Date: 20240325
Dossiers: 566-02-38469 et 38470
Référence: 2024 CRTESPF 41
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral et
Loi sur les relations de travail
dans le secteur public fédéral
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Entre
Parviz Kazemi
fonctionnaire s’estimant lésé
et
CONSEIL DU TRÉSOR
(Anciens Combattants Canada)
employeur
Répertorié
Kazemi c. Conseil du Trésor (Anciens Combattants Canada)
Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage
Devant : John G. Jaworski, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Kourosh Farrokhzad, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l’employeur : Larissa Volinets Schieven, avocate
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 3 mai, le 14 juillet et le 14 août 2023.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION
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(TRADUCTION DE LA CRTESPF)
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I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage
[1] Le 21 mars 2018, et au moins depuis le 12 janvier 2018, Parviz Kazemi, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), était à l’emploi du Conseil du Trésor (CT ou l’« employeur ») et travaillait pour Anciens Combattants Canada (ACC) à titre d’agent des services aux anciens combattants à la Direction des opérations sur le terrain, classé au groupe et au niveau du Programme de bien-être social (WP)-2, à Vancouver en Colombie‑Britannique.
[2] Pendant la période pertinente, ses conditions d’emploi étaient partiellement régies par une convention collective entre le CT et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« Alliance ») pour le groupe Services des programmes et de l’administration, signée le 14 juin 2017, et qui a expiré le 20 juin 2018 (la « convention collective PA »).
[3] Entre 2014 et janvier 2016 environ, le fonctionnaire travaillait à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), puis a quitté cette agence gouvernementale. Il ne ressort pas clairement des documents soumis où le fonctionnaire travaillait entre janvier 2016 et janvier 2018.
[4] Le 21 mars 2018, l’Alliance, au nom du fonctionnaire, a transmis un grief à la boîte de courriel générique de recours en matière de relations de travail (RT) de l’ASFC et au gestionnaire par intérim de la Section des enquêtes de sécurité sur le personnel de l’ASFC. Le grief énonce ce qui suit :
[Traduction]
Détails du grief […]
Je présente un grief pour contester le fait que l’ASFC m’a refusé une cote de fiabilité et une cote de sécurité de niveau secret sans motif suffisant, sur la base d’hypothèses erronées et de renseignements faux et arbitraires ou discriminatoires. Ce refus a également un impact négatif plus grave sur mes revenus potentiels pour moi-même ou ma famille. Cela a également un impact négatif sur mon emploi potentiel ou mes promotions dans le secteur public ou privé. J’estime que les renseignements obtenus pour évaluer ma capacité et ma fiabilité à obtenir l’habilitation de sécurité sont de nature arbitraire et discriminatoire. Ces renseignements trompeurs empêcheront ou m’ont empêché de devenir Agent des services frontaliers (ASF) ou d’obtenir tout autre poste à l’ASFC ou dans tout autre secteur public ou privé.
Mesure corrective demandée […]
Je demande que la décision de l’ASFC de refuser ma cote de fiabilité et ma cote de sécurité de niveau secret soit annulée, que je sois réévalué par un autre enquêteur afin d’évaluer avec précision ma fiabilité et mon intégrité et que toute autre mesure corrective appropriée dans les circonstances. Je demande également l’exclusion de tous ces renseignements faux, arbitraires ou discriminatoires dans une nouvelle évaluation. Je demande aussi d’être indemnisé intégralement.
[5] L’ASFC n’a répondu au grief à aucun niveau de la procédure de règlement des griefs et, le 4 juin 2018, le grief a été envoyé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») pour arbitrage en vertu des alinéas 209(1)a) et b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). La lettre d’accompagnement de l’Alliance, du 4 juin 2018, identifiait également les renseignements pertinents au grief comme suit :
[Traduction]
[…]
Les renseignements pertinents au grief sont les suivants :
Classification : WP-02
Agence/ministère : ministère des Anciens Combattants
Convention collective : Services des programmes et de l’administration
Date d’expiration : Le 20 juin 2018
Objet : Mesure disciplinaire déguisée et élimination de la discrimination
[…]
[6] Le 21 juin 2018, l’Alliance a transmis à la Commission un renvoi modifié à l’arbitrage. La lettre d’accompagnement dans ce renvoi était la même lettre d’accompagnement envoyée le 4 juin 2018, mais avec l’ajout suivant immédiatement après la ligne de renvoi de la lettre : [traduction] « Ce renvoi à l’arbitrage est soumis de nouveau pour identifier le bon employeur, l’ASFC. [le passage en évidence l’est dans l’original] » Le renvoi modifié à l’arbitrage identifiait les renseignements pertinents au grief comme suit :
[Traduction]
[…]
Les renseignements pertinents au grief sont les suivants :
Classification : WP-02
Agence/ministère : Agence des services frontaliers du Canada
Convention collective : Services des programmes et de l’administration
Date d’expiration : Le 20 juin 2018
Objet : Mesure disciplinaire déguisée et élimination de la discrimination
[…]
[7] La lettre du 4 juin 2018 et les documents du renvoi à l’arbitrage indiquaient que le nom de l’administrateur général était le CT et que le ministère, le secteur ou la division au sein duquel le fonctionnaire travaillait était ACC, tandis que la lettre du 21 juin 2018 et les formulaires d’accompagnement identifiaient toujours l’administrateur général comme étant le CT, mais identifiaient le ministère, le secteur ou la division au sein duquel le fonctionnaire travaillait comme étant l’ASFC.
[8] L’employeur s’oppose à la compétence de la Commission pour entendre ce grief, pour les motifs suivants :
a) Le grief n’a pas été dûment renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 225 de la Loi puisque le fonctionnaire ne l’a pas présenté à tous les niveaux requis de la procédure de règlement des griefs, comme prévu aux clauses 18.08 et 18.11 de la convention collective PA.
b) Le grief ne soulève aucune question susceptible d’être jugée en vertu de l’article 209 de la Loi, et la tentative du fonctionnaire de soulever maintenant des questions qui n’ont pas été abordées dans le grief, viole le principe énoncé dans Burchill c. Procureur général du Canada [1981] 1 C.F. 109 (C.A.).
c) La Commission n’a pas de compétence autonome sur les allégations de discrimination en l’absence de lien avec une affaire autrement jugée.
[9] Cette décision ne porte que sur l’objection de l’employeur à la compétence de la Commission.
[10] L’employeur et le fonctionnaire ont chacun déposé un mémoire contenant des documents accompagnant leurs arguments.
II. Résumé de la preuve
[11] À un moment donné en 2015, dont les détails n’ont pas été fournis, le fonctionnaire a postulé à un processus de dotation externe pour un poste dans le cadre du Programme de formation de base des agents (PFBA) de l’ASFC, afin de devenir agent des services frontaliers (ASF).
[12] Dans le cadre d’un processus de dotation externe, n’importe qui peut postuler, qu’il s’agisse d’employés travaillant à l’ASFC ou dans un autre ministère gouvernemental ou venant de l’extérieur du CT et du secteur public fédéral. Une copie de l’offre d’emploi a été fournie et a révélé que la date limite pour postuler à l’emploi était le 25 juin 2015. D’autres parties pertinentes de l’offre d’emploi indiquaient ce qui suit :
[Traduction]
[…]
Lorsque vous postulez au processus de sélection des agents stagiaires (de perfectionnement) de l’ASFC, vous devez être conscient que vous vous portez volontaire et que vous vous engagez à servir partout au Canada où l’ASFC a besoin de vous, y compris les régions rurales et éloignées. Vous devez pleinement comprendre et accepter l’engagement que vous prenez. L’ASFC prend au sérieux la mobilité comme condition d’emploi. Une variété de points d’entrée seront disponibles et un processus est en place pour vous permettre d’indiquer une préférence; cependant, il est probable que vous serez affecté à une région du Canada totalement nouvelle pour vous. Veuillez consulter le Répertoire des bureaux de l’ASFC pour obtenir des renseignements sur les affichages potentiels.
1. L’ASFC peut vous affecter à n’importe quel point d’entrée (PDE) au Canada.
2. Si vous choisissez de partir pendant le programme de formation d’initiation des officiers et/ou le programme de perfectionnement des officiers, sachez que les coûts associés à la formation et/ou au perfectionnement peuvent être récupérés auprès de vous.
Lorsque vous postulez à ce processus de sélection, vous ne postulez pas à un poste spécifique, mais à un inventaire en prévision de futurs postes vacants. Les candidats qui satisfont aux qualifications essentielles verront leur candidature incluse dans l’inventaire de ce processus de sélection continu. À mesure que des postes deviennent disponibles, les candidats répondant aux exigences de sélection initiale identifiées par le responsable du recrutement peuvent être contactés et recommandés pour examen. Veuillez vous assurer que vos renseignements sont mis à jour et restent à jour dans votre compte de candidat à Emplois GC (Gouvernement du Canada).
Votre candidature dans cet inventaire sera active pendant 90 jours. Un avis indiquant que votre candidature est sur le point d’expirer sera affiché dans le menu Mes emplois de votre compte 14 jours avant la fin de votre période active. Si vous n’agissez pas, votre candidature ne sera plus active et ne sera donc plus prise en compte pour cet inventaire. Si votre candidature devient inactive alors que le processus est encore ouvert, un avis sera affiché sur votre compte indiquant que votre candidature a expiré; vous pouvez sélectionner le lien Mettre à jour le statut de mon inventaire pour réaffirmer votre intérêt.
[…]
Énoncé des critères de mérite et conditions d’emploi
Les candidats qui satisfont aux critères suivants seront évalués en fonction de l’énoncé des critères de mérite et conditions d’emploi concernant ce poste.
[…]
Conditions d’emploi
Exigences qu’une personne doit satisfaire ou respecter aussi longtemps qu’elle occupe le poste.
Autres conditions d’emploi
[…]
. Obtenir et maintenir une cote de sécurité de niveau secret conformément aux normes de sécurité de l’ASFC.
[…]
Autres renseignements (remarques)
[…]
Les candidats sélectionnés pour le programme de formation d’initiation des agents de l’ASFC et qui deviennent des recrues sont formés via une phase en ligne, puis participent à une phase de résidence de 18 semaines au Collège de l’ASFC à Rigaud, au Québec, pour une formation et une évaluation plus approfondie. Pendant la formation en résidence au Collège de l’ASFC, les recrues recevront une allocation hebdomadaire ainsi que l’hébergement, les repas et les déplacements autorisés par l’ASFC. AUCUN salaire ne sera versé tant que la recrue n’aura pas réussi toutes les évaluations requises et accepté une offre d’emploi […]
[…]
[Les passages en évidence le sont dans l’original]
[13] Des copies de la Politique sur la sécurité du gouvernement et de la Norme sur le filtrage de sécurité du gouvernement fédéral en vigueur aux époques applicables aux questions soulevées dans le grief ont été soumises.
[14] Dans le cadre de l’évaluation de la demande de cote de fiabilité approfondie du fonctionnaire, un enquêteur de l’équipe de la Section des enquêtes de sécurité sur le personnel de l’ASFC a mené une entrevue avec le fonctionnaire. Les documents soumis montrent que cela s’est produit le 4 octobre 2016. À ce moment-là, le fonctionnaire ne travaillait plus pour l’ASFC.
[15] Les documents soumis révèlent que, le 14 juillet 2017, l’enquêteur a recommandé que l’ASFC rejette la demande de cote de fiabilité approfondie du fonctionnaire et qu’un gestionnaire de l’ASFC a confirmé cette recommandation le 18 octobre 2017, tout comme un directeur de l’ASFC le 22 janvier 2018.
[16] Le 12 janvier 2018, le fonctionnaire a écrit à l’ASFC pour l’informer qu’il occupait un poste pour une période indéterminée à ACC.
[17] Le 26 janvier 2018, l’ASFC a informé le fonctionnaire par lettre qu’elle avait refusé sa demande de cote de fiabilité approfondie. La lettre indiquait que la décision pouvait être contestée par une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale ou par le biais d’une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP).
[18] Dans un courriel du 6 février 2018, l’ASFC a informé le fonctionnaire qu’elle n’avait de pouvoir que sur ses propres statuts et habilitations de sécurité.
[19] Le 21 mars 2018, l’Alliance, au nom du fonctionnaire, a transmis un grief à la boîte de courriel générique de recours en matière de RT de l’ASFC et au gestionnaire par intérim de la Section des enquêtes de sécurité sur le personnel de l’ASFC.
[20] Il n’y a aucune preuve que le grief a été soumis à un gestionnaire ou au superviseur du fonctionnaire à ACC. Au bas du formulaire de grief de l’Alliance se trouve une case marquée « Section 3 », qui doit être remplie par le superviseur immédiat du fonctionnaire ou un autre représentant de la direction qui confirme la réception du grief. La boîte comporte des espaces pour le nom du représentant de la direction ou du superviseur, son titre dans l’organisation, ainsi que sa signature et la date à laquelle le grief a été reçu. Le grief, tel qu’il a été transmis à la Commission, ne contient aucune mention indiquant qu’il a été reçu par un représentant de la direction à quelque date que ce soit.
[21] Les documents soumis révèlent qu’à l’époque des faits, Laurel Randle était une agente des RT (ART) au sein du Syndicat des Douanes et de l’Immigration (SDI).
[22] L’Alliance est, faute d’un meilleur terme, une alliance de plusieurs syndicats différents. Le SDI est l’un des syndicats membres de l’Alliance. Le SDI est l’agent négociateur qui représente les employés de l’unité de négociation des ASF.
[23] Les documents soumis révèlent qu’à l’époque des faits reprochés, Andrea Chase était une ART auprès de l’ASFC.
[24] Un échange de courriels a eu lieu entre le 21 et le 27 mars 2018 entre Mme Randle et Mme Chase après que le grief a été envoyé par courriel dans la boîte de courriel générique de recours en matière de RT de l’ASFC. L’échange est le suivant :
[Traduction]
[De Mme Chase à Mme Randle, le 21 mars à 12 h 58 :]
[…]
J’ai examiné la pièce jointe et constaté qu’elle n’était pas signée, comme l’a reconnu la direction régionale. La boîte aux lettres des recours en matière de RT ne peut pas signer au nom de la direction.
Par conséquent, veuillez demander au fonctionnaire s’estimant lésé ou au représentant syndical local de présenter le formulaire de grief à la direction et de le faire signer. Ils doivent demander une copie signée pour leurs dossiers. La direction transmettra ensuite le grief aux relations de travail régionales qui ouvriront un dossier, attribueront un numéro de dossier et l’enverront aux relations de travail corporatives (le cas échéant).
[…]
[De Mme Chase à Mme Randle, le 21 mars à 13 h 04 :]
[…]
À la deuxième lecture du grief, j’ai réalisé que la personne n’était pas un employé de l’ASFC.
Puisqu’il s’agit d’une habilitation de sécurité, la Sécurité lui aurait accordé ses droits de recours s’il n’était pas d’accord avec les résultats. Je ne crois pas qu’un grief aurait été une telle solution.
Laissez-moi poursuivre mes recherches et je vous répondrai.
[…]
[De Mme Chase à Mme Randle, le 21 mars à 13 h 48 :]
[…]
J’ai appris de la Sécurité sur le personnel que M. Kazemi aurait reçu une lettre de décision, vers le 26 janvier 2018, qui fournissait les renseignements suivants sur ses droits de recours :
« L’Annexe E, Section 3 de la Norme sur le filtrage de sécurité du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada stipule que vous pouvez contester une décision de refuser une cote de fiabilité au moyen d’une plainte déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne ou d’une demande de contrôle judiciaire auprès du Tribunal fédéral. »
Voici le lien vers la Norme : [lien supprimé]
Par conséquent, un grief ne constitue pas la voie de recours appropriée pour M. Kazemi.
