Dossier: 771-02-41663
Référence: 2024 CRTESPF 60
Loi sur la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans le
secteur public fédéral et Loi sur
l’emploi dans la fonction publique
|
|
ENTRE
Peter Taticek
plaignant
et
Administrateur général
(ministère de l’Emploi et du Développement social)
et
AUTRES PARTIES
Répertorié
Taticek c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social)
Devant : Patricia H. Harewood, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le plaignant : Lydia Dobson et Stacey Mirowski, représentantes
Pour l’intimé : Noémie Lebel, avocate
Pour la Commission de la fonction publique : Maude Bissonnette Trudeau, analyste principale
Audience tenue par vidéoconférence
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION
|
(TRADUCTION DE LA CRTESPF)
|
I. Plainte devant la Commission
[1] Peter Taticek (le « plaignant ») a présenté une plainte en application des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « Loi ») le 19 mars 2020 lorsqu’il a été avisé que Sarah Lipski (la « personne nommée ») avait été nommée à un poste de conseillère principale (CS-04) pour une durée indéterminée au sein de la Direction générale de l’information, de l’innovation et de la technologie (« DGIIT ») du ministère de l’Emploi et du Développement social (l’« intimé » » ou « EDSC ») à Gatineau, au Québec. À l’époque, le plaignant venait d’être promu à un poste de groupe et de niveau CS-03 au sein de l’équipe de gestion des fournisseurs de la DGIIT.
[2] Le plaignant a fait valoir que l’intimé avait abusé de son pouvoir en choisissant un processus non annoncé et dans l’application du principe du mérite. Le plaignant a fait valoir que l’application du principe du mérite était entachée de partialité et que le plaignant ne possédait pas les qualifications essentielles. Il a également affirmé que les méthodes d’évaluation ne présentaient aucun lien avec les qualifications évaluées et que le processus était entaché de favoritisme personnel et de mauvaise foi. À titre de mesure corrective, il a demandé que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») déclare que l’intimé a enfreint les alinéas 77(1)a) et b) de la LEFP et que la nomination soit révoquée en vertu de l’article 81.
[3] L’intimé a soutenu qu’il avait respecté l’esprit et la lettre de la LEFP, le document [traduction] « Lignes directrices concernant le recours aux processus de nomination non annoncés » d’EDSC et les politiques de la Commission de la fonction publique (CFP).
[4] L’intimé a affirmé que la personne nommée répondait à tous les critères de l’énoncé des critères de mérite et qu’aucune preuve de partialité ou de favoritisme personnel n’avait été relevée à son égard. Le processus de nomination a été raisonnable, transparent, équitable et conforme aux exigences de la loi et des politiques. L’intimé a demandé le rejet de la plainte.
[5] La CFP n’a pas assisté à l’audience, mais a présenté des arguments relatifs aux politiques suivies, dont j’ai tenu compte dans le cadre de mon analyse. Elle n’a pas pris position sur le fond.
[6] Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il n’y a pas eu d’abus de pouvoir dans le choix d’un processus de nomination non annoncé, dans l’application du principe du mérite ou dans les méthodes d’évaluation utilisées. Par ailleurs, la preuve d’une crainte raisonnable de partialité en faveur de la personne nommée dans l’application du principe du mérite est insuffisante. Enfin, j’estime qu’il n’y a aucune preuve de favoritisme personnel. Il n’y a tout bonnement aucune preuve indiquant que le gestionnaire responsable de l’embauche et la personne nommée se connaissaient professionnellement ou personnellement avant le début du processus de dotation.
II. Questions de procédure
[7] L’audience s’est déroulée pendant trois jours par vidéoconférence. Au début, une ordonnance a été rendue, sur consentement des parties, afin d’exclure le seul témoin de l’intimé, Martin Mondor. J’ai brièvement expliqué que cette ordonnance visait à protéger l’intégrité de la preuve.
[8] Le plaignant et l’intimé ont soumis un recueil conjoint de documents (« RCD »), auquel je renverrai tout au long de la décision. L’avocate de l’intimé a fait valoir qu’en dépit du RCD, les documents n’ont pas tous été soumis sur la base d’un consentement. Chaque document devrait être présenté et évalué individuellement, sur la base des règles générales en matière de preuve. J’ai convenu que, compte tenu du pouvoir de la Commission en vertu de l’alinéa 20e) de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) d’accepter tout élément de preuve, qu’il soit admissible ou non devant un tribunal, chaque document contenu dans le RCD serait évalué individuellement afin de déterminer son admissibilité. S’il est admis, il appartiendra à la Commission, en tant que décideur, de déterminer le poids à accorder à son contenu.
III. Questions en litige
[9] Les questions en litige dans la présente affaire sont les suivantes :
1) Y a-t-il eu abus de pouvoir au sens de l’alinéa 77(1)b) de la LEFP en raison du choix d’un processus non annoncé?
2) Y a-t-il eu abus de pouvoir au sens de l’article 77(1)a) dans l’application du principe du mérite?
3) Y avait-il une crainte raisonnable de partialité dans l’application du principe du mérite?
4) Y a-t-il eu favoritisme personnel dans l’évaluation du mérite?
IV. Résumé de la preuve
[10] Le 18 mars 2020, le plaignant a été informé de l’avis de nomination ou de proposition de nomination (« ANPN ») de la personne nommée au poste de conseillère principale, Opérations d’infrastructure (CS-04), à la DGIIT, à EDSC (RCD, onglet 8) à Gatineau, au Québec. Il s’agissait d’une nomination de promotion effectuée dans le cadre d’un processus non annoncé (2020-CSD-INA-NHQ-0025552). M. Mondor était le gestionnaire délégué autorisé à mener à bien le processus de dotation pendant toute la période pertinente. Il était le directeur des équipes de gestion des services de technologies de l’information (TI), de gestion des fournisseurs et de stratégie au sein de la DGIIT.
[11] La DGIIT compte en tout temps entre 1 500 et 1 800 employés. Elle fournit tous les services de TI à EDSC, les communications et les réseaux nécessaires au fonctionnement quotidien d’EDSC ainsi que les systèmes qui fournissent des services aux Canadiennes et aux Canadiens. Une composante de la prestation de services est axée sur la planification, la gouvernance et la planification stratégique – les [traduction] « compétences plus douces », selon les termes de M. Mondor, qui permettent d’améliorer la prestation de services techniques. M. Mondor a travaillé dans le domaine de la stratégie et de l’architecture des relations commerciales, axé sur la gestion des activités et la planification stratégique.
[12] Le plaignant a présenté sa plainte le lendemain de la réception de l’avis. Il ne connaissait pas la personne nommée à ce moment-là. Il travaillait comme conseiller technique au sein de l’équipe de gestion des fournisseurs, sous la direction d’Alain Gauthier. Lors du contre-interrogatoire, M. Taticek a reconnu qu’à l’époque, il venait d’être promu à un poste de groupe et de niveau CS-03 au sein de l’équipe. Ni lui ni M. Mondor n’ont pu confirmer si cette promotion s’était faite dans le cadre d’un processus annoncé ou non annoncé.
[13] M. Taticek a estimé qu’il était qualifié pour le poste de groupe et de niveau CS‑04 et a déclaré qu’il aurait aimé avoir l’occasion de poser sa candidature. Il avait exprimé le souhait de terminer sa carrière dans la fonction publique à un poste de groupe et de niveau CS-05.
[14] Le plaignant ne pensait pas que la personne nommée avait la formation ou les qualifications essentielles requises pour le poste.
[15] Le plaignant a découvert que la personne nommée avait déjà occupé un poste de groupe et de niveau PG-05 à Services partagés Canada (« SPC »). Elle avait été qualifiée pour intégrer un bassin de postes PG-06, qui, selon le plaignant, correspondait davantage à des postes de gestion qu’à des postes techniques. Elle n’avait jamais occupé de poste en informatique auparavant.
[16] À l’époque, l’équipe de gestion des fournisseurs était composée de personnes occupant des postes CS-02 et CS-03. M. Mondor a déclaré que le plaignant avait été un bon employé au sein de l’équipe de gestion des fournisseurs pendant deux ans, mais qu’il y avait démontré un esprit tactique plutôt que stratégique.
[17] M. Mondor avait récemment travaillé pour [traduction] « élever » M. Taticek à un poste plus élevé, en le faisant passer d’un poste CS-02 à un poste CS-03, environ un mois avant le début du processus de dotation non annoncé pour les postes CS-04. Il a déclaré que M. Taticek aurait eu besoin de plus d’expérience dans un poste CS-03 avant que sa candidature ne soit examinée pour un poste CS-04.
[18] La personne nommée était la première et la seule personne occupant un poste dans le domaine des achats et de l’approvisionnement (PG) que M. Mondor a nommée à un poste CS.
[19] M. Taticek possédait plus de 20 ans d’expérience au sein du gouvernement fédéral, d’abord en tant qu’entrepreneur indépendant, puis comme fonctionnaire (en tant que technicien et analyste principal). Il a présenté en détail son CV de 59 pages. L’intimé n’a pas contesté son contenu de manière substantielle (RCD, onglet 15).
[20] Il est titulaire d’un baccalauréat en biologie et a étudié pendant deux années en informatique à l’Université d’Ottawa, à Ottawa, en Ontario. Il est également titulaire d’un diplôme de technologue en informatique de trois ans du Collège Algonquin à Ottawa.
[21] M. Taticek a consacré du temps à passer en revue les nombreuses certifications informatiques qu’il a obtenues entre 2002 et 2019. Il a fourni un témoignage non contredit selon lequel il a suivi au moins 25 séances de formation ou obtenu des certifications, notamment en gestion de projet, en approvisionnement et en gestion du matériel entre 2002 et 2019.
[22] À la question de savoir pourquoi la formation continue et la certification étaient si importantes, M. Taticek a fait remarquer que le domaine des TI était en constante évolution. Il faut se tenir au courant de ce qui se passe dans le secteur, a-t-il indiqué.
[23] Le plaignant a parlé de son expérience professionnelle en tant qu’instructeur informatique pour une société de réseaux. Il a également travaillé chez Nortel Networks en tant qu’analyste principal de systèmes. Il a évoqué son expérience en tant qu’entrepreneur informatique indépendant pour le ministère de la Défense nationale (MDN), EDSC et d’autres ministères du gouvernement fédéral.
A. La rencontre avec M. Mondor
[24] Lorsque le plaignant a appris que la personne nommée avait été nommée au poste CS-04, il a demandé à parler à M. Mondor. Ce dernier avait reçu une copie du CV du plaignant il y a quelques mois. Le plaignant souhaitait vivement savoir comment le poste avait été doté. M. Taticek ne savait pas qu’un poste CS-04 était vacant dans la direction générale de M. Mondor et que le profil linguistique BBB correspondait au sien. Il pensait avoir toutes les qualifications essentielles pour le poste. M. Taticek n’a pas fourni d’autres détails sur la date, l’heure ou le bilan de sa rencontre avec M. Mondor.
[25] Après avoir présenté sa plainte, il a envoyé à Mme Chubey, à l’époque conseillère principale en ressources humaines (RH) à EDSC et responsable des politiques et des programmes, une liste de questions au cours de la période d’échange de renseignements. Mme Chubey n’a pas témoigné, mais a assisté à l’audience. Il a reçu une réponse le 4 août 2020.
[26] M. Mondor n’a pas participé à l’échange de courriels et, au cours de l’audience, lorsqu’il a été interrogé sur le document en contre-interrogatoire, il a semblé ne pas être au courant des réponses fournies par Mme Chubey au courriel du plaignant.
[27] Grâce à l’échange de renseignements, M. Taticek a appris que la personne nommée avait occupé un poste intérimaire de groupe et de niveau PG-06 à SPC avant d’être nommée au poste CS-04.
[28] Cette personne est titulaire d’un baccalauréat ès arts (B.A.) en littérature anglaise et d’un diplôme de deux ans en systèmes informatiques, réseaux et télécommunications de l’établissement Novatech.
[29] Après avoir examiné la description du poste PG-06, le plaignant a également remarqué qu’elle n’incluait aucune des activités clés d’un poste d’infrastructure CS-04. Aucune mention n’est faite de la fourniture de conseils d’experts sur les réseaux municipaux ou d’une quelconque expertise sur les serveurs, les ordinateurs centraux et la connectivité. Elle ne mentionne pas non plus la fourniture de conseils d’experts sur l’acquisition et la gestion du cycle de vie des TI, sur les systèmes voix-données ou sur le déploiement de logiciels d’entreprise en vue d’atteindre des objectifs.
[30] Compte tenu de son expérience, le plaignant a compris que l’exigence de fournir des directives techniques dans un poste de conseiller principal de groupe et de niveau CS-04 consistait notamment à donner des conseils, à répondre aux questions des clients, à participer à la résolution de problèmes au sein d’une [traduction] « équipe de choc », selon ses termes, et à fournir une orientation. Il a expliqué qu’une [traduction] « équipe de choc » est une équipe d’intervention rapide mise en place pour trouver une solution à un problème informatique de grande ampleur. À titre d’exemple, il a déclaré qu’une [traduction] « équipe de choc » peut être mise sur pied pour réparer un site Web commercial qui tombe en panne.
[31] Le plaignant a examiné la description de poste générique de conseiller principal CS-04 à EDSC (RCD, onglet 2). Il l’a téléchargée sur Internet entre mars et mai 2020, lorsqu’il a appris que la personne nommée avait été nommée au poste CS-04 pour une durée indéterminée. Il a également passé en revue la description de poste générique de conseiller principal, divers volets, y compris le volet des opérations d’infrastructure, dans lequel il avait travaillé à EDSC avant d’intégrer le MDN.
[32] En contre-interrogatoire, M. Taticek a admis qu’il n’avait aucune expérience de la négociation d’accords sur les niveaux de service. Il possédait cependant une expérience de la négociation, car lorsque les systèmes tombent en panne, il faut négocier avec la direction.
[33] M. Mondor a déclaré que le poste de CS-04 avait été créé sur la base de la description de poste générique d’EDSC.
B. La création du poste CS-04
[34] En tant que directeur des équipes de gestion des services de TI, de gestion des fournisseurs et de stratégie au sein de la DGIIT, M. Mondor avait à gérer les programmes de ces équipes et à assumer la responsabilité de leurs budgets, de leur gestion financière et de leurs ressources humaines. Les équipes étaient composées de 30 à 40 personnes, selon la période de l’année.
[35] M. Mondor a déclaré qu’au cours des 20 dernières années, il a travaillé dans le domaine des TI dans les secteurs privé et public, tant pour des sociétés d’État que pour des organismes du gouvernement fédéral. Il a suivi sa formation en dotation à l’École de la fonction publique du Canada en 2018, alors qu’il était relativement nouveau dans l’emploi. Il a également suivi la formation annuelle imposée à tous les cadres.
[36] Le document [traduction] « Lignes directrices concernant le recours aux processus de nomination annoncés et non annoncés » (RCD, onglet 14) ressemble aux documents qu’il a examinés dans le cadre de sa formation sur les délégations de pouvoirs en matière de dotation.
[37] M. Mondor a déclaré qu’au moment où il a entamé le processus de dotation pour le poste CS-04, il était convaincu que tous les outils disponibles au sein du gouvernement pouvaient être utilisés pour la dotation afin de recruter les personnes possédant les talents, les compétences et la diversité nécessaires pour le travail à accomplir. Il a déclaré que les gestionnaires n’étaient pas limités à un seul outil de dotation. En tant que gestionnaire, il estimait qu’il avait la possibilité de choisir un processus annoncé ou non annoncé pour la dotation.
[38] En 2020, il avait doté plusieurs postes et mis au point de nouvelles fonctionnalités au sein de ses équipes. Il a pourvu plusieurs postes vacants et a participé à des processus de dotation à plusieurs niveaux. Il a également embauché des étudiants pour attirer et repérer des talents à intégrer à EDSC.
[39] L’équipe de gestion des fournisseurs au sein de la DGIIT est responsable des relations avec des centaines de fournisseurs, de la détermination des fournisseurs disponibles, de l’information de la haute direction sur les risques et les défis liés aux fournisseurs, de l’amélioration de la capacité à intégrer les fournisseurs et de la compréhension des options de prestation de services afin de prendre les bonnes décisions pour soutenir la prestation de services à EDSC. Au cours du processus de dotation en question, environ cinq ou six personnes faisaient partie de l’équipe; elles occupaient toutes des postes de groupes et de niveaux CS-02, CS-03 ou CS-04.
[40] M. Mondor a fourni un témoignage non contesté selon lequel, à la fin de 2019, l’équipe a subi quelques changements. La DGIIT fait l’objet d’évaluations régulières, et la fonction de gestion des fournisseurs exigeait davantage de capacités et de rigueur, de sorte qu’un effort était en cours au sein de la DGIIT pour y parvenir.
[41] L’équipe gagnait en maturité et était sur le point d’étendre ses fonctions. M. Mondor a expliqué qu’une tierce partie avait effectué une évaluation indépendante et établi un plan d’action pour ses équipes, lequel devait être mis en œuvre. Auparavant, l’équipe avait un mandat très ciblé, et la recommandation était d’élargir la portée des services offerts pour être en mesure de mieux se mobiliser auprès des fournisseurs et de comprendre les effets des instruments contractuels et [traduction] « comment obtenir le meilleur rapport qualité-prix » pour soutenir la prestation de services au niveau du ministère. Il s’agissait notamment de renforcer la structure et la capacité de l’équipe de gestion des fournisseurs, de modifier la prestation des services et de scinder l’équipe en une seule équipe composée de deux gestionnaires.
[42] M. Mondor a expliqué qu’un organigramme était conçu chaque fois qu’un nouveau poste était créé et que plusieurs pouvaient être créés au cours d’une année donnée. Cependant, aucun organigramme n’a été produit en preuve pour la période concernée, lorsque le poste CS-04 a été créé, puis pourvu.
[43] Avant de créer le poste CS-04, M. Mondor a consulté les responsables de la classification des RH au sein de sa direction générale.
[44] La DGIIT est à ce point importante qu’elle dispose de son propre service interne de soutien aux RH pour l’aider dans ce travail et pour garantir l’application de normes et d’une certaine rigueur avant de s’adresser à la direction générale officielle des RH d’EDSC, qui est responsable en dernier ressort de l’approbation de la création de nouveaux postes.
[45] M. Mondor a expliqué ses attentes à un conseiller en classification, qui a évalué les critères afin de déterminer le niveau du poste. Le conseiller en classification a ensuite dressé une liste de questions après la consultation initiale. Cela s’est produit avant le début du processus de dotation du poste.
[46] Le poste de conseiller principal CS-04 aurait été créé après mars 2018, mais M. Mondor n’a pas pu préciser la date exacte de création du poste – avant ou après sa première rencontre avec la personne nommée en décembre 2019.
[47] Lors du contre-interrogatoire, M. Mondor a reconnu qu’au moment de l’audience, il n’avait pas de notes ou de courriels faisant état de conversations avec la direction générale des RH d’EDSC au sujet de la création du poste, mais il a déclaré que bon nombre de ces échanges ont été des discussions de vive voix.
[48] M. Mondor a confirmé que la description de poste générique d’EDSC avait été utilisée pour élaborer l’énoncé des critères de mérite du poste une fois que les RH avaient recommandé, avec sa contribution, qu’il s’agisse d’un poste de groupe et de niveau CS-04 sur le plan technique.
C. Rédaction de l’énoncé des critères de mérite
[49] En coordination avec ses collègues de la direction générale des RH, M. Mondor a élaboré l’énoncé des critères de mérite en se fondant sur la description générique du poste de conseiller principal CS-04. Il ne se souvient pas exactement du moment où il a rédigé le document.
[50] Les critères de mérite ont été établis en fonction des exigences opérationnelles et de la nécessité de se concentrer sur les compétences précises énoncées dans la description de poste générique. M. Mondor a passé en revue de façon assez détaillée les critères de mérite qui ont été établis, dont les suivants :
[Traduction]
[…]
1) […] expérience dans la proposition de solutions et de recommandations à la haute direction […] à la fois oralement et par écrit.
2) Expérience de la formulation de directives et de conseils techniques à l’intention des équipes responsables des solutions et des équipes techniques, sur une base continue.
3) Expérience de la participation à des groupes de travail interministériels.
[…]
CONNAISSANCES
1. Connaissance des tendances, des politiques et des initiatives actuelles à l’échelle du gouvernement du Canada qui ont une incidence sur la gestion et la prestation des services de GI/TI.
2. Connaissance des rôles et des responsabilités des organismes centraux en matière de GI/TI au sein du gouvernement du Canada.
COMPÉTENCES
1. Raisonnement analytique
2. Services axés sur la clientèle
3. Communication (orale et écrite)
4. Apprentissage continu
5 Raisonnement innovant
6. Influence
7. Gestion des achats et des actifs informatiques
CAPACITÉS
1. Capacité à communiquer efficacement par écrit
2. Capacité à communiquer efficacement à l’oral
ATOUTS
1. Expérience de la représentation de la direction générale au sein de groupes de travail ou de comités ministériels, nationaux ou internationaux afin de faciliter la mise en réseau et de promouvoir le partenariat.
2. Expérience de la rédaction de conditions contractuelles, de la correspondance et/ou de documents.
3. Expérience de la négociation au nom de l’organisation des TI, en tant qu’autorité technique du ministère, avec des gestionnaires principaux des secteurs d’activité ou des TI au sein du ministère, ainsi qu’avec des cadres supérieurs des TI d’autres ministères fédéraux et d’organisations extérieures.
4. Expérience de l’encadrement ou du mentorat de personnes en matière de compétences et d’aptitudes techniques.
5. Expérience de l’analyse et de l’évaluation de propositions émanant de fournisseurs externes et de personnel technique interne afin de déterminer la viabilité, la conformité et l’adaptabilité aux cadres régissant les TI.
6. Expérience de l’intégration de solutions utilisant diverses plates‑formes et technologies : SAP, PeopleSoft, .NET, Java, Oracle […]
7. Expérience de l’analyse des options en matière d’approvisionnement, y compris l’estimation du niveau d’effort et de risque.
[…]
[51] Une grande partie du travail consistait à proposer des options, par écrit et oralement, à la haute direction en ce qui concerne les relations avec les fournisseurs et la gestion des risques. L’expérience en matière de fourniture de conseils techniques était également nécessaire, afin de savoir quels mécanismes acquérir. Le poste exigeait également une expérience de travail au sein de groupes de travail interministériels, car EDSC devait améliorer sa capacité à communiquer avec les organismes centraux. Le titulaire du poste devait avoir de l’expérience dans ce type de mobilisations auprès de tiers.
[52] Pour ce qui est des connaissances, le titulaire devait connaître les tendances pouvant influer sur le gouvernement fédéral et les autres grandes initiatives susceptibles d’avoir une incidence sur les services fournis.
[53] En ce qui concerne les compétences, le titulaire du poste devait posséder une bonne capacité d’analyse et de communication, tant à l’oral qu’à l’écrit, afin de pouvoir communiquer à différents niveaux avec l’équipe de gestion des fournisseurs et la haute direction.
[54] La capacité à influencer les autres était également une compétence clé, puisque le titulaire du poste devait travailler avec les fournisseurs, lui-même et d’autres personnes, et même le mettre au défi. M. Mondor a souligné que la capacité à rédiger [traduction] « à un bon niveau », afin de pouvoir communiquer efficacement avec la haute direction et les fournisseurs, constituait une compétence clé.
[55] La capacité à aider les équipes à rédiger différents [traduction] « instruments en matière d’approvisionnement », c’est-à-dire à fournir des indications sur le libellé des contrats, constituait l’une des faiblesses de l’équipe de gestion des fournisseurs. M. Mondor souhaitait recruter une personne capable d’encadrer et de conseiller les autres et de transmettre ses connaissances, c’est-à-dire [traduction] « d’aider les gens à s’élever et à progresser ».
[56] M. Mondor a déclaré que l’énoncé des critères de mérite avait été établi pendant le processus d’embauche, mais il a insisté sur le fait que les conversations autour des critères avaient eu lieu avec les RH avant le commencement du processus d’embauche.
[57] M. Mondor a reconnu, lors du contre-interrogatoire, que l’atout numéro 6 était une erreur de copier-coller d’une description de poste générique qui n’aurait pas dû figurer du tout dans l’énoncé des critères de mérite. Il n’a pas été inclus dans la Formulation de la décision de sélection ou dans l’ANPN. Il ne s’agit pas d’un atout qui a été évalué parce qu’il n’était pas censé y figurer.
D. Choix d’un processus non annoncé
[58] M. Mondor a déclaré qu’il avait choisi un processus non annoncé parce qu’il avait examiné les bassins existants dans le passé pour le poste CS-04 et avait constaté que les candidats ne possédaient pas le type d’ensemble de compétences qu’il recherchait. Il a ajouté que les bassins de candidats avaient été relativement vides dans le passé. Les candidats aux postes CS n’avaient pas les compétences stratégiques et de planification qu’il recherchait.
[59] Une occasion s’est présentée, lorsqu’il a reçu le CV de la personne nommée, de tirer parti du processus de dotation non annoncé, ce dont il a profité pour attirer les talents correspondant aux besoins d’EDSC.
[60] La zone de sélection de l’ANPN était la région de la capitale nationale. M. Mondor n’a pas tenu compte des autres candidatures figurant dans les bassins de candidats CS-04 existants pour le poste. En contre-interrogatoire, il a reconnu qu’aucune analyse de risque formelle n’avait été effectuée pour le choix du processus, mais il a précisé qu’aucune n’était requise.
[61] En outre, il a reconnu en contre-interrogatoire qu’il était au courant de certaines des raisons professionnelles qui peuvent être envisagées pour choisir un processus non annoncé et qui sont énumérées dans le document [traduction] « Lignes directrices concernant le recours aux processus de nomination annoncés et non annoncés » (RCD, onglet 14) pour le choix d’un processus non annoncé. Il a déclaré que bon nombre de ces raisons potentielles ne se retrouvaient pas dans ce contexte. Il s’agissait de tirer parti d’une situation existante pour pourvoir le poste en fonction des besoins de l’équipe de gestion des fournisseurs.
E. Processus d’évaluation : la première entrevue
[62] M. Mondor a expliqué qu’il avait d’abord obtenu une copie du CV de la personne nommée par l’intermédiaire du bureau du DG (le « bureau du DG »). Le bureau du DG était composé d’une équipe administrative de trois ou quatre personnes qui recevaient souvent des messages non sollicités, selon les termes de M. Mondor, de la part d’employés du gouvernement fédéral. Ces messages étaient ensuite envoyés à l’équipe de direction. Il a déclaré qu’il travaillait en tenant à ce que la boîte de réception soit propre et qu’il avait conservé le CV, mais qu’il avait supprimé le courriel du bureau du DG.
[63] M. Mondor a déclaré qu’il ne connaissait ni professionnellement ni personnellement la personne nommée avant de recevoir son CV. Au départ, il a jeté un coup d’œil rapide à son CV et a pensé qu’il pouvait correspondre à ce qu’il recherchait.
[64] La personne nommée avait une grande expérience en matière d’approvisionnement. Elle possédait une formation et des qualifications formelles qui correspondaient aux exigences du poste. Plus précisément, elle était titulaire d’un baccalauréat en littérature anglaise. Il a déclaré que l’un des défis dans le domaine des TI est [traduction] « qu’il est difficile de trouver des personnes qui savent très bien écrire », c’est-à-dire des personnes capables de rédiger des notes d’information et de correspondre avec les fournisseurs.
[65] Il n’a pas pris de mesures immédiates. Quelques semaines se sont écoulées. Il a indiqué que la personne nommée devait rencontrer le directeur général (DG), Denis Skinner, qui avait pris contact avec lui parce que la personne nommée était à la recherche de nouvelles occasions. Il a été appelé à participer à la discussion, laquelle est devenue la première entrevue avec la personne nommée afin d’évaluer son expérience, ses compétences et ses ambitions quant à l’évolution de sa carrière.
[66] Cette entrevue se serait déroulée à la fin de 2019. Mais lorsqu’il a été interrogé de manière plus approfondie en contre-interrogatoire, M. Mondor n’a pas pu se souvenir de la date exacte de la première entrevue ni de la manière dont il avait été invité à y participer. À l’époque, le bureau de M. Skinner et le sien étaient côte à côte, il n’aurait donc pas été difficile pour M. Skinner de l’inviter de manière informelle, en lui disant, par exemple, [traduction] « Martin, je rencontre une personne nommée à 14 h […] si tu es là, rejoins-moi […] », mais il ne se souvenait pas exactement de ce qui s’était passé.
[67] Lors du contre-interrogatoire, M. Mondor a également reconnu qu’il ne disposait d’aucun document concernant la première réunion avec la personne nommée, et qu’il se fiait uniquement à sa mémoire. Il dit avoir pris des notes dans un cahier de bureau noir; il parcourt ces cahiers rapidement et n’a plus les notes. Après avoir rencontré le DG et la personne nommée, il a décidé de poursuivre le processus.
F. Processus d’évaluation : la seconde entrevue
[68] La personne nommée a été rencontrée en entrevue une deuxième fois en décembre 2019 ou au début de janvier 2020, cette fois en présence de M. Gauthier, l’un des gestionnaires de l’équipe de gestion des fournisseurs. M. Mondor a mené la deuxième entrevue avec M. Gauthier, et ils ont poursuivi l’évaluation pour déterminer si la personne nommée s’intégrerait bien à l’équipe, car il était important d’avoir une bonne dynamique d’équipe.
G. L’évaluation narrative en vue de l’établissement de l’énoncé des critères de mérite
[69] M. Mondor a réalisé l’évaluation narrative en vue de l’établissement de l’énoncé des critères de mérite pendant le processus de dotation. Il a indiqué que cette évaluation était fondée sur les connaissances acquises au cours des entrevues, sur les notes concernant les réponses de la personne nommée aux questions et sur son CV. Il a expliqué en détail son évaluation narrative.
[70] Il a déclaré que la personne nommée satisfaisait au profil linguistique BBB et qu’elle avait produit des résultats valables aux tests linguistiques.
[71] Elle satisfaisait au critère de formation grâce à ses cinq années d’études postsecondaires, dont deux dans un domaine lié aux TI.
[72] M. Mondor a déclaré que tous les critères relatifs à l’expérience et aux connaissances ont été évalués en fonction de leurs conversations au cours des entrevues et du CV de la personne nommée. Les compétences ont été évaluées pendant l’entrevue et les communications écrites subséquentes relevaient simplement de l’observation. Il a déclaré qu’en ce qui concerne les qualifications en matière d’atouts, la personne nommée avait travaillé sur de gros instruments en matière d’approvisionnement à SPC. Elle avait accompagné et encadré des personnes dans son rôle de leader en tant que PG-06 intérimaire et avait démontré des compétences analytiques et d’évaluation selon son travail dans le domaine de l’approvisionnement pendant plus d’une décennie.
[73] En contre-interrogatoire, M. Mondor a expliqué que l’atout numéro 6 était une erreur de copier-coller et qu’il n’aurait pas dû figurer dans l’énoncé des critères de mérite. Il avait repris ce libellé d’une description de poste générique, mais n’avait jamais eu l’intention de le faire figurer dans l’énoncé définitif. Il a déclaré que ce point n’avait pas été évalué, qu’il n’avait pas été mentionné dans la Formulation de la décision de sélection et qu’il n’avait pas été inclus dans l’ANPN.
[74] À la suite de la seconde entrevue, l’énoncé des critères de mérite dûment rempli a été envoyé à un comité de gestion de l’effectif (CGE) qui s’est réuni le 4 février 2020. Ce comité est composé de sept DG et du dirigeant principal de l’information et sous-ministre adjoint de la direction générale, Peter Littlefield.
[75] Le rôle du CGE est d’approuver les processus de dotation pour les postes d’une durée de quatre mois ou plus. Le CGE doit approuver une mesure de dotation avant qu’elle ne soit envoyée à la direction générale officielle des RH d’EDSC. Il représente un palier supplémentaire pour ce qui est de la vigilance et de l’examen.
[76] En contre-interrogatoire, le plaignant a suggéré que le SMA de l’époque, Peter Littlefield, connaissait la personne nommée. Cependant, M. Mondor a déclaré qu’il savait qu’ils avaient tous deux travaillé à SPC, un ministère assez important, mais qu’il n’avait pas connaissance d’une relation hiérarchique directe dans le passé entre M. Littlefield et la personne nommée.
[77] M. Mondor a soumis la justification au CGE deux semaines avant la réunion, afin d’obtenir l’autorisation de nommer la personne désignée au poste CS-04 vacant. Cependant, il n’a pas assisté à la réunion et ne connaissait pas sa structure de gouvernance. Voici la motivation avancée :
[Traduction]
Demande d’approbation par le CGE de la nomination non annoncée pour une durée indéterminée de Sarah Lipski au poste vacant de conseillère principale CS-04 no 116626, à compter du 2 avril 2020.
Elle s’est qualifiée avec succès dans un bassin en tant que titulaire d’un poste PG-06 (2018-COLL-TBS-EA-PG06). Ouvert à la DGIIT. Ce rôle soutiendra la transformation de l’équipe de gestion des fournisseurs de la DGIIT.
Sarah travaille actuellement en tant que PG-06 intérimaire à Services partagés Canada. Elle est active dans le domaine de la gestion de l’approvisionnement et des fournisseurs depuis plusieurs années, soutenant la mise en place d’accords d’approvisionnement et d’instruments contractuels qui soutiennent la prestation de services de la part de SPC.
Les compétences et l’expérience qu’elle a acquises en matière de passation de marchés, d’approvisionnement et de gestion des fournisseurs seront utiles à EDSC, car la DGIIT évolue et améliore son programme de gestion des fournisseurs.
Sarah a démontré qu’elle était très efficace et a reçu plusieurs prix ministériels pour l’excellence en matière d’innovation et de service. Martin Mondor et Denis Skinner l’ont interrogée sur ses connaissances et ses capacités. Cette mesure de dotation est soutenue par les deux.
Ce processus de nomination est considéré comme une promotion par la DGSRH. Il existe une différence entre le salaire maximum pour ces deux classifications. Pour un PG-06, il est de 114 277 $ par an et pour un CS-04, il est de 118 499 $ par an.
Elle renouvellera ses résultats à l’oral le 9 janvier 2020. Elle satisfait aux exigences linguistiques du poste pour l’écriture (B) et la lecture (C).
La candidate satisfait aux exigences en matière de sécurité et de formation.
* L’autorisation de la CFP sera obtenue avant la nomination.
[…]
[Les passages mis en évidence le sont dans l’original]
[78] En contre-interrogatoire, il lui a été demandé d’expliquer s’il avait connaissance des renseignements supplémentaires figurant dans les colonnes intitulées [traduction] « Niveau de risque et facteurs à prendre en compte dans le cadre du mandat actuel » et [traduction] « Niveau de risque et facteurs à prendre en compte dans le cadre du mandat proposé », et notamment de la partie qui indiquait ce qui suit : [traduction] « Nomination non annoncée niveau CS-04. Mérite démontré dans un processus de nomination PG-06 ».
[79] M. Mondor a déclaré que lorsqu’un [traduction] « avertissement » était utilisé, cela signifiait que la nomination n’était pas automatiquement approuvée, mais qu’elle devait faire l’objet d’un examen plus approfondi. Il a déclaré que les RH n’avaient jamais évoqué ces risques avec lui. Il n’était pas au courant qu’un risque avait été signalé au CGE puisqu’il n’avait pas assisté à sa réunion, et il ne savait pas exactement ce que signifiait ce risque. Il a déclaré que le fait que la personne nommée ait été qualifiée pour un poste PG-06 n’avait pas beaucoup d’importance.
[80] Après l’approbation du CGE, la mesure de dotation a été envoyée à la direction générale des RH d’EDSC et a été traitée. L’une des dernières étapes du processus de documentation de la dotation était la « Formulation de la décision de sélection » (RCD, onglet 12), que M. Mondor a déclaré avoir préparée. Il ne se souvient pas du moment où il l’a préparée, mais il a déclaré qu’elle avait dû être préparée après la réunion du CGE. Lors du contre-interrogatoire, il a expliqué qu’il avait écrit [traduction] « elle est hautement recommandée par la direction de la DGIIT » à la troisième personne, mais que cela signifiait que M. Skinner et lui-même l’avaient recommandée. Il a reconnu qu’aucune vérification formelle des références n’avait été effectuée.
[81] M. Mondor a reconnu, au cours du contre-interrogatoire, qu’il n’avait jamais pensé à créer un poste de PG dans son ministère. Il estimait que le CV de la personne nommée démontrait qu’elle possédait les compétences nécessaires pour travailler dans le domaine de l’informatique. Il a reconnu en contre-interrogatoire qu’il était également plus facile d’embaucher quelqu’un à un poste CS existant que de créer un nouveau poste PG, étant donné que les postes PG n’existaient pas dans ses équipes.
V. Résumé de l’argumentation
A. Pour le plaignant
1. Choix du processus
[82] Le plaignant a fait valoir qu’il s’agit d’un cas manifeste d’abus de pouvoir dans le choix du processus et l’application du principe du mérite.
[83] Le plaignant a fait valoir que le paragraphe 30(1) de la LEFP dispose que les nominations à la fonction publique doivent être fondées sur le mérite.
[84] M. Taticek aspirait à atteindre le plus haut niveau en tant que CS-05, mais il a d’abord cherché à obtenir un poste de CS-04. Cependant, il affirme qu’il n’a pas eu l’occasion de participer au processus en raison de la décision de l’intimé d’opter pour un processus non annoncé.
[85] Le plaignant affirme que M. Mondor a reçu le CV de la personne nommée de la part du bureau du DG à une date inconnue en 2019. Il n’y a aucune preuve de la date ou de la réception d’un courriel ou d’une communication relative au CV de la personne nommée.
[86] M. Mondor a déclaré qu’il supprimait tous les courriels et les invitations au calendrier lorsque les tâches correspondantes étaient terminées.
[87] M. Mondor a également déclaré qu’aucune entrevue formelle n’avait eu lieu lorsque le CV de la personne nommée avait été reçu. Le DG est plutôt entré dans le bureau de M. Mondor à une date inconnue à la fin de 2019 ou au début de 2020 et l’a informé d’une réunion préalablement organisée avec la personne nommée.
[88] L’intimé n’a fourni aucune déclaration de témoin de la part du bureau du DG, aucun courriel, aucune note, ni même une invitation au calendrier indiquant que cette réunion a eu lieu. La deuxième réunion avec la personne nommée a également eu lieu à une date inconnue au début de 2020. Encore une fois, l’intimé n’a fourni aucune déclaration de témoin, aucun courriel relatif à la réunion, aucune note, et pas même une invitation au calendrier pour établir qu’elle a eu lieu.
[89] Le plaignant a indiqué que, pour des raisons d’équité et de transparence, les fonctionnaires sont censés tenir des registres précis, et qu’il existe un droit de déposer des plaintes en matière de dotation et de divulgation dans le cadre des processus.
[90] Le plaignant a soutenu que le témoignage de M. Mondor sur le fait qu’il n’a pas conservé les courriels, les inscriptions au calendrier et les notes n’est pas crédible. Aucune déclaration de témoin n’a été fournie par un membre des RH; aucun courriel, aucune note, aucun compte rendu de conversation ou aucune invitation au calendrier n’ont été conservés pour indiquer que les deux réunions avaient eu lieu.
[91] En outre, le plaignant a affirmé que le témoignage de M. Mondor, selon lequel il n’a jamais eu de conversation avec une partie ayant cerné un risque dans le cadre de la mesure de dotation et qu’il n’a jamais réalisé d’évaluation des risques, n’est pas crédible.
[92] Le plaignant a également affirmé que l’intimé n’avait fourni aucune déclaration de témoin, aucun courriel concernant le risque lié au recours à un processus non annoncé pour embaucher une personne de niveau PG-06 à un poste de niveau CS-04, aucune note concernant les conversations et aucune preuve permettant d’étayer la manière dont le risque a été cerné ou résolu lorsqu’on lui a demandé comment les risques avaient été traités.
[93] Le plaignant a indiqué que l’article 33 de la LEFP donne à la direction le pouvoir discrétionnaire de choisir un processus de nomination annoncé ou non annoncé, mais ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu (voir Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, au par. 64).
[94] À la lecture du préambule de la LEFP, il apparaît clairement que le gouvernement fédéral s’est engagé à mettre en place une fonction publique dans laquelle les processus d’emploi sont équitables, la volonté de dialogue réelle, etc.
[95] Comme l’indique le paragraphe 125 de Beyak c. le sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 7, le pouvoir discrétionnaire doit être exercé conformément à l’objet législatif de la LEFP, lequel prévoit la mise en place d’un processus de dotation transparent.
[96] En outre, l’abus de pouvoir ne se limite pas au favoritisme (voir Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, aux paragraphes 21 et 38). La définition d’« abus de pouvoir » n’est pas exhaustive et peut inclure d’autres formes de comportement inapproprié.
[97] M. Mondor a déclaré qu’il avait le pouvoir de décider s’il fallait opter pour un processus annoncé ou non annoncé, mais que ce pouvoir discrétionnaire n’était ni absolu ni illimité. Le document d’EDSC intitulé « Lignes directrices concernant le recours à des processus de nomination annoncés et non annoncés » énonce les principaux éléments dont il faut tenir compte. M. Mondor a admis qu’il n’existait aucune des raisons professionnelles justifiant le choix d’un tel processus. L’intimé n’a produit aucun document justifiant la nécessité d’un processus non annoncé et non d’un processus annoncé.
[98] L’intimé a admis qu’aucune analyse de risque n’avait été effectuée. Le plaignant soutient qu’il a choisi d’écarter les risques liés à la nomination d’une personne classée au niveau PG-06 à un poste CS-04 de durée indéterminée.
[99] Dans Beyak, l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal ») a conclu que la justification donnée était insuffisante et constituait un abus de pouvoir. De même, la Commission doit conclure qu’il y a eu abus de pouvoir en l’espèce, car aucun document ne démontre qu’un examen des raisons justifiant le recours à un processus non annoncé a été effectué.
2. Évaluation du mérite
[100] L’évaluation du mérite est un élément important du processus de dotation. Rochon c. le sous-ministre des Pêches et des Océans, 2011 TDFP 7 l’indique : les personnes nommées qui ne satisfont pas aux exigences officielles ne possèdent pas les qualifications essentielles.
[101] Le plaignant a fait valoir que les qualifications essentielles ont été évaluées globalement plutôt que séparément. De plus, M. Mondor n’a pas pu expliquer pourquoi la personne nommée a été jugée qualifiée. Il a déclaré qu’elle avait satisfait aux qualifications constituant un atout en fonction de son travail au poste PG-06.
[102] Le plaignant est d’avis que la personne nommée n’était pas qualifiée pour le poste. Elle ne répondait pas au critère de l’atout numéro 6. M. Mondor a affirmé qu’il s’agissait d’une erreur de copier-coller et que ce critère ne devait pas être évalué.
[103] Selon le témoignage de M. Mondor, l’énoncé des critères de mérite a été achevé après une réunion avec la personne nommée. Notamment, le plaignant a soutenu que les éléments qui devaient y figurer ont été réduits de façon radicale.
[104] Malgré l’existence d’éléments de preuve documentaires importants indiquant que la qualification de la personne nommée dans un bassin de postes PG-06 a été utilisée pour justifier la nomination, M. Mondor a déclaré qu’il n’y avait pas accordé beaucoup d’importance. Le plaignant affirme que cette preuve est contradictoire et que son témoignage manque de crédibilité.
[105] Le plaignant soutient que M. Mondor a manipulé les critères de mérite pour convaincre l’intimé que la personne nommée pouvait être nommée.
[106] Le plaignant a fait remarquer que le fait de supposer qu’une personne possède une compétence essentielle sans la vérifier est un signe de partialité. Dans Desalliers c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2022 CRTESPF 70, comme dans la présente affaire, la personne nommée ne possédait pas certaines qualifications et il a été jugé que l’intimé avait abusé de son pouvoir lors de l’évaluation du mérite.
[107] Le paragraphe 2(4) de la LEFP précise que l’abus de pouvoir comprend la mauvaise foi et le favoritisme personnel. Dans Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10, le Tribunal a énoncé les critères permettant d’établir une crainte raisonnable de partialité et a commenté la nécessité d’une évaluation sans parti pris. Le Tribunal a conclu que les responsables ont l’obligation d’effectuer une évaluation qui n’est pas entachée de partialité et qui ne suscite pas de crainte raisonnable de partialité.
[108] M. Mondor a déclaré que l’employée répondait aux exigences en raison de l’achèvement d’un programme acceptable en informatique et en TI. Le plaignant a affirmé que le diplôme sur lequel M. Mondor s’est appuyé a été délivré par un établissement non reconnu au Canada.
[109] Il s’agissait là d’une attitude totalement inappropriée et d’un mépris délibéré des processus de dotation, y compris de l’objectif d’offrir des possibilités équitables à d’autres personnes.
[110] Le plaignant a renvoyé au paragraphe 72 de Rochon, où le Tribunal souligne que l’article 36 de la LEFP confère un large pouvoir discrétionnaire, mais que les méthodes de dotation doivent permettre d’évaluer efficacement les qualifications et être utilisées d’une manière juste et raisonnable. Il soutient que si les méthodes d’évaluation utilisées n’ont aucun lien avec les qualifications ou ne permettent pas de les évaluer, le résultat n’est pas raisonnable ou juste. Il affirme qu’il est impossible de prétendre que les méthodes utilisées en l’espèce ont permis d’évaluer efficacement les qualifications ou qu’elles étaient justes ou équitables.
[111] Le plaignant a déclaré dans ses conclusions qu’il semble qu’on ait dit à M. Mondor de [traduction] « faire en sorte que ça marche ».
[112] La nomination d’une personne qui ne possède pas les qualifications essentielles constitue un abus de pouvoir. Il n’est pas nécessaire qu’il soit intentionnel (voir Tibbs, aux par. 73 et 74).
3. Mesure corrective demandée
[113] Le plaignant soutient qu’il s’est acquitté du fardeau de la preuve.
[114] Lorsqu’un abus de pouvoir est constaté, la Commission a le pouvoir de rendre une décision déclaratoire et d’ordonner la révocation de la nomination.
[115] Le plaignant a reconnu que la personne nommée n’occupe plus le poste CS-04. Il demande toujours à la Commission de rendre une décision déclaratoire selon laquelle l’intimé a enfreint les dispositions pertinentes de la loi et d’ordonner la révocation de la nomination.
B. Pour l’intimé
[116] L’intimé soutient que le plaignant semble s’être mépris sur la partie à qui incombe le fardeau de la preuve. Le plaignant avait le fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi (voir Jolin c. l’administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 11, aux paragraphes 42 à 44).
[117] L’intimé a soutenu qu’il n’y avait pas eu d’abus de pouvoir dans le choix du processus ou dans l’application du principe du mérite. La personne nommée répondait à toutes les exigences. Il n’y a pas eu de favoritisme personnel, de pression indue, d’influence politique ou de partialité.
[118] Pour obtenir gain de cause dans son allégation d’abus de pouvoir, le plaignant doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu un acte répréhensible grave ou une faute allant au-delà d’une simple erreur ou omission. Dans Portree c. l’administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14, au par. 47, on peut lire ceci :
[47] L’allégation d’abus de pouvoir est une question très grave et ne doit pas être prise à la légère. En résumé, pour obtenir gain de cause devant le Tribunal, une plainte d’abus de pouvoir doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a un acte répréhensible grave ou une faute majeure dans le processus, qui constitue plus qu’une simple erreur, omission ou conduite irrégulière justifiant l’intervention du Tribunal.
[119] Le paragraphe 2(4) de la Loi précise que l’abus de pouvoir comprend la mauvaise foi ou le favoritisme personnel. Il comprend également l’insouciance ou la négligence grave (voir Morris c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2009 TDFP 9, aux par. 72 et 74; et Tibbs, aux par. 64 et 65). L’erreur ou l’omission doit être à ce point grave qu’elle n’aurait pas pu faire partie de la décision du gestionnaire délégué. Il ne doit pas s’agir d’une simple erreur administrative dans les documents.
[120] Rien dans la preuve n’indique que le degré d’erreur exigé pour établir la mauvaise foi ait été atteint.
[121] Puisque le plaignant n’a pas prouvé l’abus de pouvoir, il ne peut y avoir de révocation de la nomination. Si la Commission conclut qu’il y a eu abus de pouvoir, la révocation ne serait pas la mesure corrective appropriée puisque la personne nommée n’occupe plus le poste.
[122] Le pouvoir de la Commission en matière de mesures correctives est limité par les articles 81 et 82 de la Loi au processus de nomination dont elle est saisie (voir Canada (Procureur général) c. Cameron, 2009 CF 618, au par. 18). La révocation est théorique à ce stade et aurait le même effet qu’une décision déclaratoire. La Commission ne peut que rendre une décision déclaratoire étant donné que le processus de nomination n’existe plus.
[123] La présente affaire se distingue de Turner c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2021 CRTESPF 52, où la Commission a conclu que les qualifications essentielles avaient été vidées de leur substance et qu’elles ne représentaient plus le travail à accomplir.
1. Choix du processus
[124] L’article 33 de la Loi prévoit expressément la possibilité de recourir à un processus non annoncé. Il n’y a pas de préférence pour un processus annoncé par rapport à un processus non annoncé, et la décision d’utiliser un processus non annoncé ne constitue pas en soi un abus de pouvoir.
[125] Dans Robbins c. l’administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 17, aux par. 26 et 36, le Tribunal a indiqué que le plaignant doit prouver que la décision même de choisir un processus non annoncé constituait un abus de pouvoir. Dans D’Almeida c. Gendarmerie royale du Canada, 2020 CRTESPF 23, aux par. 55 et 57, la Commission a fait remarquer que la LEFP permet de choisir un processus annoncé ou non annoncé. L’allégation d’abus de pouvoir doit être fondée sur des motifs autres que le fait de trouver une personne qui répond aux critères à remplir. La décision doit être justifiée et exempte de partialité.
[126] Il n’est pas nécessaire d’annoncer tous les processus ni de garantir un droit d’accès à tous les postes existants (voir Jarvo c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 6, aux paragraphes 32 à 35).
[127] Il n’y a pas non plus d’obligation de sélectionner les personnes nommées à partir d’un bassin existant. En outre, M. Taticek n’a pas présenté de preuve selon laquelle il était qualifié pour faire partie d’un bassin de candidats à un poste CS-04.
[128] Le choix d’un processus non annoncé répondait à un besoin opérationnel. Dans Chuey c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2021 CRTESPF 58, la Commission a statué que les besoins opérationnels constituent une raison suffisante pour choisir un processus non annoncé.
[129] L’intimé a fait valoir que le choix du processus était conforme au document [traduction] « Lignes directrices concernant le recours aux processus de nomination annoncés et non annoncés » d’EDSC, ainsi qu’à la Politique de nomination de la CFP et à l’esprit de la Loi. Il a prouvé qu’il avait examiné l’intégralité des Lignes directrices. De plus, ces dernières n’ont qu’une valeur indicative et n’établissent pas d’exigences.
[130] Il n’est pas obligatoire de procéder à une analyse des risques; celle-ci est encouragée, mais non exigée (RCD, page 48).
[131] En outre, l’intimé n’est pas d’accord avec l’importance accordée à la colonne rouge dans le document du CGE. M. Mondor devait embaucher une personne possédant des compétences hautement spécialisées, et c’est pourquoi il a opté pour le processus non annoncé.
[132] Selon les arguments de la CFP, l’administrateur général doit s’assurer que l’énoncé des critères de mérite, l’évaluation narrative et la Formulation de la décision de sélection sont fournis, et ces exigences ont été respectées.
[133] Le plaignant a tenté d’établir une faille dans l’absence de documents, mais une justification écrite n’est plus exigée, de sorte que le poids à accorder à cet argument doit être faible.
[134] En conclusion, en ce qui concerne le choix du processus, la direction a procédé de manière objective dans le but de trouver une personne possédant les compétences requises. La personne nommée était la meilleure en raison de sa capacité à travailler avec les fournisseurs de TI et de son expérience en gestion.
2. Application du principe du mérite
[135] L’intimé a soutenu qu’il n’y avait pas eu d’abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite.
[136] Les gestionnaires subdélégués bénéficient d’un large pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 32 de la Loi pour établir les qualifications nécessaires pour un poste.
[137] M. Mondor a déclaré que la personne nommée était la bonne personne. Il a mené des entrevues, examiné son CV et fourni une évaluation narrative de chaque qualification essentielle par rapport à l’énoncé des critères de sélection (RCD, onglet 11). Il y avait suffisamment de facteurs et de renseignements pour appuyer la conclusion que la personne nommée possédait les critères d’expérience requis (voir Bérubé c. Sous-ministre de l’Industrie, 2021 CRTESPF 78, au par. 159).
[138] L’évaluation a été raisonnable, transparente et juste.
[139] En ce qui concerne les études, M. Mondor a déclaré que la personne nommée répondait à cette qualification grâce à son B.A. et à son diplôme technique.
[140] M. Mondor a été crédible lorsqu’il a expliqué l’erreur de copier-coller pour le critère de l’atout numéro 6. Cette qualification ne figurait pas dans la notification de candidature retenue, et il s’agissait de la dernière étape du processus. Il s’agissait simplement d’un [traduction] « bon point » et non d’une qualification essentielle.
[141] En ce qui concerne les allégations de partialité, des éléments de preuve convaincants sont nécessaires, et ils n’ont pas été fournis (voir Clout c. le sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2007 TDFP 22, aux paragraphes 41 et 42).
[142] Rien ne prouve que les critères de mérite ont été abaissés pour favoriser la personne nommée.
[143] Le plaignant n’a fourni aucune preuve pour étayer l’allégation de favoritisme personnel.
[144] Le plaignant n’a pas prouvé que l’intimé avait fait preuve d’insouciance dans la conservation des documents. Plusieurs décisions de la Commission mentionnent que les omissions ne constituent pas un abus de pouvoir (voir Thompson c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2017 CRTEFP 22; et Adkin c. Sous-ministre du ministère de l’Environnement, 2017 CRTESPF 40).
[145] Pour ces motifs, l’intimé a fait valoir que le plaignant n’a pas établi de partialité ou d’abus de pouvoir dans la sélection du principe du mérite et a demandé que la plainte soit rejetée.
C. Pour la CFP
[146] La CFP a déposé des arguments de principe généraux et des arguments particuliers. Elle n’a pas pris position sur le bien-fondé de la plainte. Dans ses arguments, elle a examiné le concept de mérite en vertu de l’article 30 de la Loi. Elle a également souligné le large pouvoir discrétionnaire dont disposent les gestionnaires pour choisir les méthodes d’évaluation qu’ils jugent les plus appropriées. La CFP a également souligné ce que la Politique de nomination de la CFP exige des administrateurs généraux lorsqu’ils procèdent à une nomination. Elle a invoqué Robert c. le sous-ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 TDFP 24, au par. 69, où le Tribunal a conclu que les administrateurs généraux sont assujettis aux politiques établies par la CFP et qu’ils ont l’obligation, en vertu du paragraphe 29(3) de la LEFP, de se conformer à ces politiques.
VI. Analyse
A. Crédibilité
[147]L’évaluation de la crédibilité a été examinée dans Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (BC CA), décision souvent invoquée, que la Commission a appliquée à maintes reprises. Dans cette décision, la Cour a confirmé que, pour évaluer la crédibilité, un tribunal ne peut se fonder uniquement sur l’attitude (le comportement d’un témoin). Il doit soumettre le récit du témoin à [traduction] « un examen de sa cohérence » ou [traduction] « […] de son adéquation avec la norme de la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et informée reconnaîtrait aisément comme raisonnable en ce lieu et dans ces conditions ». En substance, le décideur doit se demander si le récit du témoin est cohérent avec ce qu’une personne pratique et informée reconnaîtrait facilement comme raisonnable.
[148] En ce qui concerne la crédibilité, je considère que le témoignage de M. Mondor est, pour l’essentiel, clair et direct. Bien qu’il n’ait pu se souvenir de certaines dates dans la chronologie du processus de dotation, y compris la date de création du poste CS-04 ou la date à laquelle il a rencontré la candidate pour la première fois, il fallait s’y attendre, car le passage du temps peut affecter la mémoire d’un témoin. Je considère comme crédible l’explication qu’il a fournie au cours de l’audience pour justifier le choix d’un processus non annoncé. Dans l’ensemble, le plaignant semble assimiler à un manque de crédibilité l’absence de documents supplémentaires pour étayer le témoignage de vive voix de M. Mondor et son incapacité à se souvenir de détails de la chronologie d’un processus de dotation en personnel de 2020. Cependant, l’évaluation de la crédibilité est un exercice plus rigoureux qui exige que le décideur examine la cohérence de l’ensemble de la preuve d’un témoin.
[149]Après l’échange de renseignements intervenu entre juillet 2020 et le 4 août 2020, le plaignant aurait pu demander une ordonnance de production de documents sans doute pertinents de l’intimé s’il n’était pas satisfait des réponses fournies ou s’il avait des raisons de croire que les explications de l’intimé n’étaient pas crédibles. Par exemple, le plaignant aurait pu demander une ordonnance pour la production de renseignements concernant la date de création du poste, des renseignements provenant du calendrier électronique de M. Mondor concernant la date des premières réunions avec la personne nommée, mais aucune demande de ce type n’a été formulée. Le plaignant demande au contraire à la Commission de s’appuyer sur des conjectures et sur ce qu’il considère comme des omissions de documents pour étayer son affirmation selon laquelle il y a eu abus de pouvoir dans le choix d’un processus non annoncé.
[150] En examinant la preuve dans son ensemble, je conclus que le témoignage de M. Mondor est conforme à la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et informée reconnaîtrait comme raisonnable dans les circonstances.
[151] Selon le témoignage non contredit de M. Mondor, il a choisi un processus non annoncé pour des raisons opérationnelles et parce qu’il était nécessaire de mettre l’accent sur des compétences précises dans la description de poste générique qu’il ne voyait généralement pas dans le profil d’un CS-04. Il s’agissait notamment de bonnes aptitudes en matière de rédaction et d’une expérience en matière d’approvisionnement en TI auprès de fournisseurs.
[152] Lors du contre-interrogatoire, il a fait remarquer que certaines des raisons commerciales invoquées pour choisir un processus non annoncé ne s’appliquaient pas au processus, et il a précisé qu’il s’agissait de suggestions et non d’exigences. Il a déclaré qu’il y avait peu de chances qu’il trouve une personne possédant l’ensemble des compétences de la personne nommée au sein d’EDSC parce que les bassins de CS‑04 existants avaient été [traduction] « relativement vides » dans le passé. Le plaignant n’a fourni aucune preuve pour réfuter ce témoignage et j’accepte le témoignage de M. Mondor concernant la raison pour laquelle il a choisi un processus non annoncé.
[153] Bien que je trouve étrange qu’un gestionnaire délégué n’ait pas été informé par les RH du risque lié au choix d’un processus non annoncé pour nommer un PG-06 à un poste CS-04 nouvellement créé pour une durée indéterminée, le témoignage non contredit de M. Mondor est le suivant : 1) il ne savait pas comment le CGE était régi et 2) les RH et les membres du CGE n’ont jamais soulevé le moindre risque auprès de lui. En l’absence de toute preuve du plaignant contredisant ce témoignage et à la lumière de l’ensemble du témoignage de M. Mondor, j’estime qu’il s’agit d’une explication raisonnable.
Question en litige no 1 : Le choix d’un processus de nomination non annoncé constitue-t-il un abus de pouvoir?
[154] L’alinéa 77(1)b) de la Loi prévoit le droit de présenter une plainte selon laquelle l’intimé a abusé de son pouvoir du fait qu’elle a choisi un processus annoncé ou non annoncé, selon le cas.
[155] Il incombe au plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir.
[156] Bien que la Loi ne contienne pas une définition exhaustive d’abus de pouvoir, celui-ci inclut la mauvaise foi, le favoritisme personnel et d’autres formes de comportement inapproprié, « […] il fa[ut] plus que de simples erreurs ou omissions […] » (voir Tibbs, au par. 65).
[157] L’article 33 de la Loi permet à la CFP de choisir un processus annoncé ou un processus non annoncé.
[158] Il n’y a pas de préférence pour un processus par rapport à l’autre. De plus, le simple fait de choisir un processus non annoncé ne permet pas de conclure immédiatement à un abus de pouvoir. Néanmoins, le pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 33 n’est pas absolu (voir Tibbs, au par. 64). Il est limité par les objectifs de la Loi visant à assurer un processus de dotation juste, fondé sur le mérite et transparent au sein de la fonction publique.
[159] Le choix d’un processus entaché de partialité ou d’une crainte raisonnable de partialité ne peut être équitable.
[160] Dans Beyak, au par. 125, le Tribunal a invoqué la décision établissant un précédent de la Cour suprême du Canada sur les paramètres du pouvoir discrétionnaire administratif, Roncarelli v. Duplessis, [1959] RCS 121. Dans Roncarelli, au paragraphe 140, le juge Rand a formulé les commentaires suivants sur l’exercice de bonne foi du pouvoir discrétionnaire administratif, qui sont particulièrement pertinents :
[Traduction]
Dans une réglementation publique de cette nature, il n’y a rien de tel qu’une « discrétion » absolue et sans entraves, c’est-à-dire celle où l’administrateur pourrait agir pour n’importe quel motif ou pour toute raison qui se présenterait à son esprit; une loi ne peut, si elle ne l’exprime expressément, s’interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n’importe quel but, si fantaisiste et hors de propos soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi. La fraude et la corruption au sein de la commission ne sont peut-être pas mentionnées dans des lois de ce genre, mais ce sont des exceptions que l’on doit toujours sous-entendre. La « discrétion » implique nécessairement la bonne foi dans l’exercice d’un devoir public. Une loi doit toujours s’entendre comme s’appliquant dans une certaine optique, et tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est tout aussi répréhensible que la fraude ou la corruption […]
[Les passages en évidence le sont dans l’original]
[161] En l’espèce, le plaignant a fait valoir qu’il y avait eu abus de pouvoir parce que l’intimé n’avait pas justifié le choix d’un tel processus ou n’avait pas examiné ces raisons de manière adéquate. En outre, le plaignant a affirmé que les raisons fournies par l’intimé au cours de l’audience n’étaient pas crédibles.
[162] Je ne suis pas de cet avis.
[163] Certes, M. Mondor aurait pu mieux justifier le processus de dotation et conserver les documents s’y rapportant, mais la Loi n’exige pas la quantité de documents demandée par le plaignant. En outre, une justification écrite du choix du processus ou un examen écrit des motifs n’est pas exigé par la loi ou les politiques citées par les parties. Je suis d’accord avec l’intimé pour dire qu’il n’y avait aucune obligation de répondre à l’une ou l’autre des raisons opérationnelles potentielles pour le choix d’un processus non annoncé qui sont énumérées dans les [traduction] « Lignes directrices concernant le recours à des processus de nomination annoncés ou non annoncés » d’EDSC.
[164] Cette politique est un document d’orientation destiné aux gestionnaires subdélégués pour les aider à prendre des décisions judicieuses lorsqu’ils choisissent le type de processus de nomination. En vérité, l’annexe B du guide précise que les motifs énumérés sont des exemples et que le gestionnaire subdélégué peut invoquer d’autres motifs en fonction de l’évaluation qu’il fait des circonstances. En l’espèce, j’estime que, d’après le témoignage de M. Mondor, il est clair qu’il a eu recours à un processus non annoncé pour pouvoir embaucher de manière efficace la personne possédant les compétences dont il avait besoin et qui manquait à l’équipe de gestion des fournisseurs.
[165] En outre, la présente affaire se distingue de Beyak, dans laquelle le Tribunal a conclu que la justification fournie pour l’utilisation d’un processus non annoncé (c.‑à‑d. le taux de roulement élevé du personnel dans l’unité et la nécessité de conserver les connaissances de l’entreprise) était essentiellement un leurre. Dans Beyak, l’intimé a choisi un processus non annoncé afin d’éviter un examen minutieux et de récompenser la personne nommée. En l’espèce, le plaignant a déclaré que la raison invoquée par l’intimé pour choisir un processus non annoncé n’était pas crédible, sans fournir d’éléments de preuve pour la réfuter. En outre, je ne peux pas accepter qu’il n’y ait pas eu d’examen adéquat de cette justification puisque la preuve non contredite montre que M. Mondor a envoyé la recommandation de nommer la candidate au CGE – un comité de la haute direction au sein d’EDSC – lequel a examiné la justification fournie et l’a approuvée.
[166] L’article 33 de la Loi confère un large pouvoir discrétionnaire aux gestionnaires pour choisir un processus qui réponde à leurs besoins. Il s’agit d’une disposition conçue pour faciliter la flexibilité en matière de dotation. Elle permet de choisir entre un processus non annoncé et un processus annoncé. En règle générale, un processus non annoncé peut nécessiter la prise en considération d’un seul candidat qui possède les qualifications essentielles, y compris les compétences linguistiques, tandis qu’un processus interne annoncé peut être plus long et concerner un ou plusieurs candidats. De toute évidence, en l’espèce, l’intimé a choisi un processus qui a permis de recruter plus efficacement la personne compétente dont l’équipe de gestion des fournisseurs avait besoin.
[167] Comme l’a déclaré M. Mondor, après avoir reçu le CV de la personne nommée et l’avoir rencontrée en entrevue, il a profité de l’occasion pour combler un besoin organisationnel qui avait été cerné plus tôt à la suite d’un examen par une tierce partie et d’une recommandation selon laquelle il fallait une personne possédant de solides compétences en matière de communication davantage axées sur la planification stratégique. La Commission accepte cette explication. Il ne s’agit pas d’un abus de pouvoir. Il s’agit de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire autorisé par l’article 33 de la Loi. Par conséquent, la Commission estime qu’il n’y a pas eu d’abus de pouvoir dans le choix du processus.
B. Question en litige no 2 : L’intimé a-t-il commis un abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite?
[168] Le libellé des paragraphes 30(1), 30(2) et 30(3) et de l’alinéa 77(1)a) de la Loi est le suivant :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[Je mets en évidence]
[169] Les allégations d’abus de pouvoir doivent être prises au sérieux. En outre, pour établir l’existence d’un abus de pouvoir dans l’évaluation du mérite sur la base de la mauvaise foi ou de la partialité, de simples erreurs ou omissions administratives ne suffisent pas.
C. Énoncé des critères de mérite
[170] La Commission et l’ancien Tribunal ont fait remarquer qu’un administrateur général jouit d’un pouvoir discrétionnaire important lorsqu’il établit l’énoncé des critères de mérite. De plus, il n’est pas nécessaire que les qualifications essentielles choisies figurent mot pour mot dans la description de poste.
[171] En l’espèce, l’intimé a déclaré, dans un témoignage non contredit, que les critères figurant dans l’énoncé des critères de mérite étaient tirés de la description de poste générique du ministère pour le poste CS-04 (RCD, onglet 2). L’intimé avait certainement le droit de déterminer les qualifications essentielles de la description de poste générique qui feraient partie de l’énoncé des critères de mérite.
[172] Bien que le plaignant ait passé un certain temps à comparer la description de poste PG-06 à la description de poste générique CS-04, je n’ai pas compétence pour déterminer si le poste CS-04 a été correctement classifié. En outre, les descriptions de poste génériques pour d’autres postes CS-04 que le plaignant a examinées dans le domaine de l’infrastructure informatique ne sont pas pertinentes étant donné que le témoignage non contredit de l’intimé indique qu’il a créé un poste CS-04 unique pour soutenir la nouvelle orientation de l’équipe de gestion des fournisseurs sur la base de la description de poste du ministère. Selon le témoignage non contredit de M. Mondor, l’équipe élargissait son périmètre d’action et elle avait besoin d’une personne possédant de solides compétences en matière de communication avec la haute direction, de relations avec les fournisseurs et d’approvisionnement, ainsi qu’une vision plus stratégique des TI afin de soutenir la prestation de services.
[173] L’examen de la description de poste générique pour le poste CS-04 et de l’énoncé des critères de mérite indique clairement que l’intimé a choisi de se concentrer sur les quelques qualifications essentielles requises pour remplir le nouveau rôle au sein de la direction générale. Je ne trouve aucune preuve indiquant que l’énoncé a été édulcoré. J’estime plutôt que l’intimé a créé un poste CS-04 qui répondait aux besoins particuliers de l’équipe de gestion des fournisseurs à la DGIIT.
[174] Le plaignant a également affirmé que la personne nommée ne répondait pas au critère des études minimales, à savoir au moins deux années d’études postsecondaires acceptables en informatique, en gestion de l’information, en TI ou dans une autre spécialité en rapport avec le poste à pourvoir.
[175] J’estime que le CV de la personne nommée et le témoignage de M. Mondor selon lequel l’intimé s’est appuyé sur les cinq années d’études postsecondaires de la personne nommée, y compris un diplôme de deux ans en informatique, constituent une preuve suffisante qu’il n’y a pas eu d’abus de pouvoir dans l’évaluation de ce critère. Le plaignant n’a fourni aucune preuve que le diplôme en informatique de la personne nommée n’était pas valable et il n’a pas non plus étayé son affirmation selon laquelle ses qualifications en informatique provenaient d’un établissement non reconnu. En outre, son diplôme en littérature anglaise était certainement pertinent pour un poste qui exigeait d’excellentes compétences en matière de rédaction et de communication.
[176] L’évaluation narrative fournie pour le critère de l’expérience était relativement complète. Je suis d’accord avec le plaignant pour dire que l’intimé s’est appuyé, en partie, sur l’expérience de la personne nommée en tant que PG-06 intérimaire. Cependant, j’estime également que l’intimé s’est appuyé sur les 13 années d’expérience de la personne nommée en tant que PG pour expliquer comment elle répondait à toutes les qualifications essentielles, à savoir 1) proposer des solutions oralement et par écrit à la haute direction, 2) fournir une orientation technique et des conseils aux équipes techniques, et 3) travailler au sein de groupes de travail interministériels.
[177] Dans la présentation au CGE et dans la Formulation de la décision de sélection, l’expérience de la personne nommée en matière de PG est également soulignée, en particulier les années qu’elle a passées dans le domaine de l’approvisionnement, de la négociation de contrats et de la gestion de projets d’approvisionnement. Je ne vois rien d’anormal à ce que l’on s’appuie sur l’expérience pertinente d’une personne nommée dans des postes antérieurs, même si ces postes n’appartiennent pas au même groupe de classification, puisque l’expérience acquise dans un poste peut être pertinente et transposable dans un autre.
[178] En outre, je considère que l’évaluation narrative est plus qu’une évaluation globale, car chaque qualification essentielle de l’énoncé des critères de mérite est numérotée et correspond à un paragraphe numéroté dans la colonne adjacente, qui décrit très précisément la manière dont la personne nommée satisfait à la qualification essentielle. Une évaluation globale ne comprendrait pas le niveau de détail que l’on trouve dans l’énoncé et l’évaluation narrative de la personne nommée.
[179] L’évaluation de l’énoncé des critères de mérite indique que la personne nommée [traduction] « s’inscrit continuellement à des formations ». Interrogé de manière plus approfondie en contre‑interrogatoire, M. Mondor n’a pas pu fournir une liste du type de formation à laquelle la personne nommée avait effectivement participé et a fait remarquer que toutes les personnes nommées ne fournissaient pas de liste de leur formation. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de fournir une liste exhaustive de toutes les formations suivies par la personne nommée, il aurait été préférable de fournir des renseignements supplémentaires sur cette formation lors de la dotation d’un poste de conseiller principal en matière d’infrastructure informatique.
D. Critère de l’atout numéro 6
[180] En ce qui concerne l’atout numéro 6, j’accepte la preuve de l’intimé selon laquelle il s’agissait d’une erreur administrative et qu’il n’aurait jamais dû figurer parmi les atouts dans l’énoncé des critères de mérite.
[181] Plus précisément, M. Mondor a déclaré en contre-interrogatoire que l’énoncé définitif incluait par erreur le critère de l’atout numéro 6, mais que cela était dû à une [traduction] « erreur de copier-coller » de la description de poste générique sur laquelle l’énoncé était fondé. En d’autres termes, il s’agissait simplement d’une erreur administrative.
[182] Le critère de l’atout était le suivant : [traduction] « Expérience dans l’intégration de solutions utilisant une variété de plates-formes et de technologies : SAP, PeopleSoft, .NET, Java, Oracle […] ». Cependant, il n’apparaissait pas dans la notification de candidature retenue, qui est l’avis envoyé. Il s’agit d’une simple erreur de copier-coller, rien d’autre.
[183] J’accepte cette explication pour trois raisons. Premièrement, comme l’a déclaré M. Mondor, ce critère relatif aux atouts n’apparaît nulle part ailleurs dans les étapes suivantes, y compris dans la Formulation de la décision de sélection, dans la notification de candidature retenue ou dans l’avis de nomination. Deuxièmement, d’après le témoignage de M. Mondor, il est clair que, même si ce critère figurait dans la description de poste générique, il ne s’agit pas d’une expérience qui aurait été nécessaire pour occuper le poste CS-04 qui avait été créé. Troisièmement, si l’on examine l’énoncé des critères de mérite, il n’y a pas d’évaluation narrative correspondante pour ce critère relatif aux atouts. Le paragraphe narratif correspond plutôt au critère relatif aux atouts numéro 7, qui est l’expérience de l’analyse des options d’approvisionnement, notamment l’estimation du niveau et du risque.
E. Méthode d’évaluation
[184] En ce qui concerne les méthodes utilisées pour évaluer la personne nommée, l’intimé a examiné le CV de cette dernière, a mené deux entrevues pour évaluer si elle répondait aux qualifications essentielles, au critère relatif aux atouts et à l’adéquation globale avec l’équipe, puis a envoyé sa recommandation à un organe de surveillance de haut niveau qui a examiné la recommandation faite par le gestionnaire responsable de l’embauche. Une évaluation narrative de l’énoncé des critères de mérite a été fournie, composée des notes pour chaque qualification et du critère relatif aux atouts. En outre, le gestionnaire responsable de l’embauche a fourni au CGE une justification qui n’était pas superficielle. Il a notamment expliqué comment l’expérience et les connaissances combinées de la personne nommée profiteraient à la DGIIT au sein du ministère et au rôle de l’équipe de gestion des fournisseurs, qui gagne progressivement en maturité.
[185] Par conséquent, j’estime que les méthodes utilisées ont permis d’évaluer efficacement les qualifications. La présente affaire est très différente de Rochon, où l’ancien Tribunal avait déterminé que l’outil d’évaluation utilisé ne permettait pas d’évaluer deux des qualifications essentielles et où une note globale avait été utilisée pour évaluer deux qualifications essentielles, au lieu d’évaluer chacune d’entre elles individuellement. En l’espèce, le gestionnaire responsable de l’embauche a fourni une évaluation narrative qui démontre clairement que chaque qualification essentielle applicable et chaque critère d’atout ont été évalués et qui était accompagnée d’une explication précise sur la manière dont les connaissances et l’expérience de la personne nommée en matière d’approvisionnement, de gestion des fournisseurs et de négociation profiteraient à la DGIIT au sein du ministère.
[186] Par conséquent, compte tenu de tous les éléments de preuve dont je dispose, j’estime que le plaignant n’a pas établi que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite.
F. Question en litige no 3 : Y avait-il une crainte raisonnable de partialité dans l’application du principe du mérite?
[187] Le critère que la Commission a appliqué pour déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité est tiré de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, dans lequel on peut lire que « [l]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet […] ». Pour reprendre les termes de la Cour d’appel fédérale, cités dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty, le critère est le suivant : « […] à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique? »
[188] Dans Gignac, au par. 74, le Tribunal a reformulé le critère dans le contexte de la dotation dans les termes suivants : « Si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’une ou plusieurs personnes chargées de l’évaluation, le Tribunal pourra conclure qu’il y a abus de pouvoir. » Dans Gignac, il était question de l’examen d’un processus de nomination dans lequel la conduite et les commentaires d’un gestionnaire responsable de l’embauche avaient donné lieu à une crainte raisonnable de partialité à l’égard du plaignant; le critère s’applique également à la situation en l’espèce, dans laquelle il est allégué que la partialité a joué en faveur de la personne nommée.
[189] Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, il n’y avait pas de crainte raisonnable de partialité en faveur de la personne nommée dans l’application du principe de mérite.
[190] Bien qu’il puisse être plus difficile d’évaluer la partialité dans un processus non annoncé où il n’y a qu’un seul candidat, le plaignant n’a pu présenter aucune preuve convaincante d’une conduite ou d’un type de comportement, de la part de l’intimé, qui s’élève au niveau de la partialité ou d’une crainte raisonnable de partialité.
[191] L’argument du plaignant concernant la partialité semble avoir été fortement influencé par le fait que la personne nommée n’appartenait pas au groupe CS. M. Mondor a admis en contre-interrogatoire qu’il était rare qu’une personne occupant un poste PG obtienne un poste CS et que c’était la première et unique fois que cela se produisait. Toutefois, M. Mondor a également expliqué lors du contre-interrogatoire qu’il était plus facile de pourvoir un poste de CS que de créer un nouveau poste de PG, étant donné qu’il n’y avait pas de poste de PG dans l’équipe. J’estime qu’il n’y a tout simplement aucune preuve que M. Mondor s’est vu demander de quelque manière que ce soit par ses supérieurs de [traduction] « faire en sorte que ça marche », et j’estime que l’allégation du plaignant est dénuée de tout fondement.
[192] J’estime également qu’il n’existe aucune preuve que M. Mondor ait manipulé les critères de mérite pour favoriser la personne nommée. Formuler de telles allégations sans aucun fondement peut être préjudiciable à tout gestionnaire responsable de l’embauche dans la fonction publique, même si les allégations sont jugées non fondées par la Commission. Cela peut également avoir un impact sur les relations en milieu de travail, qui se poursuivent souvent longtemps après la fin d’une procédure de plainte en matière de dotation. Bien que le droit de présenter une plainte en matière de dotation en vertu de la Loi puisse contribuer à l’équité, à la transparence et à l’intégrité de certains processus de dotation interne dans la fonction publique, j’invite instamment tout plaignant à s’abstenir de formuler des allégations sans éléments de preuve suffisants.
[193] J’estime que la preuve indique que M. Mondor a interrogé la personne nommée de manière informelle avec le DG, M. Skinner, puis de manière plus formelle avec son chef d’équipe, M. Gauthier. Il a préparé une évaluation narrative accompagnant l’énoncé des critères de mérite qui détaillait la façon dont la personne nommée répondait aux qualifications essentielles. En outre, conformément au processus de dotation au sein de la DGIIT, il a soumis sa recommandation à un comité de cadres supérieurs de sa direction générale qui l’a examinée, ajoutant ainsi un palier supplémentaire d’examen et de rigueur à la recommandation de M. Mondor. Après approbation, le processus de dotation est passé aux étapes finales, notamment la Formulation de la décision de sélection et l’affichage de la notification de candidature retenue.
[194] La présente affaire diffère de façon notable de la trame factuelle de Gignac, affaire dans laquelle le Tribunal a estimé que les commentaires du président d’un comité de sélection à l’égard du plaignant avant l’entrevue témoignaient clairement d’une perception négative de la participation du plaignant à un processus de nomination. Aucune preuve de ce type n’a été apportée en l’espèce.
[195] En réalité, lors de son témoignage, M. Mondor a parlé du plaignant en termes favorables, soulignant que lorsque le processus de dotation pour le poste CS-04 a commencé, il avait récemment promu le plaignant à un poste CS-03. Il était d’avis, à l’époque, que le plaignant aurait eu besoin de plus d’expérience dans un poste CS-03 avant que sa candidature ne soit envisagée pour un poste CS-04. En outre, le plaignant lui-même a reconnu en contre-interrogatoire qu’il n’avait aucune expérience de la négociation d’accords sur les niveaux de service avec les fournisseurs, ce qui constituait un atout dans l’énoncé des critères de mérite que la personne nommée possédait manifestement compte tenu de ses nombreuses années de travail dans le domaine de l’approvisionnement.
[196] En outre, je constate qu’il n’existe aucune preuve de partialité à l’égard de la personne nommée, qui a fait l’objet d’une procédure d’évaluation de ses qualifications et n’a bénéficié d’aucun traitement de faveur, comme l’a suggéré le plaignant. Par conséquent, j’estime que l’intimé n’a pas abusé de son pouvoir, car il n’y a pas eu de crainte raisonnable de partialité à l’égard de la personne nommée dans le cadre de l’évaluation du mérite.
G. Question en litige no 4 : Y a-t-il eu favoritisme personnel dans l’évaluation du mérite?
[197] Selon le témoignage non contredit de M. Mondor, ce dernier n’entretenait aucune relation personnelle ou professionnelle avec la personne nommée avant le processus de dotation, et personne à EDSC n’a soulevé d’éventuels problèmes de relations personnelles.
[198] Une conclusion de favoritisme personnel ne doit pas être fondée sur de pures conjectures. Dans Glasgow c. le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 7, le Tribunal a conclu que la preuve de favoritisme personnel peut être directe ou substantielle. Toutefois, il doit y avoir au moins une preuve d’une relation personnelle entre la personne qui choisit la personne à nommer et la personne nommée. Le plaignant n’a fourni aucune preuve d’une relation personnelle entre la personne nommée et M. Mondor ou toute autre personne ayant participé au processus de dotation.
[199] En l’absence de toute preuve établissant l’existence d’une relation personnelle, je conclus que le plaignant ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir l’existence d’un favoritisme personnel. Par conséquent, il n’y a pas d’abus de pouvoir. Bien que l’intimé ait fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve d’influence indue dans l’évaluation du mérite, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de me prononcer sur cet argument étant donné que le plaignant n’a fourni aucune preuve ou aucun argument à cet égard.
[200] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît sur la page suivante)
VII. Ordonnance
[201] La plainte est rejetée.
Le 10 mai 2024.
Traduction de la CRTESPF
Patricia H. Harewood,
une formation de la Commission des relations de
travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral