Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a démissionné de son poste d’inspecteur de l’aviation civile auprès de l’employeur pour occuper un emploi semblable auprès d’une compagnie aérienne privée – peu après, il a appris qu’il était gravement malade et a cherché à annuler sa démission – l’employeur a refusé de l’annuler – le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué qu’il n’avait pas démissionné mais plutôt que l’employeur l’avait congédié pour des raisons disciplinaires ou qu’il avait été contraint de démissionner – il a également allégué que s’il avait démissionné, il manquait de capacité mentale, ce qui devrait entacher sa démission – en examinant ses intentions objectives et subjectives, la Commission a conclu qu’il avait commencé un nouvel emploi et qu’il avait présenté une démission écrite – l’employeur a donné suite à sa démission écrite à plusieurs reprises avant de l'accepter finalement six jours plus tard – pendant cette période, il a continué à travailler dans son nouvel emploi dans une compagnie aérienne privée – il a cherché à annuler sa démission seulement lorsqu’il a découvert qu’il était gravement malade – il n’y avait aucune preuve que l’employeur avait exercé des pressions ou forcé la démission – alors que le fonctionnaire s’estimant lésé était averti de mesures disciplinaires s’il ne cessait pas son nouvel emploi dans une compagnie aérienne privée tout en étant employé par l’employeur, la Commission a jugé que la preuve était insuffisante pour établir que l’acceptation de sa démission était motivée par une intention disciplinaire – il a également témoigné qu’il prenait des analgésiques narcotiques au moment de sa démission et qu’en conséquence, il n’était pas lui-même à ce moment-là, et que son état était impatient, hâtif et têtu – cependant, la preuve a établi qu’il avait une capacité suffisante pour comprendre la nature et les termes de sa démission et pour en juger rationnellement les effets – il a formulé l’opinion qu’un changement de carrière était préférable pour lui et sa famille et a agi sur une période de plusieurs semaines, même après avoir présenté sa démission – il n’a douté de sa décision que lorsqu’il a découvert qu’il était gravement malade – il a alors accordé plus de valeur à ses anciennes prestations d’emploi qu’à ce qui était autrement son désir de faire un nouveau début de carrière – ainsi, la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait sciemment démissionné et qu’elle n’avait pas la compétence pour accepter le renvoi à l’arbitrage de son grief en tant que licenciement disciplinaire.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date: 20240617

Dossier: 566-02-42508

 

Référence: 2024 CRTESPF 81

 

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Patrick Cowman

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

Administrateur général

(ministère des Transports)

 

défendeur

Répertorié :

Cowman c. Administrateur général (ministère des Transports)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Lui-même

Pour le défendeur : Peter Doherty, avocat

Affaire entendue à Edmonton (Alberta)

du 21 au 24 novembre 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Résumé

[1] Patrick Cowman, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a démissionné de son poste d’inspecteur de l’aviation civile à l’emploi de Transports Canada (« TC » ou l’« employeur ») établi à Edmonton, en Alberta. Environ une semaine plus tard, l’employeur a accepté sa démission. Peu de temps après, il a appris qu’il souffrait d’une maladie grave et a cherché à annuler sa démission. Son ancien employeur a refusé.

[2] Une autre formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a accueilli la demande du fonctionnaire visant à proroger le délai de dépôt d’un grief qui, autrement, dépassait de 51 mois l’échéance de 25 jours, dans l’affaire Cowman c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2021 CRTESPF 36. Il a ensuite demandé de reporter de l’audience sur le fond du grief, qui devait avoir lieu en 2021, et sa demande a été accueillie.

[3] Dans son grief, le fonctionnaire a allégué de nombreuses choses, notamment qu’il n’avait pas démissionné, mais que l’employeur l’avait plutôt mis à pied pour des raisons disciplinaires. Il a également allégué que s’il avait bel et bien démissionné, il n’avait pas la capacité mentale de le faire, ce qui devait vicier la démission. Il a ajouté que l’employeur avait contrevenu à la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Association des pilotes fédéraux du Canada pour le groupe Navigation aérienne qui a expiré le 25 juin 2015 (la « convention collective »). Deux réunions de gestion de cas, d’une durée totale de plusieurs heures, ont été tenues avec le fonctionnaire et l’avocat de l’employeur afin d’offrir toutes les occasions raisonnables d’aiguiller le fonctionnaire dans le processus d’audience de la Commission et de répondre à ses nombreuses questions de procédure concernant le renvoi de son grief à l’arbitrage devant la Commission.

[4] La preuve a clairement établi que le fonctionnaire a commencé à occuper un nouveau poste de directeur des affaires réglementaires auprès d’un transporteur aérien privé. Le fonctionnaire avait déposé une déclaration de conflit d’intérêts (CI) décrivant le nouvel emploi proposé dans le cadre du processus relatif aux CI de l’employeur et espérait obtenir une décision qui lui permettrait d’occuper ce nouveau poste pendant une année de congé qu’il avait également demandée.

[5] Toutefois, le fonctionnaire n’a pas attendu la décision sur le CI et a commencé à occuper son nouvel emploi pendant qu’il était encore employé par TC. Le fonctionnaire a fait fi des demandes répétées de son employeur de mettre fin au nouvel emploi jusqu’à ce qu’une décision finale ait été prise quant à ce qu’il considérait comme un véritable CI.

[6] Après que son gestionnaire lui a demandé verbalement et par écrit de cesser de travailler jusqu’à ce que la question du CI ait fait l’objet d’un examen approfondi, le fonctionnaire a écrit qu’il démissionnerait si l’employeur n’agissait pas pour approuver sa déclaration de CI. L’employeur a ensuite attendu six jours avant d’accepter sa démission. Entre-temps, il l’a de nouveau averti de mettre fin à son emploi dans le secteur privé jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue sur le CI et lui a rappelé qu’il avait accès à son régime d’aide aux employés.

[7] Le fonctionnaire a prétendu que l’employeur l’avait contraint à démissionner en repoussant sa décision sur le CI. Le fonctionnaire a également cherché à établir qu’il n’avait pas la capacité mentale de démissionner parce qu’il consommait une grande quantité d’antidouleur narcotique. Toutefois, les éléments de preuve ne corroboraient aucune des conclusions.

[8] Le grief est rejeté pour défaut de compétence parce que le fonctionnaire a démissionné de son emploi. Les allégations relatives à la convention collective exigeaient du fonctionnaire qu’il soit représenté par son ancien agent négociateur, ce qui n’a jamais été le cas au cours des procédures de règlement des griefs ou d’arbitrage. Par conséquent, les allégations relatives à la convention collective sont frappées de prescription et ne seront pas examinées dans la présente décision.

II. Questions en litige et analyse

A. Le fonctionnaire a-t-il démissionné?

[9] L’employeur a répondu au renvoi du grief à l’arbitrage en présentant une requête en rejet au motif que la Commission n’a pas compétence.

[10] L’employeur a soutenu que le fonctionnaire a volontairement démissionné de son emploi et qu’il n’y avait aucune preuve de coercition ou de mauvaise foi connexe, de sorte que les dispositions législatives ci-dessous ne permettent pas à la Commission d’accepter le renvoi du grief à l’arbitrage, et qu’il devrait être rejeté en conséquence. Le fonctionnaire a répondu qu’aucune démission sans équivoque n’avait été clairement communiquée et qu’il faudrait donc trancher qu’aucune démission n’a eu lieu.

[11] La Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13) énonce ce qui suit :

[…]

63 Le fonctionnaire qui a l’intention de démissionner de la fonction publique en donne avis, par écrit, à l’administrateur général; il perd sa qualité de fonctionnaire à la date précisée par écrit par l’administrateur général au moment de l’acceptation indépendamment de la date de celle-ci.

63 An employee may resign from the public service by giving the deputy head notice in writing of his or her intention to resign, and the employee ceases to be an employee on the date specified by the deputy head in writing on accepting the resignation, regardless of the date of the acceptance.

[…]

 

[12] L’employeur a soutenu que la compétence de la Commission d’accepter le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel lié à une perte d’emploi se limite aux mesures disciplinaires prévues à l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire qui n’est pas un membre, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

209 (1) An employee who is not a member as defined in subsection 2(1) of the Royal Canadian Mounted Police Act may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction if the grievance is related to

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire […]

(b) a disciplinary action resulting in termination, demotion, suspension or financial penalty ….

 

[13] Il a également fait remarquer qu’il demeure entendu que la Loi stipule ce qui suit :

[…]

211 Les articles 209 et 209.1 n’ont pas pour effet de permettre le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur :

211 Nothing in section 209 or 209.1 is to be construed or applied as permitting the referral to adjudication of an individual grievance with respect to

a) soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique […]

(a) any termination of employment under the Public Service Employment Act ….

[…]

 

[14] Le fonctionnaire a présenté des éléments de preuve pour tenter d’établir d’abord qu’il n’avait pas démissionné et, ensuite, qu’il n’avait pas la capacité mentale de prendre la décision de démissionner. Il a ajouté que son gestionnaire, dans un courriel qu’il lui avait envoyé, menaçait de prendre des mesures disciplinaires à son encontre s’il ne quittait pas son nouvel emploi auprès du transporteur aérien privé. Il a soutenu que cela démontrait que les mesures prises par TC en ce qui concerne son départ de son emploi étaient en fait disciplinaires, ce qui donne à la Commission la compétence de recevoir le renvoi de son grief à l’arbitrage en vertu de l’autorité législative susmentionnée.

[15] Le 9 juin 2015, le fonctionnaire a soumis un Formulaire de déclaration de conflit d’intérêts et d’après-mandat indiquant qu’il entendait prendre un congé d’un an sans solde pour des raisons personnelles afin de déménager à Calgary et d’aider sa femme à prendre soin de sa mère après le décès de son père. Le fonctionnaire a également déclaré qu’il avait l’intention de travailler pour un transporteur aérien privé pendant son congé.

[16] L’employeur a appelé Mathieu Lemire pour témoigner. Il était le conseiller en valeurs et en éthique de TC qui s’est vu attribuer le dossier une fois que le fonctionnaire a rempli le formulaire de déclaration de CI. Il a expliqué qu’il était un facilitateur du processus de traitement des dossiers. Il a dit qu’il n’avait aucun rôle à jouer dans la prise de décisions sur la question; c’était plutôt la direction qui prenait toutes les décisions, et la décision écrite finale devait provenir du sous-ministre.

[17] Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait eu une première discussion avec M. Lemire et qu’il avait eu l’impression que l’employeur recevrait bien sa déclaration de CI. M. Lemire a confirmé cette discussion dans son témoignage, mais il a ajouté qu’il avait averti le fonctionnaire que ses commentaires ne faisaient pas autorité, puisque c’est le sous-ministre qui rendrait la décision finale par écrit.

[18] Le fonctionnaire a témoigné que les propos de M. Lemire lui avaient donné une bonne dose d’optimisme. Il a aussi témoigné d’autres exemples dont il avait eu connaissance au fil des ans d’autres membres du personnel de TC qui avaient demandé et reçu des congés et des exemptions à la déclaration de CI pour occuper un autre emploi. Jamie Melo, le gestionnaire du fonctionnaire, a témoigné qu’il a écouté le fonctionnaire faire valoir que les autres exemples devraient étayer sa demande, mais a indiqué qu’il avait répondu au fonctionnaire que les autres exemples n’étaient pas pertinents.

[19] En contre-interrogatoire, M. Melo a reconnu avoir parlé avec le fonctionnaire au sujet du fait que ce dernier avait été pilote auprès d’un exploitant aérien du Nord canadien quelques années auparavant. M. Melo a expliqué que cet arrangement avait été conclu aux termes d’un contrat entre TC et l’exploitant privé afin de permettre au fonctionnaire de piloter pendant qu’il occupait encore son poste d’inspecteur de TC et qu’il demeurait rémunéré par TC. M. Melo a ajouté que TC a tiré des avantages de cette relation contractuelle particulière.

[20] Malheureusement pour le fonctionnaire, aucun de ces exemples ne soulevait un CI réel et direct comme celui que soulevait sa situation, et n’était donc d’aucune aide pour convaincre l’employeur que sa demande devait également être approuvée.

[21] Rempli d’optimisme, le fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Melo le 17 juin 2015, et a déclaré ceci : [Traduction] « Comme vous le savez, il est difficile de prendre un congé sans source de revenus. Cela dit, on m’a offert un poste chez Enerjet la semaine dernière que j’ai l’intention d’accepter le 15 juillet 2015. »

[22] M. Melo a témoigné et confirmé dans un courriel envoyé à un autre employé daté du 22 juin 2015, qu’il avait parlé au fonctionnaire, qu’il lui avait dit d’attendre la décision de l’employeur sur sa déclaration de CI, et qu’il l’avait également [traduction] « […] mis en garde contre le fait d’avoir deux employeurs en même temps avant d’obtenir une réponse officielle sur la déclaration de CI ». M. Melo a également témoigné qu’il avait parlé avec le fonctionnaire d’autres postes disponibles à TC et mentionné, entre autres options, un poste plus axé sur les politiques en matière de normes aéronautiques. Mais M. Melo a dit que le fonctionnaire a répondu qu’il préférait continuer à faire du travail lié aux opérations aériennes et ne pas passer à des fonctions administratives.

[23] L’employeur a de nouveau envoyé un courriel au fonctionnaire (Wayne Loe, chef d’équipe) le 26 juin 2015 afin de lui dire d’attendre la décision finale sur sa déclaration de CI et lui disant ceci : [traduction] « […] je ne crois pas qu’il soit possible de commencer à travailler pour un exploitant aérien pendant un congé approuvé par TC ».

[24] Malgré ces avertissements de ne pas commencer son nouveau travail, le fonctionnaire a envoyé un courriel au bureau de TC à Calgary, en Alberta, le 14 juillet 2015 afin d’obtenir des renseignements sur une question de licence de pilote au nom de son nouvel employeur, Enerjet, et au bas de la lettre, on pouvait lire : « Pat Cowman, gestionnaire des affaires réglementaires, opérations aériennes, Enerjet […] Calgary (Alberta) […] » sous sa signature.

[25] Après avoir été informé du courriel envoyé par le fonctionnaire en provenance du nouvel employeur, M. Melo a envoyé un courriel aux membres du personnel de TC le même jour afin de leur demander de ne pas transmettre de renseignements gouvernementaux au fonctionnaire jusqu’à ce que sa situation d’emploi à Enerjet soit résolue.

[26] M. Melo a également envoyé un courriel à son conseiller en ressources humaines (« RH ») et également à son directeur, Jean-Stéfane Bergeron (« JS »), le 14 juillet 2015, pour les informer qu’il venait de parler au fonctionnaire par téléphone et qu’il lui avait dit que sa demande de congé était toujours à l’étude, mais qu’elle serait probablement approuvée. Il a aussi mentionné que le bureau de TC de Calgary lui avait dit que le fonctionnaire avait reçu un courriel indiquant qu’il était maintenant le gestionnaire des affaires réglementaires d’Enerjet. Il a ajouté que le fonctionnaire a confirmé qu’il était bel et bien ce gestionnaire maintenant. Il a ajouté qu’il avait averti le fonctionnaire de ne pas occuper deux emplois à la fois avant de recevoir la réponse sur le CI. Il a ajouté que le fonctionnaire avait dit qu’il n’avait pas le choix, compte tenu du temps qu’il fallait avant d’obtenir la décision de TC sur sa demande liée au CI. M. Melo a ensuite écrit qu’à son avis, ces renseignements et la confirmation par le fonctionnaire de son nouveau poste suffisaient à prendre des mesures disciplinaires.

[27] M. Melo a réitéré sa référence à l’étude d’une mesure disciplinaire contre le fonctionnaire dans un courriel adressé à M. Bergeron le 15 juillet 2015.

[28] À la lumière de ces références à la prise de mesures disciplinaires dans les courriels de son gestionnaire, M. Melo, le fonctionnaire a soutenu que l’employeur avait pris des mesures disciplinaires en le renvoyant ou en refusant d’annuler sa démission, ce qui sera analysé plus tard dans la présente décision.

[29] Après avoir consulté les RH et M. Bergeron, M. Melo a témoigné qu’il avait téléphoné au fonctionnaire le 17 juillet 2015. Dans son courriel envoyé à 16 h 6 le même jour, M. Melo confirmait l’appel au cours duquel il lui avait transmis la bonne nouvelle de l’approbation de son congé non payé (CNP), mais expliquait ensuite que l’employeur croyait que l’emploi du fonctionnaire à Enerjet causait un véritable CI. Il a ajouté qu’il était impossible d’atténuer le risque pour le gouvernement fédéral découlant de cet emploi et du CI. Il a ensuite dit au fonctionnaire qu’on lui ordonnait de mettre fin immédiatement à son emploi chez Enerjet.

[30] M. Melo a aussi dit au fonctionnaire (et l’a confirmé par écrit à 14 h 53 ce jour-là dans un courriel) : [Traduction] « J’aurai besoin d’une confirmation selon laquelle vous vous conformez à cet ordre d’ici la fin de la journée. Le non-respect de cet ordre peut entraîner des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement ».

[31] En contre-interrogatoire, M. Melo a reconnu avoir fait cette demande du fonctionnaire, mais a nié qu’il s’agissait d’une menace de dernière minute et précipitée. Il a expliqué que l’on avait dit à maintes reprises au fonctionnaire pendant plusieurs semaines qu’il ne pouvait pas continuer d’occuper son nouvel emploi chez Enerjet pendant qu’il demeurait inspecteur à TC.

[32] M. Melo a témoigné que le fonctionnaire a répondu qu’il discuterait de la lettre avec son avocat, mais qu’il ne pouvait pas faire ce qu’on lui demandait, car il n’aurait plus de revenus. Il a ensuite demandé à M. Melo au téléphone si M. Melo voulait simplement qu’il démissionne (de son emploi à TC). M. Melo a répondu qu’il avait dit au fonctionnaire de lire la lettre qui devait être envoyée et de prendre une décision réfléchie.

[33] Dans son courriel dans lequel il résume l’appel, M. Melo indique ensuite que le fonctionnaire a dit comprendre que son accès aux réseaux et à l’information de TC devait être restreint pendant qu’il était employé par Enerjet.

[34] Le fonctionnaire a répondu à leur discussion téléphonique le même après-midi. Il a témoigné à l’échange et a reconnu avoir envoyé un courriel à M. Melo le vendredi 17 juillet 2015, à 18 h 2, comme suit :

[Traduction]

Bonjour Jamie,

Comme vous le savez, j’ai avisé JS à Ottawa il y a environ quatre semaines et j’ai expliqué que j’entendais partir et commencer le nouvel emploi en juillet.

À ce moment-là, j’avais communiqué avec les personnes responsables des [CI] et leur avais expliqué ce que j’avais prévu. Je sais qu’au moment où ma demande a été acheminée à JS, le résultat était positif.

Je comprends qu’elle devait suivre quelques étapes supplémentaires et je crois savoir que le processus est presque terminé.

Dès que j’ai informé JS, j’ai dit à Duncan que je ne ferais rien avec les approbations d’Enerjet pour éviter tout [CI].

J’ai été franc sur tous les aspects et la semaine dernière, vous avez recommandé de prendre un congé payé jusqu’à ce que le congé non payé soit approuvé.

À l’heure actuelle, je n’ai pas [accès] aux systèmes de TC pour approuver quoi que ce soit et je n’ai aucune délégation de mon point de vue.

J’ai l’intention d’avoir la possibilité de retourner à TC et j’ai expliqué que j’avais besoin de prendre une pause pour des raisons de santé personnelles.

Cette occasion s’est présentée et elle coïncide avec la situation familiale.

À ce stade, je n’ai pas beaucoup d’autre choix. À ce titre, je devrai démissionner immédiatement si vous n’êtes pas prêt à attendre les résultats [liés au CI].

Cordialement,

Pat

[Je mets en évidence]

 

[35] Le fonctionnaire a fait référence au courriel dans son contre-interrogatoire de M. Melo et lui a demandé si la dernière ligne, soulignée en gras, était en fait une question. M. Melo a répondu qu’il ne s’agissait pas d’une question et qu’il l’a plutôt lue comme une déclaration d’intention claire du fonctionnaire de résoudre le problème de CI direct en démissionnant de son poste de TC.

[36] Le fonctionnaire a également noté des notes de réunion non signées qui stipulaient : [traduction] « Jamie (Melo) ne veut pas qu’il revienne, confiance, prendre des mesures pour le licencier […] ». M. Melo a témoigné qu’il n’a pas reconnu les notes, mais a dit qu’elles reflétaient avec exactitude ce dont il avait discuté lors d’une réunion de gestion peu après la réception du courriel de démission du fonctionnaire.

[37] M. Bergeron a témoigné sur son courriel dans lequel il le confirmait à M. Melo, le lundi 20 juillet 2015, à 10 h, et y a fait référence. Il a fait remarquer qu’immédiatement après la fin de semaine qui a suivi ces dernières communications, il a parlé au fonctionnaire au téléphone ce matin-là. Il a expliqué que le fonctionnaire a dit qu’étant donné son appel téléphonique avec M. Melo le vendredi précédent, le fonctionnaire [traduction] « […] n’avait pas d’autre choix que de démissionner de TC, parce qu’il ne pouvait pas quitter son emploi chez Enerjet […] ».

[38] Après l’appel, il a envoyé un courriel au fonctionnaire le mardi 21 juillet 2015, à 18 h 8 :

[Traduction]

Bonjour Patrick,

Je voulais communiquer avec vous à la lumière de notre conversation d’hier.

Comme nous en avons discuté, nous vous avons dit que votre poste actuel de gestionnaire des affaires réglementaires chez Enerjet était en conflit d’intérêts avec votre poste d’inspecteur de la sécurité de l’aviation civile. On vous a demandé de mettre fin à votre emploi chez Enerjet en attendant la décision du sous-ministre.

En plus du courriel que Jamie Melo vous a envoyé le vendredi 17 juillet, je crois comprendre que vous avez aussi discuté de cette situation lors d’une conversation téléphonique avec lui et de nouveau avec moi hier matin.

Je crois également savoir que, au cours des dernières semaines, vous avez discuté d’un certain nombre d’options de congé, dont « congé non payé à cause de la réinstallation du conjoint (temporaire) » qui a été approuvé à partir du 27 juillet 2015. Toutefois, comme vous le savez, les principes du Code de valeurs et d’éthique du secteur public et les lignes directrices sur les conflits d’intérêts et l’après-mandat de Transports Canada s’appliqueraient toujours pendant cette période de congé.

Je comprends que vous vous trouvez dans une situation difficile, mais il était essentiel que vous régliez immédiatement ce conflit d’intérêts. Vous avez informé Jamie par courriel vendredi soir et vous avez confirmé au cours de notre conversation téléphonique que pour résoudre ce conflit d’intérêts, vous démissionneriez de Transports Canada.

Par conséquent, nous accepterons votre démission à compter du vendredi 17 juillet 2015 sous peu.

Si vous avez des questions ou des préoccupations, n’hésitez pas à m’en faire part.

Jean-Stéfane Bergeron

Directeur régional, Aviation civile […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

[39] Lorsqu’on l’a interrogé au sujet de cette communication dans son interrogatoire principal, M. Bergeron a nié la suggestion qu’il n’avait offert aucune option au fonctionnaire et qu’il l’avait forcé à quitter son emploi à TC. M. Bergeron a expliqué que lui et M. Melo ont tous deux dit à plusieurs reprises au fonctionnaire de ne pas commencer de nouvel emploi. Plus tard, quand des employés de TC leur ont dit qu’il avait déjà commencé son nouvel emploi, ils l’ont averti d’y mettre fin immédiatement afin de protéger son poste à TC. En outre, on avait discuté d’autres options de postes à TC avec le fonctionnaire afin qu’il puisse conserver son emploi au ministère.

[40] En contre-interrogatoire, on a également demandé à M. Bergeron pourquoi il n’y avait pas de période de réflexion. On suggérait ainsi de façon sous-entendue que TC aurait dû attendre plus longtemps avant d’accepter la démission du fonctionnaire. Dans un genre d’aveu contre intérêt, le fonctionnaire a reconnu, au cours de cette ligne d’interrogation, qu’après avoir envoyé son courriel de démission, il s’est rendu en Floride pour suivre une formation en simulateur de vol dans le cadre de son nouvel emploi. Comme l’a fait remarquer l’avocat de l’employeur, cela laisse entendre qu’en fait, il était conscient d’avoir démissionné et d’occuper un nouvel emploi, et que son esprit devait être assez sain pour voyager et assumer les fonctions cognitives hautement techniques de la simulation de vol de pilote commercial.

[41] M. Bergeron a répondu qu’il croyait que la période du 17 au 23 juillet était une période prudente afin de préparer le dossier des RH pour traiter la démission du fonctionnaire et lui donner la possibilité de présenter d’autres communications s’il le souhaitait, ce qui s’est effectivement produit, puisque M. Bergeron a dit avoir eu deux conversations téléphoniques avec le fonctionnaire pendant cette période, qui ont confirmé son nouvel emploi et sa volonté de démissionner.

[42] Lorsque le fonctionnaire lui a demandé avec insistance de dire qu’il avait accepté le fait que M. Melo n’avait donné au fonctionnaire qu’une heure pour décider s’il allait mettre fin à son nouvel emploi ou démissionner de TC, M. Bergeron a dit que l’on avait averti pendant des semaines le fonctionnaire de ne pas accepter un nouvel emploi et ensuite de cesser de travailler une fois qu’il a commencé. M. Bergeron a confirmé que l’avis d’une heure imposé au fonctionnaire était raisonnable, compte tenu du risque sérieux pour le gouvernement fédéral et pour l’intégrité de la surveillance de l’aviation civile causé par le CI créé par le fonctionnaire. Il a ajouté que TC émet souvent des directives exigeant une conformité immédiate lorsqu’il est important de le faire.

[43] M. Bergeron a expliqué sa décision d’accepter la démission du fonctionnaire. Il a témoigné qu’il avait conclu que la démission était volontaire et que plusieurs jours s’étaient écoulés depuis la réception du courriel dans lequel le fonctionnaire disait qu’il n’avait d’autre choix que de démissionner. Il a dit que M. Melo et lui ont expliqué les conséquences pour le fonctionnaire de sa décision de commencer à travailler pour un exploitant aérien que TC réglemente.

[44] M. Bergeron a dit qu’il avait demandé aux RH de se pencher sur la question et de lui fournir des conseils, et qu’il avait l’obligation d’accepter la démission, car il ne lui appartenait pas de refuser de retarder de telles questions, et tout retard pourrait entraîner des complications pour le fonctionnaire sur le plan financier ou dans le dossier du CI.

[45] Lorsqu’on a demandé à M. Bergeron, dans son interrogatoire principal, s’il était au courant de la blessure ou de la maladie du fonctionnaire et de son utilisation intensive d’analgésiques stupéfiants, il a répondu par la négative. Il a ajouté que s’il avait su que le fonctionnaire consommait des stupéfiants, il aurait eu l’obligation de le signaler à l’examinateur médical de TC, car cela aurait pu signifier la suspension de la licence de pilote du fonctionnaire, pour des raisons de sécurité.

[46] Malheureusement pour le fonctionnaire, le samedi 25 juillet 2015, il se trouvait à l’hôpital. Il a reçu des résultats d’une imagerie par résonance magnétique (IRM), qui indiquaient qu’il avait subi une grave blessure au dos et qu’il souffrait de ce qui semblait être une maladie grave sans rapport avec la blessure au dos. Il a immédiatement commencé à téléphoner et à envoyer des courriels à des fonctionnaires de TC.

[47] À 1 h 18 ce jour-là, le fonctionnaire a envoyé un courriel à plusieurs fonctionnaires de TC, y compris M. Melo et M. Bergeron. Il a écrit ce qui suit : [traduction] « Veuillez m’excuser, mais je dois communiquer de toute urgence avec JS pour savoir si je peux annuler ma démission » [je mets en évidence]. Après avoir reçu des réponses ce matin-là, dans lesquelles on lui demandait d’attendre après la fin de semaine et on lui disait que quelqu’un communiquerait avec lui lundi, une fois le bureau ouvert, à 10 h 6, il a envoyé un courriel à M. Bergeron et a inclus la déclaration suivante : [traduction] « J’ai commis une grave erreur et je dois essayer de conserver mes avantages » [je mets en évidence].

[48] Le 28 juillet 2015, le fonctionnaire a écrit ceci : [traduction] « Comme cette situation faisait l’objet d’une enquête avant ma démission, je dois avoir accès à mes avantages sociaux » [je mets en évidence]. Lorsqu’on lui a posé des questions au sujet de ce courriel en contre-interrogatoire, il l’a reconnu et était d’accord pour dire qu’il avait appelé cela une démission.

[49] Dans son interrogatoire principal, le fonctionnaire a décrit comment il estimait être menacé par M. Melo, qui, selon ce qu’a dit le fonctionnaire, voulait qu’il quitte la Direction de l’inspection. Il a ajouté que lorsqu’on lui a donné un ultimatum et de choisir entre quitter son nouveau poste ou démissionner de TC, il estimait qu’il n’avait pas d’autre choix, car il s’attendait à ce que le CI ait été traité avant cette date. Lorsqu’il en a discuté avec M. Bergeron le 21 juillet lors d’un échange de courriels pendant qu’il suivait la formation en simulateur de vol en Floride, on lui a dit que M. Bergeron se préparait à accepter sa démission. Il a expliqué qu’il voulait que la décision définitive soit rendue sur le CI parce qu’il savait qu’il aurait alors 30 jours pour interjeter appel. Cependant, TC l’a forcé à démissionner en retardant sa décision sur le CI pour le contraindre à partir.

[50] Le fonctionnaire a tenté de présenter en preuve des documents d’indemnisation des travailleurs (IT) qui confirmaient qu’il avait demandé un traitement médical pour sa blessure au dos ce printemps-là, blessure qu’il dit avoir subie en glissant sur la glace au moment de sortir d’un taxi dans le cadre d’un voyage lié à son travail à TC. Il a prétendu que TC avait délibérément retardé le traitement de ce qui était nécessaire pour enquêter sur la blessure et qu’il s’agissait d’un facteur dans le retard de son diagnostic pour sa maladie subséquente, ce qui l’a finalement conduit à chercher à annuler sa démission.

[51] L’avocat de l’employeur s’est opposé aux documents d’IT et à la ligne de témoignage au motif de la pertinence. Après avoir écouté le fonctionnaire décrire la pertinence de l’affaire, je lui ai demandé de passer aux questions relatives à l’IT et refusé d’accepter les documents tout en maintenant l’objection.

[52] Le fonctionnaire a témoigné qu’en songeant aux moments en question, il ne pouvait pas expliquer ce qu’il avait fait ou pourquoi il l’avait fait. Il a dit qu’il avait compris qu’il ne pouvait pas occuper simultanément deux emplois, mais qu’il estimait que TC l’avait [traduction] « coincé » et ne lui avait pas donné d’option en retardant sa décision sur le CI et en traînant les pieds sur sa demande d’IT.

[53] Le fonctionnaire a également expliqué qu’il n’a jamais dit à M. Melo ou à M. Bergeron qu’il démissionnait, mais qu’il a dit qu’il ne pouvait pas aller en CNP à TC puisqu’il avait besoin de l’argent pour subvenir aux besoins de sa famille. Il a ajouté à nouveau que M. Melo l’avait menacé, ce qui l’avait rendu agité.

[54] Le fonctionnaire a expliqué qu’il devait déménager à Calgary et qu’il estimait qu’il n’avait pas d’autre choix de revenu que d’y commencer son nouvel emploi avec Enerjet. Il a témoigné qu’il n’avait jamais dit qu’il démissionnerait, mais qu’il était menacé et qu’il a dit qu’il démissionnerait à cause de cette pression. Encore une fois, en songeant à tous ces événements, il a ajouté : [traduction] « J’ignore ce à quoi je pensais ou ce que je faisais. »

[55] Au cours de son contre-interrogatoire, le fonctionnaire a confirmé tous les événements susmentionnés, y compris le fait qu’il connaissait bien le code de valeurs et d’éthique, en vertu duquel il ne pouvait se trouver en CI. Il a ajouté qu’il avait commencé son emploi chez Enerjet pendant qu’il était encore inspecteur à TC. Il a expliqué qu’il savait qu’il avait un problème avec son nouvel emploi, mais qu’il croyait qu’il avait une période d’appel de 30 jours pour [traduction] « régler les problèmes de CI ». Le fonctionnaire a également confirmé qu’il s’était rendu en Floride afin de suivre une formation en simulateur de vol dans le cadre de son emploi à Enerjet pendant la période où TC étudiait sa démission. Il a ajouté que c’est au cours de cette formation qu’on l’avait appelé afin de l’informer des résultats de son IRM médullaire et qu’il avait dû rentrer d’urgence chez lui pour obtenir un traitement médical.

[56] En contre-interrogatoire, lorsqu’on a insisté pour qu’il avoue qu’il avait démissionné ou qu’il avait l’intention de le faire en juillet 2015, le fonctionnaire a admis qu’il l’avait fait. Lorsque l’avocat lui a présenté son courriel daté du 28 juillet 2015, il a laissé entendre qu’il avait écrit une lettre très convaincante et détaillée au sujet de sa demande d’accès aux prestations de santé et à l’assurance de son ancien employeur. Le fonctionnaire a confirmé qu’il avait écrit ce courriel détaillé et convaincant.

[57] Dans ses observations, l’employeur a renvoyé à la décision Stevenson c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social Canada), 2016 CRTEFP 17, qui traitait de la question de ce que la Commission avait déterminé comme une retraite et une démission valides, comme suit :

[…]

68 Pour déterminer si un départ à la retraite est volontaire, il faut examiner l’intention de l’employé selon une perspective objective et subjective (Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au paragr. 7:7100). Il faut à la fois un acte objectif et une intention subjective; l’employé pensait-il réellement ce qui a été dit? Le fait qu’une personne présente par écrit son intention de prendre sa retraite démontre une intention objective de prendre sa retraite. Il n’y avait aucune contrainte, aucune coercition et aucun élément de preuve voulant que la fonctionnaire ait été incapable, sur le plan médical, de prendre la décision, ce qui aurait nié son intention déclarée (voir Hassard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 32, aux paragr. 163 et 164). Elle avait retenu les services d’une avocate qui a été très impliquée pendant toute la durée du processus. La fonctionnaire a témoigné qu’elle en avait assez de cette situation et qu’elle voulait y mettre fin. Le déroulement relevait de son choix. Elle n’a jamais retiré sa décision de prendre sa retraite. Elle a témoigné qu’il s’agissait d’une décision logique pour elle et qu’elle ne voulait pas récupérer son emploi. Si sa démission est inopérante, le seul recours qui s’offre à elle est la réintégration (voir Motorways Direct v. Teamsters Union, Local 880 (1988), 35 L.A.C. (3d) 11). La fonctionnaire a eu le temps de réfléchir à sa décision; elle a fait son choix et a pris des mesures pour le mettre en œuvre.

[…]

121 La fonctionnaire a fait valoir qu’elle avait été obligée de prendre sa retraite pour des raisons financières. L’ancienne Commission et la Cour fédérale se sont penchées sur cette raison dans Mutart. Selon l’article 211 de la Loi, je n’ai pas compétence à l’égard de toute cessation d’emploi en vertu de la LEFP. L’acceptation de la démission et de la demande de retraite était une fonction relevant du pouvoir de l’administrateur général aux termes de l’article 63 de la LEFP, qui n’est pas assujetti à mon examen.

[…]

 

[58] L’employeur a également cité Hassard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 32, comme fondement de la proposition selon laquelle la Commission traite les départs à la retraite et les démissions de la même façon en ce qui a trait à l’examen et à la validité et que « […] [de l’avis de l’arbitre de grief], il n’y a aucune différence substantielle entre une démission et un départ à la retraite, du moins dans la mesure où les deux sont volontaires, puisque les deux ont pour effet de rompre le lien d’emploi » (voir le paragraphe 198). D’autres décisions conformes au résultat de Stevenson ont été citées, notamment Mutart c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2013 CRTFP 90, et Charron c. Chambre des communes, 2002 CRTFP 90, où il en a été ainsi conclu :

[…]

[69] Malheureusement, je n’ai pas de compétence pour remédier aux erreurs de jugement qui amènent une employée à quitter volontairement son emploi. Mme Charron est la seule responsable des gestes qu’elle a posés. Lorsqu’elle suit des suggestions ou des conseils qu’elle reçoit ici et là, Mme Charron prend des actions qui sont les siennes et elle doit en assumer les conséquences.

[…]

 

[59] L’employeur a cité la décision dans Coulter c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2014 CRTFP 53, comme suit, à titre d’autorité lorsque la Commission n’a pas été influencée par une allégation de confusion ou de contrainte lors de la présentation d’une démission :

[…]

57 Dans les documents datés du 14 février 2014, la plaignante a joint une copie de son courriel de démission daté du 23 avril 2013 et du courriel de Mme DellaCosta, daté du même jour, et faisant état de l’acceptation de sa démission. Il ne fait aucun doute pour moi que la plaignante savait exactement ce qu’elle faisait, et pourquoi, et qu’elle avait déjà envisagé ces mesures. Par conséquent, la date limite applicable pour le dépôt d’un grief, dans le cas où la plaignante se serait crue forcée ou contrainte, aurait été de 25 jours après la date de sa démission qui a eu lieu le 23 avril 2013. En fait, aucun des documents remis à la Commission ne suggère que l’employeur a agi de manière visant à discipliner la plaignante ou qu’il envisageait de la congédier. La plainte datée du 5 décembre 2013 et les documents déposés le 24 décembre 2013 ne contiennent aucune allégation de mesure disciplinaire déguisée de la part de l’employeur.

[…]

 

[60] Dans ses observations, le fonctionnaire a dit qu’il ressentait un sentiment d’urgence écrasant de prendre des décisions, de déménager à Calgary et d’aider sa femme à prendre soin de sa mère après le décès de son père.

[61] Il a affirmé que le 9 juin, il a dit à l’employeur qu’il souhaitait déménager à Calgary, et il s’est renseigné sur les options de travail à TC à cet endroit. Il a dit qu’il avait indiqué à TC qu’il souhaitait demeurer à son emploi à long terme après avoir décidé de travailler chez Enerjet pendant ce qui était selon lui un congé d’un an de TC. Il a dit qu’avec ce qu’il croyait être une réponse initiale positive de TC à sa déclaration de CI, il a accepté l’emploi d’Enerjet et a commencé sa réinstallation à Calgary.

[62] Cependant, le 17 juillet, aucune décision n’avait été prise sur le CI et M. Melo l’a ensuite menacé et dit qu’il devait démissionner, sans quoi il s’exposait à des mesures disciplinaires. Il a dit que son agent négociateur refusait de l’aider, qu’il estimait qu’il n’avait pas d’options et que TC ne lui offrait aucune option. Enfin, il a soutenu que M. Melo voulait simplement qu’il quitte TC.

[63] Le fonctionnaire a déclaré dans son argumentation qu’il avait été injustement congédié de son emploi à TC parce que messieurs Melo et Bergeron faisaient référence à sa démission comme une option seulement, mais n’offraient aucune autre option et n’ont pas communiqué avec lui de façon utile.

[64] Dans son impressionnante recherche sur la jurisprudence, le fonctionnaire a noté la décision en matière de droit de la responsabilité délictuelle dans Kieran v. Ingram Micro Inc., 2004 CanLII 4852 (ON CA), qui appuyait son affirmation selon laquelle une démission doit être claire et sans équivoque. Il a laissé entendre que son courriel dans lequel il parlait de démission était en fait une réponse à l’employeur pour participer davantage au dossier du CI. La décision susmentionnée indique en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[27] La démission doit être claire et sans équivoque. Pour être claire et sans équivoque, la démission doit refléter objectivement une intention de démissionner ou une conduite démontrant une telle intention : Skidd v. Canada Post Corp., [1993] O.J. No. 446 (Gen. Div.), confirmée dans [1997] O.J. No. 712 (C.A.).

[…]

[29] De même, la conduite de M. Kieran et ses conséquences sont fondées sur des faits. La question est de savoir si Ingram était en droit de traiter les déclarations de M. Kieran comme une démission claire et sans équivoque.

[30] La question de savoir si des paroles ou des gestes équivalent à une démission doit être déterminée en fonction du contexte. Les circonstances entourant l’affaire sont pertinentes pour déterminer si une personne raisonnable, qui examine l’affaire objectivement, aurait compris que M. Kieran avait démissionné sans équivoque.

[…]

 

[65] Aucune des parties n’a présenté d’observations sur l’applicabilité de la jurisprudence en matière de droit de la responsabilité délictuelle des tribunaux civils à la jurisprudence fédérale fondée sur les conventions collectives de la Commission, je distingue Kieran dans ses faits puisque la démission en cause dans cette affaire indiquait que M. Kieran allait démissionner si une personne désignée devenait président de sa société. Des discussions ont ensuite eu lieu afin de savoir s’il était possible de transférer M. Kieran dans une nouvelle division de la société.

[66] La Cour d’appel de l’Ontario (ONCA) a conclu ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[31] M. Kieran n’a pas déclaré clairement qu’il allait partir si son concurrent était choisi comme président. S’il l’avait fait, une telle déclaration aurait très bien pu constituer une déclaration sans équivoque d’intention de démissionner. Toutefois, il a dit que si M. Schofield était choisi comme président, il devait être transféré à l’étranger. Il a fait cette déclaration en sachant qu’il était un employé précieux, que les représentants d’Ingram lui avaient confirmé par le passé que des postes à l’étranger pouvaient lui être offerts, et en croyant que M. Rodek pouvait prendre les dispositions nécessaires pour lui donner un tel poste et qu’il le ferait […]

[…]

 

[67] Il n’y a pas de conditions aussi claires ni d’actions et de discussions ultérieures sur de nouveaux postes à offrir à M. Kieran si la nouvelle personne était effectivement nommée comme président. Au contraire, on a dit clairement au fonctionnaire qu’il devait mettre fin à son CI et que des mesures disciplinaires pourraient être prises s’il ne démissionnait pas de son nouveau poste. Comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a fait remarquer, chaque cas est fondé sur des faits et le contexte entourant les faits est très important. Dans cette affaire, le fonctionnaire a fait de nombreuses déclarations de son intention de quitter TC et il a pris des mesures pour commencer un nouvel emploi. Ce contexte est complètement différent de celui dans Kieran.

[68] Le fonctionnaire a également cité la décision rendue dans Toronto District School Board c. C.U.P.E., Local 4400 (Calhoun), 2003 CanLII 89635 (ON LA), qui se lit en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

Ce qui est important dans les cas, c’est que, lorsque l’on cherche à savoir s’il y a une intention objective confirmatoire de démissionner, les arbitres ont compris que le fondement émotionnel d’un employé qui indique son intention de démissionner peut durer pendant une certaine période. Cet élément de temps devient important pour déterminer l’intention subjective de démissionner et a toujours fait partie de l’évaluation de l’intention objective. Ainsi, les arbitres ont examiné d’autres comportements afin de pouvoir procéder à une évaluation plus objective. La recherche d’une intention réelle ou d’une intention continue explique également pourquoi certaines commissions ont réintégré des employés même après qu’ils aient changé d’avis. Dans ces cas, les arbitres comprennent et reconnaissent implicitement que la démission ou l’utilisation des mots « Je démissionne » peut faire partie d’un emportement émotionnel et être dit avec colère à cause d’une frustration liée au travail ou pour d’autres raisons. Par conséquent, ces mots ne doivent pas être considérés comme une manifestation concrète de l’intention de l’employé de rompre la relation de travail. Les commissions d’arbitrage ont ensuite examiné d’autres comportements et le cours des événements au fil du temps afin d’établir un fondement plus objectif pour déterminer si le fonctionnaire avait l’intention de rompre la relation de travail.

[…]

J’en conclus que, dans les situations de « démission », les arbitres examineront l’état d’esprit d’un employé et évalueront cet état sur une période raisonnable afin de déterminer si un employé a vraiment l’intention de rompre la relation de travail.

[…]

En résumé, je conclus que, même si le fonctionnaire comprenait dans une certaine mesure qu’il démissionnait et que ce geste allait modifier sa situation personnelle, son état émotionnel était tel qu’il a agi de façon irrationnelle. Je ne peux pas conclure que le fonctionnaire qui aimait son travail et qui semblait être un bon employé avait vraiment l’intention de quitter son emploi dans toutes ces circonstances. Je conclus qu’il s’est comporté ainsi parce qu’il tentait de résoudre une situation dans laquelle il estimait que son honneur familial avait été diffamé, et qu’il n’avait pas l’intention réelle et continue de quitter son emploi. Très peu de temps après, il a envoyé des courriels pour résoudre le problème et a ensuite indiqué au syndicat qu’il souhaitait ravoir son emploi. Il ne s’agissait pas d’une période très longue et, par conséquent, je conclus qu’il n’y avait pas d’intention réelle ou continue de rompre la relation de travail. Ses actions ont abouti à une réunion qui visait clairement à réintégrer le fonctionnaire dans son emploi.

Dans toutes les circonstances de la présente affaire, je conclus que quand la Commission a décidé qu’elle n’autoriserait pas le fonctionnaire à annuler sa démission, elle l’a effectivement licencié sans motif valable. Par conséquent, le fonctionnaire doit être immédiatement réintégré à son emploi, mais dans les circonstances sans rémunération.

 

[69] Le fonctionnaire a également invoqué la décision rendue dans University of Guelph v. Canadian Union of Public Employees, Local 1334, 1973 CanLII 2062 (ON LA), dans laquelle des billets médicaux expliquant une absence ont suscité un différend. Le fonctionnaire dans cette affaire était submergé par l’émotion, et pendant un emportement, il a jeté des choses sur le sol et a dit qu’il démissionnait. Encore une fois, aucun débordement émotionnel spontané n’a incité le fonctionnaire dans la présente affaire à affirmer spontanément qu’il démissionnait.

[70] Le fonctionnaire a fait remarquer à juste titre que cette cause d’arbitrage comprenait une observation de ce fonctionnaire selon laquelle il devrait avoir droit à un délai de réflexion au cours duquel il pourrait annuler avec succès son intention déclarée de démissionner.

[71] Toutefois, encore une fois, je distingue cette affaire dans ses faits, car le fonctionnaire n’avait jamais dit qu’il voulait démissionner avant de s’emporter ainsi dans un moment d’émotion vive découlant d’une décision de son employeur, ce qui, à son avis, remet en question l’intégrité d’un membre de la famille. Cela l’a conduit à démissionner à contrecœur pour défendre le membre de sa famille. En l’espace d’une semaine, le fonctionnaire a admis qu’il s’était calmé. Il a dit à son employeur qu’il n’avait jamais vraiment voulu démissionner.

[72] Je distingue Toronto District School Board (2003) dans ses faits, mais je dois préciser qu’il n’y a pas de règle générale quant à une période de réflexion (ou à sa durée) comme le laisse entendre le fonctionnaire. Au contraire, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel de l’Ontario dans Kieran, dans chaque cas comme celui-ci, dans lequel une démission est réfutée par la suite et on demande son annulation, il faut examiner les faits et le contexte avec soin. Dans Toronto District School Board (2003), les faits ont clairement établi que le fonctionnaire dans cette affaire était submergé par l’émotion et qu’il avait fait une déclaration hâtive qu’il n’avait pas vraiment l’intention de la mettre à exécution et qu’il a agi rapidement pour clarifier ses propos et annuler sa démission. En revanche, les faits dans la présente affaire exposent l’intention déclarée du fonctionnaire de démissionner, ses raisons détaillées d’avoir à déménager à Calgary pour des raisons familiales et son intention répétée d’avoir une nouvelle carrière. Cette intention s’est manifestée lentement pendant de nombreuses semaines au cours desquelles il a commencé un nouvel emploi et même après qu’il a démissionné, elle a été confirmée à plusieurs reprises, car il a dû retourner ses justificatifs d’identité et son estampille de TC. En outre, la preuve a démontré que l’employeur lui avait parlé après qu’il a envoyé son courriel indiquant qu’il devait démissionner et qu’il avait laissé une semaine s’écouler avant d’accepter sa démission.

[73] Le fonctionnaire a également soutenu que l’employeur était au courant de ses problèmes de santé dans les jours et les semaines qui ont précédé sa démission et qu’il aurait dû faire un effort pour discuter de solutions avec lui.

[74] Dans les faits de la présente affaire, aucun élément de preuve ne montre que le fonctionnaire a demandé une mesure d’adaptation ou que sa blessure au dos a été un facteur de sa démission. Lorsque je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas simplement obtenu un billet du médecin qui indiquait qu’il avait besoin d’un congé pour raisons de santé et qu’il n’était pas en mesure de travailler, il a répondu qu’en rétrospective, il ignorait pourquoi il ne l’avait pas fait. Au contraire, la raison invoquée par le fonctionnaire pour son congé était un déménagement à Calgary pour aider à prendre soin de sa famille. En même temps, il voulait garder un revenu. L’employeur lui a offert d’autres options d’emploi axées sur les politiques, qu’il a refusées en faveur du poste chez Enerjet parce qu’il préférait continuer à faire du travail lié aux opérations aériennes et ne voulait pas avoir des fonctions administratives.

[75] Enfin, à l’appui des arguments que je viens de mentionner, le fonctionnaire a soutenu qu’il avait immédiatement répondu à la lettre de démission en demandant qu’elle soit annulée. Or, cette affirmation n’est pas appuyée par la preuve. Une semaine s’est écoulée après l’envoi de son courriel indiquant qu’il démissionnerait, au cours de laquelle TC a communiqué avec lui, y compris par un appel téléphonique détaillé et un courriel de suivi de M. Bergeron indiquant que sa démission serait acceptée sous peu. Le fonctionnaire, qui n’était pas encore au courant de sa maladie grave, n’a fait aucun effort pour revenir sur son désir souvent exprimé de démissionner.

[76] Suivant l’approche énoncée dans Stevenson et en examinant à la fois l’intention objective et subjective du fonctionnaire, je conclus que le fonctionnaire dans la présente affaire a bel et bien présenté sa démission par écrit. Je rejette son affirmation selon laquelle il avait posé une question. J’estime qu’il s’agissait d’une déclaration claire selon laquelle il donnait sa démission étant donné qu’on lui avait ordonné de mettre fin à son nouvel emploi jusqu’à ce que la déclaration de CI fasse l’objet d’une décision.

[77] Quant à l’intention subjective, je conclus que ses déclarations répétées à la fois à M. Melo et à M. Bergeron mentionnées plus tôt selon lesquelles il devait démissionner, devait déménager à Calgary et avait besoin d’une pause de TC satisfont à cette condition. Son courriel du 17 juillet 2015 disait ceci : [traduction] « Par conséquent, je devrai démissionner immédiatement si vous n’êtes pas prêt à attendre les résultats [liés au CI] » [je mets en évidence]. C’est une déclaration claire de son intention.

[78] Je rejette l’argument du fonctionnaire selon lequel cette déclaration n’était pas claire et conditionnelle. À cette date, comme il a été mentionné plus tôt, il savait très bien qu’il devait être patient et attendre la décision du sous-ministre sur le CI. En outre, M. Bergeron lui avait dit qu’il s’était placé dans une très mauvaise situation à cause du CI. À la date de la déclaration de démission par courriel, je conclus qu’il écrivait que TC n’approuvait pas son CI et qu’il allait donc démissionner. Il a également avoué en contre-interrogatoire qu’à ce moment-là, en fait, il savait que le résultat du processus d’enquête allait très probablement être négatif.

[79] Afin d’ajouter de la certitude au courriel qui indique qu’il a choisi de démissionner, l’employeur a fait remarquer ces multiples suivis au courriel dans lesquels il a confirmé sa démission :

· Le 20 juillet 2015 – Selon le témoignage de M. Bergeron, il a identifié un courriel de cette date qu’il avait écrit et qui confirmait la même chose. Il venait de parler au téléphone avec le fonctionnaire, qui a expliqué qu’il n’avait d’autre choix que de démissionner de son poste à TC puisqu’il estimait qu’il ne pouvait pas quitter son nouveau poste à Enerjet. Il a ajouté qu’au cours de cet appel, le fonctionnaire lui a dit qu’il s’attendait à ce que sa demande d’exemption au CI soit refusée; par conséquent, sa démission réglerait la question du CI.

 

· Le 21 juillet 2015 – le fonctionnaire a envoyé un courriel à TC pour se préparer à retourner ses justificatifs d’identité pour accéder à l’aéroport et son insigne d’identité d’inspecteur de TC et il a expliqué qu’il [traduction] […] commençait un nouvel emploi comme pilote […] ».

 

· Les 21 et 22 juillet 2015 – le fonctionnaire a envoyé un deuxième et un troisième courriel à TC dans lesquels il prenait de nouveau des dispositions pour trouver et retourner son estampille d’inspecteur.

 

[80] Enfin, l’action objective du fonctionnaire de choisir de continuer à travailler pour un exploitant aérien du secteur privé n’aurait pas pu être une déclaration plus claire de son intention de démissionner de son poste à TC.

[81] Je fais aussi remarquer que, conformément à la conclusion dans Coulter (au paragraphe 57), une démission envoyée par courriel est parfaitement acceptable comme moyen valable de préavis à l’employeur.

[82] Et conformément à Charron, le fonctionnaire dans la présente affaire a pris une décision qu’il a malheureusement fini par regretter. Aucune de ces malheureuses malchances n’était la responsabilité de son ancien employeur ou de ses gestionnaires, qui ont traité avec lui de façon professionnelle et équitable pendant la période difficile en cause.

[83] Je conclus, sans hésitation et avec conviction, qu’à la lumière de la preuve très claire et convaincante dont il a été question précédemment, le fonctionnaire a commencé un nouvel emploi, a présenté une démission écrite et a finalement donné suite à cette démission de TC en continuant d’occuper ce nouvel emploi. Il l’a confirmé lorsqu’il a appris qu’il était gravement malade, lorsqu’il a envoyé un courriel à son ancien employeur et qu’il a dit qu’il devait annuler sa démission.

[84] La preuve ne mène qu’à une seule conclusion : le fonctionnaire a sciemment démissionné de son poste et a regretté sa décision de quitter TC seulement après avoir appris qu’il souffrait d’une grave maladie. À ce moment-là, il a sans doute commencé à accorder plus de valeur à ses prestations et à son assurance-emploi antérieures plutôt qu’à ce qu’il aurait voulu autrement, ce qui était évident depuis au moins trois mois, c’est-à-dire avoir un nouveau départ avec un nouvel employeur dans une ville différente, en raison de priorités familiales.

[85] Je rejette également l’argument du fonctionnaire selon lequel l’employeur a agi rapidement lorsqu’il a accepté sa démission ou qu’il devait attendre plus longtemps qu’il ne l’a fait. À cet égard, il convient de mentionner que M. Bergeron a attendu jusqu’au 23 juillet 2015 pour écrire au fonctionnaire et lui dire que sa démission a été acceptée. C’était six jours après l’envoi de la démission par courriel du 17 juillet et trois jours après l’appel téléphonique du fonctionnaire du 20 juillet avec M. Bergeron. Le fonctionnaire avait six jours après avoir envoyé son courriel de démission. Il n’a pas remis en question sa décision et n’a pas protesté auprès de l’employeur lorsque M. Bergeron lui a parlé au téléphone de sa démission.

B. Le fonctionnaire a-t-il été forcé ou contraint de démissionner?

[86] Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur avait retardé la décision finale sur sa déclaration de CI pour le [traduction] « coincer ». Il a témoigné que lorsque M. Bergeron lui a envoyé un courriel le 21 juin pour lui dire qu’il se préparait à accepter la démission, le fonctionnaire n’a pas vu le courriel puisqu’il était en Floride pour suivre la formation en simulateur de vol.

[87] Le fonctionnaire a expliqué qu’il était au courant d’une période de 30 jours au cours de laquelle il pouvait essentiellement interjeter appel de la décision sur le CI, qui, comme il l’a avoué, serait très probablement défavorable après sa rencontre avec M. Bergeron, comme il a déjà été mentionné. Il a déclaré dans son interrogatoire principal qu’il n’avait pas l’intention d’occuper deux emplois en même temps, mais que TC continuait de retarder la décision concernant son CI, et il savait que même s’il s’agissait d’une décision défavorable, il avait 30 jours pour interjeter appel et annuler le refus. Il a ajouté qu’il connaissait un autre employé de TC qui avait suivi le processus d’appel, de sorte qu’il croyait qu’il pouvait faire la même chose sans problème.

[88] Lorsqu’on lui a demandé, dans son interrogatoire principal, s’il comprenait [traduction] « le bon et le mauvais » au fait de commencer à travailler chez Enerjet pendant qu’il était encore inspecteur de TC, le fonctionnaire a répondu qu’en examinant la question maintenant, il ne pouvait pas expliquer pourquoi il avait envoyé un courriel à TC comme directeur des affaires réglementaires d’Enerjet pendant qu’il était encore responsable de ces questions en tant qu’inspecteur de TC, mais qu’il ne s’agissait que d’un titre et qu’il prévoyait de travailler comme pilote pour Enerjet. Il a ajouté qu’il n’avait jamais eu l’intention d’occuper les deux postes en même temps, mais il a mis en cause les retards causés, selon lui, par TC. Il a également admis qu’il n’avait pas informé TC qu’il avait commencé ses fonctions à Enerjet le 15 juillet.

[89] En outre, le 14 juillet, le fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Melo dans lequel il faisait part de sa frustration quant au temps qu’il fallait avant qu’une décision soit rendue sur sa demande liée au CI et a répété le fait qu’il avait commencé un nouvel emploi. Il a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

En ce qui a trait à la question [du CI], j’avais commencé ce processus le 8 juin. Dès que l’on m’a donné une réponse qui semblait positive, j’ai communiqué avec JS. Depuis, je sais qu’ils ont eu une autre réunion, mais je n’ai pas eu de réponse.

J’ai pris toutes les mesures possibles pour obtenir plus rapidement une réponse et indiqué que j’avais commencé mon nouvel emploi il y a quelques jours.

[…]

 

[90] Le 21 juillet 2015, le fonctionnaire a écrit à un fonctionnaire de TC pour poser des questions sur le retour de ses justificatifs d’identité d’inspecteur de TC, qui avaient été perdus, et a confirmé de nouveau ce qui suit : [traduction] « Étant donné que je commence le nouvel emploi à titre de pilote, j’aimerais que le problème lié au laissez-passer soit réglé dès que possible. »

[91] M. Lemire a déclaré que le fonctionnaire lui avait envoyé un courriel le 23 juin 2015, lui demandant une copie de la réponse provisoire sur le CI, qu’il a refusé de fournir, selon ce qu’il affirme, et il a répondu qu’elle était encore en cours de préparation. Le fonctionnaire a présenté en preuve une copie de l’ébauche qui avait été préparée sans les commentaires des hauts fonctionnaires de TC et a fait remarquer que l’ébauche indiquait qu’il était possible d’atténuer les répercussions négatives du CI déclarées par le fonctionnaire. M. Lemire a reconnu le document, mais a déclaré qu’il a expliqué au fonctionnaire qu’il gérait le processus des décisions en matière de CI, mais que c’était la direction qui fournissait l’expertise à valeur ajoutée finale à ce qui, à la dernière analyse, serait la recommandation présentée au sous-ministre, qui prenait la décision finale.

[92] M. Bergeron a également témoigné du point de vue trop optimiste du fonctionnaire quant à la déclaration sur le CI. M. Bergeron a expliqué que le fonctionnaire avait communiqué avec lui et dit qu’ils seraient tous les deux à Ottawa (Ontario) et tous deux ont convenu de s’y rencontrer le 18 juin 2015. M. Bergeron a témoigné que le fonctionnaire l’a informé à leur réunion qu’il avait fait une déclaration de CI pour un nouvel emploi à titre de pilote auprès d’un exploitant privé à l’extérieur de TC. Le fonctionnaire lui a dit que les commentaires de TC semblaient positifs et qu’il espérait obtenir la décision définitive dans un avenir immédiat, étant donné qu’il devait composer avec des contraintes de temps. M. Bergeron a témoigné que les propos du fonctionnaire l’avaient immédiatement inquiété, car il a indiqué que l’idée que le fonctionnaire puisse travailler pour un exploitant d’aviation privé tout en conservant son poste d’inspecteur de l’aviation de TC posait de graves problèmes. M. Bergeron a dit qu’il avait fait part de vives préoccupations au fonctionnaire et qu’il avait fourni des détails sur les raisons pour lesquelles il croyait que le CI était réel et que cela serait très problématique pour le gouvernement fédéral. Il a également dit qu’il a exhorté le fonctionnaire à attendre d’avoir la décision finale du sous-ministre avant de commencer un nouvel emploi.

[93] Le sous-ministre a envoyé la décision finale sur le CI le 24 juillet 2015. Cette décision ordonnait au fonctionnaire de ne pas poursuivre sa trajectoire professionnelle proposée parce qu’il y avait un véritable CI. La lettre précise que [traduction] « cette évaluation a été effectuée afin de s’assurer que cette situation ne compromet en aucune façon la confiance du public dans l’intégrité, l’objectivité et l’impartialité du gouvernement ». On peut y lire plus loin : [traduction] « Le risque ne peut pas être atténué et, par conséquent, vous ne devez pas participer à cette activité externe. »

[94] La lettre s’appuyait en partie sur les conseils fournis par M. Bergeron, qui, dans un courriel interne à ce sujet daté du 18 juin 2015, indiquait qu’il était préoccupé par l’idée que le fonctionnaire soit un inspecteur qui a quitté TC pendant un an pour travailler avec un exploitant de l’aviation privée qui était assujetti à sa réglementation pendant qu’il travaillait avec TC. Selon M. Bergeron, le retour du fonctionnaire à TC risquerait alors de faire croire à d’autres exploitants de l’aviation de l’industrie privée que les inspecteurs de TC n’appliqueraient peut-être pas rigoureusement les règlements de façon à ne pas mettre en péril de futures possibilités d’emploi lucratives auprès des exploitants de l’aviation qu’ils inspectent. Il a également écrit que les relations personnelles du fonctionnaire avec ses anciens collègues et gestionnaires de TC susciteraient une apparence de conflit. Lorsqu’il a fait remarquer que d’autres employés étaient partis pour occuper un emploi dans le secteur privé, il a dit qu’ils l’avaient fait après avoir mis fin à leur emploi à TC. Il était également d’avis qu’il n’y avait aucun moyen d’atténuer les risques de ces CI réels ou perçus.

[95] M. Melo a déclaré que, pour que le gouvernement fédéral conserve la confiance du public dans la sécurité des exploitants aériens canadiens, les inspecteurs de TC doivent être strictement séparés des exploitants réglementés. Il a déclaré que la pleine indépendance des inspecteurs est essentielle à la confiance du public dans le système de réglementation.

[96] M. Melo a ajouté que le fait, pour le fonctionnaire, d’accepter un emploi auprès d’un exploitant d’aviation privé pendant qu’il était encore inspecteur de TC et de chercher à revenir après un an à son poste d’inspecteur risquait de donner un avantage à un exploitant du secteur de l’aviation, qui aurait pu obtenir des renseignements internes de sa part et qui aurait pu plus tard s’attendre à une clémence de sa part s’il était retourné à son poste à TC. M. Melo a également parlé du risque que d’autres exploitants considèrent le CI comme avantageux pour un exploitant, celui qui a employé le fonctionnaire.

[97] Le fonctionnaire a soutenu que la décision relative au CI avait été délibérément retardée, ce qui l’avait mené à sa situation de deux emplois. Par conséquent, l’employeur l’a forcé à démissionner de son poste de TC. Il a dit qu’il aurait profité de la période de 30 jours pour interjeter appel du rejet de l’exemption au CI qu’il avait demandée n’eût été ce retard. Rien n’indique que l’employeur ait délibérément retardé sa décision.

[98] Conformément à Coulter, je rejette l’argument selon lequel TC a exercé des pressions ou forcé la démission. En réalité, le fonctionnaire était la seule personne à exercer des pressions sur lui-même, puisqu’il a choisi de se mettre dans une situation délicate en commençant un nouvel emploi qui l’a placé dans un CI réel avec TC avant de recevoir la décision du sous-ministre sur le CI. Il était motivé par le faux espoir que sa demande d’exemption liée au CI serait acceptée, et par le fait qu’il aurait 30 jours pour interjeter appel après la décision relative au CI.

[99] Le fonctionnaire a également soutenu que l’acceptation de sa démission par TC et le refus de l’annuler étaient motivés par la discipline. Il a fait remarquer que son gestionnaire menaçait de prendre des mesures disciplinaires contre lui s’il ne mettait pas fin à son nouvel emploi auprès du transporteur privé, et fait référence à des notes de réunion indiquant que son gestionnaire envisageait de le licencier. Cette preuve ne suffit pas à établir que l’acceptation de sa démission était motivée d’une façon ou d’une autre par une intention disciplinaire de la part de l’employeur.

[100] Même si les actions du fonctionnaire avant sa démission auraient sans doute pu susciter la prise de mesures disciplinaires quelconques, ce à quoi certains échanges de courriels faisaient allusion, aucune procédure de ce genre n’a été amorcée avant la démission du fonctionnaire. En outre, comme il a été mentionné plus tôt, l’employeur n’a pas agi en hâte lorsqu’il a accepté sa démission. Le fonctionnaire avait six jours après avoir envoyé son courriel de démission. Il n’a pas remis en question sa décision et n’a pas protesté lorsque M. Bergeron lui a parlé au téléphone de sa démission.

[101] Il faut plus que la simple possibilité ou probabilité d’une mesure disciplinaire pour établir un motif disciplinaire (voir Robertson c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2014 CRTFP 63, au par. 55; et Canada (Procureur général) c. Assh, 2005 CF 734). De même, comme l’arbitre de grief l’a déclaré dans Mangat c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 86, au par. 29 : « […] la soumission d’une démission, face à l’imminence non équivoque d’un licenciement, ne constitue pas en soi de la coercition […] ». La situation dans Mangat portait sur des allégations d’inconduite et l’employeur avait conclu que le fonctionnaire devait être licencié. Le fonctionnaire a reçu la lettre de licenciement et s’est vu offrir la possibilité de démissionner, ce qu’il a fait. Dans cette affaire, le fonctionnaire n’a pas prouvé que la conduite de l’employeur équivalait à de la tromperie ou à de la coercition pour le mener à démissionner. Dans la présente affaire, le licenciement ne constituait pas nécessairement une solution de rechange claire et le fonctionnaire n’a pas établi que sa démission avait été obtenue incorrectement par la coercition ou par une intention d’imposer des mesures disciplinaires.

[102] De même, après avoir conclu que le fonctionnaire n’avait pas établi que sa démission avait été obtenue de façon inappropriée, il n’y a aucune raison de continuer à examiner la demande du fonctionnaire selon laquelle le défaut d’annuler sa démission était également disciplinaire. Au vu de la preuve dont je suis saisi et compte tenu de ma conclusion dans la présente décision selon laquelle le fonctionnaire a démissionné de son poste, je n’ai pas compétence pour déterminer si l’employeur a incorrectement rejeté la demande subséquente du fonctionnaire d’annuler sa démission.

C. Le fonctionnaire avait-il la capacité mentale de démissionner?

[103] En plus de faire valoir qu’il n’a pas démissionné de son poste, le fonctionnaire a soutenu qu’il n’avait pas la capacité mentale de décider volontairement de démissionner, et que ce fait devrait entacher la démission si l’on conclut qu’il a démissionné.

[104] Le fonctionnaire a témoigné avoir pris des analgésiques stupéfiants Percocet sur ordonnance pour traiter les symptômes d’une blessure douloureuse au dos au printemps 2015 et pendant les événements en cause. Il a également expliqué qu’il avait pris une grande quantité de médicaments, supérieure à ce qui lui était prescrit. Il a expliqué qu’il avait obtenu des ordonnances de plusieurs médecins et qu’il avait obtenu un grand nombre d’analgésiques stupéfiants qui avaient été découverts chez un parent décédé.

[105] Il a témoigné qu’il avait aussi mélangé les agents analgésiques puissants à des médicaments en vente libre, comme les relaxants musculaires, afin d’atténuer la douleur constante. Dans son témoignage décrivant comment il s’est senti environ huit ans plus tôt au cours des événements en cause, le fonctionnaire a dit qu’il n’était pas lui-même.

[106] Le fonctionnaire a appelé son épouse, Misty Cowman, pour témoigner. Elle a expliqué qu’environ 1 000 comprimés de Percocet ont été récupérés chez ses parents après le décès de son père. Elle a dit que la douleur au dos du fonctionnaire s’aggravait et qu’il prenait 12 à 16 comprimés de Percocet par jour, plus des relaxants musculaires. Elle a dit que sa personnalité avait changé et qu’il était devenu agressif, en colère, confus et irritable. Elle a également dit qu’il oubliait leurs discussions et qu’il avait des sauts d’humeur selon qu’il avait pris des médicaments ou devait en prendre plus. Elle a déclaré qu’à un moment donné, au cours des événements, le dernier des stupéfiants qu’ils avaient pris de l’approvisionnement de son père décédé a été jeté.

[107] Elle a indiqué avoir été extrêmement inquiète, sans pour autant croire que sa sécurité fut menacée. Elle a toutefois avoué qu’elle savait que cela pouvait poser un problème sur le plan professionnel pour son certificat de pilote médical. Elle a dit qu’il s’agissait d’une période très difficile à cause de sa [traduction] « très mauvaise humeur ». Elle a avoué en contre-interrogatoire que, malgré le fait que le fonctionnaire consommait de grandes quantités de médicaments, il travaillait à TC la plupart du temps en cause, sauf lorsqu’il a pris un congé de maladie lié à sa blessure au dos.

[108] Le fonctionnaire a appelé le Dr Michael Geoghegan (le « médecin ») à témoigner. Il était spécialiste en médecine familiale et spécialiste en médecine aéronautique certifié par un conseil médical, et il a travaillé comme consultant pour TC. Il n’était pas le médecin de famille du fonctionnaire, mais, après des années de consultations médicales sur l’octroi de licences d’aviation, il avait vu le fonctionnaire régulièrement et il a dit qu’il agissait à titre de médecin de famille pour le fonctionnaire.

[109] Il a expliqué comment il avait eu connaissance des problèmes médicaux du fonctionnaire aux moments en cause. Le fonctionnaire avait communiqué dans le cadre de ses démarches afin d’obtenir les approbations nécessaires pour commencer à travailler comme pilote d’Enerjet. Le fonctionnaire lui a dit qu’il avait mal au dos et qu’il prenait des analgésiques pour le gérer. Le Dr Geoghegan a expliqué qu’il s’est immédiatement inquiété de la santé du fonctionnaire et qu’il souffrait de bien plus qu’un mal de dos. Il a également dit dans son témoignage qu’il avait refusé de prescrire plus de stupéfiants au fonctionnaire, car après avoir fait des recherches dans une base de données médicales, il avait vu que le fonctionnaire avait obtenu des stupéfiants d’un diététicien et s’inquiétait de toute consommation ultérieure de ces stupéfiants. Il a également expliqué que toute personne titulaire d’une licence de pilote n’avait pas le droit de consommer des stupéfiants parce qu’ils nuisaient aux compétences cognitives et motrices.

[110] Lorsqu’on lui a posé des questions pendant son interrogatoire principal sur les effets du Percocet sur la capacité d’une personne de fonctionner, il a expliqué qu’il provoque une dépression cardiaque et respiratoire, ralentit le système nerveux central de sorte que la capacité de traiter mentalement des choses comme les images et les sons est ralentie, ralentit les fonctions mentales exécutives par sa fonction sédative et peut causer une perte de mémoire, selon le dosage et les effets cumulatifs. Plus précisément, il provoque l’amnésie et la sédation, et nuit aux fonctions cognitives, au jugement et aux réactions dans un environnement aéronautique. Il a conclu qu’il était d’avis que le fonctionnaire ne comprenait pas la gravité de son état de santé.

[111] On a ensuite interrogé le médecin sur la consommation d’un médicament de relaxation musculaire sans ordonnance par le fonctionnaire en plus des analgésiques stupéfiants. Le médecin a répondu que le fait de mélanger de tels médicaments sans ordonnance avec des stupéfiants pourrait submerger le système nerveux central.

[112] Il a également confirmé que, dans le cadre de ses fonctions professionnelles, il a écrit à l’officier médical régional principal de l’aviation de TC (Dr J.A. Danforth) pour lui indiquer que le fonctionnaire n’était pas en mesure d’exécuter ses fonctions de pilote parce qu’il consommait des stupéfiants, ce qui a conduit TC à suspendre la licence de pilote du fonctionnaire. Il a ajouté que le fonctionnaire aurait dû savoir qu’il devait déclarer sa consommation de drogue immédiatement au moment où il a commencé à l’utiliser.

[113] En réponse à une question sur la façon dont il a observé le comportement du fonctionnaire pendant la période en question, le médecin a répondu qu’il avait noté des communications erratiques avec de multiples appels téléphoniques, messages et courriels pendant une période très brève.

[114] Le médecin a également confirmé qu’il avait une copie d’une lettre du Dr Danforth datée du 31 juillet 2015. Le Dr Danforth n’a pas été appelé à témoigner sur ce qu’il a écrit dans la lettre, qui traitait de l’utilisation de stupéfiants par le fonctionnaire, confirmait que ses privilèges de licence de pilote étaient toujours suspendus, et indiquait ce qui suit : [Traduction] « Je constate que vous consommez des analgésiques stupéfiants depuis un certain temps pour contrôler votre malaise et que cela aurait pu se faire sentir sur votre jugement et que vous continuez à contrôler votre douleur de cette façon ».

[115] Bien que le témoignage du médecin au sujet des effets des analgésiques stupéfiants sur une personne soit tout à fait crédible, je constate que la preuve présentée à l’audience n’a pas établi que le Dr Danforth avait déjà personnellement examiné le fonctionnaire pendant la période qui a mené à sa démission et jusqu’à celle-ci. Par conséquent, les déclarations par ouï-dire du Dr Danforth dans la lettre qui vient d’être mentionnée au sujet du jugement du fonctionnaire ont une valeur probante limitée dans mon évaluation de l’état d’esprit du fonctionnaire lorsqu’il a choisi de démissionner.

[116] Dans une lettre du 27 mars 2017, que le médecin a confirmé avoir écrit en contre-interrogatoire à la demande du fonctionnaire pour appuyer son litige contestant le fait qu’il ait démissionné, il déclare ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] La douleur était telle qu’il consommait régulièrement plus que la dose déclarée du narcotique dans un effort pour soulager sa douleur [causée par une blessure grave à la colonne vertébrale et une maladie]. Le médicament lui-même, même en quantités thérapeutiques, peut causer fatigue, perte de mémoire et délire, c’est pourquoi on lui a conseillé à titre de pilote de ne pas piloter un avion de prime abord.

En outre, M. Cowman m’a dit qu’il consommait plus que la dose journalière maximale autorisée de ce stupéfiant…

Heureusement, le traitement a réussi, mais il est maintenant en négociation avec son ancien employeur sur la perte de son emploi, de ses prestations et de sa pension à la suite de la voie qu’il a empruntée sous les effets de stupéfiants très puissants pour traiter la douleur résultant de sa tumeur de la moelle épinière.

[…]

 

[117] L’avocat de l’employeur s’est opposé à ce que j’accepte cette lettre comme pièce, car elle a été rédigée près de deux ans après les événements en cause. Je l’ai accepté et j’ai indiqué que je serais prudent quant au poids que je lui accorde.

[118] Au cours de son contre-interrogatoire, le médecin a admis que ses nombreuses déclarations sur la façon dont les médicaments que le fonctionnaire consommait auraient pu affecter sa santé ne provenaient pas de ses observations directes. Il a dit qu’il n’avait pas examiné le fonctionnaire pendant les jours précédant la démission et au moment de celle-ci. Il a plutôt déclaré sans ambages que ses commentaires sur les effets des médicaments étaient fondés sur des connaissances médicales bien acceptées et une monographie de produit du Percocet également connu sous le nom d’Oxycontin. À ce titre, il a avoué qu’il n’avait aucune connaissance médicale directe et personnelle de l’état de santé et de l’état d’esprit réel du fonctionnaire lorsqu’il a décidé de démissionner.

[119] Le médecin a dit qu’après que le fonctionnaire a commencé son nouveau poste à Enerjet et qu’il a démissionné de TC, il a vu le fonctionnaire à son bureau le 15 juillet 2015, et lorsqu’on l’a interrogé à ce sujet, il a dit qu’il avait en fait supposé que le fonctionnaire était seul et avait conduit pour se rendre à son rendez-vous médical. Le médecin a également déclaré qu’il n’avait observé aucune déficience cognitive visible du fonctionnaire au cours de cette consultation et d’une autre qu’il avait eu en personne avec le fonctionnaire le 27 juillet 2015. Il a également avoué qu’il n’avait pas effectué d’évaluation de la fonction cognitive du fonctionnaire, car il a dit qu’un spécialiste aurait dû le faire. Il a également déclaré qu’il n’avait pas donné d’avis médical sur le fonctionnement mental ou cognitif du fonctionnaire à un moment quelconque en juillet 2015, lorsqu’il a vu le fonctionnaire.

[120] Lorsqu’on l’a confronté sur ce point en contre-interrogatoire, le médecin a confirmé qu’il n’a jamais effectué d’évaluation psychologique du fonctionnaire. Il a plutôt expliqué qu’il avait fourni des renseignements connus sur les effets secondaires des médicaments et les quantités que le fonctionnaire lui avait dit qu’il avait consommées. Le médecin a ajouté qu’en plus de faire part des effets secondaires, il a personnellement observé un comportement erratique au moyen des appels téléphoniques et des courriels du fonctionnaire à sa clinique à la fin de juin et juillet. Et à son avis, le fonctionnaire n’a pas pris au sérieux les risques potentiellement très graves de ses symptômes de douleur, car il n’a pas cherché à faire des tests diagnostiques en temps opportun. Plus précisément, le médecin a mentionné ce qu’il considérait comme un retard irrationnel de trois semaines au cours de cette période que le fonctionnaire avait pris pour demander une IRM, qui a finalement diagnostiqué une lésion à la colonne vertébrale et une maladie grave.

[121] Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer de nouveau sa conclusion quant au comportement irrationnel du fonctionnaire, le médecin a dit qu’à son avis, le retard de trois semaines du fonctionnaire à demander une IRM et à minimiser la gravité de sa douleur n’était pas un comportement normal.

[122] Le fonctionnaire s’estimant lésé a également attiré l’attention sur une lettre datée du 17 juillet 2015, qu’il a reçue du Dr Danforth, le médecin régional principal de l’aviation, avec qui le Dr Geoghegan avait communiqué dans une lettre datée du 2 juillet. On mettait en garde le fonctionnaire contre sa consommation déclarée d’un stupéfiant pour traiter la douleur causée par sa blessure au dos. La lettre suspendait sa licence de pilote, étant donné qu’aux termes du Règlement de l’aviation canadien (DORS/96-433) (à l’art. 404.06), il est interdit aux pilotes de consommer de tels médicaments en raison de leurs effets sur l’esprit et les réflexes physiques d’une personne, comme l’a témoigné le Dr Geoghegan.

[123] En prévision de la présentation de cette question par le fonctionnaire, l’avocat de l’employeur a posé des questions détaillées à M. Melo et à M. Bergeron au sujet de leurs interactions avec le fonctionnaire pendant les périodes en cause. Les deux témoins ont reconnu qu’ils avaient eu des réunions et plusieurs appels téléphoniques et échangé des courriels avec le fonctionnaire au cours des semaines du printemps et du début de l’été 2015. Les deux ont déclaré qu’ils n’avaient rien remarqué d’inhabituel au sujet du fonctionnaire dans leurs interactions avec lui. Ils ont tous deux aussi déclaré qu’ils connaissaient le fonctionnaire et qu’ils auraient remarqué et se seraient souvenus de tout ce qui semblait inhabituel à son sujet.

[124] Dans son argument final sur la question de sa capacité, le fonctionnaire a invoqué la décision arbitrale dans Great Atlantic & Pacific Co. of Canada Ltd. v. U.F.C.W., Locals 175 & 633, 1994 CanLII 18619 (ON LA) (« Great Atlantic »), en tant qu’autorité pour affirmer que son état de santé était tel que l’on ne pourrait conclure qu’il était en mesure de former l’intention mentale appropriée de démissionner de son poste.

[125] Great Atlantic traite d’un fonctionnaire dont le mariage s’est dissous et qui a prétendu être [traduction] « gravement touché » par cet événement. Il souffrait notamment d’insomnie et de dépression, et était incapable de prendre des décisions (à la page 386). Son stress a augmenté au point où il avait l’impression de souffrir d’une crise cardiaque à son arrivée pour son quart de travail un soir. Il a témoigné qu’à ce moment-là, Dieu lui a dit qu’il n’y avait aucun mal à quitter son emploi (à la page 386). Il s’est rendu à son lieu de travail et a dit à un gestionnaire qu’il démissionnait. Après avoir tenté de préciser s’il voulait vraiment démissionner et après lui avoir demandé s’il avait un plan pour gagner sa vie, ce à quoi il a répondu par la négative, le fonctionnaire a quitté son emploi. Peu de temps après, il a récupéré son dernier chèque de paie, puis est rentré chez lui et n’a rien fait. Les semaines sont devenues des mois, et il a commencé à demander des soins médicaux pour gérer son stress causé par l’absence de travail et le manque d’argent, ainsi que la dépression.

[126] Environ 9 mois plus tard, il a obtenu un billet de médecin qui indiquait qu’il était soumis à [traduction] « […] un stress externe considérable qui l’avait rendu malade » lorsqu’il avait quitté son emploi. Il répondait bien au traitement, et son pronostic était très bon. Il a demandé de revenir à son ancien emploi (à la page 389). À peu près au même moment, le fonctionnaire a commencé à travailler à temps partiel auprès de son ancien employeur, mais il a demandé sa réintégration dans son poste à temps plein. Environ 11 mois après sa démission, il a contesté le refus de son employeur de le réintégrer à son poste à temps plein (à la page 397).

[127] Aux pages 406 à 411, la formation d’arbitrage dans Great Atlantic a conclu ce qui suit :

[Traduction]

En effet, on peut dresser la liste suivante des conséquences physiques et émotionnelles que sa situation désastreuse a eues sur lui et sa vie sociale entre la date de sa séparation réelle et le 17 octobre 1992 :

(1) il a eu honte de l’éclatement de son mariage;

(2) il lui est devenu difficile de faire face à ses collègues;

(3) il a perdu du poids;

(4) il souffrait d’insomnie;

(5) il a cessé de participer aux rencontres de son groupe religieux;

(6) il a arrêté de voir ses amis;

(7) il a arrêté de voir ses enfants;

(8) à mesure qu’il devenait de plus en plus isolé, il se retirait dans sa chambre à coucher à la maison de sa mère et ne faisait rien;

(9) il était incapable de prendre des décisions simples comme déterminer le véhicule qu’il devrait acheter;

(10) à son arrivée au travail à la fin du mois de septembre, il pensait qu’il allait faire une crise cardiaque;

(11) il a commencé à avoir ce qui ne peut être considéré que comme des hallucinations, par exemple, « Dieu [lui disant] de quitter son emploi »;

(12) au cours de la semaine précédant sa démission qui, selon lui, était un jour férié que M. Arbuthnot lui avait accordé, il est resté chez lui dans sa chambre et n’a rien fait.

Le témoignage du fonctionnaire sur ces symptômes n’a pas pu être facilement vérifié ou contredit par l’employeur parce que seul M. Robinson était au fait de bon nombre d’entre eux. Toutefois, après avoir vu le fonctionnaire à son témoignage et contre-interrogatoire, il est difficile de ne pas croire qu’il était tout sauf franc. En outre, tous ces symptômes concordent avec l’évaluation du Dr Murphy selon laquelle le fonctionnaire était « soumis à un stress externe considérable ». Le témoignage du fonctionnaire selon lequel « il n’était pas lui-même » est d’ailleurs étayé par le modèle de sa conduite en octobre 1992. En effet, sa démission, en soi, n’avait aucun sens à la lumière de sa situation personnelle. Comme l’a écrit l’arbitre H.A. Hope dans Re Alcan Smelters, supra, à la p. 421 : « En fait, la décision était si profondément contraire à ses intérêts que le simple fait de démissionner suffisait à remettre en question son jugement ».

Il en va de même ici, surtout quand on garde à l’esprit les 20 années d’ancienneté accumulées par le fonctionnaire, sa caisse de retraite, etc. Sa démission a aggravé un ensemble désastreux de circonstances personnelles et était plus cohérente avec les signes de dépression qui caractérisaient son comportement à l’époque plutôt qu’avec l’acte délibéré vu par l’employeur.

Je conclus que tout ce qui précède crée une présomption selon laquelle, au moment de sa démission, le fonctionnaire « n’était pas lui-même » et qu’il était soumis à un stress tel qu’il remettait en question le caractère volontaire de son geste.

[…]

Dans un cas ordinaire, ces indices pourraient être considérés, avec d’autres, comme une confirmation d’une réelle intention de démissionner. Dans le présent cas, cependant, je conclus que le poids de ces indices pris dans leur ensemble ne suffit pas à annuler la présomption selon laquelle les symptômes dont souffrait le fonctionnaire ont affecté son jugement au point de remettre en question la rationalité de son processus de réflexion au moment pertinent. Au cours d’une conversation de 10 à 15 minutes, une personne peut paraître calme et détendue, mais la seule apparence n’est certainement pas une preuve suffisante de l’état d’esprit de cette personne. C’est le cas, surtout quand, comme dans le cas présent, pendant la conversation, cette personne pose un geste qui n’a aucun sens compte tenu de sa situation personnelle et qui est profondément contraire à ses intérêts.

Je suis convaincu que l’importance des éléments de preuve présentés par l’employeur sur les gestes posés par le fonctionnaire avant sa démission ne suffisent pas à annuler la présomption selon laquelle, le 17 octobre 1992, les symptômes dont le fonctionnaire souffrait ont affecté son jugement au point de remettre en question la rationalité de son processus de réflexion.

[…]

Le comportement du fonctionnaire, ses symptômes et ses problèmes médicaux après octobre 1992 semblent tous conformes à ceux qui l’ont touché à compter de juillet 1992 et constituent la continuation de ces symptômes. Le fait qu’on l’a référé à un psychiatre en janvier 1993 est digne de mention, parce qu’il confirme la présomption que le processus de réflexion du fonctionnaire a été entravée à un point tel qu’il a besoin d’aide professionnelle. Étant donné que ces problèmes ne surviennent habituellement pas du jour au lendemain, on peut supposer qu’ils existaient avant janvier 1993. Ils se sont également poursuivis après cette date, comme en témoigne l’hospitalisation du fonctionnaire une semaine avant son retour au travail, la prescription d’antidépresseurs et le traitement par son psychiatre à compter de mai 1993. En outre, le fait que le fonctionnaire n’essaie pas de trouver du travail ou même de présenter une demande à la Commission de l’assurance-emploi du Canada est incompatible avec le comportement d’une personne dont le processus de réflexion fonctionne normalement. Son inaction, encore une fois, n’a pas de sens à la lumière de ses circonstances personnelles.

[…]

Bref, je conclus que les gestes posés par le fonctionnaire entre octobre 1992 et son retour au travail en mai 1993 ont eu lieu au cours d’une période où il souffrait toujours essentiellement des mêmes symptômes qui ont entraîné sa démission. Par conséquent, on ne peut considérer ces actions ou inactions comme la confirmation d’une intention initiale de quitter son emploi.

[…]

En conclusion, je conclus que tous les actes objectifs du fonctionnaire qui ont été posés après le 17 octobre 1992 ne peuvent être considérés comme une confirmation de l’intention initiale de quitter son emploi à temps plein. Le poids de ces actes, dans l’ensemble de la preuve, n’annule pas la présomption selon laquelle l’état d’esprit du fonctionnaire le 17 octobre 1992, à la suite du « stress externe considérable » dont il était victime, était tel qu’il faut sérieusement douter de la rationalité de son processus de réflexion et du caractère volontaire de sa démission. Par conséquent, au vu de l’ensemble de la preuve, j’estime que M. Robinson n’avait pas l’intention de quitter son emploi à temps plein le 17 octobre 1992.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[128] Le fonctionnaire dans la présente affaire a accordé une attention particulière à ce passage, à la page 403, qui se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] Autrement dit, dans les cas où un employé a remis sa démission, oralement ou par écrit, il incombe d’abord à l’employé de prouver qu’il n’avait pas vraiment l’intention de démissionner. Plus la preuve que son processus de réflexion était entravé au moment de sa démission est convaincante, plus il incombe à l’employeur de produire des preuves d’actions objectives confirmatrices de la part de l’employé. Toutefois, si ces actions surviennent pendant que l’employé continue de souffrir de la même maladie qui a motivé sa démission, la preuve de ces actions subséquentes aura peu ou pas de poids.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[129] S’exprimant sur ce passage, le fonctionnaire dans la présente affaire a fait remarquer dans son témoignage dans lequel il a dit qu’en repensant à la semaine en question qui a conduit à sa démission, il ne pouvait pas expliquer pourquoi il avait fait ce qu’il avait fait et qu’il n’était tout simplement pas lui-même à l’époque.

[130] Il a également fait référence au témoignage du médecin, qui a expliqué la monographie de produit du Percocet, dont le fonctionnaire consommait des doses importantes, a déclaré que le mauvais jugement, la fonction cognitive déficiente et l’irrationalité en étaient tous des effets secondaires, et a dit que je devrais trancher cette affaire de la même façon que Great Atlantic, compte tenu de la déficience cognitive du fonctionnaire et de la façon dont ce médicament avait vicié le caractère volontaire de ses actions.

[131] Par conséquent, il semble que le tribunal arbitral dans cette affaire ait fondé sa décision en grande partie sur une conclusion selon laquelle ce que le fonctionnaire avait fait n’avait aucun sens à la lumière de sa situation personnelle et de sa nature contraire à ses intérêts, et que des preuves médicales qui ont démontré plus tard que le fonctionnaire souffrait d’une maladie mentale confirmaient que son processus de réflexion était compromis et mettait en doute le caractère volontaire de sa démission.

[132] L’avocat de l’employeur a répondu et a soutenu que le critère de l’incapacité mentale établit un seuil très élevé pour une telle conclusion. L’avocat a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve directe de l’acuité mentale réelle du fonctionnaire au cours des périodes en cause et que même si son jugement était altéré, il ne satisfaisait pas au critère de l’incapacité mentale.

[133] L’avocat a fait référence à la jurisprudence de la Commission dans l’affaire Reid c. Administrateur général (Bibliothèque et Archives du Canada), 2021 CRTESPF 104, qui cite Topping c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2014 CRTFP 74. Reid indique ce qui suit :

[…]

[99] Le seuil pour annuler les règlements et les contrats est naturellement très élevé. Sinon, il y aurait un effet paralysant sur le processus de règlement, ce qui serait contraire à l’intérêt public et à l’administration de la justice. Dans Topping c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2014 CRTFP 74, au par. 126 (recueil de jurisprudence de l’employeur, onglet 8), la Commission a indiqué qu’il incombe au fonctionnaire s’estimant lésé d’établir qu’il n’avait pas la capacité de conclure l’entente :

126 Je souscris au raisonnement exposé au paragraphe 29 de Karaim, à savoir [traduction] « [qu’on] ne revient pas sur une entente qui a été conclue, à moins qu’il existe des raisons impérieuses, sur le plan des relations de travail, qui justifieraient son annulation ». Bien évidemment, le fait qu’une partie ne possède pas les capacités mentales requises au moment de la conclusion de l’entente constituerait une raison impérieuse sur le plan des relations de travail, et l’entente serait annulée. Il n’est toutefois pas suffisant qu’une partie se contente de déclarer qu’elle n’avait pas les capacités mentales requises pour accepter l’entente; elle doit également produire à l’audience des éléments de preuve pouvant être évalués au regard d’une norme objective.

[…]

[102] Au paragraphe 101, Topping fait référence à Karaim v. United Steel, Paper and Forestry, Rubber, Manufacturing, Energy, Allied Industrial and Service Workers International Union, Local 1‑85, BCLRB No. B24/2008, comme suit :

101 […] qu’habituellement, la règle veut qu’on ne procède pas à l’examen approfondi des ententes de règlement. Aux paragraphes 29 et 30 de cette décision, l’arbitre s’est exprimé en ces termes :

[Traduction]

29. […]

[…] « [On] ne revient pas sur une entente qui a été conclue, à moins qu’il existe des raisons impérieuses, sur le plan des relations de travail, qui justifieraient son annulation.

30. Lorsqu’une partie accepte une entente sous la contrainte ou parce qu’elle est soumise à une influence indue, l’entente n’a pas été conclue par cette partie de son plein gré et n’aura pas force exécutoire contre elle. Ce ne sont pas toutes les formes de pression ou de stress qui constituent de la contrainte ou une influence indue. Dans le contexte des relations de travail, le seuil qu’un comportement doit franchir pour être considéré comme de la contrainte ou une influence indue est très élevé. Comme il est indiqué au paragraphe 55 de la décision Jennifer MacDonald, BCLRB no B315/2002 :

En droit, une partie ne sera pas tenue de respecter une entente qu’elle a acceptée sous la contrainte ou en étant soumise à une influence indue. Pour qu’une entente soit exécutoire, elle doit avoir été conclue librement. Cependant, cela ne veut pas dire que toute forme de pression rend une entente annulable. Les ententes, tout particulièrement dans le contexte des relations de travail, ne sont pas établies dans des conditions parfaites ou de laboratoire. Il est complètement irréaliste d’avancer que toute personne a le droit de décider de conclure une entente à l’abri de toute forme de pression possible. Que cela nous plaise ou non, certaines formes de pression font partie de la vie. La plupart des décisions, tout particulièrement les décisions importantes, sont prises sous pression, et cette pression est parfois si forte qu’il peut être affirmé que la personne n’avait pas vraiment d’autre choix que d’agir comme elle l’a fait. La véritable question n’est pas d’établir s’il y avait de la pression, mais si cette pression était indue ou déplacée dans les circonstances.

[…]

[103] L’employeur a soutenu que le seuil pour annuler une entente au motif d’une incapacité est assujetti au même seuil très élevé que celui qui s’applique à la contrainte. Le contrat ne doit pas être annulé à moins qu’il n’y ait des éléments de preuve clairs et convaincants d’incapacité.

[104] La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, dans RMK v. NK, 2020 ABQB 328 (recueil de jurisprudence de l’employeur, onglet 6), a eu l’occasion de traiter la question de la capacité. Elle a indiqué ce qui suit aux paragraphes 130 à 133 :

[Traduction]

130 La question de savoir si une personne a la capacité requise pour prendre la décision est une question de fait qui doit être tranchée en fonction de toutes les circonstances. L’évaluation est une enquête hautement individualisée et propre aux faits […]

131 Il existe une présomption en droit selon laquelle un adulte a la capacité de conclure un contrat. Le fardeau de la preuve incombe à quiconque tente d’établir un manque de capacité selon la prépondérance des probabilités […] Si la Cour conclut que les éléments de preuve sont ambivalents ou équivoques ou ne satisfont pas aux normes de preuve de la prépondérance des probabilités, la Cour rendra une décision défavorable pour la partie à qui incombe le fardeau de la preuve […]

132 Le cas Bank of Nova Scotia v. Kelly (1973), 5 Nfld. & P.E.I.R. 1, 41 D.L.R. (3d) 273 (P.E.I. S. C.) [Kelly] a établi un critère pour déterminer la capacité de conclure un contrat qui a été suivi par d’autres tribunaux canadiens. Afin que le contrat soit valide, les deux parties doivent avoir : a) la capacité de comprendre la nature du contrat; b) la capacité de comprendre l’effet particulier du contrat dans l’ensemble des circonstances auxquelles il se rapporte. La question n’est pas de savoir si la partie contractante dont la capacité est remise en question n’a pas compris la nature et l’effet du contrat; la question est plutôt de savoir si la personne était capable de les comprendre […]

133 […] une personne est, en droit, mentalement incompétente lorsqu’elle est, en raison de son état mental, incapable de comprendre la nature et les modalités du contrat et de former un jugement rationnel de son effet sur ses intérêts […]

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[134] À partir de cet énoncé concis du droit sur la capacité de contracter au Canada, je note avec insistance l’extrait de la décision de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans RMK v. NK, 2020 ABQB 328, citée avec l’approbation de la Commission dans Reid, où il a été conclu que « [l]a question n’est pas de savoir si la partie contractante dont la capacité est remise en question n’a pas compris la nature et l’effet du contrat; la question est plutôt de savoir si la personne était capable de les comprendre […] ».

[135] Par conséquent, le fonctionnaire avait le fardeau de présenter des preuves claires et convaincantes qu’il n’avait pas la capacité mentale de comprendre l’effet de sa démission. Cependant, les preuves ont établi qu’il était impatient, hâtif et têtu. Il a soutenu qu’il se sentait sous pression et que TC ne lui laissait aucune autre option.

[136] Rien dans les éléments de preuve n’indique qu’il était incapable de comprendre la nature et les modalités de sa démission ou de former un jugement rationnel de son effet. En fait, le déménagement à Calgary et le maintien d’un revenu par l’intermédiaire de son nouveau poste chez Enerjet constituaient exactement les intérêts déclarés du fonctionnaire.

[137] Ce n’est que lorsqu’on lui a diagnostiqué une maladie grave que les priorités du fonctionnaire ont changé et qu’il a décidé que le déménagement à Calgary pour aider sa femme à aider sa mère était moins important que de rester dans son poste d’inspecteur de TC à Edmonton.

[138] N’eût été la malheureuse nouvelle de sa maladie, il semble qu’il aurait poursuivi son plan avec son nouvel emploi à Calgary pour subvenir aux besoins de sa famille, car il croyait qu’il s’agissait de sa priorité.

[139] Après un examen minutieux des cas présentés à ce sujet par les deux parties, je conclus que les faits en l’espèce correspondent bien à la décision de la Commission dans l’affaire Reid et sont conformes à la décision RMK sur laquelle elle s’est fondée.

[140] Dans la présente décision, je rejette toute idée selon laquelle je devrais être influencé par la décision du fonctionnaire de chercher un emploi à Calgary pour des raisons familiales ou contre son intérêt supérieur. Une telle analyse serait paternaliste, car elle ne correspond ni aux faits en cause ni aux événements ex post facto qui ont eu une incidence si malheureuse sur le fonctionnaire.

[141] Le fonctionnaire a formulé lui-même l’opinion selon laquelle un changement de carrière et un déménagement à Calgary étaient les meilleurs choix à faire pour lui et sa famille. Il a pris des dispositions à cet égard pendant plusieurs semaines, et même après avoir présenté sa démission, il a confirmé qu’il entendait occuper un nouvel emploi, puisqu’il a communiqué avec TC parce qu’il devait remettre son insigne et son estampille.

[142] Il n’avait aucun regret et ne remettait pas en question sa décision. Apparemment, sa décision était satisfaisante pour lui et ce n’est que lorsqu’il a appris qu’il était gravement malade qu’il l’a remise en question. C’est un ensemble de faits complètement différent de celui dans Great Atlantic.

[143] Je note également l’important fait dans cette affaire qui fait défaut dans les autres cas cités par le fonctionnaire, à savoir qu’il a entrepris une démarche en commençant un nouvel emploi, ce qui non seulement fournissait une preuve objective de son intention subjective, comme il l’a fait remarquer dans ces cas, mais qui plus est, était tout à fait en conflit avec les intérêts de son ancien employeur, de sorte qu’il a rendu son retour très problématique, car l’employeur a raisonnablement conclu que son nouvel emploi mettait en péril la confiance du public dans l’inspection et la sécurité de l’aviation civile au Canada. Ce fait distinctif a été prédit dans Postes Canada c. C.U.P.W. (1991), 21 LAC (4e) 59, au par. 70 :

[Traduction]

[…]

« Le fait de quitter un emploi comporte en lui un élément subjectif et objectif. L’employé qui désire quitter son emploi auprès de la Société doit d’abord décider de le faire et il doit alors faire quelque chose pour mettre en œuvre sa résolution. Ce quelque chose peut être un avis, tel que prévu expressément dans la convention collective ou il peut s’agir d’un comportement, comme l’acceptation d’un autre emploi, incompatible avec le reste de l’emploi de la société ».

[…]

[Je mets en évidence]

 

[144] La preuve a clairement établi que le fonctionnaire avait une capacité suffisante pour connaître les répercussions de ses actes. Était-il lui-même? Son jugement était-il brouillé? Était-il impatient et irritable? Les éléments de preuve indiquent que c’est le cas et très probablement pour tous ces comportements. Toutefois, je conclus que sa capacité de négocier et d’obtenir un nouvel emploi, qui comprenait le fait d’être pilote de l’aviation civile, de se rendre en Floride et de participer à la formation en simulateur de vol pilote, ainsi que ses courriels clairement écrits et éminemment convaincants envoyés à TC, démontrent qu’il fonctionnait à un niveau de capacité mentale et de probité tel qu’il était facilement capable de comprendre la gravité et les résultats de ses actions de commencer un nouvel emploi et de démissionner.

D. TC a-t-il enfreint la convention collective?

[145] Le fonctionnaire a soutenu que le refus de l’employeur d’annuler sa démission violait l’article de la convention collective sur les droits de gestion. Les paragraphes 208(4) et 209(2) de la Loi exigent de l’agent négociateur d’un fonctionnaire qu’il présente toute allégation portant sur l’interprétation ou la violation de la convention. Ce n’était pas le cas dans le présent grief ou dans le renvoi à l’arbitrage. Par conséquent, les allégations relatives à la convention collective n’ont pas été correctement présentées à la Commission.

III. Conclusion

[146] Pour les motifs expliqués dans la présente décision, je conclus qu’au vu de la preuve claire et convaincante dont je suis saisi, le fonctionnaire avait la capacité mentale de comprendre les effets de ses actes et qu’il a démissionné volontairement, sans contrainte ni force et sans aucune mesure disciplinaire de la part de l’employeur. Par conséquent, je n’ai pas compétence et le grief est rejeté.

[147] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[148] Le grief est rejeté.

Le 17 juin 2024.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 

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