Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief alléguant que l’employeur ne lui avait pas offert équitablement des heures supplémentaires, en violation de la convention collective, et qu’il avait été victime de discrimination fondée sur la déficience – il a été en fonctions légères pendant deux longues périodes s’étendant sur plusieurs années financières en raison d’une blessure au dos – il a découvert qu’on ne lui offrait pas de travail supplémentaire parce qu’il était en fonctions légères, mais que cela était enregistré comme l’employeur offrant des heures supplémentaires, mais qu’il les refusait – ceci a nui à son admissibilité aux offres d’heures supplémentaires subséquentes – l’employeur a reconnu qu’il avait violé la convention collective et qu’il avait fait preuve de discrimination envers le fonctionnaire s’estimant lésé mais il a contesté le nombre d’heures supplémentaires perdues et il a fait valoir qu’aucune indemnité n’était justifiée pour la discrimination – la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait droit à la rémunération des heures supplémentaires et aux avantages connexes pour le nombre approximatif d’heures supplémentaires qu’il aurait pu faire sans la violation de la convention collective – la Commission a également conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait droit à une indemnité en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, mais ne lui a accordé que 2 000 $, compte tenu de la preuve minimale que la discrimination lui avait causé douleur et souffrance – la Commission a refusé de lui accorder une indemnité en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP car il n’y avait aucune preuve de conduite délibérée ou imprudente de la part de l’employeur.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20240730

Dossier: 566-02-9138

 

Référence: 2024 CRTESPF 103

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

Thomas Barcier

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

employeur

Répertorié

Barcier c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Guido Miguel Delgadillo, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Elizabeth Matheson, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
le 22 novembre et le 14 décembre 2021, et le 11 février 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Répartition équitable des heures supplémentaires – employé visé par des mesures d’adaptation

[1] Thomas Barcier, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») est un agent des services frontaliers (ASF) employé par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur ») au point d’entrée de Lansdowne, en Ontario (le « point d’entrée »).

[2] Il a présenté un grief au motif que l’employeur ne lui avait pas proposé des heures supplémentaires de manière équitable, en violation de la clause 28.03a) des conventions collectives conclues entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (le « syndicat »), la première ayant expiré le 20 juin 2011 et la seconde ayant expiré le 20 juin 2014 (désignées dans la présente décision au singulier par l’expression la « convention collective »). La clause 28.03a) oblige l’employeur à déployer tous les efforts raisonnables pour proposer des heures supplémentaires de manière équitable aux employés qui sont qualifiés et facilement disponibles pour effectuer le travail.

[3] Le fonctionnaire a également soutenu qu’il avait fait l’objet d’une discrimination pour cause de déficience, en violation de la clause 19.01 de la convention collective et du paragraphe 3(1) et de l’alinéa 7b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; la « LCDP »).

[4] Le fonctionnaire s’est vu attribuer des tâches légères pendant deux longues périodes réparties entre plusieurs exercices financiers, de 2009 à 2013. En mai 2012, il s’est rendu compte que certaines heures supplémentaires ne lui étaient pas proposées parce qu’il effectuait des tâches légères, mais qu’elles lui étaient néanmoins [traduction] « imputées ». En d’autres termes, il a été consigné que ces heures supplémentaires lui avaient été proposées et qu’il les avait refusées, ce qui a eu pour effet de faire descendre son nom dans la liste des employés et de compromettre son admissibilité à des propositions ultérieures d’heures supplémentaires qu’il aurait pu effectuer.

[5] L’employeur a admis qu’il avait contrevenu à la clause 28.03 et qu’il avait exercé une discrimination à l’égard du fonctionnaire en raison de sa déficience, mais il a contesté le nombre d’heures supplémentaires perdues et a fait valoir qu’aucune indemnisation n’était justifiée en raison de la discrimination. Par conséquent, seule la mesure corrective est en litige. L’employeur a également fait valoir que le grief est de nature continue et que toute mesure corrective devrait être circonscrite aux 25 jours précédant la présentation du grief, comme le prévoit l’arrêt Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. no 813 (C.A.)(QL).

[6] Dans la présente affaire, les parties devaient présenter des arguments écrits, mais une fois ceux-ci présentés, elles ont demandé la tenue d’une audience, qui a été fixée aux 4 et 5 avril 2023. Elles ont ensuite demandé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission », qui, dans la présente décision, désigne la Commission actuelle et ses prédécesseurs) de mener une médiation-arbitrage afin de les aider à trancher le litige. Les parties se sont engagées dans la médiation mais n’ont pas été en mesure de régler le litige; elles ont alors demandé à la Commission de le trancher sur la base de leurs arguments écrits.

[7] Je conclus que le grief a été déposé dans les délais, puisqu’il a été déposé dans les 25 jours suivant la date à laquelle le fonctionnaire a pris connaissance du caractère inéquitable de la répartition des heures supplémentaires. Je conclus que le fonctionnaire a droit à la rémunération des heures supplémentaires et aux avantages qui y sont associés pour le nombre approximatif d’heures supplémentaires qu’il aurait pu effectuer si la convention collective n’avait pas été enfreinte. Je conclus également qu’il a droit au versement d’une indemnité de 2 000 $ en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP.

A. Les arguments du syndicat

[8] Le 10 août 2009, le fonctionnaire est retourné au travail après avoir pris un congé en raison d’une blessure au dos. On lui a confié des tâches légères au Centre de déclaration téléphonique (« CDT ») jusqu’au 22 septembre 2010, date à laquelle il a repris ses pleines fonctions. En mars 2011, il s’est de nouveau blessé au dos et a pris un nouveau congé, pour revenir au travail le 20 avril 2011. Il a de nouveau bénéficié de mesures d’adaptation en effectuant des tâches légères au CDT jusqu’au 24 janvier 2013.

[9] Le 10 mai 2012, le fonctionnaire a appris d’un collègue qu’il recevait moins de propositions d’heures supplémentaires que les ASF qui n’étaient pas visés par des mesures d’adaptation, notamment des propositions au CDT qui étaient compatibles avec ses contraintes de santé. Il a interrogé l’employeur à ce sujet et a appris que le nombre d’heures supplémentaires accumulées ou [traduction] d’« appels » pour l’exercice financier en question était de 50 heures, bien qu’il se souvienne n’avoir reçu qu’une seule proposition d’heures supplémentaires au CDT.

[10] Il a ensuite appris d’un surintendant que, lorsqu’ils présentaient des propositions d’heures supplémentaires, les surintendants ne mentionnaient pas les noms des employés visés par des mesures d’adaptation comme lui, mais consignaient les heures supplémentaires comme si elles avaient été proposées, ce qui gonflait artificiellement le nombre d’heures supplémentaires accumulées par ces employés. En conséquence, la priorité dont pouvait se prévaloir le fonctionnaire pour de futures propositions a été rabaissée, et des ASF qui n’étaient pas visés par des mesures d’adaptation ont reçu des propositions avant lui. Le fonctionnaire a demandé que lui soient communiqués les dossiers des heures supplémentaires offertes au cours des périodes où il faisait l’objet de mesures d’adaptation, mais l’employeur n’a pas conservé ces dossiers pour les exercices financiers précédents. Le syndicat et l’employeur ont commencé à discuter de la question.

[11] Le 28 mai 2012, Mark Pergunas, chef des opérations de l’employeur, a été informé par l’agent régional des relations de travail que les employés faisant l’objet de mesures d’adaptation et qui sont qualifiés et facilement disponibles devaient se voir proposer des heures supplémentaires et que si le travail ne pouvait pas être proposé en raison de contraintes de santé, ils devaient rester en haut de la liste parce qu’aucune offre ne leur avait été faite. Le 1er juin 2012, l’employeur a fait savoir que seules les heures supplémentaires effectivement proposées seraient comptabilisées dans le décompte des heures accumulées par les employés bénéficiant de mesures d’adaptation. Il s’agissait d’une nouvelle méthode permettant d’offrir des heures supplémentaires aux employés bénéficiant de mesures d’adaptation, qui a été mise au point en réponse à la demande du syndicat de mettre en place un plan.

[12] Pendant la première période au cours de laquelle il a fait l’objet de mesures d’adaptation, à savoir du 10 août 2009 au 22 septembre 2010, le fonctionnaire a effectué environ 47,5 heures supplémentaires. L’employeur n’a pas conservé de dossiers sur la moyenne des heures supplémentaires offertes pour l’exercice financier 2009-2010, mais la moyenne des heures supplémentaires offertes pour l’exercice financier 2010-2011, calculée au prorata de la période en question, était de 509,98 heures.

[13] Pendant la seconde période au cours de laquelle il a fait l’objet de mesures d’adaptation, à savoir du 10 avril 2011 au 1er juin 2012, lorsque le changement a eu lieu, le fonctionnaire a effectué environ 81,27 heures supplémentaires. Les dossiers de l’employeur pour les exercices financiers 2011-2012 et 2012-2013 (en date du 5 juillet 2012) indiquent que le nombre moyen d’heures supplémentaires offertes, au prorata pour la même période, était d’environ 797,80 heures.

[14] L’employeur a admis que le fonctionnaire était facilement disponible pour effectuer des heures supplémentaires qui étaient compatibles avec ses contraintes de santé, au CDT notamment, et qu’il avait l’obligation, en vertu de la convention collective, de les lui offrir de manière équitable. Il a été écarté des possibilités d’heures supplémentaires au cours des deux périodes pendant lesquelles le fonctionnaire a fait l’objet de mesures d’adaptation, et en consignant de manière inexacte le nombre d’heures supplémentaires accumulées jusqu’au 1er juin 2012, l’employeur a aggravé son manquement à l’obligation d’offrir des heures supplémentaires de manière équitable, puisque le fonctionnaire a été reporté au bas de la liste des personnes prioritaires et s’est donc vu refuser d’autres possibilités d’heures supplémentaires.

[15] Une indemnité peut être accordée pour la rémunération des heures supplémentaires perdues en raison d’une violation de la convention collective par l’employeur. Lors du calcul, on ne saurait présumer qu’un employé aurait refusé des possibilités d’effectuer des heures supplémentaires sans disposer d’un fondement suffisant, tel qu’un long historique de refus. Il est possible de corriger une répartition inéquitable des heures supplémentaires en accordant une indemnité correspondant à la différence entre les heures supplémentaires effectuées par un employé et la moyenne des heures supplémentaires effectuées pour ce groupe d’employés. (Voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e édition (« Brown et Beatty »)).

[16] Les dossiers de l’employeur n’indiquent pas la différence exacte entre les heures supplémentaires offertes au fonctionnaire et les heures moyennes offertes parce que le nombre d’heures supplémentaires accumulées par le fonctionnaire a été artificiellement gonflé; cependant, les dossiers indiquent que les heures supplémentaires que le fonctionnaire a effectuées ne représentaient qu’une fraction (9 % ou 10 %) des heures moyennes offertes. Par conséquent, et comme il n’existe aucune preuve selon laquelle il aurait refusé les heures supplémentaires offertes, la Commission devrait accorder au fonctionnaire une indemnité égale au nombre moyen des heures supplémentaires, calculé au prorata des périodes pendant lesquelles il a fait l’objet de mesures d’adaptation, moins les heures supplémentaires qu’il a effectuées.

[17] L’indemnité rétroactive ne devrait pas être circonscrite aux 25 jours précédant la présentation du grief, comme l’a soutenu l’employeur. L’arrêt Coallier est à distinguer, car il portait sur un taux de rémunération incorrect qui pouvait être découvert plus d’un an avant la présentation du grief. La raison d’être d’un délai pour les demandes de dommages est d’empêcher une partie de négliger de faire valoir ses droits, au détriment de l’autre partie (voir Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290). Jusqu’au 10 mai 2012, le fonctionnaire ignorait qu’on lui refusait la possibilité de faire des heures supplémentaires; il n’est pas contesté qu’il a présenté son grief dans les 25 jours après avoir pris connaissance de la violation, comme l’exige la clause 18.18 de la convention collective. Il ne s’agit pas d’un cas où une demande de mesure corrective devrait être rejetée parce qu’un fonctionnaire a négligé de faire valoir ses droits, entraînant un préjudice pour l’employeur.

[18] Le problème de dos du fonctionnaire était une déficience au sens des lois sur les droits de la personne, et il a subi des conséquences négatives alors qu’il faisait l’objet de mesures d’adaptation. Cela satisfait au critère de discrimination à première vue, et il incombe donc à l’employeur d’offrir une justification raisonnable pour la discrimination. L’employeur a admis qu’il avait fait preuve de discrimination à l’égard du fonctionnaire en raison de sa déficience. Le fonctionnaire demande le versement d’une indemnité en vertu de la LCDP d’un montant de 5 000 $ pour préjudice moral et de 5 000 $ pour acte discriminatoire délibéré et inconsidéré de la part de l’employeur.

B. Les arguments de l’employeur

[19] L’employeur a indiqué que les heures supplémentaires avaient été équitablement attribuées au fonctionnaire pendant l’exercice financier 2012-2013, la seule période pertinente. La mesure corrective demandée par le fonctionnaire, qui correspond à la perte d’heures supplémentaires pendant plusieurs années et en d’importants préjudices en matière de droits de la personne, n’est pas étayée par la preuve et n’est pas conforme aux principes juridiques applicables aux mesures correctives proposées dans le cadre de griefs continus, au calcul des heures supplémentaires perdues ou aux demandes de dommages en matière de droits de la personne.

[20] Le point d’entrée applique un modèle multitâche de gestion des équipes, les ASF travaillant dans sept secteurs d’activité :

· Le secteur d’activité de l’inspection primaire, qui se trouve dans l’enceinte principale – Les ASF procèdent à l’inspection primaire de tous les voyageurs et de toutes les marchandises, c’est-à-dire qu’ils interrogent les voyageurs et vérifient les documents. Sur les huit postes d’inspection primaire (six postes d’inspection de la circulation, deux postes d’inspection commerciale), les normes de service exigent qu’un poste soit occupé par un ASF bilingue dans la mesure du possible, ce qui implique la présence de deux ASF, à des fins de conciliation.

 

· Le secteur d’activité de l’inspection secondaire, qui se trouve dans l’enceinte principale – les ASF procèdent à des inspections plus approfondies des véhicules et des voyageurs, ce qui nécessite des entretiens supplémentaires, la vérification de documents ou la fouille de personnes ou de véhicules.

 

· Le secteur d’activité de la salle de comptoir ou de l’entrepôt commerciaux, qui se trouve dans l’enceinte principale – Les ASF contrôlent les expéditions de fret commercial. Il s’agit de vérifier la liste des expéditions entrantes, d’effectuer des évaluations de renseignements sur le fret, d’examiner les colis commerciaux entrés après les heures de bureau, d’assurer la liaison avec d’autres services gouvernementaux tels que l’Agence canadienne d’inspection des aliments et de fouiller les remorques de tracteurs commerciaux.

 

· Le secteur d’activité de l’immigration, qui se trouve dans l’enceinte principale – Les ASF s’occupent des affaires liées à l’immigration, telles que les demandes d’asile. Les normes de service exigent qu’un ASF sur place (dans ce secteur d’activité ou un autre) soit formellement désigné délégué du ministre, dans la mesure du possible. Compte tenu de la nature de ce travail, seuls les agents plus expérimentés ou ayant reçu une formation spéciale sont affectés au secteur de l’immigration.

 

· Le secteur d’activité des espèces, qui se trouve également dans l’enceinte principale – Les ASF effectuent les tâches liées aux droits de douane dont les lignes d’inspection primaire ou secondaire ont déterminé qu’ils étaient dus et répondent aux demandes de renseignements généraux par téléphone.

 

· Le secteur d’activité du CDT, qui se trouve à l’extérieur de l’enceinte principale dans un bâtiment indépendant – Les ASF répondent aux demandes de renseignements des voyageurs qui arrivent à la frontière par bateau, par avion privé ou par motoneige, et envoient d’autres ASF auprès d’eux.

 

· Le secteur d’activité de l’équipe de la vérification maritime, qui travaille sur le terrain – Les ASF sont envoyés dans des lieux tels que les ports de plaisance et les aéroports lorsque cela est nécessaire.

 

[21] Au cours d’un quart de travail ordinaire en été, 20 à 30 ASF travaillent dans ces secteurs d’activité, dont un ASF affecté au secteur des espèces et 2 à 5 ASF affectés à l’équipe de vérification sur le terrain. En hiver, ils sont deux fois moins nombreux (10 à 15) et moins d’ASF travaillent également au CDT.

[22] Les ASF travaillant dans l’enceinte principale travaillent rarement dans un seul secteur d’activité pendant toute la durée de leur quart de travail; ils alternent plutôt entre les différents secteurs d’activité et les tâches administratives, par exemple en consacrant une heure à l’inspection primaire, puis une heure aux tâches administratives, puis une heure à l’inspection secondaire, puis une heure aux tâches administratives, en fonction des besoins opérationnels. Ceux de la salle de comptoir commerciale travaillent à tour de rôle dans les voies commerciales d’inspection primaire, et les ASF ayant les connaissances et la formation appropriées travaillent également à tour de rôle dans le secteur d’activité de l’immigration.

[23] Les ASF qui travaillent dans les principaux secteurs d’activité dans l’enceinte principale et ceux qui sont affectés à l’équipe de vérification maritime doivent porter un équipement de protection (l’« équipement bleu »), être armés et être suffisamment en forme pour assumer les contraintes physiques liées à leur travail. Il s’agit notamment d’être debout (et de se déplacer) pendant de longues périodes et faire appliquer la loi physiquement en procédant, le cas échéant, à des détentions ou à des saisies de drogues ou d’armes. Tous les ASF travaillant dans l’enceinte principale doivent être en mesure de répondre à tout échange vigoureux ou à haut risque qui pourrait survenir.

[24] Les ASF travaillant dans le secteur d’activité du CDT peuvent rester à leur poste pendant toute la durée de leur quart de travail et n’ont pas besoin de porter leur équipement bleu ou d’être armés pour effectuer des tâches spécifiques au CDT. Toutefois, lorsque les besoins opérationnels l’exigent (par exemple, en cas de saisie d’ampleur), les ASF armés ou portant leur équipement bleu peuvent être appelés à participer à l’intervention et ainsi quitter le CDT.

[25] Avant le mois d’octobre 2012, les ASF pour lesquels des mesures d’adaptation devaient être prises en raison de contraintes physiques (c’est-à-dire qui ne pouvaient pas être armés ou assumer les aspects physiques de leur travail) étaient affectés à temps plein au CDT, aux espèces ou à salle de comptoir commerciale, selon leurs capacités fonctionnelles. Toutefois, en octobre 2012, l’employeur a pris la décision, à l’échelle nationale, de consolider les postes du CDT et a fermé l’établissement du CDT au point d’entrée. Par la suite, les ASF pour lesquels des mesures d’adaptation devaient être prises en raison de contraintes physiques ont été affectés aux secteurs d’activité des espèces ou de la salle de comptoir commerciale, ou bien encore se sont vu confier d’autres tâches administratives au fur et à mesure qu’elles se présentaient.

[26] Les ASF travaillant dans le secteur d’activité des espèces pouvaient rester à leur poste pendant toute la durée de leur quart de travail et n’avaient pas besoin d’être armés pour s’acquitter de leurs fonctions; ils devaient néanmoins porter un équipement bleu pour des raisons de sécurité, étant donné que le bureau était situé face au public. Les ASF qui travaillaient dans la salle de comptoir commerciale pouvaient également se contenter d’effectuer des tâches administratives, mais devaient aussi porter leur équipement bleu, pour des raisons de sécurité également. L’employeur avait constaté que le fait pour les ASF de porter leur équipement bleu et de ne pas être armés augmentait les risques de confusion lors d’interactions vigoureuses à haut risque. Pour atténuer ce risque, le point d’entrée a progressivement renoncé à autoriser les ASF portant l’équipement bleu mais non armés à travailler à des postes exposés au public.

[27] La nécessité pour les ASF de faire des heures supplémentaires fluctue d’une année à l’autre et est fonction de facteurs tels que les volumes de service et les disponibilités du personnel (effectifs, maladies et congés, par exemple). Lors de ces événements, l’employeur utilisait un système de planification informatisé (en anglais, « COSS ») pour aider à répartir équitablement les heures supplémentaires entre les ASF au cours d’un exercice financier.

[28] Chaque ASF avait un profil d’employé dans le système de planification qui indiquait certains de ses critères professionnels. Pour pourvoir un quart de travail, les surintendants utilisaient le système pour générer des listes de répartition sur la base de ces critères; par exemple, le critère pouvait être de ne retenir que les ASF bilingues ou les délégués désignés du ministre. Il pouvait également être décidé de ne retenir que les ASF en jour de repos. Les surintendants pouvaient inscrire des notes sur le profil d’un employé dans le système, par exemple si une mesure d’adaptation devait être prise à son égard ou s’il refusait systématiquement d’effectuer des heures supplémentaires. Ces notes ne pouvaient pas constituer un critère de sélection des ASF, mais elles étaient affichées à côté du nom de l’ASF une fois la liste générée et imprimée.

[29] Lorsqu’il était nécessaire que des heures supplémentaires soient effectuées, le surintendant entrait le quart de travail et indiquait les critères requis (bilingue ou délégué du ministre) et, dans le cas d’un quart de travail à temps plein, seulement les ASF en jour de repos. Le système générait une liste des agents qui satisfaisaient aux critères, et le surintendant commençait par le haut de la liste et descendait, appelant les ASF jusqu’à ce que l’un d’entre eux accepte d’assurer le quart de travail.

[30] Ensuite, pour rendre officiel l’horaire, le surintendant mettait à jour le système pour afficher le nom des agents en question. Une nouvelle liste était générée pour chaque quart de travail supplémentaire. Le surintendant ouvrait la liste générée et parcourait un par un les profils des ASF, en sélectionnant oui, non ou sans objet pour enregistrer les réponses des ASF aux propositions. La réponse « oui » signifiait que l’ASF avait accepté la proposition d’effectuer le quart de travail, la réponse « non » signifiait qu’il l’avait refusée et la réponse « sans objet » signifiait qu’il n’était pas pris en considération pour le quart parce qu’il n’était pas disponible et qualifié en raison d’une mesure d’adaptation ou d’un congé.

[31] Tous les ASF ont entamé l’exercice financier avec, dans leur profil d’employé, aucune heure supplémentaire accumulée. Les premières listes générées par le système de planification informatisé étaient classées par ordre alphabétique, par ordre alphabétique inversé ou de manière totalement aléatoire. Lorsqu’un ASF recevait une proposition d’heures supplémentaires, celle-ci était consignée dans son profil d’employé en fonction de sa réponse. Chaque fois que la liste était de nouveau générée, elle classait les ASF en fonction du nombre de propositions inscrites sur leur profil. Plus le nombre était faible, plus l’agent apparaissait en haut de la liste. Un ASF peut demander à connaître le nombre d’heures supplémentaires accumulées à tout moment au cours d’un exercice financier.

[32] Environ 90 % de l’ensemble des possibilités d’heures supplémentaires nécessitaient la présence d’un agent armé pour travailler dans les secteurs d’activité de l’enceinte principale, car les possibilités d’heures supplémentaires résultaient principalement de la nécessité de remplacer les ASF qui étaient initialement affectés à ces secteurs. Chaque jour, la grande majorité des ASF travaillent dans ces secteurs (en été, 20 à 30, tandis qu’ils ne sont que 3 à 6 dans le CDT et dans le secteur des espèces); et il est rare que des possibilités d’effectuer des quarts de travail de nuit au CDT ou dans le secteur des espèces se présentent.

[33] Les surintendants qui savaient qu’un ASF devait faire l’objet d’une mesure d’adaptation ne lui proposaient pas d’effectuer un quart de travail au titre des heures supplémentaires pour un secteur d’activité dans lequel il ne pouvait pas travailler en raison des contraintes imposées. Par exemple, si le quart de travail au titre des heures supplémentaires consistait à remplacer un ASF qui devait effectuer une inspection primaire, un ASF dont les contraintes en matière de capacités fonctionnelles ne lui permettaient de travailler qu’au CDT ne se voyait pas proposer le quart. De telles décisions sont prises au cas par cas par le surintendant, qui prend en compte les contraintes en matière de capacités fonctionnelles de chaque employé faisant l’objet d’une mesure d’adaptation, telles qu’elles sont décrites dans son formulaire de capacités fonctionnelles.

[34] Les ASF pour lesquels des mesures d’adaptation ont été prises n’ont pas été appelés à effectuer des quarts de travail qu’ils ne pouvaient pas assurer, afin de satisfaire rapidement aux exigences opérationnelles du quart de travail en question. Chaque ASF disposait de cinq minutes pour répondre avant que le suivant ne soit contacté. Il n’aurait pas été logique, d’un point de vue logistique, d’offrir aux ASF faisant l’objet de mesures d’adaptation des quarts de travail qu’ils ne pouvaient pas effectuer, et encore moins d’attendre cinq minutes pour que chacun des ASF en question (figurant tous en haut de la liste, si le nombre des heures supplémentaires était correctement inscrit) réponde avant de passer à l’ASF suivant.

[35] Toutefois, l’employeur a admis qu’à quelques reprises, des propositions d’heures supplémentaires ont été attribuées par erreur à des employés bénéficiant de mesures d’adaptation pour des quarts de travail qu’ils n’auraient pas pu effectuer sur le plan fonctionnel et pour lesquels ils n’avaient probablement pas reçu de proposition. Il a déclaré que même si l’on ne connaissait pas l’ampleur de ces erreurs, elles étaient peu fréquentes et étaient immédiatement corrigées dès qu’elles étaient identifiées. Elles résultent probablement d’une erreur humaine, les surintendants relativement nouveaux ou intérimaires, encore en phase d’apprentissage du système de planification informatisé, n’ayant pas bien compris le protocole de saisie des données et ayant inscrit « non » au lieu de « sans objet » dans le profil d’un employé. Ces erreurs de saisie de données touchaient à la fois les ASF bénéficiant de mesures d’adaptation et ceux qui n’en bénéficiaient pas, car la même erreur se produisait lorsque des ASF ne bénéficiant pas de mesures d’adaptation étaient inscrits comme étant en vacances.

[36] Le fonctionnaire a porté ces erreurs à l’attention de la direction à la mi-mai 2012 et, le 1er juin 2012, en réponse à ses préoccupations et pour s’assurer que d’autres personnes ne subissent pas les mêmes conséquences, M. Pergunas a ordonné que les erreurs soient rectifiées. Il a réitéré aux surintendants les attentes concernant la répartition des heures supplémentaires. Il a ordonné que les soldes d’heures supplémentaires des employés bénéficiant de mesures d’adaptation pour la période du 1er avril au 1er juin 2012 soient modifiés afin de supprimer toute indication erronée de propositions d’heures supplémentaires auxquelles ils n’avaient pas droit.

[37] À compter du 1er juin 2012, les employés bénéficiant de mesures d’adaptation ne devaient se voir imputer que les heures supplémentaires refusées qu’ils auraient pu effectuer sur la base de leurs formulaires de capacités fonctionnelles. La répartition des heures supplémentaires par ordre de priorité devait se poursuivre selon le processus habituel, mais les surintendants devaient veiller à ce que toutes les possibilités d’heures supplémentaires dans le secteur d’activité des espèces soient proposées aux employés bénéficiant de mesures d’adaptation, dans la mesure du possible. Une mise à jour des lignes directrices a suivi peu de temps après. Selon l’employeur, elles n’étaient pas nouvelles sur le fond, mais reprenaient et centralisaient plutôt le processus déjà en place.

[38] L’employeur a admis qu’entre le 1er avril et le 1er juin 2012, des erreurs d’imputation d’heures supplémentaires, combinées au programme de génération de la liste des agents dans le système, ont pu avoir un impact sur la place du fonctionnaire sur la liste des ASF susceptibles d’effectuer des heures supplémentaires. Par conséquent, il est possible qu’il n’ait pas été pris en considération pour des heures supplémentaires pour lesquelles il aurait pu être disponible et qualifié (par exemple, les quarts de travail au titre des heures supplémentaires au CDT). L’ampleur de ces erreurs et l’impact qu’elles ont pu avoir sur sa place relative sur la liste des agents susceptibles d’effectuer des heures supplémentaires ne sont pas connus. Il est également possible que, par exemple, ces erreurs n’aient pas fait baisser sa place.

[39] Ce problème ayant été découvert au cours de l’exercice financier 2012-2013, l’employeur a été en mesure de vérifier et de rectifier les erreurs qui s’étaient produites au cours de l’exercice. Toutefois, les dossiers détaillés des réponses aux offres d’heures supplémentaires n’étaient conservés que pour l’exercice financier en cours; par conséquent, il était impossible de remonter dans le temps et de déterminer, pour les exercices financiers 2009-2010, 2010-2011 et 2011-2012, quels quarts de travail supplémentaires avaient été proposés de manière valide et refusés par un ASF, et lesquels constituaient des erreurs d’imputation des propositions d’heures supplémentaires. L’employeur a admis que des erreurs avaient pu se produire au cours de ces années, mais il n’a pas admis leur ampleur présumée ni le fait qu’elles n’avaient pas été corrigées par la suite au cours du même exercice.

[40] Le fonctionnaire n’a jamais contesté le caractère raisonnable de son affectation à un travail de bureau au CDT à titre de mesure d’adaptation et n’a jamais indiqué qu’il était trop limité ou qu’il souhaitait travailler dans d’autres secteurs d’activité. Il ne semble pas contesté qu’au cours de la période au cours de laquelle il a fait l’objet de cette mesure d’adaptation, il n’a pas été en mesure de travailler dans les secteurs d’activité dans l’enceinte principale ou au sein de l’équipe de vérification maritime pour lesquels il fallait être armé.

[41] L’employeur a rappelé qu’à un moment donné, il a été consigné que le fonctionnaire refusait systématiquement de faire des heures supplémentaires et qu’il refusait fréquemment les quarts de travail au titre des heures supplémentaires qu’on lui proposait. En supposant qu’il était facilement disponible et capable sur le plan fonctionnel de les accepter, ces refus auraient été imputés à juste titre dans son profil d’employé.

[42] L’employeur a concédé que les blessures au dos du fonctionnaire constituaient une déficience au sens de la LCDP, qu’on lui avait imputé à tort des propositions d’heures supplémentaires qui ne lui avaient pas été offertes et que certaines de ces erreurs avaient un lien suffisant avec sa déficience pour constituer de la discrimination. Il a également admis avoir appris qu’il ne recevait pas autant d’offres d’heures supplémentaires que ses collègues ne bénéficiant pas de mesures d’adaptation le 10 mai 2012, qu’en se renseignant davantage, il a appris que les propositions d’heures supplémentaires qu’on lui avait imputées pour l’exercice financier 2012-2013 étaient supérieures au nombre d’heures pour lesquelles il se souvenait avoir reçu des propositions, qu’il a porté cet écart à l’attention de la direction et qu’il a déposé le grief le 1er juin 2012.

[43] Toutefois, l’employeur a soutenu qu’une grande partie des heures supplémentaires réclamées par le fonctionnaire ne tombait pas dans la période pour laquelle des mesures correctives se doivent d’être prises parce que, l’erreur s’étant aggravée au fil du temps, la perte de possibilités d’heures supplémentaires équivalait à un grief continu, ce qui en faisait un grief présenté dans les délais prescrits mais limité quant aux mesures correctives à prendre. Dans le contexte des griefs continus, la Commission et la Cour d’appel fédérale ont toujours soutenu que la compétence en matière de réparation de la Commission se limitait au délai de présentation du grief (la « limite fixée par l’arrêt Coallier »), ce qui garantit que les parties ne négligent pas de faire valoir leurs droits et facilite le règlement rapide des violations d’une convention collective.

[44] L’employeur a également fait valoir que le raisonnement du fonctionnaire selon lequel les erreurs d’imputation de propositions d’heures supplémentaires n’ont pas été découvertes ou ne pouvaient être découvertes plus tôt ne s’applique pas parce que le principe du moment où le préjudice aurait pu être découvert n’est pertinent que pour le délai de présentation d’un grief et non pour la quantification de la mesure corrective à accorder dans le cadre d’un grief continu. Par conséquent, aucun motif d’équité ou de droit ne justifie de ne pas appliquer la limite fixée par l’arrêt Coallier dans la présente affaire.

[45] L’employeur a ajouté que même si le principe du moment où le préjudice aurait pu être découvert était pertinent, la mesure ou les circonstances qui ont donné lieu au grief auraient certainement pu être découvertes plus tôt. S’il est vrai que le fonctionnaire ne savait peut-être pas qu’on lui imputait à tort des propositions d’heures supplémentaires, il aurait pu, à tout moment, demander à connaître le nombre d’heures supplémentaires accumulées pour l’exercice financier en cours et découvrir l’écart. Il ne l’a pas fait.

[46] La répartition équitable doit être évaluée en tenant compte des possibilités d’heures supplémentaires pour lesquelles le fonctionnaire était « qualifié et facilement disponible » et en vérifiant s’il a été traité de façon équitable lorsque ces possibilités d’heures supplémentaires ont été réparties. En raison de la mesure d’adaptation dont il a fait l’objet, le fonctionnaire n’était, sur le plan fonctionnel, en mesure d’effectuer que les heures supplémentaires qui n’exigeaient pas qu’il soit armé ou qu’il s’adonne à une activité physique, c’est-à-dire uniquement si l’occasion de faire des heures supplémentaires se présentait dans les secteurs d’activité du CDT ou des espèces, ce dernier secteur d’activité n’étant disponible qu’à partir de septembre 2012. Il représente environ 10 % de toutes les possibilités d’heures supplémentaires.

[47] La preuve a démontré que le fonctionnaire s’est vu attribuer équitablement des heures supplémentaires au cours de l’exercice financier 2012-2013, malgré les problèmes rencontrés au début de l’année. En juin 2012, le fonctionnaire a indiqué à la direction qu’il était satisfait de la façon dont les heures supplémentaires lui étaient proposées. Les données indiquent que le 5 juillet et le 17 septembre 2012, le fonctionnaire a toujours accumulé le plus petit nombre d’heures supplémentaires proposées, par rapport aux autres ASF. Cela signifie qu’il était toujours en tête de liste pour toutes les heures supplémentaires offertes qui correspondaient à ses besoins, à moins qu’un besoin opérationnel ne nécessite de faire appel à un ASF répondant à des critères spécifiques, par exemple un ASF bilingue ou un délégué du ministre.

[48] Rien n’indique que le fonctionnaire a été écarté des possibilités d’heures supplémentaires pour lesquelles il était facilement disponible et qualifié. Il invoque la différence entre la moyenne des heures supplémentaires qu’il a effectuées et la moyenne des propositions d’heures supplémentaires imputées à tous les ASF pour affirmer qu’il n’a probablement pas été appelé à effectuer des quarts de travail qu’il aurait pu faire. C’est là comparer ce qui ne peut l’être. La moyenne des heures supplémentaires effectuées ne correspond pas à la moyenne des propositions d’heures supplémentaires imputées. Un quart de travail effectué n’est imputé qu’à l’agent qui l’a accepté, alors que les propositions de quarts de travail imputées le sont à tous ceux qui ont été contactés pour travailler. Cela gonfle naturellement la moyenne des heures supplémentaires imputées par rapport à la moyenne des heures supplémentaires effectuées.

[49] Par ailleurs, la Commission a reconnu que plusieurs raisons expliquent que le nombre d’heures supplémentaires effectuées puisse varier d’un employé à l’autre; par exemple, certains employés veulent faire plus d’heures supplémentaires ou ont une plus grande capacité à se rendre disponibles pour en faire. La seule preuve que le fonctionnaire a apportée pour démontrer qu’on ne lui avait pas offert des quarts de travail qu’il aurait pu faire est qu’il avait été appelé et qu’il avait travaillé moins que la moyenne des propositions d’heures supplémentaires. Il fallait s’y attendre, étant donné qu’il n’était qualifié pour travailler que pour environ 10 % de ces propositions et qu’il n’avait probablement pas accepté tous les quarts de travail supplémentaires qui lui avaient été offerts.

[50] L’employeur a fait valoir à titre subsidiaire que la demande de dommages du fonctionnaire devait être revue à la baisse, car il lui incombait de démontrer qu’il était raisonnablement en droit de recevoir les sommes demandées au titre des pertes subies. Les dommages généraux visent à placer l’employé dans la situation financière qui aurait été la sienne n’eût été la conduite de l’employeur, en procédant à une estimation aussi raisonnable que possible, compte tenu de l’ensemble des facteurs pertinents.

[51] Accorder la mesure corrective demandée par le fonctionnaire reviendrait à lui accorder une indemnité fortuite, dans la mesure où il suppose qu’un élément de comparaison raisonnable ou une [traduction] « personne se trouvant dans une situation similaire » est l’ASF moyen au point d’entrée. Ce n’est pas le cas. Le fonctionnaire était facilement disponible et qualifié pour travailler, au maximum, dans seulement deux des sept secteurs d’activité. Les meilleures estimations indiquent que ces deux secteurs d’activité représentent environ 10 % de toutes les heures supplémentaires offertes. Le fonctionnaire n’était pas dans une situation similaire à celle d’un ASF capable de faire des heures supplémentaires dans tous les secteurs d’activité.

[52] Comme il n’existe pas de statistiques fiables sur la moyenne des heures supplémentaires effectuées par les employés bénéficiant de mesures d’adaptation et ayant des contraintes similaires à celles du fonctionnaire, la façon la plus juste de calculer les heures supplémentaires qui pourraient être dues, en tenant compte de la capacité réduite du fonctionnaire, serait la suivante :

X = (A – B) * C

X = heures supplémentaires dues

A = moyenne des propositions d’heures supplémentaires imputées pour chaque exercice financier dans tous les secteurs d’activité

B = heures supplémentaires effectuées au cours de l’exercice financier, donc déjà comptabilisées

C = % des possibilités d’heures supplémentaires estimées auxquelles le fonctionnaire aurait été admissible.

 

[53] Plus encore, la somme résultant de ce calcul devrait à juste titre être réduite davantage puisqu’elle représente les heures que le fonctionnaire aurait théoriquement dû se voir offrir, et non les heures qu’il aurait sans nul doute acceptées.

[54] L’employeur a reconnu que le fonctionnaire pouvait demander des dommages en vertu de la LCDP pour tenir compte de l’impact de la pratique discriminatoire de l’employeur (voir l’alinéa 53(2)e) de la LCDP) et pour se prémunir contre de futures violations en vertu d’une indemnité punitive (par. 53(3) de la LCDP). Cela dit, la preuve disponible démontre que de tels dommages ne sont pas justifiés dans les circonstances.

[55] Le pouvoir discrétionnaire de réparation de la Commission doit être exercé de façon judicieuse et à la lumière de tous les éléments de preuve dont elle dispose. Aucune preuve n’indique que le fonctionnaire a souffert de quelque manière que ce soit de l’erreur de l’employeur. Il n’a pas été affecté par l’erreur au cours de l’exercice financier 2012-2013, car celle-ci a été rapidement corrigée dès que l’employeur en a pris connaissance, ce qui a permis un traitement équitable du fonctionnaire au cours de l’exercice financier. De même, rien ne prouve que les écarts entre les propositions d’heures supplémentaires imputées et les heures supplémentaires effectuées au cours des exercices financiers précédents résultent d’erreurs et non simplement des décisions du fonctionnaire. Par conséquent, les dommages ne sont pas appropriés dans les circonstances.

[56] Si tel n’était pas le cas, la demande du fonctionnaire est disproportionnée par rapport à la violation, conformément à la jurisprudence de la Commission. Dans Douglas c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 51, des dommages de 5 000 $ ont été justifiés parce que le contact visuel avec les détenus a causé du stress à une agente correctionnelle enceinte. Dans Duval c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 53, des dommages de 5 000 $ ont été accordés pour quatre mois de perte de salaire et le stress associé causé par l’octroi tardif d’une mesure d’adaptation.

[57] Une erreur involontaire, rapidement corrigée une fois qu’elle a été signalée, est autre chose. La correction rapide des erreurs devrait justifier la réduction des montants dus.

[58] Dans Canada (Procureur général) c. Douglas, 2021 CAF 89, la Cour d’appel fédérale, citant Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113, a déclaré ce qui suit :

[…]

[…] le paragraphe 53(3) [de la LCDP] « [est] une disposition punitive visant à dissuader ou à décourager ceux qui se livrent de façon délibérée à des actes discriminatoires. Pour conclure que l’acte était délibéré, il faut que l’acte discriminatoire et l’atteinte aux droits de la personne aient été intentionnels. On entend par “acte inconsidéré” celui qui témoigne d’un mépris ou d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir téméraire ou insouciante. » […]

[…]

 

[59] Rien n’indique que les erreurs, dans le présent cas, soient délibérées ou inconsidérées. Il semble que l’erreur humaine et le manque de connaissance immédiate du système de planification informatisé aient conduit aux erreurs d’imputation des propositions d’heures supplémentaires. L’employeur a réagi rapidement pour rectifier de manière rétroactive et corriger la situation dès qu’il en a été informé; rien ne prouve qu’il a systématiquement omis d’attribuer équitablement les heures supplémentaires au fonctionnaire.

C. La réponse du syndicat

[60] L’employeur admet que les heures supplémentaires des employés bénéficiant de mesures d’adaptation ont été consignées de manière inexacte. Il a établi une ligne directrice le 1er juin 2012 pour régler ce problème en particulier. Rien ne prouve que c’était la première fois que cela se produisait. En fait, il a admis que cela aurait pu se produire avant cette date, mais a supposé que les erreurs commises au cours des exercices financiers précédents auraient pu être identifiées et corrigées avant la fin de l’année. Cette affirmation n’est étayée par aucun élément de preuve.

[61] Les éléments de preuve n’étayent pas l’affirmation de l’employeur selon laquelle la politique du 1er juin 2012 correspondait à une « réitération » des attentes existantes. Ils démontrent plutôt que la politique a été élaborée à la demande du syndicat. M. Pergunas a informé l’agent des relations de travail de la politique du 1er juin 2012, précisant que l’approche [traduction] « sera la suivante » [je mets en évidence]. Les lignes directrices qui, selon l’employeur, ont été suivies [traduction] « peu de temps après » ont été publiées plus d’un an après que le fonctionnaire a fait part de ses préoccupations. De plus, aucune politique antérieure au 1er juin 2012 n’a été produite. Il est clair que la violation s’est produite au cours d’exercices financiers antérieurs.

[62] Au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a admis que le fonctionnaire était disponible pour effectuer des heures supplémentaires, mais il a affirmé dans ses arguments qu’il s’était vu opposer un refus permanent. Il a déclaré que les refus permanents étaient consignés dans le système de planification informatisé, mais aucun des documents disponibles ne comporte une telle mention au nom du fonctionnaire. Quant aux refus fréquents allégués, le fonctionnaire n’a pas contesté avoir refusé des quarts de travail au titre des heures supplémentaires à l’occasion, mais l’affirmation de l’employeur n’est pas étayée par les dossiers, qui indiquent que le fonctionnaire a accepté des heures supplémentaires à de nombreuses reprises lorsque des quarts de travail lui ont été offerts.

[63] L’interprétation que fait l’employeur de la convention collective et de l’arrêt Coallier est erronée; le fonctionnaire ne devrait pas être sanctionné pour la violation de la convention collective par l’employeur et pour sa mauvaise tenue des dossiers. L’employeur affirme que le fonctionnaire aurait pu vérifier son nombre d’heures supplémentaires accumulées, mais c’est l’employeur et non le fonctionnaire qui a l’obligation de répartir les heures supplémentaires de façon équitable.

[64] L’employeur ne conteste pas que le grief a été présenté dans les délais, mais il soutient que sa responsabilité devrait être limitée en raison de la jurisprudence qui vise à empêcher les fonctionnaires s’estimant lésés de négliger de faire valoir leurs droits. Ce raisonnement manque de cohérence interne. L’argument selon lequel l’arrêt Coallier impose de limiter la responsabilité de l’employeur à seulement 25 jours équivaut à un affaiblissement des droits négociés du fonctionnaire en vertu de la convention collective et à un mécanisme permettant à l’employeur de se soustraire à ses responsabilités. Essentiellement, l’argument est le suivant : bien qu’une violation de la clause 28.03 se produise tout au long d’un exercice financier, la mesure corrective ne peut couvrir que les 25 derniers jours, ce qui créerait un avantage fortuit pour l’employeur.

[65] Aucune des décisions invoquées à l’appui de l’argument de l’employeur fondé sur l’arrêt Coallier ne porte sur la répartition inéquitable des heures supplémentaires dans le cas d’une violation s’étendant sur un exercice financier. Ces affaires se distinguent les unes des autres par les faits. La Commission a jugé qu’un résultat déraisonnable ou inéquitable peut survenir lorsque l’arrêt Coallier est interprété de manière à inciter l’employeur à ne pas corriger les violations de la convention collective en temps opportun, voire à ne pas les corriger du tout. C’est l’interprétation que propose l’employeur dans le présent cas et elle doit être rejetée.

[66] La bonne méthode pour calculer une perte financière consiste à se fonder sur le nombre moyen d’heures supplémentaires et à ne pas présumer d’un refus d’heures supplémentaires, en l’absence d’un long historique de refus. En outre, il n’est pas nécessaire que le fonctionnaire ne prenne jamais de congé pour être indemnisé pour les heures supplémentaires perdues.

[67] La proportion d’heures supplémentaires à effectuer au sein du CDT n’est pas étayée par des preuves; par conséquent, la Commission devrait se fonder sur les dossiers existants relatifs à la moyenne des heures supplémentaires offertes pour quantifier la perte financière du fonctionnaire. À titre subsidiaire, la Commission devrait ordonner à l’employeur de produire des documents sur la moyenne des heures supplémentaires effectuées par les employés du CDT au cours des périodes concernées et accorder au fonctionnaire la différence de rémunération entre les heures supplémentaires qu’il a effectuées et la moyenne établie.

[68] En ce qui concerne la demande de dommages pour préjudice moral, il est généralement admis qu’un fonctionnaire n’a pas besoin d’établir un diagnostic et de fournir des reçus pour être indemnisé pour une violation de ses droits de la personne. Dans Johnstone c. Services frontaliers du Canada, 2010 TCDP 20, le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) a accordé une indemnité de 15 000 $ pour préjudice moral en se fondant uniquement sur des preuves subjectives, et cette décision n’a pas été contestée lors du contrôle judiciaire ou en appel. Les éléments de preuve présentés par le fonctionnaire selon lesquels il n’a pas eu la possibilité d’effectuer des heures supplémentaires en raison de sa déficience sont suffisants pour justifier l’octroi de dommages pour préjudice moral.

[69] Par ailleurs, lors du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a estimé qu’il était justifié que le TCDP accorde des dommages-intérêts spéciaux de 20 000 $ en raison du fait que l’employeur n’avait pas tenu compte de décisions antérieures énonçant ses obligations en matière de droits de la personne (voir Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113). En appel, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’argument de l’employeur selon lequel il n’y avait pas lieu d’accorder des dommages-intérêts spéciaux parce que la jurisprudence relative à la situation familiale évoluait à l’époque. La Cour a confirmé l’octroi de dommages-intérêts spéciaux par le TCDP (voir Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110).

[70] Une abondante jurisprudence permettrait à l’employeur de comprendre et de respecter son obligation en matière de droits de la personne de traiter les employés handicapés de manière égale. De plus, l’employeur n’a pas étayé son affirmation selon laquelle il a agi avec célérité une fois qu’il a eu connaissance de la violation; au contraire, il existe un historique indiquant des propositions d’heures supplémentaires imputées à tort qui n’a été rectifié qu’à partir du 1er juin 2012. L’employeur a agi de manière inconsidérée en faisant preuve de discrimination à l’égard du fonctionnaire, et des dommages spéciaux devraient lui être accordés.

II. Motifs de décision

[71] La clause 28.03a) de la convention collective se lit comme suit :

28.03 Attribution du travail supplémentaire

28.03 Assignment of Overtime Work

a. Sous réserve des nécessités du service, l’Employeur s’efforce autant que possible de ne pas prescrire un nombre excessif d’heures supplémentaires et d’offrir le travail supplémentaire de façon équitable entre les employé-e-s qualifiés qui sont facilement disponibles.

[Je mets en évidence]

(a) Subject to operational requirements, the Employer shall make every reasonable effort to avoid excessive overtime and to offer overtime work on an equitable basis among readily available qualified employees.

 

A. Mesure corrective – la limite fixée par l’arrêt Coallier

[72] L’employeur a fait valoir que les erreurs dans l’imputation des heures supplémentaires proposées constituaient une violation continue de la convention collective, ce qui faisait entrer l’affaire dans la portée de la limite fixée par l’arrêt Coallier. Néanmoins, cette limite ne s’applique pas à tout grief continu simplement parce qu’il est continu et quelles que soient les circonstances. La Cour d’appel fédérale l’a fait remarquer au paragraphe 2 :

Le grief de l’intimé devait, suivant l’article 25.03 de la convention collective régissant les parties, être présenté dans un délai de 20 jours ouvrables il [sic] compter de la date où l’intimé avait été informé ou avait pris connaissance « d’une action ou de circonstances qui [avaient] motivé son grief »

[Je mets en évidence]

 

[73] Dans l’arrêt Coallier, il était question d’un taux de rémunération incorrect que le fonctionnaire s’estimant lésé avait perçu pendant plus d’un an, dans le respect des délais impartis. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait négligé de faire valoir ses droits avant de présenter un grief pour une violation qui se répétait à chaque fois qu’il recevait un chèque de paie. Le grief aurait pu être jugé hors délai puisqu’il a été présenté bien après les 20 jours ouvrables suivant la date à laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé a pris connaissance des circonstances qui ont donné lieu au grief. Toutefois, il a été jugé que le grief a été présenté dans les délais impartis en raison de son caractère continu, puisque chaque chèque de paie erroné constituait une nouvelle violation de la convention collective susceptible de faire l’objet d’un grief. Il a donc été jugé que le grief avait été présenté dans les délais, mais uniquement en ce qui concerne la dernière violation. Le grief ne pouvait donner lieu à des mesures correctives pour les violations antérieures puisqu’elles n’avaient pas fait l’objet d’un grief présenté dans les délais impartis et que la Commission n’avait pas compétence pour corriger ces violations.

[74] Dans Duval, au paragraphe 32, la Cour d’appel fédérale a jugé que le fait de limiter les dommages-intérêts à la période de présentation d’un grief sert les objectifs des relations de travail visant à encourager le règlement rapide des conflits de travail et à empêcher une partie de négliger de faire valoir ses droits au détriment de l’autre partie.

[75] En l’occurrence, le présent cas n’a aucunement trait au règlement rapide des conflits du travail ou au fait que les fonctionnaires s’estimant lésés négligent de faire valoir leurs droits. Jusqu’au 10 mai 2012, il n’y avait pas de conflit de travail nécessitant un règlement rapide, car aucune des parties n’était au courant de la violation de la convention collective. Ni le fonctionnaire ni l’employeur ne savaient qu’on lui imputait à tort des propositions d’heures supplémentaires qui ne lui étaient en réalité pas offertes. Une fois informé, le fonctionnaire n’a pas négligé de faire valoir ses droits. Au contraire, il a agi immédiatement.

[76] L’employeur a fait valoir que le fonctionnaire aurait pu découvrir les erreurs plus tôt en demandant à consulter le nombre d’heures supplémentaires accumulées au cours de chaque exercice financier. Cette suggestion lui aurait effectivement imposé la responsabilité (ainsi qu’à tous les ASF) de vérifier le nombre de leurs heures supplémentaires accumulées à la fin de chaque exercice financier et d’essayer de déterminer s’il y avait eu répartition inéquitable tout au long de l’exercice afin de pouvoir présenter un grief dans un délai de 25 jours.

[77] Le fonctionnaire n’avait pas l’obligation de vérifier le système mis en place par l’employeur. Il avait le droit de se fier à l’obligation de l’employeur de répartir équitablement les heures supplémentaires et, par conséquent, de mettre en place un système équitable, efficace et fonctionnel, ainsi que de veiller à ce que les employés de gestion soient correctement formés à son fonctionnement (voir Peterman c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 102, au par. 150; Royal Ottawa Health Care Group v. OPSEU, 2015 CarswellOnt 18458; Royal Ottawa Hospital v. ONA (1990), 19 C.L.A.S. 553; Haldimand-Norfolk (Regional Municipality) v. Health, Office & Professional Employees, Local 175, 1991 CarswellOnt 6501).

[78] Dans Schlegel Villages v. SEIU, Local 1 (2015), 259 L.A.C. (4e) 225, au par. 39, l’arbitre a commenté la déclaration suivante de la Cour suprême du Canada dans Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71 :

[Traduction]

39 La Cour suprême du Canada a reconnu […] le principe depuis longtemps accepté en droit du travail selon lequel : « les parties doivent, de façon générale, exécuter leurs obligations contractuelles de manière honnête et raisonnable, et non de façon abusive ou arbitraire » (selon le juge Cromwell dans Bhasin c. Hrynew, précité, au par. 63) […]

 

[79] L’employeur a admis que les erreurs d’imputation de propositions d’heures supplémentaires avaient pu se produire au cours des exercices financiers précédents ainsi qu’au cours de l’exercice financier 2012-2013. En admettant que cette erreur n’était pas délibérée, on ne saurait dire que l’employeur s’est acquitté raisonnablement de ses obligations contractuelles lorsque la même erreur s’est produite à plusieurs reprises au cours d’un certain nombre d’années.

[80] Dans Canadian Pacific Forest Products v. IWA-Canada, Local 1-85, 1991 CarswellBC 2612, l’arbitre a estimé que le fait de ne pas avoir inclus pendant longtemps les primes dans le taux normal aux fins du paiement des jours fériés ne constituait pas une question d’interprétation, mais une erreur administrative persistante. Lorsque le problème a été porté à l’attention de l’employeur, celui-ci l’a corrigé de manière prospective, mais la question de la rétroactivité est restée en suspens. Voici ce qu’on peut lire de cette décision au par. 13 :

[Traduction]

Je partage l’avis de l’arbitre dans B.C. Forest Products Limited (Hammond Division) selon lequel la responsabilité initiale de respecter les conditions de la convention collective, en particulier celles qui concernent le calcul de la rémunération de l’employé, incombe à l’employeur. Si l’on veut que ce principe soit appliqué dans les faits, l’obligation qui incombe à l’employeur […] est de mettre en place les systèmes nécessaires pour donner pleinement effet au contenu de la convention et de veiller à ce que les personnes responsables de l’administration quotidienne de la convention reçoivent les instructions voulues à cet égard.

[Je mets en évidence]

 

[81] Dès que le fonctionnaire a été informé d’un problème possible concernant la comptabilisation de ses heures supplémentaires, il s’est renseigné, a recueilli des données qui semblaient confirmer le problème, puis a présenté un grief dans les délais. La procédure de règlement des griefs, qui vise à garantir que les fonctionnaires s’estimant lésés ne négligent pas de faire valoir leurs droits et que les questions relatives aux relations de travail sont traitées en temps opportun, a été suivie exactement comme il se doit.

[82] J’ai indiqué ceci dans Peterman :

[…]

[129] L’objectif du principe Coallier est de veiller à ce que les parties ne s’assoient pas sur leurs droits pendant de longues périodes et de surprendre la partie adverse en lui imposant une responsabilité importante pour les sommes dues. La façon dont il a été utilisé en l’espèce me semble contraire à son but. Il a été utilisé comme une épée, et une épée dégainée par surprise à ce sujet, et pas comme un bouclier contre une responsabilité déraisonnable. L’employeur n’a présenté aucun argument afin d’expliquer pourquoi il serait approprié de l’appliquer dans le présent cas. […]

[…]

 

[83] C’est également le cas ici. L’employeur n’a pas cherché à expliquer pourquoi il serait indiqué de circonscrire la mesure corrective à accorder au fonctionnaire, si ce n’est en déclarant que sa violation de la convention collective a perduré. Il ne s’agit pas d’une défense pour éviter une période de responsabilité déraisonnablement longue due au fait que le fonctionnaire s’est assis sur ses droits. La suggestion implicite qui en découle est que tout grief continu ne devrait être corrigé que dans la limite de la période de présentation des griefs prévue dans la convention collective, quelles que soient les circonstances. Il ne s’agit pas là d’une application logique ou raisonnable de la limite imposée par l’arrêt Coallier, lequel repose sur un critère de respect des délais dont il n’est pas question dans le présent cas.

[84] La décision Macri c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord), [1987] C.R.T.F.P.C. no 295; confirmée dans [1988] A.C.F. no 581 (C.A.) (QL), contient les observations suivantes au sujet de l’applicabilité de la limite Coallier dans les circonstances de ce cas :

[…]

52 Il n’a pas été fait mention devant moi de la recevabilité du grief ou de la question de savoir si Mme Macri pouvait chercher à demander une rémunération provisoire pour une période précédant de plus de vingt‑cinq jours la date de la présentation de son grief. Cette question aurait pu sembler pertinente, compte tenu du jugement rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Coallier (dossier de la Cour A-405-83; dossier de la Commission 166-8-13465) et de la clause 39.10 de la convention collective no 503/82. Toutefois, je ne crois pas que le jugement rendu dans l’affaire Coallier empêche Mme Macri de présenter une demande, et ce, pour les motifs suivants.

53 Premièrement, les deux parties ont convenu que la question de la classification du poste occupé par Mme Macri était à l’étude et avait été à l’étude depuis un certain temps. Ce travail n’était pas terminé, mais l’employée s’estimant lésée n’avait rien à y voir. […] Troisièmement, Mme Macri a finalement exigé une réponse en mars 1985. Son supérieur a alors laissé entendre, semble‑t‑il, que sa cause n’était pas aussi bonne qu’on lui avait antérieurement laissé croire. Dans les quinze jours ouvrables qui ont suivi, elle a présenté un grief. Je crois que l’employée s’estimant lésée a agi raisonnablement et dans les délais où elle pouvait le faire, puisque ce n’est que le 14 mars 1985 qu’on lui a donné une réponse pouvant la porter à croire qu’elle avait peut‑être raison de se sentir lésée.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[85] Le fonctionnaire n’est pas responsable du fait que la convention collective a été violée sur une période de plusieurs années et qu’il n’a reçu aucune indication qu’il pouvait avoir des raisons de se sentir lésé jusqu’au 10 mai 2012, date à laquelle son collègue l’a mis au courant.

[86] Dans Baker c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2008 CRTFP 34, la Commission a examiné la question de savoir si la limite fixée par l’arrêt Coallier devait être appliquée pour circonscrire la mesure corrective et a décidé qu’elle devait l’être, dans les circonstances de ce cas. Toutefois, la Commission a déclaré ce qui suit au sujet de la notion d’application automatique de la limite à tout grief continu :

[…]

18 […] Je note aussi que, dans la décision Macri c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), dossier de la CRTFP 166-02-15319 (19871016) (confirmée par Canada (Conseil du Trésor) c. Macri, [1988] A.C.F. no 581 (C.A.F.) (QL), on n’a pas suivi la règle générale énoncée dans Coallier, et ce, au motif qu’une limitation stricte de 20 jours pour obtenir un redressement inciterait un employeur à retarder la procédure de règlement du grief. Je conviens qu’il y avait là des préoccupations en matière de politique, mais rien n’indique que cela soit le cas dans l’affaire qui nous occupe.

19 En résumé, lorsqu’il y a grief continu en vertu de la convention collective, il ne peut pas y avoir de problème de respect des délais par suite du dépôt tardif du grief. Toutefois, tout redressement sollicité eu égard à ce grief se limite à la période de 25 jours précédant la présentation du grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs individuels. Je conviens avec l’agent négociateur que cette approche décidément technique ne devrait pas être appliquée à l’extrême. Par exemple, des situations où il y a renonciation, préclusion ou d’autres considérations équitables peuvent nécessiter que l’on dévie de cette approche (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 161-02-703 (19931220) et St. Raphael’s Nursing Home Ltd. v. London and District Service Workers’ Union, Local 220 (1985), 18 L.A.C. (3e) 430).

[…]

[Je mets en évidence]

 

[87] Dans Barbour c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2018 CRTESPF 80, la Commission a traité de la même question que celle devant moi, à savoir la répartition équitable des heures supplémentaires. Dans ce cas, l’employeur a indiqué aux fonctionnaires s’estimant lésés qu’il examinait la question, mais il ne leur a pas fourni les renseignements nécessaires sur la répartition des heures supplémentaires. La Commission a fait remarquer que l’employeur disposait des renseignements pertinents, qu’il aurait dû fournir aux fonctionnaires s’estimant lésés – il ne pouvait pas se présenter devant la Commission et se retrancher derrière un argument de respect des délais lorsque son omission d’agir était à l’origine de leur non-respect.

[88] Dans le présent cas, l’employeur n’a pas délibérément omis de fournir les renseignements dont le fonctionnaire aurait eu besoin pour présenter un grief, comme dans Barbour, mais il était néanmoins responsable de ces renseignements et les possédait, et le fonctionnaire n’a pas pu y avoir accès de manière concrète.

[89] Dans Roy c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 49, la Commission a indiqué que les faits dont elle était saisie étaient différents de ceux de l’arrêt Coallier, en ce sens que les fonctionnaires s’estimant lésés dans Roy s’attendaient à ce que leur prime d’instructeur leur soit versée parce qu’elle l’avait été dans le passé et parce que leur superviseur examinait cette possibilité :

[…]

84 Dans la décision Coallier, la Cour d’appel fédérale a décidé que l’employé qui avait attendu deux ans pour réclamer le salaire qui lui était dû ne pouvait réclamer l’augmentation qu’à partir des 25 jours précédant son grief, parce que rien ne l’aurait empêché de faire un grief dès le départ. Le témoignage des fonctionnaires, non contredit, est tout autre. M. Bercier avait toujours reçu la prime, il s’attendait encore à la recevoir. Il a laissé entendre à M. Roy qu’elle serait versée. D’après les témoignages des fonctionnaires, leur supérieur immédiat a dit qu’il se renseignerait, laissant entendre que lui aussi s’attendait à ce que la prime soit versée comme auparavant.

85 Il n’était pas illogique d’attendre pour voir comment les choses se règleraient. Cela n’a rien à voir avec l’inaction qu’on constate dans l’affaire Coallier. Dès qu’il a été certain que la prime ne serait pas versée, à la fin de la formation, les fonctionnaires ont déposé leurs griefs.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[90] Dans le présent cas, le fonctionnaire avait toutes les raisons de se fier au système de répartition équitable des heures supplémentaires de l’employeur et n’avait aucune raison de penser qu’il ne fonctionnerait pas comme il avait vraisemblablement fonctionné avant qu’il ne soit affecté à des tâches légères. Dès qu’il a été informé du fait que le système ne fonctionnait pas correctement au cours de la période durant laquelle il a fait l’objet d’une mesure d’adaptation, il a présenté son grief dans les délais.

[91] Dans Macri, on peut lire ce qui suit au paragraphe 54 en ce qui concerne l’application de la limite fixée dans Coallier :

54 Si le jugement rendu par la Cour d’appel fédérale est interprété de façon à empêcher Mme Macri ou quelque employé s’estimant lésé de recevoir ce qui lui est apparemment dû pour une période plus longue que les vingt ou vingt‑cinq jours (selon le cas) précédant celui où un grief a été présenté et dans lesquels des mesures doivent être prises, cela entraîne à coup sûr des conséquences malheureuses pour les deux parties. Cela forcera les employés à exiger que la direction ne prenne pas plus de vingt ou vingt‑cinq jours pour prendre des décisions, à défaut de quoi un grief pourra automatiquement être présenté en vue de protéger leurs droits. Cela pourrait nuire à des négociations délicates à un moment tout à fait inopportun. Cela pourrait bien mener à une augmentation inutile du nombre de griefs présentés devant la Commission. D’un autre côté, si le raisonnement adopté dans l’arrêt Coallier est tel que je le crains, la chose incitera l’employeur à retarder sa décision dans l’espoir que l’employé en cause négligera de présenter un grief avant le vingtième ou le vingt‑cinquième jour, de sorte qu’il omettrait ainsi de protéger ses intérêts et ne pourrait plus demander son dû. En d’autres termes, cela inciterait l’employeur à ne pas agir. Un tel résultat serait déraisonnable ou inéquitable.

[Je mets en évidence]

 

[92] Après avoir cité ce passage de Macri dans Peterman, j’ai poursuivi mon propos de la manière suivante :

[…]

[140] Je suis entièrement d’accord. L’application du principe Coallier à tous les griefs continus, quelles que soient les circonstances, aurait certainement des conséquences malheureuses pour les deux parties, notamment en incitant un employeur à retarder la prise de décisions, délibérément ou non.

[141] L’employeur n’a présenté aucun argument afin d’expliquer pourquoi une telle limite à la réparation serait appropriée dans le présent cas. En règle générale, l’employeur ne devrait certainement pas être exposé à une responsabilité prolongée découlant du fait qu’un fonctionnaire s’estimant lésé est assis sur ses droits et qu’il n’a pas déposé de grief. Cependant, cela ne veut certainement pas dire qu’une réparation rétroactive pour chaque grief continu doit être automatiquement limitée à un délai de 20 ou 25 jours. À mon avis, les circonstances de chaque cas doivent être prises en considération avec soin pour éviter un résultat inconcevable ou inéquitable.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[93] Ces décisions indiquent qu’un employeur ne devrait pas être en mesure de limiter les mesures correctives à accorder à un fonctionnaire s’estimant lésé lorsque l’employeur lui-même est responsable des retards ou n’a pas communiqué les renseignements dont le fonctionnaire s’estimant lésé avait besoin. Dans le présent cas, rien n’indique que l’employeur a délibérément retardé la présentation du grief ou qu’il a délibérément omis de fournir des renseignements.

[94] Toutefois, les employés ne sont pas au fait du fonctionnement d’un système de répartition des heures supplémentaires. Qu’il ait été conscient ou non du problème, seul l’employeur disposait des renseignements dont le fonctionnaire aurait eu besoin pour savoir que la convention collective était violée. Il ne serait pas logique de circonscrire la mesure corrective à accorder au fonctionnaire dans de telles circonstances. Il n’aurait pas pu agir différemment pour détecter la violation. Dans Macri, la Commission a déclaré que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas commis de faute et qu’elle avait agi raisonnablement et dans les délais qui lui étaient impartis lorsqu’elle avait reçu pour la première fois une indication qu’elle pouvait avoir des raisons de se sentir lésée. C’est précisément la situation qui prévaut dans le présent cas.

[95] Circonscrire la mesure corrective accordée au fonctionnaire aux 25 jours précédant la présentation de son grief, dans les circonstances du présent cas, serait un résultat déraisonnable et inéquitable. Comme l’a fait valoir le fonctionnaire, cela reviendrait à affaiblir ses droits négociés en vertu de la convention collective et fournirait à l’employeur un mécanisme lui permettant de se soustraire à ses responsabilités.

B. Dommages généraux

[96] Le fonctionnaire était qualifié et facilement disponible pour effectuer des heures supplémentaires au CDT (ou, depuis septembre 2012, dans le secteur d’activité des espèces), à condition que ce travail soit compatible avec ses contraintes de santé. Par conséquent, en vertu de la clause 28.03 de la convention collective, l’employeur était tenu de lui offrir équitablement ces heures supplémentaires.

[97] Voici comment se présentent les faits. Pendant plusieurs années, certains surintendants ne savaient pas exactement comment saisir les données relatives aux heures supplémentaires dans le système de planification informatisé, ou bien la haute direction ne savait pas exactement comment procéder et avait mis en place un système défectueux. La question de savoir si l’employeur a réglé le problème le 1er juin 2012 en instaurant une nouvelle politique ou en rappelant aux surintendants la politique existante n’a pas d’importance. Avant que la correction ne soit apportée, il avait enfreint la clause 19.01 de la convention collective et l’article 7 de la LCDP, soit parce qu’il n’avait pas mis en place un système adéquat permettant de satisfaire aux exigences de la clause 28.03, soit parce qu’il n’avait pas suffisamment formé les surintendants à l’utilisation correcte de ce système.

[98] Pour l’exercice financier 2012-2013, la preuve démontre que l’employeur a été mis au courant du problème en juin 2012 et qu’il a corrigé le problème pour cet exercice, conclusion que je tire moi-même aussi. Il n’est pas contesté que le fonctionnaire avait indiqué à l’employeur qu’il était satisfait de la façon dont les heures supplémentaires étaient imputées, qu’il était l’agent sur la liste pour lequel le moins de propositions d’heures supplémentaires avaient été imputées en juillet et en septembre de cette année-là, et que l’iniquité de la répartition des heures supplémentaires avait été corrigée à la fin de l’année. Par conséquent, je conclus que des dommages ne sont pas dus pour la rémunération des heures supplémentaires perdues au cours de l’exercice financier 2012-2013.

[99] En ce qui concerne les exercices financiers 2009-2010, 2010-2011 et 2011-2012, les éléments de preuve disponibles présentent de grandes lacunes. L’employeur est responsable de la mauvaise tenue des dossiers à cet égard. Par conséquent, on ignore beaucoup de choses sur ces exercices. Aucun dossier ne détaille les heures supplémentaires proposées ou les réponses à ces propositions.

[100] Toutefois, on sait ceci. Pendant les périodes au cours desquelles il a fait l’objet de mesures d’adaptation, le fonctionnaire était affecté à des tâches légères et ne pouvait se voir offrir des heures supplémentaires qu’au CDT et, à partir de septembre 2012, au secteur d’activité des espèces. Les tâches dans les autres secteurs d’activité exigent que les ASF portent un équipement de protection, soient armés et soient suffisamment aptes physiquement pour répondre à tout problème nécessitant une intervention physique. L’employeur a déclaré que les contraintes fonctionnelles du fonctionnaire ne lui permettaient pas de travailler dans les autres secteurs d’activité dans le cadre de ses quarts de travail réguliers et que, par conséquent, il ne pouvait pas effectuer d’heures supplémentaires dans ces secteurs d’activité. Il n’a jamais cherché à élargir les possibilités de travail ou indiqué que ses contraintes étaient trop importantes. Rien de tout cela n’a été contesté.

[101] L’employeur a déclaré que, selon les meilleures estimations, le travail au CDT et dans le secteur des espèces représentait environ 10 % de toutes les possibilités d’heures supplémentaires. Cette affirmation n’a été contestée que par le fonctionnaire, qui a fait remarquer que l’employeur n’avait présenté aucune preuve à l’appui de cette approximation. Toutefois, il n’a présenté aucune preuve pour réfuter ou remettre en question le chiffre de 10 %.

[102] Il a été clairement indiqué qu’il ne s’agissait que d’une approximation, et je reconnais qu’il s’agit d’un chiffre approximatif. Il est logique, à première vue, que tous les autres secteurs d’activité principaux génèrent la majeure partie de la charge de travail et, par conséquent, la majeure partie des heures supplémentaires. Au CDT, les tâches consistent à répondre aux demandes de renseignements téléphoniques des voyageurs qui arrivent à la frontière en bateau, en avion privé ou en motoneige, et à envoyer d’autres ASF auprès d’eux. Il est évident que ce secteur génère beaucoup moins de travail et d’heures supplémentaires que les autres secteurs d’activité. De plus, les quarts de nuit se produisent rarement au CDT ou dans le secteur des espèces, à l’inverse des autres secteurs d’activité.

[103] Il n’a pas été contesté que l’effectif d’été était de 20 à 30 ASF (la moitié en hiver) travaillant dans les autres secteurs d’activité et dans l’équipe de vérification maritime, tandis qu’un ASF travaillait dans le secteur des espèces et que 3 à 5 ASF travaillaient au CDT (moins en hiver). En l’absence de toute preuve du contraire, je pense que le chiffre de 10 % est une estimation raisonnable du nombre moyen d’heures supplémentaires qui auraient pu être effectuées au CDT.

[104] L’employeur a indiqué que tout calcul des heures supplémentaires qu’aurait pu effectuer le fonctionnaire devrait être revu à la baisse pour un certain nombre de raisons. Il a affirmé qu’il se souvenait que le fonctionnaire avait opposé un refus permanent de faire des heures supplémentaires. Il n’y avait aucune preuve de ce refus et aucune mention de son nom dans les documents disponibles dans le système de planification informatisé. L’employeur a déclaré que le fonctionnaire n’aurait probablement pas accepté toutes les heures supplémentaires qui auraient dû lui être offertes. C’est probablement vrai, mais à mon avis, cela ne devrait pas être pris en considération en l’absence de refus répétés consignés d’heures supplémentaires. Il en va de même pour la suggestion de l’employeur selon laquelle il a dû s’absenter pendant sept jours à un certain moment et qu’il n’était donc pas disponible pour accepter des heures supplémentaires pendant cette période. Un employé a le droit de prendre des congés.

[105] À mon avis, la meilleure façon de résoudre cette question est d’appliquer une formule simple pour obtenir une approximation des possibilités d’heures supplémentaires perdues par le fonctionnaire, sans tenter de quantifier des déductions fondées sur de vagues allégations et souvenirs (voir Brown et Beatty, par. 2:24 (WL Can)). J’accepte la preuve non contestée selon laquelle le fonctionnaire n’aurait pu accepter que 10 % de la moyenne des heures supplémentaires offertes, compte tenu de ses capacités fonctionnelles, et qu’il n’était donc pas dans une situation semblable à celle des ASF qui pouvaient faire tous les quarts de travail nécessitant d’être armé.

[106] Par conséquent, j’estime que la meilleure estimation du montant dû au fonctionnaire peut être calculée comme suit : 10 % de la moyenne des heures supplémentaires effectuées par les ASF, calculée au prorata pour les périodes du 10 août 2009 au 22 septembre 2010 et du 20 avril 2011 à la fin de l’exercice financier 2011-2012 (étant donné que la répartition équitable a été réalisée pour l’exercice financier 2012-2013), moins toutes les heures supplémentaires qu’il a effectuées au cours des périodes pertinentes.

C. Discrimination et dommages pour atteinte aux droits de la personne

[107] Le problème de dos du fonctionnaire était une déficience au sens de la LCDP. Il a subi un effet préjudiciable lorsqu’il a fait l’objet de mesures d’adaptation pour sa déficience en exécutant des tâches légères, et sa déficience a été un facteur de cet effet préjudiciable. Cela suffit à établir une preuve de discrimination à première vue, et il incombe à l’employeur de prouver le contraire. Dans le présent cas, l’employeur a reconnu l’existence d’une discrimination.

[108] J’accepte l’argument de l’employeur selon lequel la discrimination n’était aucunement délibérée et qu’elle a été rapidement rectifiée une fois qu’elle a été signalée. Néanmoins, l’employeur est responsable de la discrimination qui s’est produite, qu’elle ait été voulue ou non (voir Edwards c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 62, au par. 36). En outre, l’employeur n’a pas nié que les erreurs d’imputation des propositions d’heures supplémentaires aient pu se produire au cours de plusieurs exercices financiers antérieurs, comme il l’a allégué. L’employeur avait l’obligation de mettre en place un système équitable et opérationnel et de disposer de surintendants adéquatement formés. Il est vraisemblable que cela n’a pas été le cas pendant une période assez longue, ce qui a permis à la discrimination de perdurer dans le temps.

[109] Bien que les employés en vacances aient pu être victimes de la même imputation injustifiée d’heures supplémentaires, le fonctionnaire s’est vu imputer à tort des heures supplémentaires parce qu’il effectuait des tâches légères. Par conséquent, sa déficience, caractéristique protégée, a joué un rôle dans la discrimination dont il a fait l’objet. Le fait que la déficience n’ait pas été un facteur dans le traitement défavorable subi par d’autres employés n’a pas d’incidence sur son droit à des dommages pour atteinte aux droits de la personne.

[110] En vertu des alinéas 226(2)a) et b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2), la Commission peut interpréter et appliquer la LCDP et accorder une indemnité pour le préjudice moral subi en raison d’un acte discriminatoire (voir l’alinéa 53(2)e) de la LCDP) et une indemnité spéciale pour un acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré de la part de l’employeur (paragraphe 53(3) de la LCDP). Le fonctionnaire demande le versement d’une indemnité de 5 000 $ pour préjudice moral et d’une indemnité de 5 000 $ pour acte discriminatoire délibéré et inconsidéré.

[111] L’employeur a fait valoir que le fonctionnaire n’avait éprouvé aucun préjudice moral à la suite de la discrimination. Le fonctionnaire a lui soutenu que des dommages peuvent être accordés en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP sans preuve de préjudice moral et a invoqué Johnstone c. Agence des services frontaliers du Canada, 2010 TCDP 20, décision dans laquelle une somme de 15 000 $ a été accordée, selon lui, uniquement sur la base d’une preuve subjective et qui n’a pas été contestée dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou en appel.

[112] En ce qui concerne cette indemnité, le TCDP a déclaré ce qui suit :

[…]

[376] Le témoignage de Mme Johnstone a clairement montré qu’elle a subi un préjudice sur les plans de sa personne, de sa confiance personnelle et professionnelle et de sa réputation professionnelle, découlant de la discrimination qui a entraîné la présente plainte.

[377] Mme Johnstone a témoigné qu’elle se sentait embarrassée par le fait qu’on la qualifiait de dossier [Traduction] de « droits de la personne » et qu’elle a été bouleversée par la façon arbitraire dont on l’a traitée malgré tous les efforts qu’elle a déployés pour trouver une façon de créer un équilibre fonctionnel entre le travail qu’elle dit vraiment aimer et ses jeunes enfants.

[…]

 

[113] Parmi les objectifs visés par le versement de dommages en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP figure la défense de la dignité et de l’autonomie personnelle du demandeur (Jane Doe c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 183, aux paragraphes 13 et 28). Le libellé de l’alinéa 53(2)e) indique clairement que ces sommes sont conçues pour être indemnitaires, ce qui signifie que le montant accordé est lié à la gravité du préjudice subi par le plaignant. Par conséquent, pour qu’une indemnité soit justifiée, le plaignant doit apporter la preuve que l’acte discriminatoire a effectivement causé un préjudice moral (voir Jane Doe, aux paragraphes 29 et 33; Fang c. Administrateur général (ministère de l’Industrie), 2023 CRTESPF 52, au par. 154).

[114] Dans Besner c. Sous-ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2014 TDFP 2, l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique a ordonné le versement de 2 000 $ de dommages pour préjudice moral. Dans ce cas, la plaignante a déclaré de manière générale qu’elle s’était sentie stressée et frustrée en raison des actes discriminatoires de son employeur, mais elle n’a pas donné plus de détails sur le préjudice moral qu’elle avait subi. Dans Spruin c. Sous-ministre de l’Emploi et du Développement social, 2019 CRTESPF 33, la Commission a ordonné le versement de 2 000 $ à titre de dommages pour préjudice moral. Dans ce cas, le plaignant a déclaré avoir souffert de honte, d’embarras, de stress, de vexation et d’anxiété en raison du fait que l’employeur n’avait pas pris de mesures d’adaptation à son égard dans le cadre d’un processus de dotation.

[115] Dans le présent cas, la preuve d’un préjudice moral, subjectif ou non, avancée par le fonctionnaire est minime. Contrairement à la plaignante dans Johnstone c. Agence des services frontaliers du Canada, 2010 TCDP 20, qui a déclaré avoir été atteinte dans sa personne, sa confiance et sa réputation, la preuve du préjudice moral subi par le fonctionnaire se limite à ses déclarations selon lesquelles, lorsqu’il a découvert les actes discriminatoires de l’employeur, il [traduction] « […] ne comprenait pas comment cela pouvait être une pratique équitable » et qu’il était traité de façon inéquitable. Je déduis de ces commentaires que le fonctionnaire a subi une forme de perturbation émotionnelle à la suite des agissements de l’employeur, mais je n’estime pas que cette perturbation ait été importante.

[116] Compte tenu de cette preuve modeste, je conclus qu’un montant de 2 000 $ constitue une indemnité appropriée au titre de l’alinéa 53(2)(e) pour préjudice moral.

[117] Aucune indemnité spéciale en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP n’est justifiée, car aucune preuve n’a été présentée quant au caractère délibéré ou inconsidéré de la conduite de l’employeur. L’employeur a été mis au défi par l’inexpérience des nouveaux surintendants et des surintendants intérimaires, dont il est bien sûr responsable, et peut-être par sa mauvaise compréhension de la façon dont les données sur les heures supplémentaires auraient dû être saisies. Comme il a été indiqué précédemment, il n’est pas acceptable de laisser une erreur administrative perdurer pendant plusieurs années, mais cette erreur n’était pas délibérée et a été rapidement corrigée lorsque l’employeur en a été informé. Une telle attitude ne laisse pas supposer l’existence d’une pratique délibérée ou inconsidérée qui justifierait une indemnité spéciale.

[118] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


III. Ordonnance

[119] J’ordonne à l’employeur de verser au fonctionnaire la rémunération des heures supplémentaires et les avantages qui y sont associés pour les exercices financiers 2009-2010, 2010-2011 et 2011-2012, selon le calcul suivant : 10 % de la moyenne des heures supplémentaires effectuées par les ASF, au prorata pour les périodes du 10 août 2009 au 22 septembre 2010 et du 20 avril 2011 à la fin de l’exercice financier 2011-2012, moins les heures supplémentaires effectuées par le fonctionnaire au cours des périodes pertinentes.

[120] J’ordonne à l’employeur de verser au fonctionnaire une indemnité de 2 000 $ en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP.

[121] Je demeurerai saisie pour une période de 90 jours au cas où les parties éprouveraient des difficultés à mettre en œuvre cette ordonnance.

Le 30 juillet 2024.

 

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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