Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

En 2021, la Commission a rendu une décision dans laquelle elle a accueilli une plainte relative à la dotation en partie que la plaignante avait déposée (Turner c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2021 CRTESPF 52 (« Turner CRTESPF »)) – dans cette décision, la Commission a émis une déclaration d’abus de pouvoir mais elle a refusé d’ordonner la révocation des nominations – la Cour d’appel fédérale a accordé le contrôle judiciaire à l’égard de la décision de la Commission portant uniquement sur la réparation et a renvoyé la question de la mesure corrective à la Commission pour réexamen – cette décision traite de la question de réparation, puisque la Commission est liée par la conclusion précédente d’abus de pouvoir dans l’application des critères de mérite – l’intimé a soulevé une objection, faisant valoir que les questions de réparation étaient devenues sans objet, en partie parce que les personnes nommées n’occupaient plus les postes en question – la Commission a indiqué que les conclusions dans Turner CRTESPF appuyaient une déclaration d’abus de pouvoir dans l’application des critères de mérite, et aucune des parties n’a suggéré qu’une déclaration similaire ne devrait pas être rendue de nouveau – à ce titre, la Commission a déclaré qu’un abus de pouvoir s’était produit dans l’application des critères de mérite dans les nominations des deux personnes nommées – la Commission a indiqué que la révocation d’une nomination est un outil de réparation supplémentaire qui est à sa disposition et qu’elle n’était pas d’accord avec les propos de l’intimé qu’une ordonnance révoquant les nominations serait automatiquement sans objet parce que les deux personnes nommées avaient depuis changé d’emploi – la jurisprudence de la Commission a conclu que dans certaines situations, la personne nommée ne pourrait plus occuper le poste en question, et que la révocation ne serait pas sans objet, mais constituerait une mesure corrective appropriée – après avoir conclu que la révocation des nominations dans le présent cas ne serait pas sans objet, la Commission a examiné si une telle décision constituerait une mesure corrective appropriée dans les circonstances du présent cas – elle a examiné la jurisprudence et a conclu que, de façon générale, la révocation est jugée appropriée lorsque la personne nommée ne satisfait pas aux qualifications essentielles, ainsi que dans d’autres cas, impliquant du favoritisme personnel, une crainte raisonnable de partialité ou une erreur grave dans le processus de nomination – elle a également examiné les cas où la révocation n’a pas été ordonnée – elle a conclu qu’elle devait déterminer si la révocation constituerait une mesure corrective appropriée en fonction des faits à partir du moment où l’abus de pouvoir s’est produit et où la plainte a été déposée, et non des circonstances à l’arbitrage – donc, en fonction de la jurisprudence, des faits du cas, des arguments des parties et des conclusions dans Turner CRTESPF, la Commission a conclu qu’une ordonnance révoquant les nominations devrait être rendue – par conséquent, la Commission a déclaré qu’un abus de pouvoir s’était produit et a ordonné la révocation des nominations.

Ordonnance et déclaration faites.

Contenu de la décision

Date: 20240312

Dossiers: EMP-2017-11567 et 11568

 

Référence: 2024 CRTESPF 33

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la

fonction publique

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

eNTRE

 

CATHY TURNER

plaignante

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Gendarmerie royale du Canada)

 

intimé

Répertorié

Turner c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada)

Affaire concernant des plaintes d’abus de pouvoir déposées en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Jena Russell, représentante

Pour l’intimé : Laetitia Bonaparte Auguste, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 1er et 30 août et le 8 décembre
2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] En 2021, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a rendu une décision dans laquelle elle accueillait, en partie, une plainte de dotation déposée par Cathy Turner (la « plaignante ») et déclarait que l’intimé, soit l’administrateur général de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), avait abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite relativement à deux nominations à des postes de coordonnateur de la formation; voir Turner c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2021 CRTESPF 52 (« Turner CRTESPF »). Dans cette décision, la Commission a refusé d’exercer son pouvoir de révoquer ces nominations. Elle a plutôt conclu que les ordonnances de révocation ne devraient être accordées que dans de rares circonstances (voir Turner CRTESPF, au par. 79). La Commission a rejeté la plainte dans la mesure où la plaignante y alléguait que l’intimé avait abusé de son pouvoir en utilisant un processus de nomination non annoncé.

[2] La plaignante a déposé une demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision pour contester la partie de celle-ci qui traitait de la question de la réparation.

[3] En 2022, la Cour d’appel fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire et a annulé la partie de la décision de la Commission qui traitait de la réparation qu’il convenait d’accorder à la plaignante; voir Turner c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 192 (« Turner CAF »).

[4] La Cour a conclu que la déclaration de la Commission selon laquelle la révocation n’est que rarement accordée contredisait la jurisprudence de la Commission et celle de son prédécesseur, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP), soulignant que la Commission et le TDFP avaient ordonné la révocation de nominations dans près de la moitié des décisions publiées (voir Turner CAF, au par. 3). La Cour a conclu que la Commission n’avait pas tenu compte de sa propre jurisprudence ni de celle du TDFP relativement aux questions de réparation et qu’elle n’avait pas expliqué sa conclusion selon laquelle la révocation n’était pas justifiée.

[5] La Cour a renvoyé les questions relatives à la réparation à une autre formation de la Commission pour un nouvel examen, laissant à cette dernière le soin de décider quels éléments de preuve supplémentaires, s’il y a lieu, pourraient être nécessaires dans le cadre du réexamen de ces questions (voir Turner CAF, au par. 9).

[6] Une audience devait avoir lieu à la fin du mois juillet 2023. En mai 2023, l’intimé a soulevé une objection au motif que les questions relatives à la réparation étaient devenues théoriques, en partie parce que les personnes nommées n’occupaient plus les postes en question.

[7] Une conférence de gestion de cas a été organisée pour discuter de l’objection de l’intimé ainsi que de la nature et de la portée des éléments de preuve nécessaires, le cas échéant, pour déterminer à nouveau la réparation. Bien que la plaignante ait déclaré qu’elle préférait la tenue d’une audience orale qui lui permettrait de présenter ses arguments de vive voix, ni l’une ni l’autre des parties n’a avancé que des éléments de preuve supplémentaires étaient nécessaires afin de me permettre de déterminer la réparation appropriée. Après avoir entendu les arguments des deux parties relativement à l’objection de l’intimé et à la question de savoir si des éléments de preuve supplémentaires devaient être présentés à la Commission, la Commission a décidé que l’affaire serait tranchée sur la base d’arguments écrits.

[8] Après avoir reçu les arguments écrits des deux parties, la Commission a demandé à la plaignante de lui présenter d’autres arguments. En effet, étant donné que le représentant de la plaignante à ce moment-là avait omis de déposer une réponse aux arguments de l’intimé, la plaignante n’avait pas abordé plusieurs des arguments et des thèmes abordés par l’intimé dans ses arguments. La Commission a donc demandé à la plaignante de lui présenter des arguments supplémentaires relativement à trois questions précises : l’objection de l’intimé fondée sur le caractère théorique de l’affaire, la réparation autre que la révocation, le cas échéant, qui serait appropriée dans les circonstances du présent cas, et les principes directeurs émanant de la jurisprudence de la Commission et de celle du TDFP en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles il a été conclu que la révocation était justifiée. La plaignante a déposé des arguments supplémentaires, à l’égard desquels l’intimé a choisi de ne pas déposer une réplique.

[9] Par ailleurs, les personnes nommées en question ont eu l’occasion de déposer des arguments écrits, mais elles ne l’ont pas fait.

[10] La Commission de la fonction publique a refusé de fournir des arguments écrits.

[11] La présente décision constitue le réexamen, par la Commission, des questions liées à la réparation que la Cour d’appel fédérale a annulées.

II. Résumé des principales conclusions de la Commission dans Turner CRTESPF

[12] La question en litige dans Turner CRTESPF portait sur un processus de nomination non annoncé pour deux postes de coordonnateur de la formation classifiés au groupe et au niveau AS-02. La plaignante avait déposé une plainte devant la Commission dans laquelle elle alléguait que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite et dans le choix d’un processus de nomination non annoncé pour doter ces deux postes. Étant donné que la Commission a rejeté la plainte dans la mesure où cette dernière se rapportait à la décision de l’intimé d’utiliser un processus de nomination non annoncé, je m’abstiendrai de résumer les conclusions auxquelles la Commission est parvenue à cet égard, car elles ne sont pas pertinentes pour les questions de la réparation.

[13] Pour étayer sa plainte à l’égard de l’application du principe du mérite, la plaignante a fait valoir que l’intimé avait modifié les qualifications essentielles que devaient posséder les candidats aux deux nominations de telle sorte que ces qualifications ne correspondaient pas à celles qui étaient nécessaires pour faire le travail en question. À l’audience, la plaignante n’a pas allégué que les personnes nommées n’avaient pas les compétences nécessaires pour occuper les postes auxquels elles avaient été nommées.

[14] Dans sa décision, la Commission a désigné les personnes nommées de la façon suivante : « la personne nommée L » et « la personne nommée M ».

[15] Étant donné que la Cour a seulement renvoyé à la Commission, pour nouvel examen, les questions concernant la réparation, je suis liée par les conclusions de fait et de droit exposées dans Turner CRTESPF. Ces conclusions ont amené la Commission à conclure que l’intimé avait contrevenu à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13; LEFP ou la « Loi »). Plus précisément, la Commission a conclu que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite.

[16] Les constatations et conclusions suivantes de la Commission dans Turner CRTESPF sont les plus pertinentes pour les questions de réparation dont je suis saisie. Les conclusions de fait de la Commission étaient les suivantes :

· Quelques semaines avant que les deux nominations non annoncées aient été faites, l’intimé avait nommé une personne de façon intérimaire à l’un des postes de coordonnateur de la formation. À cette occasion, il a défini les qualifications essentielles relatives aux postes de formation. Plusieurs de ces qualifications renvoyaient expressément à des tâches de formation.

 

· L’intimé a décidé de nommer les personnes nommées, qui s’étaient déjà qualifiées et avaient été placées dans un bassin de candidats aux fins d’un autre processus de nomination AS-02. Le bassin dans lequel les personnes nommées avaient été placées se rapportait à des postes qui n’étaient pas expressément liés à la formation.

 

· L’intimé a délibérément assoupli les qualifications essentielles dans l’énoncé des critères de mérite des deux postes de formation. Il a retiré toute mention de « formation » et a renvoyé à de nouvelles qualifications génériques. Ainsi, les qualifications génériques révisées correspondaient mieux aux qualifications établies pour les autres postes à l’égard desquels les deux personnes nommées avaient déjà été placées dans un bassin.

 

[17] La Commission a déclaré qu’il y avait eu abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite relativement aux deux nominations. Ses conclusions de fait et de droit étaient les suivantes :

· Les qualifications résultant de la révision qui ont été utilisées pour procéder à ces nominations contrevenaient à la LEFP puisqu’elles ne correspondaient plus au travail réel que les personnes nommées devaient accomplir.

 

· La « non‐conformité à l’alinéa 30(2)a) des qualifications essentielles génériques reformulées » constituait une « violation flagrante de la Loi ».

 

· Une liste de qualifications essentielles à l’égard d’un poste de formation de laquelle l’intimé a enlevé tous les renvois à la formation qui existaient dans une version antérieure quelques semaines plus tôt ne peut pas être considérée comme représentant la liste des qualifications réelles ou fidèles pour le travail de formation à accomplir.

 

· Le retrait des renvois à la formation de la liste des qualifications essentielles constituait « une omission flagrante et intentionnelle ».

 

· Le défaut de l’intimé de tenir compte de la formation – un aspect important des fonctions du coordonnateur de la formation – dans les qualifications essentielles au poste a eu pour effet de rendre sa décision arbitraire.

 

· Les éléments de preuve clairs et convaincants du fait que cette omission de l’intimé était intentionnelle ont démontré que ce dernier a pris sa décision de mauvaise foi.

 

[18] Dans sa conclusion, la Commission a mentionné que sa déclaration selon laquelle un abus de pouvoir avait eu lieu témoignait « de la négligence à l’égard des processus de nomination bien établis et de l’exigence connexe prévue par la loi ». Cette déclaration ne concernait pas les personnes nommées elles-mêmes.

[19] Comme je l’ai déjà mentionné, la Commission a rejeté la demande de la plaignante, qui cherchait à obtenir une ordonnance en révocation des nominations, soulignant que « [u]ne pareille ordonnance n’est et ne doit être exercée que dans de rares circonstances ».

III. Les développements survenus après Turner CRTESPF

[20] Les deux personnes dont les nominations ont été qualifiées d’abus de pouvoir dans Turner CRTESPF n’occupent plus les postes en question. Elles ont en effet eu des promotions ailleurs au sein de la GRC. La personne nommée L a obtenu une promotion en 2019 et à nouveau en 2021. Elle a depuis ce temps quitté la GRC. La personne nommée M a obtenu une promotion en 2023.

[21] Les deux postes de coordonnateur de la formation sont présentement occupés par d’autres personnes. Ni l’un ni l’autre de ces postes n’a été doté dans le cadre d’un processus non annoncé, contrairement à ce qui était le cas dans Turner CRTESPF. Aucune plainte n’a été reçue relativement à ces nouvelles nominations.

[22] La plaignante a pris sa retraite de la GRC en 2022.

[23] Le gestionnaire délégué qui était responsable du processus de nomination en cause dans Turner CRTESPF a pris sa retraite en 2019.

IV. Résumé de l’argumentation

[24] Les premiers arguments écrits de la plaignante couvraient cinq pages, dont plus de deux étaient des extraits de Turner CRTESPF et de Turner CAF. Les arguments sont formulés dans les trois paragraphes suivants :

[Traduction]

[...]

Nous demandons à la Commission d’ordonner la révocation des deux nominations mentionnées dans la plainte [...]

L’arbitre de grief chargé de la plainte a conclu très clairement que le ministère avait abusé de son pouvoir, car les outils de sélection qu’il avait utilisés ne reflétaient pas les véritables tâches liées aux postes en question.

[...]

La révocation est la réparation que prévoit la loi. Et si la Commission décide de ne pas l’ordonner, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’elle fournira des détails. Si la décision est maintenue, cela enverra au ministère le message qu’il peut abuser de son pouvoir et profiter du résultat en maintenant dans les postes les candidats qu’il a choisis même si, comme c’est le cas dans la présente affaire, aucune preuve ne démontre qu’ils ont les qualifications nécessaires pour faire le travail.

[...]

 

[25] Dans les arguments écrits supplémentaires qu’elle a présentés à la demande de la Commission, la plaignante soutient que même si elle-même, les personnes nommées et le gestionnaire délégué n’occupent plus les postes qu’ils occupaient à l’époque où elle a déposé sa plainte en matière de dotation, la Commission devrait tout de même révoquer les nominations. Dans d’autres affaires, la Commission a conclu que la révocation d’une nomination ne revêtait pas un caractère théorique du seul fait que la nomination en cause a pris fin (voir Spirak c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2012 TDFP 20, au par. 81). La plaignante soutient que, dans les circonstances de la présente affaire, la révocation des nominations en vertu du paragraphe 81(1) de la LEFP est la seule réparation appropriée.

[26] Selon la plaignante, le fait de contrevenir de façon flagrante à la LEFP constitue de la mauvaise foi, ce qui est l’une des manifestations les plus graves de l’abus de pouvoir. Lorsque la Commission conclut qu’un intimé a agi de mauvaise foi, elle doit prendre toutes les mesures nécessaires pour corriger la situation (voir Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 7, aux par. 39 et 40). Il serait inapproprié qu’il n’y ait pas de conséquences pour la simple raison que la personne nommée a quitté le ministère. Cette façon de faire irait à l’encontre de l’intention du législateur (voir Beyak c. Sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 35, au par. 192) et permettrait à un administrateur général d’éviter les conséquences de ses actions en confiant un autre poste à la personne dont la nomination a été qualifiée d’abus de pouvoir (voir Lo c. Canada (Comité d’appel de la Commission de la fonction publique), 1997 CanLII 5849 (CAF), au par. 12).

[27] L’intimé fait valoir que la détermination de la réparation appropriée dans une affaire de dotation dépend des faits. L’objectif à atteindre consiste à remédier à l’abus de pouvoir auquel le processus de nomination en cause a donné lieu. Bien que la révocation soit une réparation possible, une ordonnance en révocation ne constitue pas automatiquement la réparation à accorder (voir le par. 81(1) de la LEFP; voir également Monfourny c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2023 CRTESPF 37, au par. 113). Il s’agit de l’une des nombreuses options qui s’offrent à la Commission dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi.

[28] L’intimé fait valoir que, dans les circonstances de la présente affaire, une simple déclaration selon laquelle un abus de pouvoir a eu lieu est la seule réparation indiquée. Selon lui, une ordonnance en révocation revêtirait un caractère théorique et ne donnerait pas suite à la conclusion de la Commission selon laquelle un abus de pouvoir a eu lieu. Les personnes nommées n’occupent plus les postes en question et ces derniers ont, depuis ce temps, été dotés par l’entremise d’autres processus de nomination. L’intimé soutient également que la révocation ne serait pas une réparation qui corrigerait la situation ayant mené la Commission à déclarer qu’un abus de pouvoir avait eu lieu dans le cadre de l’application du principe du mérite, plus précisément l’omission de convenablement évaluer la candidature des personnes qui ont éventuellement été nommées à la lumière des qualifications essentielles appropriées.

V. Motifs

[29] À l’exception des questions relatives à la réparation, la Cour d’appel fédérale n’a pas infirmé les conclusions de fait et de droit que la Commission a exposées dans Turner CRTESPF. Seules les questions relatives à la réparation ont été renvoyées à la Commission pour fins de nouvel examen.

[30] Le début de toute analyse en ce qui concerne les questions relatives à la réparation est la LEFP, notamment les dispositions de celle-ci qui accordent à la Commission le pouvoir de prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées. Le paragraphe 81(1) et l’article 82 de la LEFP sont les balises que la Commission doit respecter lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire en matière de réparation. Les paragraphes 81(2) et (3) de la LEFP, qui prévoient les mesures correctives en matière de discrimination et de contravention à la loi sur l’accessibilité, ne sont pas pertinents dans les circonstances de la présente affaire :

[...]

...

Plainte fondée

Corrective action when complaint upheld

81 (1) Si elle juge la plainte fondée, la Commission des relations de travail et de l’emploi peut ordonner à la Commission ou à l’administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

81 (1) If the Board finds a complaint under section 77 to be substantiated, the Board may order the Commission or the deputy head to revoke the appointment or not to make the appointment, as the case may be, and to take any corrective action that the Board considers appropriate.

[...]

...

Restriction

Restrictions

82 La Commission des relations de travail et de l’emploi ne peut ordonner à la Commission de faire une nomination ou d’entreprendre un nouveau processus de nomination.

82 The Board may not order the Commission to make an appointment or to conduct a new appointment process.

[...]

...

 

[31] Il ressort de la jurisprudence de la Commission que cette dernière a déjà exercé son pouvoir d’ordonner des mesures correctives en vertu du paragraphe 81(1) de la LEFP en déclarant qu’un abus de pouvoir a eu lieu, en ordonnant un nouvel examen de la candidature de plaignants, en révoquant des nominations et en émettant des recommandations.

[32] Les conclusions de la Commission dans Turner CRTESPF sont largement suffisantes pour étayer sa déclaration selon laquelle un abus de pouvoir a eu lieu dans le cadre de l’application du principe du mérite, et ni l’une ni l’autre des parties n’a laissé entendre que la Commission devait s’abstenir de faire à nouveau une telle déclaration. Par conséquent, je déclare qu’un abus de pouvoir a eu lieu dans l’application du principe du mérite dans le cadre des nominations des deux personnes nommées.

[33] Une telle déclaration, qui est en fait un énoncé direct et non ambigu de la Commission selon lequel un abus de pouvoir a eu lieu, peut servir d’incitation au changement dans la façon dont l’administrateur général mène les processus de nomination et également fournir des renseignements à l’ensemble des administrateurs généraux quant à la façon dont la Commission interprète et applique les exigences de la Loi. Cependant, dans certaines circonstances, il se peut que la Commission estime qu’une simple déclaration n’est pas suffisante en réponse à la nature et à la gravité de l’abus de pouvoir en question.

[34] Par ailleurs, la possibilité d’ordonner la révocation d’une nomination constitue un autre outil important dont peut se servir la Commission en guise de réparation. Le paragraphe 81(1) de la LEFP est clair : la révocation est une mesure corrective que la Commission peut accorder lorsqu’elle l’estime indiquée compte tenu des faits de l’affaire dont elle est saisie. Il ressort de la jurisprudence citée par la Cour d’appel fédérale aux paragraphes 4 et 5 de Turner CAF que dans les cas où la Commission a ordonné la révocation d’une nomination et dans ceux où elle ne l’a pas fait, la Commission a agi sur le fondement de sa propre évaluation des faits de l’affaire dont elle était saisie.

[35] L’intimé soutient que, compte tenu des faits de la présente affaire, une ordonnance en révocation des nominations revêtirait un caractère théorique et ne constituerait pas une réparation appropriée en réponse à la conclusion de la Commission selon laquelle un abus de pouvoir a eu lieu dans le cadre de l’application du principe du mérite. Les deux personnes nommées n’occupent plus les postes en question, qui sont présentement occupés par d’autres personnes. Le gestionnaire délégué qui était responsable du processus de nomination a pris sa retraite il y a plusieurs années.

[36] Je ne suis pas d’accord avec l’argument de l’intimé selon lequel une ordonnance en révocation des nominations en cause revêtirait automatiquement un caractère théorique parce que les deux personnes nommées ont quitté les postes en question. Cette question a déjà été tranchée dans la jurisprudence de la Commission (voir, par exemple, Ayotte c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 16; Beyak; Spirak, au par. 81; et De Santis c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2016 CRTEFP 34, aux par. 54 et 55). La Commission a déjà conclu qu’il existe un certain nombre de situations dans lesquelles il se peut que la personne nommée n’occupe plus le poste en question, mais que la révocation de sa nomination ne serait pas simplement théorique, car elle constituerait la mesure corrective indiquée dans les circonstances.

[37] La décision Ayotte est particulièrement pertinente. Dans cette décision, le TDFP a conclu que la révocation constituait une mesure corrective indiquée dans un contexte où la personne nommée n’était plus employée par l’intimé responsable de la nomination contestée. Le TDFP a expressément rejeté l’argument de l’intimé selon lequel il n’y avait aucune raison d’ordonner la révocation de la nomination. Le TDFP a déclaré ce qui suit au paragraphe 26 de cette décision : « La LEFP ne mentionne en aucun cas que la personne visée doit encore occuper le poste. C’est au [TDFP] qu’il incombe d’examiner les faits et d’établir si, dans les circonstances, la révocation est de mise. »

[38] Le TDFP a conclu que les actions de l’intimé dans le cadre du processus de nomination constituaient de la mauvaise foi. La nomination n’avait pas été faite selon le principe du mérite, et l’intimé avait fait preuve de favoritisme personnel dans le cadre du processus de nomination.

[39] Dans Beyak, le TDFP a indiqué de la même façon, au paragraphe 192, qu’il serait inapproprié qu’il n’y ait pas de conséquences pour l’intimé parce que la personne nommée a depuis quitté le ministère. Ne pas tirer la même conclusion irait à l’encontre de l’intention du législateur.

[40] La Cour d’appel fédérale a conclu que la révocation n’est pas théorique après que la personne nommée a quitté la fonction publique (voir Lo). Cependant, la Cour fédérale a déclaré, au moins une fois, que le fait qu’une nomination intérimaire ait pris fin « n’a pas pour effet de dessaisir le Tribunal de la plainte dont il est saisi; par contre, le Tribunal est limité dans un tel cas à déclarer qu’un abus de pouvoir a eu lieu sans pouvoir révoquer cette nomination » (voir Canada (Procureur général) c. Cameron, 2009 CF 618, au par. 19). Toutefois, je fais remarquer que Cameron porte sur des nominations intérimaires, qu’elle ne mentionne pas la décision de la Cour d’appel fédérale dans Lo, et qu’elle a été rendue avant que la Commission ne rende les décisions qui forment la jurisprudence que je viens d’analyser. Par conséquent, j’estime que Ayotte et Beyak – ainsi que Lo – sont des précédents qui établissent clairement que la Commission peut révoquer une nomination même si la personne nommée a quitté le poste en question pour en occuper un autre ou parce qu’elle a pris sa retraite.

[41] Je suis consciente du fait que, dans une décision qu’elle a rendue récemment, la Commission a conclu que bien que des abus de pouvoir aient eu lieu dans le cadre de l’évaluation de la candidature d’une plaignante et dans le choix d’un processus de nomination, la révocation de la nomination n’était « pas une option » parce que la plaignante et la personne nommée n’étaient plus des employées de l’intimé dans cette affaire (voir Massabki c. Administrateur général (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2022 CRTESPF 79, au par. 113). Cependant, la décision n’explique pas pourquoi la Commission a jugé qu’il était nécessaire ou indiqué, dans les circonstances de cette affaire, de s’écarter de la jurisprudence que j’ai décrite dans le paragraphe précédent. En l’absence d’une telle explication, je n’estime pas qu’il soit indiqué de s’écarter, sur le fondement de Massabki, de la jurisprudence de la Commission.

[42] Ayant conclu que la révocation des nominations en question ne serait pas simplement théorique, j’aborde maintenant la question de savoir si cela constituerait une mesure corrective indiquée dans les circonstances de la présente affaire.

[43] En tranchant cette question sur le fondement des faits de l’affaire dont elle est saisie, la Commission agit de manière compatible avec les objectifs clés de la Loi, qui visent notamment à veiller à ce que les nominations au sein de la fonction publique soient fondées sur le mérite et à établir un système dans lequel les administrateurs généraux sont tenus de rendre compte des décisions qu’ils prennent dans l’exercice du pouvoir qui leur est délégué. La prise de mesures correctives doit viser à remédier au défaut identifié dans le cadre du processus de nomination en cause (voir Cameron, au par. 18). Comme je l’ai déjà mentionné, les mesures correctives peuvent servir à envoyer un message à l’ensemble des administrateurs généraux quant à la façon dont la Commission interprète et applique les exigences de la Loi. Elles peuvent également informer les administrateurs généraux des mesures correctives que la Commission est susceptible d’ordonner dans les cas où ils contreviennent aux exigences de la Loi et commettent des abus de pouvoir.

[44] La révocation est une mesure corrective de nature discrétionnaire. Il ressort d’un examen de la jurisprudence de la Commission et du TDFP que ceux-ci estiment, de façon générale, que la révocation est une mesure indiquée dans les cas où la personne nommée ne possède pas les qualifications essentielles pour occuper le poste en cause ou lorsqu’il était impossible de déterminer si la personne nommée possédait les qualifications essentielles (voir, par exemple, Regier c. Administrateur général du Service correctionnel du Canada, 2021 CRTESPF 123; Burt c. Sous-ministre d’Anciens Combattants Canada, 2019 CRTESPF 31; Goncalves c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, 2017 CRTESPF 2; Sachs c. Présidente de l’Agence de la santé publique du Canada, 2017 CRTESPF 3; De Santis; Whalen c. Sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2012 TDFP 7; Marcil c. Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2011 TDFP 31; et Denny c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29). Cela n’est pas surprenant, car la nomination à un poste d’une personne qui ne possède pas les qualifications essentielles ne constitue pas une nomination fondée sur le mérite au sens de l’article 30 de la LEFP. Le paragraphe 30(2) de la LEFP prévoit qu’une nomination est fondée sur le mérite lorsque « selon [l’administrateur général], la personne à nommer possède les qualifications essentielles [...] pour le travail à accomplir ».

[45] De façon générale, la révocation a également été ordonnée dans les cas où il a été conclu que le processus de nomination avait été entaché de favoritisme personnel ou d’une crainte raisonnable de partialité (voir, par exemple, Beyak, Ayotte, Marcil; Spirak; Bain c. Sous-ministre des Ressources naturelles, 2011 TDFP 28; et Amirault c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2012 TDFP 6) ou lorsque le processus de nomination avait été par ailleurs gravement vicié (voir, par exemple, Martin c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 19; et Healey c. Président de la Commission des libérations conditionnelles, 2014 TDFP 14).

[46] Comme la Cour d’appel fédérale l’a correctement souligné au paragraphe 3 de Turner CAF, la révocation semble avoir été ordonnée dans près de la moitié des décisions publiées par la Commission et le TDFP. Par contre, qu’en est-il de l’autre moitié?

[47] De façon générale, il semble que, dans ces affaires, soit la révocation n’était pas la réparation demandée (voir, par exemple, Myskiw c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2019 CRTESPF 107; Robert c. Sous-ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 TDFP 24; Ammirante c. Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2010 TDFP 3; Hammouch c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2012 TDFP 12; et Laviolette c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2015 CRTEFP 6), soit les vices dans le processus de nomination se rapportaient exclusivement ou principalement à l’évaluation de la candidature du plaignant et non de la personne nommée (voir, par exemple, Chiasson c. Sous-ministre de Patrimoine canadien, 2008 TDFP 27; et Hughes c. Sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2011 TDFP 16), soit le plaignant n’a pas allégué ou n’a pas démontré que la personne nommée ne satisfaisait pas aux critères de mérite (voir, par exemple, Monfourny; Hunter c. Sous-ministre de l’Industrie, 2019 CRTESPF 83; Gomy c. Sous-ministre de la Santé, 2019 CRTESPF 84; Ostermann c. Sous-ministre de Ressources humaines et Développement des Compétences Canada, 2012 TDFP 28; Gabon c. Sous-ministre d’Environnement Canada, 2012 TDFP 29; Payne c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2013 TDFP 15; Laviolette; et Hill c. Sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2017 CRTESPF 21).

[48] Les thèmes qui ressortent de cette jurisprudence démontrent qu’il est beaucoup plus probable que la Commission ordonne la révocation d’une nomination dans les cas où cette dernière n’était pas fondée sur le mérite ou lorsqu’il ne pouvait pas être établi qu’elle l’était, lorsque la nomination était entachée de favoritisme personnel ou d’une crainte raisonnable de partialité, ou lorsque la Commission a conclu que le processus de nomination était entaché de vices importants.

[49] Le premier de ces thèmes, soit le mérite, est pertinent en ce qui concerne la présente affaire. Dans Turner CRTESPF, la Commission a conclu que l’intimé avait délibérément assoupli les qualifications essentielles dans l’énoncé des critères de mérite relatif aux postes de coordonnateur de la formation, et ce afin de pouvoir nommer des personnes qui avaient été placées dans un bassin de candidats aux fins de nomination à un autre type de poste. Ces faits n’ont pas été contestés (voir le par. 9 de Turner CRTESPF).

[50] Le mérite est évalué au moment de la nomination et compte tenu des qualifications essentielles relatives au travail à accomplir. Bien que la plaignante n’ait pas contesté le fait que les personnes nommées avaient les compétences voulues pour occuper les postes de coordonnateur de la formation en question, on ne peut pas soutenir que le principe du mérite a été respecté dans un cas comme celui en l’espèce, où un gestionnaire délégué a intentionnellement éliminé un aspect hautement pertinent des qualifications essentielles en vue de faciliter les nominations qu’il a faites par la suite. Dans de telles circonstances, on peut difficilement soutenir que, selon l’intimé « [les personnes] à nommer [possédaient] les qualifications essentielles [...] pour le travail à accomplir », comme l’exige le paragraphe 30(2) de la LEFP. L’intimé savait que les personnes à nommer ne possédaient pas les qualifications essentielles pour le travail à accomplir, mais il les a tout de même nommées. Les nominations n’étaient pas fondées sur le mérite au sens de la LEFP.

[51] Il faut présumer que la Commission a soigneusement choisi les mots qu’elle a utilisés dans Turner CRTESPF, dont je fais remarquer le langage catégorique. En effet, je souligne que la Commission a qualifié d’« omission flagrante et intentionnelle » le retrait, par l’intimé, des renvois à la formation de la liste des qualifications essentielles relatives aux postes de coordonnateur de la formation, ce qui rendait « arbitraire » la décision de dotation en litige. La Commission a conclu qu’il ressortait de la nature intentionnelle de l’omission de l’intimé de tenir compte d’un aspect pertinent des qualifications essentielles liées aux tâches à exécuter par les titulaires des postes en question que la décision avait été « prise de mauvaise foi ». Par ailleurs, la Commission a qualifié les mesures prises par l’intimé d’« indifférence flagrante à l’égard des exigences prévues par la Loi » et de « violation flagrante de la Loi ». Je souscris à ces descriptions et qualifications, faites par la Commission dans Turner CRTESPF, des mesures prises par l’intimé.

[52] La mauvaise foi est l’une des manifestations les plus graves de l’abus de pouvoir (voir Ayotte, au par. 18, et le par. 2(4) de la LEFP). Comme il est déclaré dans Glasgow, lorsqu’un abus de pouvoir survient, « il faut prendre toutes les mesures nécessaires pour y remédier » (voir le par. 40). Cela ne signifie pas que la révocation sera – ou qu’elle devrait être – la mesure corrective à prendre dans tous les cas où la Commission conclut qu’un administrateur général a agi de mauvaise foi. L’exercice, par la Commission, de son pouvoir discrétionnaire d’ordonner une mesure corrective demeure une détermination que cette dernière doit faire sur le fondement des faits de chaque affaire.

[53] Dans le présent cas, je ne peux pas ignorer la conclusion non contestée de la Commission selon laquelle l’intimé a délibérément assoupli les qualifications essentielles afin de pouvoir nommer les personnes nommées. Je ne peux pas non plus ignorer le caractère catégorique et la clarté des mots que la Commission a utilisés pour dénoncer les mesures prises par l’intimé, ce qu’elle a fait de la façon la plus ferme possible. La révocation des nominations est justifiée lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la Commission conclut qu’il y a eu de la mauvaise foi et une violation flagrante et intentionnelle de la LEFP du fait de la manipulation des critères de mérite, et ce en vue de faciliter les nominations en question.

[54] L’intimé a contrevenu à la Loi. Malheureusement, ses actions auront des répercussions pour les personnes nommées. En effet, il se peut que ma conclusion et l’ordonnance qui s’ensuivra les affectent. Les parties n’ont pas fourni d’arguments relativement à l’incidence, sur le plan pratique, d’une ordonnance en révocation des nominations qui surviendrait plusieurs années après celles-ci. Les personnes nommées elles-mêmes n’ont pas présenté d’arguments lorsqu’elles ont eu l’occasion de le faire. J’insiste sur le fait qu’en raison de l’incidence possible de ma décision sur les personnes nommées, je n’ai pas pris celle-ci à la légère. Ma conclusion selon laquelle la révocation est la réparation qu’il convient d’ordonner dans les circonstances de la présente affaire ne doit nullement être considérée comme un commentaire sur les aptitudes et les compétences des personnes nommées. Il s’agit plutôt d’une conséquence des actions de l’intimé dans le contexte du processus de nomination.

[55] Je suis consciente du fait qu’il se peut, à l’occasion, que le passage du temps incite la Commission à refuser d’ordonner la révocation d’une nomination (voir, par exemple, Huard c. Administrateur général (Bureau de l’infrastructure du Canada), 2023 CRTESPF 9, aux par. 97 à 99, où la Commission a déclaré que le passage du temps était l’un des nombreux motifs pour lesquels elle n’était pas disposée à exercer son pouvoir discrétionnaire de révoquer les nominations en cause dans cette affaire). Étant donné que la Commission continue de réduire les délais dans lesquels elle rend ses décisions dans les affaires de dotation, j’ai bon espoir que le passage du temps ne constituera bientôt plus une considération pertinente relativement à la détermination des mesures correctives qu’il convient de prendre.

[56] La révocation des nominations plusieurs années après qu’elles ont été faites et, comme dans la présente affaire, après que les personnes nommées ont occupé les postes en question durant un certain temps avant de les quitter n’est pas une solution idéale. Dans le présent cas, le contrôle judiciaire et le réexamen ont prolongé de façon importante le délai qui s’est écoulé depuis le moment où les nominations ont été faites et où la plainte a été déposée. Cependant, la Commission doit déterminer si la révocation constitue une mesure corrective indiquée compte tenu des faits à l’époque où l’abus de pouvoir a eu lieu et où la plainte a été déposée, et non pas compte tenu des circonstances au moment du prononcé de la présente décision. De deux choses, l’une : les personnes nommées possédaient les qualifications essentielles au moment de leur nomination, ou elles ne les possédaient pas. Or, le fait qu’elles ne les possédaient pas n’est pas contesté. Par ailleurs, le fait que l’intimé a délibérément modifié les qualifications essentielles relatives aux postes en question afin d’être en mesure de faire les nominations n’est pas non plus contesté.

[57] Compte tenu de mon examen de la jurisprudence et prenant en considération les faits de la présente affaire, les arguments des parties et les conclusions que la Commission a tirées dans Turner CRTESPF, je conclus qu’il convient d’ordonner la révocation des nominations. Une telle ordonnance serait conforme à la jurisprudence décrite au paragraphe 44, où il a été conclu que la révocation était une mesure corrective indiquée dans les cas où la personne nommée ne possédait pas les qualifications essentielles relatives au poste en question.

[58] J’ai également examiné la question de savoir si, outre la révocation, je devais émettre une recommandation selon laquelle le gestionnaire délégué devrait recevoir une formation relativement aux exigences de la LEFP. Cependant, le gestionnaire délégué a pris sa retraite, et c’est lui qui a commis les erreurs décrites dans Turner CRTESPF. Vu les circonstances, une telle recommandation serait inutile. À mon avis, faire une déclaration et révoquer les nominations constituent des mesures qui font en sorte que les objectifs de la LEFP sont convenablement atteints.

[59] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[60] Je déclare qu’un abus de pouvoir a eu lieu dans le cadre de l’application du principe du mérite lors des deux nominations.

[61] J’ordonne à l’administrateur général de révoquer les nominations des personnes nommées dans les 60 jours suivant la date de la présente décision.

Le 12 mars 2024.

Traduction de la CRTESPF

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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