Pourriez-vous confirmer la réception de ce courriel?
[…]
[De Mme Randle à Mme Chase, le 21 mars à 15 h 28 :]
[…]
J’ai reçu ce courriel.
[…]
[De Mme Chase à Mme Randle, le 21 mars à 15 h 36 :]
[…]
Aucune autre mesure ne sera prise de notre part concernant le formulaire de grief.
[…]
[De Mme Randle à Mme Chase, le 21 mars à 15 h 54 :]
[…]
Même si je comprends que la lettre prévoyait que le recours se limitait à une contestation devant la Cour fédérale ou à une plainte en matière de droits de la personne, M. Kazemi est un employé de la fonction publique fédérale travaillant pour un ministère du Conseil du Trésor et un membre de l’unité de négociation PA.
D’après le lien que vous m’avez envoyé, la Norme prévoit qu’un grief est en fait une méthode de contestation.
J’ai envoyé le grief à Melanie Bussiere, gestionnaire par intérim et nom de personne-ressource donné à M. Kazemi dans la lettre, avec la demande qu’elle soit signée, je n’ai pas encore eu de réponse de sa part.
[…]
[De Mme Chase à Mme Randle, le 21 mars à 16 h 23 :]
[…]
M. Kazemi a postulé dans le cadre d’un processus externe ouvert au grand public. Il a postulé en tant que membre du public et non en tant qu’employé du Gouvernement du Canada. Il ne s’agissait pas d’un concours interne réservé aux employés du Gouvernement du Canada. Par conséquent, la décision relative à sa cote de fiabilité n’a pas été prise dans le contexte de son emploi actuel, c’est-à-dire qu’elle n’a pas d’impact sur la cote de sécurité ou l’autorisation de sécurité qu’il peut détenir à Anciens Combattants.
Ainsi, ses droits de recours seraient les mêmes que ceux de tout autre membre du public ayant présenté une demande dans le cadre de ce processus externe – contrôle judiciaire ou plainte auprès de la CCDP.
[…]
[De Mme Randle à Mme Chase, le 22 mars à 9 h 06 :]
[…]
Nous sommes respectueusement en désaccord avec cette position. Je comprends que le concours était ouvert au public, mais au moment où il a postulé, M. Kazemi était un employé de la fonction publique fédérale et son employeur était le CT. On ne peut pas être à la fois salarié et non-salarié. Comme nous l’avons indiqué précédemment, il faut faire une distinction entre les personnes extérieures à la fonction publique et les employés de la fonction publique fédérale. Les personnes internes ou les employés de la fonction publique ont accès à la procédure de grief pour contester les décisions négatives lors des contrôles de fiabilité, ce qui n’est pas le cas des non-employés ou des personnes extérieures à la fonction publique.
[…]
[Les passages en évidence le sont dans l’original]
[25] Le 27 mars 2018, Mélanie Carbonneau, la gestionnaire en RT de l’ASFC, a écrit à Mme Randle, répondant à son courriel du 22 mars horodaté à 9 h 06 et indiquant que l’ASFC ne pouvait pas accepter le grief. Elle a ajouté qu’elle soutenait l’analyse de Mme Chase selon laquelle M. Kazemi n’était pas un employé de l’ASFC et qu’il ne pouvait donc pas présenter de grief à l’ASFC.
[26] Le 6 avril 2018, Mme Randle a envoyé un courriel à la boîte de courriel générique de recours en matière de RT de l’ASFC et a demandé que le grief soit transmis au deuxième niveau de la procédure de règlement des griefs. Elle a déclaré que la transmission était conforme à la clause 18.16b) de la convention collective PA.
[27] Le 9 avril 2018, Mme Chase a répondu au courriel de Mme Randle du 6 avril, déclarant que le formulaire de grief n’avait pas été reconnu par l’ASFC; et aucun représentant de la direction ne l’avait signé pour en accuser réception. Elle a ajouté qu’aucun numéro de dossier de grief n’avait été attribué et que, par conséquent, la procédure de règlement des griefs interne de l’ASFC n’avait pas été amorcée et que le grief ne pouvait pas être transmis aux niveaux suivants de la procédure de règlement des griefs. Elle a ajouté que les droits de recours du fonctionnaire restaient soit auprès de la CCDP, soit par voie de contrôle judiciaire.
III. La convention collective PA
[28] Les parties de la convention collective PA qui sont pertinentes pour cette décision sont les suivantes :
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[Les passages en évidence le sont dans l’original]
[29] L’Alliance est également l’agent négociateur du groupe des Services frontaliers (FB). À l’époque applicable aux questions en litige dans cette décision, l’Alliance et le CT étaient des parties à une convention collective signée le 3 juillet 2018 et qui a expiré le 30 juin 2018 (la « convention collective FB »). Une grande partie du libellé de cette convention collective reflète celui d’autres conventions collectives conclues entre l’Alliance et le CT, y compris celui de la convention collective PA. En fait, les articles énoncés plus tôt faisant référence à la convention collective PA sont identiques, clause par clause et mot pour mot, à l’exception de la clause 9.01, dans laquelle la référence dans la convention collective PA indique « groupe Services des programmes et de l’administration », alors que, dans la convention collective FB, il est indiqué « groupe Services frontaliers ».
[30] Les deux parties ont présenté des renseignements concernant les renseignements qui ont amené l’enquêteur de l’équipe de la Section des enquêtes de sécurité sur le personnel de l’ASFC à recommander que le fonctionnaire n’obtienne pas une cote de fiabilité approfondie et la décision de l’ASFC de maintenir la décision de l’enquêteur. Rien de tout cela n’est pertinent pour la décision que je dois prendre et à ce titre, cela n’a pas été exposé. De plus, les facteurs énoncés dans la Politique sur la sécurité du gouvernement et dans la Norme sur le filtrage de sécurité n’ont aucune pertinence pour la décision que je dois prendre et à ce titre, ils n’ont pas été énoncés.
IV. Résumé de l’argumentation
A. Pour l’employeur
[31] L’employeur soutient que la Commission n’a pas compétence. Il déclare que le fonctionnaire n’a pas présenté son grief à tous les niveaux de la procédure de règlement des griefs et qu’à ce titre, en vertu de l’article 225 de la Loi, il ne pouvait pas être renvoyé à la Commission pour arbitrage.
[32] L’employeur soutient que l’omission de présenter un grief à tous les niveaux de la procédure de règlement des griefs n’est pas un simple défaut de forme ou de détail et que la Commission a régulièrement appliqué l’article 225 de la Loi pour conclure que le défaut de présenter le grief à tous les niveaux de la procédure de règlement des griefs vicie le renvoi à l’arbitrage et prive la Commission de compétence. De plus, la Commission a statué qu’elle n’a ni l’autorité ni le pouvoir discrétionnaire de permettre à un fonctionnaire s’estimant lésé de contourner l’article 225 de la Loi.
[33] L’employeur soutient que le grief n’est pas arbitrable en vertu de l’article 209 de la Loi, et même si le grief avait été correctement transmis à tous les niveaux de la procédure de règlement des griefs, il ne s’agit pas d’une mesure disciplinaire ayant entraîné un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire; il n’est pas non plus lié d’une manière ou d’une autre à la convention collective PA.
[34] La Commission ne peut statuer sur les réclamations du fonctionnaire que si elle possède une compétence inhérente, laquelle est déterminée en fonction d’un critère de caractère essentiel. Le caractère essentiel ou le caractère véritable du grief est de savoir si l’ASFC aurait dû refuser la demande de cote de fiabilité approfondie du fonctionnaire au cours du processus de dotation du PFBA. L’ASFC n’a ni appliqué ni interprété la convention collective PA lorsqu’elle a entrepris cette analyse; et la procédure administrative n’était en aucune façon disciplinaire. Le grief n’allègue pas une violation de la convention collective PA ni que des mesures disciplinaires ont été prises contre le fonctionnaire.
[35] Il est clair que le fonctionnaire est mécontent que la cote de fiabilité approfondie lui ait été refusée. Cela ressort clairement à la fois du libellé des détails du grief et de la mesure corrective demandée, à savoir l’annulation de la décision de refus et la réévaluation de sa candidature.
[36] La Commission n’est pas privée de compétence simplement parce que le fonctionnaire travaillait à ACC au moment où la décision de refus a été prise. Le simple fait d’être employé dans l’administration publique centrale ne change rien à la nature essentielle du conflit, qui n’est ni disciplinaire ni lié à l’interprétation ou à l’application de la convention collective PA et ne peut donc pas faire l’objet d’un grief ni être arbitrable devant la Commission.
[37] En tant que candidat à un processus de dotation externe, le recours du fonctionnaire consistait en une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale ou en une plainte auprès de la CCDP. Le fonctionnaire et l’Alliance ont été informés de ces options à au moins quatre occasions distinctes. Le fonctionnaire était représenté par l’Alliance tout au long de ce processus et a donc vraisemblablement reçu ses conseils et son expertise.
[38] En l’absence d’une relation d’emploi entre l’ASFC et le fonctionnaire, la décision de l’ASFC de refuser au fonctionnaire la cote de fiabilité approfondie au cours du processus de demande du PFBA ne pourrait, selon aucune interprétation raisonnable, constituer une violation de la convention collective PA qui régit sa relation d’emploi avec ACC.
[39] La définition d’« employé-e » dans la convention collective PA désigne une personne ainsi définie dans la Loi qui est membre de l’unité de négociation spécifiée à l’article 9 de la convention collective PA. Les articles 17 et 19 de la convention collective PA font tous deux référence aux mesures prises par l’employeur à l’encontre d’un employé. Dans ce contexte, l’ASFC n’est pas l’employeur du fonctionnaire et ses actions n’étaient donc pas celles d’un employeur contre un employé.
[40] Même si la convention collective PA pouvait s’appliquer d’une manière ou d’une autre à la décision de l’ASFC, la Commission n’a toujours pas compétence, puisque le grief n’allègue pas que l’ASFC a violé la convention collective PA; son action n’a pas non plus donné lieu à son interprétation ou à son application, comme l’exige l’alinéa 209(1)a) de la Loi.
[41] Le grief n’allègue pas que le fonctionnaire a fait l’objet de mesures disciplinaires entraînant un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire, comme l’exige l’alinéa 209(1)b) de la Loi; au contraire, il conteste simplement la décision de refus. Il ne fait aucun doute que l’ASFC n’a pas licencié, rétrogradé ou suspendu le fonctionnaire.
[42] Les mesures disciplinaires se distinguent des mesures non disciplinaires par les motifs et le but de l’action. Le sentiment du fonctionnaire d’avoir été traité injustement ne transforme pas une mesure administrative en mesure disciplinaire. Le refus d’une demande de cote de fiabilité approfondie d’un candidat externe est une décision administrative. La décision de refus n’est liée à aucune inconduite liée à l’emploi que l’ASFC cherchait à punir ou à corriger.
[43] La référence dans le grief à un [traduction] « impact négatif sur mes revenus potentiels » ne constitue pas une allégation de sanction pécuniaire. Lorsqu’un grief n’utilise pas spécifiquement l’expression « sanction pécuniaire », la Commission n’a pas compétence, qu’il y ait ou non une sanction pécuniaire, et dans ce cas-ci, il n’y en a pas eu. De plus, le fait qu’il y ait eu ou qu’il y ait une conséquence financière n’équivaut pas à une sanction pécuniaire.
[44] L’employeur soutient que, puisque le grief ne soulève ni une question disciplinaire ni une prétendue violation de la convention collective PA, le fait de soulever ces deux éléments dans le renvoi à l’arbitrage viole le principe bien établi énoncé dans Burchill.
[45] En ce qui concerne les allégations de discrimination, l’employeur déclare que la Commission n’a pas compétence autonome pour statuer sur les allégations de discrimination en l’absence d’un grief dûment renvoyé et arbitrable en vertu du paragraphe 209(1) de la Loi. Le grief ne fait état d’aucun article de la convention collective PA, d’aucun motif allégué de discrimination ou du fait que l’ASFC a fait preuve de discrimination à l’égard du fonctionnaire. De plus, la mesure corrective demandée indique la véritable nature du grief, puisque le recours ne vise pas à obtenir de mesure d’adaptation ou de dommages en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6). De plus, l’alinéa 226(2)a) de la Loi ne constitue pas un moyen par lequel toute allégation de discrimination peut autrement être portée devant la Commission.
B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé
[46] L’agent négociateur soutient que le grief a été déposé en temps opportun, même s’il y a eu un délai d’environ 25 jours entre la date à laquelle le fonctionnaire a signé le grief et la date à laquelle l’Alliance l’a transmis à la boîte de réception générique des recours au RT de l’ASFC. Le fonctionnaire soutient que le bref délai ne cause aucun préjudice important à l’employeur et que ses droits ne devraient pas être éteints pour une simple raison technique. La Commission a compétence pour accorder une prorogation du délai conformément à l’article 61 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »).
[47] L’agent négociateur soutient que le grief a été correctement renvoyé à l’arbitrage en vertu de la Loi et qu’il a présenté le grief à tous les niveaux requis de la procédure de règlement des griefs, comme le prévoient les clauses 18.08 et 18.11 de la convention collective PA. Le fonctionnaire soutient que la procédure de règlement des griefs a été soigneusement suivie, mais que l’ASFC a refusé de reconnaître le grief à chaque étape du processus de renvoi.
[48] L’agent négociateur soutient que l’ASFC a refusé de respecter l’intégrité de l’article 18 (à noter que les arguments ne précisent pas quelle convention collective) et s’appuie sur sa propre violation des exigences de l’article 18 pour faire valoir que l’agent négociateur n’a pas respecté les exigences de la convention collective (encore une fois sans préciser de quelle convention collective).
[49] L’agent négociateur estime que le grief soulève des questions qui peuvent être jugées en vertu de l’article 209 de la Loi. Il affirme que le grief soulève des allégations de conduite discriminatoire de la part de l’ASFC et de sérieuses préoccupations quant à l’équité procédurale. Les allégations de discrimination sont clairement énoncées dans le formulaire de grief.
[50] Pour les raisons qui suivent, les arguments présentés par l’agent négociateur dans le reste de ses arguments ne sont pas pertinents, car ils abordent des questions qui ne s’appliquent que si le fonctionnaire avait satisfait à la question préliminaire de savoir si un grief avait effectivement été déposé ou non.
V. Motifs
[51] La procédure de règlement des griefs dans la fonction publique fédérale est régie par la Loi, le Règlement et toute convention collective spécifique à un groupe qui peut être conclue entre un agent négociateur autorisé et l’employeur à l’égard des employés d’une unité de négociation particulière.
[52] L’Alliance et le CT ont convenu, dans la convention collective PA, de certaines modalités régissant la procédure de règlement des griefs pour les employés de l’unité de négociation PA, tandis qu’ils ont également convenu dans la convention collective FB de certaines modalités régissant la procédure de règlement des griefs pour les employés dans la convention collective FB. Ces deux conventions collectives régissent différents employés appartenant à différentes unités de négociation, même si les employés de ces deux unités sont employés par le CT.
[53] Les conventions collectives PA et FB sont formulées de la même manière à bien des égards, et l’article 18 des deux conventions collectives, qui définit la procédure de règlement des griefs, dicte la manière dont un employé d’une unité de négociation régie par la convention collective spécifique au groupe peut déposer un grief.
[54] La Loi définit « fonctionnaire ». Elle précise qu’un fonctionnaire est « […] une personne employée dans la fonction publique, à l’exclusion de […] », et énonce ensuite neuf exclusions. Elle définit « fonction publique » comme suit :
[…] l’ensemble des postes qui sont compris dans les entités ci-après ou qui en relèvent :
a) les ministères figurant à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques;
b) les autres secteurs de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe IV de cette Loi;
c) les organismes distincts figurant à l’annexe V de la même loi.
[55] L’article 2 de la convention collective PA est l’article d’interprétation et de définition de cette convention, et la clause 2.01 définit « employé-e » comme « […] toute personne définie comme fonctionnaire en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et qui fait partie de l’unité de négociation indiquée à l’article 9 ». L’article 9 identifie uniquement le groupe PA.
[56] L’article 2 de la convention collective FB est l’article d’interprétation et de définitions de cette convention, et la clause 2.01 définit « employé-e » comme « […] toute personne définie comme fonctionnaire en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et qui fait partie de l’unité de négociation indiquée à l’article 9 ». L’article 9 identifie uniquement le groupe FB.
[57] La preuve a révélé qu’au moment où on lui a refusé la cote de fiabilité approfondie et où il a été informé de ce refus, le fonctionnaire était un employé du CT, travaillant pour ACC et était membre de l’unité de négociation PA. D’après la lecture et l’interprétation simples et directes des deux conventions collectives, il est clair que les conditions d’emploi du fonctionnaire étaient couvertes par la convention collective PA et non par la convention collective FB.
[58] La clause 18.02 de chacune des conventions collectifs PA et FB stipule qu’un employé peut présenter un grief dans des circonstances particulières. Le terme « employé-e » est défini spécifiquement dans chacune de ces conventions collectives. Dans la convention collective PA, un employé est un membre de l’unité de négociation telle que définie à l’article 9 de cette convention.
[59] Partant de là, le fonctionnaire ne peut présenter qu’un grief alléguant un manquement à la convention collective PA et doit suivre la procédure prévue à l’article 18 de cette convention pour ce faire. Ainsi, si le fonctionnaire voulait présenter un grief, il était tenu, en vertu de la clause 18.08 de la convention collective PA, de le transmettre à son « […] superviseur immédiat ou son responsable local qui, immédiatement […] l’adresse au représentant de l’Employeur autorisé à traiter des griefs au palier approprié […] ». Le fonctionnaire ne l’a pas fait. Selon les arguments des deux parties et les documents soumis, l’Alliance a transmis un grief à la boîte de courriel générique de recours en matière de RT de l’ASFC et au gestionnaire par intérim de la Section des enquêtes de sécurité sur le personnel de l’ASFC.
[60] Étant donné que le fonctionnaire ne travaillait pas à l’ASFC et plus précisément, qu’il ne travaillait ni pour son unité RT ni pour sa Section des enquêtes de sécurité sur le personnel, ni lui ni son agent négociateur, l’Alliance en son nom, n’auraient pu présenter un grief à ces endroits.
[61] Pour avoir présenté un grief, le fonctionnaire ou son représentant de l’agent négociateur devait le présenter à son superviseur immédiat ou au responsable local, qui à son tour l’aurait transmis au représentant de l’employeur autorisé à traiter les griefs au palier approprié. Le fonctionnaire n’a pas présenté de grief à son superviseur immédiat ou au responsable local. Comme il ne l’a pas fait, aucun grief n’a été présenté. Si aucun grief n’est présenté, il s’ensuit qu’aucun ne peut être soumis à la procédure de règlement des griefs et renvoyé à la Commission pour arbitrage, comme le prévoient les articles 209, 225 et 241 de la Loi.
[62] J’ai abordé cette question dans El-Menini c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2018 CRTESPF 40. Cette affaire portait sur deux griefs déposés par M. El Menini, dont le premier visait une suspension d’emploi qui, selon le fonctionnaire s’estimant lésé, constituait un licenciement déguisé. Comme le fonctionnaire s’estimant lésé croyait que sa suspension constituait un licenciement déguisé, il l’a présenté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, ce qui constituait une exception à la procédure de règlement des griefs qui exigeait la présentation d’un grief au premier palier. En évaluant la preuve dans cette affaire, j’ai déterminé en fait qu’il s’agissait simplement de ce qu’il semblait être, soit non pas un licenciement déguisé, mais une suspension, et qu’à ce titre, le grief devait être présenté selon la procédure normale de règlement des griefs, à partir du premier palier. Aux paragraphes 433 à 437, j’ai déclaré ce qui suit :
433 Étant donné que j’ai conclu que la mesure de l’ACIA en avril 2014 était en fait une suspension et non pas un licenciement, le processus de recours du fonctionnaire nécessitait qu’il renvoie un grief portant sur cette mesure au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Il a indiqué qu’il avait renvoyé son grief au dernier palier; toutefois, il n’aurait pas pu le faire parce qu’il ne s’agissait pas d’un grief contestant un licenciement. Par conséquent, bien qu’il ait déposé un grief, il était tenu de le déposer au premier palier.
434 Lorsque le temps a manqué pour obtenir une réponse à ce niveau, il aurait dû renvoyer son grief au palier suivant de la procédure. Par la suite, il aurait soit obtenu gain de cause ou il aurait fini par épuiser le processus et aurait été en mesure de renvoyer son grief à la Commission pour arbitrage. Il ne l’a pas fait; en revanche, il est demeuré inébranlable dans sa position qu’il avait été licencié et que son grief avait été déposé au dernier palier, ce qui lui a permis de le renvoyer à la Commission pour arbitrage alors qu’il n’avait pas reçu de réponse de l’ACIA dans les délais qu’il croyait applicables. Il l’a fait à ses risques et périls.
435 L’omission d’agir à l’intérieur des délais prescrits par le Règlement a des conséquences, dont l’une est énoncée à l’article 225 de la Loi, qui stipule ce qui suit : « Le renvoi d’un grief à l’arbitrage ne peut avoir lieu qu’après la présentation du grief à tous les paliers requis conformément à la procédure applicable ». Par conséquent, si un grief n’est pas présenté au palier suivant dans le délai établi, le grief ne peut aller plus loin sans le consentement de l’autre partie (dans ce cas, l’ACIA) ou sur ordonnance de la Commission.
436 Étant donné que j’ai conclu que la mesure de l’ACIA du 17 avril 2014 était en fait de suspendre le fonctionnaire et non de le licencier, le grief contre cette suspension devait, en vertu de l’article 225 de la Loi, être présenté à chaque palier du processus de règlement des griefs avant d’être renvoyé à la Commission pour arbitrage. Dans le cas contraire, il ne pouvait pas être renvoyé à la Commission pour arbitrage.
437 Les éléments de preuve ont démontré que l’employeur n’a pas consenti à une modification du processus de règlement des griefs. Étant donné que le fonctionnaire ne s’est pas conformé à la procédure de règlement des griefs, le grief dans le dossier 566‑32‑9869 n’a pas été renvoyé à l’arbitrage en vertu de la Loi d’une manière appropriée et, à ce titre, je n’ai pas compétence.
[63] L’obligation pour un fonctionnaire s’estimant lésé de suivre la procédure de règlement des griefs prévue dans la convention collective applicable ou dans la Loi et le Règlement, lorsqu’il n’existe pas de convention collective, a été récemment abordée de nouveau dans Fauteux c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2022 CRTESPF 84. Dans ce cas, la Commission a déclaré ce qui suit :
[…]
[37] La procédure de règlement des griefs existe pour une raison. Sauf exception, on ne devrait pas la contourner avant de renvoyer une affaire à l’arbitrage. La raison d’être d’une telle procédure a été décrite comme suit dans Laferrière c. Administrateur général (Agence spatiale canadienne), 2008 CRTFP 53, au par. 28 :
[…]
[28] La procédure interne de règlement des griefs existe pour fournir une possibilité aux parties de trouver elles-mêmes des solutions aux litiges qui les opposent. Les divers paliers de la procédure leur fournissent autant d’occasions de dialogue et de discussions en vue d’en arriver à une solution. À défaut d’entente, elles peuvent par la suite s’en remettre à une tierce partie qui a le pouvoir d’imposer une solution. Il s’agit là de la base même des systèmes de griefs des régimes canadiens de relations de travail et sur ce, la Loi ne diffère pas.
[…]
[38] Les paliers de la procédure de règlement des griefs visent à créer des opportunités pour le dialogue et des discussions, favorisant ainsi la résolution juste et efficace de différends entre un fonctionnaire et son employeur. Pour cette raison, la Loi, le Règlement et la convention collective insistent sur le respect de la procédure de règlement des griefs avant le renvoi à l’arbitrage et ne reconnaissent que très peu d’exceptions.
[39] L’article 225 de la Loi, une disposition législative qui porte sur la compétence de la Commission, prévoit qu’un grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage qu’après la présentation du grief à tous les paliers requis selon la convention collective. De plus, l’article de la Loi qui énumère les types de griefs pouvant être renvoyés à l’arbitrage précise qu’un grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage qu’après avoir été porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable (voir le par. 209(1) de la Loi).
[40] Le législateur a d’ailleurs insisté sur l’importance de la procédure de règlements des griefs par l’inclusion du par. 241(2) de la Loi, selon lequel l’omission de présenter un grief à tous les paliers requis à la convention collective est exclue des vices de procédure ou de forme pouvant être tolérés par la Commission. Le renvoi d’un grief à l’arbitrage peut être invalidé en raison du défaut de respecter la procédure de règlement des griefs.
[41] La Commission a, à maintes reprises, conclu qu’elle n’avait pas compétence à l’égard de griefs lorsque les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient pas satisfait aux conditions énoncées dans la Loi concernant le renvoi à l’arbitrage, notamment le respect de la procédure de règlement des griefs (voir, entre autres, Brown, au par. 29; Laferrière; El-Menini c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2018 CRTESPF 40).
[…]
[64] Il importe peu que le fonctionnaire ait le droit de déposer un grief ou que le grief porte sur une mesure disciplinaire ou allègue une violation d’une convention collective. Sans qu’un grief ait été présenté, la Commission n’a rien à traiter puisqu’elle n’a aucune compétence si aucun grief n’a été déposé. Cela est vrai pour l’argument du fonctionnaire selon lequel le formulaire de grief a été rempli en temps opportun. Si aucun grief n’a jamais été déposé, il n’y a aucune question de savoir s’il a été déposé en temps opportun ou non, puisqu’il n’existe aucun grief.
[65] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VI. Ordonnance
[66] L’objection à la compétence est accueillie.
[67] Le grief est rejeté.
Le 25 mars 2024.
Traduction de la CRTESPF
John G. Jaworski,
une formation de la Commission des relations de
travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral