégations du plaignant qui n’entrent pas dans les catégories examinées jusqu’à présent. Il estime que la réponse de deuxième palier n’était pas valide parce qu’elle a été rendue après l’expiration de la période de 30 jours pour répondre et parce qu’elle fait référence au mauvais numéro de dossier et qu’elle contient des renseignements généraux inexacts. Il soutient également que l’agent négociateur a, à l’origine, soutenu son grief, et qu’il doit donc être fondé.

[95] Encore une fois, l’allégation de non-respect du délai de réponse est fondée sur l’interprétation de la convention collective par le plaignant, qui diffère de celle du défendeur. Le 5 octobre 2022, le défendeur a clairement expliqué sa position sur cette question dans un long courriel provenant de son gestionnaire de la région de la capitale nationale. Comme je l’ai mentionné, je n’ai pas à me prononcer sur la bonne interprétation. L’interprétation de l’agent négociateur est raisonnable et n’a pas empêché le grief de passer au palier auquel il a été accueilli en partie. Par conséquent, le plaignant n’a pas été touché, sauf qu’il n’est pas satisfait de l’approche choisie par le défendeur.

[96] En ce qui concerne le mauvais numéro de dossier, il n’est pas important et n’a aucune conséquence sur le cas du plaignant. On peut en dire autant de ce qu’il considère comme des renseignements généraux inexacts dans la réponse de l’employeur. Il ne s’agit que de quelques erreurs d’écriture ou de désaccords de son point de vue, qui, de toute façon, n’ont aucune incidence sur son cas.

[97] En ce qui concerne le fait que le défendeur a, à l’origine, soutenu le grief, il n’a pas non plus d’importance pour la présente décision. Le défendeur le soutient toujours, mais le plaignant ne souscrit tout simplement pas à sa stratégie. Encore une fois, cela est insuffisant pour étayer sa plainte relative au devoir de représentation équitable du défendeur.

VII. Conclusion

[98] Étant donné que je conclus que le plaignant n’a rien allégué dans la conduite, les décisions, les actions ou les omissions possibles du défendeur qui pourraient être considéré comme arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi, je conclus que la plainte ne démontre pas une cause défendable d’une violation de l’article 187 par le défendeur. Par conséquent, je n’ai pas à poursuivre mon analyse sur le deuxième motif soulevé par le défendeur, à savoir déterminer si la plainte était prématurée.

[99] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VIII. Ordonnance

[100] La plainte est rejetée.

Le 20 mars 2024.

 

Traduction de la CRTESPF

 

Pierre Marc Champagne,

une formation de la Commission des relations de travail

et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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