Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a présenté une plainte dans laquelle il a allégué que la défenderesse avait manqué à son devoir de représentation équitable – le plaignant est un agent du service extérieur qui a été affecté à l’ambassade du Canada à Buenos Aires, en Argentine – en mars 2018, son épouse et deux de ses filles ont déménagé du Paraguay à Buenos Aires pour vivre avec lui – la langue maternelle de ses belles-filles est l’espagnol – l’employeur tenait une liste des écoles compatibles pour lesquelles il payait les frais de scolarité, mais ces écoles ont confirmé au plaignant que ses belles-filles ne maîtrisaient pas suffisamment le français ou l’anglais pour être admises à leur niveau scolaire – les deux belles-filles étaient inscrites dans des écoles qui étaient principalement espagnoles mais qui offraient un programme d’anglais solide qui leur permettrait d’améliorer leur maîtrise de l’anglais – le plaignant a présenté une demande d’indemnités scolaires pour ses belles-filles afin qu’elles fréquentent des écoles qui ne figurent pas sur la liste des écoles compatibles, conformément à la DSE 34 – le Comité de coordination interministériel des représentants de l’employeur (groupe de travail B) du CNM a rejeté la demande parce que les écoles fréquentées par ses belles-filles ne satisfaisaient pas aux critères de la DSE 34.1.5a), qui prévoit l’enseignement en anglais ou en français – par conséquent, le plaignant n’a pas été remboursé pour les frais de scolarité de ses belles-filles – il a communiqué avec la défenderesse pour contester la décision – selon lui, la DSE 34 n’exige pas nécessairement que l’éducation à l’étranger soit en français ou en anglais – en décidant uniquement sur la base de la DSE 34.1.5a), le groupe de travail B a rendu obligatoire un des nombreux critères, sans tenir compte des autres critères – l’intention de la DSE 34 est d’assurer une éducation qui se rapproche des normes canadiennes et qui permet aux enfants de réintégrer le système scolaire canadien avec le moins de perturbations possible – le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué qu’il se sentait victime de discrimination sur la base de l’origine nationale ou ethnique – la défenderesse n’a pas appuyé le grief et lui a répondu que l’indemnité scolaire prévue à la DSE 34 est versée aux fonctionnaires affectés à l'extérieur du Canada qui engagent les frais nécessaires pour obtenir une éducation pour les enfants à charge qui serait normalement offerte gratuitement dans le système scolaire public d’une province donnée, qui est soit principalement en français, soit principalement en anglais, ou bilingue – ceci correspondait au langage de la DSE 34.1.5a) – étant donné que les Canadiens et Canadiennes ont le droit de faire instruire leurs enfants en français ou en anglais, la défenderesse n’a pas constaté de discrimination – devant la Commission, le plaignant a soutenu que la défenderesse avait agi de façon arbitraire – la Commission a convenu avec lui que la défenderesse avait fermé son esprit à sa situation, ce qui avait mené à une analyse superficielle de son point de vue – il ne mettait pas l'accent sur la langue mais sur l'éducation de ses belles-filles – le principe de comparabilité, l’un des principes d’interprétation des DSE, aurait dû être pris en considération – son argument selon lequel au Canada, ses belles-filles auraient été acceptées au même niveau, avec une aide corrective en français ou en anglais, méritait d’être pris en considération – il avait droit à un examen approfondi de ses arguments – la Commission a jugé l’analyse sommaire arbitraire – elle a conclu que la défenderesse avait manqué à son devoir de représentation équitable – le plaignant a également soutenu que la défenderesse avait agi de manière discriminatoire – la Commission a noté que la discrimination apparente semblait inhérente à la DSE 34, qui parle de réintégrer le système scolaire canadien, et non d'y entrer – la Commission a conclu que le comportement de la défenderesse n’était pas discriminatoire.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20240621

Dossier: 561-02-43429

 

Référence: 2024 CRTESPF 83

 

Loi sur la Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Patrice Laquerre

plaignant

 

et

 

Association professionnelle des agents du service extérieur

 

défenderesse

Répertorié

Laquerre c. Association professionnelle des agents du service extérieur

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour la défenderesse : Zachary Rodgers, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
les 16 et 30 janvier et le 12 février 2024.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Les différends entre les agents négociateurs et les membres qu’ils représentent peuvent souvent être résumés comme des désaccords sur la façon dont l’agent négociateur devrait défendre les droits d’un employé. Il en est ainsi dans le présent cas.

[2] Le 30 août 2021, Patrice Laquerre (le « plaignant ») a présenté une plainte à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») dans laquelle il a allégué que son agent négociateur, l’Association professionnelle des agents du service extérieur (la « défenderesse » ou APASE) avait manqué à son devoir de représentation équitable, contrairement à l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

[3] Le plaignant est un agent du service extérieur. Sa convention collective comprend plusieurs des Directives sur le service extérieur (DSE) du Conseil national mixte (CNM) qui fournissent les conditions d’emploi des agents travaillant à l’étranger. Il ne souscrivait pas à l’interprétation faite par Affaires mondiales Canada (l’« employeur ») de la DSE 34 concernant l’indemnité scolaire pour ses enfants pendant qu’il était affecté à l’étranger. La défenderesse a refusé de poursuivre un grief en son nom; puisqu’il s’agissait d’un grief lié à l’interprétation de la convention collective, il ne pouvait pas le faire seul.

[4] La défenderesse a-t-elle manqué à son devoir de représentation équitable? Pour les motifs qui suivent, je conclus que oui.

II. Contexte

[5] Les parties ont convenu de procéder par voie d’arguments écrits. Dans le cadre des échanges, le plaignant a demandé d’ajouter des « éléments de preuve » pour étayer sa position. La défenderesse s’est réservé le droit de s’opposer à des documents supplémentaires qui n’ont pas été examinés lors d’une audience.

[6] La défenderesse s’est opposée à un certain nombre de documents que le plaignant a acheminés à la Commission et qui, selon elle, ne sont pas pertinents au présent litige. Le fondement de l’objection est soit que les documents en question n’existaient pas au moment où la défenderesse a décidé de ne pas appuyer le grief, soit qu’ils n’ont pas été soulevés au cours des discussions entre le plaignant et la défenderesse.

[7] Je conviens que ces documents ne sont pas pertinents à la décision que je dois rendre dans le présent cas au sujet du devoir de représentation équitable de la défenderesse. Je n’en ai pas tenu compte pour parvenir à ma décision. Les documents supplémentaires du plaignant peuvent ou non être pertinents à son grief; ils ne permettent pas de savoir si les actions de la défenderesse équivalaient à un manquement au devoir de représentation équitable.

[8] De toute évidence, la décision exige un contexte factuel. Il est entendu que les faits ne constituent pas des éléments preuve au sens véritable de l’expression – ils n’ont pas été présentés sous serment ni soumis à un contre-interrogatoire. Il n’y avait aucun désaccord quant aux faits fondamentaux sous-jacents à la plainte.

[9] Le plaignant est un agent du service extérieur chez l’employeur depuis septembre 2002. De juillet 2016 à juillet 2021, il a été affecté à l’ambassade du Canada à Buenos Aires, en Argentine. En mars 2018, sa conjointe et deux de ses filles (âgées de 16 et de 15 ans à l’époque) ont déménagé du Paraguay à Buenos Aires pour vivre avec lui.

[10] La première langue des belles-filles du plaignant est l’espagnol. Leur niveau de français et d’anglais à l’époque ne leur permettait pas de fréquenter une école française ou anglaise aux niveaux (10e et 11ᵉ années) auxquels elles auraient été admises dans une école secondaire espagnole.

[11] L’employeur tient à jour une liste d’écoles compatibles pour lesquelles il paiera les frais de scolarité. Deux figurent sur la liste à Buenos Aires : Lycée Jean Mermoz (français) et Lincoln School (anglais). Les deux écoles ont confirmé au plaignant que ses belles-filles ne maîtrisaient pas suffisamment l’une ou l’autre des langues pour être admises à leur niveau de scolarité.

[12] En mars 2018, les deux belles-filles étaient inscrites au Colegio Champagnat, un établissement catholique privé principalement espagnol, mais qui offrait un solide programme anglais qui permettrait aux filles d’améliorer leurs compétences en anglais. Le plaignant a payé leurs frais de scolarité et n’a demandé aucun remboursement à l’employeur puisque les filles n’avaient pas encore été reconnues comme des personnes à charge. Elles ont obtenu ce statut en mars 2019.

[13] En mai 2021, le plaignant a présenté une demande pour que ses belles-filles fréquentent une école qui ne figure pas sur la liste des écoles compatibles, conformément à la DSE 34.2.6. Comme la question exigeait une nouvelle interprétation de la DSE 34, elle a été renvoyée au groupe de travail B, le Comité de coordination interministériel des représentants de l’employeur au CNM. Il est chargé de veiller à l’application cohérente des DSE par les ministères fédéraux dont les employés sont en service à l’étranger.

[14] Le 8 juin 2021, le groupe de travail B, sur la recommandation du sous-comité de l’éducation, a rejeté les demandes, car les écoles fréquentées par ses belles-filles (l’une avait changé d’école et s’était inscrite dans une autre école privée espagnole) ne satisfaisaient pas aux critères de la DSE 34.1.5a), qui prévoit « […] à l’enseignement dans la langue officielle appropriée, à savoir le français ou l’anglais […] ».

[15] Par conséquent, le plaignant n’a pas été remboursé pour les frais de scolarité de ses belles-filles pour 2019. Il n’a pas encore présenté de demande pour 2020 et 2021.

[16] Dès qu’il a reçu le refus du groupe de travail B, le plaignant a communiqué avec Paul Raven, le conseiller en relations de travail et en DSE de la défenderesse, pour l’informer de son intention de contester la décision. À ce moment-là, il ne savait pas que pour contester l’interprétation d’une DSE (elles font partie de sa convention collective), il fallait obtenir le soutien de l’agent négociateur (voir le paragraphe 208(4) de la Loi).

[17] M. Raven a répondu immédiatement, indiquant qu’il examinerait les renseignements fournis par le plaignant et qu’il communiquerait avec lui dès que possible. Il n’a pas indiqué à ce moment-là que le soutien de la défenderesse était nécessaire pour que le plaignant conteste la décision.

[18] Le même jour, le plaignant a fait part à M. Raven des arguments qu’il présenterait pour contester la décision. Ils portaient sur son interprétation de la DSE 34.1.5.

[19] Le lendemain, M. Raven a envoyé un courriel au plaignant pour l’informer qu’il ne voyait pas de solution pour le grief; il a également informé le plaignant que le soutien de la défenderesse était nécessaire pour déposer un grief.

[20] Le raisonnement de M. Raven est exposé dans l’extrait suivant de son courriel :

[Traduction]

[…]

Un élément central de l’objectif de la DSE 34 dans son ensemble se trouve dans son introduction. La première phrase du deuxième paragraphe de la DSE 34 se lit comme suit :

Une indemnité scolaire est versée aux fonctionnaires affectés à l’extérieur du Canada qui engagent les frais nécessaires pour les études que leurs enfants à charge feraient d’ordinaire gratuitement dans le système d’enseignement public ontarien ou son équivalent des autres provinces.

En résumé, cela signifie que la DSE 34 englobe les dépenses liées aux études à l’affectation lorsque les mêmes études auraient pu être faites gratuitement dans le système d’enseignement public en Ontario. Comme vous le savez, même si les élèves peuvent suivre des cours individuels « facultatifs » dans d’autres langues (l’allemand, l’espagnol, le latin […]), les écoles « gratuites » (publiques) en Ontario sont principalement francophones, principalement anglophones ou bilingues (principalement un mélange de français et d’anglais). Cela concorde avec le libellé de la DSE 34.1.5a) :

à l’enseignement dans la langue officielle appropriée, à savoir le français ou l’anglais, conformément à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (Droits à l’instruction dans la langue de la minorité);

[…]

Par conséquent, la Charte prévoit que les Canadiens ont le droit de faire instruire leurs enfants en français ou en anglais. Dans cette optique, je ne vois pas d’élément de discrimination ici – la Charte garantit l’enseignement en français ou en anglais – et non dans une langue choisie par les parents.

Cela étant dit, même si je comprends les arguments que vous avez présentés, je ne vois malheureusement pas de voie à suivre en ce qui concerne un grief […]

[…]

 

[21] M. Raven a ajouté que les griefs liés aux DSE sont assujettis au Règlement du CNM. Le paragraphe 15.1.4 du Règlement reformule l’exigence relative au soutien de l’agent négociateur lorsqu’une interprétation de la convention collective est en litige.

[22] Le plaignant a été abasourdi par le fait qu’il avait besoin du soutien de la défenderesse pour contester la décision. Il a demandé à M. Raven d’examiner l’ensemble de ses arguments avant de décider de ne pas appuyer le grief.

[23] M. Raven a répondu rapidement, indiquant qu’il était prêt à écouter tout autre argument. Il a également mentionné le délai pour déposer un grief. Selon ses calculs, le grief devait être déposé au plus tard le 14 juillet 2021.

[24] Le 17 juin 2021, le plaignant a déposé des arguments détaillés à l’appui de son grief.

[25] Comme la présente décision n’a pas pour objet de trancher le grief en soi, mais plutôt de décider si la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable, je ne résumerai que brièvement les arguments que le plaignant a présentés lorsqu’il a demandé à la défenderesse d’appuyer son grief. À ce stade, j’estime qu’il est utile de reproduire les extraits pertinents suivants de la DSE 34 pour comprendre le conflit entre le plaignant et la défenderesse :

DSE 34 – Indemnités scolaires

Portée

Introduction

La présente directive a pour objet la prestation d’une aide financière aux fonctionnaires en service à l’étranger afin que leurs enfants à charge puissent faire des études élémentaires et secondaires comparables à celles qu’ils feraient au Canada et réintégrer avec le moins de difficulté possible le système scolaire canadien.

Une indemnité scolaire est versée aux fonctionnaires affectés à l’extérieur du Canada qui engagent les frais nécessaires pour les études que leurs enfants à charge feraient d’ordinaire gratuitement dans le système d’enseignement public ontarien ou son équivalent des autres provinces. L’indemnité scolaire permet à l’élève de faire un an de maternelle, un an de jardin, huit ans d’études élémentaires (six ans au Québec) et quatre ans d’études secondaires (cinq ans d’études secondaires plus deux ans d’études générales préuniversitaires – CÉGEP I et II – au Québec), jusqu’à et y compris l’année scolaire de son 21e anniversaire de naissance.

[…]

Enseignement compatible (compatible education) s’entend d’un système d’enseignement offrant un programme d’études et des services compatibles avec ceux qui sont normalement offerts gratuitement dans les établissements d’enseignement de l’Ontario, de la maternelle à la fin des études secondaires, compte tenu :

a) de l’attrait qu’il y a à maintenir l’enfant dans son programme scolaire; et

b) des antécédents scolaires de l’enfant et des autres facteurs personnels d’intérêt pour son éducation.

Indemnité scolaire (education allowance) s’entend d’une indemnité correspondant aux frais d’enseignement admissibles versée annuellement aux fonctionnaires en service à l’étranger afin que leurs enfants/élèves à charge puissent faire des études compatibles qui leur permettront de poursuivre leur programme scolaire et faciliteront leur réintégration pour l’année suivante dans un système d’enseignement public provincial à leur retour au Canada.

[…]

34.1.1 Conformément à la présente directive, l’administrateur général doit autoriser le versement d’une indemnité scolaire au fonctionnaire afin qu’un enfant/élève à charge puisse faire des études allant jusqu’à et y compris l’année scolaire de son 21e anniversaire de naissance, ce qui correspond :

a) aux programmes facultatifs de maternelle/jardin offerts par le ministère de l’Éducation de l’Ontario aux élèves âgés de trois ans et huit mois/quatre ans et huit mois au 1er septembre de l’année scolaire ou au 1er janvier de l’année scolaire dans l’hémisphère sud;

b) aux programmes d’école élémentaire équivalant aux niveaux de la 1re à la 8e année en Ontario ou de la 1re à la 6année au Québec, selon le cas; et

c) aux programmes d’école secondaire équivalant aux niveaux de la 9e à la 12e année en Ontario ou de Secondaire 1 au Secondaire 5 ainsi qu’aux études préuniversitaires générales CÉGEP I et II au Québec, le cas échéant.

[…]

34.1.5 Avant d’autoriser le versement d’une indemnité scolaire, l’administrateur général, sur la recommandation du comité interministériel compétent du service extérieur, doit considérer si l’établissement d’enseignement à l’étranger est compatible pour l’enfant/l’élève. Avant de prendre une décision sur la compatibilité d’un établissement pour un enfant/élève donné, l’administrateur général tient compte des conseils du plus haut fonctionnaire de la mission, de l’expérience pertinente des autres ministères qui y sont représentés et de l’opinion du fonctionnaire quant à la compatibilité des établissements au poste, en se basant sur les antécédents scolaires de l’enfant et sur les autres facteurs personnels influant sur son éducation. Il tient particulièrement compte de l’objectif d’assurer l’accès de l’enfant d’un fonctionnaire :

a) à l’enseignement dans la langue officielle appropriée, à savoir le français ou l’anglais, conformément à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (Droits à l’instruction dans la langue de la minorité);

b) à l’enseignement dans un milieu sûr, sain et sécuritaire;

c) à un programme raisonnablement compatible avec celui du ministère de l’Éducation de l’Ontario;

d) à un milieu sans problèmes attribuables à la ségrégation raciale ou à l’hostilité envers les étrangers;

e) à un enseignement sans instruction religieuse obligatoire incompatible;

f) à un enseignement catholique comparable à celui offert par le ministère de l’Éducation de l’Ontario, conformément au droit confirmé dans la Constitution du Canada;

g) à un enseignement dans un établissement où l’on ne manque pas de confiance envers le personnel, ni à l’égard du climat moral qui prévaut au sein de la population étudiante de l’école;

h) à un enseignement qui lui permettra de se maintenir dans son programme scolaire équivalent.

[…]

 

[26] Selon le plaignant, la DSE 34 n’exige pas nécessairement que l’enseignement à l’étranger soit en français ou en anglais. En se fondant uniquement sur la DSE 34.1.5a) pour rendre sa décision, le groupe de travail B a rendu obligatoire l’un des nombreux critères, sans tenir compte des autres critères.

[27] Selon le plaignant, la DSE 34 a pour objet d’assurer l’enseignement qui s’apparente aux normes canadiennes et qui permet aux enfants de réintégrer le système scolaire canadien avec le moins de perturbations possible. La décision a eu pour effet de refuser cette possibilité à ses belles-filles.

[28] La DSE 34 devrait être appliquée de façon juste et inclusive.

[29] Le plaignant a insisté sur le fait qu’on n’exige pas nécessairement que l’enseignement à l’étranger soit en français ou en anglais. Au contraire, l’indemnité scolaire vise à assurer la continuité de l’enseignement d’un enfant, à lui permettre de réintégrer le système scolaire canadien au même niveau.

[30] Le plaignant souligne que les critères, bien qu’importants, ne sont pas obligatoires. À la DSE 34.1.5f), le critère « un enseignement catholique », qui est évidemment une option à envisager, n’est pas obligatoire. Il a ajouté que la DSE 34.1.5 ne prévoit aucune exigence selon laquelle l’enseignement à l’étranger soit uniquement en français ou en anglais. Elle énonce plutôt que l’administrateur général « […] doit considérer si l’établissement d’enseignement à l’étranger est compatible pour l’enfant/l’élève. »

[31] Le plaignant a fait valoir que, puisque ses belles-filles n’étaient pas admissibles à un enseignement en français ou en anglais, il a choisi la meilleure solution pour leur permettre de réintégrer le système scolaire canadien, compte tenu du solide programme anglais à l’école et des séances supplémentaires avec un tuteur privé. L’extrait suivant indique le raisonnement du plaignant (et le fondement de son grief) :

[Traduction]

[…]

En refusant ma Demande de fréquenter une école qui ne figure pas sur la Liste des écoles compatibles, alors que ma personne à charge ne pouvait fréquenter aucune des écoles compatibles à mon affectation, le groupe de travail B ne m’a laissé aucune option disponible en vertu de la DSE 34. Je devais soit les envoyer à une école publique locale gratuite sans avoir un programme d’études raisonnablement compatible avec ceux du Canada ni le même niveau d’anglais pour leur permettre de réintégrer au Canada, soit payer moi-même des études plus compatibles avec la DSE 34. L’indemnité scolaire, au sens de la DSE 34, a pour objet de « faire des études compatibles qui leur permettront de poursuivre leur programme scolaire et faciliteront leur réintégration pour l’année suivante dans un système d’enseignement public provincial à leur retour au Canada ». J’ai choisi la meilleure option possible pour ce faire et, par conséquent, le refus de ma Demande de fréquenter une école qui ne figure pas sur la Liste des écoles compatibles n’est pas conforme à l’objectif de la DSE 34.

[…]

 

[32] À titre d’argument supplémentaire, le plaignant a affirmé que si les enfants avaient été au Canada, ils auraient pu fréquenter des écoles publiques anglophones ou francophones, sans exigence de compétence, comme dans les écoles compatibles figurant sur la liste.

[33] Enfin, le plaignant a souligné l’importance de clarifier l’application de la DSE 34 dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.

[34] M. Raven a répondu en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

Les DSE et les neuf autres directives supervisées par le Conseil national mixte (CNM) sont uniques dans le contexte des relations de travail pour diverses raisons. En premier lieu, contrairement aux conventions collectives qui sont négociées entre un employeur et un agent négociateur (syndicat) représentant une seule unité de négociation ou un petit groupe d’unités de négociation, les directives du CNM sont « élaborées conjointement » (négociées) par des comités du CNM qui comprennent des représentants de plusieurs ministères et de plusieurs agents négociateurs […] En deuxième lieu, contrairement aux conventions collectives individuelles qui ne s’appliquent qu’à l’unité de négociation dont l’agent négociateur les a négociées et signées, les directives du CNM s’appliquent à l’ensemble du secteur public fédéral.

Les directives du CNM sont également très différentes en ce qui concerne le règlement des griefs. Alors que l’objectif entre parfois en jeu dans le règlement des griefs portant sur le libellé des conventions collectives, un grief portant sur l’administration d’une directive du CNM doit être tranché en fonction de l’objectif de la directive en question. L’article 15.1.2 du Règlement du CNM se lit comme suit :

15.1.2 Tous les griefs définis en vertu de la LRTFP et présentés en vertu de la présente procédure de règlement des griefs sont tranchés en conformité avec l’esprit de la directive ou de la politique ayant donné lieu au litige.

Compte tenu de ce qui précède, il existe une raison pour laquelle, en plus d’« élaborer conjointement » le libellé de chaque directive, les comités du CNM sont chargés d’entendre les griefs liés à leurs propres directives – alors que d’autres peuvent spéculer quant à l’objectif d’un texte particulier au sein d’une directive précise (ou de l’objectif général de l’ensemble d’une directive), seules les personnes qui étaient réellement à la table lorsque le libellé en question a été négocié peuvent répondre aux questions : « Quelle était notre intention lorsque nous avons accepté ce libellé en particulier? » et « Cet employé est-il traité conformément à l’objectif que nous avons envisagé pour ce libellé en particulier? »

Dans le contexte des préoccupations des membres de l’APASE liées aux DSE, en tant que membre du Comité des DSE, je suis bien placé pour répondre à deux principales questions, à savoir :

1. Ce membre est-il traité conformément à l’objectif de la directive en question?

2. Si un grief portant sur cette préoccupation particulière devait éventuellement être entendu par le Comité des DSE du CNM, comment chaque membre du comité est-il susceptible de réagir?

Cela étant dit, même si je comprends toujours les arguments que vous avez présentés, je ne vois malheureusement pas de voie à suivre en ce qui concerne un grief. Malheureusement, ma position demeure que la DSE 34 n’avait pas pour objectif d’offrir des études aux personnes à charge dans un établissement dont la principale langue d’enseignement n’est pas le français ou l’anglais, comme ce serait le cas dans toute école financée par l’État en Ontario, et je m’attends à ce que mes collègues du Comité des DSE soient d’accord avec moi. Une autre façon de voir les choses serait de poser la question suivante : « Si vous aviez été rapatrié au Canada avant que vos personnes à charge puissent commencer leurs études dans l’établissement en question, auriez-vous pu inscrire à l’école d’Ottawa-Gatineau vos personnes à charge dont la principale langue d’enseignement n’était ni le français ni l’anglais, sans frais?

[…]

 

[35] M. Raven a ensuite ajouté que la DSE 56 – « Indemnités incitatives de service extérieur » (qui comprend une prime de service extérieur) pourrait servir à couvrir des coûts imprévus, en déclarant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] les dépenses engagées relativement à l’enseignement de vos personnes à charge dans une école dont la principale langue d’enseignement n’est ni le français ni l’anglais pourraient peut-être être considérées comme des dépenses découlant de votre service à l’étranger qui ne sont pas visées par ailleurs par les DSE et qui, par conséquent, peuvent être considérées comme convenables aux fins de compensation à même les fonds fournis en vertu de la DSE 56.

[…]

 

[36] Le plaignant a répondu à l’argument de M. Raven selon lequel si les enfants avaient été au Canada, ils n’auraient pas pu s’inscrire dans une école publique qui n’était ni française ni anglaise, de la façon suivante :

[Traduction]

[…]

Si j’avais été rapatrié au Canada auparavant, ce qui était probable, j’aurais pu inscrire mes personnes à charge dans le système scolaire public afin qu’elles puissent poursuivre leurs études en anglais ou en français, une possibilité que je n’avais pas à l’endroit de la mission. C’est exactement la raison pour laquelle je les ai inscrites dans une école qui offrait de bons cours d’anglais. La décision de me refuser une indemnité scolaire a eu pour effet de me placer dans une situation moins favorable que celle par rapport ma situation si j’étais affecté au Canada, contrairement à l’un des principes fondamentaux des DSE. Je ne peux pas être convaincu que la DSE 56 offre une indemnité pour cette situation.

[…]

 

[37] Le plaignant a demandé quelles autres mesures il pouvait prendre pour faire valoir ses arguments. M. Raven lui a dit qu’il pouvait écrire au directeur général de la défenderesse. Dans ses arguments, le plaignant a mentionné qu’il n’avait pas été informé qu’il pouvait avoir un recours auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

[38] Le plaignant a écrit au directeur général de la défenderesse, soutenant que la réponse qu’il avait reçue de M. Raven était arbitraire. M. Raven n’avait pas examiné les arguments présentés par le plaignant. Il a répété son argument fondamental, à savoir que le plaignant s’était vu refuser l’indemnité scolaire pour l’option qui correspondait le mieux aux normes scolaires canadiennes et qui aurait permis à ses enfants de réintégrer le système scolaire canadien. Le directeur général de la défenderesse a confirmé la décision de ne pas donner suite au grief.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

[39] Le plaignant soutient que M. Raven n’a pas examiné ses arguments de manière sérieuse. Il a plutôt répété la conclusion du groupe de travail B sans tenter de fournir une décision motivée quant aux raisons pour lesquelles le plaignant ne pouvait pas présenter une autre interprétation de la DSE 34.

[40] Le plaignant cite la décision Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509 (Gagnon), et souligne que lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire dans le traitement des griefs, le syndicat (en vertu de la Loi, l’agent négociateur) doit effectuer une étude approfondie du grief et du cas, et sa représentation doit être équitable et authentique et non pas simplement apparente.

[41] Selon le plaignant, lorsqu’il a décidé de ne pas donner suite au grief, [traduction] « […] M. Raven n’a pas examiné la question de façon approfondie, équitable, authentique, raisonnable et minutieuse ». Il a agi de manière arbitraire et discriminatoire.

1. Caractère arbitraire

[42] La plaignante a cité de la jurisprudence à l’appui de ses arguments. Je reviendrai sur la jurisprudence pertinente dans mon analyse.

[43] Le caractère « arbitraire » a été défini comme l’insuffisance ou le manque de diligence de la part d’un agent négociateur dans le traitement d’un grief ou d’un cas ou comme le fait de ne pas tenir compte de manière adéquate des intérêts d’un employé. Les agents négociateurs ont le devoir de « réfléchir » (Gagnon).

[44] M. Raven a agi de façon arbitraire ou négligente, comme le démontrent ses actions suivantes :

· il n’a pas informé le plaignant que le soutien de la défenderesse était nécessaire pour un grief lié à une DSE;

 

· il n’a pas enquêté de manière suffisante sur les arguments du plaignant;

 

· il a exagéré son expertise et son expérience en matière de DSE sans étayer son interprétation;

 

· il a commis une erreur dans son interprétation de la DSE 34 quant au critère linguistique et à la comparabilité;

 

· il n’a pas recommandé un recours auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

 

[45] Le plaignant soutient que s’il avait su dès le départ que le soutien de la défenderesse était nécessaire, il aurait présenté tous ses arguments à M. Raven plus tôt.

[46] Le plaignant fait valoir que M. Raven n’a jamais vraiment répondu à ses préoccupations et à ses arguments. Le plaignant conteste également le fait que M. Raven ait insisté sur le fait qu’il était à la table lorsque la DSE 34 a été négociée, puisqu’elle a été négociée bien avant que la défenderesse l’embauche.

[47] En fait, le refus de M. Raven de déposer un grief a privé le plaignant de la possibilité de faire valoir ses arguments devant le Comité exécutif du CNM. Ce faisant, M. Raven a agi à titre de membre du Comité des DSE du CNM, plutôt qu’à titre de représentant des intérêts du plaignant.

[48] Le plaignant soutient que M. Raven a commis une erreur dans son interprétation de la DSE 34 en ce qui concerne l’enseignement à l’étranger qui doit être en français ou en anglais et dans son application du principe de comparabilité.

[49] Il suffit, aux fins de la présente décision, de déclarer que le plaignant et M. Raven étaient en désaccord à l’égard de ces points. Il ne s’agit pas du forum où faire valoir ces points, et je n’ai pas besoin d’aller plus loin pour présenter le point de vue du plaignant.

2. Discrimination

[50] Le plaignant allègue également que le comportement de la défenderesse était discriminatoire. La discrimination fondée sur le manque de maîtrise de l’une ou l’autre des langues officielles du Canada peut être liée à des motifs énoncés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6)), comme l’origine nationale ou ethnique.

[51] Le plaignant fait valoir que l’interprétation du groupe de travail B (que M. Raven a approuvée) a eu un effet discriminatoire puisqu’elle l’a privé d’une prestation (l’indemnité scolaire) en raison du manque de compétence en anglais ou en français de ses personnes à charge. Autrement dit, il a soutenu que [traduction] « […] M. Raven a choisi d’interpréter et d’appliquer la DSE 34, un texte qui n’est pas discriminatoire à première vue, de manière discriminatoire ».

B. Pour la défenderesse

[52] La défenderesse soutient que sa décision de ne pas appuyer le grief du plaignant était [traduction] « bien motivée et clairement communiquée ».

[53] La défenderesse s’oppose aux allégations du plaignant selon lesquelles l’expertise de M. Raven est remise en question. Elle soutient que puisqu’il a joué un rôle de premier plan dans l’examen des DSE de 2017 à 2019, M. Raven possède une expérience considérable en matière de négociation et d’application des DSE.

[54] La défenderesse fait valoir que sa décision de ne pas donner suite à un grief concernant le remboursement des frais de scolarité privés pour les belles-filles du plaignant n’était ni arbitraire ni discriminatoire.

[55] La défenderesse est d’avis que l’adoption de la position du plaignant relative à la DSE 34 l’aurait obligé à modifier considérablement son interprétation de la directive, ce qui concorde avec la conclusion du groupe de travail B. La DSE 34 a pour objet de veiller à ce que les enfants à charge reçoivent à l’étranger un enseignement qui se rapproche de l’enseignement public canadien et qui leur permet de réintégrer le système scolaire canadien.

[56] Cette directive ne s’applique tout simplement pas aux belles-filles du plaignant, qui ne réintégreront pas le système lorsque le plaignant reviendra au Canada, puisqu’elles n’ont jamais fait partie du système scolaire canadien. La position de la défenderesse est expliquée comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] Selon l’interprétation de l’APASE de l’objectif de la DSE 34, la Directive vise l’enseignement où la langue d’enseignement est l’anglais ou le français. Elle ne vise pas à permettre aux employés de couvrir l’enseignement privé quelconque en supposant que l’enseignement en espagnol offert par le système scolaire public à Buenos Aires est moins comparable à l’enseignement public canadien que l’école privée préférée du plaignant.

[…]

 

[57] La défenderesse défend son interprétation de la DSE 34 à l’aide d’arguments visant à répondre à la position du plaignant, que je n’ai pas l’intention de résumer. Je ne me prononce pas sur la bonne interprétation de la DSE 34, mais plutôt sur la question de savoir si la défenderesse a examiné la position du plaignant de manière sérieuse.

[58] La défenderesse soutient que le rôle de la Commission ne consiste pas à remettre en question l’interprétation de la convention collective par un agent négociateur. Elle doit plutôt se demander si l’agent négociateur a examiné la situation et les arguments de l’employé de manière sérieuse.

[59] La défenderesse soutient que c’est ce qu’elle a fait. Elle fait également valoir qu’elle dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer quels griefs devraient être poursuivis et quels griefs ne devraient pas l’être. Elle peut choisir de ne pas présenter un grief à condition qu’elle [traduction] « examine le grief de manière rationnelle et réfléchie ».

[60] Un agent négociateur peut interpréter incorrectement une convention collective et l’employé peut ne pas souscrire à la décision de l’agent négociateur de ne pas le représenter, mais il ne s’agit pas de manquements au devoir de représentation équitable. Selon la jurisprudence, il y a manquement lorsque l’agent négociateur agit de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Cependant, ce n’était pas le cas ici.

[61] Voici l’argument principal de la défenderesse pour contrer l’allégation du plaignant selon laquelle il y a eu violation de l’article 187 de la Loi : [traduction] « […] même si le plaignant avait raison en ce qui a trait à l’objectif de la DSE 34, l’APASE a donné une justification convaincante quant à la raison pour laquelle elle a refusé de donner suite au grief. »

[62] Le différend concernant l’interprétation de la DSE 34 ne peut fonder une plainte en vertu de l’article 187 de la Loi; il faut accorder une discrétion considérable à l’agent négociateur dans son interprétation de la convention collective. Son interprétation de la DSE 34 n’est pas arbitraire puisqu’elle est fondée sur le libellé de la directive. Même si ce point est erroné, encore une fois, cela ne constituerait pas une violation de l’article 187.

[63] La façon dont le plaignant a été victime de discrimination n’est pas claire. Au mieux, il pourrait affirmer une discrimination fondée sur la situation de famille. Il n’a pas été victime de discrimination fondée sur son origine ethnique, son origine nationale ou ses compétences linguistiques. Selon l’allégation, ses belles-filles sont victimes de discrimination. En fait, l’allégation concernant l’enseignement ni en français ni en anglais ne constitue pas un avantage offert à qui que ce soit. Par conséquent, il ne pouvait pas être discriminatoire de ne pas l’offrir à l’égard des belles-filles du plaignant.

[64] En conclusion, la défenderesse soutient qu’elle n’a pas agi de manière arbitraire ou discriminatoire lorsqu’elle a refusé de donner suite au grief du plaignant. Elle a examiné ses arguments de manière sérieuse, mais elle a estimé que le grief n’aurait aucune chance de succès.

IV. Motifs

[65] Le devoir de représentation équitable découle de l’article 187 de la Loi, qui se lit comme suit :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

 

[66] Cette disposition découle de la jurisprudence élaborée sur le devoir de représentation équitable que les syndicats doivent à leurs membres, commençant par l’arrêt de principe Gagnon. Le passage cité souvent (à la page 527) de cet arrêt se lit comme suit :

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

 

[67] Dans le contexte de la Loi, la correspondance n’est pas exacte. En vertu de l’article 208, les employés peuvent déposer un grief concernant leurs conditions d’emploi sans être représentés par un agent négociateur et peuvent renvoyer à l’arbitrage les griefs relatifs aux mesures disciplinaires et au licenciement, également sans représentation. La représentation devient une condition d’un grief (et de son renvoi à l’arbitrage) s’il comporte l’interprétation d’une convention collective, comme il en est ainsi dans le présent cas.

[68] La défenderesse a souligné à juste titre qu’un agent négociateur dispose d’un grand pouvoir discrétionnaire lorsqu’il décide s’il doit donner suite à un grief.

[69] Un simple désaccord ne justifie pas une conclusion selon laquelle l’agent négociateur a manqué à son devoir de représentation équitable (voir Collins c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 29). L’agent négociateur peut commettre une erreur dans son interprétation de la convention collective, à condition que l’erreur ne soit pas commise de manière arbitraire ou discriminatoire (voir McFarlane c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2015 CRTEFP 27.)

[70] Pour en revenir au libellé de l’article 187 de la Loi, l’agent négociateur ne doit pas agir « […] d’une manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur ».

[71] Le plaignant soutient que M. Raven a agi de manière arbitraire et discriminatoire.

[72] Je ne suis pas d’accord pour dire que tous les points soulevés par le plaignant indiquent un comportement arbitraire de la part de la défenderesse. Le fait que la défenderesse ne lui ait pas dit immédiatement qu’il avait besoin de son soutien pour le grief et qu’il n’ait pas mentionné le recours auprès de la Commission canadienne des droits de la personne sont des erreurs qui ne constituent pas une véritable négligence. Il a été informé assez tôt qu’il devait être représenté pour donner suite à son grief. L’agent négociateur n’est pas tenu de conseiller des recours devant des organismes qui ne relèvent pas de la portée de la Loi.

[73] Je ne peux pas me prononcer sur la question de savoir si M. Raven avait raison ou tort dans son interprétation de la DSE 34. Je reconnais qu’il possède une connaissance approfondie des DSE, y compris la DSE 34. Toutefois, je suis d’accord avec le plaignant pour dire qu’il semble que M. Raven n’a pas examiné la situation particulière du plaignant.

[74] M. Raven a fait valoir au plaignant que les DSE constituent une série particulière de dispositions. Elles ne sont pas négociées à la table de négociation entre un employeur et un agent négociateur accrédité, mais elles sont plutôt élaborées conjointement par des représentants d’employeurs du secteur public fédéral et d’agents négociateurs.

[75] Cela dit, la compétence de la Commission sur les DSE découle du fait que toutes les directives du CNM sont réputées faire partie de toutes les conventions collectives. De même, le droit d’un employé de contester l’application d’une directive du CNM est énoncé à l’article 208 de la Loi, qui exige que l’agent négociateur soutienne tout grief concernant l’interprétation ou l’application d’une convention collective.

[76] J’estime que cette condition accroît l’examen minutieux que la Commission doit effectuer à l’égard de la représentation d’un agent négociateur. Un employé qui est lésé par l’interprétation d’une convention collective par l’employeur doit avoir le soutien de son agent négociateur. Cela est compréhensible, car il serait contraire au régime de négociation collective qu’un fonctionnaire s’estimant lésé conteste les conditions négociées par son agent négociateur. En ce qui concerne les DSE, la procédure de règlement des griefs est quelque peu différente, mais le point est le même : un fonctionnaire s’estimant lésé doit avoir le soutien de l’agent négociateur, puisque tous les agents négociateurs ont accepté les directives élaborées conjointement du CNM.

[77] Dans le présent cas, le plaignant souhaite contester l’application de la DSE 34 à sa situation. Il soutient que l’interprétation de son employeur, fondée sur la recommandation du groupe de travail B, était contraire à l’objectif de la DSE 34.

[78] Il n’appartient pas à la Commission de remettre en question l’évaluation que font les agents négociateurs des forces et des faiblesses d’un grief dans le cadre d’une plainte de manquement au devoir de représentation équitable devant la Commission. Selon la norme de la Commission, tant que l’agent négociateur a examiné de manière sérieuse la situation d’un employé, cela suffit pour lui permettre de s’acquitter de son devoir.

[79] Dans le présent cas, je ne suis pas convaincue que M. Raven a vraiment tenu compte du point de vue du plaignant.

[80] M. Raven affirme que l’objectif était d’offrir à l’étranger la possibilité d’un enseignement en français ou en anglais. Le plaignant est d’avis que l’objectif était de faire en sorte que les enfants d’employés affectés à l’étranger puissent réintégrer le système scolaire canadien avec le moins de perturbation possible.

[81] Je trouve révélateur le raisonnement de M. Raven selon lequel le plaignant ne pourrait pas obtenir un enseignement public au Canada dans une langue autre que le français ou l’anglais. Par conséquent, la règle s’applique également à l’extérieur du Canada.

[82] Le plaignant ne met pas l’accent sur la langue, mais sur l’enseignement de ses belles-filles. Le principe de comparabilité, un des principes d’interprétation des DSE, devrait se voir accorder un certain poids. L’argument du plaignant selon lequel, au Canada, ses belles-filles seraient acceptées au même niveau, avec une aide corrective en français ou en anglais, mérite d’être pris en considération.

[83] Même si M. Raven a offert au plaignant la possibilité de présenter tous ses arguments et a proposé l’application de la DSE 56, sa conviction qu’il comprenait l’objectif l’a empêché d’être ouvert à toute autre interprétation possible.

[84] Je comprends que le rôle d’un agent négociateur est souvent de rappeler à la réalité les employés qui sont convaincus d’avoir raison. Toutefois, dans le présent cas, la mesure prise par la défenderesse aurait pu empêcher de donner suite à un grief légitime.

[85] La réticence de M. Raven de déposer le grief était fondée sur son défaut de répondre aux nombreux arguments du plaignant au sujet de l’enseignement de ses belles-filles en vue de réintégrer (ou, dans leur cas, d’entrer) le système scolaire canadien, ce qui, selon lui, correspondait au véritable objectif de la DSE 34.

[86] Je tiens à mesurer mes propos, car le désaccord entre le plaignant et la défenderesse n’est pas le fondement de ma décision. La Commission a rejeté de nombreuses plaintes déposées en vertu de l’article 187 de la Loi dans lesquelles les plaignants étaient convaincus qu’ils avaient raison et les agents négociateurs ont refusé d’appuyer leurs griefs parce qu’à leur avis, les griefs avaient peu ou pas de chances de succès ou ne justifiaient pas l’attribution nécessaire de ressources.

[87] Le critère est la mesure dans laquelle l’agent négociateur a examiné de manière sérieuse les arguments de l’employé qui souhaite contester une décision de l’employeur. Dans Gagnon, à la page 520, la Cour suprême du Canada cite avec approbation une décision d’une commission des relations de travail qui définit le rôle du syndicat de la façon suivante :

[…]

[…] Enfin, un syndicat ne doit pas agir arbitrairement ni, de façon négligente, méconnaître les intérêts d’un employé. Il doit au contraire se pencher sur les problèmes qui lui sont soumis et réfléchir sur les mesures à prendre après avoir examiné les différents éléments pertinents et opposés.

[…]

 

[88] Dans le présent cas, il ne fait aucun doute que M. Raven a répondu rapidement aux demandes du plaignant et qu’il avait une connaissance approfondie de la question en litige, soit l’interprétation de la DSE 34. Malheureusement, cette même connaissance lui a fermé l’esprit et a mené à une analyse superficielle du point de vue du plaignant.

[89] La Commission a souvent affirmé qu’il ne s’agit pas de décider si l’agent négociateur avait raison ou tort, mais plutôt de déterminer s’il a examiné l’affaire de manière sérieuse. Tel que cela a été affirmé dans Fontaine c. Robertson, 2021 CRTESPF 19 :

[…]

[26] La Commission n’est pas un mécanisme d’appel contre un refus de représentation à l’arbitrage. Le rôle de la Commission n’est pas de remettre en question la décision de l’agent négociateur, mais plutôt de statuer, sur la base de la preuve soumise, sur le processus décisionnel de l’agent négociateur, et non sur le bien-fondé de sa décision. Le rôle de la Commission ne consiste pas à décider si la décision de Mme Robertson de ne pas représenter le plaignant à l’arbitrage était correcte ou non. La Commission doit plutôt décider si les défenderesses ont agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire dans le cadre du processus décisionnel menant à cette décision.

[…]

 

[90] Il semble évident, d’après les réponses de M. Raven, qu’il n’a jamais sérieusement envisagé un grief. Elle était lettre morte parce que M. Raven ne tenait compte que de la condition linguistique de l’anglais et du français au lieu de tenir compte de l’enseignement dans son ensemble. Il ne s’agissait pas d’un exemple d’étude approfondie du grief, conformément à Gagnon.

[91] Dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, la Cour suprême du Canada a défini la signification de l’élément arbitraire dans le contexte d’une plainte relative au devoir de représentation équitable d’un syndicat :

[…]

50 Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée possible. On devrait aussi tenir compte des ressources de l’association, ainsi que des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation. L’association jouit donc d’une discrétion importante quant à la forme et à l’intensité des démarches qu’elle entreprendra dans un cas particulier […]

[…]

 

[92] Dans le présent cas, j’estime que l’analyse superficielle est arbitraire.

[93] Je tiens à préciser que la présente décision n’indique pas la façon dont le grief serait finalement réglé. Cependant, le plaignant a droit à un examen approfondi de ses arguments. La défenderesse a le devoir de bien représenter les intérêts du plaignant.

[94] Le plaignant a également fait valoir que lorsque la défenderesse n’a pas donné suite au grief, elle a agi de manière discriminatoire.

[95] Selon le raisonnement de la défenderesse, la DSE 34 ne s’appliquait pas aux personnes à charge du plaignant, car elles ne réintégreraient pas le système scolaire canadien, puisqu’elles viendraient au Canada pour la première fois pour leurs études. À première vue, il s’agit d’une discrimination fondée sur l’origine nationale et la situation de famille – le plaignant a été privé d’un avantage, soit l’indemnité scolaire, parce que ses belles-filles sont d’origine étrangère, et ce refus d’avantage était directement lié à leur origine étrangère.

[96] La réponse de la défenderesse à l’allégation de discrimination est que le plaignant n’est pas victime de discrimination et que le choix du gouvernement fédéral de financer l’enseignement à l’extérieur du Canada uniquement dans les langues officielles du Canada ne peut être qualifié de discriminatoire.

[97] La défenderesse n’aborde pas vraiment la question de la discrimination fondée sur la situation de famille et l’origine nationale. Toutefois, la discrimination apparente découle de son interprétation de la DSE 34, selon laquelle elle ne peut s’appliquer aux personnes à charge nées à l’étranger qui n’ont pas encore vécu au Canada et qui ne maîtrisent aucune des deux langues officielles.

[98] Je ne conclurais pas que le comportement de la défenderesse était discriminatoire. La distinction faite semble inhérente à la DSE 34, qui porte sur la réintégration dans le système scolaire canadien, et non sur l’entrée dans ce dernier. Il se peut que la discrimination réside dans la façon dont la DSE 34 est appliquée à l’égard du plaignant, mais ce n’est pas la décision de la défenderesse.

[99] J’ai déjà conclu que la défenderesse n’avait pas effectué une analyse approfondie de la situation et avait donc manqué à son devoir de représentation équitable.

[100] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[101] La plainte est accueillie.

[102] La défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable lorsqu’elle n’a pas effectué une analyse approfondie des arguments du plaignant.

[103] La défenderesse doit réexaminer sa décision de ne pas appuyer le grief du plaignant.

Le 21 juin 2024.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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