Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a présenté une plainte alléguant que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans le cadre d’un processus de nomination annoncé concernant un poste de gestionnaire de groupe et de niveau FI-04 – la plaignante a participé au processus, mais sa candidature a été éliminée à la suite de l’examen écrit – elle a soutenu que le choix du processus avait été teinté de discrimination sur la base de la race et du sexe – la plaignante a démontré qu’elle possédait ces caractéristiques protégées puisqu’elle est une femme de race noire – la plaignante a fait valoir que l’intimé avait choisi un processus annoncé pour éviter de la nommer au poste et pour pouvoir l’écarter en raison du fait qu’elle est une femme de race noire – selon elle, l’intimé n’a pas respecté une pratique de pourvoir les postes vacants par l’entremise de nominations promotionnelles d’employés du ministère afin d’éviter de nommer une femme de race noire à un poste de gestion – la Commission a conclu que le choix d’un processus annoncé n’avait pas empêché la plaignante de présenter sa candidature – la plaignante a postulé et sa candidature a été retenue à l’étape de la présélection – elle n’a pas subi d’effet préjudiciable en raison du choix d’un processus annoncé et du fait qu’elle a dû postuler – de plus, la preuve circonstancielle était insuffisante pour fonder une conclusion selon laquelle l’intimé aurait choisi un processus annoncé pour éviter de nommer une femme de race noire au poste – la plaignante a fait valoir que sa candidature avait été écartée du processus lors de l’évaluation de l’examen écrit au motif qu’elle est une femme de race noire – la Commission a conclu que l’élimination de la plaignante à la suite de l’examen écrit constituait un effet préjudiciable – cependant, la correction des examens écrits a été effectuée par trois personnes du comité de sélection de façon anonyme et aléatoire qui étaient toutes d’avis que la plaignante avait échoué l’examen – la candidature de la plaignante a été éliminée du processus en raison de l’échec de la plaignante à l’examen écrit et non en raison de l’une ou de toutes les caractéristiques protégées de la plaignante – la plaignante a également indiqué avoir l’impression qu’il existait entre elle et la gestionnaire déléguée une animosité parce qu’elle exprimait son opinion voulant que certaines décisions prises par la gestionnaire déléguée étaient teintées de discrimination – la Commission a déterminé que la preuve présentée à l’audience était insuffisante pour tirer une telle conclusion.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20240812

Dossier: 771-02-42017

 

Référence: 2024 CRTESPF 107

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la

fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Ginette Patience Ngueyo

plaignante

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(École de la fonction publique du Canada)

 

intimé

Répertorié

Ngueyo c. Administrateur général (École de la fonction publique du Canada)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour l’intimé : Geneviève Brunet-Baldwin et Frédérique Jacquart-Ducharme, avocates

Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard, analyste principale

Pour la Commission canadienne des droits de la personne : Ikram Warsame, avocate

 

Affaire entendue par vidéoconférence

les 18 et 19 octobre 2023.

Arguments écrits déposés le 20 novembre 2023.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

[1] Ginette Patience Ngueyo (la « plaignante ») a déposé une plainte qui allègue que l’administrateur général de l’École de la fonction publique du Canada (l’« intimé » ou l’« École ») a abusé de son pouvoir dans le cadre d’un processus de nomination annoncé visant à pourvoir un poste de gestionnaire au sein de l’unité des Opérations comptables, politiques, systèmes et contrôle interne (groupe et niveau FI-04; le « poste ») du bureau de l’adjointe au dirigeant principal des finances de l’École. La plaignante a participé au processus, mais sa candidature a été éliminée à la suite de l’examen écrit.

[2] La plaignante a déposé sa plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP). Elle soutient que le choix du processus et l’évaluation de sa candidature ont été teintés de discrimination, soit une discrimination sur la base de la race, la couleur et le sexe. Selon elle, l’intimé n’a pas respecté une pratique de pourvoir les postes vacants par l’entremise de nominations promotionnelles d’employés de l’École afin d’éviter de nommer une femme de race noire à un poste de gestion. La plaignante soutient que, si elle avait été promue selon la pratique habituelle, sa nomination aurait constitué la première fois qu’une femme de race noire aurait été ainsi promue à un poste de gestionnaire. La plaignante soutient que le choix d’un processus annoncé constituait un mécanisme permettant à l’intimé d’écarter sa candidature, ce qu’il a fait.

[3] La plaignante a déposé un avis auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, comme l’exige l’article 78 de la LEFP. Elle n’allègue pas que la personne qui a été nommée par le biais du processus en cause (la « personne nommée ») ne satisfaisait pas aux critères de mérite.

[4] La Commission de la fonction publique et la Commission canadienne des droits de la personne n’ont pas participé à l’audience, mais elles ont présenté des arguments écrits. Elles n’ont pas pris de position relativement au bien-fondé de la plainte.

[5] Malgré la sympathie que j’éprouve pour la plaignante qui s’est sentie exclue du processus de nomination en raison du fait qu’elle est une femme de race noire, la preuve qui m’a été présentée à l’audience est insuffisante pour me permettre de tirer une conclusion voulant que le choix du processus ou l’évaluation de la candidature de la plaignante soient teintés d’un abus de pouvoir, plus précisément de discrimination. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la plainte est non fondée.

II. Résumé de la preuve

[6] Avant de décrire la preuve, je tiens à apporter une précision quant aux sources de renseignements sur lesquelles ce résumé de la preuve se fonde.

[7] Pendant l’audience, il a été découvert que l’intimé avait – par inadvertance – omis de communiquer sa liste de la jurisprudence à la Commission et à la plaignante. La plaignante n’avait pas eu l’occasion de prendre connaissance de la jurisprudence sur laquelle l’intimé fondait sa position. Pour cette raison, j’ai permis à la plaignante de déposer, à la suite de l’audience, des arguments écrits relatifs à la jurisprudence citée par l’intimé, ce qu’elle a fait. Elle a déposé un argumentaire écrit de 19 pages qui comporte des renseignements qui ne m’ont pas été communiqués dans la portion de l’audience réservée à la présentation de la preuve. J’ai tenu compte des arguments de la plaignante relativement à la jurisprudence citée par l’intimé, mais je n’ai pas tenu compte de renseignements n’ayant pas été présentés en preuve dans le cadre de l’audience.

[8] Par souci de concision, je résumerai seulement la preuve que j’estime être la plus pertinente à la plainte dont je suis saisie. Cinq personnes ont témoigné à l’audience : la plaignante; l’adjointe au dirigeant principal des finances de l’École responsable du processus de nomination, Line Boudreau (la « gestionnaire déléguée »); deux gestionnaires qui provenaient d’autres ministères et qui étaient membres du comité de sélection (Carl Boisvert et Kurt Chin Quee); la directrice exécutive de la dotation et des relations de travail de l’École à l’époque, Céline Vachon (la « directrice exécutive de la dotation »).

[9] Avant d’aller plus loin, comme des allégations de discrimination sont au cœur de la présente plainte, il est important de préciser que la plaignante et la personne nommée sont des femmes de race noire. La personne nommée n’a pas témoigné à l’audience. Comme il n’est pas allégué que cette personne ne satisfaisait pas aux critères de mérite, elle ne sera pas identifiée dans la présente décision.

[10] La plaignante a occupé un poste d’analyste financière (groupe et niveau FI-03) à l’École de décembre 2017 à janvier 2021. La période pertinente à la présente plainte est celle de décembre 2019 à la nomination de la personne nommée en septembre 2020.

[11] En décembre 2019, la gestionnaire déléguée est entrée en fonction au sein de l’unité des Opérations comptables, politiques, systèmes et contrôle interne (l’« unité »). Le titulaire du poste qui fait l’objet de la présente plainte se rapportait à la gestionnaire déléguée. La plaignante, quant à elle, se rapportait au titulaire du poste.

[12] Le titulaire du poste était admissible à la retraite. La plaignante voulait devenir gestionnaire et occuper le poste lorsqu’il deviendrait vacant. Elle a indiqué qu’elle avait effectué les tâches du poste, sous la supervision du titulaire du poste, pour environ un an avant l’arrivée de la gestionnaire déléguée, et ce, dans l’objectif de la préparer pour occuper le poste de façon indéterminée lors du départ à la retraite du titulaire. Aucune preuve concrète ne m’a été présentée voulant que la plaignante effectuait les tâches du poste dans le cadre d’un programme – formel ou informel – de préparation de la relève. Elle n’occupait pas le poste par intérim pendant cette période.

[13] En raison de son intérêt dans le poste, la plaignante aurait, selon elle, complété la première phase d’une formation de deux parties pour les aspirants gestionnaires. Selon elle, avant l’arrivée de la gestionnaire déléguée, c’était « une évidence » que ça serait elle qui serait nommée au poste à la suite de la retraite du titulaire du poste.

[14] La gestionnaire déléguée a indiqué qu’à son entrée en fonction, ainsi que par la suite, personne ne lui aurait dit que la plaignante avait effectué les tâches du poste en vue de la préparer pour occuper le poste de façon indéterminée lorsque le poste deviendrait vacant. Selon elle, rien n’indiquait que la plaignante aurait déjà été identifiée comme la successeure du titulaire du poste. Le titulaire du poste n’a pas témoigné à l’audience.

[15] Dans les jours qui ont suivi son entrée en fonction, la gestionnaire déléguée a eu des rencontres avec chacun des membres de l’unité. Par le biais de ces rencontres, elle a appris que le titulaire du poste planifiait prendre sa retraite en avril ou mai 2020. Elle a également appris que deux autres personnes au sein de l’unité étaient admissibles à la retraite. Ces rencontres individuelles ont également permis à la gestionnaire déléguée de se renseigner quant aux ambitions professionnelles des membres de l’unité. Un des collègues de la plaignante aurait immédiatement exprimé un intérêt à être nommé au poste lorsque le poste deviendrait vacant. Ce collègue n’a pas témoigné à l’audience. Je vais l’identifier à l’aide de ses initiales, R.M.L. R.M.L. et la plaignante occupaient les seuls postes FI-03 au sein de l’unité. Selon la gestionnaire déléguée, R.M.L. est membre d’une minorité visible.

[16] La gestionnaire déléguée connaissait R.M.L. avant son entrée en fonction à l’École. Ils avaient tous les deux travaillé auprès d’un autre employeur au sein du secteur public fédéral. Ils étaient des connaissances, mais ils n’avaient pas travaillé ensemble et ils n’avaient pas un lien d’amitié. Bien que la plaignante ait allégué que R.M.L. avait agi à titre de référence pour la gestionnaire déléguée lorsqu’elle avait fait la demande pour le poste d’adjointe au dirigeant principal des finances de l’École, la gestionnaire déléguée l’a nié et la plaignante n’a présenté aucune preuve concrète à l’appui de cette allégation.

[17] La gestionnaire déléguée a indiqué avoir décidé, assez rapidement à la suite de ces rencontres individuelles, de pourvoir le poste par le biais d’un processus annoncé et de procéder à la nomination intérimaire de R.M.L. pour une période de quatre mois moins un jour. Cette durée correspondait plus ou moins à la période jusqu’à ce que le titulaire du poste prendrait sa retraite.

[18] Je décrirai le témoignage de la gestionnaire déléguée relativement à ces deux thèmes, soit le choix du processus et la décision d’offrir une nomination intérimaire à R.M.L., avant de revenir au témoignage de la plaignante relativement à ces mêmes thèmes.

[19] La gestionnaire déléguée a témoigné qu’elle était d’avis qu’un processus annoncé constituerait le mécanisme de dotation le plus juste, transparent et accessible, et ce, en raison de trois facteurs. Deux de ces facteurs ont été décrits précédemment. Le premier était le fait que l’équipe de la gestionnaire déléguée était petite et qu’en plus du poste en question, d’autres postes pourraient devenir vacants dans un avenir proche. Deux employés de l’unité étaient admissibles à la retraite, laissant présager la possibilité de départs à la retraite, et donc d’autres postes à pourvoir. Le deuxième facteur était les ambitions professionnelles de divers membres de son équipe. La gestionnaire déléguée savait que R.M.L. était intéressé par le poste et que d’autres employés au sein de l’unité pourraient bénéficier de l’expérience qui découle d’une participation à un processus de nomination. Certains pourraient même se qualifier pour un bassin.

[20] Le dernier facteur identifié par la gestionnaire déléguée peut être décrit comme une pratique non officielle d’entraide entre les ministères et organismes ayant un nombre peu élevé de postes de catégorie FI, une pratique selon laquelle des gestionnaires de différents ministères et organismes collaboraient dans le cadre de processus annoncés pour établir des bassins pouvant être utilisés par certains ou plusieurs d’entre eux. Selon la gestionnaire déléguée et la directrice exécutive de la dotation, il existait un besoin connu pour des candidats qualifiés pour des postes FI‐04 au sein d’autres ministères. La décision fut prise de lancer un processus annoncé en collaboration avec d’autres ministères. Le président de l’École a approuvé le choix d’un processus annoncé.

[21] À l’audience, la gestionnaire déléguée a également décrit sa décision de procéder à une nomination intérimaire au poste en question. Elle estimait qu’il serait bénéfique d’offrir une nomination intérimaire à la seule personne ayant – à ce moment-là – exprimé un intérêt dans le poste, soit R.M.L. Son objectif était de permettre un transfert de connaissances entre le titulaire du poste et la personne qui serait nommée au poste par intérim. À l’époque, la gestionnaire déléguée avait espoir que le processus de nomination serait terminé par la date de la retraite du titulaire du poste ou peu après.

[22] Lorsque la plaignante a été informée des décisions de la gestionnaire déléguée de procéder à un processus annoncé et de nommer R.M.L. au poste pour une période intérimaire, elle a exprimé son désaccord avec la nomination intérimaire de R.M.L., son intérêt pour le poste et sa croyance selon laquelle elle serait nommée au poste par le biais d’un processus non annoncé dès que le poste deviendrait vacant. La plaignante aurait également exprimé son opinion selon laquelle elle aurait dû être nommée au poste de façon intérimaire étant donné qu’elle effectuait les tâches du poste depuis presque un an.

[23] Après que la plaignante ait fait valoir son désaccord avec la nomination intérimaire de R.M.L., la gestionnaire déléguée a changé son plan de façon à prévoir deux nominations intérimaires au lieu d’une. Selon ce plan révisé, la plaignante occuperait le poste pour une durée de deux mois, après quoi R.M.L. occuperait le poste par intérim pour la même durée. La gestionnaire déléguée a expliqué ce changement de cap du fait qu’elle avait maintenant connaissance de l’intérêt de la plaignante pour le poste et voulait donner des chances égales aux deux personnes qui avaient exprimé un intérêt. C’est à la demande de la plaignante que cette dernière a effectué son intérimaire en premier.

[24] La plaignante a occupé le poste par intérim du 20 janvier 2020 au 14 mars 2020. L’intérimaire de R.M.L. a commencé par la suite.

[25] En avril 2020, le titulaire du poste a pris sa retraite. Le poste est devenu vacant. Également en avril 2020 et alors que R.M.L. occupait le poste par intérim, le processus annoncé a été lancé.

[26] Le 7 mai 2020, la gestionnaire déléguée a envoyé un courriel aux membres de l’unité pour les informer que la nomination intérimaire de R.M.L. serait prolongée jusqu’à la fin du processus de nomination annoncé. À l’audience, la gestionnaire déléguée a expliqué qu’elle avait voulu prolonger la nomination intérimaire parce que le processus prenait plus de temps que prévu, que la période en question coïncidait avec la fin de l’exercice financier – une période très occupée de l’année –, et qu’il y avait un besoin d’assurer une certaine stabilité au sein de l’unité dans les premiers mois du travail à distance en raison de la pandémie de la COVID-19.

[27] Pendant une conversation entre la plaignante et la gestionnaire déléguée, la plaignante a exprimé son profond désaccord avec la décision de prolonger la nomination intérimaire de R.M.L. Elle a également fait valoir qu’il s’agissait, selon elle, d’une décision qui manquait de transparence et d’équité. Selon la plaignante, pendant cette conversation, la gestionnaire déléguée aurait fait un commentaire selon lequel la plaignante était frustrée, ce que la plaignante a interprété comme étant indicatif d’un préjugé voulant que les femmes de race noire soient plus facilement frustrées.

[28] La gestionnaire déléguée aurait, pendant cette conversation, soulevé un enjeu relatif au rendement de la plaignante lorsqu’elle avait préalablement occupé le poste par intérim. Selon la plaignante, il s’agissait de la première fois qu’on lui indiquait que son rendement comportait une lacune quelconque.

[29] À l’audience, la plaignante a expliqué que le reproche formulé à son égard portait sur la façon qu’elle avait accompli une tâche. Selon elle, son opinion professionnelle quant à l’approche à préconiser pour accomplir la tâche était différente de l’approche préconisée par la gestionnaire déléguée. La plaignante a voulu débattre du bien-fondé de l’approche préconisée par la gestionnaire déléguée. À un moment donné, la gestionnaire déléguée se serait impatientée, et aurait indiqué à la plaignante qu’elle n’avait plus le goût de lui parler. À l’audience, la gestionnaire déléguée a reconnu avoir dit à la plaignante qu’elle n’avait plus le goût de lui parler. Selon elle, le commentaire a été formulé à la fin d’une discussion de plus d’une heure au sujet de cette divergence d’opinions entre elles. La plaignante n’a pas contesté ou contredit le témoignage de la gestionnaire déléguée voulant que ce commentaire avait été dit dans une très longue conversation ayant principalement porté sur ce seul et même sujet.

[30] Peu après, la plaignante a fait valoir son intention de porter plainte, faisant valoir que l’École avait modifié sa pratique de dotation pour éviter de promouvoir une femme de race noire à un poste de gestion.

[31] Quelques jours plus tard, soit le 11 mai 2020, la gestionnaire déléguée a informé la plaignante que l’intérimaire de R.M.L. ne serait pas prolongé. Au lieu, un FI-03 d’une autre équipe au sein de l’École occuperait le poste par intérim jusqu’à la fin du processus de nomination. Cet employé, un homme de race noire, avait été nommé à un poste FI-03 quelques mois auparavant. À l’audience, la gestionnaire déléguée a indiqué avoir apporté ce changement en réaction aux préoccupations exprimées par la plaignante. Plus précisément, elle a indiqué avoir changé d’idée relativement à la prolongation de la nomination intérimaire de R.M.L. pour éviter une perception que R.M.L. se serait vu accorder un avantage dans le cadre du processus de nomination si sa nomination intérimaire était prolongée. Elle a indiqué que, si elle avait offert une nouvelle nomination intérimaire à la plaignante, cela aurait créé une perception que la plaignante se voyait accorder un avantage dans le cadre du processus par rapport à R.M.L.

[32] La plaignante a interprété ce changement comme une démarche qui cherchait à offrir une nomination intérimaire à un homme de race noire pour masquer les mesures de discrimination qu’elle avait dénoncées quelques jours auparavant.

[33] Cette même journée, la plaignante a écrit au président du Conseil du Trésor pour lui faire part de ses profondes préoccupations quant au processus de nomination, plus précisément sa croyance selon laquelle elle faisait l’objet de discrimination. Peu après, la plaignante a été invitée à une rencontre avec la directrice générale des Ressources humaines, et ce, à la suggestion du président de l’École. Lorsque la plaignante a demandé d’être accompagnée par un représentant syndical, la directrice générale a, en premier lieu, refusé pour ensuite acquiescer après que la plaignante ait insisté sur le fait qu’elle avait le droit d’être accompagnée. La plaignante a témoigné que, selon elle, le refus initial de la demande d’être accompagnée constituait une mesure cherchant à l’intimider. La directrice générale n’a pas témoigné à l’audience.

[34] La date limite pour postuler au poste était le 19 mai 2020. Le processus visait à doter le poste au sein de l’unité et à créer un bassin pouvant être utilisé par d’autres ministères. La plaignante a postulé. Sa candidature a été retenue à l’étape de la présélection.

[35] En juin 2020, la plaignante a écrit un examen. L’examen visait à évaluer les candidats relativement à cinq critères de mérite liés aux connaissances et aux compétences.

[36] Le comité de sélection était composé de quatre personnes, soit la gestionnaire déléguée et trois gestionnaires provenant d’autres ministères, conformément à la pratique de collaboration décrite précédemment. Tous les membres du comité de sélection ont participé à la correction des examens et aux entrevues qui ont eu lieu par la suite. Comme je l’ai indiqué précédemment, deux des trois gestionnaires provenant d’autres ministères ont témoigné à l’audience, soit MM. Boisvert et Chin Quee.

[37] La gestionnaire déléguée a expliqué que les examens ont été anonymisés par la direction des Ressources humaines avant d’être partagés aléatoirement entre les membres du comité de sélection pour la correction. La directrice exécutive de la dotation a confirmé que les noms des candidats avaient été remplacés par des numéros avant que les examens soient distribués aux membres du comité de sélection. MM. Boisvert et Chin Quee ont confirmé que les examens avaient été anonymisés. Comme un des membres du comité de sélection n’était pas à l’aise de corriger des examens en français, les examens en français ont été partagés aléatoirement entre les trois autres membres du comité, soit la gestionnaire déléguée, M. Boisvert et M. Chin Quee. Une fois la correction des examens complétée, tous les membres du comité de sélection se sont rencontrés pour faire la mise en commun des résultats et passer en revue les examens des candidats qui ont obtenu des résultats un peu en deçà de la note de passage.

[38] Environ deux semaines après avoir écrit l’examen, la plaignante a été informée qu’elle n’avait pas réussi l’examen. Elle a eu un échec sur trois critères de mérite. La plaignante a demandé, entre autres, une discussion informelle, une confirmation de l’identité de la personne qui avait corrigé son examen et une correction indépendante de son examen.

[39] Dans un courriel envoyé à la plaignante en date du 16 juillet 2020, la gestionnaire déléguée a indiqué qu’elle avait, par hasard et sans le savoir à l’époque, corrigé l’examen de la plaignante. À l’audience, la plaignante a fait valoir que la gestionnaire déléguée aurait pu identifier l’examen de la plaignante au moment de la correction. Les examens ont été complétés à l’ordinateur et les fichiers numériques ont été envoyés à un membre du comité de sélection aux fins de la correction. Selon la plaignante, si la gestionnaire déléguée avait sauvegardé le fichier numérique de son examen, la gestionnaire aurait pu – par un moyen qui n’a pas été précisé lors de l’audience – découvrir qu’il s’agissait de l’examen de la plaignante, malgré les démarches prises en vue d’anonymiser les examens. La gestionnaire déléguée a indiqué avoir sauvegardé des copies de tous les examens qu’elle avait corrigés, mais a nié avoir eu connaissance des noms de ces candidats. Elle a indiqué, à plus d’une reprise, qu’elle n’était pas au courant qu’il existait une façon par laquelle elle aurait pu découvrir l’identité des candidats au moment de la correction des examens. Elle ignorait qu’elle avait reçu l’examen de la plaignante.

[40] Dans le cadre de son témoignage, la gestionnaire déléguée a indiqué qu’à la suite de la demande de la plaignante pour une correction indépendante de son examen, l’examen de la plaignante avait été révisé par MM. Boisvert et Chin Quee. Bien qu’ils avaient accès à la grille de correction utilisée par la gestionnaire déléguée et aux notes de cette dernière, ils ont tous deux indiqué avoir révisé les réponses de la plaignante et avoir tiré leur propre conclusion à savoir si les réponses de la plaignante étaient satisfaisantes à l’égard des critères de mérite qui y étaient évalués. Ils ont tous les deux confirmé que la plaignante ne satisfaisait pas à certains critères de mérite.

[41] À la demande de la plaignante, la discussion informelle n’a pas eu lieu avec la gestionnaire déléguée. C’est M. Chin Quee qui y a participé. À la suite de la discussion informelle, la plaignante a écrit à la gestionnaire déléguée pour contester la correction de son examen et la rétroaction qui lui avait été communiquée pendant la discussion informelle. Malheureusement, la plaignante a, par inadvertance, envoyé son courriel à la mauvaise adresse. La gestionnaire déléguée ne l’a pas reçu.

[42] Le 19 août 2020, une notification de nomination a été publiée. Selon la gestionnaire déléguée, la personne nommée est la candidate qui a obtenu les meilleurs résultats à toutes les étapes du processus de nomination. Elle satisfaisait également à plusieurs qualifications constituant un atout. Elle était la seule candidate à avoir de l’expérience en matière de développement de politiques financières. Le développement de politiques financières constituait une priorité pour l’École à l’époque, ce que la plaignante n’a pas contesté.

[43] Quelques jours plus tard, la plaignante a déposé la présente plainte.

[44] J’ajouterais ici quelques précisions quant aux allégations de représailles décrites par la plaignante à l’audience pour appuyer la thèse voulant qu’elle ait été écartée du processus en raison d’une animosité entre elle et la gestionnaire déléguée, une animosité qui, selon la plaignante, était fondée sur des préjugés et de la discrimination.

[45] Après avoir échoué à l’examen et avoir fait valoir son désaccord avec les diverses démarches prises par la gestionnaire déléguée dans le cadre du processus, la plaignante n’était plus, selon elle, invitée aux réunions d’équipe. Elle a indiqué avoir été privée d’évaluations du rendement. Elle a également témoigné qu’elle ne recevait plus les renseignements partagés au sein de l’unité et qui étaient pertinents pour son travail, ce qui aurait eu pour effet de la tenir à l’écart de l’unité. La plaignante a également témoigné que la gestionnaire déléguée lui aurait refusé l’autorisation requise pour s’inscrire à la deuxième de deux phases d’une formation pour aspirants gestionnaires.

[46] À l’audience, la gestionnaire déléguée a indiqué ne pas se souvenir d’avoir refusé une demande de formation. Aucune preuve documentaire à ce sujet n’a été présentée en preuve. Elle a expliqué l’absence de la plaignante des réunions du fait qu’il s’agissait de réunions de gestion auxquelles la plaignante avait assisté alors qu’elle occupait le poste par intérim. Comme la plaignante n’occupait plus un poste de gestion par intérim, elle n’était plus, de ce fait, convoquée aux réunions de gestion. Après sa nomination au poste, la personne nommée était convoquée aux réunions et avait la tâche de communiquer, à la plaignante et aux autres membres de l’équipe, l’information pertinente à leurs rôles. La gestionnaire déléguée a indiqué ne pas avoir été informée que des renseignements transmis dans le cadre de réunions n’étaient pas partagés avec la plaignante par la suite. Elle a également témoigné que ce n’était pas à elle que revenait la tâche d’effectuer les évaluations du rendement de la plaignante. Elle avait seulement supervisé la plaignante pendant les deux mois que celle-ci avait occupé le poste par intérim. C’était la personne nommée qui avait la responsabilité d’effectuer l’évaluation du rendement de la plaignante. Selon la gestionnaire déléguée, si la plaignante a été privée d’évaluations du rendement, ce n’était pas en raison d’une intervention quelconque de sa part.

[47] La plaignante a quitté l’École en janvier 2021. Au moment de l’audience, elle occupait un poste FI-03 au sein d’un autre ministère.

A. Preuve relative à une pratique privilégiant les promotions par le biais de processus non annoncés

[48] À l’audience, la plaignante a expliqué que, selon elle, il existait une pratique de longue date au sein de l’École qui privilégiait des promotions d’employés de l’École par le biais de nominations non annoncées. Plus spécifiquement, elle a témoigné que conformément à cette pratique, un employé qui occupait le poste d’un niveau hiérarchique inférieur au poste à pourvoir était promu par le biais d’un processus non annoncé.

[49] La plaignante a indiqué que le président de l’École avait émis une directive voulant que les employés de l’École devaient être privilégiés pour des promotions par le biais de processus non annoncés. Un compte rendu d’une réunion du comité national de consultation patronale-syndicale en novembre 2019 qui a été admis en preuve indique que le président de l’École aurait « [...] [demandé] qu’une première considération soit accordée aux employés de [l’École] avant de procéder à l’embauche d’employés de l’extérieur ». La plaignante s’attendait à ce que la pratique soit respectée dans le cadre du processus visant à pourvoir le poste en question et qu’elle soit nommée au poste par le biais d’un processus non annoncé.

[50] La plaignante a présenté certains exemples de processus non annoncés qui, selon elle, constituaient des exemples de cette pratique, soit des promotions par le biais de processus non annoncés.

[51] Selon la plaignante, après le processus de nomination en cause, l’École a repris la pratique décrite précédemment, soit la promotion d’employés de l’École par le biais de processus non annoncés.

[52] La gestionnaire déléguée et la directrice exécutive de la dotation ont toutes les deux témoigné n’avoir aucune connaissance d’une pratique au sein de l’École selon laquelle les promotions devaient être effectuées principalement ou exclusivement par le biais de processus non annoncés. Elles ont également indiqué qu’il n’existait pas de pratique voulant qu’une personne qui occupait le poste d’un niveau hiérarchique inférieur au poste à pourvoir se voyait automatiquement promue par le biais d’un processus non annoncé. La directrice exécutive de la dotation a indiqué que le compte rendu de la réunion du comité national de consultation patronale-syndicale décrit précédemment ne confirme pas l’existence d’une telle pratique. Le document doit être lu dans son ensemble. Selon elle, le compte rendu indique également qu’un agent négociateur avait exprimé des préoccupations quant au recours par l’École aux processus de nomination non annoncés, et encourageait l’École de privilégier des processus annoncés et la création de bassins de candidats qualifiés.

[53] La directrice exécutive de la dotation a témoigné qu’à l’époque pertinente à la présente plainte, la majorité des actions de dotation effectuées par l’École étaient des nominations à la suite de processus annoncés ou des mutations de personnes occupant des postes des mêmes groupe et niveau au sein d’autres ministères ou organismes. Selon elle, la majorité des nominations non annoncées à l’époque n’étaient pas, comme l’a fait valoir la plaignante, des promotions d’un employé occupant le poste d’un niveau hiérarchique inférieur au poste à pourvoir. Elle a expliqué que les exemples présentés par la plaignante ne constituaient pas, dans les faits, des promotions d’employés de l’École par le biais de processus non annoncés. Selon elle, la majorité des notifications de nominations non annoncées qui étaient affichées à l’époque étaient plutôt des nominations de personnes qui faisaient partie d’un bassin, soit un bassin de l’École ou d’un autre ministère, de nominations dans le cadre d’un programme de transition à l’intention d’étudiants ou, encore, de personnes qui participaient à un programme de perfectionnement pour les FI.

B. Preuve relative à la question de la représentativité

[54] La plaignante a indiqué que, si elle avait été promue conformément à la pratique décrite précédemment, elle aurait été la première femme de race noire à devenir gestionnaire au sein de l’École.

[55] La directrice exécutive de la dotation a indiqué qu’à l’époque pertinente, la composition de l’effectif de l’École reflétait la représentativité des femmes et des minorités visibles dans la société canadienne, et ce, à tous les groupes et niveaux, y compris les cadres. Aucune donnée ou preuve documentaire quant à la représentativité n’a été présentée à l’audience. Selon la directrice exécutive de la dotation, des données relatives au nombre ou au pourcentage de gestionnaires de l’École s’auto-identifiant comme des femmes de race noire, données colligées par le biais de sondages ou questionnaires en matière d’équité d’emploi, ne sont pas disponibles en raison du fait que le nombre de gestionnaires à l’École est trop petit pour permettre la divulgation de telles données tout en préservant l’anonymat.

III. Résumé de l’argumentation

[56] J’ai tenu compte de l’ensemble des arguments qui m’ont été présentés par les parties. Toutefois, j’aborderai uniquement les arguments qui sont, selon moi, les plus pertinents aux questions en litige. Je ferai de même en ce qui a trait à la jurisprudence citée par les parties. J’aborderai seulement les décisions les plus pertinentes aux questions en litige.

[57] La plaignante a fait valoir que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans le choix du processus de nomination et dans l’évaluation de sa candidature. Plus précisément, elle allègue que le choix du processus et l’évaluation du mérite sont teintés de discrimination sur la base de la race et du sexe. Elle soutient que l’intimé n’a pas respecté une pratique de dotation bien établie au sein de l’École afin d’éviter de nommer une femme de race noire à un poste de gestion. L’intimé aurait modifié sa pratique de dotation pour le processus en cause et aurait, selon elle, repris sa pratique de pourvoir les postes vacants par l’entremise de nominations promotionnelles d’employés de l’École à la suite de ce processus. La plaignante soutient que, si elle avait été promue selon la pratique habituelle, sa nomination aurait constitué la première fois qu’une femme de race noire aurait été ainsi promue à un poste de gestionnaire. Selon elle, le choix d’un processus annoncé constituait un mécanisme permettant à l’intimé d’écarter sa candidature.

[58] La plaignante a fait valoir que certains incidents et certaines démarches prises par la gestionnaire déléguée démontraient que la plaignante avait été écartée du processus de nomination en raison de discrimination. Parmi les exemples fournis par la plaignante, on retrouve le fait qu’une nomination intérimaire au poste a été offerte à R.M.L., qu’à la suite d’une plainte de sa part au sujet de la prolongation de la nomination intérimaire de R.M.L., une troisième personne s’est vu offrir une nomination intérimaire au poste et que la gestionnaire déléguée a dit à la plaignante que cette dernière était frustrée et que la gestionnaire n’avait plus le goût de lui parler. À ces exemples s’ajoute l’allégation de la plaignante voulant que la gestionnaire déléguée ait cherché à la punir en l’excluant de certaines réunions, en lui refusant l’autorisation requise pour participer à une formation et en n’effectuant pas d’évaluations du rendement. La plaignante soutient également que l’intimé a cherché à l’intimider en lui refusant le droit d’être accompagnée par un représentant syndical lors d’une rencontre pour discuter de ses préoccupations relativement au processus de nomination en cause.

[59] La plaignante a fait valoir qu’il existait un conflit entre elle et la gestionnaire déléguée, un conflit fondé sur des préjugés et de la discrimination. La plaignante soutient que la gestionnaire déléguée aurait dû se récuser de la correction de l’examen, et que celle-ci aurait utilisé l’examen écrit comme moyen pour l’écarter du processus de nomination en raison du fait qu’elle est une femme de race noire. Selon elle, son examen n’a pas vraiment été anonymisé. La plaignante fait également valoir qu’elle n’a pas eu droit à une correction indépendante de son examen. Les membres du comité de sélection qui ont révisé son examen auraient été influencés par les commentaires inscrits à l’examen par la gestionnaire déléguée et par l’évaluation qu’elle en avait faite.

[60] Selon la plaignante, l’intimé a nommé une femme de race noire pour masquer la discrimination raciale à l’égard de la plaignante.

[61] La plaignante a cité les décisions suivantes à l’appui de ses arguments : Conseil des Abénakis d’Odanak c. O’Bomsawin, 2018 CF 112; Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2003 CF 1373; Shakes v. Rex Pak Ltd., 1981 CanLII 4315 (ON HRT).

[62] L’intimé a nié avoir abusé du pouvoir qui lui avait été délégué en vertu de la LEFP. Sa position peut être brièvement résumée comme suit : les allégations de la plaignante sont fondées sur des inférences et non sur des faits et une preuve. L’insatisfaction d’une plaignante qui voulait accéder à un poste et qui croyait être pressentie pour le poste, mais qui a été écartée du processus en raison d’un échec à l’examen, ne constitue pas une preuve d’abus de pouvoir ou, plus précisément, de discrimination.

[63] L’intimé a fait valoir qu’il n’existait pas de pratique pour pourvoir aux postes vacants par l’entremise de nominations promotionnelles non annoncées d’employés de l’École. Il revenait à chaque gestionnaire de faire un choix de processus selon les besoins et circonstances pertinents à l’époque. La gestionnaire déléguée a choisi de procéder à un processus annoncé en raison de besoins opérationnels et du fait que plus qu’un employé de l’unité avait exprimé un intérêt dans le poste.

[64] L’intimé soutient que la gestionnaire déléguée était à l’écoute des préoccupations de la plaignante. Elle a offert une nomination intérimaire à la plaignante lorsque cette dernière a fait valoir qu’elle trouvait injuste que R.M.L. puisse occuper le poste pendant la durée du processus de nomination. Elle a également abandonné son plan de prolonger l’intérimaire de R.M.L. en réaction à la plainte de la plaignante voulant que R.M.L. serait avantagé dans le cadre du processus si sa nomination intérimaire était prolongée.

[65] Quant à l’évaluation de la candidature de la plaignante, l’intimé a fait valoir que la plaignante n’a pas obtenu la note de passage relativement à trois critères de mérite lors de l’examen écrit. Bien que la gestionnaire déléguée ait corrigé l’examen de la plaignante, les examens avaient été anonymisés. De plus, l’examen écrit de la plaignante a été révisé par deux autres membres du comité de sélection qui ont tous les deux confirmé que les réponses de la plaignante relativement aux trois critères de mérite étaient insuffisantes.

[66] La personne nommée est la candidate qui a obtenu les meilleurs résultats à toutes les étapes du processus de nomination. Le fait qu’elle soit également une femme de race noire n’est qu’un heureux hasard, et non un indice de tentative de dissimuler une discrimination.

[67] L’intimé a cité plus qu’une douzaine de décisions à l’appui de ses arguments. Dans sa plaidoirie, il s’est attardé plus longuement aux décisions suivantes : Kane c. Canada (Procureur général), 2009 CF 740; Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8; Robbins c. l’Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 17; Thompson c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2022 CRTESPF 90; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 (« Bombardier »); Abi-Mansour c. Président de la Commission de la fonction publique, 2016 CRTEFP 53; Davidson c. Sous-ministre de la Santé, 2020 CRTESPF 56 (demande de contrôle judiciaire rejetée dans Davidson c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 226 (« Davidson CAF »)).

IV. Analyse

[68] La plaignante a fait valoir que le choix du processus annoncé ainsi que l’évaluation de sa candidature ont été entachés de discrimination.

[69] Il incombe à la plaignante d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son pouvoir en choisissant un processus annoncé et dans l’évaluation de sa candidature. Une conclusion voulant qu’il y ait eu abus de pouvoir nécessite une preuve d’un acte incompatible avec l’intention du législateur lorsqu’il a délégué le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 33 de la LEFP à l’intimé (voir Davidson CAF). La discrimination, si elle est établie en preuve, constitue un tel acte.

[70] L’article 80 de la LEFP confère à la Commission le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP). Plus précisément, la Commission a le pouvoir de déterminer si la LCDP a été enfreinte dans le cadre de son analyse à savoir si une plainte est fondée. L’article 7 de la LCDP prévoit qu’il est discriminatoire, dans le cadre de l’emploi, de faire une distinction défavorable à l’égard d’un employé, pour un motif de distinction illicite. L’article 3 de la LCDP énumère les motifs de distinction illicite, y compris les motifs invoqués par la plaignante, soit la race et le sexe. Une violation de la LCDP constitue, en soi, un abus de pouvoir au sens de la LEFP.

[71] Afin que la Commission puisse conclure que le processus de nomination était teinté de discrimination, la plaignante doit tout d’abord établir une preuve prima facie de discrimination. La plaignante s’est appuyée sur Shakes dans le cadre de ses arguments. Toutefois, Shakes n’est pas la décision sur laquelle la Commission doit fonder son analyse des allégations de discrimination soulevées par la plaignante. Je dois effectuer mon analyse conformément au critère que la Cour suprême du Canada a énoncé dans Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61. Comme la Cour d’appel fédérale l’a indiqué dans Commission canadienne des droits de la personne c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 154, au par. 25, Shakes est un exemple de l’application des règles de base concernant l’établissement d’une preuve prima facie de discrimination qui ont été énoncées dans Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 et reprises dans Moore, au par. 33.

[72] Dans Moore, la Cour suprême du Canada a énoncé un critère à trois étapes pour établir à première vue l’existence de discrimination.

[73] En premier lieu, la plaignante doit démontrer qu’elle possède une caractéristique protégée contre la discrimination, ce que, comme il a été indiqué précédemment, elle a fait. La plaignante possède les caractéristiques protégées de la race et du sexe.

[74] La plaignante doit ensuite démontrer qu’elle a subi un effet préjudiciable et que les caractéristiques protégées ont constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Il s’agit des deuxième et troisième étapes du critère établi dans Moore. Dit autrement, la plaignante doit démontrer qu’elle a subi un effet préjudiciable en raison du choix du processus ou de l’évaluation de sa candidature, pour ensuite démontrer que l’une ou l’autre des caractéristiques protégées – ici, la race et le sexe –, ou les deux, constituaient un facteur dans le choix ayant mené à cet effet préjudiciable. La plaignante doit en faire la démonstration selon la prépondérance des probabilités.

[75] Une fois la preuve de discrimination prima facie établie, l’intimé peut soit présenter des éléments de preuve réfutant l’allégation de discrimination prima facie, soit justifier sa conduite en démontrant qu’il y a une explication justifiant la discrimination, ou les deux (voir Bombardier, au par. 64).

[76] Il est indéniable que le racisme, y compris le racisme anti-Noirs, est présent dans la société canadienne. Les tribunaux le reconnaissent depuis des décennies (voir, par exemple, R. c. Parks (1993), 15 O.R. (3d) 324, à la page 342; R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, aux paragraphes 46 et 47; R. c. Spence, 2005 CSC 71, au par. 32; R. v. Morris, 2021 ONCA 680, au par. 1). Il est également bien établi que le racisme et la discrimination s’illustrent souvent par des préjugés subtils et inconscients. Il ne s’agit fréquemment pas de gestes ou de paroles manifestes (voir Turner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2020 TCDP 1, aux paragraphes 106 et 107). Pour cette raison, il peut être difficile d’établir la discrimination par voie d’éléments de preuve directe. Une preuve circonstancielle peut suffire pour fonder une conclusion selon laquelle il y a eu discrimination. Il revient à la Commission d’examiner l’ensemble des circonstances afin de déterminer s’il existe de « subtiles odeurs de discrimination » (voir Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 1988 CanLII 108 (TCDP)).

[77] Dans un premier temps, j’aborderai l’allégation de discrimination soulevée par la plaignante relativement au choix du processus. J’aborderai ensuite son allégation de discrimination relativement à l’évaluation de sa candidature.

A. Choix du processus

[78] L’article 33 de la LEFP confère à un administrateur général délégué – ici, l’intimé – un pouvoir discrétionnaire dans le choix de processus de nomination annoncé ou non annoncé. Ce pouvoir n’est toutefois pas absolu. Le choix effectué par l’intimé peut faire l’objet d’une plainte présentée en vertu de l’alinéa 77(1)b) de la LEFP.

[79] La plaignante a fait valoir que l’intimé avait choisi un processus annoncé pour éviter de la nommer au poste et pour pouvoir l’écarter du processus en raison du fait qu’elle est une femme de race noire. Conformément à Moore, elle doit démontrer qu’elle a subi un effet préjudiciable en raison du choix d’un processus annoncé et que ses caractéristiques protégées ont constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

[80] Selon la plaignante, avant le processus de nomination en cause, l’intimé privilégiait la dotation par le biais de nominations non annoncées constituant des promotions. Dans son témoignage, elle a indiqué qu’il existait une pratique de longue date selon laquelle les employés de l’École qui occupaient un poste d’un niveau hiérarchique inférieur au poste à pourvoir étaient promus par le biais de processus non annoncés. Si la pratique avait été maintenue dans le contexte du processus de nomination qui fait l’objet de cette plainte, elle aurait été nommée au poste parce qu’elle était la seule employée de l’unité à avoir exprimé un intérêt dans le poste et qu’elle était l’employée du groupe et du niveau FI-03 la plus qualifiée au sein de l’unité. Selon elle, elle aurait été la première femme de race noire nommée à un poste de gestion par le biais d’un processus non annoncé.

[81] La plaignante soutient également qu’il existait au sein de l’École, à l’époque, de la discrimination systémique. Selon elle, le choix de l’intimé de procéder à un processus annoncé constituait une démarche visant à nuire à sa progression de carrière.

[82] Il existe une lacune importante dans l’allégation de discrimination de la plaignante. Le choix d’un processus annoncé n’a pas empêché la plaignante de présenter sa candidature. Elle a postulé et sa candidature a été retenue à l’étape de la présélection. Elle n’a pas subi un effet préjudiciable en raison du choix d’un processus annoncé et du fait qu’elle a dû postuler. La plaignante n’a pas satisfait à la deuxième étape du critère établi dans Moore.

[83] Même si j’avais tort à cet égard, la preuve circonstancielle présentée par la plaignante est insuffisante pour fonder une conclusion selon laquelle l’intimé aurait choisi un processus annoncé pour éviter de nommer une femme de race noire au poste.

[84] Le fardeau de la preuve incombe à la plaignante. La très grande majorité de la preuve de la plaignante portait sur sa croyance sincère qu’il existait une pratique selon laquelle un employé qui occupait le poste d’un niveau hiérarchique inférieur au poste à pourvoir serait promu par le biais d’un processus non annoncé, sa croyance selon laquelle elle serait promue ainsi et son impression que l’intimé a choisi un processus annoncé pour éviter de la nommer à un poste de gestionnaire en raison du fait qu’elle est une femme de race noire.

[85] La plaignante n’a pas présenté de preuve pouvant appuyer son allégation voulant qu’il n’y a jamais eu de femme de race noire nommée à un poste de gestion. Elle n’a pas contesté la preuve de l’intimé voulant que la composition de l’effectif de l’École reflétait la représentativité des femmes et des minorités visibles dans la société canadienne, et ce, à tous les groupes et niveaux, y compris la gestion.

[86] La preuve présentée par la plaignante n’a également pas démontré l’existence d’une pratique selon laquelle un employé qui occupait le poste d’un niveau hiérarchique inférieur au poste à pourvoir était promu par le biais d’un processus non annoncé et qu’elle pouvait s’attendre à être promue ainsi.

[87] Ce que la plaignante a décrit comme étant une « directive » de la part du président de l’École voulant que les employés de l’École devaient être privilégiés pour des promotions constitue un seul compte rendu de réunion qui indique que le président aurait demandé que l’on considère, en premier lieu, les employés de l’École avant de procéder à l’embauche d’employés provenant d’ailleurs. La demande du président semble s’inscrire dans le contexte d’une discussion portant sur des processus de nomination annoncés. Le compte rendu indique qu’un agent négociateur encourageait l’École de privilégier davantage des processus annoncés et la création de bassins de candidats qualifiés. Rien n’indique que les propos du président, décrits dans le compte rendu, constituaient une demande ou une attente voulant que des promotions par le biais de processus non annoncés étaient ou devraient être la norme.

[88] Bien que de nombreuses notifications de candidatures retenues provenant de l’École dans les années avant et après le processus en cause, soit des notifications indiquant « Processus non annoncé », ont été admises en preuve, la plaignante n’a pas démontré qu’il s’agissait de promotions d’employés qui occupaient le poste d’un niveau hiérarchique inférieur au poste à pourvoir. La preuve de l’intimé a révélé que lorsque certaines actions de dotation, notamment des mutations, des nominations de personnes s’étant qualifiées pour des bassins à la suite de processus annoncés, de personnes participant à un programme de perfectionnement pour les FI et les personnes nommées dans le cadre d’un programme de transition à l’intention d’étudiants, étaient annoncées sur le site emplois.gc.ca, elles étaient identifiées à l’aide des mots « processus non annoncé » pour les distinguer des processus annoncés. Selon la directrice exécutive de la dotation, ces actions de dotation ne constituent pas des nominations promotionnelles par le biais de processus non annoncés. La plaignante n’a pas présenté de preuve pouvant contredire cela.

[89] La seule preuve que la plaignante a présentée à l’appui de son allégation voulant que l’intimé la préparait pour occuper le poste de façon indéterminée est son témoignage quant à sa croyance subjective. Bien qu’elle ait témoigné avoir effectué les tâches du poste sous la supervision du titulaire du poste pour environ un an afin de la préparer pour occuper le poste de façon indéterminée, elle n’a pas appelé à titre de témoin le titulaire du poste pour corroborer son témoignage. De plus, la croyance de la plaignante voulant qu’elle était la seule employée de l’unité intéressée à occuper le poste n’est pas déterminante en soi et la gestionnaire déléguée a témoigné que R.M.L. avait exprimé un intérêt pour le poste peu après l’entrée en fonction de la gestionnaire déléguée.

[90] J’ai conclu que la plaignante n’a pas satisfait à son fardeau de faire la preuve d’abus de pouvoir ou de discrimination dans le choix du processus de nomination. L’intimé a, quant à lui, présenté une preuve complète, concrète et crédible pour expliquer son choix de processus de nomination. La gestionnaire déléguée a témoigné quant aux raisons pour lesquelles elle a décidé de procéder à un processus annoncé. La plaignante n’a pas contesté ou contredit le témoignage de la gestionnaire déléguée voulant que les besoins en matière de dotation s’étendaient au-delà du poste et rendaient un processus non annoncé peu attrayant. D’autres employés étaient admissibles à la retraite, ce qui suscitait une crainte que d’autres postes puissent devenir vacants dans un avenir proche. De plus, seul un processus annoncé permettrait à l’École de créer un bassin pour doter ces postes s’ils devenaient vacants et de collaborer avec d’autres ministères ayant des besoins en matière de dotation pour un poste FI-04.

[91] À la lumière de l’ensemble de la preuve, j’arrive à la conclusion que rien n’indique que le choix du processus annoncé était teinté de discrimination. Rien n’indique qu’un processus annoncé a été choisi par l’intimé afin de pouvoir subséquemment écarter la candidature de la plaignante. La preuve qui m’a été présentée à l’audience indique plutôt qu’il s’agissait de l’exercice, par l’intimé, d’un pouvoir discrétionnaire reconnu à l’article 33 de la LEFP.

B. Évaluation du mérite

[92] Avant d’aborder l’allégation de la plaignante voulant que l’évaluation de sa candidature soit entachée de discrimination, je vais dire quelques mots au sujet de l’évaluation du mérite relativement à la candidature de la personne nommée.

[93] La plaignante soutient que la gestionnaire déléguée a nommé la personne nommée pour masquer une discrimination à son égard. Je tiens à préciser qu’aucune preuve ne m’a été présentée à l’appui de cette allégation, que la gestionnaire déléguée a niée. Dans le cadre de son témoignage, la gestionnaire déléguée a indiqué que la candidature de la personne nommée avait été retenue parce qu’il s’agissait de la personne ayant obtenu les meilleurs résultats dans le cadre du processus de nomination, ce que la plaignante n’a pas contesté.

[94] La plaignante a fait valoir que sa candidature avait été écartée du processus de nomination à l’étape de l’examen écrit pour un motif discriminatoire. À l’audience, la plaignante a également indiqué avoir l’impression qu’il existait entre elle et la gestionnaire déléguée une animosité en raison du fait qu’elle exprimait son opinion voulant que certaines décisions prises par la gestionnaire déléguée étaient teintées de discrimination.

[95] Comme il a été indiqué précédemment, pour satisfaire aux étapes du critère établi dans Moore, la plaignante doit présenter une preuve selon laquelle elle aurait subi un effet préjudiciable. J’accepte que la candidature de la plaignante a été éliminée du processus à la suite de l’examen et que cela puisse constituer un effet préjudiciable. Qu’en est-il de la dernière étape du critère établi dans Moore, étape à laquelle la plaignante doit démontrer que ses caractéristiques protégées ont constitué un facteur qui a mené à l’élimination de sa candidature du processus de nomination?

[96] L’argument principal de la plaignante portait sur la correction de son examen écrit. La plaignante a fait valoir que la gestionnaire déléguée aurait cherché à l’écarter du processus en lui accordant un résultat d’échec à l’examen. Encore ici, la preuve présentée par la plaignante était son témoignage quant à sa croyance que la gestionnaire déléguée avait su qu’elle corrigeait son examen écrit, qu’elle l’a fait échouer pour des motifs discriminatoires et qu’elle aurait influencé MM. Boisvert et Chin Quee lorsqu’ils ont effectué la recorrection de l’examen de la plaignante. Outre sa croyance, la plaignante n’a présenté aucune preuve pouvant appuyer cette allégation. L’intimé a présenté une preuve complète, concrète et crédible pour contrer cette allégation.

[97] Le comité de sélection était composé de quatre personnes. Trois d’entre elles ont témoigné à l’audience. Leurs témoignages étaient cohérents les uns les autres. Elles ont toutes indiqué que les examens avaient été anonymisés et distribués aléatoirement. Elles ont toutes indiqué ignorer qu’il aurait été possible d’identifier la personne ayant écrit l’examen en sauvegardant le document numérique. Elles étaient également toutes d’avis que la plaignante avait échoué à l’examen. Le seul membre du comité de sélection qui n’a pas témoigné n’était pas en mesure de corriger un examen de langue française.

[98] À la demande de la plaignante, son examen a fait l’objet d’une deuxième et d’une troisième correction. Les deux membres du comité de sélection qui ont effectué ces corrections travaillaient au sein d’autres ministères, ne connaissaient pas la plaignante et connaissaient très peu la gestionnaire déléguée. Ils ont indiqué avoir révisé l’examen de la plaignante et avoir tiré leur propre conclusion quant aux réponses de la plaignante. Il aurait été préférable que les personnes chargées de ces corrections subséquentes n’aient pas eu accès à la correction effectuée par la gestionnaire déléguée. Toutefois, je ne peux pas conclure que le fait d’avoir fait suivre l’évaluation de la gestionnaire déléguée à ces membres du comité de sélection, soit deux gestionnaires expérimentés, a eu pour effet de rendre l’évaluation de la candidature de la plaignante viciée.

[99] Il ressort de la preuve présentée à l’audience que la candidature de la plaignante a été éliminée du processus en raison de l’échec de la plaignante à l’examen écrit et non en raison – en tout ou en partie – des caractéristiques protégées de la plaignante ou de l’une d’entre elles. Ainsi, la plaignante n’a pas satisfait à la dernière étape du critère énoncé dans Moore.

[100] En raison de la difficulté que peuvent éprouver des plaignants et plaignantes à faire la preuve de discrimination, j’estime qu’il est important et nécessaire pour moi de tenir compte des allégations de la plaignante selon lesquelles plusieurs incidents et événements distincts, considérés ensemble, rendent plus probable que moins probable que sa candidature a été écartée du processus en raison de discrimination. J’aborderai brièvement ces incidents et événements.

[101] Dans son témoignage, la plaignante a indiqué avoir eu des désaccords avec la gestionnaire déléguée sur des décisions prises par la gestionnaire déléguée dans le cadre du processus de nomination en cause, notamment relativement au choix du processus et à des nominations intérimaires au poste. La plaignante percevait une animosité à son égard. La gestionnaire déléguée a nié que c’était le cas. Elle a témoigné n’avoir aucun mauvais sentiment à l’égard de la plaignante. Ces perceptions de part et d’autre, en soi, ne sont pas déterminantes. Il en faut plus pour fonder une conclusion d’abus de pouvoir.

[102] À l’époque, comme à l’audience, la plaignante a fait valoir que la décision initiale de la gestionnaire déléguée d’offrir une nomination intérimaire de quatre mois moins un jour à R.M.L. – et non à elle – était teintée de discrimination. Elle aurait exprimé cette opinion, ainsi que son opinion selon laquelle le choix du processus était teinté de discrimination, dans une réunion avec la gestionnaire déléguée. Au cours de cette réunion, la gestionnaire déléguée aurait dit à la plaignante qu’elle semblait frustrée, ce que la plaignante a interprété comme étant une indication d’un préjugé voulant que les femmes de race noire soient plus facilement frustrées.

[103] Je reconnais qu’il existe des préjugés à l’égard des femmes de race noire. Aucune preuve ni ouvrage de doctrine selon lesquels il existe un préjugé voulant que les femmes de race noire soient plus facilement frustrées, qui est d’une telle notoriété publique que je puisse en prendre connaissance d’office, ne m’a été présenté à l’audience. Cependant, pour les fins de la présente décision, j’accepte, sans toutefois décider, que les préjugés à l’égard des femmes de race noire puissent inclure un préjugé voulant qu’elles soient plus facilement frustrées.

[104] Il ressort du témoignage de la plaignante qu’elle était effectivement frustrée lors de la conversation au cours de laquelle la gestionnaire déléguée aurait fait le commentaire en question. La gestionnaire déléguée a reconnu avoir fait le commentaire, mais nie que le commentaire était le reflet d’un préjugé de sa part. Une tierce personne était présente lors de cet échange verbal entre elles et aurait vraisemblablement pu m’éclairer davantage à ce sujet. Toutefois, la plaignante n’a pas appelé cette personne afin de collaborer son témoignage voulant que le commentaire soit teinté de préjudices et non une simple constatation de la part de la gestionnaire déléguée de l’état émotionnel de son interlocutrice.

[105] Dans son témoignage, la plaignante a expliqué sa croyance voulant que R.M.L. avait agi comme référence pour la gestionnaire déléguée et que cette dernière cherchait à le récompenser en lui offrant une nomination intérimaire. Cette croyance est basée sur du ouï-dire. La plaignante n’a présenté aucune preuve concrète à l’appui de cette allégation, que la gestionnaire déléguée a niée. La plaignante n’a pas appelé R.M.L. à titre de témoin. De plus, la gestionnaire déléguée a expliqué qu’elle avait initialement offert la nomination intérimaire à R.M.L. parce qu’il était le seul qui avait exprimé un intérêt pour le poste. Lorsque la plaignante a fait valoir son intérêt pour le poste, la gestionnaire déléguée a réagi et a modifié ses plans de façon à offrir des nominations intérimaires de durées égales à la plaignante et à R.M.L.

[106] Alors que le processus de nomination était en cours, la plaignante a également exprimé son désaccord relativement à la décision de la gestionnaire déléguée de prolonger l’intérimaire de R.M.L. À l’audience, la plaignante a indiqué croire que la gestionnaire déléguée avait voulu prolonger l’intérimaire de R.M.L. pour la priver d’acquérir une expérience accrue et pour donner à R.M.L. un avantage dans le processus de nomination. La plaignante a également fait valoir que la décision de la gestionnaire déléguée d’abandonner son plan de prolonger la nomination intérimaire de R.M.L. et d’offrir un intérimaire à une troisième personne après que la plaignante avait soulevé une allégation de discrimination était également teintée de discrimination. Aucune preuve ne m’a été présentée à l’appui de ces allégations, que la gestionnaire déléguée a niées.

[107] La gestionnaire déléguée a témoigné quant aux besoins opérationnels qui l’avaient initialement portée à vouloir prolonger la nomination intérimaire de R.M.L. À l’audience, elle a expliqué que, dès que la plaignante a soulevé une objection quant à cette façon de faire, elle a réagi et a modifié ses plans de façon à offrir une nomination intérimaire à une autre personne, soit un FI-03 provenant d’une autre équipe. La plaignante a indiqué que la gestionnaire déléguée avait offert la nomination intérimaire à cette tierce personne en raison du fait qu’il s’agissait d’une personne de race noire et que procéder ainsi pouvait masquer la discrimination à l’égard de la plaignante. Aucune preuve ne m’a été présentée à l’appui de cette allégation, que la gestionnaire déléguée a niée. La gestionnaire a expliqué qu’elle avait offert une nomination intérimaire à cette tierce personne pour éviter de créer une perception qu’elle favorisait la plaignante ou R.M.L. en offrant à l’un ou à l’autre une nomination intérimaire d’une plus longue durée. Je n’ai aucune raison de douter de la véracité du témoignage de la gestionnaire déléguée à ce sujet.

[108] À l’époque, comme à l’audience, la plaignante a également indiqué avoir eu un désaccord avec la gestionnaire déléguée relativement à une tâche qu’elle devait effectuer, une discussion qui s’est terminée lorsque la gestionnaire déléguée lui aurait dit qu’elle n’avait plus le goût de lui parler.

[109] Je reconnais qu’il peut être surprenant et même choquant pour un employé d’entendre sa gestionnaire lui dire qu’elle n’a plus le goût de lui parler. Toutefois, ce commentaire doit être examiné dans son contexte, plus précisément dans le contexte d’une très longue conversation sur une divergence d’opinions quant à la façon dont la plaignante devrait effectuer une tâche, un sujet pour lequel la gestionnaire déléguée avait le pouvoir décisionnel final. Il m’est impossible de conclure, sans plus, que ce commentaire peut fonder une conclusion de discrimination ayant teinté l’évaluation de la candidature de la plaignante.

[110] Il était manifeste, à la lumière du témoignage de la plaignante, qu’elle croyait être pressentie pour le poste. Elle s’attendait à être promue au poste par le biais d’une nomination non annoncée. Lorsqu’elle a appris que l’intimé procédait à un processus annoncé, elle a eu – et a toujours – la nette impression qu’elle n’était pas appréciée par la gestion de l’École et que son travail n’était pas valorisé. Son échec à l’examen écrit et, par conséquent, son exclusion du processus de nomination ont eu un impact sur sa santé et son bien-être. Les émotions qu’elle éprouvait en relatant sa preuve étaient palpables.

[111] Sur ce dernier thème, les émotions de la plaignante étaient particulièrement vives lorsqu’elle décrivait ce qu’elle a caractérisé comme étant des mesures de représailles après avoir exprimé son opinion selon laquelle elle aurait fait l’objet de discrimination, entre autres son exclusion de réunions, un reproche relatif à son rendement et un refus de l’approbation requise pour participer à une formation à l’intention d’aspirants gestionnaires.

[112] En vertu de l’article 80 de la LEFP, la Commission peut interpréter et appliquer la LCDP lorsqu’elle analyse une plainte d’abus de pouvoir. Comme il est indiqué dans Abi-Mansour c. le sous-ministre des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, 2013 TDFP 6, au par. 151, « [...] une preuve de représailles pourrait s’avérer pertinente dans le contexte d’une plainte d’abus de pouvoir présentée en vertu de la LEFP ». Malheureusement, la preuve présentée par la plaignante lors de l’audience est insuffisante pour me permettre de conclure à la présence de représailles pour avoir exprimé son intention de déposer une plainte alléguant la discrimination.

[113] La plaignante n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que l’évaluation de sa candidature était teintée de discrimination ou que l’intimé aurait autrement abusé de son pouvoir dans l’évaluation du mérite.

C. Conclusion

[114] Comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué dans Bombardier, l’utilisation de l’expression « discrimination prima facie » ne constitue pas, et ne doit pas être assimilée à un allègement de l’obligation de la plaignante de convaincre la Commission, selon la norme de la prépondérance des probabilités, qu’elle a fait l’objet de discrimination dans le cadre du processus de nomination en cause (voir Bombardier, au par. 65). Une preuve prima facie de discrimination exige plus que la croyance de la plaignante sans qu’il y ait quelque chose sur quoi elle puisse être fondée (voir Abi-Mansour c. Sous-ministre de la Justice, 2021 CRTESPF 16, au par. 101). Malheureusement, la preuve que la plaignante a présentée à l’appui de ses allégations était majoritairement son témoignage quant à ses croyances et impressions.

[115] Malgré la sympathie que j’éprouve pour la plaignante qui s’est sentie exclue du processus de nomination en cause en raison du fait qu’elle est une femme de race noire, la preuve qui m’a été présentée à l’audience est insuffisante pour me permettre de tirer une conclusion voulant que le choix du processus ou l’évaluation de la candidature de la plaignante soient teintés d’un abus de pouvoir, plus précisément de discrimination.

[116] Malgré la nette impression de la plaignante voulant qu’elle ait fait l’objet de discrimination dans le cadre du processus de nomination en cause, la preuve pour appuyer cette impression était nettement insuffisante. Je n’ai pas décelé, dans la preuve qui m’a été présentée par la plaignante lors de l’audience, d’indices – aussi subtils soient-ils – de discrimination dans le cadre du processus de nomination. Je tiens toutefois à préciser que cela ne veut pas dire que la plaignante n’aurait pas fait l’objet de discrimination dans d’autres contextes en milieu de travail – ce qui ne fait pas l’objet de la présente plainte et ce sur quoi je ne me prononcerai pas.

[117] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[118] La plainte est rejetée.

Le 12 août 2024.

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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