Date: 20240327
Référence: 2024 CRTESPF 45
de l’emploi dans le secteur public
fédéral et Loi sur les relations
de travail dans le secteur public
fédéral
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Entre
Leanne Dupuis
fonctionnaire s’estimant lésée
et
conseil du trésor
(Agence de la santé publique du Canada)
employeur
Dupuis c. Conseil du Trésor (Agence de la santé publique du Canada)
Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage
Devant : Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Sean Kemball, représentant
Pour l’employeur : Erin Saso, représentante
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 30 juin, les 12 et 28 juillet et le 16 août 2023.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION
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(TRADUCTION DE LA CRTESPF)
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I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage
[1] Leanne Dupuis, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») a été embauchée le 11 janvier 2021 par l’Agence de la santé publique du Canada (l’« employeur ») à titre d’agente de quarantaine, classifiée CH-04, au point d’entrée d’Emerson, au Manitoba. Elle était représentée par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »).
[2] Elle a été embauchée comme travailleuse de jour, mais en raison des pressions à la frontière en raison de la pandémie de COVID-19, elle a été affectée au travail par postes le 1er mars 2021. Le 10 novembre 2021, elle a déposé un grief contre le changement apporté au travail par postes, alléguant que l’employeur avait violé plusieurs articles de la convention collective des Services de santé (SH).
II. L’objection de l’employeur relative au respect des délais
[3] L’employeur a soutenu que la Commission n’avait pas compétence pour statuer sur le grief, car il était en dehors des délais en vertu de la clause 34.12 de la convention collective :
34.12 L’auteur du grief peut présenter un grief au premier palier de la procédure [...] au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle l’auteur du grief est informé ou devient conscient de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief [...]
[4] Il a dit que, bien que la fonctionnaire ait été embauchée comme travailleuse de jour, en raison de l’état d’urgence à la frontière et de changements fréquents aux exigences de contrôle des voyageurs en raison de la pandémie de COVID-19, ses heures avaient été changées au travail par postes.
[5] Avant le changement, elle et d’autres membres du personnel avaient participé à plusieurs réunions et discussions sur les changements d’horaire. La direction a clairement indiqué que les membres du personnel devaient faire part de leurs préoccupations concernant le projet de travail par postes et que des ajustements pouvaient être apportés au besoin.
[6] La fonctionnaire a commencé à travailler un horaire par poste de 12 heures le 1er mars 2021. Elle n’a déposé son grief que le 10 novembre 2021, soit 8 mois plus tard. Le grief a été rejeté à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs au motif qu’il avait été présenté en dehors des délais.
[7] L’employeur a demandé que le renvoi à l’arbitrage soit rejeté sans audience, car le grief était hors délai et, par conséquent, ne relevait pas de la compétence de la Commission.
III. La réponse de l’agent négociateur à l’objection
[8] L’agent négociateur a soutenu que l’objection de l’employeur devrait être rejetée et que l’affaire devrait être mise au calendrier des audiences parce qu’il s’agissait d’un grief continu. Il a soutenu que, pour décider si un grief est continu, la Commission doit déterminer s’il y a eu un manquement continu au devoir. Pour ce faire, elle doit examiner le bien-fondé du cas. La substance réelle de l’affaire en litige doit être entendue et non déterminée par une interprétation technique stricte.
[9] L’agent négociateur a déclaré que certains éléments du grief étaient liés à la paye et que le centre de paye de l’employeur n’était pas en mesure de fournir les dossiers de paye pertinents. De plus, la position de l’employeur semblait évoluer – sa réponse au grief semblait être que la fonctionnaire avait toujours été une travailleuse de postes ou que sa lettre d’offre autorisait l’employeur à modifier ses heures de travail comme bon lui semblait.
[10] L’agent négociateur a soutenu que l’employeur avait tort d’affirmer que le protocole d’entente sur le travail par postes signé avec les plus grands aéroports du Canada s’appliquait au point d’entrée terrestre d’Emerson.
[11] Il a également soumis que l’employeur n’avait pas le droit d’agir comme il l’avait fait simplement en raison de l’état d’urgence actuel en raison de la pandémie; à tout le moins, il était tenu de réévaluer l’horaire de façon continue. Par conséquent, même si la Commission était d’accord avec l’objection de l’employeur, la fonctionnaire avait un grief valide à présenter à compter de la date de son dépôt.
IV. La réponse de l’employeur
[12] L’employeur a répondu qu’il ne s’agissait pas d’un grief continu, qu’en raison des changements fréquents apportés aux exigences de présélection, il avait pris une décision distincte et non répétée de mettre en œuvre un horaire par postes. Le fait que la décision ait entraîné des changements aux heures de travail de la fonctionnaire ne signifie pas qu’elle puisse être qualifiée de violation récurrente de la convention collective. La décision de mettre en œuvre le travail par postes a eu des conséquences constantes.
[13] L’employeur a soutenu, à titre subsidiaire, que si la Commission acceptait l’argument selon lequel le grief était continu et, par conséquent, qu’il avait été déposé dans les délais, toute mesure de redressement devrait être limitée aux 25 jours précédant la date à laquelle il avait été déposé. Il a également noté qu’aucun des points soulevés par l’agent négociateur n’explique pourquoi la fonctionnaire a attendu huit mois pour déposer son grief.
V. La réfutation de l’agent négociateur
[14] En réponse à la réplique de l’employeur, l’agent négociateur a maintenu son argument antérieur et a ajouté ou réitéré que :
· l’employeur était confus quant au statut officiel de la fonctionnaire, comme le démontrent sa réponse au premier palier et l’absence de documents officiels attestant un changement de statut ou un protocole d’entente valide avec l’agent négociateur;
· l’employeur a déclaré que sa décision était fondée sur une situation d’urgence, mais il avait élaboré un protocole d’entente pour les autres membres de l’unité de négociation et aurait dû faire de même dans ce cas;
· le grief contient des éléments liés à la paye, et l’employeur n’a pas fourni de dossiers de paye;
· l’employeur avait l’obligation permanente de se demander si son action était toujours justifiée, ce qui n’était pas un changement d’horaire, mais une violation continue.
VI. Motifs de décision
[15] Je conviens avec l’employeur qu’il ne s’agit pas d’un grief continu et qu’il ne peut être jugé opportun pour cette raison.
[16] En raison des pressions liées à la pandémie de COVID-19 à la frontière, l’employeur a décidé de mettre en œuvre un horaire de travail par postes. Que cette décision ait eu des répercussions négatives récurrentes sur la fonctionnaire ne signifie pas qu’elle constituait une violation récurrente de la convention collective. Voir, par exemple, Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, aux paragraphes 35 et 36, où la Commission a cité la jurisprudence qui avait examiné si un grief est de nature continue, comme suit :
[35] L’arbitre de différends dans British Columbia v. B.C.N.U. (1982), 5 L.A.C. (3d) 404, s’est fondé sur la définition d’un grief continu énoncé dans l’ouvrage Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration du professeur Gorsky, à la page 35, comme suit :
[Traduction]
[…] La récurrence du dommage ne rend pas un grief isolé continu. Il faut que la partie qui manque à ses engagements manque à une obligation récurrente. Lorsque cette obligation existe à un certain intervalle et que la partie y manque chaque fois, il y a un manquement « continu » et la période de limitation du délai de contestation ne commence qu’avec le manquement le plus récent. Quand il n’y a pas d’obligation pareille et que le préjudice ne fait que continuer ou s’aggraver sans autre manquement, le grief est isolé et la période de limitation commence à partir du premier manquement, quel que soit le préjudice subi.
[36] Dans Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of the Attorney General), 2003 CanLII 52888 (ON GSB), l’arbitre de différends a posé la question à laquelle il faut répondre : [traduction] « Est-ce qu’il [le grief] concerne une conduite continue plutôt qu’un acte qui a des conséquences continues? »
[17] Dans le présent cas, il y a eu des conséquences continues pour la fonctionnaire, mais pas d’action continue de la part de l’employeur. L’employeur a décidé que la fonctionnaire travaillerait par postes. C’est la décision qui fait l’objet du grief et qui a été prise à un moment donné. Elle avait 25 jours pour la contester. Il n’y a pas eu violation de la convention collective chaque fois qu’elle a travaillé à un poste autre que le quart de jour.
[18] La plupart des arguments de l’agent négociateur portaient sur le bien-fondé du cas et non sur la question du respect des délais. Il a fait valoir deux arguments relativement au respect des délais.
[19] Il a dit que le grief était lié à la paye, ce qui laisse peut-être entendre que cela l’a enveloppé d’un statut de grief continu, puisque les griefs relatifs à la paye sont généralement considérés comme des griefs continus. Toutefois, un grief portant sur un changement de l’horaire de travail d’un employé n’est pas lié à la paye d’une manière qui en ferait un grief continu.
[20] Il a également dit que l’employeur avait une obligation permanente de se demander si son action était toujours justifiée et qu’il ne s’agissait pas d’un changement d’horaire, mais d’une violation continue. S’il existait une telle obligation permanente, elle ne transformerait pas la décision contestée en violation continue.
[21] Il ne s’agit pas d’un grief continu et, par conséquent, il n’a pas été déposé en temps opportun. La fonctionnaire a commencé à travailler par postes le 1er mars 2021 et n’a déposé son grief que le 10 novembre 2021, soit huit mois plus tard. Aucune explication n’a été donnée pour expliquer ce long retard, et aucune demande n’a été faite pour prolonger les délais. L’employeur a soulevé son objection à l’égard du respect des délais à chaque étape de la procédure de règlement des griefs.
[22] Je conclus que le grief était hors délai et que la Commission n’a pas compétence pour l’entendre.
[23] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VII. Ordonnance
[24] Le grief est rejeté.
Le 27 mars 2024.
Traduction de la CRTESPF
Nancy Rosenberg,
une formation de la Commission des relations de
travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral