Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a interprété sa Procédure de règlement des griefs de classification de manière à ce que seul le titulaire d’un poste ait qualité pour déposer un grief de classification – l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) a déposé trois griefs de principe à l’encontre de l’interprétation de l’ACIA qui refusait la qualité pour agir aux anciens titulaires de postes pour déposer des griefs fondés sur leurs nouvelles descriptions de travail – l’ACIA s’est opposée aux griefs au motif qu’ils avaient été déposés en retard, ce que l’IPFPC a contesté – de façon subsidiaire, l’IPFPC a demandé une prorogation du délai pour les déposer – la Commission a accepté la prémisse que les griefs avaient été déposés en retard, pour être efficace dans sa gestion des cas, sans être d’accord ou en désaccord avec l’ACIA sur le fait qu’ils étaient hors délai – la Commission a appliqué les facteurs de Schenkman et a accordé une prorogation du délai pour déposer les griefs – la Commission a conclu qu’il y avait une explication convaincante du retard dans le fait que l’IPFPC ne savait pas parfaitement que l’ACIA n’autoriserait pas les anciens titulaires à déposer des griefs de classification, que le retard n’était pas excessif, particulièrement à la lumière du contexte plus large du différend qui avait cours depuis 2001, que l’IPFPC avait agi avec diligence raisonnable en traitant les griefs et en demandant une prorogation du délai, et que le préjudice aux parties favorisait la prorogation du délai – l’ACIA s'est également opposée au motif que la Commission n'avait pas compétence pour entendre les griefs – l’ACIA a soutenu que le caractère essentiel des griefs était la classification – la Commission a conclu que leur caractère essentiel était la capacité des anciens titulaires de déposer des griefs de classification – la Commission a fondé sa décision sur le libellé des griefs, la réponse de l’ACIA et les faits sous-jacents du différend – l’ACIA a soutenu que la classification d’un employé ne détermine pas de façon concluante son taux de rémunération; par conséquent, la classification d’un ancien titulaire n’est pas une condition d’emploi – la Commission a déterminé que l’argument de l’ACIA était contredit par la jurisprudence et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79) – la Commission a également conclu que l’argument de l’ACIA était incompatible avec le sens général des « conditions d’emploi » à l’art. 208 de la Loi et du libellé de la convention collective – la classification du poste d’un employé a un lien réel avec son emploi, ce qui fait de son ancienne classification une condition d’emploi – la Commission a conclu que l’alinéa 208(1)b) de la Loi comprend le droit pour l’ancien titulaire d’un poste de déposer un grief de classification au sujet de la classification de son ancien poste parce qu’une telle classification est une condition de son emploi – la politique de l’ACIA selon laquelle les anciens titulaires n’ont pas qualité pour déposer un grief de classification au sujet de leurs anciens postes a enfreint l’art. 208 – l’ACIA a soutenu que les griefs ne portaient pas sur une violation de convention collective – la Commission a conclu qu’une violation de l’art. 208 viole également les clauses A4.01 (droits de la direction) et A5.01 (droits des employés) de la convention collective pertinente – les clauses A4.01 et A5.01, lues ensemble, signifient que l’ACIA n’a pas le pouvoir de faire quoi que ce soit qui restreint ou réduit le droit d’un employé conféré par l’art. 208 – de plus, une convention collective incorpore des droits dans les lois relatives à l’emploi, et les employés lésés par ces droits peuvent déposer un grief en vertu de la convention collective – l’ACIA s’est appuyée sur la clause D6.04 lorsqu’elle a déclaré que la classification est une question expressément exclue du processus de règlement des griefs de la convention collective et a soutenu que les décisions concernant la qualité pour déposer des griefs de classification ne relèvent pas de la convention collective – la Commission a déterminé que la clause D6.04 n’exclut pas du processus de règlement des griefs tout ce qui a trait à la classification – la clause D6.04 stipule explicitement qu’elle est assujettie à l’art. 208 de la Loi, et par conséquent, les parties ne se sont pas libéré pour retirer le droit de grief conféré par la loi – la Commission a déclaré que l’employeur avait contrevenu aux clauses A4.01 et A5.01 et que les anciens titulaires avaient qualité pour déposer des griefs de classification au sujet de la classification de leurs anciens postes – la Commission a ordonné à l’ACIA d’envoyer des avis de classification aux anciens titulaires et de traiter leurs griefs de classification.

Demande accueillie.
Griefs accueillis.

Contenu de la décision

Date : 20240523

Dossiers : 568‑32‑48394,

569‑32‑47713, 569‑32‑47714 et

569‑32‑47715

 

Référence : 2024 CRTESPF 70

Loi sur la Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral et Loi sur les

relations de travail dans le secteur

public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Institut professionnel de la fonction publique du Canada

demandeur et agent négociateur

 

et

 

Agence canadienne d’inspection des aliments

 

défenderesse et employeur

Répertorié

Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral et des griefs de principe renvoyés à l’arbitrage

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le demandeur et l’agent négociateur : Peter Engelmann, avocat, Isabelle Roy‑Nunn, avocate, et Sarah‑Claude L’Ecuyer, stagiaire

Pour la défenderesse et l’employeur : Karl Chemsi et Alexandre Toso, avocats

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés les 9 et 21 août, le 15 septembre, le 4 octobre, les 10 et 17 novembre

et le 15 décembre 2023, et les 2 et 21 février 2024

et entendue par vidéoconférence le 26 février 2024.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] Les présents griefs de principe portent sur la question de savoir si les employés ont le droit de déposer des griefs de classification en vue de demander que leurs anciens postes soient reclassifiés.

[2] J’ai accueilli les griefs parce qu’ils ont ce droit.

[3] L’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2), (la « Loi ») confère à tous les employés le droit de présenter un grief contre les mesures portant atteinte à ses conditions d’emploi. La classification de leur ancien poste constitue une condition d’emploi parce qu’elle a un lien réel avec leur emploi. Dans le présent cas, le fait de limiter ce droit prévu par la loi constitue une violation de la convention collective. Par conséquent, j’ai rendu une déclaration à cet effet, ainsi que des ordonnances plus précises visant à faire en sorte que les anciens titulaires (terme utilisé par les parties pour décrire les employés touchés) puissent contester les décisions de classification qui ont donné lieu aux présents griefs de principe.

[4] J’ai également accordé une prorogation du délai pour déposer les présents griefs de principe. Les parties m’ont demandé de trancher cette question avant de décider si les griefs ont effectivement été déposés en retard, alors c’est ce que j’ai fait. J’ai conclu qu’il y avait une explication claire, logique et convaincante justifiant tout retard dans le présent cas, que le retard n’était pas excessif, que l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« IPFPC ») a agi avec diligence raisonnable en traitant les griefs de principe et en demandant une prorogation du délai, et que l’équilibre au niveau du préjudice causé aux parties favorisait l’octroi de la prorogation du délai.

II. Historique de la procédure

[5] Le litige sous‑jacent entre les parties dans le présent cas remonte à 2001. Voici une citation de Coupal c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2021 CRTESPF 124, au par. 1 :

[1] Depuis 2001, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada […] et les vétérinaires travaillant chez l’Agence canadienne d’inspection des aliments […] qu’il représente s’efforcent de s’entendre avec l’employeur sur les descriptions de travail et la classification des postes de vétérinaire, aux niveaux de classification VM‑01 à VM‑04. Tel qu’il sera établi de façon plus détaillée ultérieurement dans la présente décision, ce différend de longue date perdure, même s’il a été ponctué par des ententes entre les parties de temps à autre.

 

[6] Trois groupes de vétérinaires sont touchés par ces trois griefs de principe : les vétérinaires superviseurs, les agents de programme vétérinaire et les spécialistes de programme vétérinaire.

[7] Dans Coupal, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission », qui dans le présent cas fait référence à la Commission actuelle et à ses prédécesseurs) portait sur les vétérinaires superviseurs. De nombreux vétérinaires superviseurs ont contesté leur description de travail en 2001, en 2009 et en 2011. En 2016, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (« ACIA ») a publié une description de travail qui satisfaisait l’IPFPC et les vétérinaires touchés. Plutôt que de classifier cette description de travail, l’ACIA l’a réécrite en 2019 et a classifié la description de travail réécrite au groupe et niveau VM‑02. La Commission a conclu que l’ACIA avait violé la convention collective pertinente conclue entre l’ACIA et l’IPFPC pour le groupe de la Médecine vétérinaire en ne classifiant pas la description de travail de 2016 et a ordonné à l’ACIA de classifier la description de travail de 2016.

[8] Dans Paré c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2021 CRTESPF 86, la Commission a traité des agents de programme vétérinaire. La Commission a accueilli le grief contre la description de travail de l’ACIA concernant ces postes et a modifié cette description de travail afin qu’elle entre en vigueur le 1ᵉʳ mai 2001.

[9] L’IPFPC et l’ACIA ont réglé la question relative à la description de travail des spécialistes de programme vétérinaire en fonction d’une description de travail révisée qui devait être classifiée rétroactivement au 1ᵉʳ mai 2001. L’entente réglant cette description de travail précisait que le résultat de l’exercice de classification qui a suivi serait [traduction] « […] appliqué à tous les titulaires de poste d’attache et anciens titulaires […] » de ce poste et que [traduction] « […] les titulaires de poste d’attache et les anciens titulaires […] auraient droit à la rémunération rétroactive […] » si le poste était reclassifié.

[10] L’ACIA a procédé à l’exercice de classification requis pour ces trois postes à plusieurs reprises en 2022. Il en est résulté que les trois postes ont conservé leur classification initiale (VM‑02, VM‑03 et VM‑04, respectivement). Les vétérinaires concernés, qui sont les titulaires de ces postes, ont déposé des griefs de classification à l’encontre de ces décisions, soutenant que les postes devraient être classifiés à la hausse.

[11] L’ACIA dispose d’une politique intitulée Procédure de grief de classification. La Procédure de grief de classification prévoit au paragraphe 1.1 : [traduction] « Un grief de classification est une plainte écrite d’un employé contre la classification de la description de travail qu’il exécute […] » [je mets en évidence]. Il est également indiqué à l’alinéa 1.3.a. que le délai pour déposer un grief de classification est de 35 jours après le jour où l’employé [traduction] « […] apprend l’existence d’une mesure ou d’une circonstance portant atteinte à la classification du poste qu’il occupe » [je mets en évidence]. L’ACIA affirme que cela signifie que seul le titulaire d’un poste a qualité pour déposer un grief de classification. On ne me demande pas de décider si l’interprétation par l’ACIA de la Procédure de grief de classification est correcte ou raisonnable dans le cadre des présents griefs de principe. En d’autres termes, les deux parties m’ont demandé de trancher les présents griefs de principe en supposant que cela signifie que seul le titulaire d’un poste a qualité pour déposer un grief de classification.

[12] Selon la thèse de l’IPFPC, le classement à la hausse qui aurait dû avoir lieu à la suite des descriptions de travail révisées devrait inclure la reclassification rétroactive des anciens titulaires pendant qu’ils occupaient ces postes après 2001. Cependant, on ne m’a pas demandé pas de décider si une reclassification à la hausse serait rétroactive à 2001 dans les présents griefs de principe, et je ne trancherai pas cette question.

[13] Dans les présents griefs de principe, l’IPFPC est d’avis que ces anciens titulaires devraient pouvoir déposer des griefs de classification pour donner suite à cette demande. L’IPFPC a déposé ces trois griefs de principe contre la partie de la Procédure de grief de classification de l’ACIA qui refuse aux anciens titulaires de ces postes la qualité pour déposer un grief contre les décisions de classification prises en fonction des nouvelles descriptions de travail.

III. Motifs pour accorder la demande de prorogation du délai

A. Objection de l’ACIA relative au respect du délai des présents griefs

[14] L’ACIA s’est opposée aux griefs de principe au motif qu’ils ont été déposés en retard. Essentiellement, elle soutient que le délai de prescription de 35 pour déposer les griefs de principe a commencé à courir lorsqu’elle a informé l’IPFPC des résultats de l’exercice de classification. L’IPFPC conteste que les griefs sont hors délai, affirmant au contraire que le délai de prescription a commencé à courir à des dates ultérieures qui sont, en général, celles où il a su que les anciens titulaires des trois postes en litige seraient lésés par la politique de l’ACIA sur les griefs de classification.

[15] Subsidiairement, l’IPFPC a présenté une demande de prorogation du délai pour déposer ces trois griefs de principe.

B. Procédure suivie pour trancher les questions relatives au respect des délais

[16] Après avoir été affecté aux trois griefs de principe, j’ai ordonné aux parties de présenter des arguments écrits sur la question de savoir si la demande de prorogation du délai devrait être accueillie. J’ai également tenu une conférence de gestion de cas avec les parties. L’IPFPC a expliqué qu’il devrait présenter des éléments de preuve pour expliquer adéquatement sa position relative au respect des délais des griefs, et l’ACIA a déclaré que si cela se produisait, elle devrait présenter des éléments de preuve en réponse. Étant donné que cela aurait pour effet de prolonger ce qui serait autrement une audience simple, j’ai décidé qu’il était préférable de trancher la demande de prorogation du délai d’abord en me fondant sur les arguments écrits des parties. Si j’accordais la prorogation du délai, tout différend concernant le respect des délais de présentation des griefs deviendrait théorique, et les parties pourraient simplement débattre le bien‑fondé des griefs de principe. Si je refusais la demande de prorogation du délai, les parties pourraient présenter des éléments de preuve et débattre le respect des délais. En d’autres termes, en renversant l’ordre normal de procéder et de trancher la demande avant de trancher la question de savoir si les griefs sont hors délai, je gagnerais du temps si j’accueillais la demande et je ne serais pas plus mal pris si je la rejetais.

[17] Les deux parties ont convenu que je peux trancher cette demande de prorogation du délai par écrit. La Commission est autorisée à trancher une telle demande sur la base d’arguments écrits en raison de son pouvoir de trancher « […] toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience », conformément à l’art. 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365); voir également Walcott c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2024 CAF 68.

[18] Par conséquent, aux fins de la demande, j’accepte la prémisse selon laquelle les griefs ont été déposés en retard parce que leur délai de prescription a commencé à courir à la date proposée par l’ACIA. Cela ne signifie pas que je suis d’accord ou en désaccord avec l’ACIA pour dire que les griefs sont [traduction] « manifestement hors délai », mais simplement que je suis prêt à accepter cela comme étant vrai aux fins de la présente décision. Je fais remarquer que l’ACIA soutient que le troisième grief de principe a été déposé le 22 octobre 2022, mais que l’IPFPC a fourni une copie du courriel par lequel il a envoyé le grief à l’ACIA le 12 octobre 2022; par conséquent, je considère cette date antérieure comme la date à laquelle l’IPFPC a déposé ce grief.

C. Périodes pertinentes

[19] Selon la thèse de l’ACIA, le délai pour déposer chaque grief de principe courait à partir de la date à laquelle elle a informé les employés, y compris les anciens titulaires, des résultats de la classification. Les parties ne s’entendent pas sur la date précise pour un groupe, l’IPFPC affirmant qu’il n’a été informé du poste de vétérinaire superviseur que le 12 juin 2022, et non le 19 mai 2022, comme l’affirme l’ACIA. Toutefois, j’ai accepté les délais proposés par l’ACIA aux fins de la présente demande, en particulier compte tenu d’une copie du courriel daté du 19 mai 2022 qu’elle a envoyé à l’IPFPC pour l’informer de sa décision relative à la classification.

[20] Les dates de déclenchement pour le délai de prescription (selon l’ACIA), les dates des griefs de principe et la période avant laquelle ils ont été déposés tardivement suivent dans ce tableau :

Poste et classification actuelle

Date de déclenchement (selon l’ACIA)

Date du grief

Jours de retard

Vétérinaires superviseurs (VM‑02)

Le 19 mai 2022

Le 15 juillet 2022

22

Agents de programme vétérinaire (VM‑03)

Le 18 février 2022

Le 15 septembre 2022

174

Spécialistes de programme vétérinaire (VM‑04)

Le 16 juin 2022

Le 12 octobre 2022

83

 

[21] Dans son argumentation finale en réponse à la demande de prorogation du délai, l’ACIA soutient que la date de déclenchement pour les trois griefs était le 18 février 2022 (c.‑à‑d. la date à laquelle le premier groupe d’employés a été informé de la décision relative à la classification). Je ne vois pas comment l’IPFPC ou ses membres auraient pu être lésés à l’égard des deux autres groupes jusqu’à ce que l’ACIA décide de ne pas reclassifier ces postes. Aux fins de la présente décision, j’utiliserai les dates de déclenchement initiales des trois griefs de l’ACIA, qui sont indiquées dans le tableau.

D. Motifs de l’octroi de la prorogation du délai

[22] Le 21 novembre 2023, j’ai accordé à l’IPFPC une prorogation du délai pour déposer ces trois griefs de principe en rendant une décision sommaire à cet effet. Voici les motifs de cette décision.

[23] L’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005‑79), (le « Règlement ») confère à la Commission le pouvoir de proroger tout délai prévu par une procédure de grief énoncée dans une convention collective ou dans le Règlement « par souci d’équité ». La Commission applique généralement ce qu’elle appelle les critères énoncés dans Schenkman (tirés de Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, lorsqu’elle décide si, par souci d’équité, il convient d’accueillir une demande de prorogation du délai. Voici les cinq facteurs :

· le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

· la durée du retard;

· la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;

· l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;

· la chance de succès du grief (souvent exprimée dans les décisions rendues après Schenkman comme la question de savoir s’il existe une cause défendable en faveur du grief).

 

[24] Ces critères ne sont pas tous pondérés de façon égale, et ils ne sont pas tous importants dans tous les cas. Comme la Commission l’a déclaré dans Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, au par. 77, « […] les critères ne sont pas fixes et qu’ils n’ont pas une importance et un poids égaux […] ».

[25] L’IPFPC soutient que les facteurs énoncés dans Schenkman devraient être appliqués de façon souple plutôt que de façon rigoureuse, citant Fortier c. Ministère de la Défense nationale, 2021 CRTESPF 41, au par. 30. L’argumentation de l’IPFPC est conforme à la façon dont la Commission applique les facteurs énoncés dans Schenkman, car les « […] critères ne sont pas exhaustifs et ils doivent être appliqués avec souplesse […] » (voir Bastien c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2023 CRTESPF 34, au par. 11, cité également par l’IPFPC).

[26] L’ACIA a également cité six décisions de la Commission à l’appui de la proposition selon laquelle les délais de prescriptions prévus dans les conventions collectives devraient être respectés par les parties et ne devraient être prorogés que dans des circonstances exceptionnelles. Il s’agit là d’un énoncé juste de la jurisprudence de la Commission; toutefois, il convient de noter que même certaines des décisions citées par l’ACIA (à savoir, Fragomele c. Agence du revenu du Canada, 2022 CRTESPF 39, aux par. 138 et 139, et Bowden, au par. 77) appliquent également les principes énoncés dans Schenkman avec souplesse, comme l’a proposé l’IPFPC.

[27] Les deux parties ont organisé leurs arguments en fonction des cinq facteurs énoncés dans Schenkman dans cet ordre; j’ai donc organisé les présents motifs de la même manière.

1. Les raisons du délai

[28] L’IPFPC explique le retard dans le dépôt de ces griefs par le fait qu’il ne savait pas que l’ACIA avait décidé de ne pas autoriser les anciens titulaires des trois postes de vétérinaires à déposer des griefs de classification.

[29] Dans chaque cas, l’ACIA a envoyé une lettre à l’IPFPC indiquant ce qui suit : [traduction] « […] les titulaires de postes qui ont fait l’objet d’un examen de classification peuvent, s’ils ne sont pas satisfaits des résultats, déposer un grief de classification. » Selon la position de l’ACIA, cela a fait démarrer le délai pour déposer les griefs de principe, probablement parce que déclarer que les titulaires peuvent déposer des griefs équivaut à déclarer que les anciens titulaires ne peuvent pas déposer de griefs. Même si l’IPFPC soutient le contraire, comme je l’ai déjà dit plusieurs fois, j’ai traité les délais de l’ACIA comme s’ils étaient corrects uniquement aux fins de la présente demande de prorogation du délai.

[30] L’explication de l’IPFPC pour ce retard est essentiellement qu’elle ne savait pas que l’ACIA adoptait la position selon laquelle les anciens titulaires ne pouvaient pas contester cette décision relative à la classification, particulièrement compte tenu des décisions de la Commission dans Coupal et Paré, qui antidataient les descriptions de travail. En guise d’éléments de preuve de son ignorance, l’IPFPC a fourni une lettre datée du 21 juin 2022, concernant les agents de programme vétérinaire, dans laquelle il demande expressément ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] l’employeur a‑t‑il envoyé la cote contestée du poste non seulement aux titulaires actuels, mais également aux anciens titulaires qui occupaient le poste à compter du 1er mai 2021. Si l’employeur n’a pas encore fourni la cote à tous les anciens titulaires, veuillez confirmer qu’il le fera ou, dans la négative, pourquoi pas.

[…]

 

[31] L’IPFPC déclare également avoir fait des demandes semblables « officieuses » pour les vétérinaires superviseurs le 15 juin 2022. L’IPFPC n’a pas reçu de réponse et a donc envoyé une lettre de suivi le 26 juillet 2022 pour en demander une. L’ACIA n’a pas répondu. Enfin, au moins un ancien agent de programme vétérinaire a déposé un grief de classification et, le 25 août 2022, il a été informé qu’il n’avait pas qualité pour déposer un tel grief. L’IPFPC a déposé le grief de principe au nom des agents de programmes vétérinaires dans les 35 jours suivant cette décision et dans les 35 jours suivant le moment où il a demandé une réponse de l’ACIA à sa lettre du 26 juillet 2022.

[32] Même si la lettre officielle qui m’a été fournie ne concernait que les agents de programme vétérinaire et non les deux autres groupes, je suis d’accord avec l’IPFPC pour dire qu’elle fournit certains éléments de preuve à l’appui de son explication du retard, notamment son manque de connaissance complète du fait que l’ACIA ne permettrait pas aux anciens titulaires de traiter de leur classification découlant des descriptions de travail révisées et rétroactives. Je comprends que l’argument de l’IPFPC chevauche la question de savoir si les griefs étaient en retard en premier lieu, car le délai commençait à courir à partir de la date à laquelle l’IPFPC avait : [traduction] « […] connaissance de l’action de l’omission ou de la situation ayant donné lieu au grief de principe » (clause D 6.41 de la convention entre l’ACIA et l’IPFPC pour le groupe VM qui a expiré le 30 septembre 2022; la « convention collective »). L’argument relatif au respect du délai porte sur la date à laquelle l’IPFPC avait les connaissances requises pour déclencher le délai de prescription. Toutefois, même si je suis disposé à accepter, uniquement aux fins de cette demande, que l’IPFPC avait une certaine connaissance de la situation ayant donné lieu aux griefs de principe (c.‑à‑d. l’absence de qualité des anciens titulaires pour déposer des griefs de classification), il a adéquatement démontré que sa connaissance était imparfaite et qu’il y avait une certaine confusion à ce sujet.

[33] L’ACIA soutient que cette lettre ne constitue pas une explication adéquate du retard, invoquant cinq décisions de la Commission selon lesquelles les discussions visant à régler les questions ne justifient pas le dépôt tardif des griefs (y compris, plus récemment, Bowden, au par. 80). Mais comme le souligne l’IPFPC, ses tentatives d’obtenir des réponses de l’ACIA ne constituaient pas des tentatives de discuter ou de régler la question, mais plutôt des tentatives de savoir si l’ACIA refusait en fait de permettre aux anciens titulaires de déposer des griefs de classification. Les cas cités par l’ACIA concernent tous des discussions officieuses visant à régler des questions en litige. Il ne s’agit pas d’un cas de discussions officieuses visant à régler un différend; il s’agit d’un cas où un fonctionnaire s’estimant lésé tentait de savoir s’il y existait un différend. J’accepte cela en tant que justification logique du retard.

[34] L’IPFPC a également expliqué qu’il avait pris un certain temps pour communiquer avec ses membres afin de savoir si les anciens titulaires avaient reçu des décisions de classification, et qu’il avait également aidé au moins l’un d’entre eux à déposer un grief de classification (qui a été rejeté pour absence de qualité le 25 août 2022) avant de déposer les griefs de principe. L’ACIA soutient que les griefs de principe n’exigent pas le consentement des employés concernés et que, par conséquent, l’IPFPC n’avait pas à communiquer avec les titulaires actuels ou antérieurs des postes avant de déposer des griefs de principe. Même si cela est vrai sur le plan technique, il était logique dans le présent cas que l’IPFPC communique avec ses membres pour savoir s’il existait un différend et si un membre (dans le présent cas, les anciens titulaires) s’est réellement senti lésé par la décision relative à la classification ou aurait souhaité déposer un grief en vertu de la politique sur la classification de l’ACIA.

[35] L’ACIA a également invoqué une série de cas selon laquelle la négligence ou l’erreur d’un représentant ne constitue pas une raison convaincante pour un retard justifiant l’accueil d’une demande de prorogation du délai. Comme l’IPFPC l’a souligné dans ses arguments en réplique, des décisions plus récentes de la Commission, selon les circonstances, ont accepté la négligence de la part d’un représentant comme convaincante justifiant un retard; voir les discussions dans Van de Ven c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2023 CRTESPF 60, au par. 73, et Barbe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 42, au par. 48, pour ces [traduction] « deux courants de pensée ». Toutefois, le présent cas concerne des griefs de principe. Il ne s’agit pas d’un cas où un agent négociateur a représenté par négligence un membre de l’unité de négociation lorsqu’il a déposé un grief en retard; le plaignant est l’agent négociateur et non un fonctionnaire individuel. Il ne s’agit pas non plus d’un cas où l’IPFPC tente de blâmer son avocat pour le retard. Par conséquent, la jurisprudence relative à la représentation négligente n’est pas pertinente à la présente décision. L’IPFPC affirme que le dépôt tardif des griefs n’est la faute de personne, mais la sienne.

[36] J’admets que j’ai des préoccupations quant à l’explication de l’IPFPC du retard dans le présent cas. Il n’a pas expliqué la raison pour laquelle il a déposé un grief de principe le 15 juillet 2022, mais a attendu jusqu’au 12 octobre 2022 pour déposer le dernier grief de principe. Les différences entre les trois griefs de principe semblent très modestes à première vue. S’il était clair, le 15 juillet 2022, que l’ACIA ne permettrait pas aux anciens vétérinaires superviseurs de déposer des griefs de classification, l’IPFPC n’a pas expliqué la raison pour laquelle cette question relative à la qualité pour agir n’était toujours pas claire pour les deux autres postes jusqu’à ce qu’il dépose les deux autres griefs de principe le 15 septembre et le 12 octobre 2022, respectivement. Toutefois, ni l’IPFPC ni l’ACIA ne soutiennent ou ne laissent même entendre que je pourrais ou devrais parvenir à des conclusions différentes dans l’un ou l’autre de ces trois cas, c’est‑à‑dire que je devrais accueillir une demande de prorogation du délai, mais refuser une autre prorogation. Je conclus également qu’il serait peu logique, sur le plan des relations du travail, d’accorder une prorogation de délai dans un cas, mais pas dans les autres, compte tenu des similitudes entre les trois cas, puisque cette décision pourrait arbitrairement refuser une réparation à un groupe si j’accueille le grief en faveur d’un autre groupe.

[37] En conclusion, l’IPFPC a présenté une raison logique justifiant le retard. Il ne s’agit pas de l’explication la plus convaincante, mais elle est suffisante à la lumière de mon évaluation des autres facteurs.

2. La durée du retard

[38] La durée du retard dans ces trois cas varie de 22 jours à un peu moins de six mois. L’ACIA soutient qu’un retard mesuré de 40 jours à six mois est important ou long et fournit quatre cas dans lesquels des demandes de prorogation du délai ont été rejetées lorsque les retards se situaient dans cette gamme (Wyborn c. Agence Parcs Canada, 2001 CRTFP 113, Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), 2011 CRTFP 68, Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33, et Parker c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 57).

[39] L’IPFPC fait valoir que le retard dans le présent cas devrait être évalué par rapport au retard de l’ACIA dans la mise en œuvre de Paré (environ un an) et au fait que ce différend perdure depuis 2001. À un moment donné, l’IPFPC laisse entendre que l’ACIA n’a pas les [traduction] « mains propres » dans son argumentation au sujet des retards. Je n’irais pas aussi loin; je ne dispose d’aucun renseignement sur la raison pour laquelle il a fallu environ un an pour classifier les descriptions de travail révisées, et il se peut fort bien qu’il y existe une bonne explication pour avoir pris autant de temps.

[40] Toutefois, je ne souscris pas à la proposition de l’ACIA selon laquelle un retard de la durée dans le présent cas est inhabituel ou présumé déraisonnable. Dans Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59, au par. 14, la Commission a indiqué qu’un retard de quatre ou de cinq mois n’était ni dérisoire ni important. Dans Guittard c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2002 CRTFP 18, au par. 28, la Commission a conclu qu’un retard de quatre mois « ne semble pas vraiment excessif ». Dans Savard c. Conseil du Trésor (Passeport Canada), 2014 CRTFP 8, au par. 67, la Commission a indiqué que le retard de cinq mois « n’est pas exceptionnel ». Dans Duncan c. Conseil national de recherches du Canada, 2016 CRTEFP 75, au par. 147, la Commission a indiqué que la durée d’un retard de quatre à cinq mois « n’est pas excessive ».

[41] Pour ces raisons, un retard allant de 22 jours à un peu moins de six mois n’est pas excessif, surtout compte tenu du contexte plus large du présent litige qui perdure depuis 2001.

3. Diligence raisonnable

[42] L’ACIA soutient que l’IPFPC n’a pas agi avec diligence raisonnable parce qu’il aurait pu déposer les griefs plus tôt. Évidemment, si les griefs sont déposés en retard, ils auraient pu être déposés plus tôt; cet argument ne me dit rien sur la question de savoir si l’IPFPC a agi avec diligence.

[43] L’ACIA fait également valoir que l’IPFPC aurait dû présenter une demande de prorogation du délai plus tôt et qu’il a attendu le [traduction] « dernier moment possible ». Je ne retiens pas cet argument. Le paragraphe 95(1) du Règlement exige qu’une partie s’oppose au dépôt tardif d’un grief à chaque palier de la procédure de règlement des griefs et de nouveau dans les 30 jours suivant le renvoi du grief à l’arbitrage. Jusqu’à ce que l’ACIA dépose son opposition aux présents griefs le 9 août 2023, l’IPFPC n’avait aucun moyen de savoir si l’ACIA renoncerait à toute objection relative au respect des délais qu’elle aurait pu avoir, malgré le fait qu’elle ait soulevé cette objection dans sa décision au dernier palier, elle pouvait encore changer d’avis. Je conviens que l’IPFPC n’a pas présenté de demande de prorogation du délai lorsqu’il a répondu à cette objection le 21 août 2023, mais qu’il a plutôt attendu jusqu’à ce qu’il dépose une réplique le 4 octobre 2023 (en réponse aux arguments plus détaillés de l’ACIA concernant le respect des délais des présents griefs), mais je refuse de traiter ce court délai comme un manque de diligence raisonnable. Le présent cas n’a rien à voir avec Slivinski c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2021 CRTESPF 35, invoqué par l’ACIA, dans lequel la fonctionnaire s’estimant lésée a attendu trois ans, jusqu’au début de l’audience, pour demander une prorogation du délai.

[44] L’IPFPC a agi avec diligence raisonnable en traitant ces griefs et en demandant une prorogation du délai.

4. L’équilibre au niveau du préjudice

[45] L’ACIA soutient que le rejet des présents griefs ne cause aucun préjudice à l’IPFPC parce qu’il s’agit de griefs de principe et que la Commission n’a pas compétence pour accorder le type de réparations financières ou autres qui sont courants dans les griefs individuels ou collectifs. Même si j’acceptais cette prémisse, les membres de l’IPFPC (en particulier les anciens titulaires des trois postes qui souhaitent déposer des griefs de classification) subiraient tout de même un certain préjudice si je n’accueillais pas la présente demande de prorogation du délai. L’ACIA soutient que [traduction] « […] l’agent négociateur n’a pas expliqué la façon exacte dont le fait de ne pas conférer aux anciens titulaires le droit de déposer un grief de classification entraînera nécessairement le refus de ces avantages ». En l’absence d’un engagement clair et sans équivoque de la part de l’ACIA d’appliquer le résultat de tout grief de classification accueilli par un titulaire aux anciens titulaires du poste, je ne suis pas disposé à conclure que les membres de l’IPFPC ne subiraient aucun préjudice si je refusais la présente demande de prorogation du délai.

[46] Il s’avère que, après que j’ai accordé la prorogation du délai, l’ACIA a soutenu dans ses arguments écrits du 2 février 2024 qu’elle n’était pas tenue de verser une rémunération rétroactive en raison d’une reclassification.

[47] L’ACIA a également mentionné trois demandes en cours devant la Cour fédérale déposées par d’anciens titulaires de ces postes. Cependant, je ne dispose pas de renseignements suffisants au sujet de ces demandes pour décider si elles constituent des substituts adéquats des présents griefs de principe.

[48] Enfin, l’ACIA n’a fourni aucun élément de preuve selon lequel elle a subi un préjudice, mise à part son affirmation selon laquelle un retard est intrinsèquement préjudiciable et qu’il contribue à un manque de stabilité dans les relations de travail. Cet argument aurait été plus convaincant dans un conflit de courte durée plutôt que dans celui‑ci qui fait perdure, sous une forme ou une autre, depuis 2001.

[49] Pour ces motifs, l’équilibre au niveau du préjudice milite en faveur d’accueillir la présente demande de prorogation du délai.

5. Chances de succès

[50] Les deux parties conviennent qu’il faut accorder peu de poids, voire aucun poids, à ce facteur, car je ne devrais pas examiner en détail les griefs à ce stade. Je suis du même avis.

6. Conclusion relative à l’octroi de la prorogation du délai

[51] J’ai décidé d’accueillir la présente demande de prorogation du délai. J’ai conclu qu’il existe une justification du retard, même si elle est imparfaite, elle est au moins logique. Les autres facteurs qui favorisent l’accueille de la présente demande : à savoir, le retard n’est pas excessif, l’IPFPC a agi avec diligence lorsqu’il a présenté cette demande et, de manière plus générale, lorsqu’il a traité le présent différend, et l’équilibre au niveau du préjudice militent en faveur d’accueillir la présente demande de prorogation du délai.

[52] Le présent différend perdure depuis 2001. Les anciens titulaires des trois postes devraient au moins avoir l’occasion de faire valoir, dans le cadre des présents griefs de principe, qu’ils ont le droit de contester la classification de leurs anciens postes compte tenu des décisions rendues par la Commission en 2021.

IV. Le bien‑fondé des griefs de principe

[53] L’ACIA soutient que la Commission n’a pas compétence pour entendre les présents griefs de principe. Habituellement, j’exposerais mes motifs expliquant la raison pour laquelle la Commission a compétence sur le présent cas avant d’aborder le fond des griefs. Toutefois, dans le présent cas, j’examinerai le fond des griefs parallèlement à l’objection relative à la compétence, car il est important de comprendre le fond des griefs pour comprendre les motifs pour lesquels je conclus que la Commission a compétence pour entendre les griefs.

[54] Après avoir lu et entendu les arguments des parties dans le présent cas, ces griefs et l’objection connexe à la compétence soulèvent les quatre questions suivantes, auxquelles je répondrai ensuite :

1) Quel est le caractère essentiel des présents griefs de principe? Le caractère essentiel des présents griefs de principe est la qualité des anciens titulaires de postes pour déposer des griefs de classification individuels.

2) La politique de l’ACIA selon laquelle les anciens titulaires n’ont pas qualité pour déposer un grief de classification concernant leur ancien poste viole‑t‑elle l’art. 208 de la Loi? Oui.

3) Une violation de l’art. 208 de la Loi viole‑t‑elle également la convention collective? Oui, elle viole les clauses A4.01 et A5.01.

4) Le libellé de la clause D6.04 de la convention collective exclut‑il la question soulevée dans les présents griefs de principe de la portée de la convention collective? Non.

 

A. Le caractère essentiel des griefs porte sur la qualité pour déposer un grief, et non sur la classification des postes

[55] La première question que je dois trancher consiste à déterminer le caractère essentiel des présents griefs de principe : s’agit‑il de la qualité pour déposer un grief ou de la classification?

[56] Pour mettre cette question en contexte, l’ACIA soutient à juste titre que le pouvoir de la Commission est défini par la loi. La Commission a appliqué le critère du « caractère essentiel » pour déterminer sa compétence. Cela signifie que la Commission doit déterminer si le caractère essentiel du litige relève de sa compétence en vertu des art. 209, 216 ou 220 et 221 de la Loi; voir Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115, au par. 98 (confirmée dans 2015 CF 50), et Swan et McDowell c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 73, au par. 59.

[57] L’ACIA fait valoir que le caractère essentiel des présents griefs concerne la classification. L’ACIA soutient en outre que la Commission n’a pas compétence pour entendre les présents griefs de principe parce qu’elle n’a pas compétence sur les différends concernant la classification.

[58] En revanche, l’IPFPC déclare que le caractère essentiel de présents griefs de principe porte sur la qualité d’une personne pour déposer un grief.

[59] Je suis du même avis que l’IPFPC. Le caractère essentiel des présents griefs de principe concerne la qualité pour agir.

[60] Je dis cela pour trois raisons. En premier lieu, l’ACIA soutient que je devrais me fonder sur le libellé des griefs. Je suis d’accord pour dire qu’il s’agit de la première étape pour déterminer le caractère essentiel des griefs, et dans Swan et McDowell, la Commission a déterminé le caractère essentiel du grief en examinant son texte et les redressements demandés.

[61] Les trois griefs de principe affirment tous qu’ils portent sur [traduction] « […] l’exigence selon laquelle les griefs de classification ne peuvent être déposés que par les titulaires actuels du poste […] » et sur la décision de l’ACIA de [traduction] « […] limiter le dépôt de griefs aux employés actuels » (ce qui signifie les titulaires des postes pertinents). Les griefs visent également trois réparations (dont il sera question plus en détail plus loin), dont une ordonnance selon laquelle
[traduction] « […] l’ACIA soit ordonnée à instruire les griefs de classification des anciens titulaires du poste […] ». Les griefs indiquent qu’ils portent sur la qualité pour agir.

[62] En deuxième lieu, j’ai examiné la réponse de l’ACIA aux griefs de principe datés du 23 juin 2023. Dans cette réponse, le décideur responsable de l’ACIA a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] je conclus que la décision de ne pas permettre aux non‑titulaires de contester les décisions relatives à la classification concernant un poste qu’ils n’occupent plus offre une certaine certitude, constitue un exercice raisonnable et équitable du pouvoir légal de l’employeur en matière de classification et ne viole pas la clause sur les droits de la direction de la convention collective […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

[63] La réponse même de l’ACIA aux griefs de principe indique qu’ils portent sur la qualité pour déposer un grief.

[64] Enfin, j’ai examiné les faits sous‑jacents du présent litige. Je suis d’accord avec l’ACIA pour dire que le caractère essentiel d’un litige doit dépendre des faits qui le sous‑tendent et non seulement de la façon dont le grief est rédigé. Comme l’a dit la Cour d’appel de l’Alberta, [traduction] « […] le fonctionnaire s’estimant lésé ne peut pas, par une rédaction astucieuse, transformer une affaire disciplinaire [qui ne peut faire l’objet d’un grief] de la police publique en une affaire pouvant faire l’objet d’un grief […] »; voir Edmonton Police Association v. Edmonton (City of), 2007 ABCA 147, au par. 22. Plus récemment, la Cour fédérale a également indiqué ce qui suit (Burlacu c. Canada (Procureur général), 2022 CF 1177, au par. 10) :

[10] Selon la jurisprudence, l’employeur ne peut pas choisir d’interpréter un grief comme bon lui semble […] De la même manière, l’employé s’estimant lésé ne peut se soustraire aux procédures et processus prescrits par la loi grâce à une formulation astucieuse lorsque la question soulevée porte sur des sujets visés par ces processus prescrits.

 

[65] Il ne fait aucun doute que l’objectif ultime de l’IPFPC est de faire reclassifier ces trois postes. Cependant, l’IPFPC ne demande pas à la Commission de reclassifier les postes. L’IPFPC demande à la Commission de permettre à ses membres de participer à une étape intermédiaire : soit déposer un grief de classification. La première étape de la voie vers la reclassification était les griefs relatifs à la description de travail. La Commission avait compétence pour entendre ces griefs dans Coupal et Paré. Le simple fait qu’un grief constitue une étape vers la reclassification ne signifie pas que le grief lui‑même porte sur la classification. Le caractère essentiel d’un grief relatif à la description de travail porte sur la description de travail, et non sur la classification du poste. De même, le caractère essentiel des présents griefs de principe porte sur la qualité pour déposer un grief de classification, et non sur la classification du poste.

[66] Pour ces motifs, j’ai conclu que le caractère essentiel des présents griefs concerne la qualité pour agir.

B. Les anciens titulaires ont le droit de déposer un grief de classification concernant leur ancien poste en vertu de l’art. 208 de a Loi. 208 de la Loi.

[67] Par souci de commodité, l’al. 208(1)b) de la Loi se lit comme suit :

208 (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

208 (1) Subject to subsections (2) to (7), an employee is entitled to present an individual grievance if he or she feels aggrieved

[…]

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

(b) as a result of any occurrence or matter affecting his or her terms and conditions of employment.

 

[68] Aucune des exceptions au droit de présenter un grief énoncées aux par. 208(2) à (7) de la Loi n’est pertinente au présent cas.

[69] La question qui se pose dans le présent consiste à savoir si la classification du poste d’un ancien titulaire relève du sens de l’expression « […] portant atteinte à ses conditions d’emploi. »

[70] L’ACIA soutient que la classification de l’ancien poste d’un employé ne constitue pas une condition de son emploi. Essentiellement, l’ACIA fait valoir que la classification d’un employé ne détermine pas de façon concluante son taux de rémunération parce que le taux de rémunération d’un employé est déterminé par son certificat de nomination, qui peut ou non correspondre à la classification du poste auquel il est nommé. L’ACIA soutient donc que la classification de l’ancien titulaire du poste ne constitue pas une condition de son emploi.

[71] L’ACIA invoque deux décisions plus anciennes pour étayer sa position selon laquelle la classification du poste d’un employé ne détermine pas de manière concluante son taux de rémunération : Le procureur général du Canada c. Jones, 1977, [1978] 2 CF 39 (CAF), et Basque c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé et du Bien‑être social), [1984] C.R.T.F.P.C. n43 (QL). L’ACIA affirme que ces deux décisions appuient la proposition selon laquelle une reclassification d’un poste n’a d’effet sur la rémunération que si des employés sont nommés ou nommés de nouveau au poste reclassifié.

[72] L’ACIA ajoute que cela signifie qu’une classification ou une reclassification du poste d’un ancien titulaire n’a aucune incidence sur ses conditions d’emploi aux employés aux employés, actuelles ou passées.

[73] Je ne retiens pas l’argument de l’ACIA pour quatre raisons. En bref :

1) Si l’ACIA soutient à bon droit que la classification d’un poste ne détermine pas nécessairement ou de manière concluante la rémunération d’un employé (c’est‑à‑dire qu’il y a une autre étape après la classification d’un poste pour déterminer sa rémunération), alors cela s’appliquerait aussi bien à la classification des postes actuels qu’à celle des anciens postes. Si l’ACIA a raison, cela signifie également que tous les griefs de classification ne relèvent pas de l’art. 208 de la Loi. Ceci est clairement contredit par la jurisprudence et les Règlements, qui indiquent clairement que la classification d’un poste peut faire l’objet d’un grief en vertu de l’art.208 de la Loi.

 

2) Même si l’ACIA soutient à bon droit que la classification d’un poste ne détermine pas la rémunération d’un employé, l’art. 208 de la Loi autorise les employés de déposer un grief contre toute « condition d’emploi », et non seulement la rémunération. La classification constitue une condition d’emploi parce qu’elle a un lien réel avec l’emploi d’un employé et concerne plus que seulement la rémunération.

 

3) Même si l’ACIA soutient à bon droit que la classification d’un poste ne détermine pas la rémunération d’un employé et que les « conditions d’emploi » doivent concerner la rémunération, l’art. 208 de la Loi autorise des griefs concernant tout ce qui porte atteinte aux conditions d’emploi. La classification porte atteinte à la rémunération, même si elle ne la détermine pas de façon concluante.

 

4) Enfin, l’ACIA a sorti de leur contexte factuel, juridique et historique les cas qu’elle invoque pour affirmer que la classification d’un poste ne détermine pas le taux de rémunération d’un employé.

 

[74] J’examinerai chacun de ces points à tour de rôle.

1. Les griefs de classification relèvent de l’art. 208 de la Loi

[75] En premier lieu, la conséquence logique de l’argument de l’ACIA est que même un grief portant sur la classification du poste actuel d’un employé outrepasserait la portée de l’art. 208 de la Loi, ainsi que celle de son ancien poste. Si la classification d’un employé ne détermine pas de manière concluante son taux de rémunération, cela signifie que même la classification du poste actuel de l’employé ne détermine pas de façon concluante sa rémunération. Selon le raisonnement de l’ACIA, la classification d’un poste ne porterait pas atteinte à la condition d’emploi d’un employé, que la classification soit d’un poste antérieur ou actuel. Cela signifie que, selon la logique de l’ACIA, tous les griefs de classification ne relèvent pas de l’art. 208 de la Loi.

[76] Ceci est clairement contredit par la jurisprudence et le Règlement.

[77] Dans la jurisprudence, ce point est énoncé de manière la plus claire et concise dans Adamidis c. Canada (Procureur général), 2019 CF 331, au par. 33, comme suit :

[33] Le grief a été présenté au titre de l’article 208 de la LRTSPF, qui permet au fonctionnaire de déposer un grief « par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi » (alinéa 208(1)b)). Cela comprend les différends concernant la classification attribuée à son poste […]

 

[78] La Cour fédérale a formulé un commentaire semblable dans Fischer c. Canada (Procureur général), 2012 CF 720, au par. 5. La Commission a également conclu que le par. 91 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P‑35; maintenant l’art. 208 de la Loi) [traduction] « […] confère aux employés le droit de présenter des griefs de classification » (voir Boyer c. Marks, [1989] C.R.T.F.P.C. n85 (QL), au par. 56) et que [traduction] « […] un employé a le droit de contester la classification du poste auquel il est employé » (voir Burke c. Napoli (Transports Canada), [1987] C.R.T.F.P.C. n201 (QL), au par. 33).

[79] Le Règlement établit une série de règles concernant le traitement des griefs en vertu de l’art. 208 de la Loi et leur renvoi à l’arbitrage en vertu de l’art. 209. Les articles 71 et 72 du Règlement contiennent des dispositions particulières sur les griefs de classification : l’article 71 permet qu’un grief de classification soit présenté directement au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, et le par. 72(2) prolonge de 20 à 80 jours le délai pour rendre une décision dans un grief de classification. Ces règles particulières ne sont pas en litige dans les présents griefs. Ce que je veux dire, c’est que l’existence de dispositions dans le Règlement qui traitent des griefs de classification est fondée sur le fait que la classification peut faire l’objet d’un grief en vertu de l’art. 208 de la Loi.

[80] La conséquence logique de l’argument de l’ACIA selon lequel la classification du poste d’un employé ne constitue pas une condition d’emploi pouvant faire l’objet d’un grief en vertu de l’art. 208 est donc incompatible avec la jurisprudence et le Règlement.

2. Le sens de « conditions d’emploi » est suffisamment large pour englober la classification d’un ancien poste

[81] En deuxième lieu, l’argument de l’ACIA est incompatible avec le sens large de « conditions d’emploi » à l’art. 208 de la Loi. L’ACIA soutient qu’il n’existe aucun droit à une rémunération rétroactive pour les anciens titulaires d’un poste reclassifié. Même si cela était vrai (et je ne fais aucun commentaire sur cette proposition, puisque je ne suis pas saisi de la question), les conditions d’emploi ne se limitent pas à la rémunération.

[82] La Loi ne prévoit aucune définition de l’expression « conditions d’emploi ». Toutefois, la Cour suprême du Canada a expliqué qu’une condition d’emploi est quelque chose qui a « […] un lien réel avec le contrat de travail » (voir Isidore Garon ltée c. Tremblay, 2006 CSC 2, au par. 26). La Cour suprême du Canada a également décrit de façon très générale les conditions d’emploi des fonctionnaires fédéraux comme suit (voir Vaughan c. Canada, 2005 CSC 11, au par. 1) :

[1] Les conditions d’emploi de plus d’un quart de million de fonctionnaires du gouvernement fédéral sont énoncées dans des lois, des conventions collectives, des directives du Conseil du Trésor, des règlements, des directives du ministre et d’autres documents qui remplissent des rayons entiers de classeurs à feuilles mobiles. Les employés des ressources humaines sont recrutés dans le système, passent leur vie à essayer de le comprendre puis disparaissent. Les procédures assurant le respect des droits et des obligations des fonctionnaires diffèrent à certains égards de celles du secteur privé. Presque toute question liée au secteur du travail peut faire l’objet d’un grief, mais seulement certains différends peuvent être soumis à l’arbitrage […]

[Je mets en évidence]

 

[83] Le qualificatif « [p]resque toute » dans cet extrait fait référence aux exceptions au droit de déposer un grief énoncées aux par. 208(2) à (7) de la Loi, dont aucun ne s’applique au présent cas.

[84] Ce que je veux dire est que l’expression « conditions d’emploi » ne se limite pas à la rémunération. Ces « rayons entiers de classeurs à feuilles mobiles » comprennent les normes de classification.

[85] La classification d’un employé a une incidence sur son emploi de plusieurs façons. Comme l’a expliqué un expert en ressources humaines qui a témoigné devant la Commission dans Agence des douanes et du revenu du Canada c. Association des gestionnaires financiers de la Fonction publique, 2001 CRTFP 127, au par. 56, la classification a une incidence sur un grand nombre de questions et d’aspects de l’emploi d’un employé, y compris la dotation, la zone de concours (maintenant appelée zone de sélection) pour les nouveaux postes et l’attribution de la formation. De plus, le par. 57(2) de la Loi exige que la Commission tienne compte de la classification lorsqu’elle détermine l’unité de négociation appropriée pour les employés de l’administration publique fédérale.

[86] Compte tenu de ces répercussions, la classification du poste d’un employé, ou même d’un ancien poste, a un lien réel avec son emploi. Cela rend sa classification ou son ancienne classification une condition d’emploi.

[87] Ma conclusion est étayée davantage par le libellé de la convention collective conclue entre les parties. La partie E de la convention collective figure sous la rubrique « Autres conditions », et je peux tenir compte des rubriques d’une convention collective comme un outil d’interprétation (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5ᵉ éd., au chapitre 4:23). La clause E 1.01 exige que l’employeur fournisse à l’employé un exposé des fonctions et responsabilités de son poste, [traduction] « y compris le niveau de classification du poste ». Les parties ont donc reconnu que le niveau de classification d’un poste constitue une condition d’emploi.

3. L’article 208 de la Loi exige seulement que la question « port[e] atteinte » aux conditions d’emploi, et la classification d’un ancien poste en fait ainsi

[88] En troisième lieu, l’argument de l’ACIA met un accent trop étroit sur le terme « conditions » et ne tient pas compte de l’expression « portant atteinte » à l’al. 208(1)b) de la Loi. Même si la reclassification de l’ancien poste d’un employé ne lui donnait pas droit à une rémunération (ce qui n’est pas une question dont je suis saisi), et même si les « conditions d’emploi » d’un employé se limitaient aux questions relatives à la détermination de sa rémunération (ce à quoi je ne suis pas du même avis, comme je l’ai indiqué précédemment), l’ancienne classification d’un employé porte quand même atteinte à sa rémunération même si elle ne la détermine pas de façon concluante.

[89] L’avocat de l’ACIA a admis franchement au cours de sa plaidoirie qu’un employé dont l’ancien poste avait été reclassifié pouvait déposer un grief au sujet de son droit à une rémunération d’intérim et qu’il pouvait avoir droit à une telle rémunération. Cela démontre que la reclassification d’un ancien poste peut porter atteinte à la rémunération d’un employé, même si (selon l’ACIA) elle ne la détermine pas automatiquement.

4. La jurisprudence invoquée par l’ACIA a été prise hors contexte

[90] En quatrième lieu, l’ACIA a pris ses deux cas hors de leur contexte factuel, hors du contexte de la question réellement tranchée dans ces cas et hors de leur contexte historique.

[91] Lorsque le législateur a instauré la négociation collective pour les fonctionnaires fédéraux en 1967, il a également décidé de définir les unités de négociation dans la fonction publique fédérale comme correspondant à des groupes professionnels. En d’autres termes, l’exigence du par. 57(2) de la Loi selon laquelle la Commission doit simplement « t[enir] compte » des lignes de classification lorsqu’elle établit des unités de négociation était à l’origine une règle rigoureuse exigeant que la Commission établisse des unités de négociation qui suivaient les lignes de classification dès le début de la négociation collective. Cela signifie que la Commission de la fonction publique qui, avant 1967, était chargée de la détermination des groupes professionnels et de la classification des postes, devait définir de nouveaux groupes professionnels. Pour ce faire, la Commission de la fonction publique a créé un nouveau système de classification, tâche qui devait être achevée par la Commission de la fonction publique 15 jours après l’entrée en vigueur de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Voir la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 1966‑67, ch. 72), aux par. 26(1) et 26(4).

[92] Cela a évidemment entraîné de nombreux changements dans les classifications des emplois parce qu’il était nécessaire de convertir les postes de service public de l’ancienne norme de classification à la nouvelle. Dans ce contexte, les agents négociateurs ont négocié le libellé de leurs conventions collectives respectives quant à la façon de traiter les questions de rémunération découlant de cette conversion. Ce libellé demeure en vigueur dans la convention collective conclue entre les parties à la clause G1.02, qui stipule qu’un employé doit être rémunéré selon la classification du poste auquel il est nommé si la classification coïncide avec celle qui est prescrite dans le certificat de nomination de l’employé, ou selon le taux de rémunération prescrit dans son certificat de nomination si ce dernier ne coïncide pas avec la classification de son poste. Cette clause est identique à la convention collective en litige dans Jones, négociée en 1971.

[93] Dans Jones, M. Jones avait été nommé à un poste classifié d’agent technique 6 le 1ᵉʳ septembre 1967. Pendant une période d’un an, sa « classification personnelle » (concept sur lequel je reviendrai sous peu) était l’agent technique 5, jusqu’à ce qu’il soit promu le 31 août 1968. Son poste a été converti à la classification d’EG‑ESS‑9 le 28 janvier 1969, avec effet rétroactif au 1ᵉʳ juillet 1967. Il a été rémunéré au taux de rémunération pour la classification EG‑ESS‑8 entre le 1ᵉʳ juillet 1967 et le 31 août 1968 (la classification inférieure reflétant son ancienne classification d’agent technique 5), puis au taux de rémunération pour la classification EG‑ESS‑9 par la suite. Dans une décision entrée en vigueur le 28 juin 1972, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (l’organisme maintenant chargé de la classification) a réévalué la classification de ce poste et l’a déclassé au niveau EG‑ESS‑8. Le 18 juillet 1972, M. Jones a reçu un nouveau certificat de nomination pour le poste classifié au niveau inférieur. La question en litige dans Jones était de savoir si son salaire devait être conforme au certificat de nomination qu’il a reçu en 1969 (c.‑à‑d. au niveau de rémunération EG‑ESS‑9) ou en 1972. Le principal argument de M. Jones était technique, affirmant que le libellé de la convention collective à l’époque signifiait que le libellé concernant la rémunération s’appliquait seulement lorsqu’il y avait une conversion (c.‑à‑d. le processus en 1969) et non une reclassification ultérieure. La Cour d’appel fédérale a rejeté cet argument. Toutefois, la Cour est allée plus loin et a dit que même si cet argument était valide, le nouveau taux de rémunération de M. Jones était déclenché par le certificat de nomination qu’il a reçu en 1972, peu importe la façon dont la reclassification s’est produite.

[94] L’ACIA cite les paragraphes 49 et 50 de Jones, où la Cour d’appel fédérale a déclaré que « [l]e reclassement n’avait jusque‑là aucun effet sur la fixation de la rémunération de M. Jones » et que le certificat de nomination était le document essentiel. Toutefois, cette partie de la décision de la Cour d’appel vient après les motifs pour lesquels elle a déjà rendu une décision défavorable contre Jones pour d’autres motifs, ce qui en fait une opinion incidente (obiter dicta) qui ne lie pas les décideurs futurs. De plus, la Cour a clairement indiqué qu’elle rendait sa décision à la lumière des « […] faits pertinents à la date où la convention a été souscrite pour la première fois et aux dates de ses renouvellements », c’est‑à‑dire dans le contexte du vaste exercice de conversion de la classification entrepris en 1967. Comme je le décrirai plus loin, les circonstances sont très différentes aujourd’hui.

[95] Dans Basque, les fonctionnaires s’estimant lésés étaient des infirmières et des infirmiers. À l’époque, la norme de classification des infirmières et des infirmiers exigeait qu’elles soient titulaires d’un diplôme universitaire ou d’une formation semblable pour être classifiés à la classification de NU‑CHN‑3. Les fonctionnaires s’estimant lésés ne disposaient d’aucun de ces diplômes et n’avaient pas suit une autre formation. Par conséquent, l’employeur leur a accordé une classification « personnelle » de NU‑CHN‑2 alors qu’ils occupaient des postes qui auraient autrement été classifiés de NU‑CHN‑3. La Commission (après avoir d’abord rendu une décision contraire et avoir fait annuler cette décision en contrôle judiciaire dans une décision non publiée) a conclu que les infirmières et les infirmiers devaient être rémunérés selon leur classification « personnelle ».

[96] Les décisions Jones et Basque ont tous deux utilisé l’expression « classification personnelle » pour décrire ce qui s’est produit dans ces cas pendant une certaine période. La décision Basque a également utilisé le terme « underfilling » pour le décrire. Selon le concept, le poste d’un employé était classifié, mais l’employé avait également une classification personnelle qui pouvait ou non correspondre à la classification de son poste. Lorsque la classification personnelle d’une personne était inférieure à la classification de son poste, il s’agissait d’un « underfilling ». Comme l’a décrit l’un des témoins dans Basque, au paragraphe 14 :

[…] lorsqu’il y a de l’« underfilling », il est normal qu’il y ait, dans le certificat de nomination d’un employé, et une classification de poste et une classification personnelle. C’est la personnelle qui l’emporte pour ce qui est, entre autres, de la rémunération à être payée à l’employé en question.

 

[97] Cette situation se distingue d’un « overfill », lorsque l’employé est rémunéré selon une classification supérieure à celui du poste qu’il occupe.

[98] Ce concept de classification personnelle distincte d’une classification de poste a été en grande partie éliminé de l’administration publique fédérale, comme je vais maintenant le décrire.

[99] Le taux de rémunération d’un employé nommé à un poste est fixé à l’art. 60 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12, 13), (la « LEFP »). L’ancienne LEFP a été abrogée et remplacée par cette loi ayant un titre identique en 2005. L’ancienne et la nouvelle version de la LEFP indiquent que le taux de rémunération à la nomination à un poste doit être le taux de rémunération de ce poste ou tout taux à un échelon quelconque du barème « […] pour le poste ou pour des postes de niveau et de nature comparables ». Autrement dit, le taux de rémunération d’un employé à sa nomination doit correspondre aux taux établis pour la classification de son poste.

[100] Toutefois, l’art. 38 de l’ancienne LEFP (L.R.C. (1985), ch. P‑33) indiquait que cette règle était « [s]auf directive générale ou particulière fondée sur la Loi sur la gestion des finances publiques […] ». En revanche, la LEFP actuelle ne contient pas le libellé « [s]auf directive », ce qui signifie que la règle est absolue. L’ancienne LEFP permettait un taux de rémunération (c.‑à‑d. une « classification personnelle ») lorsque l’employeur publiait une directive à cet effet. La LEFP actuelle ne permet plus à l’employeur d’en faire ainsi.

[101] Il existe une exception à cette règle pour les cadres de la fonction publique. Depuis l’adoption du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (1993) (DORS/93‑286), seuls les cadres pouvaient être nommés à un niveau inférieur à la classification du poste qu’ils occupaient précédemment (c.‑à‑d. overfilling)), et depuis l’adoption du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (2000) (DORS/2000‑80), seuls les cadres pouvaient être nommés à un poste d’un niveau inférieur (c.‑à‑d. overfilling) ou supérieur (c.‑à‑d. underfilling) au niveau de classification du poste qu’ils occupaient. Cette règle est encore en vigueur à l’article 18 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (DORS/2005‑334) en vigueur, qui prévoit qu’elle s’applique malgré l’art. 60 de la LEFP (une exception autorisée en vertu de l’art. 20 de la LEFP).

[102] Je comprends que l’ACIA est un organisme distinct et qu’elle n’est donc pas régie par ces dispositions de la LEFP ou du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique puisqu’elle a été établie en vertu d’une loi (voir Forsch c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2004 CF 513, au par. 18). Toutefois, il n’en reste pas moins que Jones et Basque ont été tranchées à une époque où la « classification personnelle » était, sinon une routine, du moins une priorité dans le cadre exécutif comme elle l’est dans l’administration publique centrale.

[103] De cette façon, l’ACIA a sorti Jones et Basque de leur contexte factuel (c.‑à‑d. qu’ils n’avaient rien à voir avec la qualité pour déposer un grief de classification), de leur contexte juridique (c.‑à‑d. qu’ils portaient sur l’interprétation d’une disposition de la convention collective, et non sur l’interprétation de la Loi) et de leur contexte historique (c.‑à‑d. qu’ils ont été tranchés à une époque où les classifications personnelles étaient plus répandues au lieu d’être une exception largement confinée aux cadres exécutifs). Par conséquent, ces décisions n’aident pas l’ACIA dans les présents griefs de principe.

[104] Pour ces motifs, j’ai conclu que l’al. 208(1)b) de la Loi comprend le droit d’un ancien titulaire de poste de déposer un grief de classification concernant la classification de son ancien poste. La classification de l’ancien poste d’un employé a un lien réel avec son emploi et, par conséquent, constitue un événement portant atteinte à ses conditions d’emploi qui peut faire l’objet d’un grief.

[105] Enfin, dans cette partie de mes motifs, j’ai fait référence au droit des employés de déposer un grief. Comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c Santawirya, 2019 CAF 248, au par. 20, un ancien employé peut également déposer un grief après avoir quitté son emploi lorsque les faits importants sous‑jacents au grief se sont produits pendant qu’il était employé. Ma décision vise les anciens employés qui auraient qualité pour agir selon les principes décrits dans Santawirya. Comme il s’agit de griefs de principe, et je ne dispose d’aucun renseignement sur les circonstances particulières des anciens employés et sur la question de savoir s’ils seraient visés par le principe décrit dans Santawirya, je ne peux que répéter que tout ce que j’ai dit au sujet du droit des employés de présenter un grief s’applique aux anciens employés qui sont visés par ce principe.

C. La violation de l’art. 208 de la Loi viole également la convention collective

[106] L’ACIA souligne à juste titre que l’article 220 de la Loi exige qu’un grief de principe porte sur « […] l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective ou de la décision […] ». Autrement dit, les griefs de principe ne peuvent porter sur une condition d’emploi; ils doivent porter sur l’interprétation ou l’application de la convention collective. Il s’agit de l’essentiel de l’opposition de l’ACIA quant à la compétence concernant les présents griefs de principe.

[107] L’ACIA soutient en outre que les présents griefs de principe ne portent pas sur une violation de la convention collective. Un certain nombre d’arguments de l’ACIA sur ce point porte en partie sur le caractère véritable de ces griefs (c.‑à‑d. la question de savoir s’il s’agit d’une classification ou de la qualité pour déposer un grief), une question que j’ai tranchée plus tôt. Toutefois, l’ACIA soutient également qu’aucune disposition de la convention collective n’est en cause dans les présents griefs de principe.

[108] L’IPFPC soutient que les présents griefs de principe mettent en cause trois clauses de la convention collective : les clauses A4.01 (droits de la direction), A5.01 (droits des employés) et E1.01 (exposé des fonctions).

[109] J’ai conclu qu’une violation de l’art. 208 de la Loi constitue également une violation des clauses A4.01 et A5.01 de la convention collective. Ces clauses se lisent comme suit :

Article A4

ARTICLE A4

Droits de la direction

MANAGEMENT RIGHTS

A4.01 L’Institut reconnaît que l’Employeur retient les fonctions, les droits, les pouvoirs et l’autorité que ce dernier n’a pas, d’une façon précise, diminués, délégués ou modifiés par la présente convention.

A4.01 All the functions, rights, powers and authority which the Employer has not specifically abridged, delegated or modified by this Agreement are recognized by the Institute as being retained by the Employer.

Article A5

ARTICLE A5

Droits des employés

RIGHTS OF EMPLOYEES

A5.01 Rien dans la présente convention ne peut être interprété comme une diminution ou une restriction des droits constitutionnels ou de tout autre droit d’un employé qui sont accordés explicitement par une loi du Parlement du Canada.

A5.01 Nothing in this Agreement shall be construed as an abridgement or restriction of an employee’s constitutional rights or of any right expressly conferred in an Act of the Parliament of Canada.

 

[110] Les clauses A4.01 et A5.01, lues ensemble, signifient que l’ACIA n’a pas le pouvoir de faire quoi que ce soit qui restreint ou qui diminue le droit d’un employé conféré par l’art. 208 de la Loi.

[111] Je parviens à cette conclusion parce que la clause A4.01 ne confère à l’ACIA que les fonctions, droits, pouvoirs et autorités qui n’ont pas été restreints par la convention collective. L’ACIA n’a pas, et n’a jamais eu, le droit, le pouvoir ou l’autorité de violer l’art. 208 de la Loi. La clause A5.01 indique clairement que rien dans la convention collective (y compris la clause A4.01) ne doit être interprété comme permettant à l’ACIA de restreindre ou de diminuer le droit d’un employé qui lui est conféré par la loi, qui comprend le droit de déposer un grief de classification en vertu de l’art. 208 de la Loi. Par conséquent, la clause A4.01 ne peut être interprétée de manière à permettre à l’ACIA de violer l’art. 208 de la Loi.

[112] J’étaye également cette conclusion par le principe selon lequel une convention collective comprend les droits contenus dans les lois relatives à l’emploi et que les employés lésés par la violation de ces droits peuvent présenter un grief pour contester cette violation en vertu de la convention collective. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42 (« Parry Sound »), aux paragraphes 23 et 28 :

23 […] En vertu d’une convention collective, le droit général de l’employeur de gérer l’entreprise et de diriger le personnel est subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention collective, mais aussi aux dispositions du Code des droits de la personne et aux autres lois sur l’emploi.

[…]

28 En pratique, cela signifie que les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur l’emploi sont contenus implicitement dans chaque convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre a compétence. Une convention collective peut accorder à l’employeur le droit général de gérer l’entreprise comme il le juge indiqué, mais ce droit est restreint par les droits conférés à l’employé par la loi. L’absence d’une disposition expresse qui interdit la violation d’un droit donné ne permet pas de conclure que la violation de ce droit ne constitue pas une violation de la convention collective. Les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi fixent plutôt un minimum auquel l’employeur et le syndicat ne peuvent pas se soustraire par contrat.

 

[113] Même si je comprends que la Commission a conclu que Parry Sound ne lui accorde pas la compétence d’entendre un grief lorsqu’un tel grief ne relève pas de l’art. 209 de la Loi (comme dans le cas où un employé non syndiqué dépose un grief contre la violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6), comme dans Chamberlain), le principe dans Parry Sound concernant le fait que les lois sur l’emploi sont intégrées dans une convention collective est tout aussi logique dans cette compétence que dans toute autre. J’ai également pris note de Lukits c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2017 CRTEFP 6, dans laquelle la Commission a reconnu qu’elle avait compétence pour trancher un grief qui touchait la Loi sur l’accès à l’information (L.R.C. (1985), ch. A1), (la « LAI »). Même si la Commission a reconnu sa compétence dans ce cas pour d’autres raisons, elle a expressément déclaré que « […] je n’ai pas à me pencher sur les arguments quant à savoir si la LAI est une loi relative à l’emploi », reconnaissant, du moins implicitement, que s’il s’agissait d’une loi relative à l’emploi, elle serait intégrée dans la convention collective et, par conséquent, ferait l’objet d’un grief alléguant une violation de la convention collective en vertu de l’al. 209(1)a) de la Loi.

[114] Dans le présent cas, je ne m’appuie pas exclusivement sur le principe énoncé dans Parry Sound. J’ai conclu que, selon une interprétation textuelle, les clauses A4.01 et A5.01 ne peuvent être interprétées de façon à ce que l’employeur puisse violer l’art. 208 de la Loi et que tout grief alléguant une telle violation relève de la portée de la convention collective. Toutefois, cette interprétation textuelle est également compatible avec le contexte juridique plus large selon lequel les lois relatives à l’emploi (dont la Loi doit sûrement faire partie) sont intégrées dans les conventions collectives et peuvent faire l’objet de griefs en vertu de celles‑ci.

[115] L’ACIA soutient que la clause A4.01 est comparable à une clause préambulatoire et ne confère donc à l’IPFPC aucun droit substantiel. L’ACIA a invoqué Wepruk c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2016 CRTEFP 55, au par. 32, à l’appui de la proposition selon laquelle la clause d’objet d’une convention collective (dans le présent cas, les clauses A1.01 et A1.02) « et les clauses qui y sont comparables » ne confèrent pas de droits substantiels aux employés.

[116] Je ne retiens pas l’argument de l’ACIA pour deux motifs. En premier lieu, l’ACIA n’a cité aucune jurisprudence à l’appui de la proposition selon laquelle une clause sur les droits de la direction est comparable à un préambule ou à une clause sur l’objet d’une convention collective. Une clause sur les droits de la direction entraînait clairement des répercussions importantes dans Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général), 2017 CSC 55. Cette clause sur les droits de la direction ne figure pas dans le préambule de la convention collective, mais bien plus loin dans le texte. Elle n’est pas « comparable » à un préambule ou à une clause sur l’objet.

[117] En deuxième lieu, même si l’ACIA avait raison en ce qui concerne les clauses sur les droits de la direction, le présent cas ne concerne pas seulement la clause A4.01, mais également la clause A5.01 et la Loi.

[118] L’IPFPC soutient que le refus de reconnaître la qualité pour agir aux anciens titulaires des postes contestés constituait un exercice déraisonnable des droits de la direction. En réponse, l’ACIA a proposé le nouvel argument selon lequel ses droits de direction n’ont pas à être exercés de manière raisonnable, malgré la jurisprudence abondante à l’effet contraire (y compris l’Association des juristes de justice, au par. 20, et Canada (Procureur général) c. Lloyd, 2022 CAF 127, au par. 50), parce que cette clause particulière sur les droits de la direction ne prévoit pas explicitement que l’employeur doit agir de manière raisonnable. Je n’ai pas besoin d’aborder cet argument parce que ma conclusion serait la même, que l’ACIA ait eu raison ou non sur ce point. La violation ne s’est pas produite parce que l’ACIA a agi de manière déraisonnable, mais parce qu’elle a violé l’art. 208 de la Loi. Je laisse à une autre instance le soin de décider si l’ACIA s’est réservé le droit d’agir de manière déraisonnable.

[119] Compte tenu de ma conclusion quant à l’interprétation des clauses A4.01 et A5.01, je n’ai pas à me prononcer sur la question de savoir si ces griefs relèvent de la clause E1.01.

D. La clause D6.04 de la convention collective ne change pas la conclusion selon laquelle une violation de la Loi viole également la convention collective

[120] Enfin, l’ACIA invoque la clause D6.04 pour faire valoir que les décisions concernant la qualité pour déposer des griefs de classification ne relèvent pas de la convention collective. Cette clause se lit comme suit :

Grief individuel

Individual Grievances

D6.04 Sous réserve de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral et conformément aux dispositions dudit article, l’employé qui estime avoir été traité de façon injuste ou qui se considère lésé par une action quelconque ou l’inaction de l’employeur au sujet de questions autres que celles qui découlent du processus de classification, a le droit de présenter un grief de la façon prescrite au paragraphe D6.07 […]

D6.04 Subject to and as provided in section 208 of the Federal Public Sector Labour Relations Act an employee who feels that he or she has been treated unjustly or considers himself or herself aggrieved by any action or lack of action by the Employer in matters other than those arising from the classification process is entitled to present a grievance in the manner prescribed in clause D6.07 ….

[…]

 

[121] L’ACIA soutient que, à la clause D 6,04, les parties [traduction] « […] ont expressément exclu les questions liées à la classification de la procédure de règlement des griefs prévue par la convention collective ». Comme je l’ai décrit plus tôt, le caractère essentiel de ces griefs concerne la qualité pour agir et non la classification. La clause D6.04 n’exclut pas explicitement ou implicitement de la procédure de règlement des griefs tout ce qui [traduction] « se rapporte » à la classification. Cela ressort clairement de Coupal et de Paré. Ces cas portaient sur des violations de la clause E1.01 de la convention collective, qui exige que l’employeur fournisse une description de travail courante et classifiée. De toute évidence, tout ce qui [traduction] « se rapporte » à la classification n’est pas exclu de la convention collective ou de la procédure de règlement des griefs qu’elle contient.

[122] En réponse à l’argument de l’ACIA, l’IPFPC soutient que la clause D6.04 stipule explicitement qu’elle est assujettie à l’art. 208 de la Loi et, par conséquent, la clause D6.04 ne peut pas retirer un droit qui est conféré par la loi. L’effet de la clause D6.04 est que l’employeur peut établir une procédure de règlement des griefs de classification différente de celle des autres griefs, mais qu’il ne peut pas se soustraire à la Loi en le faisant.

[123] Je souscris à cette interprétation de la convention collective.

[124] De plus, la clause D6.04 stipule seulement que les employés dont les griefs sont visés par sa portée peuvent déposer un grief « […] de la façon prescrite au paragraphe D6.07 ». D’un point de vue purement textuel, cela signifie que les parties ont convenu que la procédure de règlement des griefs de classification n’est pas celle établie en vertu de la clause D6.07; cela ne signifie pas que les parties ont retiré le droit d’un employé de déposer un grief de classification, même en supposant que les parties pourraient se soustraire des dispositions de la Loi.

E. Conclusion quant au bien‑fondé des griefs de principe

[125] J’ai conclu que la politique de l’ACIA privant les anciens titulaires du droit de déposer un grief de classification relativement à la classification de leur ancien poste viole les clauses A4.01 et A5.01 de la convention collective. Les anciens titulaires ont le droit, en vertu de l’art. 208 de la Loi, de déposer un grief concernant la classification de leur ancien poste parce qu’une telle classification constitue une condition de leur emploi. Le fait de les priver d’un tel droit viole les clauses A4.01 et A5.01 de la convention collective parce que, lues ensemble, ces deux clauses interdisent à l’ACIA de violer les dispositions de la Loi. Enfin, les parties n’ont pas retiré ce droit à la clause D6.04 de la convention collective.

V. Réparation concernant les griefs de principe

[126] Au moment où j’ai entendu ces griefs, l’IPFPC a limité sa demande aux trois réparations suivantes :

1) une déclaration selon laquelle la décision de l’ACIA de priver aux anciens titulaires le droit de déposer des griefs de classification viole la convention collective;

2) que l’ACIA se voie ordonner d’envoyer immédiatement l’avis des décisions relatives à la classification à tous les titulaires actuels et anciens des postes, y compris ceux qui ont occupé les postes à un moment donné à compter du 1ᵉʳ mai 2001;

3) que l’ACIA se voie ordonner d’instruire les griefs de classification des anciens titulaires des postes, y compris ceux qui ont pris leur retraite et ceux qui ont quitté les postes qu’ils occupaient au moment où les griefs ont été déposés, de la même manière que pour les titulaires actuels.

 

[127] L’ACIA fait valoir que l’art. 232 de la Loi me limite à rendre une déclaration.

[128] Jusqu’à ce qu’il dépose ses arguments finaux en réplique, l’IPFPC soutient que je devrais ordonner à l’ACIA de verser une rémunération rétroactive aux fonctionnaires s’estimant lésés qui obtiennent gain de cause. L’IPFPC a abandonné cette demande dans ses arguments finaux en réplique. La grande partie des arguments écrits de l’ACIA au sujet de la réparation portaient sur cette dernière.

[129] Au cours de la plaidoirie, j’ai demandé à l’ACIA de présenter des arguments sur les trois réparations demandées qui demeurent en litige dans les présents griefs. L’ACIA s’est contentée d’affirmer qu’elle était surprise par la troisième réparation demandée, car il va sans dire qu’elle devrait appliquer les mêmes normes aux titulaires actuels ou anciens (ce qui soulève la question de savoir pourquoi elle ne leur a pas permis de présenter un grief au départ).

[130] L’ACIA n’a pas soutenu que les autres réparations ne relèvent pas de la compétence de la Commission en vertu de l’art. 232 de la Loi. Le paragraphe 232(3) de la Loi permet à la Commission d’enjoindre à l’employeur d’appliquer la convention collective selon les modalités qu’elle fixe. Les deux ordonnances demandées par l’IPFPC concernent l’application de la convention collective et relèvent donc de la compétence de la Commission.

[131] En ce qui concerne la deuxième réparation demandée, l’ACIA affirme qu’elle a informé tous les employés qui ont déposé un grief relatif à leur description de travail (anciens ou actuels) de la décision de classification. Lorsque j’ai interrogé l’IPFPC à ce sujet au cours de la plaidoirie, il a affirmé qu’il ne disposait d’aucune preuve que cela avait été fait et que les avis antérieurs ne valaient rien si les anciens titulaires n’avaient pas le droit de déposer un grief. Toutefois, l’IPFPC a fourni des éléments de preuve indiquant qu’un certain nombre d’anciens titulaires ont tenté de déposer des griefs de classification; il est donc clair que l’ACIA a envoyé des avis à un certain nombre d’anciens titulaires, et que cet avis ne vaut rien.

[132] J’ai également exprimé certaines préoccupations à l’IPFPC au cours de la plaidoirie au sujet de sa troisième réparation demandée et de la question de savoir s’il me demandait d’examiner trop en profondeur les mécanismes de la procédure de règlement des griefs de classification, ce que je n’ai pas compétence de faire compte tenu du vaste pouvoir discrétionnaire de l’employeur d’établir des procédures pour le règlement des griefs de classification (voir Boyer, au par. 98).

[133] Néanmoins, j’ai décidé d’accorder les trois réparations demandées par l’IPFPC dans le présent cas, et ce pour trois raisons.

[134] Tout d’abord, j’ai été frappé par l’absence d’opposition de l’ACIA aux autres réparations demandées par l’IPFPC. Comme je viens de le dire, l’opposition de l’ACIA aux réparations demandées visait à faire en sorte que je n’accorde aucune réparation liée à la rémunération aux fonctionnaires s’estimant lésés éventuels. Étant donné que l’IPFPC a abandonné à cette demande, je ne dispose d’aucun argument pour contester les autres réparations, malgré le fait que j’ai invité l’ACIA à présenter ces arguments pendant la plaidoirie.

[135] En deuxième lieu, en ce qui concerne la deuxième réparation, je ne dispose d’aucun élément preuve, dans un sens ou dans l’autre, quant au nombre d’anciens titulaires qui ont été informés de la décision de classification : c’était soit une partie, soit la totalité. J’ai choisi de pécher par excès de prudence; il est moins préjudiciable pour l’employeur d’avoir à envoyer une lettre aux anciens titulaires qu’il ne l’est pour un ancien titulaire de déposer un grief de classification parce qu’il ne sait pas que l’ACIA a pris une décision qu’il pourrait vouloir contester.

[136] En troisième lieu, dans Burke, la Commission a entendu un autre cas portant sur la qualité pour agir concernant les griefs de classification. Dans ce cas, l’employeur a refusé d’entendre un grief de classification déposé par deux employés qui agissaient dans l’exercice de leurs fonctions. La Commission a conclu que le fait de ne pas avoir entendu un grief de classification concernant des postes intérimaires violait ce qui était alors le par. 8(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique parce qu’il équivalait à une ingérence de la représentation des employés par leur agent négociateur. Je fais remarquer qu’il ne s’agit pas de ma conclusion dans le présent cas. L’IPFPC ne fait pas valoir un argument à cet effet et, en faisant référence à ce cas, je n’approuve pas cette conclusion. Toutefois, la Commission a conclu au paragraphe 35 que l’employeur ne peut « […] dénier aux plaignants le droit de faire instruire leur grief de la même façon que tout autre grief de classification » [je mets en évidence] et a ordonné à l’employeur d’entendre ces griefs de classification selon la même procédure qu’il a utilisée pour entendre un grief de classification déposé par un employé nommé pour une période indéterminée occupant le même poste. Même si je ne suis pas lié par ce cas parce qu’il portait sur une question différente et ne portait pas sur un grief de principe (et je tiens à le répéter, ma décision ne devrait pas être considérée comme appuyant la conclusion selon laquelle les griefs de classification déclenchent des droits de représentation prévus par la loi), le fait qu’elle ait ordonné la troisième réparation demandée par l’IPFPC me convainc de faire de même dans le présent cas.

[137] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[138] La demande de prorogation du délai pour présenter les griefs dans les dossiers de la Commission nos 569‑32‑47713, 47714 et 47715 est accueillie.

[139] Les griefs de principe sont accueillis. Je déclare que l’employeur a violé les clauses A4.01 et A5.01. Je déclare que les anciens titulaires ont qualité pour déposer un grief de classification concernant la classification de leur ancien poste.

[140] L’ACIA doit envoyer l’avis de décision de classification daté du 19 mai 2022, pour le poste de vétérinaire superviseur, à tous les anciens titulaires de ce poste entre le 1ᵉʳ mai 2001 et le 19 mai 2022, dans les 90 jours suivant la date de la présente décision.

[141] L’ACIA doit envoyer l’avis de décision de classification daté du 18 février 2022, pour le poste d’agent de programme vétérinaire, à tous les anciens titulaires de ce poste entre le 1ᵉʳ mai 2001 et le 18 février 2022, dans les 90 jours suivant la date de la présente décision.

[142] L’ACIA doit envoyer l’avis de décision de classification daté du 16 juin 2022, pour le poste de spécialiste de programme vétérinaire, à tous les anciens titulaires de ce poste entre le 1ᵉʳ mai 2001 et le 16 juin 2022, dans les 90 jours suivant la date de la présente décision.

[143] Il est ordonné à l’ACIA d’instruire les griefs de classification des anciens titulaires de ces postes, y compris ceux qui ont pris leur retraite et ceux qui ont quitté les postes qu’ils occupaient au moment où les griefs ont été déposés, de la même manière que pour les titulaires actuels.

[144] Je demeurerai saisi des présents griefs de principe pendant une période de 100 jours à compter de la date de la présente décision.

Le 23 mai 2024.

Traduction de la CRTESPF

Christopher Rootham,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 

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