Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé deux plaintes – la première plainte a été déposée parce que la nomination intérimaire de la personne nommée en cause a été prolongée au-delà du seuil de quatre mois grâce à un processus non annoncé – la deuxième plainte concernait la nomination de la personne nommée au même poste pour une période indéterminée, encore une fois par l’intermédiaire d’un processus non annoncé – la plaignante a allégué qu’il y avait eu abus de pouvoir dans le choix du processus et dans l’application du principe du mérite dans les deux processus de nomination – la Commission a conclu que l’intimé n’avait pas abusé de son pouvoir en choisissant un processus non annoncé pour la nomination intérimaire parce qu’il y avait un contexte opérationnel qui justifiait le choix, à savoir la fatigue du changement – la Commission a conclu que l’intimé avait abusé de son pouvoir en choisissant un processus de nomination non annoncé pour la nomination pour une période indéterminée, car le contexte opérationnel de la fatigue du changement n’a pas joué un rôle dans le choix du processus pour cette nomination – la Commission a conclu que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite dans les deux processus – même s’il y a eu abus de pouvoir, la Commission a conclu que la personne nommée était qualifiée pour le poste au moment de la nomination pour une période indéterminée – la Commission a conclu que le processus utilisé pour évaluer certaines qualifications était défectueux tant pour les nominations intérimaires que pour les nominations pour une période indéterminée – la Commission a examiné sa jurisprudence pour déterminer les facteurs à prendre en considération au moment d’évaluer s’il y a lieu de révoquer une nomination – la Commission a indiqué qu’il ne s’agissait que de facteurs et non d’un critère – elle a énuméré ces facteurs non exhaustifs comme suit : a) l’abus de pouvoir mettait en cause le principe du mérite pour la nomination intérimaire; b) la révocation n’était pas nécessaire pour remédier concrètement à la situation de la plaignante; c) le retard dans l’audience de l’affaire; d) l’incidence que la révocation aurait sur la personne nommée – la Commission a ensuite déterminé que la réparation appropriée dans le présent cas était une déclaration d’abus de pouvoir et non une révocation.

Plaintes accueillies.

Contenu de la décision

Date : 20240605

Dossiers : 771-02-43342 et 44435

 

Référence : 2024 CRTESPF 78

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la fonction

publique

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

REbecca Savoie

plaignante

 

et

 

Administrateur général

(ministère de l’Emploi et du Développement social)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Savoie c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social)

Affaire concernant des plaintes d’abus de pouvoir – alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour l’intimé : Jean-Charles Gendron

Pour la Commission de la fonction publique : Maude Bissonnette Trudeau

Audience tenue par vidéoconférence

les 18 et 19 décembre 2023. (Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] La plainte concerne deux nominations. Le 6 août 2021, l’intimé a prolongé la nomination intérimaire de la personne nommée au-delà du seuil de quatre mois au moyen d’un processus de nomination non annoncé. Le 15 mars 2022, l’intimé a nommé la personne nommée au même poste pour une période indéterminée, toujours au moyen d’un processus de nomination non annoncé. La plainte porte sur la question de savoir si l’intimé a abusé de son pouvoir en recourant à un processus de nomination non annoncé pour l’une ou l’autre des nominations et si l’évaluation du mérite de la personne nommée dans l’un ou l’autre cas constituait un abus de pouvoir.

[2] J’ai conclu que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi un processus de nomination non annoncé pour effectuer la nomination pour une période indéterminée. J’ai également conclu que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite dans les deux cas lorsqu’il a évalué les qualifications liées à l’expérience récente et appréciable en matière de gestion des ressources humaines et des ressources financières.

[3] J’ai décidé de ne pas révoquer les nominations de la personne nommée, car cela n’aurait aucun avantage pratique. Malgré ces abus de pouvoir, la personne nommée était qualifiée pour le poste au moment où la nomination pour une période indéterminée a été faite. Par conséquent, au lieu de révoquer les nominations, j’ai rendu une déclaration relative à ces deux abus de pouvoir.

II. Contexte factuel relatif à la plainte

[4] Le poste en litige visé par la plainte est celui de directeur des Services d’intégrité dans la région de l’Atlantique d’Emploi et Développement social Canada (« EDSC »), classifié au groupe et niveau EX-01. De façon générale, le titulaire du poste est chargé de la gestion d’une équipe d’employés qui enquêtent sur la question de savoir si les clients ont droit aux prestations qui leur sont versées – principalement, mais non exclusivement, les prestations d’assurance-emploi. Le titulaire du poste relève du directeur général d’Intégrité et Services nationaux de la région de l’Atlantique d’EDSC, soit Carson Littlejohn.

[5] Au début de 2021, l’ancienne directrice des Services d’intégrité (Kathy Lusk) a quitté son poste pour une occasion de promotion. Cette occasion était, à l’origine, temporaire. M. Littlejohn a décidé de nommer la personne nommée à ce poste par intérim le 6 avril 2021, pour une période de quatre mois moins un jour. Avant l’expiration de la période de quatre mois, la personne nommée a été nommée par intérim à compter du 6 août 2021 jusqu’au 31 mars 2022 au moyen d’un processus de nomination non annoncé. M. Littlejohn était en vacances la semaine où la décision a été prise et, par conséquent, la décision a en fait été prise par Jody Doyle, qui agissait à titre de directeur général pendant l’absence de M. Littlejohn. Ce dernier et M. Doyle ont tous deux témoigné qu’ils avaient collaboré à cette nomination intérimaire, mais M. Doyle a aussi témoigné qu’il avait effectué sa propre évaluation indépendante de la personne nommée et qu’il n’avait pas simplement approuvé ce que M. Littlejohn avait déjà décidé.

[6] Par souci de commodité, je désignerai dorénavant cette nomination comme étant la nomination intérimaire, même s’il s’agissait de la deuxième nomination du genre.

[7] La promotion de Mme Lusk est devenue permanente au début de 2022. M. Littlejohn a décidé de nommer la personne nommée au poste pour une période indéterminée au moyen d’un processus de nomination non annoncé après avoir reçu l’approbation d’un comité de sous-ministres adjoints appelé Comité de gestion de l’effectif. La notification de candidature retenue pour cette nomination a été affichée le 10 mars 2022, et la nomination a été faite le 16 mars 2022. Je désignerai dorénavant cette nomination comme étant la nomination pour une période indéterminée.

III. Contexte procédural relatif à l’audition de la plainte par la Commission

[8] La plaignante a déposé une plainte contre la nomination intérimaire, processus 2021-CSD-ACIN-ATL-0102193, qui porte le numéro de dossier de la Commission 771-02-43342. Dans la plainte, il est allégué que l’intimé a abusé de son pouvoir en recourant à un processus de nomination non annoncé et que la nomination elle-même a constitué un abus de pouvoir pour des raisons que je décrirai en détail plus loin. La plaignante a également déposé une plainte contre la nomination pour une période indéterminée, soit le processus 2022-CSD-INA-ATL-0042616, qui porte le numéro de dossier de la Commission 771-02-44435, pour contester de nouveau le recours à un processus de nomination non annoncé et la nomination en soi. Compte tenu des similitudes entre les deux dossiers, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission », qui dans la présente décision fait référence à la Commission et à tous ses prédécesseurs au cours des années) les a regroupés et ils ont été entendus ensemble par vidéoconférence les 18 et 19 décembre 2023. C’est la raison pour laquelle je désigne ces deux plaintes au singulier.

[9] La Commission de la fonction publique (la « CFP ») a déposé de brefs arguments écrits, mais n’a adopté aucune position concernant l’issue de la plainte. J’ai tenu compte de ces arguments, mais je n’y fais pas davantage référence dans les présents motifs.

[10] La plaignante se représentait elle-même. En plus de témoigner en son propre nom, elle a adopté ses allégations écrites pour les deux plaintes. Les parties ont convenu que je peux traiter ses allégations écrites comme s’il s’agissait de son témoignage. L’intimé l’a contre-interrogée au sujet de ses allégations écrites et de son témoignage. M. Littlejohn et M. Doyle ont témoigné pour l’intimé.

IV. Le choix d’un processus de nomination non annoncé constitue-t-il un abus de pouvoir dans la nomination pour une période indéterminée?

[11] La Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12, 13; LEFP) énonce que la CFP (en pratique, un gestionnaire d’embauche exerçant un pouvoir que la CFP a délégué à un administrateur général qui, à son tour, l’a délégué à un gestionnaire d’embauche) peut utiliser un processus de nomination annoncé ou non annoncé. La LEFP précise ensuite qu’une personne dans la zone de recours peut présenter à la Commission une plainte selon laquelle le gestionnaire d’embauche a abusé de son pouvoir en choisissant entre un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé.

[12] La plaignante s’est évertuée à souligner qu’elle ne nie pas qu’un gestionnaire d’embauche a le droit de recourir à un processus de nomination annoncé ou non annoncé. M. Littlejohn et M. Doyle ont tous deux témoigné qu’ils comprenaient que les processus de nomination annoncés et non annoncés étaient tout aussi légitimes. L’intimé a également souligné que le gestionnaire d’embauche avait le pouvoir discrétionnaire de choisir entre un processus de nomination annoncé et un processus de nomination non annoncé.

[13] La plaignante a plutôt soutenu que l’intimé a abusé de son pouvoir dans le choix d’un processus non annoncé dans la présente affaire parce qu’il n’a pas fourni une justification de ce choix.

A. La justification d’un processus de nomination non annoncé pour la nomination intérimaire

[14] En ce qui concerne la nomination intérimaire, M. Doyle a préparé un document intitulé « Formulation de la décision de sélection » en collaboration avec M. Littlejohn. Il s’agit d’un formulaire utilisé à EDSC pour expliquer la raison pour laquelle un processus de nomination annoncé ou non annoncé a été utilisé. Le formulaire comporte une case à cocher indiquant que la raison d’un processus de nomination non annoncée est [traduction] « [u]ne nomination intérimaire de quatre mois ou plus lorsqu’une nomination non annoncée est considérée comme l’option de dotation la plus appropriée ». Évidemment, cela ne me dit rien quant aux raisons pour lesquelles le choix a été fait.

[15] Le formulaire comporte ensuite une case pour [traduction] « [a]utres raisons(s) – seulement si les raisons susmentionnées ne s’appliquent pas ». [Le passage en évidence l’est dans l’original] Même s’il a déjà coché une raison, comme il est indiqué au dernier paragraphe, le formulaire explique les raisons pour recourir à un processus de nomination non annoncé comme suit :

[Traduction]

[...]

Veuillez fournir une explication objective et factuelle de votre décision :

À la suite de l’évaluation de la candidate par rapport à l’énoncé des critères de mérite, [la personne nommée] a été sélectionnée comme leader ayant fait ses preuves, ayant occupé plusieurs postes de complexité et de portée croissantes au sein du Ministère. La formation et l’expérience de [la personne nommée] en matière d’intégrité (plus particulièrement, les enquêtes en matière d’assurance-emploi), ainsi que sa capacité démontrée de mobiliser les gens et d’agir de façon stratégique, la rendent apte à cette prolongation de nomination intérimaire jusqu’à la fin de mars 2022.

La candidate répond actuellement à un besoin de promouvoir l’innovation et d’orienter le changement dans les enquêtes en matière d’assurance-emploi après la prestation d’assurance-emploi d’urgence ou la prestation canadienne d’urgence (PCU) pour assurer la réussite opérationnelle ainsi que la santé et la sécurité de nos employés. Sa capacité d’envisager l’objectif final et d’élaborer une stratégie efficace au sein de son équipe et avec ses homologues nationaux aidera la région de l’Atlantique à réaliser les objectifs établis pour l’exercice.

Une nomination intérimaire non annoncée est utilisée pour s’assurer que la région est bien mobilisée et capable de s’adapter rapidement pendant cette période importante et difficile, où un équilibre délicat est nécessaire pour continuer à mobiliser et à motiver les employés dans les efforts de modernisation. La sélection est fondée sur des valeurs, car elle respecte la dualité linguistique, est un processus équitable et transparent et respecte les employés concernés. Un leadership constant et compétent au sein d’une équipe intégrée est essentiel, et ce leadership est obtenu au moyen de cette mesure de dotation.

La candidate en question est bien placée et possède les compétences et l’expérience requises pour conserver son rôle, surtout pour mobiliser et motiver l’équipe, partager des points de vue précieux et travailler en étroite collaboration avec les intervenants, y compris ses collègues de l’Intégrité dans les régions et à l’AC [Administration centrale]. Elle continue à susciter la bonne volonté et à obtenir des résultats. Cela permettra également de poursuivre le travail fondamental qui contribuera à la transformation continue à l’avenir.

Justification de la sélection

[La personne nommée] est une leader ayant fait ses preuves, ayant occupé plusieurs postes de complexité et de portée croissantes au sein du Ministère, y compris des occasions récentes de postes intérimaires classifiés au groupe et niveau EX-01. La formation et l’expérience de [la personne nommée] en matière d’intégrité, ainsi que sa capacité démontrée de mobiliser les gens la rendent apte à cette nomination intérimaire. Par conséquent, [la personne nommée] a été jugée la bonne candidate pour ce poste.

[...]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[16] Les premier, deuxième et quatrième paragraphes de cette justification correspondent à ce qui suit : l’intimé a eu recours à un processus non annoncé parce qu’il avait décidé de nommer la personne nommée. Le cinquième paragraphe porte également sur les raisons pour lesquelles la personne nommée a été choisie.

[17] Le troisième paragraphe exige un certain contexte pour bien le comprendre. M. Doyle et M. Littlejohn ont tous deux témoigné que, lorsque la pandémie de COVID‐19 a commencé en mars 2020, les employés de l’équipe d’enquête ont cessé d’enquêter sur les clients et ont été déployés pour aider d’autres équipes, notamment en travaillant dans des centres d’appels afin de verser les prestations aux clients pendant la pandémie. Cela a entraîné ce que M. Doyle a décrit comme de la lassitude à l’égard du changement. M. Doyle a également expliqué que l’une des raisons pour lesquelles il avait eu recours à un processus de nomination non annoncé était qu’il souhaitait nommer une personne qui faisait déjà partie de cette équipe, afin de réduire la lassitude à l’égard du changement. Par conséquent, la personne nommée a été promue au sein de cette même équipe parce que celle-ci la connaissait bien.

[18] M. Littlejohn a également témoigné au sujet de ce contexte, mais son témoignage était plus vague quant aux raisons pour lesquelles il a choisi un processus de nomination non annoncé. Il a témoigné que la personne nommée avait gagné son respect pendant la période intérimaire de moins de quatre mois qui a précédé cette nomination et qu’il avait discuté de la question avec des professionnels des ressources humaines. M. Littlejohn n’a rien dit au sujet du contenu de cette discussion, mais a plutôt semblé s’appuyer sur le fait que la discussion était suffisante. En raison du caractère vague de son témoignage, j’ai demandé à l’intimé, au cours de la plaidoirie finale, si je pouvais me fonder sur ce contexte opérationnel plus large ou si, subsidiairement, la justification du recours à un processus non annoncé se limitait à l’attrait de la personne nommée. L’intimé a fait valoir que je pouvais m’appuyer sur ce contexte opérationnel plus large. Après avoir examiné les arguments de l’intimé et avoir examiné plus attentivement le témoignage de M. Doyle parce qu’il est la personne qui a rempli le formulaire, il ressort clairement de ce témoignage que ce contexte opérationnel était un facteur dans la décision de recourir à un processus de nomination non annoncé.

B. La justification d’un processus de nomination non annoncé pour la nomination pour une période indéterminée

[19] En ce qui concerne la nomination pour une période indéterminée, M. Littlejohn a rempli le même formulaire. Il n’a coché que la case [traduction] « Autre(s) raison(s) » pour la décision de recourir à un processus de nomination non annoncé. Voici la justification écrite de cette décision :

[Traduction]

[...]

Veuillez fournir une explication objective et factuelle de votre décision :

Il s’agit d’une demande visant à nommer [la personne nommée] pour une période indéterminée au poste de directrice des Services d’intégrité de la région de l’Atlantique, classifié au groupe et niveau EX-01, au moyen d’un processus non annoncé.

[La personne nommée] occupe un poste d’attache au groupe et niveau PM-05 et occupe un poste classifié au groupe et niveau EX‐01 par intérim depuis le 6 avril 2021. Depuis qu’elle occupe ce poste par intérim, [la personne nommée] s’est révélée efficace dans la direction de l’équipe et son évaluation a permis de conclure qu’elle satisfait à toutes les exigences du poste. [La personne nommée] travaille au Ministère depuis 16 ans, a fait preuve d’excellentes compétences et d’un grand potentiel en leadership et a participé à un plan de gestion des talents et au Programme à l’intention des futurs directeurs. [La personne nommée] satisfait aux exigences linguistiques du poste (CBC) et s’est identifiée comme une personne handicapée.

Cette nomination est conforme aux priorités de dotation des RH de la région et permettra d’accroître la diversité au sein de l’équipe de direction. Une nomination non annoncée fondée sur les talents est l’option de dotation la plus appropriée dans le contexte actuel. Cette nomination n’augmentera pas le nombre d’EX dans notre région.

Cette décision est objective et exempte de tout favoritisme politique ou personnel.

Justification de la sélection

[La personne nommée] est une leader ayant fait ses preuves, ayant occupé plusieurs postes de complexité et de portée croissantes au sein du Ministère, y compris des occasions récentes de postes classifiés au groupe et niveau EX-01. La formation et l’expérience de [la personne nommée] en matière d’intégrité, ainsi que sa capacité démontrée de mobiliser les gens la rendent apte à cette nomination intérimaire. Par conséquent, [la personne nommée] a été jugée la bonne candidate pour ce poste.

[...]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[20] M. Doyle n’a joué aucun rôle dans cette décision et n’a témoigné d’aucune façon au sujet de la nomination pour une période indéterminée.

[21] M. Littlejohn n’a pas témoigné longuement ni au sujet de ce document ni de ses raisons de recourir à un processus de nomination non annoncé pour la nomination pour une période indéterminée. Il a déclaré qu’une fois que la promotion de Mme Lusk s’était stabilisée et était devenue permanente, il souhaitait doter ce poste de manière permanente, et qu’il avait pour habitude de souhaiter s’assurer que les postes sont dotés. Il a témoigné qu’en mars 2022, la personne nommée relevait de lui depuis un an et qu’il était satisfait de son rendement. M. Littlejohn a également témoigné qu’il s’agissait encore d’une période difficile en raison de la COVID-19 et pour les services publics, mais il n’a pas donné de détails sur ces défis. Plus important encore, il n’a pas déclaré que ces difficultés constituaient une raison de recourir à un processus de nomination non annoncée. Il a également mentionné en passant que la personne nommée faisait partie d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi (tant par écrit que pendant son témoignage). Toutefois, le document dans lequel il a décrit la décision de sélection comporte une case à cocher pour indiquer que l’équité en matière d’emploi constitue une raison pour choisir un processus de nomination non annoncé, et M. Littlejohn n’a pas coché cette case, indiquant que l’équité en matière d’emploi ne constituait pas un facteur dans ce processus de nomination et que sa mention de l’équité en matière d’emploi n’était qu’une mention.

[22] La plaignante a également souligné à juste titre que ce document relatif à la nomination pour une période indéterminée indiquait que les capacités de la personne nommée la rendaient apte à [traduction] « cette affectation intérimaire » [je souligne]. Il est clair que M. Littlejohn a simplement reproduit le dernier paragraphe de la justification de la nomination intérimaire dans son document justifiant la nomination pour une période indéterminée. Cela mine l’affirmation de M. Littlejohn pendant son témoignage selon laquelle il prend au sérieux les nominations à des postes de direction comme celui-ci.

C. Conclusion factuelle concernant les raisons de choisir des processus de nomination non annoncés

[23] J’ai tenu compte de la justification écrite et des témoignages de M. Doyle et de M. Littlejohn pour rendre la présente décision. Comme l’a déclaré la Cour fédérale lorsqu’elle a examiné une décision de la CFP faisant enquête sur un processus de nomination non annoncé, « [...] ce n’était pas suffisant pour que l’enquêteure se concentre uniquement sur le document de justification – la mission de l’enquêteure de la CFP est de recueillir d’autres éléments de preuve. »; voir Shakov c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1416, au par. 68 (appel accueilli en partie, mais non sur ce point dans 2017 CAF 250). La Commission n’est pas une enquêteure et son rôle ne consiste pas à recueillir des éléments de preuve; toutefois, la Commission n’est pas limitée non plus à examiner la justification écrite du recours à un processus de nomination non annoncé. Elle peut tenir compte de l’explication donnée par le décideur dans son témoignage, ainsi que de la justification écrite de la décision.

[24] Je vais commencer par le processus de nomination non annoncé. Après avoir examiné la justification écrite du recours à un processus de nomination non annoncé et les témoignages de M. Doyle et de M. Littlejohn, j’ai conclu que la principale raison pour laquelle ils ont eu recours à un processus de nomination non annoncé pour la nomination intérimaire était qu’ils avaient déjà décidé de nommer la personne nommée. La grande partie de la justification écrite de ce processus de nomination portait sur les qualifications et les caractéristiques de la personne nommée. Même le contexte opérationnel de la nomination intérimaire était en grande partie une autre raison de nommer la personne nommée – la nécessité d’éviter la lassitude à l’égard du changement signifiait la promotion d’un membre de l’équipe, et la personne nommée était la seule candidate possible de cette équipe.

[25] Cela dit, cette notion de lassitude à l’égard du changement constituait une justification opérationnelle du recours à un processus de nomination non annoncé. Il ne s’agissait pas de la principale raison, mais il s’agissait d’une raison de recourir à un processus de nomination non annoncé pour la nomination intérimaire.

[26] Les circonstances opérationnelles peuvent justifier le choix d’un processus de nomination non annoncé. Même si je ne suis pas d’accord pour dire que la nomination d’une personne simplement parce qu’elle est déjà membre de l’équipe constitue une bonne raison de le faire (parce que de nouvelles personnes apportent de nouvelles idées et que les nouvelles idées sont de bonnes choses), ce n’est pas mon rôle de contester les décisions des gestionnaires (voir Myskiw c. Commissaire du Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 70, au par. 32). Le rôle de la Commission n’est pas de remettre en question les raisons opérationnelles données pour choisir un processus de nomination non annoncé.

[27] Par contre, M. Littlejohn n’a jamais dit que ce contexte opérationnel avait joué un rôle dans le choix d’un processus de nomination non annoncé pour le poste pour une durée indéterminée. La justification écrite ne mentionne pas que le contexte opérationnel constitue la raison pour laquelle il a choisi un de recourir à un processus de nomination non annoncé, et il n’a pas donné de détails sur la justification écrite pendant son témoignage. La seule raison de recourir à un processus de nomination non annoncé pour la nomination pour une période indéterminée était que M. Littlejohn avait déjà identifié la personne nommée comme la personne qu’il souhaitait nommer.

D. Le fait de choisir un processus de nomination non annoncé uniquement parce que le gestionnaire d’embauche a déjà identifié un candidat convenable constitue un abus de pouvoir

[28] La question en litige dans la plainte à l’encontre de la nomination pour une période indéterminée consiste à savoir si le fait d’avoir déjà identifié un candidat à embaucher constitue une justification valable pour recourir à un processus non annoncé plutôt qu’à un processus annoncé. J’ai demandé directement à l’intimé pendant sa plaidoirie finale si le fait d’avoir identifié une candidate à embaucher constitue une justification suffisante pour recourir à un processus de nomination non annoncé, et il a soutenu que la réponse à cette question est oui. La plaignante n’était pas du même avis.

1. La Commission n’a rendu aucune décision antérieure sur ce point

[29] À l’appui de sa position, l’intimé n’a pu que citer des décisions antérieures de la Commission selon lesquelles la LEFP autorise un processus de nomination non annoncé et qu’il n’est pas nécessaire à prendre en considération plus d’un candidat pour un poste; voir Bérubé-Savoie c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2013 TDFP 2, au par. 38; Karoulis Newman c. Agence des services frontaliers du Canada, 2020 CRTESPF 22, au par. 29; Clout c. le Sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 TDFP 22, aux par. 31 et 34. Aucune de ces affaires ne porte sur la question de savoir si le fait de choisir un processus de nomination non annoncé uniquement parce que la personne nommée avait déjà été identifiée constitue un abus de pouvoir. Ces affaires portent plutôt sur la question de savoir si, après avoir décidé de recourir à un processus de nomination non annoncé, il était approprié que le gestionnaire d’embauche ne prenne en considération qu’un seul candidat. Le paragraphe 30(4) de la LEFP énonce clairement que la CFP (en pratique, un gestionnaire d’embauche) n’est pas tenue de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite. Ce point n’est pas contesté en l’espèce. Toutefois, il s’agit d’une question distincte de celle de savoir s’il faut choisir un processus annoncé ou non annoncé, comme le démontre l’utilisation par le législateur d’une disposition différente (art. 33 de la LEFP) pour conférer le pouvoir discrétionnaire de choisir entre ces deux processus.

[30] C’est dans Huard c. Administrateur général (Bureau de l’infrastructure du Canada), 2023 CRTESPF 9 que la Commission est venue le plus près d’aborder directement cette question. Dans cette affaire, l’intimé a mené un processus de nomination annoncé. Lorsque ce processus annoncé n’a pas donné lieu à un candidat retenu pour le poste (bien qu’il ait été utilisé avec succès pour la dotation d’autres postes), l’intimé a eu recours à un processus de nomination non annoncé pour la dotation du poste. Le plaignant, dans cette affaire, a soutenu que le recours à un processus de nomination non annoncé constituait un abus de pouvoir parce que ce choix était adapté en vue de s’assurer que la personne nommée soit nommée. La Commission a rejeté cet élément de la plainte en déclarant ce qui suit :

[...]

[108] Il me paraît établi dans la présente situation qu’on a choisi un processus non annoncé afin de nommer Mme Barros. Toutefois, la justification du processus non annoncé me paraît raisonnable. Le processus annoncé n’a pas fourni de candidat ou de candidate intéressé par le poste vacant dans l’équipe de Mme Payette, témoin le fait qu’aucun candidat qualifié du processus annoncé n’a finalement été nommé dans cette équipe (mais se sont placés ailleurs). Mme Barros connaissait déjà les tâches, elle était déjà à niveau, elle n’a pas évincé un bassin existant. Tous ces faits distinguent la situation de celle dans Hunter.

[...]

[110] Le fait de procéder à un processus non annoncé n’est pas en soi abusif. Le processus non annoncé est nécessairement une sélection faite pour une personne. On trouve la personne idéale, et pourvu qu’elle satisfasse aux critères de mérite, il n’y a rien à redire. Les gestionnaires délégués ne sont pas tenus de considérer plus d’un candidat ou candidate. Il y aurait abus de pouvoir dans ce choix s’il était établi qu’il servait expressément à écarter d’autres personnes qualifiées. Ce n’est pas le cas ici.

[...]

 

[31] Même si la décision de la Commission dans Huard souligne à juste titre qu’un processus non annoncé signifie habituellement qu’un seul candidat est pris en considération, la Commission n’a pas examiné la question de savoir si un intimé pouvait choisir un processus de nomination non annoncé uniquement parce qu’il avait déjà choisi le candidat retenu. Il ne s’agit pas d’une affaire où l’intimé a eu recours à un processus de nomination non annoncé expressément pour exclure d’autres personnes qualifiées (ce que Huard interdit au paragraphe 110); toutefois, il s’agit d’une affaire où l’intimé a eu recours à un processus de nomination non annoncé uniquement parce qu’il avait déjà choisi la personne nommée.

[32] Dans toutes les autres affaires dont je suis au courant, un intimé a justifié le recours à un processus de nomination non annoncé en partie en raison de quelque chose qui n’a rien à voir avec la personne choisie. La justification la plus courante est la rapidité, comme dans De Souza c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2023 CRTESPF 114, au par. 63, Bérubé-Savoie, au par. 18 (dans cette affaire, un besoin urgent de doter le poste), et Martin c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2024 CRTESPF 66 (où la Commission a conclu au par. 115 qu’il n’y avait en fait aucun besoin urgent de doter le poste, de sorte que le choix d’un processus non annoncé constituait un abus de pouvoir). Il existe d’autres justifications dans d’autres affaires, par exemple le fait qu’un processus annoncé antérieur n’a donné lieu à aucun candidat qualifié, comme dans Huard. Il existe d’autres raisons opérationnelles de choisir un processus de nomination non annoncé que la Commission n’a pas encore examinées, mais qui justifieraient le choix de ce processus, plus particulièrement (comme il en est ainsi en l’espèce) lorsqu’il s’agit de nommer une personne qui occupe le poste par intérim depuis un certain temps. Toutefois, même si M. Littlejohn a affirmé qu’il avait pour habitude de souhaiter s’assurer que les postes sont dotés, il n’a jamais laissé entendre que l’annonce de ce poste aurait laissé le poste vacant parce qu’un processus annoncé aurait été trop lent.

2. Le document d’orientation interne de l’intimé ne l’aide pas

[33] EDSC a également préparé des lignes directrices sur le recours aux processus de nomination annoncés ou non annoncés, qui énumèrent 16 considérations différentes pour aider les gestionnaires à choisir entre ces deux processus. Les mêmes lignes directrices énumèrent ensuite 18 raisons possibles de recourir à un processus de nomination non annoncé. La seule raison qui pourrait s’appliquer en l’espèce est la nomination d’une personne qui se déclare membre d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi (dans la présente affaire, les personnes handicapées). Comme je l’ai déjà mentionné, M. Littlejohn a invoqué ce motif pour justifier le recours à un processus de nomination non annoncé pour la nomination pour une période indéterminée (mais pas pour la nomination intérimaire). Toutefois, la mention du statut de groupe visé par l’équité en matière d’emploi de la personne nommée n’a été faite qu’en passant. Après avoir entendu son témoignage et lu les justifications en détail, j’ai conclu qu’il ne s’agissait pas du véritable fondement de cette décision. Il a ajouté cela après avoir déjà décidé de nommer la personne nommée.

[34] Le document d’orientation d’EDSC n’interdit pas expressément le recours à un processus de nomination non annoncé parce que le gestionnaire d’embauche a déjà identifié un candidat. Il énumère également les reclassifications et les nominations à partir d’un bassin préexistant créé au moyen d’un processus de nomination annoncé comme justifications d’un processus de nomination non annoncé. Ces situations ressemblent quelque peu au recours à l’identification d’un candidat qualifié pour justifier un processus de nomination non annoncé parce qu’elles concernent des circonstances où les qualifications de la personne nommée ont déjà été évaluées, mais elles ne sont pas tout à fait les mêmes que dans le cas présent (il n’y avait aucune reclassification et aucun bassin de candidats qualifiés préexistant).

[35] Après avoir examiné ce document d’orientation en détail, je constate qu’il ne fournit aucune ligne directrice sur cette question.

3. La réponse à cette question découle de la structure de la LEFP

[36] Étant donné qu’il n’existe aucune décision sur ce point et qu’aucun document stratégique ne peut guider ma décision, je dois revenir aux principes fondamentaux.

[37] La compétence de la Commission en l’espèce découle de l’al. 77(1)b) de la LEFP, qui interdit l’abus de pouvoir dans le choix entre un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé. La Cour d’appel fédérale a récemment décrit l’expression « abus de pouvoir » dans Davidson c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 226, au par. 25, comme suit :

[25] [...] La jurisprudence a élargi cette définition afin d’exiger plus qu’une simple démonstration de l’existence d’erreurs ou d’omissions. La conduite, l’erreur ou l’omission contestée doit être déraisonnable, inacceptable ou outrageante, de telle manière qu’il ne pouvait être l’intention du législateur que la personne en situation d’autorité exerce son pouvoir discrétionnaire de cette manière [...]

 

[38] La plupart des décisions de la Commission mettent l’accent sur la première phrase de cette citation, notamment qu’un abus de pouvoir exige plus qu’une simple erreur. Toutefois, je tiens à souligner la dernière chose que la Cour d’appel fédérale a affirmée dans ce passage, à savoir que je devrais examiner si le législateur avait l’intention que la personne en situation d’autorité puisse exercer son pouvoir discrétionnaire de cette manière. Pour ce faire, j’ai examiné le texte de la LEFP pour obtenir la réponse.

[39] Le paragraphe 77(1) de la LEFP confère à la Commission le pouvoir d’entendre une plainte contre une nomination interne pour trois motifs énoncés dans trois alinéas : en vertu de l’al. 77(1)a), il y a eu abus de pouvoir dans l’évaluation du mérite, en vertu de l’al. 77(1)b), il y a eu abus de pouvoir dans le choix entre un processus de nomination annoncé ou non annoncé, et en vertu de l’al. 77(1)c), il y a eu omission d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix. La présomption d’absence de tautologie dans l’interprétation des lois signifie que le législateur est présumé ne pas utiliser de mots superflus ou dénués de sens et que chaque mot d’une loi est présumé jouer un rôle dans la réalisation de l’objectif du législateur; voir Canada c. Canada North Group Inc., 2021 CSC 30, au par. 64. Cela signifie que je dois interpréter l’al. 77(1)b) de manière à ce qu’il ait un sens indépendant de celui de l’al. 77(1)a). Autrement dit, il doit exister une certaine façon dont le choix d’un processus de nomination non annoncé constitue un abus de pouvoir, même lorsqu’il n’y a pas eu d’abus de pouvoir dans l’évaluation du mérite de la personne nommée.

[40] Par conséquent, la structure du par. 77(1) de la LEFP exige que le choix du processus de nomination se fasse de manière indépendante de la sélection d’une personne nommée.

[41] La position de l’intimé selon laquelle un processus de nomination non annoncé est justifié uniquement parce qu’une personne qualifiée a déjà été choisie n’est pas conforme à la structure du par. 77(1) de la LEFP. Si j’adoptais la position de l’intimé, je rendrais l’al. 77(1)b) superflu, contraire à la présomption d’absence de tautologie, parce que chaque plainte concernerait dorénavant l’al. 77(1)a) et la question de savoir si le choix de la personne nommée est conforme au principe du mérite. Si le législateur avait l’intention que l’identification d’une personne qualifiée justifie le recours à un processus de nomination non annoncé, il n’aurait pas inclus l’al. 77(1)b) et aurait plutôt limité la compétence de la Commission à l’examen de la question de savoir si la personne nommée était en fait qualifiée, ce qui relève de la compétence de la Commission en vertu de l’al. 77(1)a).

[42] En conclusion, il ressort d’un examen minutieux de la justification écrite du choix d’un processus de nomination non annoncé et du témoignage de M. Littlejohn que la raison du choix d’un processus de nomination non annoncé pour la nomination pour une période indéterminée était qu’il avait déjà choisi la personne nommée pour le poste et qu’il n’était pas intéressé à examiner d’autres candidats possibles. Le fait d’invoquer cette seule raison pour choisir un processus de nomination non annoncé est incompatible avec l’intention du législateur telle qu’elle est exprimée dans la structure du par. 77(1) de la LEFP, lequel exige que la sélection d’un candidat et le choix d’un processus de nomination soient tous les deux justifiés. Par conséquent, j’ai conclu que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi un processus de nomination non annoncé pour effectuer la nomination pour une période indéterminée.

[43] En revanche, l’intimé a démontré une raison opérationnelle (notamment, la lassitude à l’égard du changement) pour choisir un processus de nomination non annoncé pour la nomination intérimaire. Cette raison opérationnelle ne constituait pas un abus de pouvoir.

4. Trois mises en garde à l’égard de cette conclusion

[44] Je veux terminer en formulant trois mises en garde à ma conclusion au sujet de la nomination pour une période indéterminée.

[45] En premier lieu, je reconnais encore une fois que la LEFP autorise expressément la prise en compte d’une seule personne pour une nomination. Si, après avoir décidé de recourir à un processus de nomination non annoncé, un gestionnaire d’embauche ne prend en compte qu’une seule personne et nomme cette personne, il n’y a rien de mal dans ce processus dans la mesure où la nomination ne constitue pas un abus de pouvoir d’une autre façon. Ma décision n’exige pas non plus qu’un gestionnaire d’embauche choisisse un processus non annoncé avant de prendre en compte la personne à nommer. On ne s’attend pas à ce qu’un gestionnaire d’embauche décide de recourir à un processus de nomination non annoncé sans avoir quelqu’un en tête pour le poste.

[46] En deuxième lieu, je reconnais que l’une des justifications acceptables d’un processus non annoncé est qu’il n’y a qu’un candidat potentiel qui possède les qualifications et les compétences requises pour le poste ou qui pourrait être trouvé dans un délai raisonnable. Dans Shakov, la Cour fédérale et les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale ont critiqué la CFP pour avoir conclu qu’un processus de nomination non annoncé n’était pas justifié étant donné qu’il n’y avait probablement qu’une seule personne disponible qui pouvait accomplir les tâches requises dans le cadre de cet emploi; voir la décision de la Cour fédérale aux paragraphes 67 à 69 et la décision de la Cour d’appel aux paragraphes 43 et 72. Dans le présent cas, M. Littlejohn n’a pas laissé entendre que la personne nommée était la seule candidate qui pouvait exécuter ce rôle pour une période indéterminée, de sorte que ce principe ne s’applique pas en l’espèce.

[47] Enfin, je reconnais qu’il existe un débat plus large sur la question de savoir si et quand les processus de nomination non annoncés sont appropriés dans l’administration publique fédérale. Comme je l’ai dit au début de cette section de ma décision, les deux parties ont convenu que les nominations non annoncées sont valides et appropriées; la présente décision se limite aux faits de la présente affaire, et j’ai expressément décidé de ne pas tenir compte de ce contexte plus large compte tenu de l’argument conjoint des parties. J’ai fait remarquer que les allégations de la plaignante portaient sur des processus de dotation dans la région de l’Atlantique d’EDSC, plus particulièrement sur le fait que les nominations non annoncées étaient trop courantes. Elle n’a aucunement discuté de cet élément lors de l’audience et, en fait, elle a choisi de retirer deux documents de son recueil de documents qui auraient traité de cette allégation. Par conséquent, je n’ai pas davantage tenu compte de cet argument.

V. L’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite lorsqu’il a évalué deux qualifications

[48] La plaignante a également déclaré que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’évaluation de la personne nommée. Les deux parties ont convenu que le simple fait d’établir des erreurs ou des omissions ne suffit pas à démontrer un abus de pouvoir. Je suis du même avis. Par exemple, dans Bérubé-Savoie, au par. 29, la Commission a affirmé que « [...] le fait qu’une erreur ou une omission constitue ou non un abus de pouvoir dépend de sa nature et de sa gravité. » Elle a formulé des affirmations semblables dans Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, aux par. 65 (« [...] l’intention du législateur était qu’il fallait plus que de simples erreurs ou omissions pour constituer un abus de pouvoir ») et 73 (« [l]’abus de pouvoir constitue plus que simplement des erreurs ou omissions [...] »); et dans Fang c. Administrateur général (ministère de l’Industrie), 2023 CRTESPF 52, au par. 105 (« [u]n abus de pouvoir est une question de degré – pour qu’une telle conclusion soit faite, l’erreur ou l’omission doit être si énorme qu’elle ne peut faire partie de la discrétion accordée au gestionnaire délégué [...] »).

[49] La plaignante a relevé un certain nombre d’actes qu’elle a qualifiés d’erreurs importantes et a affirmé que ces erreurs, en particulier lorsqu’elles sont combinées, constituent un abus de pouvoir. L’intimé a nié avoir commis des erreurs, mais il a également déclaré que si une erreur avait été commise, elle ne constituait pas un abus de pouvoir.

[50] J’ai examiné de manière approfondie les allégations de la plaignante, son témoignage et ses arguments verbaux afin de relever toutes les erreurs dont elle s’est plainte. Après avoir soigneusement examiné ses éléments de preuve et ses arguments, j’ai relevé huit aspects ou éléments qu’elle a qualifiés d’erreurs. Je les ai divisés en deux catégories : sept éléments à l’égard desquels je conclus qu’il n’y avait en fait aucune erreur ou que l’erreur était mineure et n’était pas suffisamment grave pour justifier une préoccupation, puis un autre aspect plus grave nécessitant un examen plus approfondi.

A. Allégations dans la plainte qui ne constituaient pas des erreurs importantes

1. Erreurs alléguées à l’égard desquelles il n’existait aucun élément de preuve ou qui n’ont pas fait l’objet d’arguments

[51] Il y a des erreurs invoquées dans les allégations à l’égard desquelles la plaignante n’a fait aucune référence verbalement (ni dans son témoignage ni dans ses arguments) et à l’égard desquelles je ne disposais d’aucun renseignement dans les documents à l’appui. Par exemple, la plaignante a soutenu que l’évaluation des critères de mérite indiquait à tort que la personne nommée avait déjà occupé le poste de « gestionnaire principale », alors qu’elle n’avait été qu’une gestionnaire (dont le rang est inférieur à celui d’un gestionnaire principal) ou qu’une directrice (dont le rang est supérieur à celui d’une gestionnaire principale). La plaignante n’a rien dit d’autre à ce sujet et ne m’a fourni aucun renseignement sur la différence, le cas échéant, entre le poste de gestionnaire et celui de gestionnaire principal ni sur la raison pour laquelle cette différence est pertinente. Compte tenu de l’absence d’éléments de preuve ou de renseignements à ce sujet et à propos d’autres allégations semblables, je ne peux pas les examiner davantage.

2. Dépendance excessive envers les conseillers en ressources humaines

[52] La plaignante a soutenu que M. Littlejohn s’était trop fié aux conseils des responsables des ressources humaines lorsqu’il a exercé son pouvoir délégué pour nommer la personne nommée. Selon le témoignage de M. Littlejohn, il a travaillé en étroite collaboration avec les responsables des ressources humaines, mais il a finalement pris la décision finale de recourir à un processus de nomination non annoncé et de choisir la personne nommée. Je ne peux conclure que le fait d’obtenir des conseils et d’agir en fonction de ces conseils pourrait constituer un abus de pouvoir.

3. Identification de la personne qui a réellement mené l’évaluation en vue de la nomination intérimaire

[53] La plaignante a fait valoir qu’il n’est toujours pas clair qui a réellement évalué la question de savoir si la personne nommée était qualifiée pour la nomination intérimaire – M. Littlejohn ou M. Doyle. Toutefois, leurs témoignages étaient cohérents : ils ont tous deux affirmé que M. Doyle avait pris la décision finale de nommer la personne nommée parce qu’il était responsable pendant la semaine où la nomination a été faite, mais qu’il avait consulté M. Littlejohn à ce sujet en profondeur. Je ne vois rien de mal à l’idée qu’un gestionnaire d’embauche par intérim pendant une courte période pour couvrir des vacances ne prendrait une décision qu’après avoir entendu l’opinion du gestionnaire d’embauche permanent. En l’espèce, il n’est pas question de savoir si l’un ou l’autre des gestionnaires n’avait pas le pouvoir délégué pour procéder à cette nomination. L’évaluation narrative de la nomination intérimaire aurait dû indiquer qu’elle était fondée sur les observations et les conclusions de M. Doyle et de M. Littlejohn. Il aurait été encore mieux que l’évaluation sépare les observations des deux cadres et qu’ils la signent tous les deux. Toutefois, je suis convaincu que l’évaluation a été effectuée en collaboration, mais que l’évaluation écrite finale a été rédigée par le signataire, M. Doyle.

4. Utilisation de compétences qui ne figurent pas dans l’énoncé des critères de mérite

[54] La plaignante a fait valoir que la personne nommée avait été évaluée en fonction de compétences qui ne figuraient pas dans l’énoncé des critères de mérite pour le poste. Je ne suis pas d’accord pour dire que c’est ce qui s’est passé. La plaignante a confondu deux documents distincts : la Formulation de la décision de sélection et l’Évaluation des critères de mérite. Comme son nom l’indique, l’évaluation des critères de mérite a été effectuée dans le cadre du dernier document. Le premier document porte sur les raisons pour lesquelles un processus de nomination non annoncé a été utilisé.

[55] Quoi qu’il en soit, l’argument de la plaignante est fondé sur la notion selon laquelle un gestionnaire d’embauche ne peut tenir compte que des qualifications essentielles et des qualifications constituant un atout figurant dans l’énoncé des critères de mérite pour un poste. Il n’en est pas ainsi en l’espèce. Le paragraphe 30(2) de la LEFP prévoit qu’une nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne nommée possède les qualifications essentielles pour le travail à accomplir et la CFP (en pratique, le gestionnaire d’embauche) prend en compte toute qualification supplémentaire (habituellement désigné les « qualifications constituant un atout »), les exigences opérationnelles actuelles ou futures de l’organisation et les besoins actuels ou futurs de l’organisation. De cette façon, la LEFP énonce expressément que les nominations sont fondées sur le mérite lorsque le gestionnaire d’embauche tient compte d’autres facteurs que les qualifications essentielles et les qualifications constituant un atout du poste. Comme l’a énoncé la Commission dans Gannon c. Sous-Ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 14, au par. 70 :

70 Les gestionnaires jouissent donc d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour déterminer qui est la bonne personne pour occuper le poste. Dans certains cas, le gestionnaire peut choisir la personne à nommer en se fondant sur ses points forts par rapport à une ou à plusieurs qualifications essentielles, ou en tenant compte des besoins organisationnels ou des qualifications constituant un atout.

[Je souligne]

 

[56] Dans d’autres contextes, le fait de s’écarter de l’énoncé des critères de mérite peut constituer un abus de pouvoir. Toutefois, comme il s’agissait d’un processus de nomination non annoncé, il n’y a pas lieu de craindre qu’un candidat potentiel soit induit en erreur quant à la façon de formuler sa trousse de demande ou toute autre forme de préjudice pour les candidats potentiels. Le fait d’utiliser des compétences ou d’autres facteurs en plus de ceux qui figurent dans l’énoncé des critères de mérite ne constitue pas automatiquement un abus de pouvoir et n’était pas abusif dans la présente affaire.

5. Les discussions informelles et l’échange de renseignements outrepassent la portée de la plainte

[57] La plaignante a exprimé des préoccupations quant au fait qu’elle ait dû poser la question deux fois avant que M. Littlejohn n’entreprenne une discussion informelle avec elle au sujet de la nomination intérimaire. Comme l’a souligné l’intimé, il n’y a aucune obligation d’offrir une discussion informelle, et le fait qu’un plaignant doive en faire la demande n’est pas problématique; voir Pond c. Sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 2015 CRTEFP 44, au par. 35.

[58] De même, la plaignante s’est également plainte qu’à l’étape de l’échange de renseignements de la plainte visant la nomination intérimaire, on ne lui a pas fourni de documents à moins qu’elle ne les demande nommément. Par exemple, elle a demandé la divulgation de tous les documents partageables concernant l’évaluation du mérite. L’intimé lui a fourni l’évaluation des critères de mérite. Lorsque la plaignante a appris que la personne nommée avait soumis un curriculum vitae (CV), elle a dû demander le CV nommément avant qu’il ne lui soit communiqué.

[59] Même si je suis d’accord avec la plaignante pour dire que la réponse à sa demande était inutilement pénible, le fait de ne pas avoir divulgué des documents en temps opportun n’est pas pertinent pour mon évaluation de la question de savoir si les nominations constituent un abus de pouvoir. Si des documents ne sont pas communiqués, les plaignants peuvent déposer une demande en vertu de l’article 17 du Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique (DORS/2006-6) pour que la Commission ordonne à l’intimé de produire ces documents. Une allégation quant à l’omission de fournir des renseignements pertinents n’est pas pertinente à la question de savoir si la nomination constitue un abus de pouvoir; voir Menzies c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2023 CRTESPF 68, au par. 10.

[60] La plaignante a également déclaré que, pendant la discussion informelle qui a eu lieu, M. Littlejohn a utilisé ce qu’elle a appelé un [traduction] « langage comparatif » pour décrire la personne nommée (c.-à-d. la personne nommée était « plus compétente » ou « convenait mieux au poste » que d’autres personnes). Si je comprends bien la préoccupation de la plaignante, elle a déclaré qu’il était incohérent que M. Littlejohn utilise un langage comparatif tout en affirmant qu’une seule candidate a été évaluée ou prise en considération pour le poste. Selon le témoignage de M. Littlejohn, en utilisant des termes comme [traduction] « plus compétente », il tentait simplement d’expliquer que la personne nommée était un solide leader, mais qu’il s’était penché à un moment donné sur la possibilité d’envisager d’autres candidats. Je ne vois aucune erreur de la part de M. Littlejohn sur ce point; il me semble logique qu’un gestionnaire d’embauche réfléchisse à la possibilité de prendre en considération d’autres employés avant de décider de ne pas le faire. La plaignante s’est également plainte du fait que M. Littlejohn avait fait référence à un [traduction] « bassin de talents », mais qu’il n’y avait pas de programme officiel de gestion des talents en place; toutefois, je ne vois rien de mal ou d’inhabituel à ce qu’un ministère ou une région surveille de façon informelle les employés très performants qu’ils s’attendent à voir occuper des postes de direction.

[61] Après avoir entendu la plaignante et M. Littlejohn, j’ai conclu qu’ils parlaient à des fins opposées pendant la rétroaction informelle. La plaignante souhaitait débattre des détails de l’évaluation de la personne nommée ainsi que de plusieurs politiques de nomination. M. Littlejohn souhaitait rassurer la plaignante en lui disant qu’elle était une employée appréciée qui était en voie d’être promue à un poste de direction. Il était tout à fait approprié qu’il utilise la rétroaction informelle de cette façon.

6. L’évaluation de toutes les qualifications, sauf deux, était suffisante

[62] La plaignante a fait valoir que l’évaluation de la personne nommée était insuffisante. À plusieurs reprises, la plaignante a critiqué l’évaluation des critères de mérite pour les deux nominations, affirmant qu’ils ne comprenaient qu’environ 1 800 mots. Elle a invoqué Regier c. Administrateur général du Service correctionnel du Canada, 2021 CRTESPF 123, aux par. 34 à 37, pour la proposition selon laquelle l’évaluation du mérite doit fournir une explication de la façon dont un candidat satisfait aux qualifications du poste, du moment où il le fait et de la raison pour laquelle il le fait.

[63] Toutefois, dans Regier, l’intimé a nommé un candidat en se fondant sur son rendement solide dans le cadre d’un processus de nomination visant un poste différent. Les deux postes dans Regier avaient des qualifications différentes, de sorte que le premier processus de nomination n’a pas évalué l’un des critères de nomination pour le deuxième poste. Dans cette affaire, l’intimé avait préparé une évaluation narrative des critères manquants qui « [...] n’a fourni que des déclarations générales fondées sur des impressions » (voir Regier, au par. 34). La Commission n’était pas seulement préoccupée par la longueur ou le niveau de détail de l’évaluation narrative; elle était préoccupée par l’absence d’éléments de preuve démontrant que les critères pertinents avaient réellement été évalués (voir Regier, aux par. 36 et 38).

[64] En revanche, en l’espèce, la plaignante a seulement soutenu que le texte utilisé dans l’évaluation narrative était trop court et pas assez détaillé. J’ai rejeté cet argument. Les critères de mérite eux-mêmes sont assez larges et génériques – comme on pourrait s’y attendre pour un poste de direction, où un sens aigu de la gestion est plus important que des connaissances ou des compétences spécialisées. L’évaluation narrative tient compte de la nature des critères évalués. De plus, le document d’évaluation fournissait des exemples concrets de tâches que la personne nommée avait accomplies pour démontrer qu’elle répondait à la plupart des critères énumérés. Les explications relatives à certains critères étaient plus vagues que d’autres; j’ai énoncé les explications les plus vagues comme suit :

Critères du mérite

Explication

Connaissance des priorités du gouvernement du Canada et de leur lien avec le mandat et les priorités d’Emploi et Développement social Canada

Observée en tant que subalterne directe, [la personne nommée] a occupé divers postes de direction à Service Canada où elle a démontré ses connaissances et sa compréhension des priorités du gouvernement du Canada et de leur valeur dans le travail de son équipe, de sa région et de son ministère.

Créer une vision et une stratégie

Observée en tant que subalterne directe, [la personne nommée] démontre cette compétence par sa réflexion stratégique. Elle est une visionnaire qui peut créer des solutions concrètes grâce à la collaboration, à la recherche et à son expérience personnelle. Elle peut visualiser un résultat final et travaille avec son équipe pour s’assurer que les résultats requis sont obtenus par des moyens responsables et novateurs.

Faire preuve d’intégrité et de respect

Observée en tant que subalterne directe, [la personne nommée] encourage et appuie un équilibre travail-vie personnelle pour ses employés. Elle est un modèle et elle appuie les valeurs de la fonction publique, notamment l’intégrité, l’équité, la transparence, la confiance et le respect.

 

[65] Je suis d’accord avec la plaignante pour dire que ces explications sont vagues, mais cela tient compte des critères de mérite eux-mêmes, qui ne peuvent être mesurés avec précision. M. Littlejohn et M. Doyle ont également tous deux témoigné au sujet de la façon dont ils ont personnellement observé que la personne nommée répondait à ces critères, et la Commission a déjà conclu qu’une explication écrite vague ou par ailleurs insatisfaisante d’une nomination peut être complétée par un témoignage à l’audience (voir Bérubé-Savoie, au par. 60). Je suis convaincu qu’ils ont effectivement évalué les critères et que la personne nommée répondait à ces critères. Si l’explication est vague, les qualifications le sont aussi.

[66] La plaignante a fait valoir en outre que la Commission devrait évaluer la qualité de l’évaluation du point de vue d’autres personnes et que, de son point de vue, la justification n’est pas assez complète, ce qui est injuste. Elle a cité Amirault c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2012 TDFP 6, à l’appui de cette proposition. Cependant, Amirault porte sur le critère approprié lorsqu’un plaignant allègue qu’un gestionnaire d’embauche a un parti pris contre lui. La Commission a décidé d’utiliser le critère de la crainte raisonnable de partialité, qui l’oblige à déterminer si une personne raisonnable (c.-à-d. une « autre ») percevrait de la partialité. Il s’agit d’un critère différent pour une question différente et n’a aucune incidence sur la façon dont la Commission évalue la qualité de l’évaluation du mérite par un gestionnaire d’embauche.

7. L’erreur dans le CV de la personne nommée

[67] Le CV préparé par la personne nommée pour la nomination intérimaire indiquait qu’elle avait occupé le poste de directrice d’Intégrité et Services nationaux, par intérim, entre avril 2021 et mars 2022. Puisque le CV visait une nomination intérimaire qui a commencé en août 2021, il s’agissait clairement d’une erreur dans le CV. M. Littlejohn a témoigné qu’il n’avait pas remarqué l’erreur dans le CV avant que la plaignante ne le lui signale après l’avoir reçue dans le cadre de l’échange de renseignements. Doyle n’a pas non plus été en mesure d’expliquer cette erreur dans le CV. L’intimé a admis qu’il s’agissait d’une erreur, mais a soutenu qu’elle n’était pas notable et qu’aucun poids ne devrait lui être accordé.

[68] Je suis du même avis que l’intimé. Une erreur dans un CV ne rend pas la nomination invalide. Je ne peux pas non plus tirer la conclusion que la plaignante m’a pressé à adopter, à savoir que cette erreur démontre que la personne nommée s’est vu promettre le poste avant qu’elle ne soit évaluée pour celui-ci. Comme M. Littlejohn l’a expliqué dans son témoignage à ce sujet, la personne nommée était peut-être simplement optimiste. Enfin, ni M. Doyle ni M. Littlejohn ne se sont fiés au CV pour effectuer la nomination intérimaire. M. Doyle en particulier a témoigné qu’il devait avoir une copie du curriculum vitae, mais ni l’un ni l’autre des gestionnaires n’a témoigné qu’ils l’avaient lu ou qu’ils s’y étaient fiés de quelque façon que ce soit.

B. L’évaluation de deux qualifications constituait un abus de pouvoir

[69] Il reste un autre élément de la plainte qui est plus préoccupant : comment l’évaluation de la personne nommée s’est-elle réellement déroulée en ce qui concerne les qualifications liées à l’expérience récente et appréciable en matière de gestion des ressources humaines et des ressources financières.

[70] L’évaluation de chaque critère de mérite de la personne nommée (à l’exception de ses compétences dans les langues officielles et de ses antécédents scolaires) a été effectuée au moyen d’une évaluation narrative datée du 9 juillet 2021 et du 9 mars 2022. Comme je l’ai mentionné plus tôt dans la présente décision, bon nombre de ces évaluations commencent par l’expression [traduction] « Observée en tant que subalterne directe ». Plus particulièrement, l’évaluation de l’expérience récente et appréciable en matière de gestion des ressources humaines et des ressources financières indique qu’elle a été effectuée en fonction de l’observation en tant que subalterne directe. L’évaluation décrit le travail accompli par la personne nommée depuis avril 2019. Cette évaluation pose un double problème.

1. L’évaluation était censée être fondée sur l’observation en tant que subalterne directe, mais elle était en fait également fondée sur une référence

[71] Le premier problème est que la déclaration figurant à l’évaluation narrative est fausse parce que l’évaluation n’était pas fondée uniquement sur l’observation directe. En ce qui concerne la nomination intérimaire, comme je l’ai mentionné plus tôt, il s’agissait d’une évaluation réalisée en collaboration par M. Doyle et M. Littlejohn (M. Doyle étant ultimement responsable de l’évaluation). Dans son témoignage, M. Littlejohn a affirmé que, lorsque Mme Lusk quittait son emploi pour une nouvelle occasion, il a discuté de son remplacement avec elle. M. Littlejohn a témoigné qu’il avait demandé l’opinion de Mme Lusk et qu’il avait tenu compte de cette opinion. M. Littlejohn a également témoigné qu’il n’estimait pas que cela constituait une vérification officielle des références, mais que Mme Lusk avait certainement une opinion dont elle lui avait fait part. Enfin, M. Littlejohn a également déclaré que sa connaissance personnelle de la personne nommée, sa discussion avec Mme Lusk et une discussion avec M. Doyle (qui a validé ses connaissances personnelles) ont toutes joué un rôle.

[72] Même si M. Littlejohn a déclaré qu’il n’y avait pas eu de vérification officielle des références, sa discussion avec Mme Lusk a clairement été utilisée comme référence – tout simplement sans notes, sans ordre du jour et sans enregistrement de ce qu’elle a dit, à l’exception du souvenir de M. Littlejohn à l’audience, qui était seulement que Mme Lusk avait une opinion favorable de la personne nommée.

2. Il n’y a pas eu d’observation en tant que subalterne directe pendant une période suffisante pour évaluer ces deux qualifications

[73] Le deuxième problème concerne la nature et la durée de cette observation directe. Quatre des critères de mérite pour ce poste exigeaient une expérience récente et appréciable. L’« expérience récente » était définie comme ayant été acquise au cours des trois dernières années. L’« expérience appréciable » était définie comme suit [traduction] « [...] la profondeur et l’étendue de l’expérience normalement acquise sur une période d’un (1) an ».

[74] La personne nommée a commencé à relever directement de M. Littlejohn seulement lorsqu’elle a commencé sa nomination intérimaire initiale le 6 avril 2021. Par conséquent, M. Littlejohn ne l’avait observée à titre de subalterne directe que pendant trois mois lorsque le formulaire a été rempli pour la deuxième nomination intérimaire le 9 juillet 2021. Cela signifie donc que M. Littlejohn ne pouvait pas avoir observé la personne nommée comme ayant une expérience appréciable puisqu’il l’avait observée comme une subalterne directe que pendant seulement trois mois.

[75] M. Littlejohn a affirmé qu’il connaissait bien les gestionnaires de son équipe et que, par conséquent, il connaissait le travail de la personne nommée avant la nomination intérimaire du 6 avril 2021. Même si cela peut être le cas, l’évaluation narrative indique qu’elle a été préparée en fonction de ce qui a été [traduction] « [o]bserv[é] en tant que subalterne directe ». Ce n’est pas la même chose que de connaître un subalterne indirect.

[76] M. Littlejohn a également témoigné que la personne nommée agissait à l’occasion au nom de Mme Lusk lorsque celle-ci était absente. M. Littlejohn a dit qu’il s’agissait d’un [traduction] « remplacement » de Mme Lusk lorsqu’elle était en vacances ou pendant d’autres courtes absences. Même si cela signifie que la personne nommée était une subalterne directe de M. Littlejohn pendant de courtes périodes avant le 6 avril 2021, je ne vois pas comment ses observations pour ces courtes périodes pourraient servir de fondement à une conclusion selon laquelle la personne nommée possédait la profondeur et l’étendue de l’expérience normalement acquise sur une période d’un an.

[77] M. Doyle a témoigné que la personne nommée était l’une de ses subalternes directes lorsque, pendant la période initiale de quatre mois de sa nomination intérimaire, il a remplacé M. Littlejohn. Comme il l’a dit, lorsqu’il remplaçait M. Littlejohn, la personne nommée était sa subalterne directe. Encore une fois, je ne vois pas comment les observations de M. Doyle pendant ces courtes périodes pourraient servir de fondement à une conclusion selon laquelle la personne nommée possédait la profondeur et l’étendue de l’expérience normalement acquise sur une période d’un an.

[78] M. Doyle a également témoigné que, dans son rôle d’attache, il devait former et surveiller des employés et leur prodiguer des conseils sur les questions soulevées. Cela comprenait l’offre de formation, la surveillance et des conseils à la personne nommée avant et après sa nomination intérimaire du 6 avril 2021. Il a donné comme exemple les conseils que la personne nommée a donnés à la haute direction sur la façon de modifier les priorités à la suite de la COVID-19. M. Doyle a témoigné qu’il connaissait le travail de la personne nommée dans ces contextes. Je n’ai aucun problème à ce que M. Doyle fonde son évaluation sur ce qu’il a observé dans ce contexte, et je fais remarquer que la description de la façon dont la personne nommée satisfaisait à une qualification différente qu’il a liée aux conseils sur la modification des priorités ne commençait pas par la phrase [traduction] « [o]bservée en tant que subalterne directe ».

[79] Le problème demeure que deux des critères de mérite exigeant une expérience appréciable ont été évalués en fonction de l’observation en tant que subalterne directe. Au moment de la nomination intérimaire, il n’y avait pas d’observation en tant que subalterne directe pendant une période qui leur aurait permis de décider si elle possédait la profondeur et l’étendue de l’expérience requise pour ces deux critères de mérite.

[80] J’ai également examiné la question de savoir si la référence de Mme Lusk aurait pu fournir les renseignements nécessaires, mais, comme je l’ai dit plus tôt, le témoignage de M. Littlejohn au sujet de cette référence était seulement que Mme Lusk avait une impression positive de la personne nommée. Rien dans la preuve ne permet de conclure que Mme Lusk a fourni à M. Littlejohn des renseignements sur l’expérience de la personne nommée en matière de gestion des ressources humaines et des ressources financières.

[81] Au moment de l’évaluation de la nomination pour une période indéterminée (qui a été approuvée le 9 mars 2022), la personne nommée relevait directement de M. Littlejohn depuis un peu plus de 11 mois. Je suis prêt à accepter que cette période de 11 mois, combinée aux périodes pendant lesquelles la personne nommée [traduction] « remplaçait » Mme Lusk depuis avril 2019, totaliserait un an. Toutefois, rien dans la preuve ne permet d’établir que M. Littlejohn a réellement tenu compte du travail accompli par la personne nommée après l’évaluation du 9 juillet 2021. L’évaluation narrative aux fins de la nomination pour une période indéterminée est identique à l’évaluation aux fins de la nomination intérimaire. De toute évidence, M. Littlejohn a simplement reproduit cette évaluation. Selon son témoignage au sujet de l’évaluation du 9 mars 2022, elle était [traduction] « semblable » à celle du 9 juillet 2021. C’est un euphémisme : elle est identique, sauf l’ajout d’une ligne à la fin du document portant sur l’équité en matière d’emploi.

[82] Puisque M. Littlejohn a témoigné que l’évaluation du 9 juillet 2021 avait été préparée par M. Doyle (avec ses commentaires antérieurs), je fais remarquer que M. Littlejohn a simplement reproduit le travail de M. Doyle et l’a présenté comme étant le sien. Le fait de copier le travail d’une autre personne ne constitue pas nécessairement un abus de pouvoir, mais le fait d’entraver le pouvoir discrétionnaire d’une personne peut constituer un abus de pouvoir. La plaignante n’a pas fait valoir que M. Littlejohn avait entravé son pouvoir discrétionnaire en copiant l’évaluation de M. Doyle et en la faisant passer pour la sienne, et je laisse donc à une autre instance le soin de décider si cela constitue un abus de pouvoir.

[83] Plus important encore, puisque l’évaluation narrative datée du 9 mars 2022 est identique à celle datée du 9 juillet 2021, M. Littlejohn ne doit pas avoir utilisé les renseignements qu’il a appris pendant que la personne nommée était sa subalterne directe entre le 9 juillet 2021 et le 9 mars 2022. Autrement dit, l’évaluation demeure entièrement fondée sur ce qu’il a observé avant le 9 juillet 2021. Cela signifie que l’évaluation de la nomination pour une durée indéterminée présente les mêmes lacunes que celle de la nomination intérimaire : elle n’a pas été (contrairement à ce qu’elle indique) entièrement fondée sur l’observation personnelle en tant que subalterne directe, la période d’observation personnelle en tant que subalterne directe n’a pas été suffisamment longue pour permettre à M. Littlejohn de s’assurer que la personne nommée possédait une expérience appréciable (c’est-à-dire au moins un an) en matière de gestion des ressources humaines et des financières, et rien n’indique non plus que la vérification des références a fourni ces renseignements.

[84] Je souligne que la Commission a déjà exprimé des préoccupations lorsqu’un répondant a fourni une référence qui était fondée sur des observations personnelles d’un employé et non sur son expérience personnelle de la supervision de celui-ci; voir Bazinet c. Sous-ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 CRTESPF 82, au par. 54. La décision rendue dans Bazinet confirme mon propre point de vue selon lequel il existe une différence importante entre les observations d’un employé en général et les observations de cet employé en tant que subalterne directe.

[85] Il n’est pas nécessaire que le gestionnaire d’embauche ait personnellement observé les qualifications d’une personne nommée pour mener un processus de nomination équitable. À l’inverse, il n’y a rien d’intrinsèquement mal à effectuer une évaluation narrative fondée sur la connaissance personnelle d’une personne nommée. Comme la Commission l’a indiqué, un gestionnaire d’embauche « [...] n’est pas tenu de prendre en compte sa connaissance personnelle dans l’évaluation des candidats », mais il « [...] ne devrait pas adopter une approche rigide et stricte [...] » pour déterminer s’il doit tenir compte de la connaissance personnelle des qualifications d’un candidat; voir Payne c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2013 TDFP 15, au par. 51; et Lirette c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 42, aux par. 17 et 27 (où la candidature d’une candidate a été rejetée au moment de la présélection avec raison parce qu’elle n’a pas démontré ses qualifications dans sa candidature, car elle s’était fiée aux connaissances des évaluateurs quant à la nature de son emploi actuel).

[86] Je ne reproche pas à l’intimé de s’être fié à la connaissance personnelle de M. Littlejohn ou de M. Doyle de la personne nommée en l’espèce. Je ne reproche pas non plus à l’intimé le fait que M. Littlejohn a demandé à Mme Lusk son opinion de la personne nommée dans la présente affaire.

[87] Je reproche à l’intimé la nomination intérimaire parce que l’évaluation narrative de deux qualifications indiquait qu’elle était fondée sur l’observation personnelle de la personne nommée en tant que subalterne directe, alors que l’évaluation était en fait fondée sur une combinaison d’observations personnelles en tant que subalterne directe, d’observations personnelles en tant que subalterne indirecte, d’observations personnelles dans d’autres contextes et d’une référence fournie par une gestionnaire précédente. Je reproche également à l’intimé ce qui suit : (1) les deux qualifications évaluées nécessitaient plus d’un an d’expérience et les observations personnelles de M. Littlejohn et de M. Doyle de la personne nommée à titre de subalterne directe représentaient une durée de beaucoup inférieure à un an au moment de la nomination intérimaire, (2) leurs observations en tant que subalterne indirecte n’étaient pas claires et fiables, et (3) rien n’indique que la référence de Mme Lusk comprenait quoi que ce soit au sujet de la gestion des ressources humaines et des ressources financières.

3. Cette omission était de nature à en faire un abus de pouvoir

[88] Comme je l’ai indiqué plus tôt, ce ne sont pas toutes les erreurs qui constituent un abus de pouvoir. J’estime qu’il n’est pas utile en l’espèce d’utiliser des adjectifs comme [traduction] « grave » ou [traduction] « flagrante » pour indiquer les erreurs qui constituent un abus de pouvoir, comme cela a été fait dans les affaires précitées. À mon avis, la question cruciale est de savoir si une erreur en particulier met en péril l’objectif primordial de la LEFP, qui est de garantir que les nominations sont fondées sur le mérite. Comme le dit la Cour d’appel fédérale dans Bambrough c. La Commission de la Fonction publique, [1976] 2 CF 109, à la page 115, « [l]a sélection selon le principe du mérite constitue l’objectif principal de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique et le critère essentiel d’appréciation de l’exercice des pouvoirs conférés par la Loi ». Même si la Cour écrivait au sujet de la version antérieure à 2005 de la LEFP, ce passage demeure vrai aujourd’hui en vertu de la version actuelle. Par conséquent, une erreur constitue un abus de pouvoir lorsqu’elle met en péril le principe du mérite.

[89] La LEFP définit le « mérite » comme signifiant, entre autres, qu’une personne nommée doit posséder les qualifications essentielles du poste (voir l’art. 30). Les fautes que j’ai décrites ont mis en péril cette règle. L’évaluation narrative écrite de la nomination intérimaire, à première vue et même étayée par les témoignages de M. Littlejohn et de M. Doyle, ne démontre pas que la personne nommée possédait les qualifications d’une expérience récente et appréciable en matière de gestion des ressources humaines et des ressources financières. L’évaluation narrative est également trompeuse en ce sens qu’elle indique que l’observation en tant que subalterne directe était la seule source de l’évaluation, alors qu’en fait elle était fondée en partie sur les observations de Mme Lusk. Enfin, je ne dispose d’aucun élément de preuve concernant ce que Mme Lusk a dit au sujet de l’expérience de la personne nommée en matière de gestion des ressources humaines et des ressources financières et de la question de savoir si elle pouvait fournir les informations nécessaires pour établir que la personne nommée possédait ces deux qualifications.

[90] Par conséquent, j’ai conclu qu’il y a eu un abus de pouvoir dans l’évaluation de ces deux qualifications aux fins de la nomination intérimaire.

[91] Je suis parvenu à une conclusion semblable à l’égard de la nomination pour une période indéterminée parce que M. Littlejohn n’a pas procédé à une nouvelle évaluation de ces qualifications compte tenu de son expérience d’environ un an à titre de superviseur direct de la personne nommée. Étant donné qu’il a simplement reproduit l’évaluation pour la nomination intérimaire, je dois accepter sans réserve son témoignage selon lequel il n’a pas procédé à une nouvelle évaluation en mars 2022.

[92] Je tiens à établir une distinction entre mes conclusions concernant la nomination intérimaire et la nomination pour une période indéterminée. En ce qui concerne la nomination intérimaire, je ne dispose d’aucun élément de preuve qui indique que la personne nommée possédait les qualifications du poste au moment de sa nomination. D’autre part, en ce qui concerne la nomination pour une période indéterminée, je dispose de ces éléments de preuve. Comme je l’ai indiqué plus tôt, selon les éléments de preuve dont je dispose, la personne nommée occupait le poste depuis 11 mois et, pendant certaines périodes, elle avait [traduction] « remplacé » Mme Lusk, ce qui équivalait à un an. Cela signifie que j’ai conclu que, en ce qui concerne la nomination intérimaire, la personne nommée n’a pas été nommée selon le mérite. En revanche, j’ai conclu que le processus d’évaluation suivi pour la nomination pour une période indéterminée mettait en péril le principe du mérite (ce qui en fait un abus de pouvoir), mais qu’il s’avère que la personne nommée était qualifiée pour le poste et que la nomination elle-même a donc été faite conformément au mérite.

[93] Enfin, l’intimé aurait facilement pu éviter ce résultat de plusieurs façons, en supposant, bien sûr, que la personne nommée possédait effectivement les qualifications pour le poste. L’intimé aurait pu dire d’emblée que l’évaluation de la personne nommée était en partie fondée sur la recommandation de Mme Lusk, puis demander à Mme Lusk de confirmer qu’elle avait personnellement observé que la personne nommée possédait ces deux qualifications au cours de la période d’un an nécessaire. Mme Lusk n’avait même pas besoin de le confirmer par écrit; comme l’a indiqué la Commission dans Dionne c. le Sous-ministre de la Défense nationale, 2008 TDFP 11, au par. 66, et dans Bazinet, au par. 65, il est important de prendre et de conserver les notes de la vérification des références, mais le fait de ne pas le faire ne constitue pas automatiquement un abus de pouvoir. M. Doyle aurait pu formuler l’évaluation narrative différemment pour indiquer clairement qu’il ne fondait pas son évaluation sur son observation de la personne nommée en tant que subalterne directe, mais qu’il la fondait plutôt sur son observation de la personne nommée (sur une période de plus d’un an) dans d’autres contextes dont il a été question précédemment et expliquer la raison pour laquelle ces autres contextes démontraient l’expérience nécessaire. M. Littlejohn aurait pu effectuer une nouvelle évaluation de la personne nommée en mars 2022 au lieu de copier l’évaluation de M. Doyle mot pour mot. M. Littlejohn aurait pu interroger la personne nommée au lieu de se fier uniquement à ses observations personnelles. Je suis certain qu’il existe une myriade d’autres façons dont l’intimé aurait pu éviter cette conclusion.

[94] Par conséquent, j’ai conclu que l’évaluation des qualifications de la personne nommée constitue un abus de pouvoir.

VI. La réparation appropriée est une déclaration

[95] La plaignante demande trois réparations dans la plainte, à savoir : une suspension du pouvoir de nomination subdélégué du gestionnaire d’embauche, une réévaluation de la personne nommée par la CFP et la révocation par moi de la nomination. L’intimé soutient que la Commission n’a pas compétence pour ordonner les deux premières réparations et qu’elle ne devrait pas ordonner le troisième parce qu’il n’a pas contrevenu la LEFP et n’a pas agi de façon inconsidérée.

A. La Commission n’a pas le pouvoir de suspendre le pouvoir de nomination subdélégué d’un gestionnaire d’embauche

[96] En commençant par la première réparation, je suis d’accord avec l’intimé pour dire que la Commission n’a pas compétence pour suspendre le pouvoir de nomination subdélégué d’un gestionnaire d’embauche. Comme la Cour fédérale l’a indiqué dans Canada (Procureur général) c. Cameron, 2009 CF 618, au par. 18 :

[18] La lecture combinée des articles 77, 81 et 82 de la Loi indique que toute mesure corrective ordonnée par le Tribunal ne doit porter que sur le processus de nomination faisant l’objet des plaintes dont il est saisi. La mesure corrective doit viser à remédier au défaut identifié par le Tribunal lors de l’audition de la plainte dont il est saisi, et elle ne peut pas porter sur d’autres processus de nomination passés ou futurs dont le Tribunal n’est pas saisi par une plainte formulée selon la Loi.

 

[97] Une ordonnance suspendant le pouvoir de nomination subdélégué d’un gestionnaire d’embauche se rapporterait à des processus de nomination futurs dont la Commission n’est pas saisie. Comme l’a souligné la Cour fédérale dans Cameron, au par. 30, une telle ordonnance relève également de la compétence exclusive de la CFP et non de la Commission.

B. Il ne s’agit pas d’une affaire appropriér pour révoquer la nomination de la personne nommée

[98] En ce qui concerne la demande d’une ordonnance de révocation des nominations de la personne nommée, récemment, dans Turner c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 192, la Cour d’appel fédérale a annulé une ordonnance de la Commission refusant de révoquer une nomination parce que la Commission a déclaré qu’une telle ordonnance ne peut être rendue que dans de rares circonstances. Ce faisant, la Cour d’appel a énuméré 21 affaires où la révocation a été ordonnée, une affaire où elle aurait été ordonnée si elle avait été demandée, et 13 affaires où la Commission a examiné la révocation d’une nomination, mais a refusé de la révoquer. La Cour d’appel n’a fourni aucune ligne directrice quant au moment où une nomination devrait être révoquée, mais elle a déclaré que la Commission doit justifier sa décision dans un sens ou dans l’autre. La Commission a aussi récemment réexaminé sa décision, comme l’a ordonné la Cour d’appel dans Turner c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2024 CRTESPF 33 (Turner 2024). Je commence par examiner ces décisions.

1. La révocation n’est pas automatique

[99] La révocation n’est pas automatique. Elle demeure une réparation discrétionnaire. Comme la Commission l’a déclaré récemment dans Monfourny c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2023 CRTESPF 37, au par. 113 :

[113] En vertu de l’art. 81 de la LEFP, dès que la Commission juge une plainte fondée, elle « peut » ordonner à l’administrateur général de révoquer la nomination. La LEFP n’oblige aucunement la Commission d’ordonner la révocation d’une nomination lorsqu’elle conclut à un abus de pouvoir. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire. En demandant à la Commission de conclure qu’une ordonnance de révocation doit toujours être émise lorsqu’elle conclut à un abus de pouvoir, la plaignante demande à la Commission de faire fi du libellé de l’art. 81 de la LEFP et du pouvoir discrétionnaire dont bénéficient les membres de la Commission dans l’exercice de leur pouvoir décisionnel. Ordonner une mesure de réparation est un exercice discrétionnaire qui est intimement lié aux faits de chaque instance portée devant la Commission.

 

[100] Il s’agit d’un écart important par rapport à la version de la LEFP antérieure à 2004. En vertu de cette loi, la CFP était tenue de révoquer une nomination après que l’appel de cette nomination eut été accueilli; voir Maassen c. Commission de la fonction publique du Canada, 2001 CFPI 633, au par. 16. Si le législateur avait l’intention que la Commission révoque les nominations dans toutes les plaintes accueillies, il n’aurait pas modifié la LEFP de façon à rendre cette réparation discrétionnaire.

2. Facteurs utilisés par la Commission pour déterminer s’il y a lieu de révoquer une nomination

[101] J’ai examiné les 35 affaires citées par la Cour d’appel dans Turner. J’ai également examiné deux décisions de Commission publiées après Turner dans lesquelles la révocation était demandée (Monfourny c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2023 CRTESPF 37, et Huard); dans les deux cas, la Commission n’a pas révoqué les nominations. J’ai examiné ces affaires afin d’évaluer tout fondement rationnel sur lequel je pourrais appuyer ma décision en l’espèce.

[102] Avant d’examiner ces affaires, j’ai examiné le préambule de la LEFP, qui énonce que l’un de ses objets est d’assurer une « [...] fonction publique [...] axée sur le mérite [...] ». Les facteurs que j’énumère ci-dessous sont compatibles avec cet objectif.

[103] Dans 12 affaires, la Commission a révoqué une nomination sans donner de motifs détaillés pour justifier le choix de cette réparation : Martin c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 19; Bain c. le sous-ministre des Ressources naturelles du Canada, 2011 TDFP 28; Amirault; Whalen c. le sous-ministre des Ressources naturelles du Canada, 2012 TDPF 7; Pardy c. le sous-ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada, 2012 TDPF 14; Spirak c. le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2012 TDFP 20; Renaud c. Sous‐ministre de la Défense nationale, 2013 TDFP 26; Ryan c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2014 TDFP 9; De Santis c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2016 CRTEFP 34; Goncalves c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, 2017 CRTESPF 2; Sachs c. la présidente de l’Agence de la santé publique du Canada, 2017 CRTESPF 3; et Regier.

[104] Dans deux affaires, la Commission a décidé de ne pas révoquer une nomination sans donner de motifs détaillés : Cameron c. l’Administrateur général de Service Canada, 2008 TDFP 16 (infirmée dans 2009 CF 618; comme je l’ai mentionné précédemment, les autres réparations de la Commission ont été annulées); et Chiasson c. Sous-ministre de Patrimoine canadien, 2008 TDFP 27 (même si la plaignante n’a pas demandé la révocation dans ce cas). Dans une autre affaire, la Commission n’a pas révoqué une nomination parce que le plaignant n’avait pas demandé cette réparation : Hammouch c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2012 TDFP 12.

[105] Enfin, Patton c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 8; et Myskiw c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2019 CRTESPF 107, ne sont pas utiles sur ce point, Patton parce que la Commission a rendu une ordonnance inhabituelle selon laquelle l’intimé devait évaluer une qualification qui n’avait pas encore été évaluée (dont je discuterai plus loin), et Myskiw parce que le plaignant n’a pas demandé la révocation, mais la Commission a déclaré qu’elle aurait rendu une telle ordonnance sans expliquer la raison en détail.

[106] Cela signifie que je n’avais pas besoin d’examiner sérieusement 17 des 35 affaires citées dans Turner.

[107] Parmi les autres affaires où la Commission a ordonné la révocation, trois fois, elle l’a fait en raison de la gravité de l’abus de pouvoir : Beyak c. le sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 35 (confirmée dans 2011 CF 629; « la manière inappropriée et contraire à l’éthique » dont les nominations ont été effectuées); Ayotte c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 16 (le « grave cas d’inconduite »); et Healey c. Président de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2014 TDFP 14 (les « erreurs et omissions graves », même s’il n’y avait aucun élément de preuve indiquant que les personnes nommées n’étaient pas qualifiées pour leur nomination). J’ai décidé de ne pas suivre ce courant jurisprudentiel pour deux raisons.

[108] En premier lieu, comme je l’ai décrit précédemment, la Commission (y compris dans ces trois affaires) a conclu qu’une conclusion d’abus de pouvoir exige déjà des erreurs ou une inconduite « graves » ou « flagrantes ». J’ai déjà expliqué mon malaise à fonder une décision sur ces adjectifs. Toutefois, si une erreur doit être grave au point de violer l’art. 77 de la LEFP, le fait d’affirmer qu’un « grave cas d’inconduite » (par exemple) justifie la révocation d’une nomination est tautologique parce que toutes les violations doivent être graves afin que la plainte soit traitée à l’étape de la réparation.

[109] En deuxième lieu, le fait de se concentrer sur l’ampleur du problème lié au processus de nomination détourne l’attention des personnes directement touchées par la plainte (plaignants et personnes nommées) et la place sur les gestionnaires d’embauche. En mettant l’accent sur l’étendue ou l’ampleur de l’erreur, la Commission traitait la révocation d’une nomination comme une forme de punition pour le gestionnaire d’embauche. Ce n’est pas le cas; en fait, le gestionnaire d’embauche est la personne la moins touchée par la révocation d’une nomination.

[110] Dans Turner 2024, la Commission a indiqué au paragraphe 48 qu’il était plus probable qu’elle ordonne la révocation d »une nomination dans certains types de cas, notamment lorsque la nomination n’était pas fondée sur le mérite, lorsqu’il y a eu favoritisme personnel ou lorsque le processus de nomination était entaché de vices importants. Cette déclaration diffère des décisions de la Commission que j’ai refusé de suivre, car, dans Turner 2024, la Commission a simplement indiqué les types de cas où elle avait tendance à ordonner la révocation et n’a pas indiqué que ces conclusions constituaient un facteur à prendre en considération pour décider s’il y a lieu de révoquer une nomination. Dans Turner 2024, la Commission a déterminé la corrélation et non la causalité.

[111] Dans les autres affaires, la Commission a tenu compte des facteurs suivants (dont je tiendrai également compte) :

a) La question de savoir si la nature de l’abus de pouvoir a entraîné une nomination incompatible avec le principe du mérite en ce sens que la personne nommée n’était pas qualifiée pour le poste; voir Rochon c. le sous‐ministre des Pêches et des Océans, 2011 TDFP 7; Marcil c. le sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2011 TDFP 31; Burt c. Sous-ministre des Anciens Combattants Canada, 2019 CRTESPF 31; et Turner 2024 où les nominations ont été révoquées parce que les personnes nommées ne possédaient pas les qualifications requises pour les postes. Voir également Hughes c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2011 TDFP 16; Ostermann c. le sous‐ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2012 TDFP 28; Gabon c. le sous-ministre d’Environnement Canada, 2012 TDFP 29; Laviolette c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2015 CRTESPF 6; Hill c. Sous-ministre des Tavaux publics et des Services gouvernementaux, 2017 CRTESPF 21; Hunter c. Sous-ministre de l’Industrie, 2019 CRTESPF 83; Gomy c. Sous-Ministre de la Santé, 2019 CRTESPF 84; et Monfourny, où les nominations n’ont pas été révoquées parce que les personnes nommées étaient qualifiées pour leurs postes.

 

b) La question de savoir si la révocation est nécessaire pour accorder une mesure corrective intégrale au plaignant ou un redressement pratique; voir Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29; et Kress c. le sous-ministre d’Affaires indiennes et du Nord Canada, 2011 TDFP 41. Voir également Payne, où la Commission n’a pas ordonné la révocation parce que le plaignant ne voulait pas poursuivre le processus de nomination c’est‐à‐dire que la révocation n’était pas utile au plaignant.

 

c) Le retard à instruire l’affaire; voir Gomy et Huard.

 

d) La question de savoir si l’incidence de la révocation sur la personne nommée est équitable; voir Gomy et Huard sur ce point également.

 

[112] En ce qui concerne ce dernier point, à savoir si la révocation est équitable pour une personne nommée, les pouvoirs de la Commission en vertu du par. 81(1) de la LEFP sont presque identiques aux pouvoirs de la CFP en vertu des articles 66 à 69 – notamment, révoquer une nomination et prendre une mesure corrective qu’elle juge indiquée. Dans Seck c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 314, la Cour d’appel fédérale a réitéré ce qui suit au sujet de la nature d’une ordonnance révoquant une nomination, aux paragraphes 50 et 51 :

[50] La révocation d’une nomination par la Commission en vertu de l’article 69 n’est donc pas une mesure disciplinaire, car une telle nomination est nulle ab initio. Il ne s’agit pas là d’un congédiement ou d’un licenciement qui peut faire l’objet d’un grief. Les autres mesures correctives que peut prendre la Commission ne peuvent non plus faire l’objet d’un grief.

[51] Si la Commission ne peut prendre de mesures disciplinaires en vertu de l’article 69, les mesures correctives qu’elle prend en vertu de cet article ne peuvent être contestées par un grief en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Le recours approprié est plutôt une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Il n’est donc pas question d’appliquer aux mesures correctives en vertu de l’article 69 les principes juridiques propres au droit du travail, tels les principes de la proportionnalité et de la gradation des sanctions. Ces mesures correctives doivent plutôt être contrôlées en utilisant les principes du droit administratif, c’est‐à‐dire qu’elles doivent relever de la compétence de la Commission et être raisonnables.

 

[113] Dans MacAdam c. Canada (Procureur général), 2014 CF 443, au par. 112, la Cour fédérale a confirmé que ces principes s’appliquent à l’art. 66 de la LEFP, ainsi qu’à l’art. 69.

[114] Compte tenu du libellé pratiquement identique des articles 66 et 69 de la LEFP, d’une part et du par. 81(1) d’autre part, j’ai conclu que ce principe s’applique au pouvoir de réparation de la Commission en vertu du par. 81(1). Plus particulièrement, lorsque la Commission exerce sa compétence en vertu du par. 81(1) de la LEFP, elle ne prend pas une mesure disciplinaire contre les participants à un processus de nomination et elle ne devrait pas prendre en considération les « principes juridiques propres au droit du travail » de la proportionnalité et des mesures disciplinaires progressives.

[115] Toutefois, dans Shakov, au par. 80, la Cour d’appel fédérale a également conclu que la CFP avait agi de façon déraisonnable en ne tenant pas compte du fait que la personne nommée « [...] n’y était pour rien dans les décisions contestées et pourtant cette mesure [révocation] a eu des répercussions très graves pour [elle] » lorsqu’elle a révoqué la nomination de la personne nommée. Encore une fois, compte tenu du libellé pratiquement identique des art. 66 et 69 de la LEFP, d’une part, et du par. 81(1), d’autre part, la Commission devrait suivre les mêmes facteurs que la Cour d’appel a obligé la CFP à suivre pour décider s’il y a lieu de révoquer une nomination.

[116] L’effet combiné des décisions Seck, MacAdam, Shakov, Gomy et Huard est que la Commission devrait tenir compte des conséquences de la révocation d’une nomination pour la personne nommée et leur accorder un certain poids, alors que cette dernière n’était pas complice de l’abus de pouvoir dans un cas particulier. Ce faisant, la Commission ne tient pas compte de principes comme les mesures disciplinaires progressives, mais elle tient plutôt compte des conséquences pour la personne nommée et leur attribue le poids approprié.

[117] Je conclus sur ce point en soulignant que, dans Turner 2024, la Commission a révoqué deux nominations, mais a néanmoins déclaré au paragraphe 54 qu’elle « [...] insiste sur le fait qu’en raison de l’incidence possible de ma décision sur les personnes nommées, je n’ai pas pris celle-ci à la légère ». La Commission a donc tenu compte de l’incidence sur les personnes nommées lorsqu’elle a décidé de révoquer ou non leur nomination, même si elle a finalement décidé de révoquer leur nomination malgré l’incidence sur elles.

[118] Je conclus en déclarant qu’il ne s’agit que de facteurs et non d’un critère que la Commission suit. Il s’agit également de facteurs non exhaustifs, et il pourrait y avoir d’autres facteurs pertinents dans des affaires futures.

3. Évaluation de ces facteurs

[119] J’examine maintenant l’évaluation de ces facteurs dans la présente affaire.

a. L’abus de pouvoir met en cause le principe du mérite pour la nomination intérimaire

[120] En premier lieu, l’abus de pouvoir en l’espèce était double : l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi un processus de nomination non annoncé pour la nomination pour une période indéterminée et dans son évaluation de deux des qualifications essentielles pour le poste.

[121] Une conclusion selon laquelle il y a eu abus de pouvoir dans le choix d’une nomination non annoncée milite généralement contre la révocation de la nomination de la personne nommée, car cela ne signifie pas habituellement que la personne nommée n’est pas qualifiée pour le poste. Par contre, une conclusion d’abus de pouvoir dans l’application du mérite est plus susceptible d’entraîner une révocation lorsque la Commission conclut également que la personne nommée n’est pas qualifiée pour le poste. Enfin, dans la plupart des cas, le poids le plus important est accordé à ce facteur, tel que cela est expliqué dans Turner 2024, aux par. 44 et 45.

[122] En l’espèce, ce facteur milite contre la révocation de la nomination pour une période indéterminée. Ma conclusion selon laquelle il y a eu abus de pouvoir dans le choix d’une nomination non annoncée ne signifie pas que la personne nommée n’était pas qualifiée pour le poste, ce qui milite contre la révocation. De plus, même si j’ai conclu à un abus de pouvoir dans l’évaluation du mérite en raison du processus suivi, j’ai également conclu que la personne nommée possédait les qualifications malgré le processus suivi. De plus, contrairement à Turner 2024, il n’y avait pas de mauvaise foi qui mettrait plus sérieusement en cause le principe du mérite.

[123] En revanche, ce facteur milite en faveur de la révocation de la nomination intérimaire, car je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant que la personne nommée était qualifiée pour le poste lorsqu’elle a été nommée par intérim.

b. La révocation n’est pas nécessaire pour offrir un redressement pratique à la plaignante

[124] En deuxième lieu, la révocation n’est pas nécessaire pour offrir une réparation intégrale ou un redressement pratique à la plaignante. Dans de nombreuses plaintes, le plaignant avait postulé l’emploi (ou souhaitait postuler un emploi qui n’avait pas été annoncé), et l’abus de pouvoir signifiait que le plaignant n’avait pas eu une chance équitable d’obtenir le poste, comme dans Denny et Kress. En l’espèce, la plaignante n’a jamais déclaré qu’elle souhaitait cet emploi. Je reconnais que le fait de déposer une plainte exprime un intérêt à l’égard d’un poste qui a été doté au moyen d’un processus de nomination non annoncé (voir Lafrance c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2022 CRTESPF 36, au par. 40), mais je n’ai pas d’autre indication que la plaignante souhaitait avoir cet emploi.

[125] Après avoir déposé sa plainte, la plaignante a été nommée à un poste classifié au groupe et niveau EX-01, d’abord à titre intérimaire, puis pour une durée indéterminée. L’intimé a tenté d’insinuer que la plaignante avait agi de façon inappropriée en se plaignant d’un processus de nomination non annoncé alors qu’elle avait été nommée à un poste classifié au groupe et niveau EX-01 dans le cadre d’un processus de nomination qui était aussi non annoncé. Je rejette sans réserve cette insinuation. Je ne vois aucune raison pour laquelle un plaignant devrait refuser d’accepter une possibilité de promotion ou se retirer des nominations non annoncées simplement parce qu’il a déposé une plainte auprès de la Commission.

[126] Cela dit, ce facteur ne milite pas en faveur pas la révocation. La plaignante ne souhaite pas ou n’a pas besoin d’une réparation intégrale et elle ne bénéficierait pas de la révocation de cette nomination, puisqu’elle occupe son poste classifié au groupe et niveau EX-01 et qu’elle n’a jamais dit qu’elle souhaitait ce poste ou était qualifiée pour ce dernier.

c. Le retard de l’audition de la présente affaire

[127] En troisième lieu, le retard de l’audition de la présente affaire n’a pas été excessif. Je comprends que la personne nommée occupait le poste pour une période indéterminée depuis près de deux ans au moment où la présente affaire a été entendue, mais c’est beaucoup moins que les cinq années passées dans Huard ou les trois années passées dans Gomy.

[128] Je comprends également que la Commission a révoqué deux nominations dans Turner 2024 après des retards beaucoup plus longs et a laissé entendre au paragraphe 55 que l’amélioration des horaires signifierait que « [...] le passage du temps ne constituera bientôt plus une considération pertinente relativement à la détermination des mesures correctives qu’il convient de prendre » [je souligne].

[129] Ce facteur ne milite pas en faveur de la révocation, mais je lui ai accordé très peu de poids et beaucoup moins de poids que la Commission a accordé dans Huard et Gomy. Je partage également l’espoir exprimé dans Turner 2024 que ce facteur ne sera bientôt plus pertinent.

d. L’incidence de la révocation sur la personne nommée

[130] Enfin, j’ai tenu compte de l’incidence de la présente décision sur la personne nommée ainsi que de sa participation à l’abus de pouvoir. L’incidence de la révocation de la nomination pour une période indéterminée pourrait inclure un retour à son poste classifié au groupe et niveau AS-05, si ce poste existe, sous réserve qu’elle soit nommée à un autre poste classifié au groupe et niveau EX-01 (ou à un autre poste) en vertu de l’art. 86 de la LEFP. Mis à part l’erreur dans son CV dont il a été question précédemment, la personne nommée n’est aucunement à blâmer en l’espèce et, comme je l’ai dit plus tôt, la question du CV n’a joué aucun rôle dans la décision. La personne nommée s’est vu offrir un emploi et elle l’a accepté. Ce facteur ne milite pas en faveur pas la révocation.

e. Les quatre facteurs pris ensemble ne militent pas en faveur de la révocation

[131] J’ai tenu compte de la décision de la Commission dans Patton en particulier comme un point intermédiaire entre la révocation et la non-révocation d’une nomination. Dans cette affaire, la Commission a conclu à un abus de pouvoir parce que l’intimé n’avait pas évalué l’une des qualifications pour un poste. Cette omission a rendu impossible la vérification de la question de savoir si la nomination de la personne nommée était conforme au principe du mérite et constituait également un abus de pouvoir. En tant que réparation, la Commission a écrit ce qui suit aux paragraphes 39 à 41 (en-têtes omis) :

39 Avant que ne se termine l’audition de cette plainte, le plaignant et l’intimé ont été invités à parler des mesures correctives qu’il conviendrait de prendre si la plainte était accueillie. Les deux parties ont abordé expressément la question de l’évaluation, et ni l’une ni l’autre ne se sont opposées à la prise de mesures correctives pour compléter l’évaluation.

40 Après avoir examiné les observations des parties sur la question des mesures correctives, le Tribunal conclut qu’en l’espèce, il est possible de corriger l’abus de pouvoir dans un premier temps en évaluant M. King au regard du critère de qualification essentielle CO7 et, dans un deuxième temps, en prenant les mesures nécessaires en fonction du résultat de cette évaluation.

41 Le Tribunal ordonne à l’intimé de prendre les mesures correctives ci-dessous dans les 30 jours suivant cette décision :

1. compléter l’évaluation de M. King au regard du critère essentiel CO7 afin de déterminer si celui‐ci possède les qualifications nécessaires pour être nommé au poste d’OSE;

2. révoquer la nomination de M. King s’il est établi que ce dernier ne répond pas au critère essentiel CO7;

3. informer les parties à cette plainte du résultat des mesures correctives.

 

[132] Il s’agit d’une solution attrayante, car elle me permettrait de relever l’erreur dans la façon dont la personne nommée a été évaluée et de donner ensuite à l’intimé l’occasion de l’évaluer lui-même. En fin de compte, j’ai décidé de ne pas l’ordonner, pour deux raisons.

[133] En premier lieu, l’art. 82 de la LEFP interdit à la Commission d’ordonner à la CFP de mener un nouveau processus de nomination. Cette interdiction s’applique également aux délégués de la CFP, de sorte que la Commission ne peut pas ordonner à un gestionnaire d’embauche d’exercer ce pouvoir délégué pour mener un nouveau processus de nomination. J’ai conclu qu’une ordonnance enjoignant à l’intimé de réévaluer la personne nommée équivaudrait à une ordonnance de mener un nouveau processus de nomination. Je souligne que, dans Patton, les deux parties ont expressément convenu que la Commission avait compétence pour rendre cette ordonnance. En l’absence d’une telle entente en l’espèce, je dois être davantage conscient des garde-fous en matière de compétence auxquels la Commission est assujettie.

[134] L’art. 82 de la LEFP porte également sur la demande de la plaignante visant à obtenir une ordonnance enjoignant à la CFP (plutôt qu’à l’intimé) de réévaluer les qualifications de la personne nommée. Je n’ai pas compétence pour rendre cette ordonnance.

[135] En deuxième lieu, les qualifications en l’espèce sont très différentes de celles dans Patton. Dans Patton, il s’agissait d’une qualification liée aux connaissances : la personne nommée devait connaître les lois, les règlements et les décrets relatifs à l’entreposage et à la manipulation des sources radioactives. Rien ne garantissait que la personne nommée possédait ces connaissances. En revanche, les qualifications en l’espèce sont des qualifications liées à l’expérience. Comme je l’ai expliqué en détail plus tôt, l’intimé n’a pas correctement évalué ces deux qualifications. Toutefois, la personne nommée occupe ce poste de façon continue depuis le 6 avril 2021. La personne nommée est membre de la haute direction depuis près de trois ans; certes, elle possède maintenant au moins un an d’expérience en matière de gestion des ressources humaines et des finances. Patton laisse entendre que la réévaluation devrait se faire en fonction de ce que la personne nommée (maintenant candidate) savait au moment de la réévaluation – parce qu’une personne ne peut pas oublier ce qu’elle a appris au cours des années entre la première nomination et la réévaluation. Lorsqu’il est question d’une qualification liée à l’expérience, il est moins clair que Patton exigerait que la réévaluation de l’expérience se fasse en fonction de l’expérience de la personne nommée au moment de la nomination initiale ou au moment de la réévaluation.

[136] Je comprends que la Commission, au paragraphe 56 de Turner 2024, a déclaré qu’elle doit déterminer si la révocation est indiquée compte tenu des faits à l’époque où l’abus de pouvoir a eu lieu et où la plainte a été déposée. Toutefois, cette affirmation a été faite dans le contexte de l’examen par la Commission de la question de savoir si le retard découlant de la demande de contrôle judiciaire devait constituer un facteur. De plus, selon le principal argument de l’intimé dans Turner 2024, la révocation des nominations serait théorique parce que les deux personnes nommées étaient passées à de nouveaux postes et avaient été remplacées au moyen d’un processus de nomination non contesté. La déclaration de la Commission selon laquelle elle doit fonder ses décisions sur les faits au moment de l’abus de pouvoir doit être interprétée dans le contexte de l’explication des raisons pour lesquelles la réparation sous forme de révocation n’était pas théorique. Toutefois, cela soulève encore des questions sur la façon dont un recours de type Patton pourrait fonctionner en l’espèce.

[137] Par conséquent, je dois décider de révoquer ou non la nomination. Compte tenu des facteurs que j’ai indiqués plus tôt, j’ai décidé de ne pas révoquer la nomination de la personne nommée en l’espèce.

[138] Je n’ai pas besoin de révoquer la nomination pour offrir un redressement pratique à la plaignante. La personne nommée n’est aucunement responsable de l’abus de pouvoir et elle était qualifiée pour la nomination pour une période indéterminée. La révocation de cette nomination ne servirait qu’à la priver d’un emploi qu’elle occupe depuis près de trois ans et la mettrait à la merci de son ministère quant à savoir s’il devrait la nommer à un autre poste en vertu de l’art. 86 de la LEFP. Contrairement à Turner 2024, je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant une mauvaise foi de la part de l’intimé.

[139] Je reconnais qu’il y a une possibilité que la personne nommée ait été qualifiée pour le poste à durée indéterminée uniquement parce qu’elle a été nommée de façon inappropriée au poste intérimaire. Toutefois, je ne suis pas en mesure d’ordonner que l’intimé ne tienne pas compte de l’expérience de travail qu’elle a acquise dans le cadre de la nomination intérimaire. Enfin, la révocation de la nomination intérimaire n’aurait aucune conséquence pratique, puisqu’elle a été supplantée par la nomination pour une période indéterminée.

[140] En conclusion, la révocation de ces nominations ne servirait à rien et ne servirait pas l’intérêt public en assurant une fonction publique axée sur le mérite.

4. Aucune recommandation dans la présente affaire

[141] Enfin, j’ai examiné la question de savoir s’il y avait lieu de formuler des recommandations en l’espèce. La Commission a compétence pour formuler des recommandations, même lorsqu’elle n’a pas compétence pour ordonner le respect de ces recommandations; voir Beyak. Je pourrais, par exemple, recommander que l’intimé révoque la sous-délégation du pouvoir de nomination accordée à M. Littlejohn ou à M. Doyle en vertu de l’art. 24 de la LEFP, essentiellement, je pourrais recommander la réparation demandée par la plaignante, même si je ne peux pas accorder directement cette réparation.

[142] J’ai décidé de ne formuler aucune recommandation en l’espèce. Je dispose d’éléments de preuve concernant une nomination intérimaire qui est devenue une nomination pour une période indéterminée. Je ne dispose d’aucun élément de preuve quant à la question de savoir si les questions soulevées dans la présente affaire sont généralisées ou isolées. Je ne dispose non plus d’aucun élément de preuve de mauvaise foi ou de malice de la part d’aucun des intervenants dans la présente affaire. Je ne dispose que de très peu d’éléments de preuve sur la façon dont les nominations sont généralement effectuées dans ce ministère. La LEFP confère à l’administrateur général le pouvoir de décider qui doit exercer les pouvoirs délégués (voir le par. 24(2)) et confère à la CFP le pouvoir de mener des vérifications (voir l’art. 17). Je ne souhaite pas interposer mes propres opinions non éclairées quant à savoir si ou comment l’intimé ou la CFP devrait exercer leur fonction de réglementation. Ils sont mieux placés pour décider les mesures qu’il prendront, le cas échéant, après avoir lu la présente décision.

[143] Je déclarerais plutôt simplement que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi un processus de nomination non annoncé aux fins de la nomination pour une période indéterminée et qu’il a abusé de son pouvoir dans l’évaluation des qualifications de l’expérience récente et appréciable en matière de gestion des ressources et des ressources financières dans le cadre des deux processus de nomination.

[144] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[145] La plainte est accueillie.

[146] Je déclare que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi un processus de nomination non annoncé dans le cadre du processus de nomination 2022‐CSD‐INA‐ATL-0042616.

[147] Je déclare que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite dans le cadre des processus de nomination 2021-CSD-ACIN-ATL-0102193 et 2022‐CSD‐INA‐ATL-0042616.

Le 5 juin 2024.

Traduction de la CRTESPF

Christopher Rootham,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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