Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
Le plaignant a déposé un grief, alléguant que l’employeur avait fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa déficience en ne lui fournissant pas un milieu de travail sécuritaire et exempt de harcèlement et qu’il avait enfreint l’article de la convention collective relatif aux évaluations du rendement des employés – au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, son représentant a changé et la défenderesse a retiré son appui – il a donc déposé une plainte, alléguant que la défenderesse avait manqué à son devoir de représentation équitable – il a allégué que la défenderesse avait agi de façon arbitraire et de mauvaise foi lorsqu’elle ne l’a pas informé des motifs de sa décision de retirer son appui – la Commission a conclu que la défenderesse n’avait pas fait preuve de négligence ou d’un manque de sincérité dans l’évaluation du dossier du plaignant – le représentant a examiné tous les documents qui avaient été soumis et a conclu que le grief n’avait aucune chance raisonnable de succès – le plaignant a allégué que la défenderesse ne lui avait pas fourni d’information sur la possibilité de poursuivre le processus sans son appui – le grief à l’origine de la plainte portait sur l’interprétation et l’application d’une convention collective – le plaignant ne pouvait pas poursuivre le processus à moins que la défenderesse ne l’appuie et le représente – par conséquent, il n’y a pas eu de manquement de la part de la défenderesse – en ce qui concerne les autres possibilités de recours, la Commission a noté dans les documents du plaignant qu’il semblait en connaître certaines – il a allégué que la défenderesse avait agi de mauvaise foi et qu’elle avait fait preuve de discrimination à son égard en refusant de reconnaître et de considérer sa déficience comme un facteur dans son cas, en lui refusant les mesures d’adaptation qu’il avait demandées, soit de communiquer avec lui principalement par écrit et d’affecter un nouveau représentant à son cas, et en le traitant avec un certain manque de respect et une certaine hostilité – la Commission a déterminé qu’il avait clairement déclaré qu’il avait une déficience et que la défenderesse en était consciente, et que la situation sous-jacente à la plainte était fondée sur des allégations de manquement à l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation – la Commission a entrepris une analyse des aspects de fond et de procédure de la façon dont la défenderesse avait traité le cas du plaignant – sur le fond, le représentant a clairement expliqué que la principale raison de la décision de la défenderesse de retirer son soutien était qu'elle ne pensait pas que les preuves étayaient une allégation de discrimination – la défenderesse a également conclu qu'elle ne serait pas en mesure de démontrer que l'évaluation du rendement du plaignant contrevenait à la convention collective, étant donné qu'il n'y avait pas de preuve de discrimination de la part de l'employeur en raison de sa déficience – le représentant a également tenu compte du fait que la déficience n’avait pas été divulguée aux gestionnaires chargés d’évaluer son travail et qu’un consultant externe neutre avait examiné l’évaluation – sur le plan procédural, le plaignant a suggéré que la défenderesse n’avait pas respecté sa demande de mesure d’adaptation consistant à correspondre exclusivement par écrit et à affecter un nouveau représentant à son cas – tous les faits et documents allégués qui tombaient dans cette période de 90 jours n’ont pas démontré que la demande avait été faite pendant cette période – après que la demande a été faite, la communication a été assurée par écrit, comme le plaignant l’avait jugé nécessaire – il a allégué que le représentant l'avait traité de manière capricieuse et avec hostilité – la Commission n’a pas trouvé de signes d’hostilité entre lui et le représentant, mais seulement quelques signes de désaccord dans leurs analyses respectives du cas – la Commission a conclu que le plaignant n’avait pas démontré une cause défendable selon laquelle la défenderesse avait fait preuve de discrimination à son égard.
Plainte rejetée.
Contenu de la décision
Date: 20240702
Dossier: 561-02-46490
Référence: 2024 CRTESPF 87
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral et
Loi sur les relations de travail
dans le secteur public fédéral
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ENTRE
Marc Kemp
plaignant
et
Alliance de la Fonction publique du Canada
Répertorié
Kemp c. Alliance de la Fonction publique du Canada
Devant : Pierre Marc Champagne, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le plaignant : Mitchell R. Hayward, avocat
Pour la défenderesse : Sandra Gaballa, Alliance de la Fonction publique du Canada
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 16 janvier, le 28 février, le 31 mars et les 8 et 9 juin 2023.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION
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(TRADUCTION DE LA CRTESPF)
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I. Plainte devant la Commission
[1] Marc Kemp (le « plaignant ») fait partie de la fonction publique fédérale depuis plus de 30 ans. Il a occupé différents postes auprès de plusieurs ministères avant de se joindre à Sécurité publique Canada (l’« employeur ») en 2016 à titre d’agent régional de programmes. Lorsqu’il a déposé la présente plainte, son poste était classifié au groupe et au niveau PM-04 et son agent négociateur accrédité était l’Alliance de la Fonction publique du Canada. Le plaignant est membre du Syndicat des employé-e-s de la Sécurité et de la Justice (SESJ), qui est un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada. Dans la présente décision, les termes « syndicat » et « défenderesse » font référence à l’une ou l’autre des entités ou aux deux entités.
[2] En mars 2022, le plaignant a déposé un grief, alléguant que l’employeur avait contrevenu à la convention collective conclue entre la défenderesse et le Conseil du Trésor pour le groupe Services des programmes et de l’administration, qui a expiré le 20 juin 2021 (la « convention collective »). Plus particulièrement, le grief comporte une allégation selon laquelle l’employeur a fait preuve de discrimination à son égard lorsqu’il ne lui a pas fourni un milieu de travail sécuritaire et exempt de harcèlement et qu’il a contrevenu à l’article de la convention collective portant sur les examens du rendement des employés.
[3] À l’origine, la défenderesse a appuyé le grief, mais elle a retiré son appui après que le grief a été renvoyé au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Par conséquent, le plaignant a présenté la présente plainte, alléguant que la défenderesse avait manqué à son devoir de représentation équitable en vertu de l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). La défenderesse nie les allégations du plaignant et demande que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») rejette sommairement la plainte au motif qu’elle est prétendument hors délai ou ne démontre par une cause défendable.
[4] L’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) autorise la Commission à trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience (voir Walcott v. Public Service Alliance of Canada, 2024 FCA 68, au par. 4). Étant donné que les parties ont eu l’occasion de déposer des arguments supplémentaires, je suis convaincu qu’il est possible de trancher la demande préliminaire de la défenderesse visant à rejeter la plainte sur la base des documents versés au dossier, ainsi que des arguments écrits des parties.
[5] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la plainte ne démontre pas une cause défendable selon laquelle la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable énoncé à l’article 187 de la Loi.
II. Contexte de la plainte
[6] Le plaignant soutient qu’il souffre de problèmes de santé mentale découlant de son travail sur les lignes de front militaires effectué il y a quelques années. En fait, il affirme qu’en 2004, les Forces armées canadiennes et Anciens Combattants Canada l’ont évalué sur le plan médical et qu’il a obtenu plusieurs diagnostics d’invalidité, y compris le trouble de stress post-traumatique (TSPT).
[7] En 2021 et en 2022, le médecin du plaignant a fourni de multiples opinions médicales à l’employeur au cours de son emploi, car il avait demandé des mesures d’adaptation. Un certain nombre d’opinions médicales ont également été données à l’employeur en réponse à une évaluation de son aptitude au travail qu’il avait exigée en 2021. Il affirme que ces opinions médicales auraient été fournies au syndicat et qu’au moins une partie de ces documents médicaux ont été présentés à la Commission à l’appui de la plainte.
[8] Le plaignant allègue que, tout au long de son emploi chez l’employeur, il a continuellement été victime de harcèlement et d’intimidation de la part d’autres membres du personnel. Il explique également qu’il a été victime de harcèlement sexuel et personnel de la part de certains de ses gestionnaires. De plus, il aurait été victime de discrimination dans certains processus de dotation ou de promotion internes et externes. Ces incidents auraient exacerbé son stress et déclenché son TSPT.
[9] Lorsqu’il a signalé ces situations à l’employeur, ses supérieurs auraient principalement refusé ou omis de prendre des mesures pour y remédier. En fin de compte, l’employeur a embauché un enquêteur externe en 2021 pour effectuer une évaluation du milieu de travail, afin de régler les conflits et les préoccupations de longue date soulevés par son personnel et sa direction en 2018 et en 2019. Un rapport a conclu que, même si certains problèmes avaient été relevés, les conflits et les préoccupations de longue date semblaient avoir été réglés en grande partie. Toutefois, le plaignant croit que les conditions qui ont donné lieu à l’enquête externe n’ont pas été réglées par l’employeur et existaient toujours au moment où il a présenté la plainte.
[10] En raison des effets préjudiciables découlant de son invalidité, le plaignant a dû prendre des congés intermittents entre février 2021 et janvier 2022, parfois pour des périodes prolongées. Présumément, selon une assurance verbale d’un représentant syndical selon laquelle des mesures seraient prises pour régler le milieu de travail toxique, il est retourné au travail en 2022, pour ensuite se faire remettre par l’employeur une évaluation du rendement indiquant que son rendement au travail devait être amélioré. Il qualifie son travail tout au long de son mandat auprès de l’employeur d’exemplaire, ce qui est appuyé par une prime spéciale et la reconnaissance de ses 30 années de service dans la fonction publique, qu’il a reçus en février et en mars 2021.
[11] En mars 2022, le syndicat, au nom du plaignant, a déposé un grief en vertu de la convention collective afin de régler les situations liées à la discrimination dont il a été victime et à l’évaluation du rendement qu’il a reçue de l’employeur. L’employeur a rejeté le grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs.
[12] En août 2022, avec le consentement de l’employeur, le syndicat a transmis le grief du plaignant au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. À ce stade, le représentant syndical du plaignant est devenu Jean-Yves Lebel, puisqu’il s’occupe normalement des griefs au troisième palier pour la défenderesse. Toutefois, le plaignant affirme qu’à partir de ce moment-là, il a eu des problèmes persistants avec M. Lebel.
[13] Le plaignant et M. Lebel auraient eu de multiples conversations entre le 12 août et le 16 octobre 2022. Le plaignant estimait que M. Lebel ne comprenait pas son invalidité et que le comportement de M. Lebel était excessivement et inutilement hostile. Il aurait communiqué cette impression à M. Lebel, mais ces préoccupations auraient été ignorées et écartées.
[14] Afin de pallier son invalidité, le plaignant déclare qu’il a demandé que M. Lebel communique avec lui par courriel, puisqu’il avait de la difficulté à se souvenir des détails de leurs conversations téléphoniques. M. Lebel aurait refusé cette demande et exigé que le plaignant n’ait que des conversations téléphoniques avec lui.
[15] Même si le paragraphe 190(2) de la Loi établit clairement que seuls les faits survenus dans les 90 jours précédant la présentation de la plainte peuvent en faire partie, la Commission peut tenir compte des faits qui ont précédé ces 90 jours dans son analyse du contexte de la plainte (voir Perron c. Syndicat des Douanes et de l’Immigration, 2013 CRTFP 13, au par. 23). C’est ainsi que la grande partie des faits et des renseignements énoncés jusqu’à maintenant dans la présente section seront pris en considération dans le cadre de la présente décision relative à la plainte.
[16] Toutefois, en ce qui concerne le respect du délai de présentation de la plainte elle-même, dans leurs arguments, les deux parties reconnaissent qu’en vertu du paragraphe 190(2) de la Loi, seuls les faits et les allégations qui sont survenus entre le 18 octobre 2022 et le 16 janvier 2023 sont pertinents aux fins de la présente affaire. Par conséquent, il n’y a pas de véritable débat quant au respect du délai de présentation de la plainte en soi.
III. Faits et allégations pertinents pour la plainte
[17] Dans les délais énoncés pour l’application du paragraphe 190(2) de la Loi, les arguments versés au dossier font principalement référence à quatre dates particulières et indiquent des faits précis liés à ces dates.
[18] Le 18 octobre 2022, la défenderesse a informé le plaignant qu’en raison de la réévaluation de M. Lebel, elle avait l’intention de retirer son appui du grief. Toutefois, elle a offert au plaignant la possibilité de fournir des renseignements et des documents supplémentaires avant qu’elle ne prenne sa décision définitive.
[19] Le 20 octobre 2022, le plaignant a appelé M. Lebel qui, selon lui, ne voulait pas lui parler au téléphone. Ensuite, les deux auraient eu une discussion animée.
[20] Le 7 novembre 2022, la défenderesse a communiqué au plaignant sa décision de ne pas lui assigner un autre représentant syndical. Le plaignant avait présenté cette demande plus tôt, soit le 20 octobre 2022, car il avait laissé entendre que l’attitude de M. Lebel à son égard avait exacerbé son stress et avait eu un effet préjudiciable sur son invalidité. Le plaignant a également allégué que M. Lebel ne comprenait pas son invalidité et qu’il refusait de prendre des mesures d’adaptation à son égard dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.
[21] Le plaignant a demandé un nouveau représentant syndical dans l’espoir qu’une autre personne puisse aborder l’affaire avec plus de compassion et de soutien. Il fait référence à cette demande comme étant une demande de mesures d’adaptation que la défenderesse a refusée. Toutefois, la défenderesse conteste cette caractérisation de la demande et soutient qu’aucune demande de mesures d’adaptation n’a été présentée par le plaignant.
[22] Le 30 novembre 2022, après avoir examiné les renseignements supplémentaires fournis par le plaignant, la défenderesse a confirmé sa décision de retirer son appui du grief et de fermer son dossier. Cette décision, ainsi que le prétendu refus de reconnaître l’invalidité du plaignant et de prendre des mesures d’adaptation à son égard, constituent le fondement de la présente plainte.
IV. Résumé de l’argumentation
A. Pour la défenderesse
[23] La défenderesse soutient que la plainte ne démontre pas l’existence d’une cause défendable de manquement au devoir de représentation équitable à l’égard du plaignant. Elle rappelle à la Commission que son pouvoir discrétionnaire à l’égard des griefs comportant une allégation de violation de la convention collective est large et est enchâssé dans la Loi. Comme la Cour suprême du Canada l’a reconnu dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509, à la page 527, il n’existe aucun droit absolu à l’arbitrage et un syndicat jouit d’une discrétion appréciable à cet égard.
[24] Le syndicat peut tenir compte des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation, y compris en ce qui concerne ses décisions, comme l’affectation de ses ressources. Il peut apprécier et pondérer ses intérêts par rapport à l’importance des questions soulevées par un employé touché et les conséquences pour celui-ci. Le devoir de représentation équitable n’exige pas que le syndicat donne suite à un grief chaque fois qu’un membre présente une demande à cet égard.
[25] Pour la défenderesse, le plaignant n’a pas établi une preuve prima facie d’un manquement au devoir de représentation équitable. La plainte porte en grande partie sur son désaccord avec la décision de la défenderesse de retirer son appui de son grief. Toutefois, elle laisse entendre que sa décision a été prise après une évaluation approfondie et réfléchie des chances de succès du grief du plaignant.
[26] La défenderesse a fourni une justification transparente et fondée sur des principes et a autorisé le plaignant à répondre avant de rendre sa décision définitive et de fermer son dossier. Sa décision relevait tout à fait de son pouvoir discrétionnaire, et le désaccord du plaignant avec cette décision ne constitue pas un motif valable pour que la Commission parvienne à la conclusion que la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable.
[27] La défenderesse laisse entendre en outre que la représentation n’a pas à être parfaite et qu’elle n’exige pas nécessairement que son style de communication soit [traduction] « chaleureux ». La représentation doit simplement être équitable et un style de communication directe n’équivaut pas toujours à de l’hostilité équivalant à de la mauvaise foi. Par conséquent, les allégations d’arbitraire et de mauvaise foi sont dénuées de fondement.
[28] En ce qui concerne les allégations de discrimination, elles doivent également être considérées comme dénuées de fondement puisque la plainte ne démontre pas que le syndicat a traité le plaignant de façon défavorable en lien avec son invalidité. De plus, le plaignant n’a pas établi qu’il avait informé le syndicat de ses besoins liés à son invalidité, ce qui aurait déclenché l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à son égard dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.
[29] En fin de compte, la défenderesse est d’avis que la plainte comprend plusieurs [traduction] « généralisations très larges » au sujet de sa motivation et de sa conduite, sans établir un lien entre celles-ci et des faits particuliers. Par conséquent, la plainte n’est pas étayée par les faits allégués et ne démontre pas une cause défendable selon laquelle la défenderesse a contrevenu à l’article 187 de la Loi.
B. Pour le plaignant
[30] Comme le plaignant l’indique dans ses arguments, la principale question soulevée dans sa plainte est le fait que la défenderesse a retiré soudainement son appui de son grief. Cet exercice de son pouvoir discrétionnaire était arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi. La défenderesse aurait également agi de mauvaise foi et de manière discriminatoire à son égard lorsqu’elle a refusé de reconnaître et de considérer son invalidité comme un facteur dans son cas, en refusant de prendre les mesures d’adaptation dont il avait besoin et qu’il avait demandées et en le traitant avec une forme de manque de respect et d’hostilité.
[31] Le plaignant estime que le syndicat n’a déployé aucun effort pour découvrir les circonstances entourant son grief. Son enquête sur les événements ayant mené au grief a été superficielle et n’a pas démontré qu’il prenait le grief au sérieux. Le syndicat a omis de se demander s’il fallait parler à des personnes ou à des témoins pour mieux comprendre les renseignements invoqués par l’employeur aux fins de sa défense. En somme, le syndicat n’a tout simplement pas évalué de manière appropriée les faits et le bien-fondé juridique du cas et n’a pas évalué l’issue probable d’un éventuel arbitrage avant de retirer sa représentation relativement au grief.
[32] De plus, pour le plaignant, le syndicat a agi de manière arbitraire et de mauvaise foi puisqu’il ne l’a jamais informé des motifs de la décision de retirer son appui. Selon lui, le syndicat a simplement déclaré qu’il ne donnerait pas suite au grief puisqu’il n’y avait pas de discrimination, mais il n’a pas expliqué la façon dont il est parvenu à cette conclusion. Le plaignant affirme que le syndicat ne l’a jamais informé des renseignements sur lesquels il s’est fondé pour prendre sa décision, ce qui l’a empêché de répondre à sa position.
[33] Néanmoins, le plaignant estime que le syndicat a agi en se fondant sur des renseignements incomplets et erronés, qu’il était mal informé et qu’il n’a pas pris de mesures concrètes pour en vérifier l’exactitude et la légitimité. Le syndicat semblait trop préoccupé par l’opinion de l’employeur relativement à l’affaire plutôt que par la représentation des intérêts du plaignant. Le syndicat aurait également omis de l’informer de son droit de procéder personnellement à l’arbitrage sans son aide.
[34] Le plaignant est d’avis qu’avec tous les renseignements et les documents médicaux qu’il a fournis au syndicat au cours de la procédure de règlement des griefs, il aurait dû être évident qu’il avait été victime de discrimination en milieu de travail. Toutefois, le syndicat a accepté les affirmations de l’employeur selon lesquelles il n’y avait pas eu de discrimination, sans procéder à une enquête adéquate. Le plaignant soutient qu’en fin de compte, le syndicat n’a pas compris son point de vue relatif au cas ou ne l’a pas pris en considération.
[35] Le plaignant remet également en question le fait que la décision du syndicat de retirer son appui de son grief est survenue de façon évidente immédiatement après qu’il se soit plaint de son représentant syndical pour avoir manqué de respect envers lui. Selon le plaignant, cela démontrerait la mauvaise foi de la part de la défenderesse.
[36] En ce qui concerne l’aspect discriminatoire de sa plainte, le plaignant soutient également que, tout au long de la procédure de règlement des griefs, il a subi des effets préjudiciables en raison des actions de la défenderesse, car elle n’a tout simplement pas pris de mesures d’adaptation à son égard. Pour lui, ces effets préjudiciables découlaient en tout ou en partie de son invalidité.
[37] Plus particulièrement, le plaignant affirme que le syndicat a refusé de reconnaître la gravité de son invalidité et qu’il ne l’a pas traitée avec le niveau de sérieux qu’elle méritait. Pour lui, un examen plus approfondi par la Commission des mesures prises par le syndicat est justifié lorsqu’un plaignant, comme lui, est atteint d’une invalidité.
[38] Même si le plaignant avait discuté de son état avec le syndicat à plusieurs reprises et qu’il avait fourni de nombreuses notes médicales pour étayer ses demandes de mesures d’adaptation, la défenderesse n’a pas tenu compte de ces demandes ou les a refusées.
[39] Selon lui, les documents médicaux fournis au syndicat indiquaient clairement que son invalidité rendait les appels téléphoniques difficiles au point qu’il ne pouvait pas se souvenir de tous les détails. Pour cette raison, le syndicat aurait dû prendre des mesures d’adaptation à son égard en ne communiquant avec lui que par courriel, comme il l’avait demandé. Il ne l’a pas fait.
[40] Il est clair pour le plaignant que le représentant syndical a estimé que ses demandes de mesures d’adaptation étaient exaspérantes et ennuyantes. Par conséquent, il soutient qu’au lieu de les traiter, le représentant s’est retiré unilatéralement de sa représentation.
V. Motifs
A. Le cadre d’analyse applicable
[41] La présente plainte a été présentée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi. Dans l’ensemble, il est allégué dans la plainte que la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable en ce qui concerne les droits du plaignant en vertu de la convention collective; par conséquent, la défenderesse aurait contrevenu à l’article 187.
[42] En ce qui concerne les questions relatives à la représentation en matière de griefs liés à l’application ou à l’interprétation d’une convention collective, la jurisprudence reconnaît depuis longtemps que le pouvoir discrétionnaire d’un agent négociateur est assez vaste (voir Jakutavicius c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2005 CRTFP 70, au par. 126; Payne c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 58, au par. 62; et Kruse c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 74, au par. 60).
[43] Le rôle de la Commission n’est pas de remettre en question le syndicat quant au bien-fondé de son analyse du cas, mais plutôt d’évaluer le processus décisionnel qui a mené à la décision de mettre fin à sa représentation, comme dans le présent cas (voir Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28, au par. 17; Kruse, au par. 70; Drouin c. Association professionnelle des agents du service extérieur, 2023 CRTESPF 3, au par. 69; Berberi c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2017 CRTEFP 49, au par. 48; et Corneau c. Association des juristes de Justice, 2023 CRTESPF 16, au par. 94).
[44] Comme le plaignant l’a souligné dans ses arguments, même si le pouvoir discrétionnaire dont jouit le syndicat est vaste, il n’est pas absolu (voir Jutras Otto c. Brossard, 2011 CRTFP 107, au par. 62) et sa représentation doit quand même être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le fonctionnaire (voir Payne, au par. 62; et Andrews c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 141, au par. 29).
[45] En résumé, pour avoir gain de cause dans une affaire soulevant le devoir de représentation équitable du syndicat, il incombe au plaignant de démontrer que le syndicat a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi (voir Holloway c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2015 CRTEFP 55, au par. 56).
[46] Une décision arbitraire devrait être prise de façon superficielle, sans véritable examen des faits, ou découler de la négligence grave d’un syndicat en ce sens qu’il aurait traité une plainte de façon inattentive (voir Corneau, au par. 100; Beniey c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2020 CRTESPF 32, au par. 61; et Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, au par. 50).
[47] Il y aurait discrimination de la part d’un agent négociateur dans le contexte de son devoir de représentation équitable en vertu de l’article 187 de la Loi s’il traitait un de ses membres (ou un groupe de membres) de manière défavorable ou différente par rapport à ses autres membres pour une raison qui n’est pas valablement ou raisonnablement liée aux relations de travail, comme une caractéristique personnelle ou un motif de distinction illicite (voir Corneau, au par. 109; Beniey, au par. 69; Payne, aux par. 84 à 86; et Noël, au par. 49).
[48] Afin de constituer de la mauvaise foi, les actions, décisions ou comportements d’un syndicat doivent démontrer une forme d’hostilité personnelle envers l’un de ses membres ou un comportement pouvant être qualifié de vexatoire, de malhonnête, de malicieux ou de malveillant (voir Corneau, au par. 110; Beniey, au par. 67; Sganos c. Association canadienne des agents financiers, 2022 CRTESPF 30, au par. 97; et Noël, au par. 48).
[49] Comme il ressort de la jurisprudence applicable, le fardeau nécessaire pour établir sur le fond le manquement d’un syndicat au devoir de représentation équitable a toujours été reconnu comme élevé (voir Collins c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 29, au par. 94; Nkwazi c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2015 CRTEFP 93, aux par. 34 et 35; et Ennis c. Meunier-McKay, 2012 CRTFP 30, au par. 48).
[50] Toutefois, lorsque la Commission est saisie d’une demande préliminaire de rejet sommaire d’une plainte sans tenir d’audience, comme c’est le cas en l’espèce, elle applique ce qu’on appelle communément l’analyse de la « cause défendable ». Ce critère est également bien établi dans la jurisprudence de la Commission et exige de déterminer, en considérant les faits de la plainte comme véridiques, s’ils peuvent démontrer l’existence d’un manquement au devoir de représentation équitable (voir Corneau, au par. 17; et Osman c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2021 CAF 227, au par. 9).
[51] Il est reconnu que ce fardeau est beaucoup moins lourd pour le plaignant à ce stade. En fait, le véritable fardeau incombe à la défenderesse, qui soulève l’argument selon lequel la plainte ne révèle aucune cause défendable d’une violation de l’article 187 de la Loi, mais le plaignant doit présenter toutes les allégations factuelles à l’appui de sa plainte et aborder toutes les violations alléguées dans la plainte (voir Payne, aux par. 59 et 60).
[52] Même si les faits présentés par le plaignant doivent être considérés comme véridiques aux fins de cette analyse de la cause défendable, un examen approfondi de la jurisprudence de la Commission dans ce contexte permet d’apporter certaines nuances qui doivent être appliquées à ce principe.
[53] En premier lieu, seuls les faits, et non les arguments ou les opinions, doivent être considérés comme véridiques (voir Beniey, au par. 57; Archer c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 105, au par. 29; et Corneau, au par. 34). En deuxième lieu, les allégations factuelles doivent être considérées comme véridiques, à moins qu’il soit manifestement impossible de les établir ou qu’elles semblent irréalistes (voir Payne, aux par. 60 et 91; et Sganos, au par. 81, citant R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, au par. 25). En troisième lieu, les hypothèses, accusations et spéculations ne doivent pas être considérées comme véridiques puisqu’elles ne peuvent pas, de par leur nature, être établies (voir Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, au par. 27, citée dans Sganos, au par. 80; voir également Payne, au par. 60). Enfin, les questions rhétoriques ne peuvent pas, en soi, appuyer une plainte relative au devoir de représentation équitable, et un plaignant ne peut pas simplement compter sur la possibilité que de nouveaux faits étayant ses allégations puissent se présenter au fur et à mesure de l’évolution du cas ou sur l’incapacité de la défenderesse de réfuter ses allégations (voir Payne, aux par. 60 et 91; et Sganos, au par. 81, citant Imperial Tobacco Canada Ltée, au par. 25).
[54] En résumé, afin d’être considérées comme véridiques dans le contexte d’une analyse de la cause défendable, les allégations factuelles doivent satisfaire aux critères suivants :
· elles doivent être prouvables et sembler réalistes;
· elles ne doivent pas, de par leur nature, être des arguments ou des opinions;
· elles ne doivent pas être de simples hypothèses, spéculations ou accusations;
· elles ne doivent pas être fondées uniquement sur des éléments de preuve futurs possibles;
· elles ne doivent pas s’appuyer uniquement sur l’incapacité du défendeur à les réfuter;
· elles ne doivent pas prendre uniquement la forme de questions rhétoriques.
[55] Par exemple, si le plaignant allègue que des choses précises lui ont été dites ou faites et qu’elles pourraient être considérées comme hostiles, je dois considérer ces faits allégués comme véridiques et déterminer s’ils peuvent constituer de la mauvaise foi. Toutefois, si le plaignant affirme simplement qu’une personne a été hostile envers lui, il s’agit d’une simple affirmation qui reflète son point de vue, son sentiment ou son interprétation d’une relation ou d’une interaction avec cette personne. Cette affirmation à elle seule n’a pas à être considérée comme véridique, sans faits particuliers à l’appui, et elle doit être évaluée en fonction de tous les autres renseignements ou documents que les parties ont fournis pour déterminer si elle semble réaliste. Il en va de même pour une simple affirmation de discrimination (voir Payne, au par. 87).
[56] Enfin, la Commission a également reconnu que si les affirmations et les explications de la défenderesse concernant ses actions ne sont pas contestées, la Commission peut alors également s’y fier, en plus des allégations factuelles du plaignant (voir Andrews (2021 CRTESPF 141), au par. 3).
[57] Dans le présent cas, lorsque les faits allégués par le plaignant sont isolés de ses arguments, de ses opinions et de son interprétation de ces faits, l’affaire porte sur ces quelques actions ou inactions particulières de la défenderesse :
· la décision de retirer son appui du grief;
· l’omission de fournir les motifs ou les renseignements à l’appui de sa décision;
· l’omission de fournir des renseignements sur la possibilité pour le plaignant de poursuivre la procédure sans son appui;
· l’omission de prendre des mesures d’adaptation ou d’examiner les demandes liées à celles-ci, malgré l’invalidité du plaignant.
[58] Par conséquent, l’analyse suivante portera sur chacun de ces points, afin de déterminer si une cause défendable peut être établie selon laquelle la défenderesse a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.
B. La décision de retirer son appui du grief
[59] Le plaignant soutient que la principale question dans le présent cas est que, selon lui, la défenderesse a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi lorsqu’elle a retiré soudainement son appui de son grief. Il est clair qu’il ne souscrit pas à la décision de la défenderesse. Il conteste également le fait qu’à l’origine, elle appuyait le grief, mais qu’elle a ensuite retiré son appui de façon inattendue. Il fait valoir que si la défenderesse avait effectué un examen réel et sincère de son dossier, elle n’aurait pas pris cette décision.
[60] Comme je l’ai mentionné précédemment dans la présente décision, le pouvoir discrétionnaire du syndicat est vaste quant à la question de savoir s’il devrait représenter ou non l’un de ses membres dans le cadre d’une procédure de règlement des griefs fondée sur la convention collective. Le simple fait qu’un plaignant ne souscrive pas à une décision prise par un syndicat dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ne suffit pas à établir un manquement au devoir de représentation équitable (voir Sganos, au par. 102; et Abdi c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 62, au par. 38). Si la décision n’est pas prise de manière arbitraire, n’est pas discriminatoire ou ne découle pas de la mauvaise foi, la Commission ne devrait pas intervenir dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du syndicat (voir Nkwazi, au par. 33; et Osman c. Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada, 2020 CRTESPF 40, au par. 22).
[61] Un examen minutieux des arguments et des documents versés au dossier montre que les allégations factuelles, même si elles sont considérées comme véridiques, ne démontrent pas que la défenderesse a effectué une évaluation négligente ou malhonnête du cas du plaignant.
[62] D’après les courriels du plaignant, M. Lebel a eu de multiples conversations téléphoniques avec lui et a eu l’occasion d’examiner tous les documents qu’il a présentés. Ils ont également échangé certains courriels qui ont permis au plaignant de porter à l’attention de M. Lebel tous les détails de sa situation qui, selon lui, auraient dû être pris en considération dans l’analyse de son grief.
[63] En fin de compte, M. Lebel a conclu que le grief n’avait aucune chance raisonnable de succès et qu’aucune réparation significative ne pourrait être obtenue. Encore une fois, le rôle de la Commission n’est pas de déterminer si les conclusions du syndicat quant aux chances de succès d’un grief sont correctes, mais simplement de déterminer si le processus suivi par le syndicat pour parvenir à cette conclusion était conforme aux limites de l’article 187 de la Loi (voir Cousineau c. Walker, 2013 CRTFP 68, au par. 29; et Rudakov c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2015 CRTEFP 69, aux par. 59 et 63).
[64] Le fait que le syndicat ait initialement appuyé le grief n’a aucune incidence sur son pouvoir discrétionnaire de retirer son appui à une date ultérieure à la suite d’une analyse plus approfondie (voir, par exemple, Boudreault c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CRTESPF 87, au par. 34). En ce qui concerne la proposition selon laquelle la décision a été prise soudainement et qu’elle était inattendue pour le plaignant, encore une fois, les documents versés au dossier n’étayent pas cette proposition.
[65] Dans ses arguments, le plaignant reconnaît que la défenderesse l’a informé qu’elle envisageait de retirer sa représentation dès le 18 octobre 2022. Cette information est également confirmée par les documents à l’appui qu’il a fournis. Cet avis verbal a été suivi par un courriel envoyé le même jour par M. Lebel, qui confirmait qu’à la suite de sa recommandation, la défenderesse avait décidé de se retirer de la représentation du grief du plaignant et lui offrait une dernière occasion de fournir tout nouveau renseignement qui la convaincrait de modifier sa position.
[66] Dans un courriel daté du 20 octobre 2022, le plaignant a écrit que, même si M. Lebel [traduction] « a peut-être raison au sujet de ses recommandations », il a demandé à la défenderesse de lui affecter un nouveau représentant. Il semble donc avoir été pleinement au courant de la recommandation de M. Lebel. À compter de cette date jusqu’au 7 novembre 2022, une série de courriels provenant du plaignant indique qu’il a continué à demander un nouveau représentant, mais qu’il a également présenté des renseignements supplémentaires à la défenderesse et s’est informé des prochaines étapes prévues pour son dossier.
[67] Le 7 novembre 2022, la directrice des relations de travail du syndicat a confirmé qu’après avoir examiné le dossier, elle avait confiance en la capacité de M. Lebel de représenter le plaignant et qu’elle se fiait à son évaluation du dossier. Le même jour, en réponse à ce courriel, le plaignant a expliqué que M. Lebel [traduction] « […] a déjà indiqué qu’il n’y donnerait pas suite […] » et a proposé qu’il pourrait chercher à obtenir une représentation externe ou même avoir recours aux mécanismes de plainte disponibles relativement à la position de la défenderesse.
[68] Enfin, le 30 novembre 2022, M. Lebel a confirmé par courriel que la décision du syndicat de retirer sa représentation ne changerait pas et qu’il fermerait son dossier. Toute cette suite d’événements et d’échanges de courriels n’étaye pas la proposition du plaignant selon laquelle la défenderesse a retiré soudainement et de façon inattendue son appui de son grief. Elle démontre plutôt qu’elle a communiqué avec le plaignant pendant plus d’un mois pour l’informer de sa position relativement à son grief et lui donner l’occasion de la faire changer de position. Le dernier courriel de M. Lebel, en date du 30 novembre 2022, a tout simplement mis fin à cet échange et ne peut d’aucune façon être considéré comme une expression soudaine ou inattendue de l’intention de la défenderesse de retirer sa représentation du plaignant.
C. L’omission de fournir les motifs ou les renseignements à l’appui de sa décision
[69] Alors que le plaignant allègue que la défenderesse n’a pas fourni les motifs de sa décision de retirer son appui de son grief, je ne suis pas du même avis. Dans ses arguments, il expose son appréciation de certains des motifs que la défenderesse a fournis pour expliquer en quoi ses motifs n’étaient pas fondés. Ce faisant, il donne déjà l’impression que le syndicat a effectivement fourni les motifs de sa décision.
[70] De plus, dans les documents que le plaignant a fournis à l’appui de sa plainte, on trouve un certain nombre de courriels qu’il a reçus d’au moins deux représentants syndicaux principaux qui expliquent leur raisonnement et qui fournissent une justification de leur décision. Par exemple, les courriels font particulièrement référence à un critère juridique et à une certaine jurisprudence appliquée dans les cas portant sur la discrimination et indiquent la façon dont, selon eux, ces éléments touchent le cas du plaignant. D’autres renseignements ont également été fournis, ainsi que la façon dont le représentant syndical a apprécié les éléments de preuve disponibles avant de prendre une décision.
[71] Encore une fois, le plaignant peut très bien ne pas souscrire aux motifs de la défenderesse, mais le rôle de la Commission n’est pas de déterminer si la décision du syndicat était bonne ou mauvaise, seulement de déterminer si elle était le résultat d’un comportement arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Par conséquent, la Commission n’évalue pas le caractère légitime ou suffisant en soi des motifs invoqués par le syndicat pour retirer sa représentation, mais elle examine plutôt si ces motifs donnent l’impression qu’il a examiné la question et les faits et qu’il a pris une décision réfléchie fondée sur les renseignements et les documents disponibles (voir Holloway, au par. 58; Hancock c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 51, au par. 94; et Cox c. Vézina, 2007 CRTFP 100, au par. 131).
[72] À plusieurs reprises dans ses arguments, le plaignant réitère que la défenderesse n’a pas enquêté de manière plus approfondie sur ses allégations ou les événements relatifs au grief et qu’elle ne l’a pas informé des renseignements ou documents particuliers sur lesquels elle s’est fondé pour prendre sa décision. En toute déférence, le plaignant ne peut pas dicter au syndicat comment et sur quoi enquêter (voir Baun c. Élément national de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 127, au par. 51). Le plaignant n’a pas nécessairement droit à la meilleure enquête possible, mais seulement à une enquête juste et raisonnable de son dossier par la défenderesse (voir Noël, au par. 50). Dans sa décision, le syndicat a également le droit de prendre en considération la question de savoir s’il serait mieux de consacrer les ressources à d’autres cas (voir Boulos c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2011 CRTFP 69, au par. 47; Mangat c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 52, au par. 44; Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13, au par. 69; et Noël, au par. 50).
[73] De plus, il semble que le plaignant ait mal interprété la justification de la décision de la défenderesse, rendant presque impossible pour lui d’être satisfait de ses explications. Même s’il remet en question les [traduction] « liens » que la défenderesse a établis ou n’a pas établis pour parvenir à sa conclusion, l’explication de M. Lebel énonce clairement que la décision du syndicat était principalement fondée sur l’absence de preuve, selon son analyse, pour s’acquitter du fardeau qui était requis pour avoir gain de cause dans le grief relevant de son contrôle.
[74] En fait, les arguments du plaignant portent essentiellement sur l’examen de la décision du syndicat, dans le but de démontrer que sa conclusion était erronée. Comme le rappelle la jurisprudence en ce qui concerne une plainte comme celle-ci, la Commission ne siège pas en appel de la décision du syndicat; elle n’évaluera pas non plus le bien-fondé du grief qui est à l’origine de la plainte (voir Andrews c. Alliance de la fonction publique, 2022 CAF 159, au par. 31; Corneau, au par. 94; Baun, au par. 44; et Boulos, au par. 44). Même si le syndicat avait pu commettre une erreur dans son évaluation du cas, cela ne rendrait pas nécessairement la décision qui en a résulté arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi (voir Jakutavicius, au par. 125; et Pothier c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 101, au par. 121).
[75] Les arguments du plaignant portent également souvent sur les nombreuses allégations qu’il formule à l’encontre des actions, des comportements et des décisions de l’employeur. La Commission ne peut pas se pencher sur ces allégations, puisque la présente plainte vise la défenderesse et ne devrait pas servir à obtenir les positions de la Commission sur ses différents conflits existants avec l’employeur (voir Mangat, au par. 40; Burns c. Section locale no 2182 d’Unifor, 2020 CRTESPF 119, au par. 164; et Corneau, au par. 95).
[76] Par conséquent, selon les allégations factuelles et les documents du plaignant, cette allégation liée à l’absence de raisonnement ou de renseignements à l’appui de la décision de la défenderesse ne démontre pas que son évaluation de son cas pourrait être considérée comme une violation de l’article 187 de la Loi. Il est clair que le plaignant ne souscrit pas aux conclusions de la défenderesse, mais, à tort ou à raison, elles ont été expliquées de façon suffisamment détaillée pour lui permettre de comprendre leur fondement.
D. L’omission de fournir des renseignements sur la possibilité de poursuivre la procédure sans l’appui du syndicat
[77] De temps à autre, la jurisprudence a reconnu l’obligation potentielle pour un syndicat, malgré le retrait de son appui, d’informer ses membres de la possibilité qu’ils poursuivent eux-mêmes leur recours sous forme de grief (voir Savoury c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2001 CRTFP 79, aux par. 147 et 148) ou de la possibilité qu’ils demandent un contrôle judiciaire lorsqu’ils peuvent se prévaloir de cette option (voir Jakutavicius, au par. 144). Le plaignant allègue que la défenderesse ne s’est pas acquittée de cette obligation. Je ne suis pas du même avis.
[78] Contrairement aux faits présentés dans Savoury, dans le présent cas, le grief à l’origine de la plainte porte sur l’interprétation et l’application d’une convention collective, et non sur une mesure disciplinaire. Le paragraphe 208(4) de la Loi interdit expressément à un fonctionnaire s’estimant lésé de poursuivre un tel grief à moins d’être appuyé et représenté par un agent négociateur. Par conséquent, il ne peut y avoir eu aucun manquement à cette obligation dans le présent cas, car la défenderesse n’appuyait plus le grief du plaignant et a mis fin à sa représentation dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.
[79] Quant à l’existence d’autres recours possibles, je constate, d’après les documents du plaignant, qu’il semblait être au courant d’un certain nombre d’entre eux, tel qu’il l’a exprimé au syndicat au cours de leurs communications. Quoi qu’il en soit, aucun renseignement ou argument particulier laissant entendre que d’autres recours étaient possibles ou ont été envisagés par le plaignant ou qu’il aurait été empêché de s’en prévaloir en raison du manque de renseignements qu’il a reçus de la défenderesse ne m’a été présenté.
[80] Je n’ai certainement pas été informé d’une occasion manquée de présenter une demande de contrôle judiciaire ou du fait qu’il s’agissait d’une option qui s’offrait au plaignant à tout moment pertinent au présent cas. Aucun argument ni aucune décision qui laisse entendre que la défenderesse a une obligation ou un devoir général de fournir des renseignements concernant toute forme de recours possible dont le plaignant peut se prévaloir ne m’a été présenté et je ne crois pas qu’une telle obligation générale existe en soi (voir Roberts c. Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN), 2010 CRTFP 129, au par. 26).
E. L’omission de fournir des mesures d’adaptation ou de prendre en considération les demandes liées à celles-ci, malgré une invalidité
[81] Le plaignant allègue que le syndicat a agi contrairement à l’article 187 de la Loi en faisant preuve de discrimination à son égard à maintes reprises. Plus particulièrement, il laisse entendre que la défenderesse n’a pas apprécié la gravité de son grief, car il aurait dû être évident qu’il avait été victime de discrimination en milieu de travail. Il laisse également entendre que la défenderesse n’a pas pris de mesures d’adaptation à l’égard de son invalidité lorsqu’elle a refusé ses demandes de communiquer avec lui principalement par courriel et d’affecter un nouveau représentant à son cas.
[82] À l’appui de sa position, le plaignant fait référence à Bingley c. Section locale 91 de Teamsters Canada, 2004 CCRI 291, pour le principe selon lequel un examen plus approfondi des actions du syndicat est justifié lorsqu’un membre est atteint d’une invalidité, car le syndicat doit faire preuve d’une plus grande diligence envers cette personne.
[83] Dans Bingley, au paragraphe 74, après un examen de la jurisprudence, le Conseil canadien des relations industrielles a conclu que lorsqu’un employé syndiqué est atteint d’une quelconque incapacité, le syndicat ne peut pas juste traiter un grief relatif à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de manière « habituelle », il doit déployer des efforts supplémentaires. Il doit adopter une attitude proactive et se monter plus attentif dans son approche. La Commission a déjà examiné cette décision, dans Tyler c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 107, au paragraphe 133.
[84] Toutefois, Bingley reconnaît que cette approche doit tout de même respecter certains principes normalement applicables aux plaintes relatives au devoir de représentation équitable. Le syndicat devrait tout de même jouir d’une grande latitude en ce qui concerne son devoir de représentation équitable, malgré l’obligation de traiter les questions relatives aux droits de la personne, et la Commission devrait tout de même faire preuve de prudence afin de ne pas substituer sa propre opinion à celle du syndicat (voir Bingley, au par. 82).
[85] En résumé, aussi valable soit-elle, cette approche ne devrait pas placer la barre à un niveau tel que le syndicat serait tenu à une norme de perfection (voir Tyler, au par. 185). Même si le syndicat est tenu de faire preuve d’une plus grande diligence et d’une plus grande assurance lorsqu’il traite le cas d’un membre qui allègue des violations des droits de la personne, dans la mesure où il s’est montré raisonnablement diligent et convaincant, le syndicat se sera acquitté de son devoir de représentation équitable (voir Bingley, au par. 83; et Tyler, au par. 198).
[86] Dans Murphy v. Unifor Local 4606, 2021 NSSC 323, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a examiné et confirmé l’application de Bingley par la Commission du travail de la province, et elle a effectué une analyse en deux volets : une analyse du fond et une analyse de la procédure. En ce qui concerne le fond, l’analyse a porté précisément sur la décision du syndicat de refuser d’aider un membre atteint d’une invalidité ou d’interrompre cette aide à un certain moment, pour s’assurer qu’elle n’était pas discriminatoire en soi. En ce qui concerne l’aspect de la procédure, l’analyse portait sur le processus suivi par le syndicat dans ce cas pour parvenir à cette décision, pour déterminer si elle avait eu une incidence préjudiciable sur le plaignant, car elle n’avait pas tenu compte de son invalidité et ne comprenait pas de mesures d’adaptation à son égard. Je vais adopter cette approche.
[87] Comme point de départ, afin que le plaignant puisse profiter de l’approche adoptée dans Bingley, les éléments suivants doivent être présents. En premier lieu, le plaignant doit établir l’existence d’une invalidité. En deuxième lieu, l’invalidité ou la limitation doit être connue, ou aurait dû être connue, par le syndicat, car il ne pourrait pas être jugé fautif de ne pas avoir tenu compte de quelque chose dont il n’avait pas connaissance ou de ne pas avoir pris de mesures d’adaptation à son égard s’il n’en avait pas connaissance. Enfin, la situation sous-jacente à la plainte relative au devoir de représentation équitable doit être fondée sur des allégations de manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur (voir Bingley, aux par. 57, 62 à 64 et 74).
[88] Dans le présent cas, dans ses arguments, le plaignant affirme clairement qu’il est atteint d’une invalidité, car il souffre d’un TSPT diagnostiqué qui a des effets graves sur sa santé physique et mentale. Cette affirmation est étayée par la preuve médicale qu’il a fournie à l’appui de sa plainte.
[89] De plus, les documents fournis par les deux parties indiquent que la défenderesse a reconnu le fait que le plaignant est atteint d’une invalidité et qu’il souffre d’une maladie mentale. Les mesures correctives qu’il a demandées dans son grief faisaient référence à son invalidité. Par conséquent, étant donné qu’un représentant de la défenderesse a signé ce grief et l’a déposé en son nom, il est évident qu’elle était au courant de son invalidité lorsqu’elle a traité son cas au cours de la période visée par la plainte.
[90] Même si le grief fait principalement référence au fait que l’employeur n’aurait pas fourni au plaignant un milieu de travail exempt de harcèlement et aurait contrevenu aux dispositions de la convention collective relatives à son examen du rendement, la mesure corrective qu’il demande vise expressément que l’employeur s’acquitte de son obligation de prendre des mesures d’adaptation en tenant compte de ses restrictions et limitations médicales.
[91] Encore une fois, le représentant de la défenderesse a signé et déposé ce grief, et ses arguments laissent même entendre que M. Lebel l’a examiné lui-même avant sa signature. Le grief visait donc à obtenir une certaine forme de mesure d’adaptation pour le plaignant, et la défenderesse ne pouvait pas l’ignorer pendant la période visée par la présente plainte.
[92] Par conséquent, puisque les éléments nécessaires à l’application de Bingley sont présents, je vais me pencher sur les aspects de fond et de procédure de la façon dont la défenderesse a traité le cas du plaignant.
[93] En ce qui concerne le fond, il ressort des courriels de M. Lebel du 18 octobre et du 30 novembre 2022 qu’il a tenu compte de l’invalidité du plaignant et du harcèlement et de l’intimidation possibles auxquels, selon ses allégations, l’employeur l’avait assujetti. Toutefois, la justification de M. Lebel explique clairement que la principale raison pour laquelle le syndicat a décidé de retirer son appui était qu’il ne croyait pas que les éléments de preuve étayaient la discrimination fondée sur un motif de distinction illicite.
[94] Même si les renseignements communiqués à la défenderesse auraient pu indiquer une possible tactique de harcèlement ou d’intimidation de la part de la direction, la défenderesse a conclu qu’elle ne serait pas en mesure d’établir que l’évaluation du rendement de 2020-2021 du plaignant contrevenait à la clause « Élimination de la discrimination » de la convention collective, puisqu’il n’existait aucun élément de preuve concret de discrimination de la part de l’employeur fondée sur l’invalidité du plaignant. M. Lebel a également tenu compte du fait que l’invalidité n’avait pas été divulguée aux gestionnaires qui avaient évalué le travail du plaignant et qu’un consultant externe neutre avait examiné l’évaluation.
[95] Les différentes positions présentées par le plaignant quant à son rendement sont également difficiles à concilier. Dans l’ensemble, il laisse entendre que, puisqu’il a été victime de harcèlement et d’intimidation, cela a déclenché son TSPT, ce qui a donc eu une incidence sur son rendement. Même si son grief est lié à une évaluation du rendement que l’employeur a effectuée pour la période allant du 1ᵉʳ avril 2020 au 31 mars 2021 (la « période 2020-2021 »), les incidents qu’il considère comme du harcèlement et auxquels il fait référence dans ses arguments ont eu lieu de juillet 2017 à un certain moment [traduction] « entre 2019 et 2020 ».
[96] Toutefois, les documents à l’appui qu’il a fournis indiquent que son évaluation semestrielle pour la période 2020-2021 indiquait qu’il était [traduction] « sur la bonne voie pour le respect des attentes », et le plaignant soutient également que tout au long de son emploi auprès de l’employeur, il a été un employé exemplaire qui a exercé ses responsabilités professionnelles avec diligence et fidélité. De plus, il a fourni des copies de deux prix qu’il a reçus de l’employeur au cours de la période 2020-2021 et qui, selon lui, appuient son rendement exemplaire.
[97] Encore une fois, même en appliquant l’approche proposée dans Bingley, le rôle de la Commission n’est pas de se prononcer sur le caractère légitime, encore moins sur le caractère exact, de la décision de la défenderesse. Le plaignant laisse entendre que son cas est comparable à celui dans Jutras Otto. En toute déférence, je ne suis pas du même avis, car les faits de sa plainte sont loin de la négligence flagrante que le prédécesseur de la Commission a constatée dans Jutras Otto (voir les par. 74 et 77 à 79).
[98] En ce qui concerne l’aspect de la procédure, le plaignant laisse entendre que le syndicat n’a pas respecté sa demande de mesures d’adaptation sous la forme de communications exclusivement par écrit et de l’affectation d’un nouveau représentant à son cas.
[99] Le plaignant allègue qu’il a demandé à communiquer exclusivement par écrit avec la défenderesse ou son représentant. Il ne fournit pas beaucoup de détails quant à la façon dont ces demandes ont été communiquées, la date à laquelle elles ont été communiquées et la personne à qui elles ont été communiquées dans le contexte qui serait pertinent à la présente plainte.
[100] En réponse à la position de la défenderesse selon laquelle une telle demande n’a jamais été présentée et que les documents fournis par le plaignant sont silencieux sur ce point, le plaignant précise qu’il a fait la demande verbalement à M. Lebel le 20 octobre 2022, lors d’une conversation téléphonique. M. Lebel aurait alors refusé sa demande et demandé que les communications se fassent uniquement par téléphone.
[101] Même si je suis disposé à considérer ce fait comme véridique, je dois quand même tenir compte de tous les faits présentés par le plaignant pour déterminer s’il semble réaliste. Dans le présent cas, les arguments et les documents du plaignant contredisent plutôt cette allégation factuelle.
[102] La demande a été présentée après que M. Lebel a laissé entendre à l’origine, soit le 18 octobre 2022, que le syndicat pourrait retirer son appui du grief. Il est possible que d’autres demandes aient été présentées avant cette date, mais comme il a été expliqué précédemment dans la présente décision, ces faits ne peuvent pas être considérés comme étayant la plainte puisqu’ils se sont produits en dehors de la période de 90 jours prévue par la Loi.
[103] Tous les faits allégués et les documents qui m’ont été présentés et qui visent cette période de 90 jours ne permettent pas d’établir que cette demande a été faite au cours de cette période et n’étayent pas cette idée. Les documents fournis indiquent que le plaignant a reçu un courriel le 18 octobre 2022 de la défenderesse, et non un appel téléphonique. Il a ensuite téléphoné à M. Lebel le 20 octobre 2022 et, fait intéressant, il se demande pourquoi M. Lebel n’était pas content qu’il l’appelle. Quoi qu’il en soit, après cet appel, tout a été fait par écrit, comme le plaignant l’avait jugé nécessaire.
[104] Le plaignant fait également référence à une évaluation médicale de son médecin personnel qui a été effectuée en réponse à une évaluation de l’aptitude au travail que l’employeur lui avait demandée et qui aurait été communiquée au syndicat. Pour lui, cette évaluation étayerait son besoin de communiquer par écrit.
[105] Toutefois, le rapport indique seulement qu’il profiterait du fait de recevoir des directives et des explications par écrit. Quoi qu’il en soit, c’est exactement ce que M. Lebel et d’autres ont fait, au moins à compter du 20 octobre jusqu’au 30 novembre 2022. Toutes les explications ou demandes de renseignements supplémentaires du syndicat ont été fournies par écrit au plaignant.
[106] Le plaignant fait référence à un autre certificat médical qui appuierait son prétendu besoin de mesures d’adaptation. Il comporte l’affirmation suivante : [traduction] « […] je demande qu’il ait accès à une salle de bain privée et à du temps supplémentaire majoré de moitié pour la rédaction de tout examen qu’il doit subir ». La défenderesse était également au courant de l’existence de ce certificat. Toutefois, il ne vise pas à traiter de la relation entre le plaignant et la défenderesse, mais plutôt à traiter d’un processus de dotation ou d’évaluation particulier auquel il a participé à un moment donné.
[107] Quoi qu’il en soit, son application aux faits pertinents de la présente plainte est douteuse. Même si la salle de bain privée n’est certainement pas applicable, on pourrait comprendre que le plaignant a possiblement besoin de plus de temps pour traiter les renseignements ou répondre aux demandes. Les documents dont je dispose démontrent que, même si M. Lebel lui a accordé 10 jours pour fournir des renseignements supplémentaires qui permettraient de convaincre le syndicat de changer d’avis, la décision définitive n’a été prise que le 30 novembre 2022. Rien dans les arguments ou les documents ne laisse entendre que la défenderesse n’a pas tenu compte des renseignements qu’il a fournis à un moment ou à un autre avant que la décision définitive ne soit rendue ou qu’il a demandé plus de temps pour répondre.
[108] Même en tenant compte du fait que le plaignant aurait pu avoir besoin de plus de temps que d’habitude pour fournir des renseignements à la défenderesse, il s’est vu accorder pratiquement plus de 40 jours pour présenter par écrit tout autre document à l’appui de son cas. Comme M. Lebel l’a confirmé dans son courriel final du 30 novembre 2022, la défenderesse a examiné tous les renseignements supplémentaires, mais ils n’ont pas permis de modifier le résultat.
[109] D’après ce que je comprends, les mesures d’adaptation et la diligence supplémentaire que le plaignant demande de la défenderesse l’aideraient à comprendre ce qui se passe et à être en mesure de faire valoir son cas. Selon les renseignements qui m’ont été fournis, il est évident qu’il comprenait clairement ce qui se passait, mais qu’il n’y souscrivait pas.
[110] Le fait proposé selon lequel la défenderesse n’aurait pas accepté de communiquer avec lui uniquement par écrit n’aurait pas dû l’empêcher de le faire lorsqu’il lui a communiqué des renseignements. Toutefois, dans ses arguments, il confirme qu’il a utilisé le téléphone plus souvent qu’autrement, au point où M. Lebel s’est plaint du fait qu’il avait téléphoné à maintes reprises sans avoir fixé de rendez-vous. Cette allégation, lorsqu’elle est évaluée par rapport à tous les autres faits allégués et documents disponibles, ne semble pas réaliste.
[111] Le plaignant allègue également que la défenderesse n’a pas pris de mesures d’adaptation à son égard lorsqu’elle a refusé sa demande d’affecter un nouveau représentant à son cas. Je ne crois pas que sa demande puisse être qualifiée de demande de mesures d’adaptation, et il semble qu’il s’agisse davantage d’une préférence de sa part, car il était confronté à la résistance de M. Lebel.
[112] Aucun argument n’a été présenté quant à la façon exacte dont cela se rapporterait aux limitations du plaignant ou aux avantages qui découleraient de cette demande, si elle était acceptée. De plus, rien dans les documents ne laisse entendre que la demande a été présentée avant le 18 octobre 2022, lorsqu’il lui a été communiqué que le syndicat avait décidé de se retirer de la représentation relativement à son grief. Comme le plaignant l’a indiqué dans ses échanges de courriels avec la défenderesse, il croit simplement qu’il a besoin de [traduction] « […] quelqu’un d’un peu plus compatissant et compréhensif […] ».
[113] Le plaignant laisse entendre que M. Lebel l’a traité de façon capricieuse et hostile. Comme je l’ai expliqué plus tôt dans la présente décision, il s’agit de l’expression d’une opinion ou d’un sentiment que je n’ai pas à considérer comme véridique, à moins que je puisse trouver ou être renvoyé à des faits particuliers qui l’étayeraient. Je n’en ai trouvé aucun.
[114] Je conclus que la déclaration suivante de la Commission dans Hancock, au paragraphe 93, s’applique à la présente situation :
[93] […] Toutefois, le devoir de représentation équitable n’exige pas qu’un agent négociateur suive les directives d’un membre de l’unité de négociation lorsqu’il décide s’il y a lieu d’appuyer un grief ou comment il devrait traiter un grief, y compris qui doit fournir cette représentation (voir Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13). Un agent négociateur a le droit de décider de la façon dont il répartit ses ressources, s’il exerce ce jugement de façon équitable et d’une manière qui n’est ni discriminatoire ni arbitraire. Les faits allégués ne démontrent pas que le défendeur a manqué à son devoir de représentation équitable lorsqu’il a rejeté les demandes de la plaignante pour un nouveau représentant et la consultation de divers experts.
[115] Encore une fois, malgré les propositions du plaignant, je n’ai pas pu trouver de véritables signes d’hostilité entre lui et M. Lebel, mais seulement quelques signes évidents de désaccord dans leurs analyses respectives du cas. Dans un courriel, la directrice des relations de travail de la défenderesse a reconnu que le style de communication de M. Lebel n’était peut-être pas aussi chaleureux que d’autres, mais les éléments de preuve n’équivalent pas à de l’hostilité.
[116] Par conséquent, pour que je puisse conclure que la défenderesse aurait pu agir de manière discriminatoire, il faut déterminer s’il existe des éléments de preuve ou des faits allégués qui laissent entendre que le syndicat a traité le plaignant différemment en raison d’une caractéristique personnelle ou d’un motif protégé lorsqu’il a décidé de ne pas l’aider davantage relativement à son grief. Dans le présent cas, même après avoir examiné Bingley, je conclus que le plaignant n’a pas démontré une cause défendable selon laquelle la défenderesse a fait preuve de discrimination à son égard.
[117] Afin que la défenderesse s’acquitte normalement de son devoir de représentation équitable, il lui aurait suffi d’établir qu’en l’absence de mauvaise foi et de discrimination, elle a raisonnablement examiné le cas du plaignant et fondé sa décision sur des faits pertinents (voir Holloway, au par. 58; Hancock, au par. 94; et Cox, au par. 131). Même en élargissant cette obligation en fonction des principes établis dans Bingley parce que le plaignant est atteint d’une invalidité et que son cas est lié à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, la défenderesse n’avait qu’à aussi tenir compte raisonnablement de l’invalidité dans son processus décisionnel, tant en ce qui concerne le fond que la procédure (voir Bingley, au par. 83; Tyler, au par. 198; et Murphy, au par. 31). Dans le présent cas, selon mon examen des faits et mon analyse de la décision, des actions et du comportement de la défenderesse, tels qu’il sont été expliqués dans la présente décision, je crois qu’elle l’a fait.
VI. Conclusion
[118] Pour les motifs énoncés dans la présente décision, je ne peux rien trouver qui laisserait entendre que la décision ou les actions de la défenderesse étaient arbitraires, discriminatoires ou de mauvaise foi. Je conclus donc que la plainte ne démontre pas une cause défendable selon laquelle la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable énoncé à l’article 187 de la Loi.
[119] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VII. Ordonnance
[120] La plainte est rejetée.
Le 2 juillet 2024.
Traduction de la CRTESPF
Pierre Marc Champagne,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral