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Date: 20240226

Dossier: 566-34-11678

 

Référence: 2024 CRTESPF 24

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

Nada Bastasic

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

Agence du revenu du Canada

 

employeur

Répertorié

Bastasic c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Elle-même

Pour l’employeur : Lauren Benoit, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
le 6 et le 20 octobre et le 24 novembre 2023.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] La présente décision porte sur un avis d’examen de l’état de l’instance. Nada Bastasic, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») a déposé le présent grief en février 2014 et l’a renvoyé à la Commission en septembre 2015. La Commission a ajourné l’audience du présent grief trois fois à la demande de la fonctionnaire. Après que la fonctionnaire a manqué un délai en décembre 2022 pour déposer une réponse écrite à une question préliminaire soulevée par l’employeur, la Commission a envoyé un avis d’examen de l’état de l’instance et lui a demandé d’expliquer le retard dans le traitement du présent cas et de fournir un plan pour faire avancer le cas.

[2] J’ai jugé qu’il y a eu dessaisissement du grief. La fonctionnaire n’a pas fourni d’explication satisfaisante pour justifier son retard à traiter le présent grief. De plus, elle n’a pas fourni de plan raisonnable pour faire avancer le présent grief.

II. Fondement de la compétence de la Commission

[3] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84), et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission ») qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi n2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi n2 sur le plan d’action économique de 2013.

[4] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique (DORS/2005-79) pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi ») et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (le « Règlement »).

III. Historique de l’instance

A. Différend et grief

[5] Le 10 janvier 2014, la fonctionnaire a été informée par écrit que l’Agence du revenu du Canada (l’« employeur ») la mettait en congé de maladie et l’interdisait de pénétrer dans le milieu de travail. L’employeur a déclaré qu’il s’inquiétait de certains comportements de la fonctionnaire. La fonctionnaire nie certains comportements et affirme que d’autres comportements étaient appropriés. Elle a refusé de fournir un certificat médical et a pris un congé non payé après l’expiration de son congé de maladie.

[6] La fonctionnaire a déposé un grief à l’encontre de la décision l’interdisant de pénétrer dans le milieu de travail sans avoir obtenu au préalable l’autorisation médicale le 20 février 2014. La fonctionnaire a déclaré que la décision de l’employeur avait violé l’article 19 de la convention collective conclue entre l’agent négociateur (l’Alliance de la Fonction publique du Canada) de la fonctionnaire et l’employeur qui était en vigueur à l’époque. La fonctionnaire était représentée par son agent négociateur tout au long de la procédure de règlement des griefs. Le 21 juillet 2015, l’employeur a rejeté son grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Le 18 septembre 2015, la fonctionnaire a renvoyé son grief à la Commission.

B. Plainte de la fonctionnaire relative au devoir de représentation équitable

[7] L’agent négociateur de la fonctionnaire a cessé de la représenter après le rejet de son grief au dernier palier par l’employeur. La fonctionnaire a présenté une plainte auprès de la Commission, alléguant que son agent négociateur avait manqué à son devoir de représentation équitable envers elle. La Commission a mis au calendrier provisoirement cette audience du 11 au 13 octobre 2016, l’a reportée au 6 au 8 juin 2017, puis l’a reportée de nouveau au 31 octobre au 2 novembre 2017 – chaque fois à la demande de la fonctionnaire. La Commission a finalement mis au calendrier une audience de la plainte du 14 au 16 novembre 2018. La fonctionnaire a de nouveau demandé un ajournement. Cette fois-ci, la Commission a refusé, affirmant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Étant donné qu’il s’agit de votre quatrième demande de report et qu’il n’y a aucun changement apparent dans votre état de santé et qu’il y a seulement un espoir de votre médecin que vous soyez prête pour une audience dans environ un an, j’ai décidé qu’un quatrième report de l’audience de votre plainte n’est pas justifié.

À mesure que chaque année passe et qu’une plainte est en attente d’audience, le risque augmente que les éléments de preuve soient perdus en raison de la fragilité de la mémoire humaine ou de la perte de documents.

[…]

 

[8] La Commission a entendu la plainte pendant deux jours (les 14 et 15 novembre 2018; le troisième jour n’était pas nécessaire) et a rejeté la plainte le 1er février 2019; voir Bastasic c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CRTESPF 12.

C. Tentatives de mettre au rôle l’audience du présent grief

[9] Comme je l’ai mentionné précédemment, le 18 septembre 2015, la fonctionnaire a renvoyé le présent grief à l’arbitrage. La fonctionnaire allègue que la Commission a compétence sur le présent grief en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi – notamment, que les actions de l’employeur étaient de nature disciplinaire qui équivalait à une suspension.

[10] La Commission a mis au calendrier le présent grief pour une audience du 23 au 26 août 2016. La fonctionnaire a écrit pour demander qu’elle soit reportée en mai ou en juin 2017. Elle a également déclaré qu’elle ne souhaitait pas retourner au milieu de travail à ce moment-là parce qu’elle s’occupait de son parent âgé. L’employeur s’est opposé à cette demande, alléguant que ce retard lui causerait un préjudice en raison des risques d’indisponibilité des témoins et de la détérioration du souvenir des événements. La Commission a accepté de retirer ce grief de son calendrier pour ces dates malgré les objections de l’employeur.

[11] La Commission a mis au calendrier le présent grief pour une audience du 20 au 23 juin 2017, conformément à la demande de la fonctionnaire. Elle a demandé que l’audience soit reportée de nouveau parce qu’elle s’occupait toujours de son parent âgé. Elle craignait également que l’audience se chevauche avec les préparatifs du 150anniversaire du Canada. L’employeur ne s’est pas opposé et la Commission a retiré le présent grief de son calendrier.

[12] La Commission n’a entendu aucune nouvelle de la fonctionnaire quant à une mise à jour de sa disponibilité. La fonctionnaire affirme qu’elle a discuté avec un agent du greffe de la Commission en février 2019 (même si dans un certain nombre de correspondances, elle affirme que c’était en mars 2019), pour demander une copie du dossier de la Commission au sujet de sa plainte relative au devoir de représentation équitable. La fonctionnaire affirme que l’agent du greffe lui a dit qu’elle n’aurait pas droit à une audition de ce grief parce qu’elle n’a pas obtenu gain de cause dans sa plainte contre son agent négociateur.

[13] La Commission a mis au calendrier le présent grief pour une audience du 25 au 27 mai 2022 et a envoyé aux parties un avis à cet effet par courriel daté du 18 janvier 2022. La Commission a également prévu une conférence de gestion des cas le 9 mai 2022 et, le 26 avril 2022, elle a envoyé aux parties un avis de cette conférence de gestion des cas (ainsi qu’une demande de fournir les heures du jour où elles étaient disponibles). La fonctionnaire affirme qu’elle n’a reçu l’avis d’audience que le 21 avril 2022. Elle a envoyé un courriel à la Commission le 27 avril 2022 pour accuser réception de l’avis et pour lui promettre un courriel plus détaillé à la fin du lendemain. Elle n’a pas envoyé ce courriel promis. Le 4 mai 2022, elle a plutôt envoyé une lettre de cinq pages à la Commission pour demander un nouveau report de son audience, cette fois-ci jusqu’en août 2023. Elle a expliqué qu’elle n’avait pas accès à Internet à sa résidence et qu’elle n’a donc reçu l’avis d’audience que le 21 avril 2022. La fonctionnaire a déclaré qu’elle avait besoin de plus de temps pour se préparer à l’audience, qu’elle devait prendre soin d’un parent âgé, que l’audience lui causerait du stress et nuirait à sa santé, qu’elle avait eu une conférence de gestion des cas avec la Sun Life du Canada, Compagnie d’assurance-Vie (« Sun Life ») concernant d’autres litiges (probablement au sujet de ses prestations d’invalidité de longue durée) et que depuis décembre 2013, elle s’était [traduction] « […] concentrée sur les questions concernant les soins aux personnes âgées et sur les tentatives de prendre soin d’elle-même […] ».

[14] L’employeur ne s’est pas opposé à l’ajournement absolu de l’audience, mais a demandé des solutions de rechange à un ajournement prolongé. L’employeur a proposé que son objection préliminaire à la compétence de la Commission d’entendre le grief soit tranchée par écrit. La Commission a demandé à la fonctionnaire de répondre à cette proposition, mais elle ne l’a pas fait.

[15] La Commission a accepté l’approche proposée par l’employeur. Le 26 mai 2022, la Commission a ordonné que l’employeur dépose ses arguments écrits au plus tard le 16 juin 2022. La Commission a ordonné que la fonctionnaire dépose les arguments en réponse dans les six mois suivant les arguments de l’employeur (c.-à-d., au plus tard le 16 décembre 2022).

[16] L’employeur a déposé ses arguments le 16 juin 2022, comme ordonné. Le 14 décembre 2022, l’ancien avocat de l’employeur a écrit à la Commission pour affirmer qu’il affecterait un avocat pour l’avenir.

[17] La fonctionnaire n’a déposé aucun argument écrit.

[18] L’employeur soutient que la Commission n’a pas compétence pour entendre le présent grief. Le grief, tel qu’il est déposé, allègue une violation de l’article d’élimination de la discrimination de la convention collective. Un employé individuel ne peut pas renvoyer à l’arbitrage un grief fondé sur la convention collective sans l’approbation de son agent négociateur (par. 209(2) de la Loi). La fonctionnaire a toutefois déposé le présent grief auprès de la Commission en vertu de l’alinéa 209(1)b), alléguant qu’il porte sur une mesure disciplinaire donnant lieu à sa suspension. L’employeur affirme que, pendant la procédure de règlement des griefs, la fonctionnaire n’a jamais allégué que l’ordre selon lequel elle ne devrait pas se présenter au milieu de travail était de nature disciplinaire. L’employeur affirme que la fonctionnaire ne peut modifier la nature de son grief lorsqu’il est renvoyé à l’arbitrage; par conséquent, elle ne peut pas invoquer l’alinéa 209(1)b).

[19] Je ne tranche pas cette objection relative à la compétence et je ne formule aucun commentaire à son sujet; j’ai résumé l’argument de l’employeur simplement aux fins du contexte.

D. Procédure suivie à l’égard de l’avis d’examen de l’état de l’instance

[20] J’ai été affecté à la présente affaire le 7 juillet 2023.

[21] Le 12 juillet 2023, j’ai envoyé l’avis d’examen de l’état de l’instance (l’« avis de l’état de l’instance »), exigeant que la fonctionnaire dépose des arguments au plus tard le 1er septembre 2023 expliquant la raison pour laquelle on ne devrait pas considérer le grief comme retiré. L’avis de l’état de l’instance indiquait aussi ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Les arguments doivent comprendre une explication de l’omission de répondre aux arguments écrits de l’employeur au plus tard le 16 décembre 2022, au besoin. Enfin, ces arguments écrits fourniront une date limite à laquelle la fonctionnaire fournira sa réponse à l’objection de l’employeur relative à la compétence de la Commission pour entendre le présent grief.

[…]

 

[22] Le 2 août 2023, l’employeur a déposé une requête en rejet du grief au motif qu’il a été abandonné. Le 3 août 2023, j’ai ordonné que la fonctionnaire dépose quand même sa réponse à l’avis de l’état de l’instance, comme il a été demandé, mais j’ai affirmé que j’examinerai les points soulevés par l’employeur dans sa requête en rejet lorsque je trancherai l’avis de l’état de l’instance.

[23] Le 30 août 2023, la fonctionnaire a écrit à la Commission pour demander une prorogation du délai pour déposer ses arguments en réponse à l’avis de l’état de l’instance. Elle n’a pas proposé une nouvelle date limite pour ses arguments, mais elle a demandé un délai de [traduction] « plusieurs mois ». Elle n’a pas envoyé une copie de cette demande aux représentants de l’employeur. Lorsque le greffe de la Commission l’a souligné, la fonctionnaire a demandé que sa demande ne soit pas transmise à l’employeur parce que la demande comprenait des renseignements médicaux personnels. Le greffe a rappelé à la fonctionnaire que les parties doivent se transmettre une copie de toutes les communications avec la Commission.

[24] Le 1er septembre 2023, la fonctionnaire a déposé une réponse à l’avis de l’état de l’instance. Elle a de nouveau écrit au greffe le 5 septembre 2023, lorsqu’elle a constaté qu’elle avait envoyé le mauvais document à la Commission et qu’elle a envoyé le bon document par courriel quelques minutes plus tard. Elle n’a pas envoyé une copie de ces arguments au représentant de l’employeur. Elle a également écrit que la réponse avait été envoyée uniquement pour respecter la date limite et qu’elle souhaitait toujours une prorogation du délai pour fournir des [traduction] « réponses plus cohérentes » (dans ses mots).

[25] Le 5 septembre 2023, j’ai accordé à la fonctionnaire jusqu’au 3 octobre 2023 pour qu’elle dépose sa réponse complète à l’avis de l’état de l’instance et j’ai ordonné que tous les arguments déposés auprès de la Commission soient transmis à l’avocat de l’employeur, à défaut de quoi la Commission les transmettrait à l’employeur sans préavis. J’ai également déclaré que je n’examinerais pas les arguments déposés entre le 1er et le 5 septembre 2023. J’ai également tenté de prodiguer des conseils à ce sujet en affirmant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je rappelle également aux deux parties le but d’un avis de l’état de l’instance. Le but comporte deux volets. En premier lieu, il s’agit d’une occasion pour la fonctionnaire s’estimant lésée de fournir une justification de l’omission de faire avancer le cas. En deuxième lieu, il est conçu pour permettre aux deux parties de présenter leur plan quant à la façon dont le cas devrait progresser. Dans le présent cas, la prochaine étape consiste à ce que je tranche l’argument de l’employeur concernant la compétence. L’employeur a déposé ses arguments écrits il y a plus d’un an et c’est pourquoi la fonctionnaire s’estimant lésée doit fournir une date limite pour répondre à ces arguments. L’employeur peut également présenter des arguments sur la meilleure façon de procéder. Je propose que les deux parties se concentrent sur ces deux questions (si le retard est justifié et comment s’assurer que le cas avance rapidement) dans leurs arguments.

 

[26] La fonctionnaire a envoyé un courriel à la Commission (en transmettant une copie à l’avocat de l’employeur) le 3 octobre 2023, indiquant qu’elle avait préparé des arguments manuscrits. Même si ce courriel indiquait qu’elle avait envoyé un document numérisé de ces arguments manuscrits, aucun document numérisé n’a été reçu. Par conséquent, je lui ai accordé une courte prorogation jusqu’au 6 octobre 2023, afin de fournir ce document numérisé. Elle a plutôt envoyé cinq documents entre le 6 et le 10 octobre : ses notes manuscrites (environ 32 pages) le 6 octobre; une copie dactylographiée de ces notes le 10 octobre; une autre copie, cette fois après avoir vérifié l’orthographe (14 pages); un courriel décrivant les [traduction] « fondements » de ses notes dactylographiées le 10 octobre, et un courriel le 10 octobre laissant entendre que j’effectue une recherche sur le site Web YouTube et regarde des vidéos sur différents problèmes de santé.

[27] J’ai examiné les arguments manuscrits et les ai comparés aux arguments dactylographiés dont l’orthographe a été vérifiée, et ils étaient les mêmes. Par conséquent, j’ai examiné les arguments dont l’orthographe a été vérifiée au moment de prendre la présente décision. J’ai également examiné le courriel énumérant les [traduction] « fondements » des arguments de la fonctionnaire, qui, à mon avis, constituaient un résumé utile. Je n’ai pas effectué une recherche des vidéos sur YouTube portant sur les problèmes de santé énumérés par la fonctionnaire, car aucun élément de preuve selon lequel elle est atteinte des multiples maladies qu’elle énumère ne m’a été fourni; un vidéo YouTube ne garantit pas non plus l’exactitude des conseils médicaux.

[28] Le 20 octobre 2023, l’employeur a déposé ses arguments en réponse.

[29] J’ai d’abord fixé au 6 novembre 2023 la date limite pour que la fonctionnaire dépose une réponse. Le 2 novembre 2023, elle a demandé une prorogation du délai [traduction] « […] jusqu’au 11 décembre 2023 ou peut-être même le 18 décembre » pour déposer sa réponse, aux motifs qu’elle devait s’occuper de son parent âgé. L’employeur s’est opposé à cette demande, mais, à titre subsidiaire, a proposé une prorogation de seulement sept jours. J’ai accordé à la fonctionnaire une prorogation du délai jusqu’au 24 novembre 2023.

[30] La fonctionnaire a envoyé deux autres courriels le 24 novembre 2023. Le premier courriel a fourni un contexte personnel, expliquant la raison pour laquelle un deuxième courriel plus tard ce jour-là pourrait suivre et comprend deux pièces jointes, une lettre demandant une autre prorogation du délai du 24 novembre 2023 jusqu’en février 2024 et une chronologie de huit pages des événements survenus entre 2012 et aujourd’hui, à l’appui de cette demande de prorogation du délai. Le deuxième courriel était une lettre de deux pages fournissant sa réponse aux arguments de l’employeur du 20 octobre 2023.

[31] Je n’ai pas accordé à la fonctionnaire une autre prorogation du délai pour déposer des arguments en réponse. Toutefois, j’ai pris en considération sa réponse de deux pages et sa demande plus longue de prorogation du délai, car sa demande de prorogation du délai fournissait plus de renseignements sur les raisons du retard dans le présent cas.

E. Les arguments des parties

[32] Comme je l’ai mentionné précédemment, le courriel de la fonctionnaire fournissant les [traduction] « fondements » (dans les mots de la fonctionnaire) de sa réponse à l’avis de l’état de l’instance était très utile, surtout parce qu’il résumait et organisait ses arguments. Par souci de commodité, ces [traduction] « fondements » étaient les suivants (en omettant les renseignements personnels sur la fonctionnaire qui ne sont pas pertinents à ma décision) :

[Traduction]

· J’avais anticipé ma situation actuelle [c.-à-d. s’occuper d’un parent âgé] longtemps à l’avance – mais n’avais jamais pu obtenir un plan d’adaptation [de son employeur]

· Les allégations qui ont été faites par l’employeur étaient fausses et n’ont jamais fait l’objet d’enquêtes.

· Tous les facteurs de stress combinés auxquels je suis confrontée compromettent ma santé et mon niveau de fonctionnement.

· Mon [état de santé] m’oblige à planifier mes activités et à choisir de manière sélective les responsabilités que je choisis; toutefois, en raison du statut qui m’a été imposé par mon employeur – je n’ai pas été en mesure d’être aussi sélective. Mon fonctionnement est compromis et cela me nuit.

· En raison des commentaires du commis de la CRTEFP, j’ai eu l’impression que je n’avais pas droit à une audience contre la direction et je n’ai donc pas communiqué avec la CRTEFP après l’audience portant sur le DRE, sauf pour février [2019] lorsque j’ai demandé une copie de mon dossier et j’ai demandé des renseignements sur l’audience de la direction.

· La Covid est intervenue.

· J’ai été surprise de trouver l’avis concernant une audience en avril 2022 par courriel.

· Les documents qui m’ont été envoyés à la fin de 2022 font référence à une question de compétence à l’égard de laquelle j’ai besoin d’un soutien qualifié pour interpréter et me fournir une opinion à cet égard.

· Le départ de l’avocat de la représentante de la scène (Amanda Bergman) m’a laissé perplexe quant à savoir s’il y aurait suivi de la part de son remplacement.

· Compte tenu de mes limites énergétiques, je ne peux concentrer mon attention que sur une crise à la fois.

· En même temps que j’ai reçu la lettre du représentant de l’employeur, mon père a commencé à connaître des moments de faiblesse et de manque d’équilibre et mes énergies mentales se sont concentrées sur ces soins et les rendez-vous médicaux.

· En même temps, la Sunlife Assurance demandait à participer à un processus de gestion des cas.

· Je n’ai pas d’avocat dans les coulisses et j’ai cherché à avoir accès à des services juridiques dégroupés. Je suis dans la position d’avoir à obtenir les services de mon propre avocat parce que mon unité de négociation n’a jamais appuyé ma demande antérieure d’obtenir de manière proactive un plan d’adaptation.

· Un [traduction] « accès à la justice » adéquat est une préoccupation bien connue et je fais part de mon expérience vécue à cet égard.

· J’ai besoin d’un avocat qualifié pour examiner les commentaires transmis au sujet de la [traduction] « question de compétence ». Je ne suis pas qualifiée pour fournir des commentaires

· Selon ce que je crois comprendre, si une audience est tenue devant la CRTESPF, cela n’empêche pas qu’une affaire soit présentée devant la Cour fédérale.

· La fonction de la CRTEFP consiste à offrir aux fonctionnaires fédéraux un lieu abordable et moins compliqué pour présenter des questions de relations de travail à des fins d’examen. Si cela est destiné à être mis à la disposition des fonctionnaires fédéraux, alors je ne devrais pas être privée de cette occasion et de ce lieu simplement parce que je suis vulnérable en raison de ma capacité restreinte à assumer un nombre excessif de facteurs de stress en raison de problèmes de santé et du manque de soutien pour déléguer les questions les plus simples à [sic].

· J’essaie de gérer de multiples facteurs de stress depuis l’été 2022, dont bon nombre sont devenus plus intenses, notamment les problèmes liés au déclin de la capacité de mon père et à la réalisation de ses années très avancées et à la reconnaissance qu’il pourrait être proche de sa mort. Les problèmes concernant mon père imposent des facteurs de stress psychologiques et émotionnels.

· Les divers types de facteurs de stress qui imposent un sentiment débilitant de fatigue sont divers.

· Les facteurs de stress peuvent me rendre dans un état débilité. L’explication des [problèmes de santé] peut être expliquée dans un certain nombre de vidéos You Tube et le CDC fournit une explication détaillée de la définition d’un [état de santé].

· J’ai essayé d’effectuer des recherches sur la façon d’avoir accès à des avocats pour des questions juridiques particulières et j’ai communiqué avec des avocats énumérés dans un répertoire affiché sur le site Web du National Self Represented Litigants Project.

· Il faut du temps et de l’énergie pour envoyer de la correspondance à des conseillers individuels et leur demander de l’aide.

· Lorsque je me concentre sur une responsabilité majeure ou un stress, un autre est mis à l’écart et mon corps et mon esprit décident quand ils doivent se coucher et se retirer de toute activité.

· Je ne crois pas qu’il soit juste d’avoir l’occasion de faire entendre un grief déposé à l’encontre de mon employeur devant la CRTESPF parce que j’ai tant de facteurs de stress présents dans ma vie et un nombre insuffisant de soutiens pour aider à les gérer ou à les détourner.

· Je ne devrais pas avoir à revivre le scénario d’avoir à choisir entre m’occuper adéquatement d’un parent et assumer des responsabilités juridiques et professionnelles comme je l’ai fait lorsque la santé de ma mère était en déclin.

· Ma situation de famille et mon incapacité ne devraient pas déclencher des représailles de la part de mon employeur, l’ARC, le Conseil du Trésor ou le ministère de la Justice.

· Je cherche la capacité de m’occuper pleinement et complètement de mon père […] dont la capacité physique s’est récemment affaiblie, qui n’est plus indépendant et ambulatoire et nécessite une attention constante de ma part sans distraction des délais juridiques imminents.

· Je demande de ne pas être privée de la possibilité d’avoir une audience devant la CRTESPF simplement parce que j’ai des difficultés physiques avec [état de santé], une absence de soutien et l’absence de conseiller juridique à l’heure actuelle.

· Je demande respectueusement que mon grief demeure ouvert et que la mise au calendrier de toute audience n’ait lieu qu’une fois que j’ai obtenu un avocat compétent qui aurait la capacité suffisante de fournir une opinion et des conseils concernant la question de compétence particulière que le représentant de l’employeur a soulevée relativement aux dossiers de grief et au refus de la demande de prestations d’invalidité de la Sunlife.

· Je le demande afin de pouvoir concentrer toute mon attention sur les soins de mon père au cours de la ou des dernières années de sa vie et éviter le genre d’horreur ou de traumatisme et de regrets que j’ai dans ma mémoire concernant les soins de ma mère (ne l’admettant pas à l’hôpital à temps en raison d’avoir été distraite par les actions et le harcèlement flagrants de la part de mon employeur).

· En résumé, je n’ai pas répondu aux commentaires des représentants de l’employeur parce que j’ai dû gérer un déluge de responsabilités stressantes. Être submergée par de multiples facteurs de stress entraîne des moments épisodiques d’incapacité qui entravent ma capacité à répondre aux attentes. En outre, je dois avoir la capacité d’avoir accès aux services d’un avocat qui peut fournir un avis éclairé sur les détails de l’argument.

· Je demande respectueusement que je ne sois pas pénalisée pour les circonstances dans lesquelles je me retrouve à l’heure actuelle qui sont tellement énormes pour moi.

[33] En plus de ces points [traduction] « fondamentaux » (pour utiliser les termes de la fonctionnaire), elle a déclaré un certain nombre d’éléments dans ses arguments, notamment :

· Elle a été impliquée dans d’autres cas juridiques concernant sa municipalité, y compris le dépôt d’une plainte relative aux droits de la personne en août 2022. Ce cas portait sur ce qu’elle a qualifié de [traduction] « normes de propriété ». Elle a également dit qu’elle s’était concentrée sur les travaux d’entretien du terrain à l’été 2022 (dans le cadre de son litige contre la municipalité).

· Elle a confirmé qu’elle avait reçu des documents de l’employeur avant l’audience prévue pour mai 2022 (notamment la liste des documents de l’employeur pour le cas).

· Elle a reçu les arguments de l’employeur et le recueil de jurisprudence portant sur l’objection préliminaire relative à la compétence, mais elle [traduction] « n’a pris connaissance » de ces documents que vers septembre 2022. Elle ne nie pas avoir reçu ces arguments lorsqu’ils ont été envoyés en juin 2022. Elle a également dit dans ses arguments du 6 octobre 2023 que [traduction] « [l]a fonctionnaire s’estimant lésée a l’intention d’appeler Purolator pour déterminer la date à laquelle ils ont été reçus », reconnaissant qu’elle avait également reçu une copie papier. Dans ses arguments en réponse du 24 novembre 2023, la fonctionnaire n’a pas mentionné ses demandes de renseignements auprès de Purolator.

· La communication de l’ancien avocat de l’employeur du 14 décembre 2022 [traduction] « […] a présenté un niveau de confusion concernant toute réponse qui peut être requise […] », mais elle [traduction] « […] n’est pas au courant d’une raison précise et absolue pour laquelle elle n’a pas communiqué et répondu aux commentaires formulés par les représentants juridiques de l’employeur après son départ du cas en décembre 2022 » [le passage en évidence l’est dans l’original].

· En décembre 2022, elle a participé à une conférence de gestion des cas pour son litige contre la Sun Life, et elle se concentrait sur ce litige à ce moment-là. D’autres délais lui ont également été imposés par la Cour supérieure de l’Ontario dans le cadre de son litige contre la Sun Life.

· En ce qui concerne la recherche d’un avocat, la fonctionnaire affirme qu’elle [traduction] « […] souhaitait chercher un avocat compétent, mais qu’elle n’avait pas l’endurance et la force suffisantes pour poursuivre cette recherche quotidiennement », qu’elle cherche toujours un avocat pour la représenter contre la Sun Life, qu’elle n’a pris aucune mesure pour chercher un avocat entre 2019 et 2022 et qu’elle demande un ajournement dans le présent cas jusqu’à ce qu’elle puisse trouver un avocat qui la représentera dans le présent grief et dans son litige contre la Sun Life.

 

[34] L’employeur fait valoir que la fonctionnaire n’a pas expliqué adéquatement le retard dans le présent cas. Il déclare que les parties ont l’obligation de poursuivre leurs cas avec diligence et de demeurer des participants actifs dans le cadre de la procédure et que la fonctionnaire ne l’a pas fait. Il demande également si elle est sincère dans sa demande pour plus de temps pour trouver un avocat, mais même si la demande est sincère, elle a eu amplement le temps de le faire. L’employeur affirme qu’il subit un préjudice par ce retard parce que des témoins ne sont plus disponibles et que ceux qui sont disponibles se souviennent moins des événements. Enfin, l’employeur fait remarquer que la fonctionnaire refuse toujours de fournir une date à laquelle elle déposera une réponse à l’objection relative à la compétence, malgré mon ordonnance de le faire.

[35] Dans ses arguments en réponse, la fonctionnaire allègue, pour la première fois, qu’elle n’a pas pu ouvrir la copie électronique des arguments de l’employeur déposés en juin 2022. Elle nie que l’employeur subit un préjudice par le retard dans le présent grief. Enfin, elle affirme maintenant qu’elle demande que [traduction] « […] aucune audience […] ne soit prévue avant que l’employeur de la fonctionnaire ne retienne les services d’un tiers pour enquêter sur les incidents de violence en milieu de travail auxquels elle a été assujettie ».

IV. Cadre d’un avis d’examen de l’état de l’instance

[36] L’article 11.1 du Règlement a été ajouté en 2020. Par souci de commodité, il se lit comme suit :

11.1 La Commission peut, de sa propre initiative, envoyer à chacune des parties un avis d’examen de l’état de l’instance exigeant qu’elles présentent leurs observations indiquant les raisons pour lesquelles elle ne devrait pas considérer qu’il y a eu dessaisissement et, à défaut de réponse dans le délai qu’elle fixe, considérer qu’il y a eu dessaisissement.

 

[37] Une disposition presque identique a été ajoutée au Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique (DORS/2006-6; art. 8.2) en 2022.

[38] La Commission a envoyé de nombreux avis d’examen de l’état de l’instance depuis que ces dispositions ont été adoptées et a rejeté certains cas à la suite d’examens de l’état de l’instance. Toutefois, ces cas ont tous été tranchés de façon officieuse au moyen de lettres de décision ou d’ordonnances communiquées aux parties. J’ai préparé cette décision publiée afin de fournir une certaine orientation pour l’avenir concernant un avis d’examen de l’état de l’instance de la Commission.

[39] Aucune des parties n’a contesté que l’article 11.1 du Règlement s’applique au présent cas, même s’il a été adopté en 2020 et que le présent grief a été renvoyé à la Commission pour arbitrage en 2015. L’article 11.1 est une modification purement procédurale apportée au Règlement parce qu’il modifie la tenue d’une instance devant la Commission et ne s’applique pas indépendamment du litige. Étant donné que la disposition est de nature purement procédurale, elle s’applique immédiatement dès son adoption et peut être appliquée aux griefs déposés avant 2020. Je me fonde sur R. c. Chouhan, 2021 CSC 26, pour parvenir à cette conclusion, en particulier le paragraphe 92 en ce qui concerne les différences entre le droit procédural et le droit substantiel, et les paragraphes 90 et 103 à l’appui de la proposition selon laquelle des modifications purement procédurales s’appliquent immédiatement aux cas existants.

A. Questions contextuelles pour déterminer l’approche relative à un examen de l’état de l’instance

[40] J’ai examiné trois questions contextuelles pour déterminer l’approche appropriée relative à un examen de l’état de l’instance

1. But d’un avis d’examen de l’état de l’instance

[41] En premier lieu, l’article 11.1 du Règlement a pour but de s’assurer que les cas se déroulent rapidement et qu’ils ne stagnent pas, ne soient pas non entendus et non réglés.

[42] Je tire ce but en partie du « Résumé de l’étude d’impact de la réglementation », qui a indiqué ce qui suit au sujet du but de l’article 11.1 du Règlement : « Le Règlement a été modifié pour inclure une nouvelle disposition concernant l’examen de l’état pour les “cas inactifs” afin de permettre à la Commission de mieux gérer sa charge de travail. » Un Résumé de l’étude d’impact de la réglementation peut fournir la preuve de l’objet d’un règlement (voir Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, aux paragraphes 156 et 157, et Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 17, au par. 138). Par conséquent, l’avis d’examen de l’état de l’instance vise à traiter les cas qui ne se déroulent pas en temps opportun (c.-à-d. les « cas inactifs »).

[43] Je tire également ce but des objectifs de la Loi dans son ensemble, notamment « […] que le régime de relations patronales-syndicales de la fonction publique doit s’appliquer dans un environnement où la protection de l’intérêt public revêt une importance primordiale […] ». Il est dans l’intérêt public d’assurer une administration efficace de la justice et de régler les différends rapidement. L’intérêt public relatif à l’administration efficace de la justice s’applique aux audiences de la Commission; voir Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119, au par. 15; Brennan c. Administrateur général (Statistique Canada), 2016 CRTEFP 104, au par. 29; Fletcher c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 39, au par. 36 (toutes citées par l’employeur dans le présent cas). Il est également dans l’intérêt public de régler rapidement les différends en milieu de travail en tant que fondement du processus suivi par la Commission (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Association des pilotes fédéraux du Canada, 2009 CAF 223, au par. 55) et toutes les commissions et conseils des relations de travail (voir Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, au par. 50, et Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 69).

2. Examen de l’état de l’instance prévu dans les Règles des Cours fédérales

[44] En deuxième lieu, l’expression « examen de l’état de l’instance » prévue dans le Règlement est la même expression que celle utilisée à l’article 380 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106). Par conséquent, la Commission peut examiner l’application par la Cour fédérale de l’examen de l’état de l’instance afin de déterminer le processus semblable dans le présent cas.

[45] Lorsqu’elle détermine la mesure appropriée à prendre après un examen de l’état de l’instance, la Cour fédérale se penche principalement sur les deux questions suivantes (voir Baroud c. Canada, 1998 CanLII 8819 (CF)) :

1) Quelles sont les raisons pour lesquelles le cas n’a pas avancé plus vite et justifient-elles le retard qui a eu lieu?

2) Quelles mesures la partie responsable du cas (un demandeur devant la Cour fédérale – mais un fonctionnaire s’estimant lésé, un demandeur ou un plaignant devant la Commission) propose-t-elle pour faire avancer l’affaire?

 

[46] Ces deux questions sont liées en ce sens que plus faible est l’explication pour justifier le retard, mieux doit être le plan pour faire avancer le cas; voir Baroud, au par. 5. Toutefois, la réponse à l’une ou l’autre question peut être déterminante. S’il n’y a aucune explication pour justifier un retard, le cas peut être rejeté. De plus, si la partie responsable du cas ne prévoit pas un plan pour le faire avancer, il peut également être rejeté (voir Liu c. Matrikon Inc., 2010 CAF 329, au par. 2, et St. Hilaire c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 87, au par. 6). La Cour fédérale a également reconnu que le rejet d’un cas devrait être l’exception et non la règle, ce qui est déclaré dans Roots c. NCSM Annapolis (Navire), 2015 CF 1339, au par. 28 :

[28] Il ressort clairement de la loi qu’une instance ne doit être rejetée lors de l’examen de son état que dans des circonstances exceptionnelles, et lorsqu’aucun autre recours ne suffirait. Étant donné l’effet draconien du rejet d’une demande pour cause de retard, l’accent devrait être mis sur l’intérêt général de la justice. La préoccupation générale devrait consister à savoir si la partie en défaut reconnaît qu’il lui incombe de faire avancer l’action et si elle prend des mesures à cette fin.

 

[47] Étant donné l’utilisation de la même expression « examen de l’état de l’instance » dans le Règlement et dans les Règles des Cours fédérales, j’ai conclu que ces principes s’appliquent également à l’art. 11.1 du Règlement.

[48] Je reconnais que l’art. 11.1 du Règlement n’est pas identique à la disposition dans les Règles des Cours fédérales. Par exemple, le Règlement stipule que la conséquence pourrait inclure que la Commission peut « considérer qu’il y a eu dessaisissement », tandis que l’alinéa 382.1(2)a) des Règles des Cours fédérales stipule que la conséquence pourrait inclure que la Cour peut « la rejeter [l’instance] ». Mais la conséquence pratique demeure la même dans les deux dispositions – l’affaire sera réglée. Par conséquent, je suis toujours à l’aise en ce qui concerne l’administration par la Cour fédérale des examens de l’état de l’instance en vertu des Règles des Cours fédérales lorsqu’il s’agit d’examiner la façon dont la Commission devrait traiter les examens de l’état de l’instance en vertu du Règlement.

3. Contexte juridique plus vaste à l’appui des examens de l’état de l’instance

[49] En troisième lieu, je me fonde sur le contexte plus vaste de cette question, qui comprend les trois éléments suivants.

[50] En premier lieu, la Commission, comme tout autre tribunal administratif, « contrôle sa procédure » (voir Gal c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 188, au par. 5.), ce qui lui donne le pouvoir de gérer de manière appropriée ses cas. Comme l’avis d’examen de l’état de l’instance est un moyen pour la Commission de gérer sa charge de travail et ses instances, elle dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable quant au moment d’envoyer un avis et à la façon de le traiter.

[51] En deuxième lieu, un avis d’examen de l’état de l’instance vise principalement à gérer les retards dans le traitement d’un cas. La question d’un retard dans les instances administratives a été abordée récemment par la Cour suprême du Canada dans Law Society of Saskatchewan c. Abrametz, 2022 CSC 29. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a confirmé qu’il y a deux catégories dans lesquelles un retard dans une instance administrative entraînera le rejet ou le sursis de cette instance parce que la poursuite équivaudrait à un abus de procédure. En premier lieu, si le retard touche l’équité procédurale d’une audience, la poursuite de l’instance équivaudrait à un abus de procédure. L’équité de l’audience peut être compromise lorsque le délai en cause nuit à la capacité d’une partie de répondre à la plainte portée contre elle, notamment parce que des souvenirs se sont estompés, des témoins essentiels ne sont pas disponibles ou des éléments de preuve ont été perdus (au paragraphe 41). En deuxième lieu, même dans les cas où il n’y a pas d’atteinte à l’équité de l’audience, un retard peut équivaloir à un abus de procédure lorsque le retard est excessif et il a causé un préjudice important autre que dans un sens d’équité procédurale. Lorsque l’une ou l’autre des conditions est remplie, il peut y avoir abus de procédure si la poursuite du cas déconsidérait l’administration de la justice (au paragraphe 43).

[52] Un examen de l’état de l’instance n’a lieu que lorsqu’il y a eu un certain retard dans le traitement d’un cas. La décision qui suit un examen de l’état de l’instance devrait tenir compte de la question de savoir si le retard signifie que l’instance équivaut à un abus de procédure, car « […] les décideurs administratifs possèdent, corollairement à leur devoir d’agir équitablement, le pouvoir d’examiner les allégations de délai abusif » (Abrametz, au par. 38).

[53] En troisième lieu, j’ai envisagé un avis d’examen de l’état de l’instance à la lumière des préoccupations concernant le retard dans le système de justice dans son ensemble. Tous les tribunaux administratifs subissent des retards. Les cas qui prenaient auparavant des semaines prennent maintenant des années à régler. Les tribunaux administratifs sont aux prises avec la façon d’améliorer les retards. L’une des façons consiste à traiter les cas qui ne se déroulent pas rapidement parce que l’une ou les deux parties ne suivent pas les directives ou ne respectent pas leurs dates limites.

[54] Les approches adoptées par d’autres organes d’arbitrage pour traiter un retard de cette nature peuvent être instructives. Par exemple, l’approche adoptée par le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP). Le TCDP dispose de deux façons complémentaires de décider s’il y a lieu de rejeter une plainte en raison d’un retard. La première approche (qu’il appelle le « critère classique ») est 1) s’il y a eu un retard excessif, 2) si le retard est inexcusable, et 3) si les défendeurs sont susceptibles de subir un grave préjudice en raison de ce retard (voir Chisholm c. Halifax Employers Association, 2019 TCDP 38, au par. 18) – une approche semblable à celle énoncée dans Abrametz. La deuxième approche consiste à déterminer si on n’a « tenu absolument aucun compte » des délais et des règles que le TCDP a établi dans les cas qui sont laissés dormants pendant une période déraisonnable et que le plaignant ne semble pas avoir l’intention de clore le dossier. L’incidence du retard n’est donc « […] pas seulement […] jugé[e] à la lumière du préjudice causé aux plaideurs, mais aussi de l’abus de la justice, ce qui est distinct du préjudice causé par un retard excessif et inexcusable »; voir Chisholm, au par. 19.

[55] La deuxième approche du TCDP tient compte d’un principe juridique plus vaste selon lequel une cour ou un tribunal peut rejeter un cas lorsqu’une partie ne démontre pas son intention de porter le cas à une audience; voir Grovit v. Doctor, [1997] UKHL 13, et Seitz c. Canada, 2002 CFPI 456. Comme la Cour d’appel du Manitoba l’a récemment déclaré dans Papasotiriou-Lanteigne v. Tsitsos, 2023 MBCA 66, aux paragraphes 63 et 68 :

[Traduction]

[63] […] Un demandeur n’a pas le droit unilatéral de déposer une action, de la mettre en suspens et de la réactiver lorsque cela lui convient.

[…]

[68] Il ne s’agit pas ici d’un simple retard, mais d’un entreposage, c’est-à-dire du début au maintien d’une instance pendant une période prolongée sans l’intention actuelle de poursuivre l’instance, sauf éventuellement à une date de convenance future non précisée pour le demandeur. Cette pratique aboutit à des « procédures altérées ce qui jetait le discrédit sur la gestion des tribunaux » (Arbuthnot Latham Bank Ltd v Trafalgar Holdings Ltd (1997), [1998] 2 ALL ER 181, à la p. 192 (CA (Eng))).

 

[56] En conclusion, le but et le contexte de l’art. 11.1 du Règlement visent à aider la Commission à régler rapidement les cas et à lui donner un outil permettant de s’assurer que les cas ne sont pas entreposés indéfiniment. Comme l’a formulé le TCDP dans Dorey c. Emploi et Développement social Canada, 2023 TCDP 23, au par. 32 :

[32] Les tribunaux administratifs ont aussi l’obligation d’utiliser efficacement leurs ressources. Le législateur a choisi de déléguer la prise de décisions dans des domaines spécialisés comme les droits de la personne aux tribunaux administratifs et s’attend à ce qu’ils rendent leurs décisions promptement et efficacement […]

 

B. Approche relative à un avis d’examen de l’état de l’instance : quatre questions que la Commission tranchera

[57] Compte tenu de ce but et de ce contexte, il y a quatre questions à trancher dans le présent examen de l’état de l’instance :

1) Les parties ont-elles expliqué le retard de manière satisfaisante? Il incombera au fonctionnaire s’estimant lésé, au plaignant ou au demandeur (selon le type de cas entendu) d’expliquer le retard qui est survenu dans le cas – dans le présent cas, il s’agit de la fonctionnaire. Je ferai référence à cette partie comme la [traduction] « partie responsable du cas ». En termes clairs, si la partie responsable du cas ne répond pas à l’avis d’examen de l’état de l’instance, son omission de répondre est déterminante et la Commission considérera qu’il y a eu dessaisissement.

2) La partie responsable du cas a-t-elle fourni une voie raisonnable à suivre pour régler le cas? L’omission de fournir une voie à suivre démontrera que la partie n’a pas réellement l’intention de porter le cas à une audience. La partie responsable du cas n’a pas besoin de fournir une voie à suivre parfaite; la Commission peut ne pas souscrire à la proposition de la partie et utiliser une autre voie. Par exemple, si une partie qui dépose des arguments en retard propose de les déposer dans les 90 jours, mais que la Commission estime qu’un délai de 45 jours est plus approprié, alors la partie responsable du cas se sera acquittée de son obligation de fournir une voie à suivre raisonnable, même si la Commission impose un échéancier plus court.

3) La poursuite du cas violerait-elle les règles d’équité procédurale parce que le retard a nui à la capacité d’une partie de répondre à la plainte portée contre elle? Il s’agit du premier type d’« abus de procédure » décrit dans Abrametz.

4) La poursuite du cas constituerait-elle un abus de procédure et jetterait-elle le discrédit sur l’administration de la justice? Il s’agit du deuxième type d’abus de procédure décrit dans Abrametz.

 

[58] Il incombe à la partie responsable du cas de convaincre la Commission qu’elle a satisfait aux deux premières exigences. Cela signifie que si la partie responsable du cas ne fournit pas une explication satisfaisante pour justifier le retard ou ne propose pas une voie à suivre raisonnable pour régler le cas, la Commission considérera qu’il y a eu dessaisissement du cas.

[59] Si la partie responsable du cas donne des réponses satisfaisantes à ces questions, il incombe alors à la partie défenderesse de démontrer que la poursuite du cas serait inéquitable sur le plan de la procédure ou jetterait le discrédit sur l’administration de la justice.

[60] Le fardeau de la partie responsable du retard consiste seulement à fournir une explication satisfaisante et une voie à suivre raisonnable – et non une explication parfaite ou une voie à suivre parfaite. Il ne faut considérer qu’il y a eu dessaisissement des instances que dans des circonstances exceptionnelles après un examen de l’état de l’instance. La qualité de l’explication et le caractère raisonnable de la voie à suivre devraient être examinés à la lumière des cas à l’égard desquels le décideur a considéré qu’il y a eu dessaisissement uniquement dans des circonstances exceptionnelles.

[61] Ce fardeau signifie qu’il n’est pas nécessaire que la Commission examine toutes les quatre exigences dans chaque cas. Par exemple, il n’est pas nécessaire d’examiner les troisième et quatrième questions si la partie responsable du retard n’explique pas de façon satisfaisante le retard et ne fournit pas une voie à suivre raisonnable.

[62] Ces quatre questions ne sont pas non plus exhaustives. Le principe qui a préséance est l’équité. Dans un cas approprié, d’autres facteurs ou questions peuvent être pertinents s’ils portent sur la question de savoir s’il serait injuste de considérer qu’il y a eu dessaisissement du cas.

[63] Enfin, une question pratique est que la pratique habituelle à la Cour fédérale consiste à interdire de prendre d’autres mesures dans une instance pendant un examen de l’état de l’instance. Cela signifie qu’une fois que la Cour a envoyé un avis d’examen de l’état de l’instance, le défendeur ou l’intimé ne peut présenter une requête en rejet du cas; voir Winnipeg Enterprises Corporation c. Fieldturf (IP) Inc., 2007 CAF 95, aux paragraphes 12 et 13. Cette approche convient également pour la Commission.

[64] Dans le présent cas, l’employeur a déposé une requête en rejet du grief au motif qu’il a été abandonné. Cette requête était superflue, étant donné la nature d’un examen de l’état de l’instance que j’ai décrit dans la présente décision. Il ne s’agit pas d’une critique de l’employeur. Il s’agit d’une disposition relativement nouvelle du Règlement, et comme je l’ai dit précédemment, je donne une orientation procédurale et substantive de la façon de l’appliquer à l’avenir. Mais à l’avenir, la partie défenderesse ne devrait pas déposer de requête en rejet d’un cas au cours d’un examen de l’état de l’instance. La partie défenderesse peut plutôt expliquer la raison pour laquelle on devrait considérer qu’il y a eu dessaisissement du cas dans ses arguments en réponse à l’avis d’examen de l’état de l’instance. La partie défenderesse peut également indiquer les requêtes préliminaires (y compris en rejet d’un cas) qui devraient être réglées lorsqu’elle présente ses arguments sur la voie à suivre pour le cas.

V. Raisons pour considérer qu’il y a eu dessaisissement du présent grief

[65] Après avoir examiné attentivement les arguments des parties, j’ai décidé de considérer qu’il y a eu dessaisissement du présent grief. J’ai conclu que la fonctionnaire n’a pas fourni une explication satisfaisante pour justifier le retard dans le présent cas et qu’elle n’a pas l’intention réelle de porter le cas à une audience, comme en témoigne son refus de fournir une voie à suivre pour trancher le présent cas.

A. Aucune explication satisfaisante pour justifier le retard

[66] Le présent grief a été déposé le 20 février 2014 et il a été renvoyé à la Commission le 18 septembre 2015. La Commission a prévu qu’il soit entendu trois fois : en 2016, en 2017 et en 2022. Toutes les trois fois, la fonctionnaire a demandé que l’audience soit reportée, pour des raisons similaires. Toutes les trois fois, la Commission a accepté.

[67] Étant donné que la Commission a déjà accepté de reporter l’audition de la présente affaire à ces trois occasions, je ne remettrais pas en question ces décisions. Par conséquent, la fonctionnaire a déjà expliqué de façon satisfaisante le retard dans le présent cas entre 2015 et le 16 décembre 2022 (date limite pour déposer ses arguments écrits en réponse à l’objection de l’employeur relative à la compétence), même si je peux prendre cette longue période en considération pour évaluer la pertinence de son explication pour justifier le retard après le 16 décembre 2022.

[68] Toutefois, la fonctionnaire n’a pas expliqué de façon satisfaisante son omission de présenter des arguments écrits sur cette objection relative à la compétence. Elle a fourni cinq explications principales, dont aucune ne résiste à un examen minutieux.

[69] En premier lieu, la fonctionnaire affirme qu’elle doit s’occuper de son parent âgé. Cet argument est problématique parce qu’elle a donné la même raison pour ajourner le présent cas en 2016, en 2017 et en 2022 sans aucune indication qu’elle ait pris des mesures pour lui permettre d’améliorer cette difficulté. Elle admet également qu’elle gère deux autres litiges (les litiges contre la Sun Life et sa municipalité). Elle n’explique pas la façon dont elle peut le faire, mais qu’elle ne peut pas préparer une réponse écrite à l’objection de l’employeur relative à la compétence.

[70] En deuxième lieu, la fonctionnaire invoque un certain nombre des mêmes états de santé pour justifier son retard à déposer ses arguments écrits. Le problème, c’est qu’elle n’a déposé aucun élément de preuve pour corroborer ces problèmes de santé. Elle affirme simplement qu’elle souffre d’un état de santé qui la laisse fatiguée et laisse entendre que j’effectue des recherches sur YouTube. Je ne dispose d’aucun fondement pour conclure que ses problèmes de santé sont suffisamment débilitants pour qu’elle ne puisse pas déposer une réponse écrite à l’objection de l’employeur relative à la compétence – surtout parce qu’elle affirme qu’elle continue de souffrir de ces problèmes, mais elle a préparé plus de 30 pages d’arguments en réponse à l’avis de l’état de l’instance. Je ne sais pas si elle a une note de médecin, mais qu’elle refuse de la fournir ou si elle diagnostique elle-même ses problèmes de santé à partir de vidéos YouTube. Quoi qu’il en soit, je ne peux pas accepter ses problèmes de santé au titre d’explication satisfaisante pour justifier le retard à déposer une réponse écrite aux arguments de l’employeur relatifs à la compétence. Enfin, la Commission a déjà refusé sa demande d’ajournement pour sa plainte de devoir de représentation équitable en 2018 fondée sur la même explication médicale (cette fois-là, appuyée par une brève note du médecin). Cette explication n’est pas plus forte aujourd’hui qu’elle ne l’était en 2018.

[71] En troisième lieu, la fonctionnaire déclare qu’elle doit engager un avocat pour préparer une réponse à l’objection de l’employeur relative à la compétence. Pour être franc, chercher un avocat ne constitue pas une explication pour justifier un retard, surtout un retard de plus d’un an (à compter du 16 juin 2022, lorsque l’employeur a déposé ses arguments écrits, à la réponse de la fonctionnaire le 24 novembre 2023). En règle générale, les difficultés à trouver un avocat n’expliquent pas un retard de la poursuite du présent cas; voir Bodnarchuk c. Canada (Revenu national), 2007 CAF 253, et Melekin c. Canada (Commission des droits de la personne), 2004 CF 1479. Il peut y avoir des exceptions à cette proposition générale (par exemple lorsqu’un avocat décide de ne plus représenter un client à la dernière minute ou à un moment particulièrement délicat), mais aucune de ces exceptions ne s’applique dans le présent cas. Rien n’indique que la fonctionnaire ait communiqué avec des avocats au sujet de son cas depuis juin 2022 et aucune explication n’explique la raison pour laquelle elle a du mal à trouver un avocat. Elle ne soutient pas qu’elle n’est pas en mesure de se permettre un avocat, mais simplement qu’elle ne peut pas en trouver un. Même si elle n’est pas en mesure de s’en permettre un, elle n’a pas expliqué la façon dont cela pourrait changer à l’avenir d’une manière qui justifie d’attendre une période indéfinie.

[72] En quatrième lieu, la fonctionnaire affirme qu’elle est préoccupée par d’autres litiges avec la Sun Life et sa municipalité. Elle n’a fourni aucun renseignement sur ces autres différends pour indiquer la raison pour laquelle elle doit les prioriser par rapport au présent grief.

[73] Enfin, la fonctionnaire affirme que le courriel daté du 14 décembre 2022 de l’avocat de l’employeur de l’époque « […] a présenté un niveau de confusion concernant toute réponse qui peut être requise […] ». Je rejette cet argument pour deux motifs. En premier lieu, ses arguments devaient être déposés le 16 décembre 2022. Elle ne laisse pas entendre qu’elle a attendu le 14 décembre 2022 pour commencer à les rédiger; elle ne laisse pas non plus entendre qu’ils seront prêts dans deux jours et elle a attendu pour les mettre au point pendant presque un an en raison de ce courriel.

[74] En deuxième lieu, le courriel ne comporte aucune confusion. Il se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

Veuillez noter que la présente affaire sera réaffectée, puisque je quitterai bientôt mon poste. Toute correspondance future sur ce cas doit être envoyée à Judith à [nouvelle adresse courriel] jusqu’à nouvel ordre.

Je tiens également à confirmer que la Commission a réussi à consulter les documents envoyés le 16 juin 2022, ou si la Commission nécessite que j’envoie de nouveau les documents ou que j’ajoute un autre utilisateur pour en faciliter l’accès? Si vous pouviez le confirmer avant ce vendredi, je vous en serais très reconnaissant.

[…]

 

[75] Je ne vois pas comment il peut y avoir de la confusion relativement à ce courriel. L’avocat de l’employeur affirme simplement que la correspondance doit être envoyée à une nouvelle personne. En ce qui concerne le deuxième paragraphe (concernant la capacité de la Commission d’avoir accès aux documents électroniques), la fonctionnaire admet qu’elle a reçu une copie des documents au plus tard en septembre 2022 – ou du moins c’est à ce moment-là qu’elle [traduction] « en a pris connaissance ». Elle admet également avoir reçu une copie papier de ces documents par Purolator. Même si elle déclare, pour la première fois dans sa réponse, qu’elle n’a pas pu ouvrir ces documents en juin 2022, elle admet qu’elle avait les documents depuis à tout le moins septembre 2022.

[76] Pour ces raisons, la fonctionnaire n’a pas fourni une explication satisfaisante pour justifier le retard.

B. La fonctionnaire n’a pas présenté une voie à suivre raisonnable pour le grief

[77] Même si l’absence d’une explication satisfaisante pour justifier le retard me suffit pour trancher le présent cas, je considérerais également qu’il y a eu dessaisissement du grief parce que la fonctionnaire n’a pas fourni une voie à suivre raisonnable pour le trancher.

[78] Dans l’avis de l’état de l’instance, j’ai demandé expressément à la fonctionnaire de fournir une date limite à laquelle elle fournirait sa réponse à l’objection de l’employeur relative à la compétence de la Commission d’entendre le présent grief. Elle a refusé de le faire.

[79] Le plan de la fonctionnaire est d’attendre que l’employeur enquête sur sa situation et d’embaucher ensuite un avocat qui peut la représenter dans le présent grief et contre la Sun Life. Elle n’a aucun plan visant à trouver un avocat, sauf lire un répertoire d’avocats. Elle n’a pas dit avoir communiqué avec des avocats figurant dans ce répertoire. En outre et fait important, elle ne promet jamais de répondre à l’objection de l’employeur relative à la compétence. Elle fait plutôt valoir qu’une audience devrait être tenue après qu’elle a obtenu un avocat. En bref, elle souhaite avoir une audience à un moment donné inconnu bien à l’avenir après qu’elle aura trouvé un avocat qui la représentera également contre la Sun Life et après que l’employeur aura enquêté sur sa situation.

[80] La fonctionnaire déclare à maintes reprises qu’elle veut toujours poursuivre le présent grief. Je n’ai aucune raison de douter qu’elle souhaite sincèrement que le présent cas ne soit pas rejeté. Cependant, j’ai conclu que cette situation est semblable à celle décrite dans Tsitsos : elle entrepose le présent grief jusqu’à une date non précisée à l’avenir, à sa convenance. Elle n’a présenté aucune voie à suivre pour régler le présent grief. Par conséquent, je considère qu’il y a eu dessaisissement du grief également pour ce motif.

C. Les autres facteurs : équité procédurale et administration de la justice

[81] L’employeur allègue qu’il subit un préjudice en raison de ce retard. Son argument intégral se lit comme suit : [traduction] « […] [Il] a subi un préjudice en raison [du retard], y compris la disponibilité des témoins et la détérioration du souvenir des événements. »

[82] Compte tenu de mes conclusions précédentes, je n’ai pas besoin de trancher ce point.

[83] Si j’avais été tenu de le faire, je n’aurais pas été convaincu par l’argument de l’employeur. J’aurais nécessité de plus amples renseignements avant de considérer qu’il y a eu dessaisissement du présent cas parce que, autrement, il serait injuste sur le plan procédural de procéder. Par exemple, quels témoins ne sont pas disponibles, et pourquoi? Les représentants de l’employeur ont-ils parlé avec ces témoins pour confirmer la détérioration de leurs souvenirs ou l’employeur suppose-t-il simplement qu’il en est ainsi? Une partie qui allègue un préjudice procédural causé par un retard « […] doit être disposée à présenter des éléments de preuve pour justifier ses prétentions » (voir Grover c. Canada (Procureur général), 2010 CF 320, au par. 30). Cela ne signifie pas nécessairement un témoignage oral (comme cela s’est produit dans Grover), mais cela signifie plus que simplement affirmer dans l’abstrait que les souvenirs s’estompent et que les témoins deviennent indisponibles au fil du temps. Il s’agit souvent d’une préoccupation, mais une partie qui soulève cette préoccupation doit quand même démontrer que cette préoccupation s’est manifestée dans le cas particulier. L’employeur ne l’a pas fait dans le présent cas.

[84] Je n’ai pas examiné le quatrième facteur consistant à savoir si la poursuite du présent cas jetterait le discrédit sur l’administration de la justice. Cette enquête est tellement fondée sur les faits et le contexte que tout commentaire que j’aurais pu avoir n’aiderait probablement pas les parties dans les cas futurs, et par conséquent, je n’aborderai pas davantage la question.

[85] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[86] Le présent grief est considéré comme retiré.

Le 26 février 2024.

Traduction de la CRTESPF

Christopher Rootham,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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