Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
Le plaignant a présenté une plainte alléguant que l’intimé avait abusé de son pouvoir en ce qui concerne le choix du processus et l’application du principe de mérite – le poste a été pourvu pour une période indéterminée à la suite d’un processus initié par un avis d’intérêt pour une durée déterminée de 10 mois – le plaignant a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir en choisissant un processus non annoncé pour la nomination pour une période indéterminée, et que ce processus était dysfonctionnel et camouflait le fait que le plaignant avait été pris en considération – la Commission a conclu que l’intimé avait expliqué le contexte entourant le processus : il y avait un besoin opérationnel réel de doter ce poste le plus rapidement possible – les autres allégations n’étaient pas étayées par la preuve – le plaignant a allégué que l’intimé avait mal évalué ses qualifications et avait fait preuve de partialité parce qu’il occupait des fonctions syndicales et avait des opinion divergentes de celles de l’intimé – la Commission a conclu que ces allégations n’étaient pas supportées par la preuve – la Commission a conclu qu’il n’y avait pas de crainte raisonnable de partialité – le plaignant a soutenu que le rehaussement des qualifications pour la nomination indéterminée avait rendu le processus inéquitable et non transparent – la Commission a conclu que le rehaussement n’avait pas pour objectif de l’écarter ou de favoriser la candidature d’une personne.
Plainte rejetée.
Contenu de la décision
Date: 20240730
Dossier: 771-02-45228
Référence: 2024 CRTESPF 104
des relations de travail et de l’emploi
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ENTRE
Stéphane Goulet
plaignant
et
ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère de la Défense nationale)
Répertorié
Goulet c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale)
Devant : Adrian Bieniasiewicz, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le plaignant : Louis Bisson, Union des employés de la Défense nationale
Pour l’intimé : Geneviève Brunet-Baldwin, avocate
Pour la Commission de la fonction publique : Maude Bissonnette Trudeau, analyste principale
MOTIFS DE DÉCISION
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I. Plainte devant la Commission
[1] Stéphane Goulet (le « plaignant »), a déposé une plainte contre l’administrateur général du ministère de la Défense nationale (l’« intimé » ou MDN) en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP). Il allègue que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite ainsi que dans le choix d’un processus non annoncé (le « processus de nomination ») pour doter le poste de chef d’équipe mécanique (le « poste »), au groupe et au niveau GL-VHE-11 (C3), au sein du Programme production systèmes d’armes (le « Programme SA »). Le poste a été pourvu pour une période indéterminée à la suite d’un processus initié par un avis d’intérêt, visant initialement à pourvoir le poste pour une durée déterminée de 10 mois.
[2] Plus précisément, le plaignant fait valoir que l’intimé a mal évalué sa candidature et a fait preuve de partialité à son égard lors de son évaluation parce qu’il occupe des fonctions syndicales et a des opinions divergentes de celles de l’intimé. Le plaignant ajoute qu’il a été victime de discrimination en raison de ses fonctions syndicales et de son appartenance au groupe professionnel GL-MAM (sous-groupe Entretien de machines au sein du groupe Manœuvres et hommes de métier). Pour terminer, le plaignant allègue que l’intimé a abusé de son pouvoir en choisissant un processus non annoncé, car le processus de nomination était dysfonctionnel et visait à « camoufler le fait » que le plaignant avait été pris en considération ou qu’il avait été évalué dans le processus.
[3] Au début de l’audience, le plaignant a retiré son allégation selon laquelle il avait été victime de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite prévu dans la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6). Il a aussi retiré l’allégation selon laquelle le MDN n’aurait pas rempli ses obligations en vertu de l’article 13 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (DORS/2005-334).
[4] La Commission de la fonction publique n’a pas participé à l’audience et ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de la plainte. Elle a toutefois déposé des observations générales et spécifiques à la Politique de nomination de la Commission de la fonction publique.
[5] Pour les motifs qui suivent, j’estime que la plainte est non fondée.
II. Résumé de la preuve
A. Pour le plaignant
[6] Le plaignant a été le seul témoin à être cité au soutien de sa plainte. Il a commencé sa carrière au sein du MDN en 2010. Depuis ce temps, il occupe le poste de technicien en intégration de systèmes d’armement, dans l’atelier Hydraulique, au 202e Dépôt d’ateliers, dans l’est de Montréal, au groupe et au niveau GL-MAM-10. Il est le président de la section locale 10526 de l’Union des employés de la Défense nationale depuis l’automne 2021, après avoir occupé ce poste par intérim depuis 2019.
[7] Le 13 mai 2021, l’intimé a diffusé un avis d’intérêt à tous les employés au 202e Dépôt d’ateliers pour pourvoir, sur une base intérimaire de 10 mois, le poste de chef d’équipe mécanique classé GL-VHE-11 (C3) (sous-groupe Entretien de véhicules et de matériel lourd au sein du groupe Manœuvres et hommes de métier). Ce poste se trouve au sein de l’atelier Véhicule, dans le Programme SA. L’avis d’intérêt était accompagné d’un énoncé des critères de mérite (ECM). Les personnes intéressées devaient soumettre une lettre de présentation d’une page, accompagnée d’un curriculum vitae (CV) ne dépassant pas deux pages pour démontrer qu’elles satisfont aux critères de mérite. Le plaignant a soumis un CV qui dépassait la limite permise du nombre de pages. L’intimé l’a autorisé à soumettre de nouveau un CV ne dépassant pas deux pages.
[8] Le comité de sélection était composé de Stéphan Ipperciel, chef adjoint du Programme SA, de l’adjudant-maître Martin Larochelle et d’Alexandra Cipolla, une représentante des Ressources humaines. La major Erin Stuber, chef du Programme SA, était également impliquée dans le processus de nomination faisant l’objet de la présente plainte. Le 2 juin 2021, M. Ipperciel a informé le plaignant, par courriel, que le comité de sélection avait retenu seulement trois candidats pour l’entrevue, et que le plaignant n’en faisait pas partie. Il a invité le plaignant à communiquer avec lui pour demander une rétroaction, c’est ce que le plaignant a fait.
[9] La discussion informelle s’est déroulée par téléphone, malgré que le plaignant avait souhaité qu’elle se tienne en personne. Durant cette discussion, le plaignant était accompagné d’un représentant syndical de son choix. M. Ipperciel était accompagné d’une employée des Ressources humaines. M. Ipperciel lui a expliqué que sa candidature n’avait pas été retenue en raison de son manque d’expérience en mécanique et lui aurait dit que ce qu’il faisait au 202e Dépôt d’ateliers n’était pas de la mécanique. En réponse, le plaignant lui a parlé de son expérience de travail depuis sa formation, lui a rappelé qu’il avait une formation en entretien d’aéronefs et qu’il avait fait de la mécanique sur les avions et les hélicoptères. Il a précisé que depuis son embauche avec le MDN en 2010, il travaillait sur des véhicules blindés, et notamment sur leurs composantes. Il a parlé de différents aspects de son travail en comparaison au travail des mécaniciens du groupe GL-VHE. Le plaignant a passé en revue les qualifications dans l’ECM pour démontrer à M. Ipperciel qu’il satisfaisait à tous les critères. Selon le plaignant, les employés du groupe GL-MAM effectuent un travail similaire aux employés du groupe GL-VHE. Malgré ses explications, M. Ipperciel a maintenu sa décision.
[10] Le plaignant s’est dit outré de l’explication reçue et a demandé que la décision de l’éliminer du processus soit révisée. Selon lui, il faisait depuis 23 ans « [...] de la mécanique en continue sur différents produits et véhicules ». Il estime que les personnes impliquées dans l’évaluation de sa candidature n’ont pas retenu sa candidature en raison de ses fonctions syndicales, de ses opinions et parce qu’il ne fait pas partie du groupe professionnel GL-VHE.
[11] Au soutien de son allégation, le plaignant a témoigné que le syndicat et le MDN ont des opinions divergentes sur un nombre de sujets. Une des fonctions du syndicat est de dénoncer les injustices en milieu de travail. Les représentants syndicaux ont tendance à adopter une approche plus rigide avec le MDN, surtout dans le cadre d’un processus formel, comme celui d’un grief. Comme représentant syndical, le plaignant devait notamment représenter ses membres aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement des griefs. Un grief au premier palier est normalement présenté devant un ou une major; celui au deuxième palier est présenté devant un commandant ou une commandante. Les tables de concertation patronale-syndicale se tiennent également en présence du commandant. Étant donné ses fonctions, le plaignant a eu un lien direct avec le commandant.
[12] En ce qui concerne ses interactions avec la major Stuber, le fait qu’elle soit unilingue anglophone pouvait occasionner des tensions. En effet, la majorité des employés au 202e Dépôt d’ateliers sont francophones et c’est important qu’ils soient bien compris en français, notamment lors d’une présentation de grief. Le plaignant a témoigné qu’en tant que coprésident du Comité de santé et de sécurité au travail (le « Comité de SST »), il a travaillé étroitement avec la major Stuber en pleine période de la pandémie de la COVID-19 pour mettre en œuvre diverses mesures sanitaires et protocoles recommandés par l’Agence de la santé publique du Canada. En général, le plaignant et la major Stuber trouvaient une façon de s’entendre sur ces enjeux. Cependant, la mise en place et l’interprétation de nouvelles normes sanitaires pouvaient donner lieu à des conflits. Plusieurs griefs ont été déposés notamment en lien avec la vaccination obligatoire. Cela étant dit, le plaignant n’a pas déposé de grief en son nom pour contester ces mesures ou contre la major Stuber.
[13] En ce qui concerne ses interactions avec le colonel Christopher Moyle, à tous les moments pertinents commandant du 202e Dépôt d’ateliers, le plaignant les a qualifiées de conviviales, dans le cadre de discussions informelles. Toutefois, selon le plaignant, le colonel Moyle pouvait faire preuve de rigidité et être « à cheval sur certains principes » dans des contextes plus formels, en présence d’autres personnes. Le plaignant a précisé qu’il avait déposé une plainte de pratique déloyale en 2019 contre le colonel Joseph Raynald Yan Poirier, qui a précédé le colonel Moyle. Selon le plaignant, le colonel Poirier en aurait informé son successeur. Le plaignant a également témoigné d’une situation d’ingérence de la part du colonel Moyle. Plus précisément, ce dernier aurait demandé que le permis de conduire fédéral du plaignant lui soit retiré bien que la police militaire ait conclu qu’il n’était pas impliqué dans l’accident avec un véhicule sur la garnison. En raison de cette ingérence, le plaignant n’a pas de permis de conduire fédéral depuis l’été 2021.
[14] Le plaignant a confirmé qu’il n’avait pas eu de conflits avec l’adjudant-maître Larochelle.
[15] Quant à M. Ipperciel, il n’était pas un gestionnaire au niveau de la représentation des griefs. Par conséquent, le plaignant n’avait pas vraiment à interagir avec lui dans le cadre de ses fonctions syndicales. Toutefois, au moment des faits pertinents, M. Ipperciel siégeait au Comité de SST en tant que représentant de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada tout en occupant un poste de haute gestion. Cette situation a donné lieu à quelques conflits autour de la table concernant la prise de décisions par M. Ipperciel.
[16] Lors du contre-interrogatoire, le plaignant a clarifié qu’au cours de la période de la pandémie de la COVID-19, il avait des réunions hebdomadaires avec la major Stuber dans le cadre de ses fonctions syndicales. Ses rencontres avec le colonel Moyle avaient lieu principalement lors des réunions trimestrielles de l’unité patronale-syndicale. En dehors de ces réunions, il le rencontrait une fois par mois environ pour discuter d’autres sujets. Le plaignant a déposé environ une quinzaine de griefs au nom d’autres employés pour contester certaines mesures sanitaires. Le fait que certains employés ne voulaient pas se conformer aux mesures sanitaires créait des problèmes tant pour la partie patronale que pour la partie syndicale.
[17] Le plaignant a confirmé que les trois personnes qui avaient été retenues pour l’intérim étaient des francophones. Il a admis que la major Stuber, si elle avait des questions préparées à l’avance, était capable de s’exprimer et de lire en français dans le cadre d’une audience de grief. Toutefois, elle n’était pas en mesure de tenir un dialogue de façon continue. Le plaignant a confirmé que ni la major Stuber ni le colonel Moyle ne l’avaient obligé ou ses membres à s’exprimer dans leur langue seconde. De plus, le plaignant n’a pas nié que le poste faisant l’objet du processus de nomination était un poste syndiqué.
[18] Enfin, le plaignant a confirmé que lors de la rencontre informelle, M. Ipperciel lui avait offert de faire des remplacements du côté mécanique GL-VHE dans le but de l’aider à améliorer son expérience en mécanique. Le plaignant n’y voyait toutefois pas la pertinence, considérant les similarités entre les deux classifications. Néanmoins, M. Ipperciel n’a rien fait par la suite en ce qui a trait à cette proposition et le plaignant n’y a pas donné suite.
B. Pour l’intimé
[19] L’intimé a appelé deux témoins : M. Ipperciel et la major Stuber. M. Ipperciel est un employé civil. Depuis 2015, il occupe le poste de chef du groupe de gestion de projets et approvisionnement. Il est aussi chef adjoint de tout le Programme SA et bras droit du major qui gère le programme, en l’occurrence la major Stuber. Il est responsable de la production sur le plancher.
[20] Il y a quatre programmes au 202e Dépôt d’ateliers, dont deux programmes de production, à savoir le Programme SA et le Programme fabrication, communication, électronique (le « Programme FCE »). Chaque programme de production est dirigé par un ou une major.
[21] Le Programme SA comprend deux ateliers distincts, à savoir l’atelier Véhicule et l’atelier Auxiliaires. Chaque atelier a des chefs d’équipe. Le Programme SA est composé d’une dizaine de corps de métiers, le principal étant celui des mécaniciens du groupe GL-VHE. Ces derniers font de la « grosse mécanique » sur des véhicules lourds qui peuvent aller jusqu’à 1 500 chevaux-vapeurs. Ils font de la réfection des chars d’assaut, des véhicules logistiques blindés, des véhicules de troupes, des véhicules de soutien, etc. Les employés du Programme SA sont responsables de l’intégration des systèmes d’armes dans les véhicules. La portion hydraulique sur ces véhicules est faite par les employés du groupe GL-MAM, du Programme FCE. Il n’y a pas d’employés du groupe GL-MAM au sein du Programme SA. Au moment des faits pertinents, la major Stuber était responsable du Programme SA. Elle se rapportait au colonel Moyle; il était le commandant en poste.
[22] En revanche, les employés du Programme FCE sont responsables de la réparation de tout ce qui est fait de métal, de l’installation et de la réparation des systèmes de communication à l’intérieur des véhicules et des systèmes de contrôle d’armes. Une grosse partie du travail des employés du groupe GL-MAM consiste à faire de l’hydraulique. C’est leur spécialité. Ils font beaucoup de vérifications et de validations de tout ce qui englobe les systèmes hydrauliques. En ce qui concerne l’armement, ils s’occupent surtout de l’hydraulique, quoiqu’il y a un peu de mécanique (ex. des pistons, un système de contrôle, etc.). En somme, la mécanique n’est pas leur « priorité ». Le groupe GL-MAM est composé d’un mélange de militaires et de civils.
[23] Le plaignant ne se rapportait pas à M. Ipperciel. Il relevait du chef du Programme FCE. Selon M. Ipperciel, ses interactions avec le plaignant étaient toujours bonnes. Ils préparaient ensemble leurs stratégies avant les comités patronaux-syndicaux. Il n’a pas noté quoi que ce soit de particulier en ce qui a trait à ses interactions avec le plaignant lors des rencontres patronales-syndicales ou à l’extérieur de ces rencontres. Ils étaient là pour représenter leurs membres face au commandant. Cela étant dit, lorsque M. Ipperciel rencontrait le plaignant ou d’autres membres du syndicat, il devait clarifier son rôle (chef adjoint du Programme SA ou représentant syndical). Il fallait « délimiter un peu la ligne ».
[24] Le poste de chef d’équipe pour lequel le plaignant a postulé se trouve dans le Programme SA, atelier Véhicule. Cet atelier a un chef d’atelier et des chefs d’équipe. Le chef d’équipe au niveau C3 peut être responsable de 20 employés au maximum. Celui au niveau C4 peut avoir jusqu’à 40 employés sous sa supervision. Les employés qui se rapportent aux chefs d’équipe dans le Programme SA sont des mécaniciens du groupe GL-VHE. Le processus de nomination a été lancé pour combler le poste de chef d’équipe au niveau C3.
[25] En effet, le titulaire du poste de chef d’équipe pour lequel le plaignant a postulé était en congé pour des raisons de santé depuis un certain temps. Différents employés l’ont remplacé sur une base intérimaire de quatre mois moins un jour pendant un an et demi environ. Cette situation engendrait un climat d’instabilité au sein de l’équipe, étant donné que le chef d’équipe occupe une position clé en tant que première ligne de supervision. Il était important d’avoir un bon chef et un bon superviseur pour repartir les équipes de production. Il y avait un besoin de doter le poste le plus rapidement possible car les projets commençaient à arriver très rapidement.
[26] En mai 2021, l’intimé a été informé que le titulaire du poste de chef d’équipe en question était « tombé sur la Sun Life » et qu’il serait en congé pendant une période estimée entre un et deux ans. De plus, cet employé aurait notifié l’intimé qu’à la fin de cette période, il ne reprendrait pas ses fonctions. C’est dans ce contexte que l’avis d’intérêt a été envoyé à tous les employés du 202e Dépôt d’ateliers. L’objectif ultime était de combler le poste GL-VHE-11 (C3) de façon indéterminée. Toutefois, afin de s’assurer d’avoir la bonne personne pour ce poste, l’intimé voulait tout d’abord offrir un intérim de 10 mois. Cette façon de procéder visait à donner à l’intimé l’occasion d’évaluer le rendement de l’employé dans le rôle de chef d’équipe, tout en offrant à l’employé la possibilité de déterminer si ce travail lui convient.
[27] L’intimé savait qu’il avait la capacité à l’interne pour doter ce poste. Selon M. Ipperciel, il s’agissait d’un processus non annoncé, qui se voulait être transparent. Puisque plus d’employés que prévu avaient manifesté de l’intérêt pour ce poste, la gestion avait décidé de ne plus limiter la possibilité à un seul candidat.
[28] M. Ipperciel confirme avoir reçu le CV du plaignant. Il comptait 10 pages, soit 8 pages de plus que ce qui était permis. Au lieu de rejeter sa candidature, on lui a permis de soumettre de nouveau son CV en respectant la limite de deux pages.
[29] M. Ipperciel a confirmé que le comité de sélection était composé de l’adjudant‐maître Larochelle, de Mme Cipolla et de lui-même. En invitant Mme Cipolla à siéger au comité, il voulait s’assurer que le choix des candidats était le plus objectif possible. Les candidats ont été évalués sur la base de leur lettre de présentation et de leur CV. Les résultats de l’évaluation ont été consignés dans un tableau (le « tableau »).
[30] Seuls les candidats classés parmi les trois premiers ont été invités à l’entrevue, soit Alexandre Bélanger, Mathieu Fecteau (la « personne nommée ») et Jacques Brousseau. L’intimé a choisi d’offrir deux intérimaires de quatre mois moins un jour aux deux premiers candidats, soit M. Bélanger et M. Fecteau. Le troisième candidat, M. Brousseau, a été maintenu en tant que substitut. Ce dernier avait déjà remplacé le chef d’équipe en question dans le passé. L’intimé n’a pas eu besoin de l’évaluer.
[31] Le plaignant s’est placé en quatrième position sur sept. En somme, le comité de sélection avait déterminé que, quoique le plaignant avait de l’expérience en mécanique et en supervision, les trois premiers candidats possédaient une expérience en supervision et dans le domaine du véhicule plus continue et plus pertinente.
[32] M. Ipperciel a témoigné qu’il était important que les candidats aient au moins entre deux à trois ans d’expérience en mécanique du véhicule. Le plaignant avait de l’expérience au niveau de la mécanique similaire à celle qui était recherchée, toutefois, elle remontait à plus de 11 ans. Il a néanmoins jugé que le plaignant satisfaisait au critère selon lequel le candidat devait avoir de l’expérience en mécanique du véhicule (VHE) de deux ans et plus. D’ailleurs, tous les sept candidats dont le nom figure sur le tableau avaient satisfait à ce critère. Toutefois, les trois candidats retenus pour l’entrevue avaient une expérience plus continue et plus pertinente en supervision et en mécanique que le plaignant.
[33] M. Fecteau était le premier à faire de l’intérimaire. Il faisait de la mécanique automobile depuis 2003. Il a travaillé au 202e Dépôt d’ateliers en mécanique lourde de 2012 à 2014. Il a géré un garage de janvier 2004 à janvier 2011. En 2018, il est retourné travailler comme mécanicien en mécanique lourde au 202e Dépôt d’ateliers. Son expérience tant en mécanique qu’en supervision était plus pertinente que celle du plaignant. Une fois son intérim terminé, M. Bélanger l’a remplacé. Toutefois, après cinq à six semaines dans le poste, il a demandé de se faire retirer. M. Fecteau a été remis dans le poste pour terminer l’intérim. À la fin de l’intérim, son évaluation a été très positive. À la suite des discussions entre les membres du comité de sélection et la major Stuber, il a été décidé de nommer M. Fecteau dans le poste de façon indéterminée.
[34] Lors de la discussion informelle qui a eu lieu par téléphone, le plaignant était accompagné de son représentant syndical; M. Ipperciel ainsi qu’une employée des Ressources humaines prenaient aussi part à la discussion. M. Ipperciel a expliqué au plaignant pourquoi il n’avait pas été retenu pour l’entrevue. Il lui a donné des suggestions visant à l’aider à faire mieux lors d’un prochain processus. Il lui a également offert de faire des intérims en tant que GL-VHE-10, ou même comme analyste mécanique EG-4 pour élargir son expérience, mais le plaignant n’était pas intéressé.
[35] M. Ipperciel a terminé son témoignage en disant qu’il n’avait jamais senti qu’il y avait un conflit ou des problèmes entre lui et le plaignant. Leurs interactions étaient toujours cordiales et professionnelles. Il n’a jamais senti de discorde entre eux et n’a jamais crié après le plaignant. Il se peut qu’ils ne voyaient pas les choses toujours du même œil, mais c’est tout. Le poste pour lequel le plaignant a postulé est syndiqué.
[36] Lors de son contre-interrogatoire, M. Ipperciel a confirmé que les employés du groupe GL-MAM se spécialisent surtout dans la mécanique de l’hydraulique, mais ce n’est pas de la mécanique équivalente à celle que font les employés du groupe GL-VHE. Il y a une certaine complexité à laquelle les GL-MAM ne touchent pas. Les GL-VHE peuvent faire un peu de mécanique d’hydraulique, mais dès que ça devient un peu plus complexe, ils donnent ce travail à leurs experts classés GL-MAM.
[37] Quant à l’ECM joint à l’avis d’intérêt, on voulait le rendre un peu moins exigeant afin de permettre au plus grand nombre d’employés de postuler. M. Ipperciel a confirmé qu’il avait considéré l’expérience en gestion du personnel de M. Fecteau alors qu’il travaillait dans un garage de mécanique entre janvier 2004 et janvier 2011 comme de l’expérience pertinente en supervision. M. Fecteau a d’ailleurs clarifié lors de l’entrevue que, durant cette période, il gérait le garage. D’ailleurs, M. Ipperciel a noté dans le tableau que le plaignant avait aussi de l’expérience en supervision en tant que président du conseil d’administration dans un centre de la petite enfance. Il a considéré également l’expérience du plaignant en mécanique aéronautique. De plus, il a tenu compte de quelques remplacements en supervision que le plaignant a fait entre 2013 et 2019.
[38] M. Ipperciel a confirmé que le plaignant avait satisfait aux critères de mérite pour le poste intérimaire. Toutefois, il n’a pas été invité à l’entrevue car les trois premiers candidats avaient été choisis. Ces derniers avaient une expérience plus continue et plus pertinente en supervision et en mécanique que le plaignant. M. Ipperciel a terminé son témoignage en précisant que, si le plaignant avait été le seul employé à postuler à ce poste, il l’aurait certainement pris en considération.
[39] La major Stuber a témoigné qu’aux moments pertinents, elle était chef du Programme SA au 202e Dépôt d’ateliers. M. Ipperciel lui rendait compte. Il était le deuxième commandant du Programme SA.
[40] L’objectif général du Programme SA est d’effectuer des réparations et des réfections des parcs de véhicules actuels, comme les chars, les camions lourds et les véhicules blindés lourds à roues. Essentiellement, les véhicules seraient démontés à leur châssis, inspectés minutieusement, réparés complètement, puis remontés. Après ce processus, ils sont renvoyés à l’Armée canadienne en vue de leurs activités d’instruction à haut niveau de préparation. Il s’agit d’un travail de mécanique lourde. Le principal groupe professionnel du Programme SA travaillant sur ces projets serait les GL-VHE, étant donné qu’ils effectuent la majorité des tâches liées aux activités de réparation et de réfection. Il y avait environ 80 employés civils et 40 militaires. Le Programme SA comptait quatre à six chefs d’équipe qui supervisaient les équipes.
[41] La major Stuber a confirmé qu’elle connaissait le plaignant avant le processus de nomination dans le contexte de son poste au sein du syndicat. Le plaignant avait siégé au Comité de SST présidé par la major Stuber. Il avait également été représentant syndical et avait régulièrement occupé le poste de coprésident du Comité de SST. Il n’était pas un employé du Programme SA. Il travaillait plutôt dans le Programme FCE, qui appuyait le Programme SA. Dans le cadre du Programme FCE, il y avait des câbleurs, des spécialistes de l’hydraulique et des technologues en armement. Bien que le Programme FCE ait eu ses propres projets, qui recevaient parfois un soutien du Programme SA, ce dernier était le chef de file soutenu par les groupes professionnels au sein du Programme FCE. La major Stuber a confirmé que, lorsqu’elle a commencé à travailler au 202e Dépôt d’ateliers en juillet 2020, des GL-VHE-10 travaillaient au Programme FCE. Cependant, vers janvier 2021, ils ont tous été centralisés dans le cadre du Programme SA.
[42] La major Stuber a témoigné que, selon elle, les employés de la classification GL-MAM sont des spécialistes de l’hydraulique, plutôt que d’avoir une plus vaste expérience quotidienne de l’utilisation des pièces d’équipement de véhicule à grande échelle. D’autre part, les employés du groupe GL-VHE sont essentiellement des techniciens de véhicules. Beaucoup d’entre eux sont des techniciens d’équipement lourd qui connaissent et ont de l’expérience dans la plateforme complète du véhicule, des moteurs au blindage, en passant par les transmissions, etc. Il s’agirait des mécaniciens à grande échelle.
[43] Elle a témoigné que ses interactions avec le plaignant étaient très respectueuses. Elle comprenait qu’il avait un travail à faire en tant que représentant syndical et elle estimait qu’à son tour, il respectait le fait qu’elle représentait la direction et qu’elle avait aussi un travail à faire. Ils acceptaient simplement de ne pas être d’accord sur certaines questions.
[44] Lorsque la major Stuber a commencé au 202e Dépôt d’ateliers en juillet 2020, les employés sont retournés au travail. L’atelier était occupé au moins à 75 %. En raison de la pandémie de la COVID-19, ils ont dû mettre en place des mesures sanitaires, comme l’exigeaient les responsables de la santé publique, telles que le port du masque, la circulation à l’intérieur des bâtiments, les restrictions sur le nombre de personnes dans les toilettes, etc. Cela a provoqué des tensions dans les ateliers. Le plaignant travaillait avec la major Stuber sur ces mesures sanitaires et, ensemble, ils s’assuraient que les employés y adhèrent. Selon la major Stuber, ses interactions avec le plaignant ont été très respectueuses.
[45] À son arrivée au 202e Dépôt d’ateliers, il y avait un besoin urgent de doter le poste de chef d’équipe de façon permanente. Le titulaire était en congé de maladie depuis 2019, ce qui a amené plusieurs employés à assumer des rôles intérimaires par rotation. Les escalades en Europe ont conduit à un afflux de tâches imprévues et de dernière minute. Conjuguée à la responsabilité supplémentaire de gérer les exigences en matière de mesures sanitaires, cette situation a imposé une charge de travail accrue aux gestionnaires. C’est sur cette base que la major Stuber a pris la décision de doter le poste de chef d’équipe afin d’apporter de la stabilité à l’équipe. Pour ce faire, un avis d’intérêt a été publié en mai 2021 à l’intention de tous les employés du 202e Dépôt d’ateliers. Pour s’assurer d’avoir le meilleur candidat et la bonne personne pour le poste, il a été décidé de procéder à un processus annoncé à l’interne, plutôt qu’à une annonce complète dans l’ensemble de la fonction publique. La direction voulait doter le poste rapidement avec le bon candidat. Elle estimait qu’il y avait de bons candidats au 202e Dépôt d’ateliers qui n’auraient pas besoin de formation supplémentaire. La direction voulait aussi offrir des possibilités de promotion à l’interne.
[46] Au départ, l’intention était d’offrir un poste intérimaire de 10 mois à une seule personne. Cependant, étant donné que plusieurs candidats ayant une bonne expérience avaient postulé, la direction a voulu donner à plus d’une personne la possibilité de tester le poste et, par la même occasion, lui permettre de choisir la bonne personne pour le poste. Les deux candidats qui ont été retenus pour des opportunités intérimaires étaient M. Bélanger et M. Fecteau. Ils travaillaient tous deux comme GL‐VHE-10 dans le cadre du Programme SA. M. Brousseau, également GL-VHE-10, avait déjà eu l’occasion d’occuper ce poste par intérim pendant plusieurs mois avant l’affichage de l’avis d’intérêt. Étant donné que la direction avait déjà eu l’occasion de l’évaluer, il a été inscrit sur la liste à titre de remplaçant.
[47] Pour être pris en considération pour le poste intérimaire, les candidats devaient démontrer qu’ils avaient de l’expérience dans la supervision du personnel et qu’ils avaient au moins deux ans d’expérience dans la réparation, la réfection, la modification, la fabrication ou la finition de l’équipement ou de systèmes véhiculaires. Contrairement à l’ECM pour le poste pour une période indéterminée, l’expérience « récente » et « significative » était facultative pour le poste intérimaire. La direction ne voulait pas décourager les employés de postuler en fonction de leur auto-évaluation de l’expérience et voulait permettre aux employés de montrer ce qu’ils avaient en termes d’expérience.
[48] Le comité de sélection a classé les candidats en fonction de leur lettre de présentation et de leur CV et a décidé de ne faire passer une entrevue qu’aux trois meilleurs candidats. Le plaignant s’est classé au 4e rang en fonction du cumul des points. En tant qu’employé au sein du groupe GL-MAM, le plaignant n’avait pas les connaissances ou l’expérience mécanique à grande échelle d’un système de véhicule complet que la direction souhaiterait voir chez un chef d’équipe du Programme SA. Compte tenu de la nature des projets du Programme SA, la direction devait s’assurer que le candidat retenu avait de l’expérience avec des véhicules plus grands et des projets d’intégration plus importants pour lui permettre de planifier et de gérer adéquatement les projets réguliers ainsi que les tâches opérationnelles urgentes avec des délais plus courts, et de gérer efficacement le flux de travail.
[49] À la fin des périodes intérimaires, le comité de sélection a jugé que M. Fecteau avait fait un excellent travail et qu’il était la bonne personne pour le poste. La major Stuber a préparé une justification à l’appui de sa nomination pour une période indéterminée. M. Fecteau a satisfait à toutes les exigences énumérées dans l’ECM et a été nommé au poste de chef d’équipe mécanique (GL-VHE-11 (C3)) pour une période indéterminée. Le colonel Moyle n’a pas du tout intervenu dans le processus de nomination. Sa seule participation a consisté à approuver le financement des salaires et de la lettre d’offre.
[50] En contre-interrogatoire, la major Stuber a témoigné que pendant la séance d’information de cinq jours sur la passation de pouvoir qu’elle a reçue à son arrivée au 202e Dépôt d’ateliers, elle n’avait été mise au courant d’aucune plainte de pratique déloyale de travail ni d’aucun grief en matière de relations de travail que le plaignant avait personnellement déposé contre l’organisation. Il est plausible qu’elle en ait pris connaissance plus tard, lors de discussions de routine.
[51] La major Stuber a confirmé que le travail antérieur du plaignant sur des aéronefs, des hélicoptères ou concernant la maintenance d’avions lui permettait de satisfaire à l’exigence de l’expérience de deux ans ou plus en mécanique pour la nomination intérimaire. Elle n’a pas contesté que le plaignant avait une certaine expérience en supervision, comme l’indique le tableau. Elle a ajouté que le tableau avait été rempli en fonction des renseignements fournis dans les lettres de présentation et les CV des candidats ou de leur profil (c.-à-d. cote de sécurité, langue, etc.). Chaque membre du comité de sélection a examiné individuellement les documents soumis par les candidats avant d’en discuter avec les autres membres. Ils voulaient s’assurer que l’expérience soit interprétée de la même façon par tous les membres du comité. Ils ont évalué le plaignant en se basant sur son CV, dans lequel il mentionne son expérience de travail, ses diplômes et son expérience quotidienne. La major Stuber a pris en compte tous ces éléments. Cependant, le plaignant n’avait pas l’expérience plus vaste que la direction recherchait (c.-à-d. la réparation et la réfection globales des véhicules par opposition à la partie spécifique de l’hydraulique).
[52] La major Stuber a reconnu que les qualifications obligatoires indiquées dans l’ECM pour le poste intérimaire n’étaient pas limitées au groupe GL-VHE. Le plaignant possédait toutes les qualifications essentielles, comme le montre le tableau. Les qualifications constituant un atout ont également été prises en compte dans le classement des candidats.
[53] Lors du réinterrogatoire, la major Stuber a témoigné qu’elle ne croyait pas que le plaignant avait joint une lettre de présentation avec son CV, comme le demandait l’avis d’intérêt.
III. Motifs
[54] Dans leurs observations finales, les parties ont soumis que la nomination pour une période indéterminée de M. Fecteau en juillet 2022 avait été faite suivant le processus qui avait commencé en mai 2021 avec la diffusion de l’avis d’intérêt. Selon elles, cette trame factuelle doit être vue comme un seul et même continuum. Le plaignant concède qu’il n’y a pas de preuve que la personne nommée au poste ne satisfait pas au mérite.
A. Abus de pouvoir
[55] Selon le paragraphe 2(4) de la LEFP, l’abus de pouvoir comprend notamment la mauvaise foi et le favoritisme personnel. Le législateur n’avait pas l’intention d’imposer une définition statique de la notion d’abus de pouvoir (voir Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, aux paragraphes 33 à 35).
[56] Pour établir qu’il y a eu abus de pouvoir, la partie plaignante doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y eu un acte répréhensible grave ou une faute majeure dans le processus de nomination. Une simple erreur, omission ou conduite irrégulière ne justifiera pas l’intervention de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). L’allégation d’abus de pouvoir est sérieuse; elle ne doit pas être prise à la légère (voir Portree c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14, au par. 47 et Langlois c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2023 CRTESPF 24, au par. 32). Il n’est pas nécessaire que l’acte soit intentionnel (voir Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, aux paragraphes 73 et 74).
B. L’intimé n’a pas abusé de son pouvoir quant au choix du processus
[57] Le plaignant allègue que l’intimé a abusé de son pouvoir en choisissant un processus non annoncé, car ce dernier était dysfonctionnel et avait pour but de « camoufler le fait » que le plaignant avait été pris en considération ou qu’il avait été évalué dans le processus.
[58] L’intimé ou le gestionnaire délégué a un pouvoir discrétionnaire étendu, bien que non absolu, de choisir entre un processus annoncé et non annoncé pour doter un poste (voir l’art. 33 de la LEFP). La LEFP ne privilégie pas un processus par rapport à l’autre et ne précise pas non plus les facteurs qui peuvent être pris en considération dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. L’intimé est le mieux placé pour décider lequel parmi ces deux processus est le mieux adapté pour satisfaire aux besoins opérationnels. Le choix du processus doit toutefois être exercé conformément à l’objectif législatif de la LEFP et aux pratiques d’emploi équitables et transparentes (voir Beyak c. Sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 7, aux paragraphes 119 à 121). Il ne doit pas reposer sur un motif illégitime ou être entaché notamment de mauvaise foi ou de favoritisme (voir D’Almeida c. Gendarmerie royale du Canada, 2020 CRTESPF 23, au par. 55).
[59] Les parties ne s’entendent pas quant à la nature du processus choisi par l’intimé en mai 2021 (avis d’intérêt), pour doter le poste de chef d’équipe sur une base intérimaire. L’intimé soumet qu’il s’agit d’un processus non annoncé, et ce malgré qu’un de ses propres témoins a déclaré qu’il s’agissait d’un processus annoncé à l’interne. Le plaignant soumet que, dans les faits, il s’agit d’un processus annoncé. Selon le plaignant, l’intimé aurait étiqueté le processus comme non annoncé dans le but de « camoufler » qu’il avait été considéré ou évalué dans le processus. Selon lui, cela constitue un abus de pouvoir.
[60] La LEFP ne précise pas ce qui constitue un processus annoncé. Je suis d’accord avec le plaignant que l’avis d’intérêt diffusé le 13 mai 2021 possède effectivement des caractéristiques d’un processus annoncé. Il a été acheminé par courriel à tous les employés du 202e Dépôt d’ateliers. Joint à l’avis était un ECM. Cela étant dit, le fait que l’avis d’intérêt ait été envoyé exclusivement aux employés en question suffit-il pour qualifier le processus d’annoncé? En l’absence d’observations pertinentes et exhaustives sur cette question, je suis d’avis qu’il est contre-indiqué que je m’y prononce. La question qu’il me faut trancher porte non tant à savoir si le processus choisi était annoncé ou non, considérant que l’intimé avait le pouvoir de procéder avec l’un ou l’autre (voir l’art. 33 de la LEFP et Jack c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2011 TDFP 26, au par. 14). Je dois plutôt me demander si l’intimé a abusé de son pouvoir en ayant recours au processus utilisé, quel qu’il soit (voir De Santis c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2016 CRTEFP 34, aux paragraphes 26 et 30).
[61] L’intimé a expliqué le contexte entourant l’avis d’intérêt, ainsi que son objectif. Le titulaire du poste de chef d’équipe mécanique était en congé depuis 2019. Durant son absence, plusieurs employés l’ont remplacé pendant un an et demi environ, à titre intérimaire, pour une période de quatre mois moins un jour. Cette situation engendrait un climat d’instabilité au sein de l’équipe. Vers le mois de mai 2021, l’intimé a été informé que le titulaire du poste en question allait être en congé pour des raisons de santé pour une période prolongée et que par la suite, il ne croyait plus revenir au travail.
[62] Selon les témoins de l’intimé, les projets commençaient à rentrer très rapidement. Les tensions en Europe ont entraîné un afflux de tâches imprévues et de dernière minute. Combinée à la responsabilité supplémentaire de gérer les exigences en matière de mesures sanitaires, cette situation a entraîné une augmentation de la charge de travail des gestionnaires. Il était devenu nécessaire de doter ce poste rapidement afin de mobiliser les équipes de production et assigner le travail. L’équipe avait besoin de stabilité. Le chef d’équipe occupe une position clé car il représente la première ligne de supervision. Je suis d’accord avec l’intimé qu’il y avait un besoin opérationnel réel de doter ce poste le plus rapidement possible. Le plaignant n’a présenté aucune preuve à l’effet contraire.
[63] Considérant ce contexte, l’intimé a opté pour un processus qui se voulait être rapide, efficace et transparent. La LEFP permet une telle souplesse (voir Haller c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2022 CRTESPF 100, au par. 70). L’avis d’intérêt a été envoyé à tous les employés du 202e Dépôt d’ateliers. Il contenait de l’information claire notamment quant au poste que l’intimé voulait combler, la nature et la durée de la nomination, ainsi qu’un ECM. Les employés intéressés disposaient d’un peu plus de 10 jours pour présenter leur déclaration d’intérêt. L’intimé a même assoupli l’ECM afin de rendre le processus un peu moins exigeant pour permettre au plus grand nombre d’employés de postuler et démontrer l’expérience qu’ils avaient. En effet, l’exigence d’avoir une expérience récente et significative dans les domaines précisés dans l’ECM était facultative plutôt qu’obligatoire. Le plaignant n’a pas plaidé que ces qualifications essentielles assouplies ne satisfaisaient pas aux normes de qualification établies pour la classification du poste (voir Hutlet c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2023 CRTESPF 73, au par. 87 et Rinn c. Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2007 TDFP 44, au par. 40).
[64] Le plaignant ne prétend pas que le choix du processus l’a empêché de quelque façon que ce soit de soumettre sa déclaration d’intérêt. Même si son CV dépassait de huit pages la limite permise, au lieu de le rejeter, M. Ipperciel lui a permis de le soumettre de nouveau afin de lui donner la chance de participer dans le processus. Sa candidature a été évaluée et, selon le comité de sélection, il satisfaisait aux critères de mérite, tout comme les six autres candidats dont les noms figurent dans le tableau. Il n’a pas été retenu pour l’entrevue, tout comme les trois autres candidats qui se sont placés derrière lui, car son expérience, tant en supervision qu’en mécanique, était moins continue et moins pertinente que celle des trois autres candidats interviewés. Le fait qu’il s’est placé en quatrième position n’a rien à voir avec le choix du processus.
[65] L’intimé a fourni une explication raisonnable et crédible quant à la nécessité de doter le poste avec célérité, peu importe le processus choisi. La LEFP donne aux gestionnaires délégués une marge de manœuvre dont ils ont de besoin pour satisfaire aux besoins opérationnels pressants (voir le préambule de la LEFP). Selon la preuve non contredite, il y avait un besoin réel de doter rapidement le poste de chef d’équipe (voir Chaves c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2008 TDFP 3, aux paragraphes 53 à 56 et Haller, aux paragraphes 68 à 70). Le plaignant n’a pas démontré en quoi l’intimé avait abusé de son pouvoir en demandant aux employés intéressés de soumettre leur déclaration d’intérêt pour combler le poste de chef d’équipe sur une base intérimaire. Or, il en avait le fardeau de la preuve (voir D’Almeida, au par. 57). Les allégations selon lesquelles le processus de nomination était dysfonctionnel et avait pour but de « camoufler le fait » qu’il a été considéré ou évalué dans le processus ne sont pas étayées par la preuve.
C. L’intimé n’a pas abusé de son pouvoir quant à l’application du mérite
[66] L’intimé est responsable d’établir les qualifications essentielles pour le travail à accomplir (voir le par. 30(2) de la LEFP). Ces qualifications doivent satisfaire ou dépasser les normes de qualification que l’intimé a précisées pour le groupe professionnel ou la classification du poste (voir le par. 31(2) de la LEFP; Hutlet, au par. 87; Rinn, au par. 40). Je tiens également à rappeler que les gestionnaires disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable en ce qui concerne le choix des méthodes d’évaluation (voir l’art. 36 de la LEFP et Kavanagh c. Président de Services partagés Canada, 2017 CRTESPF 38, au par. 45).
[67] Je ne suis pas d’accord avec le plaignant que l’intimé a mal évalué ses qualifications ou a fait preuve de partialité à son égard. Ces allégations ne sont pas supportées par la preuve.
[68] Selon l’ECM joint à l’avis d’intérêt, les candidats devaient démontrer qu’ils avaient, notamment ce qui suit :
[...]
· Expérience en supervision de personnel dans un environnement répondant à des normes techniques industrielles.
· Expérience de deux ans dans l’exécution de réparations ou réfection ou modification ou fabrication ou finition d’équipements ou de systèmes véhiculaires.
[...]
[69] Les candidats ont été évalués sur la base de leur lettre de présentation et de leur CV. Cette méthode d’évaluation est permise (voir Kavanagh, aux paragraphes 45 et 46).
[70] Comme je l’ai déjà précisé, le plaignant a satisfait aux qualifications essentielles; la personne nommée aussi. Même si le plaignant avait réussi à démontrer que son expérience était plus solide que celle de la personne nommée, ce qu’il n’a pas fait, cela n’aurait pas eu pour effet d’empêcher l’intimé de nommer dans le poste M. Fecteau. L’intimé a un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer qui est la bonne personne, parmi les candidats qui satisfont aux qualifications essentielles, pour effectuer le travail (voir Visca c. le sous-ministre de la Justice, 2006 TDFP 16, aux paragraphes 26 et 27 et Gabon c. Administrateur général (ministère de l’Environnement), 2022 CRTESPF 86, aux paragraphes 47 à 50). Je rappelle que le plaignant a concédé qu’il n’y avait pas de preuve voulant que la personne nommée ne satisfaisait pas aux qualifications essentielles. En réalité, ce que le plaignant conteste est son classement au quatrième rang. Il est d’avis que son expérience tant en supervision qu’en mécanique était, au moment pertinent, équivalente, sinon supérieure, à celle de la personne nommée. Je ne suis pas d’accord.
[71] Selon la preuve, la personne nommée faisait de la mécanique automobile depuis 2003. De plus, de 2012 à 2014, M. Fecteau a travaillé en mécanique lourde au 202e Dépôt d’ateliers, au sein du groupe GL-VHE. Il a continué à faire de la mécanique automobile dans un garage de 2014 à 2018. En 2018, il est retourné travailler comme mécanicien en mécanique lourde, dans le groupe GL-VHE, au 202e Dépôt d’ateliers. En somme, au moment où il a présenté sa déclaration d’intérêt en mai 2021, il avait approximativement 18 ans d’expérience en mécanique automobile, dont environ 5 années d’expérience en mécanique de véhicules lourds.
[72] Quant au plaignant, son expérience en mécanique similaire à celle que l’intimé recherchait remontait à plus de 11 ans, soit avant qu’il ne soit embauché par le MDN en 2010. Depuis ce temps, le plaignant a travaillé comme technicien en intégration de systèmes d’armement, au sein du groupe GL-MAM, dans l’atelier Hydraulique, au 202e Dépôt d’ateliers. Or, en tant que technicien en intégration de systèmes d’armement, le plaignant faisait de la mécanique hydraulique. En effet, selon la preuve, les employés du groupe GL-MAM font beaucoup de vérifications et de validations de tout ce qui englobe les systèmes hydrauliques. Toutefois, la mécanique hydraulique est très différente de la mécanique dans le domaine des véhicules lourds dont les employés du groupe GL-VHE sont responsables. La mécanique automobile est un domaine de spécialité des employés du groupe GL-VHE. Il y a une certaine complexité à laquelle les employés du groupe GL-MAM ne touchent pas; la mécanique automobile n’est pas leur priorité.
[73] Selon ce qui précède, je suis d’accord avec la conclusion de l’intimé que la personne nommée avait une expérience plus pertinente et plus récente en mécanique du véhicule. Le plaignant n’a pas réussi à me convaincre du contraire et n’a déposé aucune preuve au soutien de son allégation selon laquelle il aurait été traité différemment par les membres du comité de sélection.
[74] En ce qui a trait à l’expérience en supervision, l’intimé ne nie pas que le plaignant en avait. Toutefois, il a conclu que la personne nommée avait une expérience en supervision plus continue et plus pertinente. Selon la preuve présentée, la personne nommée a fait de la gestion du personnel dans un garage de mécanique automobile de façon continue entre 2004 et 2011. De plus, entre 2020 et 2021, M. Fecteau a fait quelques remplacements en tant qu’intérim coordonnateur au 202e Dépôt d’ateliers. Pour ce qui est du plaignant, l’intimé a considéré son expérience en tant que président du conseil d’administration dans un centre de la petite enfance entre 2011 et 2013. Il a aussi considéré les quelques remplacements que le plaignant a fait en tant que chef d’équipe entre 2013 et 2019 au 202e Dépôt d’ateliers. Le plaignant et la personne nommée avaient de l’expérience en supervision, quoique dans des domaines différents. Cela étant dit, le plaignant ne m’a pas convaincu que l’intimé avait erré en concluant que l’expérience en supervision dans le domaine du véhicule de la personne nommée était plus continue et plus pertinente que la sienne.
[75] Dans ses observations finales, le plaignant soulève qu’au moment de l’évaluation pour les intérims, l’expérience de M. Fecteau dans le domaine de la supervision venait surtout du secteur privé. Je suis d’avis qu’il était tout à fait légitime pour l’intimé de considérer l’expérience acquise par la personne nommée dans le secteur privé (voir l’art. 36 de la LEFP et Kavanagh, au par. 42). Comme je l’ai déjà mentionné, l’intimé possède un pouvoir discrétionnaire considérable notamment quant à l’utilisation des méthodes d’évaluation pour déterminer si un candidat satisfait aux qualifications établies pour un poste (voir Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24, au par. 51). Je trouve cet argument intriguant considérant que le plaignant avait apprécié que l’intimé ait tenu compte de son expérience en mécanique acquise dans le secteur privé avant son embauche en 2010.
D. Pas de crainte raisonnable de partialité
[76] Le plaignant allègue que l’intimé a fait preuve de partialité à son égard lors de son évaluation parce qu’il occupe des fonctions syndicales et a des opinions divergentes de celles de l’intimé. Il incombe au plaignant de prouver l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. De simples soupçons ou suppositions ne suffisent pas; les éléments de preuve doivent établir que la partialité est réelle, probable ou raisonnablement évidente (voir Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29, au par. 124).
[77] Le critère de crainte raisonnable, dans le présent contexte, consiste à se demander si une personne raisonnablement bien informée, qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique, conclurait qu’il est plus probable qu’improbable que l’intimé, consciemment ou non, a évalué la candidature du plaignant de façon inéquitable (voir Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394; Newfoundland Telephone Co. c. Terre‐Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; Haller, au par. 73).
[78] La preuve n’étaye pas, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Plus précisément, le plaignant allègue que sa relation avec la major Stuber était envenimée en raison des gestes qu’il avait posés dans le cadre de ses fonctions de représentant syndical et parce qu’il était un défenseur de la langue française, alors que la major était anglophone. J’ai de la difficulté à réconcilier cette allégation avec la preuve présentée. Tout d’abord, en contre-interrogatoire, le plaignant a admis que la major Stuber pouvait lire et s’exprimer en français dans le cadre d’une audience de grief, dans la mesure où elle avait des questions préparées à l’avance. Elle n’a jamais exigé que le plaignant ou ses membres communiquent avec elle dans leur langue seconde. Bref, il ne semble pas y avoir eu de tensions ou de problèmes attribuables au fait que l’anglais soit la première langue officielle de la major Stuber.
[79] Pour ce qui est des gestes que le plaignant a posés en tant que représentant syndical, la major Stuber a témoigné que ses interactions avec le plaignant étaient très respectueuses. Elle comprenait qu’il avait un travail à faire en tant que représentant syndical et elle avait l’impression qu’en retour, il respectait le fait qu’elle représentait la direction et qu’elle avait aussi son travail à faire. Ils acceptaient simplement de ne pas être d’accord sur certaines questions. Le plaignant n’a pas contredit cette preuve. Il est vrai que le plaignant a déposé des griefs et, possiblement des plaintes, au nom de ses membres. Toutefois, cela faisait partie de son travail, et la major Stuber comprenait cela. Selon la preuve, le plaignant et la major Stuber s’entendaient bien et avaient une relation professionnelle empreinte de respect et de collaboration. Je ne nie pas qu’ils pouvaient avoir des opinions divergentes sur divers sujets, compte tenu de leurs rôles respectifs; cela est tout à fait normal. Les intérêts du syndicat et de ses membres ne vont pas toujours de pair avec ceux de l’intimé.
[80] En ce qui a trait à M. Ipperciel, le plaignant a fait référence dans son témoignage aux conflits qu’il y aurait eu lors des rencontres du Comité de SST en raison du fait que M. Ipperciel y siégeait en tant que représentant syndical tout en occupant un poste de haute gestion. Outre le fait qu’il y aurait eu ces conflits, le plaignant ne m’a fourni aucune autre information à cet égard. Ce mutisme ne me permet pas de conclure à l’existence de crainte raisonnable de partialité d’autant plus que M. Ipperciel a décrit ses interactions avec le plaignant comme étant toujours bonnes. Il n’a pas noté quoi que ce soit de particulier en ce qui a trait à ses interactions avec le plaignant lors des rencontres patronales-syndicales ou à l’extérieur de ces rencontres. Enfin, en ce qui concerne le colonel Moyle, il n’était pas impliqué dans le processus de nomination.
[81] Le plaignant m’a renvoyé aux décisions suivantes où la Commission a conclu à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité : Denny; Amirault c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2012 TDFP 6; Monfourny c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2023 CRTESPF 37. Ces décisions ne lui sont d’aucune aide car les faits qui ont donné lieu à une conclusion de crainte raisonnable de partialité n’existent pas dans le présent cas.
[82] Dans Denny, le plaignant avait contribué à démettre de ses fonctions l’un des membres du comité d’évaluation au sein du comité local de santé et de sécurité et l’a remplacé en tant que coprésident, le tout avant que le processus de nomination ait lieu. En outre, il avait déposé un grief et une plainte pour harcèlement contre cette même personne. Ils ne s’adressaient plus la parole depuis longtemps. Dans Amirault, le plaignant a démontré qu’il avait des conflits sérieux avec deux membres du comité d’évaluation. Plus spécifiquement, l’un de ces membres avait désigné le plaignant dans une plainte présentée devant la Commission, et ce, avant de l’avoir évalué. Un conflit significatif avait éclaté entre le deuxième membre et le plaignant, nécessitant l’intervention des ressources humaines ainsi que du chef de service d’incendie. Enfin, dans Monfourny, la plaignante a démontré qu’elle avait des relations conflictuelles avec la gestionnaire déléguée. La plaignante avait déposé une plainte contre la gestionnaire déléguée et l’avait dénoncée à la haute gestion. De plus, la gestionnaire déléguée avait dit à une tierce personne que la plaignante ne serait pas retenue pour le poste. Le sérieux des conflits entre les membres du comité d’évaluation et les plaignants, détaillé dans ces décisions, ne peut être assimilé aux circonstances du présent dossier, selon la preuve devant moi.
[83] Je suis d’avis qu’une personne raisonnablement bien renseignée qui examinerait de façon réaliste et pratique le processus de nomination en litige ne percevrait pas raisonnablement une partialité de la part de l’intimé dans son évaluation de la candidature du plaignant. L’allégation du plaignant selon laquelle il y a eu une crainte raisonnable de partialité repose sur des conjectures et des insinuations.
[84] Je suis aussi en désaccord avec le plaignant que l’intimé a écarté sa candidature en raison du fait qu’il faisait partie du groupe GL-MAM. L’intimé a nommé M. Fecteau dans le poste non parce qu’il faisait partie du groupe GL-VHE, mais plutôt en raison de son expérience au niveau de la mécanique du véhicule et en supervision. Je suis d’accord avec l’intimé que le fait de restreindre à trois le nombre de candidats à être interviewés n’est pas un abus de pouvoir. L’intimé a choisi de convoquer des candidats qui avaient une expérience concrète en mécanique des véhicules lourds et qui avaient travaillés comme GL-VHE. Cette expérience est essentielle pour permettre au chef d’équipe de bien planifier le travail et d’établir des échéanciers. Le chef d’équipe doit comprendre la nature du travail à accomplir. Tel qu’il a déjà été mentionnée dans cette décision, l’intimé a un grand pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit d’évaluer les candidats.
E. Pas d’abus de pouvoir dans l’établissement des qualifications essentielles
[85] L’intimé était très satisfait du rendement de M. Fecteau en tant que chef d’équipe mécanique par intérim. Il a décidé de le nommer de façon indéterminée dans le poste de chef d’équipe mécanique par le biais d’un processus non annoncé, comme il le lui était loisible de faire (voir l’art. 33 de la LEFP). Comme il s’agissait d’une nomination pour une période indéterminée, l’intimé a rehaussé les qualifications de mérite que le candidat devait satisfaire. Plus précisément, l’intimé a exigé que le candidat possède une expérience récente (c.-à-d. acquise au cours de cinq dernières années) en supervision et une expérience récente et significative (deux ans continus) dans le domaine de la mécanique du véhicule. De plus, le candidat devait posséder une expérience récente en coaching et en formation en milieu de travail. Le plaignant a soutenu que ce changement au niveau de l’ECM avait rendu le processus inéquitable et non transparent. Sur ce, il m’a renvoyé à la décision Renaud c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2013 TDFP 26. Dans cette décision, la Commission avait conclu à l’abus de pouvoir car, d’une part, l’intimé avait réouvert le processus de nomination postérieurement à la date de clôture pour favoriser la candidature d’une personne en particulier, et d’autre part, la nomination du candidat n’était pas fondée sur le mérite. Les faits dans cette décision ne peuvent être assimilés aux faits dans le présent dossier.
[86] Je tiens à rappeler que l’intimé avait le droit d’établir les qualifications essentielles pour le poste de chef d’équipe en tenant compte de la nature du travail à accomplir (voir le par. 30(2) de la LEFP). Le plaignant n’allègue pas que les qualifications établies étaient en deçà des qualifications exigées pour le poste en question (voir Hutlet, au par. 87 et Rinn, au par. 40), et il ne m’a pas convaincu qu’elles avaient pour objectif de l’écarter.
[87] M. Fecteau satisfaisait à toutes les qualifications essentielles, comme il a été démontré dans son évaluation préparée par la major Stuber. De plus, le plaignant ne conteste pas que la nomination de M. Fecteau était fondée sur le mérite. L’intimé a également déposé en preuve la justification de décision de sélection de la personne nommée. Le plaignant ne l’a pas contestée. L’intimé n’était pas tenu de prendre en considération plus d’une personne pour qu’une nomination soit faite en fonction du mérite (voir Vaudrin c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2011 TDFP 19, au par. 52, et le par. 30(4) de la LEFP).
[88] Enfin, le plaignant semble suggérer qu’il avait été inapproprié pour l’intimé de demander à la personne nommée de fournir un CV à jour car cela lui avait permis d’inclure l’expérience acquise lors de son intérim. Il m’appert comme tout à fait justifié que les documents soumis par un candidat dans le cadre d’un processus de nomination soient le plus à jour possible. Je suis d’accord avec l’intimé que même si on faisait abstraction de l’expérience que M. Fecteau a acquise en tant que chef d’équipe par intérim, il aurait tout de même satisfait aux critères de mérite.
[89] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
IV. Ordonnance
[90] La plainte est rejetée.
Le 30 juillet 2024.
Adrian Bieniasiewicz,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral