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Date : 20240411

Dossiers : 771-02-41884 et 41885

 

Référence : 2024 CRTESPF 52

 

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la fonction

publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Michele Mousseau Bailey

plaignante

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère des services aux autochtones)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Mousseau Bailey c. Administrateur général (ministère des Services aux Autochtones)

Affaire concernant des plaintes d’abus de pouvoir déposées aux termes des alinéas 77(1)a) et 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Stacey Mirowski, avocate

Pour l’intimé : Renuka Koilpillai, avocate

Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard, analyste principale

 

Affaire entendue par vidéoconférence

les 18 et 19 septembre et 30 octobre 2023.

(Traduction de la CRTESFP)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] Les plaintes concernent deux nominations non annoncées d’infirmières au sein des Services aux Autochtones Canada (SAC). La plainte déposée sous le numéro 771‐02-41884 concerne une nomination intérimaire du 5 mars 2020 au 21 mars 2021; la plainte déposée sous le numéro 771-02-41885 concerne une nomination pour une durée indéterminée pour laquelle la notification a été effectuée le 26 juin 2020. Dans la présente décision, je les appellerai « nomination intérimaire » et « nomination pour une durée indéterminée », et les personnes nommées respectivement « personne nommée à titre intérimaire » et « personne nommée pour une durée indéterminée ».

[2] Michele Mousseau Bailey (la « plaignante ») conteste la décision de recourir à un processus non annoncé pour les deux nominations et l’évaluation du mérite pour les deux nominations.

[3] Les deux plaintes soulèvent les questions suivantes, auxquelles je réponds brièvement :

1) La décision de recourir à un processus non annoncé dans les deux cas a‐t‐elle constitué un abus de pouvoir? En particulier :

 

a) L’intimé a-t-il justifié de manière appropriée sa décision de recourir à un processus non annoncé? Oui. Les processus non annoncés sont tout aussi valables que les processus annoncés et ne nécessitent pas de justification particulière. En tout état de cause, le recours à des processus non annoncés dans ce cas n’a pas contourné le principe de mérite.

 

b) La décision de recourir à un processus de nomination non annoncé sans envisager un inventaire a-t-elle été problématique? Non. Il n’y a pas d’obligation légale de faire un inventaire avant de recourir à un processus de nomination non annoncé, et l’intimé a une explication raisonnable pour ne pas utiliser un inventaire dans ce cas.

 

2) Y a-t-il eu une partialité ou un favoritisme personnel? Non. La plaignante n’a pas démontré l’existence de partialité ou de favoritisme personnel.

 

3) Une maîtrise en administration des affaires est-elle une maîtrise avec [traduction] « [...] spécialisation acceptable en sciences infirmières, administration de services infirmiers, enseignement des sciences infirmières ou dans une autre spécialisation pertinente au poste »? Oui. Le gestionnaire responsable de l’embauche a raisonnablement conclu qu’une maîtrise en administration des affaires était [traduction] « pertinente » au poste intérimaire.

 

4) L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a examiné la question de savoir si la personne nommée à titre intérimaire avait une [traduction] « [e]xpérience significative dans la prestation de soins primaires directs ou de services de santé publique » et une [traduction] « [c]onnaissance des questions liées à la prestation de services et de programmes de soins de santé pour les populations autochtones » au moment d’évaluer ces qualifications de manière globale (c’est-à-dire en combinant leur évaluation avec l’évaluation d’autres qualifications)? Non. J’ai conclu qu’il n’y avait pas eu d’évaluation globale et que le gestionnaire responsable de l’embauche avait évalué chaque qualification pour le poste.

 

5) L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a examiné la question de savoir si la personne nommée pour une durée indéterminée avait une [traduction] « [e]xpérience dans la prestation de conseils stratégiques aux hauts fonctionnaires sur les questions de soins primaires », une [traduction] « [c]onnaissance des principes des approches de soins primaires » et une [traduction] « [c]onnaissance des principes et des techniques de gestion des programmes de santé » au moment d’évaluer ces qualifications de manière [traduction] « globale »? Non. Comme pour la nomination intérimaire, j’ai conclu qu’il n’y avait pas eu d’évaluation [traduction] « globale » et que le gestionnaire responsable de l’embauche avait évalué correctement chaque qualification pour le poste.

 

6) L’immatriculation professionnelle comme infirmière en Colombie-Britannique constitue-t-elle [traduction] « [une] licence ou [une] immatriculation valide en soins infirmiers dans la province ou le territoire d’emploi » pour un poste situé dans la région de la capitale nationale lorsque la personne nommée travaille à distance depuis la Colombie-Britannique? Oui. Bien que le poste se trouve dans la région de la capitale nationale, la personne nommée à titre intérimaire vivait et travaillait en Colombie-Britannique dans le cadre d’un accord de télétravail. Par conséquent, sa province d’emploi est la Colombie‐Britannique dans le cadre de ce processus de nomination.

 

[4] Compte tenu de mes réponses à ces questions, j’ai rejeté les plaintes.

[5] La présente décision est divisée en huit parties :

· Partie I : l’aperçu.

 

· Partie II : le contexte factuel qui sous-tend les plaintes. Celle-ci comprendra une brève description du travail du Bureau des soins de santé primaires de SAC, où les deux postes sont situés, un aperçu de la procédure suivie pour les deux nominations, ainsi que le témoignage de la plaignante sur son travail et sa carrière.

 

· Partie III : question 1 concernant la décision d’utiliser un processus non annoncé – soit les questions de savoir si la décision a été expliquée convenablement et si l’intimé a abusé de son pouvoir en ne recourant pas à un inventaire de candidats.

 

· Partie IV : question 2 – l’allégation de partialité ou de favoritisme personnel.

 

· Partie V : question 3 – la question de savoir si une maîtrise en administration des affaires était pertinente pour la nomination intérimaire.

 

· Partie VI : questions 4 et 5 – la question de savoir si les autres qualifications ont été correctement évaluées.

 

· Partie VII : point 6 – le lieu de travail de la personne nommée à titre intérimaire.

 

· Partie VIII : ma conclusion sur les autres questions soulevées dans les plaintes et qui ne peuvent pas être classées dans une section particulière.

 

[6] En dernier lieu, la Commission de la fonction publique (CFP) a déposé de brèves observations écrites sur certains principes généraux, mais n’a pas participé à l’audience et n’a pas pris position sur la validité des plaintes. J’ai pris en considération ces observations, en particulier en ce qui concerne les principes plus larges soulevés par les plaintes, mais je ne les citerai pas davantage dans la présente décision.

II. Faits sous-jacents des plaintes

A. Le Bureau des soins de santé primaires

[7] Les plaintes concernent deux nominations à la Direction des soins de santé primaires, également appelée Bureau des soins de santé primaires (expression que j’utiliserai dans la présente décision) au sein de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits de SAC.

[8] Le Bureau des soins de santé primaires était une direction qui comptait environ 150 employés à la fin de 2019 et au début de 2020 lorsque les nominations contestées dans les plaintes ont été effectuées. Elle comptait plusieurs divisions. L’une d’entre elles était la Division des services des soins de santé primaires. Cette division avait un directeur (classifié NU-CHN-08) et trois gestionnaires subalternes (classifiés EC-07), chacun d’entre eux étant chargé de gérer une unité. L’unité qui accueillerait les deux personnes nommées s’appelait : l’unité de la pratique des soins primaires et politiques. Cette unité gérait un certain nombre de questions liées aux 51 postes de soins infirmiers dans les communautés des Premières Nations partout au pays, y compris la formation des infirmières, les programmes d’assurance qualité, ainsi que la surveillance et l’administration générales.

[9] Mme Buckland a expliqué que le Bureau des soins de santé primaires a connu une forte rotation entre 2018 et 2020.

[10] En 2018, la directrice de la Division des services des soins de santé primaires a été muté à un poste de responsable du principe de Jordan. Pour rappel, le principe de Jordan a été nommé en l’honneur de Jordan River Anderson, de la Nation crie de Norway House, qui est décédé à l’âge de cinq ans après avoir passé toute sa vie à l’hôpital. Il aurait pu être placé dans un foyer d’accueil spécialisé à proximité de ses infrastructures médicales, mais les gouvernements fédéral et provincial se sont opposés sur la question du financement de ce foyer d’accueil. En hommage à Jordan, le principe de Jordan prévoit que lorsqu’un service gouvernemental est disponible pour tous les autres enfants, mais qu’un conflit de compétence concernant les services à un enfant des Premières Nations survient entre des ordres de gouvernement ou entre des ministères au sein d’un même gouvernement, le ministère de premier contact paie le service et peut demander un remboursement à l’autre gouvernement ou ministère après que l’enfant aura reçu le service. Selon la plaignante, l’une des conséquences du principe de Jordan est que le gouvernement doit traiter les demandes de services médicaux pour les enfants dans un délai raisonnable. Le Tribunal canadien des droits de la personne a énoncé cette règle dans une série de décisions, notamment Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord du Canada), 2017 TCDP 35.

[11] Lorsque la directrice de la Division des services des soins de santé primaires a été mutée, une série de postes vacants a été créée, car le poste a été pourvu en son absence. Une personne a occupé le poste de directeur par intérim, ce qui a entraîné la vacance d’un poste EC-07 de gestionnaire de l’unité de la pratique des soins primaires et politiques et pratique des soins primaires. Pendant un certain temps, deux employés ont occupé ce poste par intérim à tour de rôle. Finalement, l’une de ces employées Kate Thompson a été nommée pour occuper ce poste à plus long terme.

[12] La première plainte concerne une nomination intérimaire qui a permis de doter le poste d’attache de Mme Thompson. Le titulaire de ce poste était, d’une manière générale, responsable des politiques relatives à l’assurance de la qualité dans les postes de soins infirmiers. Il était classé au groupe et au niveau NU-CHN-07.

[13] La deuxième plainte concerne une nomination pour une durée indéterminée à un autre poste NU-CHN-07 aussi. Le titulaire de ce poste devait assurer la formation des infirmières travaillant dans les postes de soins infirmiers. Le titulaire de ce poste est parti pour occuper un autre poste, ce qui devait être temporaire. Le poste a été occupé à titre intérimaire à partir de l’été 2018. La nomination intérimaire de cet employé a été prolongée d’un an en février 2020 (elle devait se terminer en février 2021). Au printemps 2020, la personne en place a quitté définitivement le poste. L’employé qui occupait le poste par intérim a été nommé à titre permanent le 26 juin 2020.

[14] Mme Buckland a décrit les deux postes comme des postes de collaborateur individuel, ce qui signifie que les titulaires de ces postes ne supervisaient pas d’autres employés.

[15] Mme Buckland a également déclaré avoir mené en 2018 un processus de nomination externe annoncé pour un poste classifié NU-CHN-07, qui n’a pas donné lieu à un très grand nombre de candidats qualifiés lorsqu’il s’est achevé au début de l’année 2019. Mme Buckland et Mme Thompson ont également indiqué que SAC avait lancé un autre processus externe annoncé en décembre 2020 pour les postes NU‐CHN‐07 et que ce processus s’était achevé fin 2021 ou début 2022.

B. La plaignante

[16] La plaignante est une femme des Premières Nations et membre de la Première Nation de Fort William. Elle est une infirmière autorisée en Ontario depuis 1997 et travaille dans les systèmes de santé fédéral et provincial. Au cours de sa carrière, elle a travaillé comme infirmière dans 12 communautés des Premières Nations différentes, ainsi que dans plusieurs hôpitaux provinciaux de l’Ontario. Elle détient un baccalauréat en soins infirmiers de l’université Lakehead et d’une maîtrise en santé publique de l’université de Waterloo. Elle possède d’autres qualifications professionnelles (notamment une désignation ceinture verte LEAN et un diplôme en administration de la santé), ainsi qu’une expérience et une formation spécialisées dans les domaines des soins de santé qu’elle a décrits comme particulièrement pertinents pour les membres des Premières Nations.

[17] La plaignante a été recrutée pour rejoindre l’administration publique fédérale le 4 juillet 2017. Elle a été embauchée en qualité de conseillère politique au sein de la direction de la santé de la population et de la santé publique au Bureau des soins de santé primaires. Il s’agissait à l’origine d’un emploi de quatre mois, qui lui a permis de rencontrer d’autres hauts responsables de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits. À la fin de cette période, elle a été embauchée pour une durée indéterminée en tant qu’infirmière au niveau NU-CHN-06 au sein de la Division du contrôle des maladies transmissibles.

[18] En 2018, la plaignante a postulé et a été acceptée dans le Programme de perfectionnement des gestionnaires autochtones. Dans le cadre de ce programme, les candidats retenus suivent une formation en langue française d’une durée maximale d’un an, puis effectuent deux missions d’un (1) an qui leur permettent d’acquérir une expérience de gestionnaire. Dans le cas de la plaignante, on lui a demandé d’occuper immédiatement un poste de gestionnaire et de reporter sa formation en langue française. La plaignante a travaillé au bureau de coordination nationale de la division responsable du principe de Jordan jusqu’en février 2019. Une fois son contrat terminé, elle a été mutée au bureau du sous-ministre adjoint en tant qu’analyste de politique en février 2019. Même si la plaignante n’a pas mentionné la classification de son poste lors de son témoignage, son curriculum vitae (pièce C-1, onglet 12) révèle qu’elle a occupé des postes du groupe et du niveau EC-07 de février 2019 jusqu’aux dates des nominations contestées et bien au-delà de celles-ci.

[19] La plaignante a décrit ses objectifs de carrière au sein du gouvernement fédéral. Pour promouvoir ces intérêts, elle a ajouté son nom aux inventaires des employés intéressés par de nouvelles possibilités au sein de SAC. Je discuterai des conséquences de ses intérêts professionnels et de ces inventaires plus loin dans la présente décision.

C. Aperçu des deux nominations

[20] Comme je l’ai mentionné, la nomination intérimaire contestée dans la première plainte a été utilisée pour doter le poste d’attache de Mme Thompson pendant qu’elle exerçait à son tour les fonctions de directrice de la Division des services des soins de santé primaires. Le poste était vacant pendant que Mme Thompson exerçait les fonctions de directrice. Mme Thompson a déclaré qu’à l’été 2019, le poste était resté vacant plus longtemps que prévu. En fait, elle gardait un œil sur son ancien travail tout en exerçant les fonctions de directrice par intérim. C’est pourquoi elle a commencé à prendre des mesures pour occuper le poste à titre intérimaire.

[21] Mme Thompson a commencé sa quête en consultant le bassin des candidats disponibles lors du processus de sélection de 2018 qui s’est achevé en janvier 2019. Il y a eu des divergences dans les témoignages quant aux personnes restantes dans le bassin de candidats au moment où ces nominations ont été faites. Mme Buckland a déclaré qu’il restait un seul candidat qualifié dans le bassin de candidats lorsque le poste intérimaire était occupé; cette personne s’est vu offrir le poste, mais l’a refusé parce qu’elle vivait à Montréal, au Québec, et ne voulait pas déménager. Mme Thompson a déclaré qu’il restait trois candidats qualifiés dans le bassin de candidats. Elle a proposé le poste à deux d’entre eux, mais ils ont refusé. La troisième personne n’était pas qualifiée pour le poste à ce moment-là; Mme Thompson a déclaré qu’elle avait parlé à la troisième personne auparavant, mais qu’elle vivait à Montréal et qu’elle n’avait pas l’expérience nécessaire.

[22] Je n’ai pas résolu cette divergence, car elle n’est pas pertinente pour ma décision concernant cette plainte. Le fait important est que Mme Thompson a essayé d’utiliser le bassin de candidats.

[23] Mme Thompson a ensuite abordé la personne nommée à titre intérimaire. Cette dernière avait de l’expérience dans le domaine correspondant au poste. Elle vivait en Colombie-Britannique et avait fait du télétravail lorsqu’elle travaillait pour SAC. En 2018, la personne nommée à titre intérimaire a quitté son poste en raison d’un accord d’échange avec les autorités de santé des Premières Nations de la Colombie‐Britannique. Elle était toujours employée de SAC lorsqu’elle a participé à l’échange. En décembre 2019, Mme Thompson l’a contactée pour qu’elle revienne de son échange pour occuper le poste intérimaire. Elle était intéressée. Mme Thompson a préparé [traduction] « l’Énoncé des critères de mérite » pour le poste et a décidé de procéder par voie de processus non annoncé. Elle a tenu un entretien informel avec la personne nommée à titre intérimaire, a passé en revue certains de ses travaux antérieurs et a discuté de son travail avec son ancien responsable. Mme Buckland a donné son accord à Mme Thompson pour qu’elle embauche la personne nommée le 28 janvier 2020. La nomination a eu lieu le 5 mars 2020 et a duré un peu plus d’un an, jusqu’au 21 mars 2021.

[24] La nomination pour une durée indéterminée a suivi un processus encore plus simple. La personne nommée pour une durée indéterminée occupait déjà le poste à titre intérimaire. Une fois que le poste est devenu définitivement vacant, Mme Thompson s’est empressée de nommer la personne nommée pour une durée indéterminée à titre permanent. Mme Thompson savait que la personne nommée pour une durée indéterminée avait l’expérience requise pour le poste. Elle a déclaré que le poste était crucial et que sa dotation ne pouvait pas attendre un processus de nomination permanente annoncé. Elle a eu un entretien informel avec la personne nommée pour une durée indéterminée et a évalué son travail existant et, à partir de là, a obtenu l’autorisation de procéder à la nomination le 29 mai 2020. La « notification de candidature retenue » a été publiée le 9 juin 2020 et la nomination a été finalisée le 26 juin 2020.

III. La décision de recourir à un processus non annoncé pour la nomination intérimaire a-t-elle constitué un abus de pouvoir?

A. Règles juridiques relatives à un processus non annoncé et à un abus de pouvoir

[25] La Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP) contient les deux dispositions suivantes :

[...]

...

33 La Commission peut, en vue d’une nomination, avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé.

33 In making an appointment, the Commission may use an advertised or non-advertised appointment process.

[...]

...

77(1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

77(1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Board’s regulations — make a complaint to the Board that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

[...]

...

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

(b) an abuse of authority by the Commission in choosing between an advertised and a non-advertised internal appointment process...

[...]

...

 

1. Principes juridiques qui déterminent si un processus non annoncé est inférieur à un processus annoncé

[26] L’une des divergences les plus importantes entre les parties était de savoir si un processus non annoncé est incorrect par nature ou par présomption. Les arguments de la plaignante reposaient sur le fait qu’un processus annoncé est le processus de nomination présumé et qu’un processus non annoncé doit être justifié.

[27] Je commence cette section de ma décision en reconnaissant le débat de politique générale sur l’adéquation des processus de nomination non annoncés. Il existe un grand nombre d’opinions sur les processus de nomination non annoncés. Par exemple, le Rapport sur l’examen de la Loi sur la modernisation de la fonction publique (2003) explique que le point de vue de la Commission à l’époque était que les processus de nomination annoncés devaient être pratique courante et qu’un processus de nomination non annoncé nécessitait une justification « rigoureuse ». Ce même rapport a noté en revanche que « [b]on nombre d’intervenants étaient d’avis que la position de la Commission sur les processus de nomination non annoncés était trop restrictive et qu’elle n’était pas conforme au pouvoir discrétionnaire conféré aux gestionnaires par la Loi. » (voir Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, Rapport sur l’examen de la Loi sur la modernisation de la fonction publique (2003), 2011). Le rapport de juin 2019 du Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires sur l’embauche dans la fonction publique fédérale recommandait que tous les postes soient annoncés à l’externe parce que l’ensemble de la population canadienne devrait pouvoir postuler à chaque poste (voir Canada, Parlement, Chambre des communes, Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, Améliorer le processus d’embauche de la fonction publique fédérale : Rapport du Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, juin 2019). Enfin, dans sa révision de 2021 de sa politique de nomination de 2016, la commission a noté que les processus de nomination non annoncés ont augmenté de 170 % au cours de la période de quatre ans suivant la mise en œuvre de la politique de nomination de 2016, mais a ensuite déclaré qu’elle n’a pas été « en mesure de préciser si cela devrait être considéré comme une conséquence négative ou positive de la Politique de nomination de 2016 » (voir Commission de la fonction publique du Canada, Examen de la mise en œuvre de la Nouvelle orientation en dotation, 10 août 2021).

[28] Le rôle de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission », qui, dans la présente décision, se réfère à l’incarnation actuelle et à tous ses prédécesseurs) n’est pas de se prononcer sur la question de savoir s’il est bon ou mauvais d’avoir recours à des processus de nomination non annoncés. Aux fins de la présente décision, je n’ai pas d’avis sur la question des processus de nomination non annoncés. J’ai traité cette question comme une question juridique et non comme une question de ressources humaines.

[29] Bien que la plaignante n’ait cité aucune autorité à l’appui de la proposition selon laquelle il existe une présomption en faveur des processus de nomination annoncés, elle a cité Beyak c. le sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 35, et Hunter c. Sous-ministre de l’Industrie, 2019 FPSLREB 83, comme deux exemples dans lesquels la Commission a conclu que le choix d’un processus non annoncé constituait un abus de pouvoir. Dans Beyak, au par. 151, la Commission a critiqué le ministère pour ne pas avoir examiné attentivement la justification écrite d’un processus non annoncé, bien que l’abus de pouvoir réel se soit produit dans ce cas en raison des pratiques trompeuses des gestionnaires responsables de l’embauche visant à priver les autres employés de tout recours contre la nomination, comme le décrivent les paragraphes 133 à 147 de cette décision. Dans Hunter, la Commission a également critiqué l’utilisation d’un processus de nomination non annoncé parce que c’était « le moyen le plus facile de pour doter le poste » (au paragraphe 91), mais l’abus de pouvoir concernait principalement le fait que le gestionnaire responsable de l’embauche n’avait pas préparé de justification pour l’utilisation d’un processus non annoncé avant de procéder à la nomination et, à la place, avait créé une justification après qu’une plainte eut été déposée, avait essayé d’éviter de divulguer la justification et avait ensuite essayé de faire croire qu’elle était antérieure à la nomination.

[30] Aucune de ces deux affaires n’indique qu’un processus non annoncé est présumé être incorrect.

[31] L’intimé a cité Bérubé-Savoie c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2013 TDFP 2, qui énonce ce qui suit au paragraphe 24 :

24 Le simple fait que l’intimé ait eu recours à des processus de nomination non annoncés pour doter ces postes ne constitue pas un abus de pouvoir en soi. La LEFP n’accorde aucune préférence aux processus annoncés par rapport aux processus non annoncés. L’article 33 de la LEFP énonce clairement qu’en tant que délégataire de la CFP, l’administrateur général dispose du pouvoir discrétionnaire qui lui permet de choisir entre ces deux types de processus.

 

[32] Cette déclaration est tout à fait conforme à la décision de la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Kane, 2012 CSC 64, aux par. 6 et 7, qui sont rédigés comme suit :

[6] [...] Le Tribunal a tenu compte de l’argument de M. Kane selon lequel le recours à un processus annoncé constituait un abus de pouvoir, parce que le poste PM06 n’était pas nouveau, mais résultait plutôt dune reclassification. Toutefois, le Tribunal a statué que, indépendamment de la question de savoir si le poste était nouveau ou non, Service Canada avait le droit de le doter au moyen dun processus annoncé, avec pour conséquence que même si le poste était considéré comme nouveau cela nemportait pas lobligation de recourir à un processus annoncé. Le fondement essentiel de la plainte – à savoir que le recours à un processus de nomination annoncé constituait un abus de pouvoir – a donc été examiné par le Tribunal et tranché par l’interprétation et l’application qu’a faites ce dernier de la LEFP, sa loi constitutive. Le Tribunal a affirmé ce qui suit :

Rien dans la LEFP ou dans le [Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005334] noblige un administrateur général à utiliser un processus de sélection en particulier selon quil sagisse dun poste nouveau ou dun poste reclassifié. Au contraire, larticle 33 de la LEFP indique clairement que ladministrateur général dispose du pouvoir discrétionnaire nécessaire lui permettant de décider sil utilisera un processus de nomination annoncé ou un processus de nomination non annoncé. [par. 65]

[7] Cet énoncé, qui n’a pas été attaqué au motif qu’il serait déraisonnable, était suffisant pour trancher la plainte de M. Kane, et il n’était donc pas nécessaire de se demander si le poste PM06 était nouveau. La question de savoir si le poste était nouveau ou résultait de la reclassification dun ancien poste n’était pas pertinente pour statuer sur la question ultime et na aucunement affecté le caractère raisonnable de la décision du Tribunal.

 

[33] Même si la plainte dans Kane concernait le recours à d’un processus de nomination annoncé au lieu d’un processus non annoncé (c’est-à-dire l’inverse des plaintes), il reste que les processus annoncés et non annoncés sont tout aussi valables l’un que l’autre.

[34] De plus, la commission a confirmé cette règle récemment dans Hutlet c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2023 CRTESPF 73, au par. 78, en déclarant que :

[78] L’intimé dispose du pouvoir discrétionnaire de choisir entre un processus de nomination annoncé ou non annoncé lorsqu’il fait une nomination. Même si la loi ne précise pas quand ou comment un choix doit être fait entre un processus annoncé ou non annoncé, la jurisprudence laisse entendre qu’un plaignant doit présenter des éléments de preuve pour démontrer un motif illégitime, une mauvaise foi ou un favoritisme, par exemple, pour établir un abus de pouvoir fondé sur le choix du processus [...]

 

2. Le cadre de dotation de SAC ne stipule pas qu’un processus non annoncé est risqué ou inférieur à un processus annoncé

[35] La plaignante soutient que le [traduction] « cadre de dotation » de SAC (pièce C‐1, onglet 10) indique qu’un processus non annoncé est risqué et, par conséquent, nécessite une justification. À titre d’information, l’art. 15 de la LEFP permet à la CFP de déléguer ses pouvoirs de nomination à un administrateur général (qui peut à son tour les subdéléguer). La CFP a délégué ses pouvoirs de nomination au moyen l’« Instrument de délégation et de responsabilisation en matière de nomination ». L’une des conditions de cette délégation de pouvoir énoncée dans cet instrument est que les administrateurs généraux établissent une direction, par le biais d’une politique, d’activités de planification ou d’autres moyens, portant sur l’utilisation des processus de nomination annoncés et non annoncés. Le cadre de dotation de SAC est cette direction pour les nominations au sein de SAC, tel que le décrit la section 2. 1 du module 2 (pièce C-1, onglet 10, page 22).

[36] Lors de la plaidoirie, la plaignante n’a pas été en mesure de m’indiquer un passage précis du cadre dotation de SAC qui soutenait sa demande. Elle m’a demandé de consulter les pages dont les témoins ont parlé au cours de leur témoignage et d’examiner minutieusement le cadre de dotation de SAC. C’est ce que j’ai fait, comme je l’ai décrit ci-dessous. Le cadre de dotation de SAC ne stipule pas qu’un processus non annoncé est risqué et qu’il doit par conséquent être justifié.

[37] Le cadre de dotation de SAC contient un titre intitulé [traduction] « Gestion des risques », sous lequel on peut lire (pièce C-1, onglet 10, page 7) :

[Traduction]

Le cadre de dotation de SAC est axé sur une approche de gestion des risques qui permet aux gestionnaires d’évaluer l’incidence de leur décision tout en tenant compte de leurs besoins opérationnels dans le contexte des exigences législatives qui régissent la dotation en personnel au sein de la fonction publique. Les risques liés à la dotation sont mesurés en fonction des incertitudes futures qui peuvent survenir lorsqu’on place la bonne personne, au bon moment et dans le bon poste pour atteindre les buts et objectifs de rendement du programme dans le respect des contraintes définies en matière de coûts, de délais et de rendement.

 

[38] Rien dans ce passage ne suggère que les processus non annoncés sont intrinsèquement risqués.

[39] À côté de ce passage, un autre (entouré d’un graphique représentant une bulle de pensée) est rédigé comme suit :

[Traduction]

Rappel : Les risques liés à la dotation ne sont pas seulement liés au type d’action de dotation. Ils englobent aussi les risques liés à la prestation de services, aux perceptions et à l’incidence de la décision de dotation sur l’environnement de l’équipe, les risques de plaintes à la CRTESPF ou d’enquêtes menées à l’interne ou par la CFP, ainsi que les risques pour le responsable subdélégataire lui‐même et la délégation du sous-ministre.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[40] Rien dans ce passage ne suggère que les processus non annoncés sont intrinsèquement risqués.

[41] Le cadre de dotation de SAC contient ensuite un [traduction] « module » concernant le choix du processus de nomination (c’est-à-dire le recours à un processus annoncé ou non annoncé). Avec tout le respect que je dois aux rédacteurs de ce module, il est constitué de slogans bureaucratiques et de platitudes vides. Le module qui traite le plus de cette question se trouve sous la rubrique [traduction] « Analyse des risques » qui est rédigé comme suit (pièce C-1, onglet 10, page 23) :

[Traduction]

Les responsables subdélégataires ont le pouvoir de choisir un processus de nomination annoncé ou non annoncé. Ils sont encouragés à engager une discussion stratégique avec leur conseiller en ressources humaines dès les premières étapes du processus afin de s’assurer que les facteurs qui influenceront les risques associés à une stratégie de dotation particulière sont pris en compte dans le choix du processus de nomination.

[...]

 

[42] Rien dans ce passage ne suggère que les processus non annoncés sont intrinsèquement risqués. Au contraire, le module suggère qu’il existe des risques pour les deux types de processus de sélection.

[43] Enfin, le cadre de dotation de SAC comporte un module intitulé [traduction] « Approche de dotation axée sur le risque » qui commence comme suit (pièce C-1, onglet 10, page 39) :

[Traduction]

[...]

Les risques liés à la dotation sont mesurés en fonction des incertitudes futures qui peuvent survenir lorsqu’on place la bonne personne, au bon moment, dans le bon poste pour atteindre les buts et objectifs de rendement du programme dans le respect des contraintes définies en matière de coûts, de délais et de rendement. Une approche de gestion des risques en dotation permet aux gestionnaires d’évaluer l’incidence de leur décision tout en tenant compte de leurs besoins opérationnels dans le contexte des exigences législatives qui régissent la dotation au sein de la fonction publique.

[...]

 

[44] J’ai lu ce passage des dizaines de fois, essayant d’aller au-delà de ce que j’ai appelé plus tôt les slogans bureaucratiques et les platitudes vides, et je n’ai toujours aucune idée du risque qui est cerné – soit il s’agit du risque de ne pas placer la bonne personne dans le poste en temps opportun ou du risque de placer la bonne personne dans le poste en temps opportun, mais que quelque chose se produise plus tard (comme une plainte à la commission) qui contredit cette décision. Cependant, le module divise les mesures de dotation en trois catégories (pièce C-1, onglet 10, pages 41 et 42) : faible risque, risque moyen et risque élevé. Les processus de nomination annoncés à l’interne et à l’externe sont classés comme à faible risque, à quelques exceptions près, lesquelles sont à risque moyen ou élevé. Les processus de nomination non annoncés sont également classés comme présentant un risque faible, moyen ou élevé, selon la raison du recours à un processus non annoncé ou la nature de la nomination. La nomination intérimaire tombe dans la catégorie à faible risque (une nomination non annoncée à la suite d’un récent processus annoncé qui a produit un nombre limité de candidats qualifiés), tout comme la nomination pour une durée indéterminée (la nomination d’une personne qui s’identifie comme membre d’un groupe désigné d’équité en matière d’emploi). Peu importe ce que le module signifie par risque, ces deux nominations étaient à faible risque.

[45] Après avoir terminé l’examen minutieux que la plaignante m’a demandé de faire, je n’ai rien trouvé dans le cadre de dotation de SAC qui indique que les deux nominations contestées étaient risquées.

3. Un processus non annoncé n’est pas inférieur à un processus annoncé

[46] Même si le cadre de dotation de SAC qualifiait les deux nominations contestées de risquées, je ne suis toujours pas d’accord avec la plaignante pour dire qu’un processus non annoncé est présumé pire qu’un processus annoncé et, par conséquent, doit être justifié. Je dis cela pour trois raisons.

[47] Premièrement, je ne suis pas lié par ce qui est énoncé dans le cadre de dotation de SAC, même s’il est indiqué que les processus de nomination annoncés sont préférables aux processus non annoncés. Il est de ma responsabilité de respecter la LEFP et les décisions de la Cour suprême du Canada dans Kane, et non celles des rédacteurs du cadre de dotation de SAC.

[48] Deuxièmement, rien dans le cadre de dotation de SAC ne stipule que les processus annoncés sont meilleurs que les processus non annoncés. Le simple fait d’indiquer que la plupart des processus annoncés sont à faible risque, par opposition aux processus non annoncés qui représentent une combinaison de processus à risque faible, moyen et élevé, n’est pas assez clair pour signifier que les processus de nomination annoncés sont préférables aux processus non annoncés.

[49] Troisièmement, je rejette la proposition de la plaignante selon laquelle le fait d’étiqueter une chose comme étant [traduction] « risquée » signifie qu’elle est pire ou qu’elle nécessite une plus grande justification. Le risque lié à l’embauche de personnes n’est pas intrinsèquement mauvais. La LEFP énumère huit objectifs dans son préambule, dont l’un est « qu’il demeure aussi avantageux pour le Canada de pouvoir compter sur une fonction publique vouée à l’excellence [...] ».

[50] L’excellence dans l’embauche exige la prise de risques, du moins une partie du temps.

[51] Par conséquent, je pars du principe qu’il n’y a rien de répréhensible dans un processus non annoncé et qu’il n’est ni meilleur ni pire qu’un processus annoncé.

B. La justification de l’utilisation d’un processus non annoncé

[52] La plaignante soutient que l’intimé a abusé de son pouvoir dans le choix d’un processus non annoncé parce qu’il n’a pas fourni une justification suffisante pour cette décision. Comme je viens de l’expliquer, un processus non annoncé n’est ni meilleur ni pire qu’un processus annoncé. Il devrait y avoir une explication pour le choix de l’un ou l’autre processus, car l’absence complète d’explication est un excellent indice de mauvaise foi ou d’une autre forme d’abus de pouvoir. Toutefois, ce n’est pas le rôle de la commission de remettre en question les décisions des gestionnaires (voir Myskiw c. Commissaire du Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 70, au par. 32), donc je ne vais pas douter du bien-fondé de cette explication.

[53] La plaignante soutient que faire recours à un processus non annoncé pour les deux postes a été expliquée par opportunisme. La plaignante s’appuie sur Hunter pour faire valoir que l’opportunité est une justification insuffisante pour un processus non annoncé, en particulier le paragraphe 91 de cette décision, qui est rédigé comme suit :

[91] Je suis donc obligé de conclure que ce qui a réellement poussé à la prise de décision en l’espèce était, selon la déclaration initiale du gestionnaire responsable d’embauche le 14 juin 2016, que le processus de nomination non annoncé était simplement [traduction] « le moyen le plus facile pour doter le poste » et que, plutôt que de l’aider à vraiment comprendre le processus de nomination, le conseiller des RH de l’intimé s’est servi de la plus grande flexibilité de la politique offerte par le cadre de la Nouvelle orientation en dotation pour offrir au gestionnaire une justification de l’utilisation d’un processus de nomination non annoncé, malgré la série d’erreurs et d’omissions. Cette façon de procéder a peut‐être atteint l’objectif de l’« efficacité » inclus dans la [traduction] Politique de gestion de la dotation d’ISDE, mais il est plus difficile de comprendre la façon dont elle se rapproche de l’objectif de [traduction] « l’intégrité en matière de dotation » dans cette politique, ou des principes de l’équité et de la transparence énoncés dans la LEFP.

 

[54] La plaignante exagère l’incidence de Hunter, qui (comme je l’ai dit) concernait un gestionnaire responsable de l’embauche qui s’est fait prendre à essayer de brouiller les pistes. Il n’incombe pas à l’intimé de justifier la décision de faire recours à un processus non annoncé. Plutôt, « [i]l incombe [...] à la partie qui allègue la mauvaise foi de démontrer que le choix du processus de nomination était motivé par des raisons autres que la recherche d’une personne répondant aux critères essentiels du poste à combler » (voir D’Almeida c. Gendarmerie royale du Canada, 2020 CRTESPF 23, au par. 57). La plaignante ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

[55] Mme Buckland et Mme Thompson ont toutes deux expliqué que la décision d’utiliser un processus non annoncé pour le poste intérimaire était le besoin pressant de pourvoir les postes et l’incapacité de les pourvoir à l’aide d’un bassin de candidats existant. Dans le cas de la nomination intérimaire, le besoin était pressant, car, essentiellement, Mme Thompson devait occuper deux postes à la fois et son ancien poste devait être pourvu pendant qu’elle occupait le poste de la gestionnaire. Mme Buckland a également confirmé que le fait de ne pas pourvoir le poste mettait les patients en danger. Mme Thompson a essayé d’utiliser le bassin existant pour pourvoir le poste, mais lorsque cela n’a pas fonctionné, elle a utilisé un processus non annoncé. Compte tenu de l’historique des processus annoncés qui ont pris plus d’une année, je suis d’accord avec Mme Thompson pour dire qu’il n’était pas logique de lancer un autre processus annoncé pour combler une nomination intérimaire d’une année.

[56] Je tiens à dire que j’ai été alarmé d’apprendre qu’il a fallu plus d’une année pour achever les processus de nomination pour une durée indéterminée (en 2018-2019 et en 2021-2022). Mme Buckland n’a pas été invitée à fournir une explication. Ma décision dans cette affaire ne devrait pas être considérée comme un précédent laissant entendre que de longs processus de nomination annoncés expliquent automatiquement le recours à un processus de nomination non annoncé. La solution aux processus de nomination annoncés dilatoires n’est pas de les contourner – la solution c’est de les accélérer.

[57] Pour le poste permanent, la personne nommée pour une durée indéterminée occupait déjà le poste par intérim depuis plus d’un an, et sa nomination intérimaire ne devait pas prendre fin avant février 2021. Mme Thompson a déclaré que la candidate retenue avait une formation en sciences infirmières, qu’elle avait déjà démontré ses compétences et ses aptitudes dans le domaine de l’éducation et qu’elle convenait bien au poste. Mme Thompson a également mentionné la difficulté d’exécuter un processus annoncé au milieu de la pandémie de COVID-19 (en particulier pour les infirmières) et le fait que la personne nommée s’identifie comme infirmière autochtone. J’ai conclu de son témoignage que le fait de savoir que la personne nommée pouvait faire le travail était le principal motif de la décision. De même, Mme Buckland a témoigné qu’il était urgent de pourvoir ce poste; cependant, elle a également admis qu’elle aurait suivi les conseils de Mme Thompson et qu’elle a témoigné avec le recul.

[58] Bien que la principale raison pour laquelle Mme Thompson a eu recours à un processus de nomination non annoncé était qu’elle avait nommé quelqu’un qu’elle savait capable de faire le travail, elle avait aussi d’autres raisons. J’ai conclu que les raisons pour lesquelles elle a eu recours à un processus de nomination non annoncé n’indiquent pas un abus de pouvoir, car ces raisons opérationnelles étaient raisonnables dans les circonstances.

[59] Enfin, la plaignante soutient que c’est l’absence d’une [traduction] « analyse des risques » officielle et écrite qui constituait un abus de pouvoir. Le cadre de dotation de SAC exige une [traduction] « analyse des risques » seulement pour une nomination à risque élevé telle que le définit ce cadre; comme je l’ai dit plus tôt, les deux nominations étaient à faible risque, selon ce cadre. L’omission de préparer un document exigé par le cadre de dotation de SAC ne constitue pas un abus de pouvoir; toutefois, même si c’était le cas, Mme Thompson n’était pas tenue de fournir une analyse des risques pour l’une ou l’autre des nominations conformément aux modalités du cadre de dotation de SAC.

C. La décision de recourir à une procédure de nomination non annoncé sans consultation préalable d’un inventaire ne constitue pas un abus de pouvoir

[60] Dans le contexte, les parties ont utilisé les termes [traduction] « bassins » et [traduction] « inventaires ». Le cadre de dotation de SAC indique également qu’il [traduction] « [...] encourage l’utilisation [...] des bassins et des inventaires de l’ensemble de la fonction publique, des bassins déjà établis à l’interne [...] [et du] répertoire autochtone [...] ». Il s’agit là de termes de l’art dans le secteur public fédéral. Comme Mme Tremblay l’a expliqué, un bassin est une liste de candidats qui sont passés par un processus d’évaluation et qui, par conséquent, possèdent les qualifications essentielles pour un ou plusieurs postes. Un inventaire, par contre, est une liste d’employés qui s’intéressent à des postes à un certain niveau. Les employés de l’inventaire n’ont pas été évalués pour s’assurer qu’ils possèdent les qualifications nécessaires d’un ou de plusieurs postes.

[61] La plaignante a déclaré qu’elle était dans un inventaire et que, par conséquent, elle aurait dû être prise en considération pour ces deux postes. Elle a déclaré qu’elle renouvelait son inscription dans un inventaire tous les 180 jours et qu’elle faisait partie de sept ou huit inventaires depuis son arrivée à la fonction publique fédérale. Aucune des parties n’a fourni de copie de cet inventaire, et la plaignante n’a pas précisé le niveau de classification de l’inventaire auquel elle appartenait. Elle a déclaré qu’elle était qualifiée en tant qu’EC-07 et qu’elle s’inscrivait dans les inventaires en conséquence. Elle a également déclaré que lors de la discussion informelle qui a eu lieu après la nomination intérimaire, Mme Tremblay n’était pas au courant de l’existence de l’inventaire.

[62] Dans son témoignage, Mme Tremblay a indiqué qu’elle n’avait pas prévu d’utiliser un inventaire pour ces postes parce qu’elle aurait dû de toute façon évaluer les candidats puisqu’ils n’étaient pas déjà évalués et qu’ils ne faisaient pas partie d’un bassin. Elle a expliqué qu’elle avait déjà utilisé des inventaires, mais jamais pour doter un poste d’infirmière.

[63] Enfin, la plaignante n’était pas dans un inventaire NU-CHN-07, mais plutôt dans un inventaire NU-CHN-06 comme l’indique la réponse écrite de l’intimé aux plaintes. Mme Tremblay n’a pas témoigné à ce sujet. La plaignante n’a jamais déclaré qu’elle était dans un inventaire NU-CHN-07 (seulement qu’elle était dans un inventaire et qu’elle était qualifiée comme EC-07). Aucune des parties n’a fourni de copie de l’inventaire. Par conséquent, je ne peux conclure si la plaignante se trouvait dans un inventaire qui aurait été visé par les postes en question.

[64] En supposant qu’elle était dans un tel inventaire, cela ne signifie pas que l’intimé a abusé de son pouvoir en utilisant un processus non annoncé. Tout au plus, le cadre de dotation de SAC [traduction] « encourage » l’utilisation des inventaires; il ne l’exige pas. Cette politique encourageant l’utilisation d’inventaires ne s’est pas traduite par une obligation légale de les utiliser. L’intimé n’a pas abusé de son pouvoir en l’espèce en décidant de ne pas utiliser d’inventaire, car Mme Thompson a pu expliquer pourquoi elle n’utilisait pas d’inventaire pour pourvoir les postes d’infirmière – à savoir qu’elle devait de toute façon évaluer les qualifications d’un candidat, et que l’utilisation d’un inventaire ne rendait donc pas le processus plus efficace.

IV. La décision de recourir à un processus non annoncé et la sélection des deux personnes nommées n’ont pas été touchées par la partialité ou le favoritisme personnel

[65] Le paragraphe 2(4) de la LEFP stipule que l’« abus de pouvoir » comprend la mauvaise foi et le favoritisme personnel. En plus de cette interdiction légale du favoritisme personnel, « [...] les personnes chargées de l’évaluation dans un processus de nomination ont le devoir de procéder à une évaluation impartiale et sans crainte raisonnable de partialité »; voir Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10, au par. 71. Une crainte raisonnable de partialité existe lorsqu’un observateur raisonnablement informé pourrait raisonnablement percevoir un parti pris de la part d’une ou de plusieurs personnes responsables de la nomination; voir Drozdowski c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2016 CRTEFP 33, au par. 26, et Thompson c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2017 CRTEFP 22, au par. 57.

[66] Les allégations de favoritisme personnel et de partialité sont particulièrement difficiles lorsqu’il s’agit d’un processus de nomination non annoncé. Souvent, un processus de nomination non annoncé signifie qu’une seule personne a été prise en considération pour le poste. En un sens, le résultat a donc été prédéterminé. Dans Thompson, la Commission a clairement indiqué que cela ne constitue pas en soi un cas de partialité ou de favoritisme personnel, en déclarant au par. 58 :

58 Les allégations des plaignants selon lesquelles l’intimé était partial envers la personne nommée reposent sur le fait qu’il était préalablement établi que cette personne serait nommée au poste en litige parce qu’elle avait travaillé avec Mme Maisonneuve dans le passé. À mon avis, cela ne suffit pas pour établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Comme il est mentionné ci‐dessus, l’intimé n’a pas l’obligation d’envisager plus d’un candidat.

 

[67] La plaignante n’a pas témoigné d’une quelconque animosité personnelle entre elle et Mme Buckland. De même, interrogée en contre-interrogatoire sur cette question, Mme Buckland a nié toute animosité personnelle à l’égard de la plaignante. Rien n’indique non plus que Mme Buckland avait une quelconque relation personnelle avec les deux personnes nommées.

[68] La plaignante soutient néanmoins que Mme Buckland a fait preuve de partialité à son égard. La plaignante a rencontré Mme Buckland en octobre 2019 pour discuter de son ambition professionnelle, qui était d’accéder à des postes de gestion et de direction dans le domaine des soins de santé des Premières Nations. En particulier, la plaignante se rappelait avoir recommandé à Mme Buckland de créer un poste de chef des soins infirmiers adjoint (l’un des titres de Mme Buckland était chef des soins infirmiers) afin que la plaignante puisse un jour occuper ce poste. Mme Buckland ne se souvenait pas des détails de sa discussion avec la plaignante, mais elles se rappelaient toutes les deux que c’était une discussion professionnelle et collégiale.

[69] La plaignante soutient que le recours à un processus non annoncé pour ces deux nominations n’aurait pu être que le résultat de partialité de la part de Mme Buckland parce qu’elle savait que la plaignante souhaitait occuper des postes de gestion et de direction.

[70] Selon le témoignage de Mme Buckland, elle ne se souvenait pas exactement pourquoi elle n’avait pas tenu compte de la plaignante pour ces rôles, et elle a déclaré qu’elle n’aurait pas pensé de façon proactive à chaque personne du ministère pour un poste particulier. Toutefois, lorsqu’elle s’est préparée à l’audience, elle s’est souvenue que la plaignante cherchait un poste de gestion et que les deux postes en question dans les plaintes n’étaient pas des postes de gestion (puisqu’ils n’impliquaient pas la supervision d’autres employés). En fait, Mme Buckland a fait remarquer qu’à l’époque de ces deux nominations, la plaignante occupait un poste EC-07, c’est-à-dire un poste de direction auquel des employés de NU-CHN-07 étaient souvent rattachés. Mme Thompson est un exemple de cette structure hiérarchique : sa nomination intérimaire était un poste EC-07 et, à ce poste, elle supervisait les deux postes NU‐CHN‐07 en question.

[71] Je reconnais qu’il aurait pu s’agir d’explications raisonnables pour ne pas prendre en compte la plaignante. À première vue, il aurait été étrange de demander à la plaignante d’accepter une nomination intérimaire d’un an, ou même une nomination pour une durée indéterminée, ce qui aurait constitué une rétrogradation par rapport à sa nomination intérimaire actuelle. Une partie des divergences entre les parties dans cette affaire provient de points de vue différents sur la façon dont les infirmières évoluent dans leur carrière. La progression traditionnelle se fait des postes classifiés NU-CHN-06 à NU-CHN-07 à NU-CHN-08 à EX-02 à EX-03, a déclaré plaignante. Cependant, les employés du groupe et du niveau EC-07 supervisent les infirmières du groupe et du niveau NU-CHN-07, selon le témoignage de Mme Buckland. Cette dernière a également expliqué qu’elle est une infirmière diplômée et qu’elle a gravi les échelons des postes classifiés EC jusqu’à son rôle actuel de cadre; de même, Mme Thompson, également infirmière licenciée, a été promue de NU-CHN-07 à EC-07. La plaignante voulait un poste NU-CHN-07 parce qu’elle pensait qu’il s’agissait d’une promotion; Mme Buckland pensait qu’il s’agissait d’une rétrogradation par rapport à l’emploi intérimaire EC-07 de la plaignante.

[72] Cependant, il s’agit là de justifications auxquelles Mme Buckland a pensé en préparant l’audience, et elle ne peut affirmer avec certitude qu’elles lui sont venues à l’esprit lorsqu’elle a approuvé les nominations.

[73] Plus important encore, Mme Buckland a témoigné qu’elle n’aurait pas envisagé ou pensé de manière proactive à toutes les personnes de son ministère pour un poste particulier. Je suis d’accord sur le fait qu’elle n’aurait pas dû avoir à le faire. Fondamentalement, la plaignante affirme que Mme Buckland a fait preuve de partialité à son égard parce qu’elle n’a pas pensé à elle pour ces deux emplois. Une brève conversation d’encadrement sur la manière d’accéder à la fonction de cadre n’obligeait pas Mme Buckland à prendre en considération la plaignante à chaque fois qu’une offre d’emploi se présentait.

[74] La plaignante soutient que le fait que Mme Buckland n’ait pas fait preuve de favoritisme à son égard signifie que Mme Buckland a fait preuve de partialité à son égard. Je ne suis pas d’accord. Un cadre n’est pas obligé d’envisager ou de proposer une promotion à toutes les personnes avec lesquelles il a eu des entretiens d’encadrement.

V. La personne nommée dans le cadre de la nomination intérimaire remplissait les conditions d’études requises pour son poste, car une maîtrise en administration des affaires était [traduction] « pertinente au poste »

[75] Le paragraphe 30(2)(a) de la LEFP stipule que, pour qu’une nomination soit fondée sur le mérite, la personne nommée doit posséder les qualifications essentielles pour le travail à accomplir. Cela signifie que « [...] nommer une personne qui ne satisfait pas aux qualifications essentielles, constitue un abus de pouvoir [...] » (voir Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24, au par. 36, et Kavanagh c. Président de Services partagés Canada, 2017 CRTESPF 38, au par. 44). En d’autres termes, « [s]i la personne nommée ne répond pas aux qualifications essentielles, peu importe l’intention, la nomination n’est pas fondée sur le mérite » (voir Rinn c. Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2007 TDFP 44, au par. 38). Pour reprendre la métaphore utilisée par l’intimé dans ses conclusions, si l’une des qualifications requises pour un poste est de jouer au basketball, vous ne pouvez pas être nommé si vous jouez au volleyball à la place.

[76] Les postes intérimaires et les postes à durée indéterminée exigeaient le niveau d’études suivant : « Maîtrise d’un établissement d’enseignement postsecondaire reconnu, avec spécialisation acceptable en sciences infirmières, administration de services infirmiers, enseignement des sciences infirmières ou dans une autre spécialisation pertinente au poste.

[77] La personne nommée à titre intérimaire possède une maîtrise en administration des affaires. L’évaluation narrative effectuée par Mme Tremblay pour ce poste indique qu’une maîtrise en administration des affaires est une [traduction] « autre spécialisation pertinente au poste », comme suit :

[Traduction]

[...]

La maîtrise en administration des affaires répond aux critères de la rubrique « autre spécialisation pertinente au poste ». Une maîtrise en administration des affaires a préparé le candidat en finance d’entreprise, en technologie de l’information, en sciences de l’information décisionnelle, en marketing, en comptabilité et en gestion; toutes des compétences importantes pour le développement et l’avancement des services essentiels en soins infirmiers dans les communautés des Premières Nations; pour la rétention et le recrutement des ressources humaines en soins infirmiers; et dans le monde en constante évolution de la technologie des soins de santé.

[...]

 

[78] La plaignante soutient qu’une maîtrise en administration des affaires n’est pas une [traduction] « autre spécialisation pertinente au poste ». Elle a comparé la maîtrise en administration des affaires à sa propre maîtrise qui, d’après elle, est beaucoup plus étroitement liée aux responsabilités du poste. L’intimé ne conteste pas le fait que la maîtrise de la plaignante serait utile et répondrait aux exigences du poste, mais il fait valoir que Mme Thompson a expliqué de manière adéquate comment une maîtrise en administration des affaires est également pertinente au poste. Selon l’intimé, le désaccord de la plaignante sur la question de savoir si une maîtrise en administration des affaires est pertinente ou suffisante, ne démontre pas un abus de pouvoir.

[79] Un simple désaccord avec la manière dont un comité d’évaluation ou un gestionnaire responsable de l’embauche évalue un candidat ne constitue pas un abus de pouvoir. Comme l’a déclaré la Commission dans Portree c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14, au par. 54, « [l]e fait que la plaignante n’est pas d’accord avec la cote attribuée par le comité d’évaluation à sa réponse [...] ne constitu[e] pas pour autant un abus de pouvoir ». Il s’agit d’une « décision du comité d’évaluation [...] ». Le même principe s’applique à l’évaluation des diplômes. Le comité s’en est remis à l’évaluation des qualifications éducatives par le gestionnaire responsable de l’embauche dans Abi-Mansour c. Président-directeur général de Passeport Canada, 2014 TDFP 12, au par. 47, parce qu’il « [...] connaît très bien les fonctions associées au poste ».

[80] De même, dans cette affaire, Mme Tremblay connaissait bien le travail requis pour le poste intérimaire puisqu’elle en a exercé les fonctions pendant de nombreuses années, et elle était bien mieux placée que moi pour décider quelles spécialisations étaient pertinentes au poste. Elle a raisonnablement décidé qu’une maîtrise en administration des affaires était pertinente pour les éléments non infirmiers du poste. Je ne remettrai pas en question son évaluation de ce qui était pertinent au poste, d’autant plus qu’elle a occupé ce poste pendant des années avant d’être promue ailleurs à titre intérimaire.

[81] Enfin, dans ses allégations, la plaignante a fait valoir que la personne nommée pour une durée indéterminée n’était pas titulaire d’une maîtrise d’un établissement d’enseignement postsecondaire reconnu. Toutefois, au cours des plaidoiries finales, elle a abandonné cet argument, et je n’y reviendrai donc pas.

VI. Les deux nominations n’ont pas constitué un abus de pouvoir compte tenu de l’évaluation des qualifications des personnes nommées

A. Il n’y a pas eu d’évaluation globale en l’espèce

[82] La plaignante soutient que l’intimé a abusé de son autorité lorsqu’il a évalué si la personne nommée à titre intérimaire remplissait les conditions d’expérience [traduction] « [s]ignificative dans la prestation de soins primaires directs ou de services de santé publique ». La plaignante soutient également que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a évalué si la personne nommée pour une durée indéterminée remplissait les conditions suivantes : [traduction] « [e]xpérience dans la prestation de conseils stratégiques aux hauts fonctionnaires sur les questions de soins primaires », [traduction] « [c]onnaissance des principes des approches de soins primaires » et [traduction] « [c]onnaissance des principes et des techniques de gestion des programmes de santé ». Dans chaque cas, la plaignante soutient que l’intimé a abusé de son pouvoir en adoptant une [traduction] « évaluation globale » de ces qualifications.

[83] La voie hiérarchique de l’« évaluation globale » découle du principe selon lequel une personne nommée doit posséder toutes les qualifications essentielles pour un poste. Certains gestionnaires responsables de l’embauche examinent une partie ou la totalité des qualifications et décident si un candidat répond à l’ensemble de ces qualifications. Par exemple, dans Rochon c. le sous-ministre des Pêches et des Océans, 2011 TDFP 7, le gestionnaire responsable de l’embauche a utilisé ce que la Commission a appelé une « notation globale unique » pour évaluer deux qualifications sans les évaluer individuellement de sorte qu’« [un] candidat aurait pu obtenir la note de passage pour l’évaluation globale [...] sans pour autant avoir prouvé qu’il possédait chacune d’elles individuellement » (au par. 62). Ainsi, une « évaluation globale » ou une « notation globale » viole le principe du mérite et constitue un abus de pouvoir.

[84] Contrairement à l’argument de la plaignante, Mme Thompson n’a pas procédé à une évaluation globale de l’une ou l’autre des personnes nommées. L’évaluation narrative explique pourquoi le candidat a rempli cette qualification pour chacune des qualifications sur lesquelles la plaignante a exprimé des inquiétudes. Mme Thompson a évalué chaque qualification séparément et n’a pas fait de copier-coller des réponses d’une évaluation à l’autre. En bref, il n’y a pas eu d’évaluation globale.

[85] La plaignante affirme également que les évaluations étaient superficielles et inadéquates. La plaignante fait l’analogie avec Ross c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2017 CRTEFP 48, dans lesquels les détails fournis à côté de plusieurs qualifications étaient si lacunaires que la Commission a conclu qu’il n’y avait pas eu d’évaluation du mérite. Cependant, dans cette affaire, la Commission était préoccupée par le fait que le gestionnaire responsable de l’embauche s’appuyait sur la réussite des personnes nommées à des postes de gestionnaire correctionnel au test de niveau d’entrée pour les nouvelles recrues (paragraphes 109 et 110), que le gestionnaire responsable de l’embauche utilisait la même justification pour trois personnes nommées (paragraphe 111), que le gestionnaire responsable de l’embauche déclarait seulement qu’il « semblait » que les personnes nommées possédaient certaines caractéristiques (paragraphe 112) et que l’une des évaluations avait été faite après le début de la nomination (paragraphe 113), et que rien n’indiquait que l’un des candidats avait un diplôme d’études secondaires, comme cela est exigé (au paragraphe 108).

[86] Avec égard, la présente affaire n’a rien à voir avec Ross. Mme Thompson n’a pas utilisé d’examens de niveau d’entrée pour les postes à responsabilité, n’a pas copié‐collé ses réponses, n’a pas antidaté son évaluation et a confirmé le niveau d’instructions des personnes nommées.

[87] Pour donner un exemple, en utilisant celui sur lequel la plaignante insiste le plus dans ses conclusions, voici l’évaluation d’une des qualifications contestées :

[Traduction]

 

Qualification

Évaluation narrative

L’expérience dans la prestation de conseils stratégiques à de hauts fonctionnaires sur des questions de soins primaires.

[La personne nommée] a démontré sa capacité à évaluer les questions pancanadiennes relatives aux soins infirmiers, en se fondant sur les commentaires des intervenants ainsi que sur les ressources humaines et d’autres sources de données, et à formuler ces questions sous forme de conseils et de directives stratégiques. Par exemple, depuis son arrivée dans la RCN en août 2018, elle a évalué les problèmes actuels liés au transport de marchandises dangereuses à destination et en provenance des communautés, ainsi que les besoins des infirmières en matière de formation et de certification dans ce domaine. Elle a travaillé avec des collègues régionaux et la haute direction pour élaborer un plan visant à combler cette lacune en matière de formation et à créer un plan de formation.

 

[88] Mme Thompson a évalué cette qualification de manière approfondie. En plus d’affirmer que la personne nommée avait fourni des conseils en matière de politique stratégique, elle a utilisé un exemple concernant la formation au transport de marchandises dangereuses pour montrer que la personne nommée était en mesure de conseiller la haute direction sur une politique visant à combler cette lacune en matière de formation. La plaignante soutient que la [traduction] « haute direction » n’est pas la même chose que les [traduction] « hauts fonctionnaires »; ce type de pédanterie ne suggère pas que Mme Thompson a abusé de son autorité.

[89] Les autres qualifications ont été évaluées avec un niveau de détail similaire ou supérieur. J’ai conclu que l’évaluation de ces qualifications n’était ni superficielle ni inadéquate.

B. L’évaluation de la connaissance des problèmes de santé éprouvés par les populations autochtones ne constitue pas un abus de pouvoir.

[90] Le témoignage de la plaignante était des plus convaincants lorsqu’elle a décrit la valeur de son expérience vécue dans son travail avec SAC. La nomination intérimaire mentionnait [traduction] « [c]onnaissance des questions liées à la prestation de services et de programmes de soins de santé pour les populations autochtones » comme l’une des qualifications requises pour ce poste. Elle a témoigné de l’importance de ce qu’elle a appelé son expérience [traduction] « réelle » avec les problèmes de santé éprouvés par les populations autochtones. En tant qu’infirmière fournissant des soins de santé dans une réserve, en tant que membre des Premières Nations ayant été patiente et en tant que personne chargée d’aider sa famille à obtenir des soins de santé, elle comprend les obstacles systémiques rencontrés par les membres des Premières Nations qui cherchent à obtenir des soins de santé, y compris les différentes façons dont le racisme influe sur la prestation des services de santé. Elle comprend également ces questions mieux que quelqu’un qui n’a pas vécu cette expérience.

[91] Je suis d’accord en principe sur la valeur de l’expérience vécue dans ce contexte.

[92] Malheureusement, je ne peux rien faire au sujet des plaintes.

[93] Une plainte déposée en vertu de la LEFP n’est pas un entretien d’embauche; je n’ai pas la compétence, et je ne suis pas qualifié, pour décider qui devrait obtenir tel ou tel emploi. Mon rôle est de vérifier si le gestionnaire responsable de l’embauche a réellement évalué les qualifications et s’il a abusé de son pouvoir en le faisant. Comme l’a déclaré la Cour fédérale dans Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684, au par. 70 :

[70] La création des qualifications essentielles est confiée au gestionnaire, ce n’est ni au Tribunal ni à la Cour d’établir les qualifications essentielles requises pour un poste ou de substituer leur appréciation des qualifications des candidats à celle du gestionnaire ou ses sous-délégués, le Comité de présélection en espèce. Le rôle du Tribunal consistait à examiner s’il y avait eu abus de pouvoir dans la façon dont le Comité de présélection a examiné les demandes.

 

[94] En l’espèce, l’évaluation réelle est rédigée comme suit :

Diplôme

Évaluation narrative

La connaissance des questions liées à la prestation de services et de programmes de soins de santé pour les populations autochtones.

La candidate a travaillé avec Services aux Autochtones Canada à divers titres et dans divers secteurs depuis 2015, notamment au sein d’une organisation de santé des Premières Nations transférée. [La personne nommée] a démontré sa connaissance des questions relatives aux populations autochtones dans le cadre des programmes et des processus dans lesquels elle travaille.

 

[95] Le niveau de détail de l’évaluation narrative était assez élevé pour montrer que la qualification a été réellement évaluée. La brièveté seule n’est pas une indication d’abus de pouvoir.

[96] Je conclus en soulignant que les plaintes ont été déposées en vertu de la LEFP avant les modifications entrées en vigueur le 1er juillet 2023, selon lesquelles une erreur, une omission ou une conduite irrégulière comprend celle qui découle d’un préjugé ou d’un obstacle qui désavantage les personnes provenant de tout groupe en quête d’équité (voir le par. 2(5) de la LEFP). Je n’ai pas cherché à savoir si ces modifications auraient pu avoir une influence sur le résultat de ces plaintes, étant donné que ces dispositions ne sont pas rétroactives et que, par conséquent, cette plainte doit être jugée en fonction de la LEFP telle qu’elle était libellée lorsque les plaintes ont été déposées.

VII. L’immatriculation professionnelle comme infirmière en Colombie-Britannique constitue‐t-elle une [traduction] « [...] licence ou immatriculation valide en soins infirmiers dans la province ou le territoire d’emploi » pour un poste situé dans la région de la capitale nationale lorsque la personne nommée travaille à distance depuis la Colombie-Britannique?

A. L’exigence de répondre aux qualifications essentielles d’un poste

[97] À titre d’information, lart. 31 de la LEFP permet à l’« employeur » (dans ce cas, le Conseil du Trésor du Canada) d’établir des normes de qualification pour un poste. Si l’employeur le fait, les qualifications fixées par le gestionnaire responsable de l’embauche doivent être égales ou supérieures à celles fixées par l’employeur.

[98] L’employeur a défini des normes de qualification minimales pour tous les postes d’infirmière ou d’infirmier (à l’exception des infirmières ou des infirmiers psychiatriques, qui ont des normes différentes). L’une de ces normes minimales est « l’admissibilité à l’immatriculation comme infirmière ou infirmier autorisé dans une province ou un territoire du Canada » [je mets en évidence]. Comme l’a expliqué Mme Tremblay, le gouvernement fédéral dispose d’infirmières qui travaillent dans tout le Canada, de sorte que cette norme n’exige que l’immatriculation dans une province ou un territoire et non dans une province ou un territoire en particulier.

[99] Les qualifications pour les deux postes ont copiées cette exigence sous la rubrique [traduction] « Immatriculation professionnelle »– à savoir que le candidat devait être immatriculé dans une province ou un territoire du Canada.

[100] Cependant, les qualifications pour les deux postes contenaient un deuxième point sous le titre [traduction] « Conditions d’emploi » qui était rédigé comme suit : [traduction] « Une licence ou une immatriculation en soins infirmiers dans la province ou le territoire d’emploi » [je mets en évidence]. Mme Thompson a témoigné qu’elle avait écrit la qualification, mais qu’elle ne pouvait pas expliquer pourquoi elle était formulée différemment de la qualification de l’immatriculation professionnelle.

[101] La personne nommée pour une durée indéterminée travaille en Ontario et est membre de l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario, donc elle remplit cette condition.

[102] Mais la personne nommée à titre intérimaire était inscrite à l’Ordre des professionnels infirmiers de la Colombie-Britannique. Elle vivait en Colombie‐Britannique et faisait du télétravail. Mme Thompson a témoigné qu’elle considérait que la province d’emploi de la personne nommée était la Colombie‐Britannique, car c’est là qu’elle travaillait physiquement. L’intimé affirme également que cette interprétation est logique étant donné la nature du poste, qui concernait la politique nationale et non les soins directs aux patients d’une province particulière.

[103] Cependant, l’avis de nomination intérimaire pour ce poste indique que la zone de sélection (c’est-à-dire les personnes qui peuvent déposer une plainte) est [traduction] « [...] les employés de Services aux Autochtones Canada qui occupent un poste dans la région de la capitale nationale ». Interrogée sur cette zone de sélection, Mme Thompson a déclaré que le poste intérimaire était situé dans la région de la capitale nationale (plus précisément à Ottawa, en Ontario), ce qui signifie que la zone de sélection était exacte. En d’autres termes, la province d’emploi de la personne nommée était la Colombie-Britannique, mais elle occupait un poste dans la région de la capitale nationale. Toutefois, questionnée davantage, Mme Thompson a admis qu’il serait raisonnable pour une personne qui lit l’avis de nomination intérimaire de supposer qu’un employé doit travailler et être immatriculé en Ontario.

[104] Ceci soulève deux questions.

B. La province d’emploi de la personne nommée était la Colombie-Britannique.

[105] La première question est de savoir si la personne nommée possédait les qualifications requises pour le poste. En d’autres termes, quelle est la province d’emploi d’un employé qui fait du télétravail pour une province en occupant un poste situé dans une autre province? Dans le cas de cette personne nommée, sa province d’emploi était-elle la Colombie-Britannique ou l’Ontario?

[106] J’ai demandé aux parties si elles disposaient d’une autorité juridique sur cette question, et les deux parties ont indiqué qu’elles n’en avaient pas. Je leur ai demandé également s’il y avait des conséquences importantes sur les implications de ma décision sur ce point concernant d’autres employés en télétravail. La plaignante a suggéré que cela ne serait pas le cas, car les offres d’emploi pourraient simplement préciser que les postes étaient admissibles au télétravail. L’intimé n’avait rien à ajouter sur les conséquences pratiques de ma décision.

[107] J’ai également examiné la jurisprudence de la Commission sur ce point et je n’ai trouvé aucune règle permettant de déterminer ce qui constitue la province d’emploi d’une personne.

[108] Toutefois, en l’absence de dispositions légales contraires, un employé relève du code du travail ou de l’emploi d’une province particulière lorsqu’il vit et travaille dans cette province. Par exemple, dans Labour Relations Board of New Brunswick v. Eastern Bakeries Limited, 1960 CanLII 79 (SCC), [1961] SCR 72, la Cour suprême du Canada a conclu que les employés recrutés à Moncton, au Nouveau-Brunswick, mais qui vivaient et travaillaient en Nouvelle-Écosse ou sur l’Île-du-Prince-Édouard n’étaient pas visés par le code du travail du Nouveau-Brunswick. En d’autres termes, dans Brushett v. Sun Life Assurance Company of Canada, 2017 NSLB 154 (CanLII), le conseil du travail de la Nouvelle-Écosse a conclu que le Labour Standards Code de la Nouvelle-Écosse (RSNS 1989, c 246) était appliqué à un employé recruté en Ontario pour un employeur ontarien, mais qui avait fait du télétravail à partir de la Nouvelle-Écosse pendant les deux dernières années de son emploi. D’autres commissions provinciales du travail sont arrivées à la même conclusion, comme dans Shu Zhang v. IBM Canada Limited, 2019 CanLII 79641 (ON LRB) (un employé qui faisait du télétravail depuis la Colombie‐Britannique n’était pas employé en Ontario), et John Karpowicz v. Valor Inc, 2016 CanLII 49203 (ON LRB) (un employé qui vivait et travaillait à domicile au Michigan, aux États-Unis, pour une société ontarienne n’était pas employé en Ontario).

[109] L’interprétation de Mme Thompson de l’expression [traduction] « province d’emploi » est conforme à la façon dont d’autres commissions du travail décident quelle loi provinciale du travail s’applique aux employés qui font du télétravail. Cela indique que son interprétation était raisonnable et ne constituait pas un abus de pouvoir.

[110] De plus, Mme Thompson a déclaré qu’elle avait interprété l’expression [traduction] « province d’emploi » avec les qualifications de l’employeur pour les infirmières, lesquelles exigent l’immatriculation dans n’importe quelle province. Je reconnais qu’il était raisonnable d’interpréter les qualifications selon le contexte. L’interprétation de Mme Thompson signifie que les [traduction] « conditions de qualification à l’emploi »pour ce poste sont conformes à la qualification professionnelle des infirmières et infirmiers établie par l’employeur, à savoir qu’ils devaient être immatriculés dans n’importe quelle province ou n’importe quel territoire du Canada.

[111] Ainsi, je conclus que l’intimé n’a pas abusé de son pouvoir en concluant que la province d’emploi de la personne nommée était la province dans laquelle elle travaillait, à savoir la Colombie-Britannique.

C. Le libellé de la zone de sélection ne constitue pas un abus de pouvoir.

[112] Cependant, cela ne met pas fin à mon enquête. La deuxième question concerne la zone de sélection. Comme l’a souligné la plaignante, la zone de sélection pour la nomination intérimaire était celle des employés de SAC qui [traduction] « [...] occupent un poste dans la région de la capitale nationale ». L’intimé peut avoir techniquement raison de déclarer que le poste était situé dans la région de la capitale nationale, mais comme l’a indiqué Mme Thompson, une personne lisant la zone de sélection aurait raisonnablement supposé que le poste n’était disponible que pour les personnes employées en Ontario et titulaires une immatriculation comme infirmière ou infirmier en Ontario.

[113] La Commission n’a pas compétence pour entendre une plainte portant uniquement sur le caractère raisonnable de la zone de sélection; voir Umar-Khitab c. Canada (Ressources humaines et du Développement social), 2007 TDFP 5, au par. 15.

[114] Toutefois, dans Kavanagh, la Commission a considéré qu’il s’agissait d’une question de qualité pour agir, et non d’une question relative à l’objet approprié d’une plainte. En d’autres termes, un plaignant qui se trouve en dehors de la zone de sélection n’a pas le droit de contester le fait qu’il devrait se trouver dans la zone de sélection (et être habilité à déposer une plainte). En revanche, un plaignant qui se trouve dans la zone de sélection peut toujours contester la définition de la zone de sélection et faire valoir que cette définition témoigne d’un abus de pouvoir.

[115] Dans Kavanagh, la plaignante avait qualité pour agir parce qu’elle se trouvait dans la zone de sélection. Elle a fait valoir que l’intimé avait abusé de son pouvoir en élargissant la zone de sélection à des employés n’appartenant pas à son ministère. La Commission a examiné la plainte bien qu’elle soit liée à la zone de sélection, comme elle l’a indiqué au paragraphe 34 : « Même si la Commission n’a pas compétence pour entendre une plainte concernant la zone de sélection d’un processus de sélection, elle doit tenir compte de la preuve qui est pertinente à la plainte déposée en vertu de l’article 77 de la LEFP. » Bien que la Commission ait rejeté la plainte dans cette affaire, elle devait encore évaluer si la façon dont la zone de sélection avait été préparée constituait un abus de pouvoir.

[116] En l’espèce, la plaignante a allégué que les deux nominations n’étaient pas transparentes et constituaient donc un abus de pouvoir. L’intimé a souligné à juste titre que les nominations non annoncées ne sont pas communiquées aux employés avant qu’elles n’aient lieu. La transparence requise n’intervient qu’a posteriori, lorsque l’avis de nomination est publié. L’intimé a cité Appleby c. Administrateur général de la Gendarmerie royale du Canada, 2021 CRTESPF 142, au par. 46, qui stipule ce qui suit :

[46] La plaignante s’est dite préoccupée par le fait que le processus n’était ni transparent ni équitable. La réponse à ses préoccupations est que la transparence a été obtenue lors de la publication de la NNPN [notification de nomination ou proposition de nomination]. Elle a informé les employés des détails de la nomination et du droit de recours [...]

 

[117] L’intimé a également fait référence à Clout c. le Sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 TDFP 22, au par. 39, et Beyak, au par. 121, où la Commission a examiné la question de savoir si l’avis de nomination offrait le degré de transparence requis.

[118] Au cours de la plaidoirie, j’ai demandé à l’intimé, dans l’éventualité où la transparence requise se produit lors de la publication de l’avis de nomination, s’il y a un problème lorsque l’avis est trompeur. L’intimé a répondu que la zone de sélection était techniquement exacte et que le fait qu’une personne travaille à distance n’est pas pertinent pour l’avis de nomination. La réponse de l’intimé signifie que l’exactitude technique est suffisante même si elle est trompeuse.

[119] Je ne suis pas convaincu par l’argument de l’intimé. Les processus non annoncés sont opaques par nature. La LEFP exige néanmoins un certain niveau de transparence dans les nominations. Pour les nominations non annoncées, cette transparence intervient après le fait, lorsque l’avis de nomination est publié. Un avis de nomination trompeur (même s’il est techniquement correct) n’est pas transparent.

[120] Cela dit, la Commission a compétence pour enquêter sur l’existence d’un abus de pouvoir. Toutes les erreurs n’atteignent pas le niveau d’un abus de pouvoir; voir, par exemple, Bérubé-Savoie, au par. 29 (« [...] le fait qu’une erreur ou une omission constitue ou non un abus de pouvoir dépend de sa nature et de sa gravité »), Lavigne, au par. 62 (« [l]'abus de pouvoir exige plus que l’erreur ou l’omission, ou même une conduite irrégulière »), et Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, au par. 73 (« [l]’abus de pouvoir constitue plus que simplement des erreurs ou omissions [...] »). La jurisprudence de la Commission est riche en décisions stipulant qu’une « erreur grave », une « erreur ou omission grave » ou une action « déraisonnable » constitue un abus de pouvoir.

[121] À mon avis, la question cruciale dans les plaintes est de savoir si l’erreur met en péril l’objectif primordial de la LEFP, soit de garantir que les nominations sont fondées sur le mérite. Une erreur qui risque d’entraîner une nomination contraire au principe du mérite est « grave » ou « déraisonnable ». Comme le dit la Cour d’appel fédérale dans Bambrough c. La Commission de la Fonction publique), [1976] 2 CF 109, à la p. 115, « [l]a sélection selon le principe du mérite constitue lobjectif principal de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique et le critère essentiel d’appréciation de l’exercice des pouvoirs conférés par la Loi ». Alors que la Cour écrivait à propos de la version antérieure à 2005 de la LEFP, ce passage reste vrai aujourd’hui dans le cadre de la version actuelle.

[122] La caractérisation trompeuse de la zone de sélection n’a pas mis en péril le principe du mérite. Le principe du mérite dans la LEFP est que les personnes nommées doivent posséder les qualifications essentielles du poste et que la nomination doit être faite en fonction des qualifications non essentielles de la personne nommée et des exigences et besoins actuels ou futurs de l’organisation (voir l’art. 30 de la LEFP). Par conséquent, j’ai évalué la question de savoir si la zone de sélection trompeuse rendait possible la nomination d’une personne non qualifiée pour le poste et ne convenant pas aux besoins de l’organisation.

[123] Comme il s’agissait d’une nomination non annoncée, la zone de sélection trompeuse n’a pas privé les candidats de la possibilité de postuler puisqu’il n’y a pas eu de processus de candidature. Comme je l’ai indiqué, la personne nommée remplissait les conditions d’emploi pour ce poste. La nomination a donc respecté le principe du mérite. La zone de sélection trompeuse ne constitue pas un abus de pouvoir en l’espèce, car elle n’a pas créé le risque qu’une personne non qualifiée soit nommée ou n’a pas privé un autre employé de la possibilité de postuler à ce poste.

VIII. Autres questions soulevées dans les plaintes

[124] Si la plaignante n’a pas insisté sur ce point dans ses conclusions, elle a fait valoir que la différence de qualifications entre les deux postes démontrait un abus de pouvoir, suggérant que les qualifications avaient été manipulées pour aider l’une ou l’autre des personnes nommées. L’exemple principal qu’elle a donné est que le poste intérimaire exigeait quatre ans d’expérience dans les soins primaires au sein d’une organisation de services de santé, alors que le poste à durée indéterminée n’exigeait que deux ans d’expérience. Je n’ai vu aucune preuve de manipulation pour s’adapter à l’une ou l’autre des personnes nommées. Comme le souligne à juste titre l’intimé, il s’agissait de deux postes différents. Ce n’est pas parce que deux postes ont la même classification qu’ils doivent avoir les mêmes qualifications.

[125] La plaignante a également laissé entendre qu’il y avait quelque chose d’infâme dans cette affaire parce que l’intimé n’a pas déposé une copie de l’énoncé des critères de mérite pour l’une ou l’autre des nominations. Toutefois, dans les deux cas, l’évaluation narrative demandait à Mme Thompson de copier toutes les qualifications de l’énoncé des critères de mérite dans l’évaluation narrative, et elle a déclaré l’avoir fait. Je suis convaincu que les qualifications pour les deux postes étaient celles énumérées dans l’évaluation narrative.

[126] Enfin, bien que la représentante de la plaignante n’ait pas soulevé ce point lors des conclusions, j’étais préoccupé par le fait que Mme Thompson ait utilisé une vérification des références pour la nomination intérimaire sans prendre de notes sur cette vérification. Elle n’a pas non plus pris de notes sur l’entretien informel qu’elle a eu avec la personne nommée pour une durée indéterminée. Je tiens à réitérer la mise en garde de la Commission dans Dionne c. le Sous-ministre de la Défense nationale, 2008 TDFP 11, par. 66, au sujet de l’importance de prendre et de conserver des notes pendant la vérification des références, et j’étends cette mise en garde à la prise et à la conservation de notes pendant un entretien. Si la plaignante avait soulevé la question lors des conclusions, j’aurais probablement conclu que le fait de ne pas avoir pris de notes ne constituait pas un abus de pouvoir, mais comme ce point n’a pas été soulevé, je n’y reviendrai pas.

[127] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance suivante :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

IX. Ordonnance

[128] Les plaintes sont rejetées.

Le 11 avril 2024.

Traduction de la CRTESPF

 

Christopher Rootham,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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